Les ONG : sécurisation des humanitaires en zone de crise

Les personnels des organisations non gouvernementales (ONG), qui partent secourir des populations sinistrées dans des pays en crise, sont devenus des cibles pour des raisons politiques ou crapuleuses (rançons). Leurs employeurs doivent assurer leur sécurité, sans trop entraver leurs activités sur le terrain.

Ces questions ont fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 17 mai 2016 à Paris, par l’Association pour la formation et les études de défense et de sécurité de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y ont participé : Éric Lavertu, sous-directeur du Centre de crise et de soutien du ministère des Affaires étrangères et du Développement international ; Emmanuelle Strub, conseillère sécurité à l’ONG « Médecins du Monde » ; Nicolas Robe, directeur sécurité et sûreté à l’ONG « ACTED » (Agence d’aide à la coopération technique et au développement).

L’action de l’État. L’augmentation du nombre de victimes parmi les humanitaires correspond à la croissance de leurs activités. Au cours des 30 dernières années, ils sont passés de 13.500 à 24.500 dans le monde, indique Éric Lavertu, qui a œuvré notamment au Pakistan, en Éthiopie et même en Afghanistan du temps de l’invasion soviétique. L’année 2015 a connu 118 incidents graves parmi les humanitaires : 96 morts, dont 9 « internationaux » ; 49 enlèvements (7 internationaux). Environ 50 % se sont produits lors de déplacements vers les lieux où se trouvent les bénéficiaires de l’aide, à savoir le Soudan du Sud, l’Afghanistan, le Yémen, la Syrie et la République démocratique du Congo. Agir en Afghanistan dans les années 1980 nécessitait d’y entrer clandestinement, de marcher longtemps et d’accompagner des convois avec les risques de bombardements ou d’embuscades par l’Armée rouge. Mais la population faisait bon accueil aux organisations humanitaires de divers horizons. Aujourd’hui, ces dernières font l’objet d’attaques « collatérales », comme le bombardement d’un hôpital de l’ONG « Médecins sans frontières » en 2015 et d’un autre en Syrie en 2016. Différents acteurs apparaissent avec la volonté d’empêcher toute aide médicale extérieure à un pays en guerre depuis longtemps, en vue d’en interdire l’accès ou d’en tirer des profits. C’est la continuation de la politique suivie par l’URSS contre les dispensaires français en Afghanistan. Leur proximité de la population rend les ONG plus vulnérables. Elles sont alors tentées de se regrouper dans la capitale, plus sûre, et d’intervenir à distance à partir d’un pays voisin. Leurs personnels locaux, restés sur place, deviennent à leur tour des victimes. Le ministère des Affaires étrangères, comptable de la sécurité des ressortissants français, rappelle aux ONG les risques encourus dans les pays classés en « zone rouge » et élaborent des « protocoles de sécurité ». L’inscription au dispositif « Ariane » leur permet de se signaler gratuitement et facilement. Le Centre de crise et de soutien (CCS, voir encadré) les accrédite auprès des ambassades, qui les incluent dans les plans de sécurité. Il peut aussi faciliter leur évacuation vers un pays voisin avec l’aide des forces françaises sur place,  comme en Centrafrique en octobre 2015. Lors d’une prise d’otage, la négociation relève du Centre international de la Croix-Rouge. De son côté, le CCS entretient les relations uniquement avec la famille. Après la libération de l’otage, souvent très affecté psychologiquement, il facilite sa réinsertion dans la vie quotidienne.

« Officialisation » de la sécurité. « Médecins du Monde » (MdM) emploie 120 humanitaires « internationaux » et 1.500 « locaux » dans 40 pays. Les interventions restent difficiles en Afghanistan, en Somalie, en Centrafrique, en Syrie, au Yémen et en Irak, souligne Emmanuelle Strub, qui a connu les catastrophes humanitaires de l’ex-Yougoslavie, de la Tchétchénie et du Burundi. Depuis, la sécurité s’est imposée comme une évidence par un plan en 2000, réactualisé en 2010. Légalement, l’ONG doit protéger ses employés. S’y ajoute la contrainte de l’article 22 de la loi dite « Kouchner » (fondateur de MdM et ancien ministre des Affaires étrangères 2007-2010) : l’État peut demander le remboursement des dépenses occasionnées pour le sauvetage des personnes, qui se seraient délibérément exposées dans des zones occupées par des organisations terroristes. Un enlèvement est plus difficile à gérer qu’un décès, indique Emmanuelle Strub. Les ONG comptent sur la convention de Genève, peu respectée, qui interdit de tirer sur les ambulances, les personnels soignants et les blessés. Le « référent de sécurité » doit identifier les risques en amont et déterminer les moyens humains et financiers. Cela demande du temps et des capacités d’analyse pour intervenir en amont. Conseiller du décideur, le référent doit assurer la sécurité à tous les niveaux par la formation et l’information des personnels. Des procédures écrites formalisent les risques, partagés par le siège de l’ONG et les gens sur le terrain. Le « pilotage à distance » consiste à prendre des décisions loin des bénéficiaires et du lieu de l’intervention pour  éviter que le décideur, étranger, ne devienne une cible. Ainsi en Syrie, les personnels de MdM sont des Syriens ou des gens eux-mêmes déplacés.

Pouvoir continuer à travailler. L’ONG « ACTED » emploie 3.500 personnes (500 expatriés) pour réaliser quelque 400 projets par an dans 36 pays. Elle s’est dotée d’un conseiller sécurité en 2010 et d’un département sécurité en 2013, en vue de poursuivre ses activités  dans les zones à hauts risques avec les moyens les plus adaptés, souligne Nicolas Robe. La gestion de la sécurité commence par l’analyse du milieu géographique, de la situation politique et de la probabilité de la menace. Une ONG spécialisée envoie des appels d’offres en ce sens. La formation des personnels implique l’acceptation du risque sur le terrain : profil bas, là où le terrorisme perdure ; apparaître comme neutre dans les zones de conflit armé ; protection des bâtiments par gardiennage, clôtures et barbelés. Le « pilotage à distance » reste la dernière solution car conduisant à la « bunkerisation », que connaît l’ONU à Bagdad depuis 2003. Se sentant abandonnée, la population pourrait ne plus accepter l’ONG ultérieurement. ACTED laisse alors sur place des personnels originaires du pays. Toutefois, le renouvellement fréquent des équipes entraîne une perte de la « mémoire » du pays et celui des matériels souffre de la baisse du financement.

Loïc Salmon

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Le Centre de crise et de soutien mobilise et coordonne l’ensemble des moyens du ministère des Affaires étrangères et des autres administrations, pour réagir aux crises à l’étranger impliquant des ressortissants français ou appelant une réponse humanitaire. Il assure le soutien à la stabilisation post-crise. Ses 72 agents assurent son fonctionnement 24h/24h, en liaison avec tous les autres ministères concernés. Il constitue aussi un pôle de partenariat pour : les ONG ; les entreprises ; les fondations ; les collectivités territoriales ; les Français résidents ou de passage à l’étranger ; leurs élus ; les organismes européens et de l’ONU ; les centres de crise étrangers.