INDOCHINE, des territoires et des hommes, 1856-1956

Cet ouvrage, véritable « somme » de la présence française en Indochine pendant 100 ans, complète l’exposition organisée par le musée de l’Armée à Paris (16 octobre 2013-26 janvier 2014).

La première partie concerne les rapports politiques et culturels. L’Histoire, vue par les vainqueurs ou les vaincus, a pour but le dialogue à égalité de tous les acteurs de cette période. La domination politique française, souvent acquise par les armes, s’est prolongée par la domination juridique. L’administration et la justice, abandonnées par les mandarins de l’empire d’Annam en fuite, sont alors exercées par des officiers de Marine et d’Infanterie de marine. En 1873, le recrutement s’élargit aux civils à Saigon puis l’Ecole coloniale voit le jour en 1889 à Paris. En outre, dès le début de la conquête, officiers de Marine et militaires mènent des explorations scientifiques pour reconnaître les espaces inconnus et le réseau hydrographique, notamment le Mékong (Henri Mouhot, Ernest Doudart de Lagrée et Francis Garnier). Sur le plan sanitaire, l’Indochine n’a pas la sombre réputation de l’Afrique subsaharienne. Dès 1867, les médecins militaires exercent leur art et collectent des données botaniques, ethnographiques et cartographiques. Tout médecin doit remplir trois missions : humanitaire ; politique, en montrant la supériorité occidentale et d’abord française ; économique, en fortifiant et accroissant la main-d’œuvre indigène. Les consultations gratuites itinérantes et les campagnes de prévention et de vaccination sont lancées dans les années 1870. La médicalisation est un fait militaire, contrairement à l’éducation, autre pilier de l’action sociale civilisatrice. Les militaires exercent les plus hautes fonctions pendant les périodes troublées : amiraux gouverneurs du début ; colonels chefs de territoires militaires et généraux commandants supérieurs dans les capitales de la colonie de Cochinchine et des protectorats du Tonkin, d’Annam, du Cambodge et du Laos, pendant la pacification ; amiraux Decoux et Thierry d’Argenlieu et généraux de Lattre de Tassigny et Salan cumulant les responsabilités civiles et militaires à partir de 1940. Pourtant dès 1946 et quoique bien renseignés, les chefs militaires français, auréolés de leur victoire sur l’Allemagne nazie, ne comprendront pas la forte volonté d’indépendance de la population indochinoise. L’autodidacte Ho Chi Minh (1890-1969), fondateur du journal Le Paria et militant du Parti communiste français, est envoyé à Moscou en 1923 et devient l’un des cadres les plus actifs du bureau Orient de l’Internationale communiste. La suite est connue. La seconde partie de l’ouvrage constitue le catalogue de l’exposition. Les militaires sont les premiers collectionneurs de « bibelots » (boîtes incrustées de nacre, ivoires ou soieries), à l’origine des collections de nombreux musées d’Europe enrichies par legs ou dons. Mais, pour limiter le pillage d’œuvres d’art, des décrets sont promulgués en 1900, 1913 et 1924. L’exotisme inspire les écrivains, dont Henri Casseville (Sao, l’amoureuse tranquille, 1928), André Malraux (La voie royale, 1930) et Claude Farrère (Fumée d’opium, 1932). Enfin, les affiches des diverses propagandes de l’époque et les polémiques récurrentes rappellent que l’ex-Indochine ne laisse pas indifférent.

Loïc Salmon

Exposition « Indochine, des territoires et des hommes, 1856-1956 » aux Invalides

Angkor, naissance d’un mythe

INDOCHINE, des territoires et des hommes 1856-1956, ouvrage collectif de 50 auteurs. Editions Gallimard Musée de l’Armée 320 pages 39 €