Exposition « Guerres secrètes » aux Invalides
Renseignement et espionnage, fantasmés par le cinéma et la littérature, font partie des modes d’actions politiques, diplomatiques et militaires des États. Les acteurs de cette réalité complexe allient souvent travail minutieux et courage anonyme.
Mécanismes de ces guerres. Pour préparer la guerre, les États constituent des services de renseignement permanents dès la fin du XIXème siècle. La première guerre mondiale développe cryptage et décryptage, transmissions, organisation et réseaux d’espionnage. Parallèlement, les gouvernements mettent en place censure, propagande et désinformation. La « guerre secrète » commence véritablement lors du second conflit mondial avec ses modes opératoires combinés : renseignement, opérations clandestines et déstabilisation. Elle dépasse les plans militaire et technique pour atteindre les domaines politique et idéologique, avec des services de renseignement et d’action adaptés. Dès 1934, Staline (1878-1953), président du Conseil des ministres de l’URSS, fonde le NKVD que son successeur Kroutchev (1894-1971) transforme en KGB en 1954. Churchill (1874-1985), Premier ministre britannique, crée le SOE en 1940, pour agir clandestinement en Europe occupée. Le général De Gaulle (1890-1970), chef de la France Libre, constitue le BCRA en 1940 puis le SDECE en 1945. Roosevelt (1982-1945), président des États-Unis, crée l’OSS en 1942. Truman (1884-1972), son successeur, fonde la CIA en 1947. Pendant la guerre froide (1947-1991), les blocs occidental et soviétique s’opposent dans un climat de tension extrême, mais leur guerre secrète, qui recourt à des moyens techniques aux technologies modernisées en permanence (ordinateurs et satellites), se substitue à un conflit ouvert. Dans ce contexte et pour servir les intérêts spécifiques de la France, notamment en Afrique, les présidents de la Vème République, De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand, ont voulu disposer de services de renseignement (SR) performants, dont l’action relève de leur « domaine réservé ». L’exposition présente aussi des entretiens filmés avec des personnalités qui ont décidé de l’organisation ou de la gestion des SR : le Premier ministre Rocard, (1986-1991), à l’origine de la Direction générale de la sécurité extérieure et interrogé le 16 janvier 2016 peu avant sa mort ; Balladur, Premier ministre (1993-1995) de « cohabitation » du président, socialiste, Mitterrand ; le Premier ministre Raffarin (2002-2005) ; le ministre de l’Intérieur (1988-1991) puis de la Défense (1991-1993) Joxe, créateur de la Direction du renseignement militaire et du Commandement des opérations spéciales. Tous donnent leurs avis sur les SR, les raisons de leurs réformes et leurs rapports à la démocratie.
Le métier d’agent secret. Les agents de renseignement agissent à l’étranger dans la plus grande discrétion. S’ils sont démasqués, ceux sous statut diplomatique seront expulsés du pays d’accueil. En revanche, ceux qui y travaillent clandestinement risquent parfois leur vie. Les SR préparent les interventions des agents, civils ou militaires, mettent au point leurs matériels et analysent les informations recueillies. Les agents doivent surtout constituer un réseau de « sources », issues de milieux sociaux et professionnels divers mais avec un accès privilégié à certaines informations sensibles par leur travail ou leur entourage. Les motivations de ces « sources » se résument par l’acronyme anglais « MICE » : Money, argent ; Ideology, patriotisme, convictions politiques ou religieuses ; Compromission, chantage (personnel ou familial), menaces ou tortures ; Ego, volonté de se mettre en avant, frustration de ne pas se voir reconnu. Le terme français « SANSOUCIS » y ajoute des nuances : Solitude, Argent, Nouveauté, Sexe, Orgueil, Utilité, Contrainte, Idéologie et Suffisance. La carrière des agents ne résulte pas toujours d’une vocation et leur parcours varie. Avant la seconde guerre mondiale, les armées forment les attachés militaires. Mais dès 1940, BCRA, SOE et OSS doivent former, pendant plusieurs mois, des volontaires, très souvent ignorants de la guerre secrète. En Grande-Bretagne, des écoles spéciales dispensent un entraînement physique avec sauts en parachute et cours de filature, sabotage codage et transmissions radio. Pendant la guerre froide, certains pays, dont les États-Unis et la France, en ouvrent également avec d’anciens agents comme instructeurs. La CIA recrute ses futurs agents au sein des universités. Dès 1952, dans une base secrète de l’État de Virginie, elle forme, aux opérations clandestines et à l’art du recrutement des « sources », ceux qui partiront à l’étranger. SOE et l’OSS disposent d’ateliers techniques pour doter les agents de moyens spécifiques à leurs missions clandestines, par exemple pistolets à silencieux ou cachés dans une cigarette ou un baton de rouge à lèvres, dagues dissimulées dans une chaussure ou une ceinture. A partir des années 1960, les SR américains, britanniques, français et soviétiques mettent au point appareils photos et enregistreurs camouflés en objets d’usage courant, pour la recherche et la transmission de documents sur de très petits supports.
De l’ombre à la lumière. Si les réussites restent souvent cachées, certains échecs s’étalent au grand jour, avec de graves conséquences. Quelques trahisons au profit de l’empire russe puis soviétique sont devenues célèbres : le colonel autrichien Redl en 1913 ; les Britanniques George Blake (1961) et les « 4 de Cambridge » (1979, le 5ème en 1990) ; le Français Georges Pâques (1963). En France, « l’affaire Farewell », avec l’expulsion de 47 diplomates soviétiques (1983), aura été précédée de « l’affaire Ben Barka » (1966) puis suivie de « l’affaire Greenpeace » (1985). Le mot de la fin revient à James Woolsey, directeur de la CIA (1993-1995) : « Nous avons combattu un gros dragon pendant 45 ans. Nous l’avons tué, puis nous nous sommes retrouvés dans une jungle pleine de serpents venimeux. »
Loïc Salmon
Renseignement : opérations alliées et ennemies pendant la première guerre mondiale
Renseignement : recomposition des services au début de la guerre froide (1945-1955)
L’exposition « Guerres secrètes » (12 octobre 2016-29 janvier 2017), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Elle présente plus de 400 objets et documents d’archives du Second Empire (1852-1870) à la fin de la guerre froide (1991), prêtés notamment par : la Direction générale de la sécurité extérieure, ex-SDECE dont un propulseur électrique sous-marin des années 1970 pour les nageurs de combat de son service action (photo) ; le Combined Military Museum, la British Library et le National Archives (Grande-Bretagne) ; le Service historique de la défense ; la Direction générale de la sécurité intérieure ; les Archives nationales ; le Mémorial de Caen ; le MM Park de La Wantzenau ; le Museum in der « Runden Ecke » (Leipzig) ; l’Alliermuseum (Berlin) ; EON Productions, (Londres), producteur des films de James Bond ; le musée Gaumont (Neuilly-sur-Seine), producteur des films OSS 117 ; Mandarin Production, producteur de la série télévisée « Au Service de la France ». Ont également été programmés des conférences en novembre 2016, des projections de films en novembre et décembre et des concerts en la cathédrale Saint-Louis des Invalides jusqu’en janvier 2017. Renseignements : www.musee-armee.fr