États-Unis : une politique ambiguë de défense et de sécurité
L’administration Obama, critiquée dans son propre pays pour son absence de « grande stratégie », est pourtant à l‘origine du « rééquilibrage » de la politique de défense américaine en Asie. Celle-ci repose sur la dissuasion plutôt que sur l’affrontement.
Steven Ekovitch, professeur de politique internationale, l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 26 juin 2014 à Paris, par le Forum du futur et l’association Minerve EMSST.
« Flous » diplomatique et budgétaire. Tous les quatre ans, le gouvernement doit présenter au Congrès des « Livres Blancs » : diplomatie, défense, renseignement, sécurité intérieure, sécurité internationale etc. La politique étrangère se focalise sur les capacités militaires et les pays partenaires, sans ligne directrice ni vue d’ensemble. Par exemple pour le Moyen-Orient, sont traités l’Irak, la Syrie et l’Iran. Mais, la question nucléaire iranienne est séparée des interventions de Téhéran dans la région. Le président Barack Obama, en position de faiblesse faute de succès diplomatique, en a besoin d’un sur la question iranienne et les Israéliens le savent, précise Steven Ekovitch. En matière de défense, les documents officiels ne mentionnent que le budget de base, soit 525 Md€ en 2013. D’autres lignes budgétaires concernent : les « opérations sur les théâtres extérieurs », qui ne sont pas qualifiées de « guerres » ; la mise à niveau de la dissuasion nucléaire, qui émarge au budget du ministère de l’Énergie ; le renseignement, qui dispose d’un budget propre ; les remboursements des emprunts de l‘État fédéral pour financer les guerres et opérations extérieures précédentes. En tout, selon Steven Ekovitch, quelque 1.000 Md$ par an sont consacrés à la protection des intérêts de la nation, soit environ 3 % du produit intérieur brut. Le budget de la défense irrigue l’économie nationale. Or, un projet de loi propose de le réduire de 487 Md$ sur 10 ans. Selon les états-majors, cette réduction trop brutale menacerait la sécurité du pays. En conséquence, le gouvernement prépare un amendement pour y pallier. Si la Chambre des représentants et le Sénat ne peuvent parvenir à un accord en ce sens pour le budget 2015, la loi de réduction automatique de 10 % de tous les budgets de l’État fédéral s’appliquera à celui de la Défense. Même en cas d’accord, cette menace réapparaîtra en 2016, date des élections présidentielles : le futur président devra à son tour convaincre le Congrès d’augmenter le budget de la défense. Toutefois, un événement extérieur peut déclencher des mesures exceptionnelles. Ainsi, après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, l’administration Bush et le Congrès étaient parvenus à un accord sur une augmentation substantielle du budget de la défense.
« Air Sea Battle ». Depuis 2012, l’administration Obama estime que les États-Unis doivent être capables d’assurer, non plus deux opérations majeures, mais une seule et avec la possibilité de dissuader une autre menace importante. Elle a élaboré un nouveau concept de défense dénommé « Air Sea Battle » (bataille aéromaritime) qui va de la lutte anti-terroriste au conflit de haute intensité, contre un adversaire disposant de technologies capables de rivaliser avec celle des États-Unis. Il s’agit de : défendre le territoire national et ceux des alliés de longue date et des nouveaux partenaires avec, notamment, le projet de bouclier antimissiles dont le budget sera conservé ; maintenir une économie forte dans un marché mondial ouvert ; favoriser une interdépendance économique ; rendre universelles les valeurs démocratiques de paix, sécurité et coopération. Dans le cadre de la guerre de l’information, la Maison Blanche et le Pentagone ont rendu publics leurs projets : porter l’effort sur les conflits asymétriques ; contrer une puissance militaire menaçante par un déni de zone d’action aérienne ou maritime ; réduire la prolifération des armes de destruction massive ; fonctionner efficacement dans l’espace et le cyberespace ; conserver l’arme nucléaire ; lancer des opérations de contre-insurrection ; organiser des aides humanitaires. Cela implique de nombreuses opérations spéciales, dont les forces sont recrutées dans les unités conventionnelles. L’armée de Terre compte 500.000 hommes et femmes, le Corps des « Marines » (spécialisé dans la gestion de crises) 175.000 et les forces spéciales 60.000 déployés dans la plupart des pays du monde. Les réservistes, dont le nombre sera peu réduit, s’entraînent avec les personnels d’active pour être mobilisables rapidement en cas de crise. En revanche, des réductions d’effectifs toucheront l’armée de Terre, la Marine et le Corps des « Marines », dont cependant 900 personnels iront renforcer la protection des ambassades. En compensation, seront maintenus les investissements dans les technologies à usages civil et militaire. Il en sera de même pour les budgets de l’espace et du cyberespace. Les technologies devront être plus simples et moins chères, pour pouvoir en mettre beaucoup en service et réduire ainsi les risques de vulnérabilité par attrition au combat.
Océans Indien et Pacifique. Malgré les coupes budgétaires, l’armée de l’Air et la Marine américaines se déploient surtout en Asie-Pacifique et océan Indien. En outre, les États-Unis se manifestent à nouveau dans toutes les organisations internationales de ces régions. Tout cela rassure les pays alliés et partenaires, qui s’inquiètent de la diplomatie musclée de la Chine et de la montée en puissance de son outil militaire quantitativement et qualitativement. Les missiles de croisière chinois, d’une portée de 1.500 km, menacent la Corée du Sud, le Japon, les pays d’Asie du Sud-Est, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et un chapelet d’îles du Pacifique. Cette zone et l’Asie du Sud représentent 60 % des échanges et des investissements mondiaux. En cas d’agression de la Chine dans une perspective de guerre éclair, les États-Unis ont les capacités d’encaisser une première frappe, de bloquer les détroits indonésiens et de Malacca (accès à l’océan Indien) et d’entraîner Pékin dans un conflit long et coûteux. Un simple déni de zone aéromaritime consiste à en tenir l’adversaire éloigné. Toutefois, indique Steven Ekovitch, un scénario de guerre ne signifie pas un passage à l’acte. Comme pendant la guerre froide, il convient d’éviter l’affrontement direct et d’agir à la périphérie. Aujourd’hui, l’Europe et l’Afrique se trouvent à la périphérie. Les États-Unis veulent empêcher que des pays africains deviennent des sanctuaires de mouvements terroristes pour attaquer l’Europe.
Loïc Salmon
Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques
L’océan Indien : espace sous tension
Auditeur de l’Institut des hautes études de défense nationale, le professeur Steven Ekovitch (à droite) a obtenu un doctorat en Histoire (1984) à l’Université de Californie. Il enseigne à l’Université américaine de Paris et à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a servi dans l’armée de l’Air américaine (1969-1972) pendant la guerre du Viêt Nam. Le vice-amiral d’escadre (2S) Jean Bétermier (à gauche) préside le Forum du futur, centre d’analyse et de prospective géopolitique. L’association Minerve regroupe les officiers diplômés et stagiaires de l’Enseignement militaire supérieur, scientifique et technique (EMSST) de l’armée de Terre.