Environnement : conséquences du changement climatique sur la sécurité internationale

Le réchauffement climatique et la dégradation de l’environnement créent des tensions, qui influent sur la stabilité mondiale et les opérations militaires. Le triptyque défense, diplomatie et développement implique une coopération entre les différents acteurs.

A cet effet, la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées a mis sur pied un « observatoire géopolitique des enjeux des changements climatiques en termes de sécurité et de défense ». Ce dernier a rédigé un rapport sur l’action des forces armées étrangères dans ce domaine, présenté à la presse le 22 mars 2021 à Paris par Julia Tasse, Sofia Kabbej et François Gemenne, chercheurs à l’Institut de relations internationales et stratégiques. Une note de synthèse du rapport a été publiée le lendemain.

Collaboration civilo-militaire. De nouveaux conflits peuvent surgir dans des lieux jusque-là épargnés, indique François Gemenne. La compétition pour la sécurité alimentaire et le nombre croissant d’Etats faillis provoquent des tensions ethniques, dont profitent les organisations djihadistes. Les Etats démunis recourent alors aux forces armées étrangères pour maintenir la stabilité. Selon Julia Tasse, la prévention de ces risques passe par la fourniture de moyens de subsistance aux populations exposées, pour qu’elles s’adaptent, afin d’éviter l’émergence des situations extrêmes. Les Etats-Unis et le Conseil de sécurité de l’ONU prennent en compte les risques de tensions internationales consécutives au changement climatique. Pour y faire face, la coopération porte sur la formation et les échanges de savoir-faire et de bonnes pratiques, indique Sofia Kabbej. Déjà l’Union européenne, l’OTAN et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est abordent ces domaines, préconisent exercices et formations en commun et rédigent des rapports sur les capacités de coopération, ajoute François Gemenne.

Maintien de l’effet militaire. Les perturbations du climat se manifestent par l’occurrence de phénomènes extrêmes et à évolutions lentes avec des implications sécuritaires importantes, à savoir cyclones, inondations, sècheresse, tempêtes, élévation du niveau des mers et des océans. En conséquence, indique le rapport de l’observatoire de la DGRIS, la diversité des impacts du changement climatique est prise en compte, surtout parmi les forces armées des pays les plus riches, afin de maintenir une totale capacité opérationnelle dans un environnement dégradé. Certains documents de doctrine évoquent le changement climatique comme une menace de plus pour la sécurité nationale, d’autres examinent en détail ses effets en termes d’opérabilité et de capacité. Ils étudient les impacts sur les infrastructures civiles et militaires, la dimension civile, voire humanitaire, croissante des missions futures, la nécessité de développer de nouvelles infrastructures et des matériels plus adaptés. Pour la majorité des pays étudiés, la coopération internationale apparaît comme une réponse aux impacts sécuritaires. Toutefois, seuls l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis recommandent l’élaboration de méthodologies d’évaluation de vulnérabilité, la création de comités spécifiques, le soutien à la recherche ou la rédaction de manuels et de rapports spécifiques. Les forces armées doivent tenir compte du changement climatique dans la surveillance maritime et frontalières. Pour assurer la résilience des sites, aéroports et emprises militaires, les Etats-Unis renforcent les partenariats des armées avec les agences fédérales civiles, les pouvoirs publics locaux et les organisations non gouvernementales. La Norvège et la Nouvelle-Zélande préfèrent cibler leurs investissements sur l’adaptation des équipements militaires aux effets du changement climatique. La Russie va construire 40 brise-glace et adapter des infrastructures et des équipements aux conditions extrêmes de l’Arctique. La Jordanie, qui subit augmentation des températures et sécheresse, demande à des organisations non gouvernementales de former ses militaires à la gestion de l’eau. Les Etats-Unis accroissent les entraînements sur simulateurs et sites adaptés.

Réduction de l’empreinte climatique. La résilience énergétique des forces armées, souligne le rapport de l’observatoire de la DGRIS, se concentre sur l’identification et la réduction des faiblesses dans la chaîne d’approvisionnement en énergie, susceptibles de compromettre la conduite des opérations. Cela implique notamment : une dépendance moindre aux carburants fossiles, qui nécessitent un acheminement ; un recours accru aux énergies renouvelables, qui fonctionnent de manière plus autonome sur le terrain ; un meilleur rendement énergétique des équipements. Le rapport note que peu de pays mentionnent les résultats de leur bilan énergétique et de leur « bilan carbone » (tonnes d’équivalent CO2 émises par leurs activités) dans leurs documents stratégiques relatifs à l’environnement. Quoique le Canada n’entre pas dans les détails, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis se montrent plus transparents dans ce domaine. La résilience énergétique nécessite aussi la mise en œuvre de programmes visant à diminuer les émissions de gaz à effet de serre. L’Inde, les Etats-Unis et le Danemark envisagent de plus en plus le recours aux énergies renouvelables dans les opérations extérieures, compte tenu du caractère opérationnel de l’autonomie des bases avancées. En outre, la résilience énergétique des véhicules de transport porte sur des carburants alternatifs, comme le biodiesel et l’hydrogène, sur les moteurs existants et l’innovation sur les batteries portatives des équipements individuels. La restauration des écosystèmes inclut notamment la plantation d’arbres, en Chine et en Jordanie, et le déminage des anciennes zones de combat, pratiqué par les Etats-Unis et la Norvège. Au Brésil, les forces armées protègent la forêt amazonienne des exploitations illégales. Enfin, en Inde, des « bataillons éco-territoriaux » sont formés à la protection de l’environnement.

Missions de sécurité civile. Selon le rapport de l’observatoire de la DGRIS, les autorités civiles sollicitent de plus en plus les forces armées pour les secours lors des catastrophes naturelles, qui augmentent en fréquence et en intensité. Ainsi, les Etats-Unis, l’Australie, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et les Pays-Bas mobilisent immédiatement leurs forces armées. La coopération civilo-militaire fait partie du programme d’anticipation des catastrophes naturelles au Japon, au Chili et aux Etats-Unis. La majorité des pays ayant mis en place des pratiques spécifiques à l’anticipation ou à la réponse aux catastrophes naturelles sont pauvres et y sont particulièrement exposés. Il se trouvent surtout en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est. Même les pays industrialisés, de plus en plus exposés, institutionnalisent la coopération civilo-militaire. L’ONU, l’OTAN et la Plate-forme d’intervention régionale de l’océan indien de la Croix-Rouge ont mis en œuvre des procédures d’interventions civilo-militaires pour les missions de sécurité civile hors des territoires nationaux.

Loïc Salmon

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