Diplomatie : l’incertitude des sanctions internationales

L’efficacité des sanctions internationales envers un pays repose sur leur levée une fois atteint l’objectif recherché. La lutte contre le terrorisme inclut des sanctions ciblées et sélectives contre des individus ou des secteurs d’activités.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 11 octobre 2017 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique. Y sont intervenus : Sylvie Matelly, co-auteure de l’étude intitulée « Projet Persan » sur les sanctions internationales ; Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur à Moscou ; Arnold Puech d’Alissac, chargé des questions internationales à la Fédération nationale des syndicats d’exploitation agricole (FNSEA).

Performance limitée dans le temps. Sorte d’arme économique, le blocus a été utilisé depuis l’Antiquité comme prévention d’un conflit pour affaiblir l’adversaire, rappelle Sylvie Matelly. Le Projet Persan définit la performance comme la combinaison de la pertinence, de l’efficacité et de l’efficience. L’efficacité, la plus étudiée, résulte de l’adaptation des moyens économiques, financiers, diplomatiques, culturels ou sportifs. Importante à court terme, elle s’amenuise avec le temps. La pertinence, à examiner en amont d’une sanction, repose sur la mondialisation. En conséquence, le pays visé par une sanction parvient à la contourner et celui qui en est à l’origine obtient le ralliement de partenaires. Importante pour le pays qui sanctionne, l’efficience dépend du décalage initial entre l’objectif de politique étrangère, fixé par l’Etat, et les moyens mis en œuvre, surtout par le secteur privé. La confrontation entre efficacité et efficience détermine la performance des sanctions, la pertinence n’intervenant que de façon indirecte. La performance devient nulle avec le temps, par suite de l’adaptation réciproque des deux parties antagonistes, conclut le Projet Persan. En outre, des sanctions en multilatéral se révèlent plus performantes que celles en bilatéral, moins globales. Selon Sylvie Matelly, la politique américaine en matière des sanctions, de plus en plus ciblées, résulte d’une réflexion poussée de l’Administration Obama : durcissement lors du premier mandat (2008-2012) puis négociations pour lever les sanctions au cours du second (2012-2016). Ainsi, elle a montré une certaine flexibilité à l’encontre de la Russie, préférant une « directive », plus facile à modifier, qu’une loi votée par le Congrès. Le rôle du dollar dans les échanges internationaux et l’extraterritorialité de leur législation permettent aux Etats-Unis de peser sur l’économie mondiale. Par ailleurs, ces sanctions entraînent des conséquences politiques, humanitaires et sociales non négligeables : prédation et corruption accrues, propagande renforcée ou radicalisation de la politique intérieure dans le pays concerné. S’y ajoute la mobilisation des opinions publiques, comme l’appel à boycotter ses produits, lancé par des organisations non gouvernementales ou même des Etats et relayé par les réseaux sociaux.

Effets de la crise ukrainienne. Seules les sanctions décidées par l’ONU acquièrent une légitimité internationale et leur renouvellement exige l’unanimité du Conseil de sécurité, rappelle Jean de Gliniasty. Selon lui, la crise ukrainienne, consécutive à la sécession de la Crimée et à son rattachement à la Russie (mars 2014) en violation du droit international, suscite un premier jeu de sanctions, où les propositions de l’Union européenne (UE) restent en deçà de celles des Etats-Unis. Puis elles concordent après l’intervention russe dans le Donbass (Est de l’Ukraine) et la destruction d’un avion de la Malaysia Airlines par un missile sol/air (juillet 2014). La guerre civile dans le Donbass (début 2015) aboutit à un cessez-le-feu et aux divers accords de Minsk. Les sanctions de l’UE portent sur le pétrole, le gaz de schiste, l’industrie militaire, tout matériel à usage dual (hélicoptères notamment) et les crédits bancaires au-delà de 30 jours. Dès août 2014, la Russie décrète à son tour des sanctions contre l’UE. Par la suite, les importations russes sont passées de 140 Mds$ en 2013 à 84 Mds$ l’année suivante, au détriment de l’Allemagne, de la Croatie, de la Grèce et de la France. Deuxième importatrice mondiale de porcs en 2012, la Russie en développe l’élevage et deviendra exportatrice en 2018. Autre conséquence des sanctions, la part des investissements de l’UE dans le domaine des technologies en Russie est passée de 70 Md$ en 2013 à 4,8 Md$ en 2015. Sur le plan politique, les sanctions ont provoqué un sursaut nationaliste en Russie, qui a totalement intégré la Crimée à son territoire. Le président Poutine a plus que doublé sa cote de popularité à 87-88 % et son parti, « Russie unie », a remporté les élections législatives avec une écrasante majorité. Enfin, la crise ukrainienne a permis aux Etats-Unis de se rendre encore plus indispensables en Europe.

Agriculture européenne perturbée. Les sanctions russes coûtent déjà 5 Md$ à l’agriculture de l’UE, souligne Arnold Puech d’Alissac. Elles sont devenues effectives quand sa production de produits laitiers était excédentaire. Or un surplus de production de 1 % suscite une chute des prix de 20 %. En outre, l’impossibilité de stocker les produits périssables et le recours à la congélation de la viande entraînent des pertes financières. La France représente 13 % de la population de l’UE, mais 20 % de sa production agricole. En France, ce secteur représente 13.000 industries agro-alimentaires, 460.000 exploitations et 15 % des emplois. Une baisse de sa production agricole entraîne une baisse de sa compétitivité, dont profitent les Pays-Bas et le Danemark. Après la perte du marché russe, les pays baltes, la Pologne, la Belgique et l’Italie se sont tournés vers ceux de l’UE, entraînant une chute des prix. La FNSEA a demandé, en vain, à la Commission européenne une étude d’impact des sanctions russes sur l’agriculture. De son côté, la Russie développe sa production de viande blanche.

Loïc Salmon

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Le Conseil de sécurité de l’ONU peut prendre des mesures pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales en vertu du Chapitre VII (article 41) de la Charte des Nations Unies. Les sanctions qu’il décide englobent un large éventail de mesures coercitives n’impliquant pas l’emploi de la force armée. Depuis 1966, le Conseil a mis en place 25 régimes de sanctions, qui varient selon les objectifs. Cela va des sanctions économiques et commerciales de grande ampleur à des mesures ciblées, comme les embargos sur les armes, les interdictions de voyager et les restrictions financières ou frappant les produits de base. Ces sanctions visent à appuyer les transitions pacifiques, décourager les changements non constitutionnels, lutter contre le terrorisme, protéger les droits de l’homme et promouvoir la non-prolifération des armes de destruction massive. Entre 1966 et 2017, les sanctions de l’ONU ont concerné : la Rhodésie du Sud ; l’Afrique du Sud ; l’ex-Yougoslavie ; Haïti ; l’Irak ; l’Angola ; la Sierra Leone ; la Somalie ; l’Érythrée ; le Libéria ; la République démocratique du Congo ; la Côte d’Ivoire ; le Soudan (2) ; le Liban ; la Corée du Nord ; l’Iran ; la Libye (2) ; la Guinée-Bissau ; la République centrafricaine ; le Yémen ; Al-Qaida ; les talibans (2).