Diplomatie : gérer les crises et déceler les menaces diffuses

L’identification des crises nécessite de prendre du recul. Leur traitement à chaud est complexe, tout comme leur règlement dans le temps long. Les diplomates chargés de les gérer doivent aussi tenir compte des intérêts de la France et de l’Union européenne.

L’ambassadeur Didier Le Bret, directeur du Centre de crises du ministère des Affaires étrangères, a présenté la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 15 décembre 2014 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale.

Crises multiformes. En 20 ans, le nombre de conflits a été divisé par 2, mais celui des crises a augmenté. Autrefois d’origines naturelles (séismes ou inondations) ou humaines (accidents industriels ou mouvements sociaux de très grande ampleur), leur distinction s’estompe, car la plupart des crises naturelles est d’origine humaine, par suite de tensions liées à la démographie et aux ressources alimentaires et en eau. En outre, elles évoluent et s’étendent géographiquement. Ainsi, une crise de politique intérieure en Ukraine (2013) a dérivé vers un conflit larvé avec la Russie, qui s’est approprié une partie de son territoire (Crimée). Suite à la crise des « subprimes » (2008), la faillite de la banque d’investissements américaine Lehman Brothers s’est répercutée sur les principales places financières mondiales. Après sa conquête d’une partie de la Syrie et de l’Irak (2014), l’organisation djihadiste « Daech » y a instauré un « califat », avatar des empires antiques situés entre le Tigre et l’Euphrate. Selon les estimations de l’ONU, le réchauffement climatique déplacera, d’ici à 2020, 45 millions d’Africains au Moyen-Orient, au Maghreb et dans l’Union européenne. En 2050, il touchera 150 millions de réfugiés et fera perdre à l’Espagne 20 % de son territoire et à l’Afrique 66 % de ses terres arables. Aujourd’hui, le Sud de l’Europe est confronté à une migration massive d’origine africaine, événement inimaginable il y a 10 ans. La coût de la gestion des crises humanitaires sera passé de 2 Md$ en 2000 à 19 Md$ en 2015. Dans l’ensemble, les crises deviennent interdépendantes. Un incident local prend une dimension internationale. Par exemple, le virus Ebola, parti d’Afrique de l’Ouest, menace les États-Unis et l’Europe. Une crise interne en Syrie a provoqué des réactions en chaîne en Égypte, en Tunisie et au Yémen. Au monde bipolaire de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS (1947-1991), a succédé l’hyperpuissance américaine puis un monde, non pas multipolaire, mais « a-polaire », souligne l’ambassadeur.

Traitements incertains. La diplomatie doit porter le meilleur diagnostic et le plus en amont possible pour anticiper les crises, indique-t-il. Les attentats d’Al Qaïda à New York et Washington en 2001, que personne n’avait anticipés, ont ébranlé la première puissance du monde et l’ont paralysé pendant plusieurs jours. La diplomatie doit traiter les crises très vite, comme l’intervention française en Libye pour arrêter un massacre programmé (2011). Mais l’action à chaud ne doit pas déclencher des phénomènes impossibles à contrôler (guerre civile en Libye, 2014). L’émotion par l’image, qui prend une dimension politique, ne doit pas empêcher la réflexion sur l’après-crise. Le séisme en Haïti (2010) a fait moins de victimes que la mauvaise organisation des secours dans ce pays, où il a fallu restaurer l’État de droit. Selon Didier Le Bret, ambassadeur à Port-au-Prince à l’époque, « l’effet émotion » exige une réaction immédiate mais qui « n’arrive pas à éteindre l’incendie de manière durable ». Il met en garde contre le piège humanitaire, « une belle idée dangereuse, car difficile à manier », et rappelle que les expéditions coloniales répondaient au devoir de civilisation. Par ailleurs, le monde devient manichéen avec les « bons » et les « méchants » : tout changement de régime est lourd de conséquences et nourrit le soupçon d’intention. Le « logiciel de la peur » est apparu, à savoir l’inversion maligne de ce qui paraissait acquis depuis des siècles. Ainsi, la science, autrefois facteur de progrès, doit être contrôlée (énergie nucléaire ou révolution verte en Chine). Tout ce qui a protégé hier fait peur aujourd’hui. Les solidarités de famille, de village ou de patrie disparaissent. Le principe de précaution a des conséquences sur la conduite des opérations militaires : sécurité sans morts, frappes chirurgicales sans dommages collatéraux, aversion du risque et besoin de protection.

L’action de la France. Contrairement aux propos défaitistes actuellement à la mode, la France n’est pas au bord du gouffre, rappelle l’ambassadeur. Elle reste la 5ème puissance économique du monde et dispose du 2ème domaine maritime (après les États-Unis) et d’un appareil diplomatique réactif, malgré les restrictions budgétaires (1,2 % de celui de l’État). Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, elle participe au contrôle de la prolifération nucléaire en raison de sa dissuasion. Acteur majeur dans la résolution des crises, elle contribue à 8 des 16 opérations de maintien de la paix de l’ONU et propose entre 25 % et 50 % des résolutions en ce sens présentées au Conseil de sécurité. Outre sa capacité unique d’intervention militaire (Mali, 2013), elle agit dans le domaine humanitaire en coopération avec la Croix-Rouge et après l’arrivée d’organisations non gouvernementales comme Médecins sans frontières (virus Ebola en Guinée, 2014). Le ministère des Affaires étrangères (MAE) développe les initiatives d’associations locales avec une approche anthropologique, car l’aide publique au développement contribue à la prévention des crises. Son Centre de crises dispose d’une batterie d’indicateurs, qui analysent dans le temps long (mouvements sociaux et religieux, échéances politiques critiques) et suivent les événements immédiats, à croiser avec les intérêts nationaux (encadré). Il s’intéresse particulièrement à trois zones. Les pays du Maghreb (de la Mauritanie à l’Égypte) constituent le premier cercle de bon voisinage. Ceux du Machrek (Irak, Syrie, Liban, Jordanie et Territoires Palestiniens) ne sont pas intégrés dans le monde, contrairement à ceux d’Amérique latine (Mercosur) ou d’Asie du Sud-Est (ASEAN). L’Afrique subsaharienne, zone d’incertitude, compte 220 millions de francophones qui seront 720 millions d’ici à 2050 avec un fort potentiel économique. En outre, 1,5 million de Français se sont expatriés, dont 90.000 en Afrique du Nord, 127.000 au Proche-Orient et 127.000 en Afrique subsaharienne. Sur son site internet, le MAE évalue régulièrement les pays à risques et appelle à la vigilance.

Loïc Salmon

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Le Centre de crise du ministère des Affaires étrangères mobilise et coordonne l’ensemble des moyens de toutes les administrations en cas de crise à l’étranger. Doté d’une soixantaine d’agents, il permet de suivre l’évolution des risques et des menaces, et, dans certains cas, de déclencher des opérations de secours. Il est compétent pour les crises mettant en danger la sécurité des Français à l’étranger et celles à caractère humanitaire. Il assure quatre grandes missions : veille mondiale permanente ; analyse et suivi des situations d’urgence ; préparation des plans de réponse des autorités françaises ; conduite des opérations sur les théâtres de crise.