DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

Service étatique, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) dispose de capteurs spécifiques pour recueillir des renseignements, hors du territoire national, ajoutant une plus-value aux informations d’intérêt stratégique (politique, militaire, sécuritaire etc.) accessibles au public (travaux universitaires et presse).

Son chargé de communications, Nicolas Wuest-Famose, l’a présentée au cours d’une conférence organisée, le 2 février 2012 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Objectifs et moyens : le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale (2008) définit le renseignement et sa finalité. « Le renseignement a pour  objet de permettre aux plus hautes autorités de l’Etat, à notre diplomatie, comme aux armées et au dispositif de sécurité civile, d’anticiper et, à cette fin, de disposer d’une autonomie d’appréciation, de décision et d’action. (…) L’acquisition du renseignement résulte de plusieurs ensembles qui sont étroitement associés : le recueil de l’information sur le terrain, au moyen de sources humaines ou de « capteurs techniques » ; l’action des services de renseignement civils et militaires ; l’action des unités militaires spécialisées. Dans tous les cas, l’information est exploitée, c’est-à-dire croisée, synthétisée et analysée, puis transmise en fonction de son intérêt aux décideurs ». Plusieurs organismes officiels participent au recueil du renseignement (voir encadré).

Selon l’article 2 du décret du 2 avril 1982, la DGSE « a pour mission, au profit du gouvernement et en collaboration étroite avec les autres organismes concernés, de rechercher et d’exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France ainsi que de détecter et d’entraver, hors du territoire national, les activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français afin d’en prévenir les conséquences ». Concrètement, la DGSE s’intéresse au renseignement de crise (rebellions, conflits armés et coups d’Etat), à la prolifération d’armes de destruction massive (surtout nucléaires), à la piraterie maritime (voir revue téléchargeable mars 2011 p.9-16), au crime organisé, au contre-espionnage et au terrorisme (groupes maghrébo-sahéliens, pakistano-afghans et du Proche et Moyen-Orient). Plus petite que le BND allemand, le MI 6 britannique et surtout la CIA américaine qu’elle ne « duplique » pas, elle se concentre sur quelques « niches » de recherches, mais maîtrise la totalité des méthodes de recueil de renseignement : imagerie satellitaire, interceptions électromagnétiques et sources humaines clandestines et ouvertes.

L’article 3 du même décret précise que, pour l’exercice de ses missions, la DGSE « est notamment chargée : d’assurer les liaisons nécessaires avec les autres services et organismes concernés ; d’effectuer, dans le cadre de ses attributions, toute action qui lui serait confiée par le gouvernement ; de fournir les synthèses des renseignements dont elle dispose ». Elle se conforme donc aux priorités fixées par le Conseil national du renseignement, présidé par le président de la République. Ce conseil réunit le Premier ministre, les ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de l’Economie et du Budget, d’autres ministres selon le sujet traité, le coordonnateur national du renseignement, les directeurs des services et le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Elle entretient notamment avec la DCRI des relations étroites qui facilitent les flux d’informations. Il en est de même avec les services étrangers dont elle est « technologiquement » proche. Elle maintient des liens « protocolaires » avec la plupart des autres services étrangers, notamment pour la permanence d’une présence quand les canaux diplomatiques ne peuvent plus être utilisés. Enfin, les activités de la DGSE sont suivies par la Délégation parlementaire au renseignement (voir article « Renseignement et Parlement », dans « Archives » 1-2-2012). Ainsi, certaines méthodes utilisées par des services étrangers ne sont pas admissibles en France. La DGSE est également contrôlée par d’autres commissions administratives : vérification des fonds spéciaux ; secret de la défense nationale ; interceptions de sécurité ; informatique et libertés.

Le fonctionnement au quotidien : l’analyste de la DGSE en poste à l’étranger doit apporter un éclairage plus pertinent que celui de la presse ou des télégrammes diplomatiques. Parfois, il a la satisfaction de voir son analyse lui revenir… annotée par un ministre ! L’officier traitant est amené à connaître des sources clandestines. Il est titulaire d’un passeport diplomatique qui lui donne une couverture officielle. Mais, s’il est pris en flagrant délit d’espionnage, il risque, au mieux, un sérieux avertissement, au pire d’être expulsé. Pourtant, en cas d’événement très grave dans son pays d’affectation, il est le dernier à quitter l’ambassade de France. Il peut prendre contact avec les Français résidant à l’étranger, qui l’intéressent et qui deviennent alors des « honorables correspondants », ou même des étrangers, dont il doit garantir l’anonymat pour ne pas tarir ces sources. Malgré le renforcement de l’Union européenne, la mutualisation des services de renseignement semble peu plausible. En effet, c’est le dernier domaine de souveraineté que les Etats membres refuseront toujours d’abandonner. Cependant, la coopération bilatérale fonctionne bien, mais avec interdiction de transmettre quoi que ce soit à un service tiers comme gage de confiance et pour éviter une « intoxication ».

Recrutement et carrière : la DGSE monte en puissance : 690 nouveaux personnels seront recrutés prochainement. Elle regroupe 77 familles d’emplois dans 22 domaines de compétences, du préfet au graveur en passant par la couturière. L’âge moyen y est de 37 ans. Les linguistes, parlant des langues très rares, et les jeunes ingénieurs informaticiens, sortis brillamment des grandes écoles, se voient proposer des contrats à durée déterminée. Les analystes ordinaires sont d’origine militaire ou civile. Les militaires peuvent demander un détachement à la DGSE à partir du grade de capitaine. Les civils y entrent surtout par concours de catégorie A (mais également B et C). Diplômés d’études politiques ou d’une faculté d’Histoire etc., les candidats doivent être à l’aise en société et à l’étranger. Après une épreuve écrite spécifique, ils passent un grand oral, où le jury évalue leur profil comportemental, leur réactivité et leur intelligence de la situation. Suivent un entretien psychologique et une enquête de sécurité. A l’issue de leur formation, militaires et civils sont formatés pour rendre compte systématiquement de tous leurs entretiens au siège de la DGSE. Une formation complémentaire à l’Académie du renseignement (créée en 2010) leur permet d’acquérir un tronc commun de connaissances et de côtoyer des collègues d’autres services.

Pour l’analyste de base, l’évolution professionnelle varie selon ses connaissances spécifiques (Afrique, terrorisme) ou linguistiques. S’il s’estime prêt à devenir « officier traitant » chargé de recruter des sources, il peut demander à suivre une formation en vue de partir à l’étranger ou non. Enfin, la DGSE s’est ouverte aux élèves de l’Ecole nationale d’administration. Ils y occupent des postes de management, car leur profil de haut fonctionnaire ne correspond pas tout à fait… à celui d’officier traitant !

Loïc Salmon

La communauté française du renseignement emploie environ 12.000 personnes ainsi réparties : DGSE, 5.000 dont 25 % de femmes ; Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), 3.100 ; Direction centrale du renseignement militaire (DRM), 1.800 ; Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), 1.200 ; Direction nationale de la recherche et des enquêtes douanières (DNRED), 700 ; Traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins (TracFin), 90. Le budget annuel de la DGSE atteint 550 M€ auxquels s’ajoutent les fonds spéciaux, contre 200 M€ pour la DCRI, 158 M€ pur la DRM et 96 M€ pour la DPSD. Par ailleurs, 4.000 personnels des unités militaires spécialisées des armées de Terre et de l’Air et de la Marine nationale remplissent des missions de renseignement d’intérêt militaire.