Défense : soldat augmenté et efficacité opérationnelle
La boucle OODA (observer, orienter, décider et agir) de la prise de décision pourrait s’avérer trop lente, en raison des progrès technologiques, à savoir la guerre cyber et l’amplification des performances du combattant.
Cette question a été abordée au cours d’un colloque organisé, le 16 octobre 2019 à Paris, par le Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (CREC) et la Société internationale d’éthique militaire en Europe (EuroISME). Y sont notamment intervenus : Gérard de Boisboissel, ingénieur de recherche au CREC ; le colonel Gilles Haberey, chef d’état-major du Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de Terre.
Augmentation et « anthropotechnie ». L’endurance et l’efficacité du combattant pourraient s’améliorer par le renforcement de ses capacités physiques et/ou psycho-cérébrales, à savoir intellectuelles, mentales, psychologiques et cognitives, ou en lui permettant d’en acquérir de nouvelles, explique Gérard de Boisboissel. Cette augmentation du soldat passerait par des apports pharmacologiques non thérapeutiques, des implantations statiques ou dynamiques, comme les nanomatériaux, implants et prothèses, ou de la thérapie génique (possibilité d’influer sur les gènes d’un individu) sur sa physiologie. Ces moyens feraient corps avec lui, de manière courte ou prolongée, voire irréversible, sous réserve d’en maîtriser les effets. Ils répondraient à divers besoins : résister ; durer ; se donner du courage ; aider à la décision dans un environnement ou une situation complexe ; mieux associer le soldat à un système d’armes. Pour le chef militaire, ces moyens devraient lui permettre de réussir sa mission, réduire le risque pour ses propres hommes et respecter le droit international. Toutefois, cette augmentation ne devrait pas désinhiber, au point d’altérer le respect de l’adversaire, ni restreindre le libre arbitre. Elle devrait être précédée d’une autorisation médicale avec la connaissance des effets directs et de ceux indésirables, s’il y en a. « L’anthropotechnie » regrouperait les technologies permettant de dépasser les normes appliquées à l’homme et offrant diverses formes de transformation biologique à des fins de performance, de quête d’identité, de liberté et de standardisation. Ainsi, la méthode de « neurofeedback » aiderait le cerveau à se réorganiser par un retour d’informations perçues de l’environnement extérieur et des actions accomplies par l’organisme. L’hybridation homme/machine permettrait le contrôle et le suivi des individus par des prothèses commandées par une interface cerveau/machine (ICM).
Scénarios prospectifs. L’optique des jumelles de vision nocturne des forces spéciales pourrait les faire repérer, indique Gérard de Boisboissel. Pour éliminer ce risque, les combattants de certaines unités étrangères acceptent volontairement une opération irréversible des yeux, portant leur vue à 12/10èmes. L’introduction sous la peau, réversible, d’implants de géolocalisation à longue distance s’avèrerait utile en cas de capture. L’implantation sous-cutanée, réversible, d’une puce cyber-protégée, couplée à l’empreinte biométrique de l’œil, sécuriserait l’accès à des sites militaires sensibles. Remplaçant clé ou badge, elle serait désactivée en cas de radicalisation de son porteur. L’ICM et le neurofeedback permettraient des exercices de mémoire et de concentration par des retours visuels, sonores ou tactiles, qui faciliteraient l’apprentissage de langues étrangères à connaître. Lors de la préparation d’une mission opérationnelle, des gouttes injectables aux effets temporaires amélioreraient la vision nocturne, méthode utilisée par les nageurs de combat en plongée de nuit. Une microcapsule, implantée sous examen médical, mesurerait le taux de cortisol (hormone participant au métabolisme des glucides) et en libérerait automatiquement en cas de stress, pour redonner de l’énergie. Pendant la conduite de la mission, une gélule coupe-faim ou coupe-soif remplacerait la ration de combat. Une substance analgésique supprimerait automatiquement la douleur. Pour lutter contre le sommeil ou la perte d’attention au cours d’une mission critique et dangereuse, une gélule psychostimulante resterait active pendant 72 heures. Au contact de l’adversaire, avec un soutien aérien difficile et l’absence de renforts immédiats, des substances permettraient de tenir jusqu’à l’arrivée de renforts. Mais une grosse fatigue surviendrait ensuite. En cas d’avarie moteur d’un sous-marin dont la réserve d’oxygène est limitée, le commandant pourrait ordonner la prise de substances réduisant le stress pendant plusieurs jours jusqu’à l’arrivée des secours.
Finalité de l’opération. Mettre des soldats en condition d’engagement en opération puis les ramener à leur famille relève de la responsabilité du chef, rappelle le colonel Haberey. La société donne au soldat la mission de remporter la victoire. Les moyens techniques lui permettent de prendre l’ascendant sur l’adversaire. L’opération, longuement préparée et attendue, suit un rythme très rapide et stressant, une fois déclenchée. Le soldat ne consent à s’engager en opération qu’avec un chef qui inspire confiance et agit avec discernement. Ce dernier, responsable des conséquences des moyens pour augmenter les performances de ses soldats, s’appuie sur le Service de santé des armées pour ne pas dégrader les esprits et les corps et éviter d’en faire des névrosés. Le succès de l’opération dépend de « l’intelligence du risque » pour maintenir la qualité et le niveau des troupes pour le « coup d’après », qui sera impossible à réaliser s’il leur faut dix jours pour récupérer de la fatigue du premier. Le développement des capacités des soldats ne doit pas conduire à croire à la victoire avec une quinzaine de surhommes. Si l’ennemi a également augmenté les capacités de ses combattants, il faudra alors trouver d’autres moyens pour construire le « temps d’après » l’opération, à savoir gagner la population à sa cause en évitant les destructions systématiques qui compromettent l’avenir.
Loïc Salmon
Le code du soldat de l’armée de Terre, comprend 11 articles. 1.-Au service de la France, le soldat lui est entièrement dévoué, en tout temps et en tout lieu. 2.- Il accomplit sa mission, avec la volonté de gagner et de vaincre et, si nécessaire, au péril de sa vie. 3.- Maître de sa force, il respecte l’adversaire et veille à épargner les populations. 4.- Il obéit aux ordres, dans le respect des lois et des conventions internationales. 5.- Il fait preuve d’initiative et s’adapte en toutes circonstances. 6.- Soldat professionnel, il entretient ses capacités intellectuelles et physiques et développe sa compétence et sa force morale. 7.- Membre d’une équipe solidaire et fraternelle, il agit avec honneur, franchise et loyauté. 8.- Attentif aux autres et déterminé à surmonter les difficultés, il œuvre pour la cohésion et le dynamisme de son unité. 9.- Il est ouvert sur le monde et la société et en respecte les différences. 10.- Il s’exprime avec réserve pour ne pas porter atteinte à la neutralité des armées en matière philosophique, politique et religieuse. 11.- Fier de son engagement, il est toujours partout un ambassadeur de son régiment, de l’armée de Terre et de la France.
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