Défense : la laïcité, facteur de cohésion dans les armées

L’aumônerie militaire apporte un soutien cultuel, spirituel et moral à ceux qui le souhaitent, dans le respect de la laïcité en vigueur en France. De plus, elle conseille le commandement.

Outre Hervé Grandjean, porte-parole du ministère des Armées, les aumôniers en chef (AUMC) des principales religions pratiquées l’ont expliqué à la presse, le 24 juin 2021 à Paris : Mgr Antoine de Romanet, évêque aux Armées ; le rabbin Joël Jonas ; l’imam Nadir Méhidi ; le pasteur Etienne Waechter. Par ailleurs, un prêtre orthodoxe non AUMC est détaché au sein de la Légion étrangère. Même s’il n’y a pas d’AUMC bouddhiste, des contacts existent avec l’Union bouddhiste de France.

Une longue histoire. La laïcité s’oppose à la reconnaissance d’une religion d’Etat. Juridiquement, elle repose sur le principe de séparation des sociétés civile et religieuse dans l’Etat, qui observe impartialité et neutralité à l’égard des religions. En France, la loi de 1905 sur la laïcité garantit la liberté de conscience et de culte dans toutes les administrations publiques. Toutefois, pour les militaires, souligne Hervé Grandjean, les impératifs de la mission et le principe de cohésion l’emportent sur l’expression religieuse. La première aumônerie militaire remonte…à Pépin le Bref en 742 ! François Ier instaure la Grande Aumônerie du Roi en 1541. Louis XIII autorise le culte protestant dans les armées en 1626. Supprimée sous la Révolution (1789-1799), l’aumônerie militaire est rétablie sous la Restauration (1815-1830). Suite à la campagne d’Egypte (1798-1801), des imams servent dans les armées depuis l’époque napoléonienne. En 1866, Napoléon III organise, par décret, l’aumônerie militaire en temps de guerre. En 1874, la Troisième République promulgue une loi sur la présence permanente d’aumôniers catholiques, protestants et israélites. La loi du 8 juillet 1880, qui réaffirme la liberté de culte au sein des armées et le principe de l’aumônerie militaire, a donc précédé de 25 ans celle sur la laïcité. La mosquée de Paris est construite en 1926. Le Conseil français du culte musulman, qui représente les musulmans de France auprès des instances étatiques pour les questions religieuses, est institué en 2003. L’aumônerie militaire du culte musulman suit deux ans plus tard.

Un statut particulier. Les aumôniers militaires portent un uniforme, emblème de la communauté militaire, indique Hervé Grandjean. Leur insigne, formé de deux branches d’olivier entrecroisées, inclut un signe spécifique de reconnaissance : la croix pour les catholiques et les protestants ; les tables de la Loi pour les juifs ; le croissant pour les musulmans. Chaque aumônerie, dirigée par un AUMC, comprend des laïcs, dont des femmes. Le ministère des Armées rémunère les aumôniers selon l’âge et un barème de soldes variant du grade de lieutenant à celui de lieutenant-colonel. En 2019, il disposait de 209 aumôniers militaires d’active, 66 de la réserve opérationnelle et 83 de la réserve citoyenne. Environ 80 d’entre eux étaient déployés en opération. Leur recrutement se fait sur proposition de chacune des autorités religieuses civiles, à savoir le Diocèse aux armées françaises, la Fédération protestante de France, le Consistoire central israélite et le Conseil français du culte musulman. Outre un niveau théologique minimum, tout candidat doit avoir obtenu le diplôme universitaire de formation à la laïcité, rendu obligatoire par le décret du 3 mai 2017 pour tout futur aumônier pénitentiaire, hospitalier ou militaire, quel que soit son culte. Les aumôniers militaires, tous cultes confondus, reçoivent également une formation spécifique d’une durée de trois semaines à l’Ecole des commissaires des armées de Salon-de-Provence.

Le culte catholique. L’aumônier partage la vie de tous dans des dimensions d’écoute, de disponibilité et de confidentialité, indispensables quand les militaires se trouvent éloignés de leurs bases géographique, familiale et culturelle, souligne Mgr de Romanet. Il est à l’aise avec chacun, car il a le même grade que son interlocuteur. Il devient un compagnon d’armes des soldats, dont l’engagement légitime le droit de donner la mort. Les informations sur le moral des troupes remontent à l’AUMC, qui dépend du chef d’Etat-major des armées. Les armées vivent la laïcité de « façon exemplaire » dans le respect des croyances de chacun. La séparation des domaines politique et religieux fait partie intégrante de la religion chrétienne. Ni l’un ni l’autre ne présentent de caractère totalitaire, contre lequel la laïcité constitue un rempart pour la liberté. A cet égard, précise Mgr de Romanet, les quatre AUMC se rencontrent une fois par mois.

Le culte israélite. Au sein des armées, les quatre religions vivent ensemble et dialoguent, indique le rabbin Jonas. Une religion mal comprise peut devenir le ferment d’un conflit. Les accents qui se propagent sur les réseaux sociaux inquiètent 95 % des juifs français. Quand on a la foi, porter la mort n’est pas gratuit, précise l’AUMC. C’est le signe d’un engagement très fort pour servir les valeurs de la France. Les militaires voient parfois des scènes épouvantables, dont ils ont du mal à gérer et contrôler les images ensuite. La guerre du Golfe (1991) a donné lieu à une prise de conscience du syndrome post-traumatique, pour lequel les armées ont fait beaucoup d’efforts. Aux militaires qui en ont besoin, les aumôniers apportent un soutien sur tous les plans. Aux questions les plus courantes sur la vie quotidienne, ils apportent leur savoir-faire pour trouver les mots qui parlent à l’épouse et aux enfants ou suscitent confidence, confiance et amitié.

Le culte musulman. L’engagement de musulmans dans les armées françaises remonte à 1802, rappelle l’imam Méhidi. Suite à l’instauration du Conseil français du culte musulman en 2003, 36 aumôniers militaires, hommes et femmes, sont aujourd’hui présents dans les unités militaires en métropole et en opérations extérieures. Pendant la pandémie du Covid 19, ils accompagnent les familles dans l’accomplissement du deuil sur les plans religieux et moral. Au quotidien, les militaires musulmans pratiquent leur culte et conjuguent leur foi avec leur situation professionnelle. Ils concourent ainsi au succès de leur mission et tout en assouvissant leur quête de sens grâce à leur spiritualité, souligne l’imam Méhidi.

Le culte protestant. Dans les armées françaises, la laïcité permet une cohabitation des religions, dont les spécificités facilitent la compréhension et l’action communes, estime le pasteur Waechter. Elle constitue un aspect particulier des relations entre les religions, représentées par les aumôniers, et l’Etat, représenté par les armées détentrices de la force légale. Loin de les opposer, elle débouche sur une approche concrète et collaborative, fondée sur la raison d’être des aumôneries, quel que soit leur culte. Celles-ci sont destinées à aider les militaires, hommes et femmes, s’ils le souhaitent et dans des domaines divers et non exclusivement celui de la spiritualité. Les AUMC restent à l’écoute permanente du commandement. Quant aux blessés psychiques, le Service de santé des armées assure leur prise en charge. Les aumôniers n’interviennent auprès des familles que s’ils sont sollicités, précise le pasteur Waechter.

Loïc Salmon

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