Défense et sécurité : organiser la guerre et assurer la paix

Garant de l’adaptation, de la cohérence et de la continuité de l’action de l’État, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) doit en renforcer les réponses face aux risques et protéger la population.

Ces domaines régaliens ont fait l’objet d’un colloque tenu les 22 et 23 novembre 2016 à Paris, à l’occasion du 110ème anniversaire du SGDSN. Y sont notamment intervenus : Louis Gautier, secrétaire général du SGDSN ; Nicolas Roussellier, Institut d’études politiques de Paris ; Jean-Claude Mallet, conseiller spécial du ministre de la Défense et ancien secrétaire général du SGDSN (1998-2004) ; le général d’armée (2S) Henri Bentégeat, ancien chef d’État-major des armées (2002-2006) ; Norbert Fargère, inspecteur général de l’armement.

Centre de convergences. Créé en 1906, en tant que Conseil supérieur de la défense nationale, le SGDSN prend sa forme définitive en 2009. A la confluence des diverses sources d’information et de renseignement, il repère toutes les menaces, explique Louis Gautier. Relevant directement du Premier ministre, il assure le secrétariat des conseils de défense et s’intercale entre les plans gouvernementaux, notamment Vigipirate, et l’arbitrage du président de la République. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), le Centre des transmissions gouvernementales et le Groupement interministériel de contrôle lui sont rattachés. Son effectif d’environ 900 personnes compte des militaires, des membres du corps préfectoral, des diplomates, des ingénieurs et des experts scientifiques de haut niveau, qui échangent leur expérience sur des objectifs partagés avec des partenaires internationaux. Pour garder une longueur d’avance dans les enjeux de sécurité, dont la menace cyber en évolution permanente, le SGDSN fait de la prospective (projection dans l’avenir). Le plus difficile, souligne Louis Gautier, consiste à concilier sécurité et liberté.

Perspective historique. L’histoire du SGDSN coïncide avec la transformation du pouvoir exécutif amorcée au début du XXème siècle, explique Nicolas Roussellier. Sous la IIIème République, le chef de l’État dépend uniquement du ministère des Affaires étrangères en matière de politique extérieure, car son équipe d’une dizaine de personnes ne compte aucun conseiller en relations internationales. Il en est de même pour le président du Conseil. Après la seconde guerre mondiale, le président de la République et le chef du gouvernement, équivalent du Premier ministre britannique, disposent de véritables experts qui rédigent des notes de synthèse, en vue d’orienter les décisions. Parallèlement à la concentration et la modernisation de l’administration civile et des armées, apparaissent les secrétariats généraux de la présidence de la République, de la présidence du Conseil et de la Défense nationale (SGDN), à savoir des états-majors d’experts qui interviennent directement. Ces organismes, similaires en Grande-Bretagne et en France, exercent l’autorité dans le monde civil et au sein de l’exécutif selon un modèle militaire, avec une répartition du travail et une planification. Dès 1935, le SGDN effectue un travail interministériel, notamment pour préparer les lois de programmation militaire et les ordonnances, qui se poursuivra jusqu’à l’avènement de la Vème République en 1958.

Évolution du concept. Le chef de bataillon Charles De Gaulle avait été affecté au SGDN de 1931 à 1936. Devenu chef de l’État en 1958, il rédige l’année suivante une ordonnance sur l’organisation de la défense nationale, qui stipule que le président de la République déclenche une opération militaire et que le Premier ministre assume la responsabilité de la défense nationale. Dans ce domaine, la « cohabitation » de 1997-2002 entre les deux têtes de l’Exécutif (Jacques Chirac et Lionel Jospin) a parfaitement fonctionné, souligne Jean-Claude Mallet, qui a dirigé le SGDN de 1998 à 2004. Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont provoqué en France une révision de tous les plans de sécurité. L’irruption du numérique a entraîné la création de l’ANSSI pour rattraper le retard en matière de cyberdéfense. En outre, s’est posée la question du pilotage de la politique du renseignement à relever du ministère de l’Intérieur, du SGDN ou du président de la République. Il a finalement été confié au Conseil national du renseignement en 2008. Cela a abouti à l’inclusion de la sécurité nationale dans le Livre blanc de la défense et à la transformation du code de la défense. Le Conseil de défense et de sécurité nationale prend en compte tous les risques qui affectent le pays, sur les plans interne et externe avec des postures militaires et non militaires. Cette tendance générale se manifeste également aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Allemagne.

Perception militaire. Selon le général Bentégeat, le SGDN devient un rouage essentiel de l’État au milieu des années 1990. Lors de son affectation comme colonel, adjoint au chef d’état-major particulier du président de la République, il y constate des activités communes aux ministères des Affaires étrangères et de la Défense, à savoir études et analyses de la situation dans le monde. Mais pendant cette période de « cohabitation », le SGDN sert de trait d’union entre l’Élysée et Matignon pour préparer les conseils de défense et les conseils dits « restreints » au cœur des opérations. Tous les sujets sont abordés, y compris la remise à plat de la dissuasion nucléaire. Avec le recul, le général Bentégeat considère qu’il ne faut pas chercher à « lisser » le contenu du domaine d’action du SGDSN par souci d’efficacité, mais l’adapter à l’évolution de l’État, dont les ressources humaines et financières se restreignent. Le SGDSN d’aujourd’hui doit maintenir son autorité sur les ministères, rester un médiateur, sans se substituer aux responsabilités civiles et militaires, et éviter d’être dépassé par l’actualité brûlante : terrorisme, migrations et changement climatique. Principal responsable de la cohérence et de la continuité de l’action gouvernementale, le SGDSN doit s’adapter au changement, où l’équilibre entre le politique et le militaire dépend des circonstances : paix, guerre ou crise.

Loïc Salmon

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La menace chimique reste d’actualité, rappelle Norbert Fargère. Un rapport conjoint de l’ONU et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (25 août 2016) a établi l’emploi de l’arme chimique en 2014 et 2015 au Moyen-Orient, à deux reprises par le régime syrien et une fois par l’État islamique (Daech). Le protocole d’accord de 1925 sur l’interdiction de l’arme chimique n’a pas prévu de procédures de vérification. L’Allemagne et la Russie ont alors poursuivi des recherches sur les neurotoxiques et la Grande-bretagne sur la maladie du charbon. La Convention sur les armes chimiques, entrée en vigueur en 1997, prévoit l’interdiction de leurs fabrication, stockage et emploi. Depuis une vingtaines d’années, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives effectuent des recherches sur la détection, la protection et la décontamination. Depuis 2016, le SGDSN et le Service de santé des armées fabriquent des produits toxiques, en vue de la mise au point de contre-mesures.