Chine : risque de conflit armé dans le détroit de Taïwan

Les provocations militaires de la Chine envers Taïwan menacent la stabilité de la zone Indopacifique. Un affrontement armé pourrait déboucher sur une guerre avec les Etats-Unis. En conséquence, Taïwan renforce son action diplomatique et sa capacité militaire.

Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, l’a expliqué au moyen de deux programmes en audio, les 13 et 28 janvier 2021, et d’une note publiée le 8 mars, après son audition par le Parlement européen le 24 février.

Diplomatie taïwanaise. Depuis 2016, date de l’arrivée au pouvoir de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen réélue en 2020, Pékin renforce sa stratégie d’isolement de Taipei sur la scène internationale. Aujourd’hui, seulement 15 Etats, dont le Vatican, maintiennent des ambassades avec Taïwan, qui dispose toutefois de 111 « bureaux de représentation diplomatique » à l’étranger. Selon Antoine, Bondaz, ce réseau lui donne la 7ème position en Asie, devant la Malaisie, et la 31ème place dans le monde, devant la Suède et Israël. Peu présent en Afrique, il l’est beaucoup plus dans les Amériques et en Europe. Malgré l’absence d’ambassades, Taïwan reste pour la France et l’Union européenne un partenaire économique et commercial ainsi que dans la recherche, le changement climatique, l’éducation, l’enseignement supérieur et la coopération culturelle et linguistique.

Pressions militaires chinoises. Depuis 2019, les incursions aériennes dans la « zone d’identification aérienne de défense » de Taïwan se sont multipliées. Au total, plus de 380 avions de chasse ou de reconnaissance chinois y sont entrés en 2020, dont 41 entre le 1er novembre et le 31 décembre. C’est le plus haut niveau atteint depuis les crises dans le détroit de Taïwan de 1954, 1958 et 1996, souligne Antoine Bondaz. Cette tendance se poursuit avec 81 incursions aériennes au cours du mois de janvier 2021. A l’appui, la propagande chinoise s’exerce par ses relais d’opinion, notamment le journal Global Times dont l’édition en anglais lui donne une audience internationale importante. Un récent éditorial annonce même que les avions de chasse et les navires militaires chinois ont « normalisé leurs vols et leur navigation autour de l’île ». Il indique aussi que la politique de respect de la zone d’identification aérienne de défense de la ligne médiane du détroit de Taïwan, en vigueur depuis vingt ans, ne s’applique plus. Ces incursions visent à s’approprier le détroit, tester le dispositif de défense anti-aérienne de Taïwan et accélérer le vieillissement de ses capacités aériennes. Pékin compte ainsi faire pression sur le gouvernement de Taïwan, intimider ses forces armées, démoraliser sa population, influencer son opinion publique et…évaluer la réaction de la communauté internationale ! La Chine, qui dispose des forces armées les plus nombreuses du monde (plus de deux millions de militaires), les modernisent en augmentant leur budget grâce à sa puissance économique. Elle dépense plus pour sa défense que tous les pays de la zone Indopacifique réunis. Selon l’Institut international de Stockholm de recherche sur la paix, la Chine a multiplié, par sept en vingt ans, ses dépenses militaires, passées de 40 Mds$ en 1999 à 265 Mds$ en 2019. Pendant cette période, les dépenses militaires du Japon ont stagné à 45 Mds$ et celles de Taïwan à 10 Mds$. Entre 2014 et 2018, la Marine chinoise a accru sa flotte d’un tonnage équivalent aux flottes française et italienne combinées. Pour développer sa capacité amphibie dans le détroit de Taïwan, l’effectif du Corps de marines, passé de 10.000 soldats en 2017 à 35.000 en 2020, devrait se monter à 100.000 à terme. Pour moderniser ses équipements militaires, la Chine investit massivement dans les nouvelles technologies dans le cadre de la stratégie nationale civilo-militaire de 2015, qui tire notamment profit de la surveillance limitée de certaines coopérations scientifiques et techniques sensibles…en Europe ! En réponse à cette progression quantitative et qualitative des forces armées chinoises, le ministère taïwanais de la Défense a obtenu une hausse de son budget, qui atteint quasiment 15 Mds$ en 2021. Les investissements portent sur l’augmentation des capacités de lutte antinavires, de défense antimissile et de guerre électronique.

Conséquences possibles. L’article 8 de la loi chinoise anti-sécession de mars 2005 prévoit le recours à la force, notamment après épuisement de toutes les possibilités de « réunification pacifique » de Taïwan, considérée par Pékin comme une province de la Chine. Celle-ci, estime Antoine Bondaz, augmente ainsi la flexibilité de sa réponse politico-militaire dans la cadre d’une ambiguïté stratégique délibérée. Par ailleurs, l’ouvrage « La science de la stratégie militaire », publié en 2013 par l’Académie chinoise des sciences militaires, recommande une préparation prioritaire à un conflit avec Taïwan, susceptible d’entraîner une intervention américaine sur un champ de bataille maritime et dans un contexte de dissuasion nucléaire. Toutefois, les forces armées chinoises pourraient se contenter de constituer un blocus aérien et maritime autour de Taïwan, en vue de la forcer à capituler avant l’unification. Le Parti communiste chinois considère comme plus efficace de dissuader les Etats-Unis d’intervenir plutôt que d’envahir l’île. L’impact psychologique devrait forcer le gouvernement de Taïwan à entamer des négociations politiques. Pour Pékin, la détermination de la population et des forces armées de Taïwan à se battre ainsi que la volonté d’intervention des Etats-Unis comptent davantage que leurs capacités militaires. Par ailleurs, toute crise autour de Taïwan ou dans la péninsule coréenne, aurait un impact considérable sur la sécurité de l’Union européenne, tant sur le plan militaire qu’économique. La fermeture du détroit de Taïwan aurait des conséquences sur ses approvisionnements, notamment en micro-processeurs indispensables à son industrie, et ses échanges commerciaux avec la Chine, la Corée du Sud et le Japon. L’Union européenne et la France n’entretiennent plus de relations officielles avec Taïwan et ne prévoient pas d’en avoir à l’avenir. Toutefois, elles partagent avec Taïwan des intérêts communs en matière de sécurité : lutte contre la manipulation de l’information ; liberté de navigation ; diversification des chaînes d’approvisionnement ; lutte contre les cyberattaques ; prévention d’une future pandémie ; résilience démocratique ; protection des droits humains ; prévention et assistance en matière de catastrophe naturelle.

Loïc Salmon

D’une superficie de 35.980 km2, l’île-Etat de Taïwan compte une population de 23,6 millions d’habitants. Sixième puissance économique de la zone Indopacifique, elle réalise le double du produit intérieur brut du Viêt Nam. Le Forum économique mondial la classe en 3ème position, devant la Corée du Sud et l’Australie pour la compétitivité. L’organisation Reporters sans frontières la met à la 5ème place pour la liberté de la presse, devant le Japon. Elle occupe la même pour le développement humain, calculé par l’ONU, devant la Corée du Sud. Elle atteint la 4ème en matière de libertés publiques selon l’indice publié chaque année par les Instituts Cato (Etats-Unis), Liberales (Allemagne) et Fraser (Canada).

Chine : montée en puissance régionale et internationale

Chine : cyber-espionnage et attaques informatiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer