Chine et Russie : affirmations de puissance et difficultés internes

La Russie adopte une stratégie fondamentalement défensive de son territoire et la Chine une approche globale, fondée sur sa puissance économique. Elles partagent un même rejet de la démocratie occidentale et de la suprématie des Etats-Unis.

Ces deux pays ont fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 9 mars 2018 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire. Y sont intervenues : Valérie Niquet, responsable Asie à la Fondation pour la recherche stratégique ; Tatiana Katouéva-Jean, spécialiste de la Russie et de l’espace post-soviétique à l’Institut français de relations internationales.

Ambitions stratégiques. Vladimir Poutine, qui entame son quatrième mandat présidentiel, a ramené la paix en Tchétchénie (1998) et préservé l’intégrité territoriale de la Russie, rappelle Tatiana Katouéva-Jean. Son intervention en Syrie (2015) dissuade toute « révolution de couleur » dans les pays voisins de la Russie. La stabilité politique des régimes amis prévient toute adhésion à l’Union européenne, que Moscou réprouve. Son annexion de la Crimée (2014) s’est répercutée sur sa politique intérieure. Tous les sondages placent le retour du prestige international comme un premier acquis. Cette politique extérieure repose sur des prêts financiers, des tarifs avantageux de fournitures de pétrole et de gaz ou des menaces d’interruptions d’approvisionnements (Ukraine). Le renforcement des forces armées, lancé en 2008, a été conforté par leurs performances en Syrie et les ventes d’armes…même à la Turquie, membre de l’OTAN. La Chine ne fera pas le choix, comme l’URSS, de l’effondrement, indique Valérie Niquet. Le repli idéologique actuel reflète l’inquiétude du Parti communiste chinois, qui veut se maintenir au pouvoir de façon pragmatique jusqu’à son centenaire en 2021 et celui de la République populaire en 2049. Dans ce contexte, la Chine doit retrouver sa grandeur et être reconnue comme la première puissance en Asie. En outre, son modèle doit s’exporter pour faire contrepoids à l’Occident. Elle s’oppose à ce que les Etats-Unis restent les seuls garants de la stabilité en Asie. Son budget militaire atteint 171 Mds$, contre 44 Mds pour le Japon, et porte notamment sur les développements des domaines cyber et spatial. Elle entend se doter d’une puissance navale face à l’Inde et aux pays d’Asie du Sud-Est, qui coopèrent avec les pays occidentaux. La stratégie chinoise est en effet perçue comme agressive par ses voisins.

Coopération sino-russe. La Chine met en avant un partenariat stratégique face à l’Occident. La coopération militaire a repris mais n’atteint pas encore le niveau des années 1990-2000, indique Valérie Niquet. Malgré un contentieux historique sur « le péril jaune » relatif à la présence chinoise en Sibérie orientale, la logique stratégique face aux Etats-Unis l’emporte. La Chine prend sa revanche sur la Russie en s’affirmant comme principale puissance contre ces derniers, qui restent pourtant ses premiers partenaires. Pékin profite de la méfiance de Moscou vis-à-vis de Tokyo, premier allié de Washington dans la zone Pacifique et qui s’inquiète de l’expansion chinoise en mer de Chine méridionale. Enfin, la Chine considère la Russie comme une « petite sœur », avec qui elle compte négocier, avantageusement, le prix du gaz naturel. De son côté, la Russie réalise 45 % de son commerce extérieur avec la Chine, devenue son premier partenaire commercial, souligne Tatiana Katouéva-Jean. Elle recherche aussi les capitaux chinois, qui constituent 30 % des investissements dans le projet Yamal d’extraction de gaz naturel en Sibérie Arctique. Son projet « d’intégration eurasienne » de développement de l’Extrême-Orient russe converge avec le projet chinois des « Nouvelles routes de la soie ». En outre, la présence chinoise dans les pays d’Asie centrale constitue, pour Moscou, une alternative à l’islamisme. Sur le plan militaire, les deux pays effectuent des manœuvres communes en Méditerranée, Baltique et mer de Chine. A la suite de ses interventions en Afghanistan, Ukraine et Géorgie, la Russie a entrepris de moderniser son armement, pour affirmer sa souveraineté et renforcer sa sécurité. Elle accroît aussi ses ventes d’armes à l’étranger. Tous les sondages d’opinion placent les forces armées juste après la fonction présidentielle.

Evolutions sociétales. En Chine, l’abolition de la limitation à deux mandats présidentiels de 5 ans remet en cause le processus de démocratisation et de succession organisée, explique Valérie Niquet. Cette recentralisation du pouvoir, voulue par Xi jinping, correspond à sa conception de la lutte contre la corruption, qui vise à éliminer ses rivaux. Elle réintroduit la peur (arrestations arbitraires et restriction d’accès à internet). La croissance, de 2 chiffres avant 2016 puis tombée à 6-7 %, a créé une société de consommateurs, libres de circuler, de placer des capitaux à l’étranger ou d’y envoyer leurs enfants étudier. Toutefois, les inégalités régionales dans le développement économique s’avèrent difficiles à réduire. Pour assurer sa survie, le régime a conceptualisé le retour à l’idéologie communiste, diffusée par les réseaux sociaux et destinée à la diaspora chinoise en Asie, contribuant ainsi à la puissance de la Chine. Sur le plan démographique, la Russie a perdu 7 millions d’habitants entre 2000 et 2017, indique Tatiana Katouéva-Jean. L’inégalité sociale et culturelle, le salaire moyen et le taux de chômage varient selon les régions. La Russie représente 1,5 % des exportations mondiales, contre 13,5 % pour la Chine. A part des tentatives de contrôle d’internet, il n’existe ni démocratisation soudaine ni répression de masse. La Russie cherche à combler son retard technologique, mais elle ne consacre que 30 Mds$/an à la recherche et au développement, contre 380 Mds$ pour la Chine et 460 Mds$ pour les Etats-Unis. Quant à la communauté musulmane, la Russie entretient de bons rapports avec les pays d’obédiences chiite et sunnite. Pendant son intervention en Syrie, elle « navigue » entre les deux. Sa diplomatie extérieure cultive les relations avec l’Arabie Saoudite (accords de l’Opep) et les banques arabes (investissements).

Loïc Salmon

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Outre une expérience commune du modèle communiste, Chine et Russie sont dirigés par deux chefs d’Etat, qui veulent rester longtemps au pouvoir pour maintenir ou redonner un statut de grande puissance à leur pays. Le président chinois Xi jinping (né en 1953) est considéré comme le chef de la faction des « princes rouges », descendants des anciens dirigeants du Parti communiste chinois (PCC) à l’origine des réformes économiques des années 1980. Entré au PCC en 1974, il utilise le slogan politique de « rêve chinois », similaire au « rêve américain » et prônant le nationalisme et la prospérité pour la classe moyenne. D’origine modeste, le président russe Vladimir Poutine (né en 1952), officier du service de renseignement KGB en poste à Berlin lors de la chute du mur (1989), commence sa carrière politique comme maire de Saint-Petersbourg (1994). Nommé directeur du FSB (successeur du KGB) en 1998, il devient président du gouvernement de la Russie l’année suivante. Il parvient à rattacher la Crimée à la Russie en 2014 et soutient le régime de Bachar el-Assad dans la guerre civile en Syrie dès 2015.