Chine : désinformation et guerre informationnelle

Champ de bataille dans la compétition géopolitique, la désinformation apporte des avantages stratégiques aux régimes totalitaires, sans recourir au conflit militaire. La Chine y investit massivement mais son image s’est profondément dégradée en Occident…qu’elle cible !

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 6 février 2025 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Y sont notamment intervenus : Valérie Niquet, maître de recherche à la FRS ; Paul Charon, directeur influence et renseignement à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire.

L’influence et l’ingérence. Dans une note publiée par la FRS le même jour, Valérie Niquet souligne la nécessité, pour les nations démocratiques de mettre en place des stratégies globales et coordonnées pour lutter contre la désinformation, afin de sauvegarder leurs intérêts. Cela nécessite de renforcer l’éducation aux médias et la sensibilisation au numérique pour reconnaître et rejeter les fausses informations et les stratégies de manipulation. Sinon, la désinformation continuera d’être utilisée comme une arme pour affaiblir la confiance des populations des pays démocratiques et accroître les risques de déstabilisation. Des acteurs, étatiques ou non, exploitent les plateformes des médias sociaux pour diffuser de fausses informations exacerbant les divisions au sein des sociétés ou entre les États. Aujourd’hui, grâce aux technologies du cyber, l’ampleur et la rapidité de diffusion de la désinformation la rendent de plus en plus difficile à combattre. En effet, celle-ci se propage six fois plus vite que l’information factuelle. Selon des études, l’efficacité de la vérification des faits nécessite de diffuser des corrections dans un délai d’une à deux heures après l’émission des fausses informations. La prolifération incontrôlée de ces dernières augmente depuis que le média social américain Meta (ex-Facebook), également propriétaire d’Instagram (photos et vidéos), a décidé de mettre fin à la vérification en 2025. De plus, les changements apportés à la politique de modération des contenus ont entraîné une hausse du nombre d’informations fausses et non vérifiées sur X (ex-Twitter). Cependant, mêmes disponibles, les vérifications des faits ne convainquent pas les gens les plus sensible aux opérations de désinformation. En effet, elles peuvent parfois renforcer leurs fausses croyances, au lieu de les corriger, car ces personnes les perçoivent comme motivées par des considérations politiques. Ainsi aux États-Unis, les partisans du président Donald Trump les estiment biaisées et peuvent engager des poursuites judiciaires contre les agences de vérifications des faits et les chercheurs, perçus comme ciblant sélectivement des groupes politiques spécifiques. Cela érode la confiance du public, dont profitent les propagateurs de fausses informations. Par ailleurs, les acteurs étrangers utilisent de plus en plus la désinformation pour peser sur les processus démocratiques des sociétés ouvertes en tentant de manipuler les résultats électoraux. Ainsi, lors des élections présidentielles américaines du 5 novembre 2024, l’opération d’influence « Spamouflage », lancée par la Chine et montée en puissance en octobre, a ciblé les membres du Congrès favorables à Taïwan et prônant une position dure face à Pékin. Des campagnes similaires menées par la Russie, directement ou indirectement, se sont intensifiées dès septembre. Toutes visaient à miner la confiance dans les institutions dans la durée.

La guerre informationnelle. L’ouvrage « L’art de la guerre » du général chinois Sun Tzu (VIème siècle avant J.-C.) fait partie du programme des académies militaires de la Chine depuis les années 1980, indique Valérie Niquet. Outre la tromperie, la guerre de l’information est un principe fondamental de la pensée stratégique chinoise. Sur le plan intérieur, elle vise à renforcer la légitimité du Parti communiste par la censure et la propagande. Sur le plan international, elle façonne les perceptions en vue d’atteindre des objectifs géopolitiques. Elle se décompose en trois : guerre psychologique pour démoraliser l’adversaire par une désinformation et une propagande ciblée ; guerre médiatique par l’emploi des médias de l’État et des plateformes numériques pour façonner des perceptions en faveur de la Chine ; guerre juridique par la manipulation des lois et des normes internationales pour justifier les actions de Pékin en délégitimant ses détracteurs. Aujourd’hui, le recours à l’intelligence artificielle permet de contourner l’obstacle d’une langue orientale rare. La guerre de l’information se manifeste par des campagnes concrètes pour influencer l’opinion publique mondiale et affaiblir la confiance dans les gouvernements démocratiques au niveau régional. Ainsi, en 2023, les médias étatiques chinois ont propagé de fausses allégations sur le rejet des eaux traitées de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima et les risques de ressources marines dans tout le Pacifique. Fin 2024, un porte-parole du ministère chinois de la Défense a accusé les forces américaines stationnées au Japon d’actes criminels, pour alimenter le sentiment anti-américain et affaiblir l’alliance entre le Japon et les États-Unis dans le contexte d’un conflit éventuel avec Taïwan.

Les ambitions chinoises. Depuis l’époque soviétique, la Chine continue d’emprunter le répertoire d’actions des services de renseignement de la Russie, indique Paul Charon. Elle veut retirer toute légitimité à l’Occident et en particulier aux États-Unis en contestant l’universalisme de leurs valeurs, qui ne peuvent s’appliquer telles quelles au monde entier. Le gouvernement chinois a décidé de hisser cinq médias au niveau international des chaînes de télévisions CNN (États-Unis) et Al-Jazeera (Qatar) : l’agence de presse Xin hua (services en anglais et en français) ; les quotidiens Global Times(chinois et anglais) et China Daily (anglais) ; Radio Chine Internationale (plusieurs langues) ; la chaîne de télévision CGTN (anglais, français, arabe, espagnol et russe). Il entend aussi contrôler tous les médias en langue chinoise à l’étranger, qui s’adressent aux diasporas chinoises désireuses de s’informer sur leur pays d’origine. China Watch, supplément de huit pages d’articles rédigés par le Parti communiste et mélangeant information et publicité, est proposé à la publication et avec une rémunération à de grands quotidiens, notamment les Wall Street Journal et Los Angeles Timesaméricains, le Times britannique et Le Figaro français. Malgré son peu d’effet direct sur leur lectorat, il crée une dépendance financière qui les incitent à ne pas écrire ce qui pourrait fâcher Pékin. S’y ajoute la diffusion gratuite ou à prix modiques d’articles auprès de médias étrangers, dont l’agence sénégalaise Seneweb, principal média francophone d’Afrique. Outre le rachat de médias étrangers dont le Diario de Noticias et le Jornal de Noticias portugais, la Chine propose des formations de journalisme à des étudiants étrangers pour les encourager à écrire des articles positifs à son égard. Elle forme des Chinois pour influencer les médias sociaux étrangers et recrute aussi des influenceurs étrangers. Par ailleurs, elle construit un pouvoir « discursif », basé sur des techniques de communication pour persuader ou influencer un auditoire. Ainsi, la satire détourne les contes populaires de l’Occident en le ridiculisant avec humour. La caricature par dessins animés s’attaque aux grands symboles de l’Occident pour les discréditer. Ses valeurs sont présentées comme des mystifications destinées à étendre ses intérêts partout dans le monde. La Chine cherche à acquérir une position dominante sur les plans moral et civilisationnel, non pas pour servir de modèle à des pays mais pour les inspirer. Afin de redessiner l’ordre international, médias, intellectuels et universitaires chinois utilisent le concept de « guerre totale » en ce qui concerne la propagande par la création de centres internationaux, au niveau des provinces en Chine, avec la participation d’étudiants étrangers.

Loïc Salmon

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