Piraterie maritime : l’action d’Europol

La piraterie maritime est une nébuleuse de réseaux hiérarchisés et organisés, comme le trafic de stupéfiants. Ces réseaux sont à l’origine des actes de piraterie proprement dits et des prises d’otages contre rançons (voir revue téléchargeable mars 2011 p.9-16). Leur démantèlement nécessite une coopération civilo-militaire.

C’est ce qu’a expliqué Michel Quillé, directeur adjoint opérations d’Europol, lors d’un séminaire organisé, le 16 juillet 2012 à Paris, par la Direction des affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense.

Le renseignement sur la piraterie maritime vise à établir l’identité des individus et, par recoupement, faire apparaître leurs réseaux et structures. Europol apporte une vision stratégique en profondeur, en vue d’anticiper la menace. Son but est d’identifier les financiers, les organisations et les négociateurs. Ses 200 analystes reçoivent des informations des bâtiments de la force navale européenne « Eunavfor », déployée dans le golfe d’Aden dans le cadre de l’opération « Atalante » depuis décembre 2008. En outre, des personnels des Marines européennes sur zone viennent à La Haye et des analystes d’Europol se rendent à Northwood (Grande-Bretagne), siège de la lutte conte la piraterie maritime. Europol travaille aussi avec le Service européen pour l’action extérieure (réseau diplomatique commun de l’UE). Grâce à la centralisation des fichiers d’analyse, Europol dispose de 21.000 informations (numéros de téléphone, de cartes d’identité, de passeports etc.) pour mettre en évidence les liens entre des individus et certaines entités suspectes, de déterminer leurs déplacements et de les retrouver. Quelque 50.000 liens ont permis d’ouvrir des dizaines de pistes d’enquête. Europol coopère avec Interpol et reçoit des contributions des Pays-Bas, d’Allemagne, de France et de Belgique. Des équipes communes d’enquête demandent aux services de renseignement de ces pays de concentrer leurs recherches sur un sujet donné.

Les difficultés sont nombreuses dans une zone où les administrations centrales des Etats ne sont guère solides, que ce soit pour l’identification des liens familiaux ou la traçabilité des flux financiers. En effet, les rançons sont payées en espèces et leur répartition entre plusieurs acteurs de la prise d’otages a lieu sur place et sur le champ. Le système bancaire international est parfois utilisé, mais de façon très marginale. Europol, faute de preuves formelles, est parvenue néanmoins à rassembler un faisceau d’indices tendant à démontrer qu’une partie des rançons finance le terrorisme. En outre, il existe un lien, fonctionnel mais non hiérarchique, entre les pirates du golfe d’Aden et le groupe d’insurgés somaliens Al Shebab, à l’origine de tensions dans la région. Par ailleurs, l’échange d’informations entre la flotte européenne de l’opération « Atalante » et Europol n’est que ponctuel, car il n’existe aucune base juridique pour l’échange en continu. En revanche, c’est bien le cas pour la mission « Eulex » (justice, police et douanes) de l’UE qui vise à promouvoir l’état de droit au Kosovo, depuis la proclamation de son indépendance en décembre 2008. Europol compte aussi des gendarmes, douaniers et gardes-frontière dans ses rangs.

La démarche innovante d’Europol consiste à créer un lien nouveau avec la mission de l’Eunavfor dans le golfe d’Aden, en lui apportant une dimension civile « opérationnelle » par la présence d’un magistrat néerlandais, habilité à procéder à l’arrestation des pirates en vue de leur mise en jugement et leur condamnation. Actuellement, les pirates sont quasiment assurés de l’impunité. Selon Michel Miraillet, directeur de la DAS, 90 % des pirates appréhendés par l’Eunavfor sont relâchés, en raison de l’insuffisance du dispositif juridique.

Loïc Salmon

L’agence européenne de police Europol, qui a son siège à La Haye (Pays-Bas), emploie 800 personnes et dispose de 150 officiers de liaison dans les Etats membres de l’Union européenne (UE), aux Etats-Unis et en Colombie. Elle gère l’échange et l’analyse des renseignements relatifs aux activités criminelles : trafic de drogue, terrorisme, immigration clandestine, traite des êtres humains et exploitation sexuelle des enfants, contrefaçon et piratage de produits, blanchiment d’argent, fabrication de fausse monnaie et falsification d’autres moyens de paiement. Europol rédige aussi des évaluations de la menace et des analyses criminelles, fournit une expertise et un soutien technique pour les enquêtes et opérations menées au sein de l’UE. L’agence facilite l’échange de renseignements par son propre système d’information et le réseau sécurisé SIENA (Secure Information Exchange Network Application). Enfin, elle participe à l’harmonisation des techniques d’enquête et de la formation entre les États membres.




Irak : l’opération « Chammal », action, soutien et formation

Seule nation à avoir déployé une unité d’artillerie en Irak dans le cadre de l’opération « Chammal », la France y a acquis crédibilité et légitimité, lui permettant de peser sur les décisions de la coalition anti-Daech.

Ce constat a été expliqué à la presse, le 19 septembre 2019 à Paris, par un colonel du Centre de conduite et de planification des opérations. Lancée exactement cinq ans auparavant, l’opération « Chammal » représente le volet français de l’opération « Inherent Resolve » au sein d’une coalition de 79 pays et organisations. A la demande du gouvernement irakien et en coordination avec les alliés, « Chammal » mobilise environ 1.000 militaires, qui apportent un soutien par : l’appui des troupes locales au sol et la frappe des capacités militaires de Daech ; la formation des forces de sécurité, dont l’Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS).

Situation précaire. Après sa défaite militaire, Daech est passé en mode insurrectionnel consistant en harcèlements, pose d’engins explosifs improvisés (IED en anglais), incendies de champs agricoles, attaques de postes isolés, caches d’armes et trafics. Ce terrorisme de bas niveau, actuellement contenu par les forces de sécurité irakiennes, peut resurgir, avertit le colonel. Il s’agit, pour « Chammal » d’obtenir de ces dernières une « autonomisation » réelle et de mettre les éléments de Daech à la portée des forces armées irakiennes sur le long terme. En outre, « Chammal » fournit un appui aérien aux forces armées partenaires pour le renseignement, le ciblage d’objectifs et les frappes éventuelles. A titre indicatif, les avions français ont effectué 18 sorties opérationnelles du 11 au 17 septembre 2019, à partir de bases en Jordanie et aux Emirats arabes unis. La France participe à tous les niveaux de commandement de la coalition, où les décisions se prennent par consensus. Tout en gardant sa liberté d’action, elle apporte son expertise en matière de lutte contre les IED, de sauvetage de combat et de coordination des frappes aériennes et des tirs de lance-roquettes et d’artillerie, pour l’éclairage du champ de bataille, la récupération des blessés, la « déception » (tromperie) et le « compartimentage » du terrorisme.

Montée en puissance de la sécurité. Afin d’élever le niveau d’expertise et de savoir-faire des forces armées irakiennes, des instructeurs français fournissent conseil et accompagnement du commandement tactique sur le terrain, sans participation aux combats, et forme des « formateurs » irakiens. La « Task Force » (TF, force d’intervention) « Air » forme des spécialistes de l’appui aérien avec des hélicoptères irakiens. La TF « Narvik » perfectionne les forces spéciales de l’ICTS dans la lutte contre le terrorisme. En mai 2019, elle a formé une vingtaine de stagiaires des forces spéciales irakiennes à la collecte du renseignement d’origine humaine : procédures d’infiltration et d’exfiltration, prises d’images de jour et de nuit et analyse des données récoltées sur le terrain pour fournir du renseignement tactique au commandement. De son côté, la TF « Monsabert» (100 personnels) développe l’autonomie de la 6ème Division d’infanterie irakienne, chargée de la sécurisation de la capitale Bagdad. Selon un colonel qui l’a commandée, une centaine d’actions différentes de conseil et d’assistance se sont déroulées suivant le cycle « programmation de l’activité, mise en pratique sur le terrain, retour d’expérience et ajustement ». Enfin, la TF « Monsabert », aide l’Ecole d’artillerie irakienne en matière de formation et d’élaboration d’une doctrine.

Loïc Salmon

Terrorisme : Daech, propagande habile et maîtrise technique

Irak : le volet « assistance » de l’opération « Chammal »




De l’Asie à la France libre

Joseph Hackin entre en 1924 à la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA), dont il devient le directeur en 1934 jusqu’à son départ pour Londres en 1940. D’autres archéologues, en mission à l’étranger, rejoindront aussi la France libre.

La DAFA a été créée en 1922 à l’initiative d’Amanullah, roi d’un Afghanistan à peine sorti de l’emprise de l’Empire britannique (1880-1919). Un accord entre l’Afghanistan et la France accorde à cette dernière le monopole des fouilles pour trente ans, avec un partage égal des découvertes à l’exception de l’or et des bijoux. Ce partenariat a pour mission d’étudier, de valoriser et de protéger le patrimoine archéologique afghan. Le premier directeur (1922-1925) de la DAFA, l’orientaliste Alfred Foucher, tente de retrouver les traces de l’expédition du roi de Macédoine Alexandre le Grand (356-323 avant J.C.) lors de sa conquête de l’Empire perse. Joseph Hackin effectue quatre campagnes de fouilles entre 1929 et 1940 et en expose les résultats pendant ses séjours en France. L’un de ses adjoints se nomme Ahmad Ali Kohzad, futur conservateur du musée de Kaboul. Malgré la fin du monopole de la France sur les fouilles, les archéologues français poursuivent leurs travaux après la seconde guerre mondiale. La DAFA, dont les autorités afghanes reconnaissent l’expertise, forme des jeunes chercheurs. La révolution de 1978 met un terme à ses fouilles sur le terrain. Son bureau à Kaboul est fermé de 1982 à 2003, pendant la longue période de guerres, d’affrontements armés et de destructions de vestiges archéologiques par les talibans iconoclastes. Dans le cadre du traité d’amitié entre la France et l’Afghanistan en 2012, la DAFA redevient la seule institution archéologique étrangère permanente dans le pays. Par ailleurs, en France occupée, des réseaux de résistance s’organisent pour sauvegarder le patrimoine français par l’évacuation en province de 4.000 trésors nationaux dans des dépôts secrets. D’autres recueillent des renseignements sur la destination des œuvres saisies par les Allemands et qui seront récupérées après la guerre. Enfin, certains suivent l’exemple de Joseph Hackin et de son épouse et adjointe Marie. Ainsi, jacques Soustelle, vice-président du musée de l’Homme en mission de recherche au Mexique, rejoint le général de Gaulle. Ce dernier lui confie une mission similaire à celle de Hackin, à savoir coordonner l’action des comités de la France libre en Amérique du Sud. Au Proche-Orient, Henri Seyrig, directeur des Antiquités de Syrie et du Liban de 1929 à 1941, est connu pour ses fouilles menées à Baalbek et à Palmyre. Il démissionne et devient attaché culturel de la délégation de la France libre aux Etats-Unis. L’archéologue et historien de l’Afghanistan, Daniel Schlumberger, qui succèdera à Hackin à la tête de la DAFA en 1945, rallie la France libre en Syrie dès l’été 1941. Il commence par commenter l’actualité politique à Radio-Brazzaville puis dirige le Service d’information de la France libre au Levant. Jean Starcky, curé de Palmyre, s’engage dans les Forces françaises libres puis devient aumônier au sein de de la 1ère Division française libre, depuis la Libye jusqu’aux derniers combats dans le massif de l’Authon (Préalpes de Nice) où il sera blessé. Compagnon de la Libération, Jean Starcky participe au déchiffrement des manuscrits de la mer Morte en tant que membre de l’Institut d’archéologie de Beyrouth. Puis, il deviendra directeur de l’Institut français d’archéologie.

Loïc Salmon

Exposition « De l’Asie à la France libre » aux Invalides

Angkor, naissance d’un mythe

« De l’Asie à la France libre », ouvrage collectif. Éditions Lienart, 144 pages, 25 €




Irak : le volet « assistance » de l’opération « Chammal »

La participation de la France à la coalition contre l’organisation terroriste Daech (« État islamique ») en Irak porte sur le bombardement aérien d’objectifs, déterminés en toute autonomie, et une assistance en matière de conseil et de formation aux troupes irakiennes au sol. Ce dernier volet a été présenté à la presse, le 5 novembre 2015 à Paris, par un colonel ayant commandé un détachement d’instruction opérationnelle (DIO). Il s’agit d’améliorer les capacités existantes des troupes irakiennes par un recyclage de leur instruction militaire initiale, en évitant l’accompagnement au combat, souligne le colonel. Depuis le 1er août 2014, un DIO, installé dans la ville d’Erbil (Nord de l’Irak), assure une formation sur le déminage des engins explosifs improvisés (IED en anglais). Depuis mars 2015, un DIO de la 13ème Demi-brigade de la légion étrangère est présent dans la capitale Bagdad, auprès du Service irakien de lutte contre le terrorisme (ICTS en anglais). En outre, un DIO de la 3ème Brigade légère blindée est déployé dans la zone d’opération de la 6ème Division irakienne (DAA 6, 10.000 hommes), engagée directement au combat contre Daech et qui subit régulièrement des pertes à tous les échelons de sa hiérarchie aux abords de Bagdad et de Falloujah. La formation dispensée porte sur : la lutte contre les IED et le génie de combat ; le secourisme de combat ; le combat d’infanterie ;  le combat en zone urbaine ; les travaux d’état-major. Le DIO du colonel en question a compté un effectif de 61 personnels (17 officiers, 19 sous-officiers et 25 soldats), qui assure sa propre protection par des fantassins et des éléments du génie lors de ses déplacements dans la zone d’opération de la DAA 6. En matière de « conseil », l’assistance porte sur : les transmissions ; la logistique, à savoir commande de munitions, piles d’appareils radio et pièces de rechange pour les véhicules, gestion des stocks et acheminement au front ; les travaux d’état-major consistant à préparer les opérations, synchroniser les efforts face à l’adversaire, gérer des appuis (tirs d’artillerie et d’aviation) et suivre la situation tactique. La « formation » proprement dite enseigne les gestes simples à faire au bon moment. Ainsi, pour le déminage, le soldat apprend à localiser l’IED, le marquer et passer le relais aux démineurs. Le secourisme de combat, comme la pose d’un garrot par exemple, est  enseigné aux soldats et aussi aux médecins militaires qui seront déployés sur le front. Ces deux domaines correspondent aux besoins prioritaires de la DAA 6, car adaptés aux modes de combat des troupes de Daech. En outre, le DIO a organisé 17 stages d’une à deux semaines, à raison d’un tous les 10-15 jours, pour instruire 150 formateurs irakiens. En un an, ceux-ci seront en mesure de former la totalité de l’effectif de la DAA 6. Enfin, indique le colonel, cette assistance s’inscrit dans un dialogue permanent entre le DIO et la DAA 6 : constat et identification des problèmes ; analyse des causes externes et internes ; recherche de solutions faisables, acceptables et compatibles ;  applications en situation opérationnelle. L’analyse des résultats détermine si une solution fonctionne, est améliorable ou doit être abandonnée.

Loïc Salmon

Moyen-Orient : crises, Daech et flux de migrants en Europe

Afghanistan : laboratoire européen contre IED

Sauvetage de combat : l’apprentissage des médecins




Sûreté : élément stratégique des entreprises internationales

Les entreprises internationales se trouvent aujourd’hui confrontées aux mêmes risques qu’un pays : leurs personnels et leurs biens peuvent être des victimes collatérales ou des cibles pour des actions hostiles ou même violentes. La sûreté (protection contre la malveillance) est devenue un facteur essentiel à la poursuite de leurs activités.

L’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale a organisé, le 20 juin 2012 pà Paris, une table ronde sur ce sujet qui a réuni des intervenants de l’EDHEC Business School, du groupe Lafarge, de DHL et de Subsea7 (voir encadré). Avant d’exercer leur fonction actuelle, ces trois responsables « sûreté » ont effectué une carrière militaire courte dans les forces spéciales, la gendarmerie ou la Direction générale de la sécurité extérieure.

L’entreprise est ciblée pour ce qu’elle est, ce qu’elle a et ce qu’elle fait. Selon Bertrand Monnet (EDHEC), les acteurs permanents incluent les organisations terroristes et les guérillas, qui agissent pour des motifs idéologiques, et les mafias et les gangs pour des raisons simplement économiques. S’y ajoutent des acteurs ponctuels comme d’autres entreprises, des agents publics d’un Etat, des groupes de la société civile et même des employés de l’entreprise en question. Les actions hostiles vont de la destruction (attentat, enlèvement et assassinat) au parasitisme (blanchiment d’argent et trafics), en passant par la prédation (vol, fraude, extorsion, enlèvement contre rançon et piraterie maritime) et la concurrence (contrebande, contrefaçon, prises de contrôle de l’entreprise et du marché). Ces actions  utilisent internet, qui irrigue toute activité économique, et contraignent l’entreprise à pratiquer la défense de ses réseaux informatiques, contre les « pirates » qui vont tenter de les détruire… par jeu !

Les risques font l’objet d’une évaluation périodique selon les pays ou même par ville et par zone. Ainsi, chez Lafarge, le personnel est à peu près réparti entre les pays développés et ceux des marchés émergents. Cela correspond, chaque année, à 15.000 déplacements professionnels dans le monde, 260 familles expatriées, 250 personnes en missions de courte durée, 15 pays à risques élevés et 12 à risques moyens. Les risques sont classés par niveaux croissants : insignifiant (catastrophes naturelles), faible (terrorisme et instabilité sociale), moyen (crime organisé, criminalité courante, instabilité politique et menace sanitaire). Les niveaux « élevé » et « très élevé », qui cumulent plusieurs de ces critères, concernent notamment l’Algérie, le Nigéria, l’Irak, la Russie, l’Egypte, l’Indonésie et le Honduras. Chez DHL, 3.500 personnes sont en voyage d’affaires chaque jour, surtout dans des pays à risques. Parmi ces derniers figurent : le terrorisme (Afrique du Nord, Irak, Afghanistan, Pakistan, Inde, Russie et Philippines) ; les enlèvements et meurtres (Mexique, autres pays d’Amérique centrale et Venezuela) ; enlèvements contre rançon (Argentine, Brésil, Nigeria et Philippines) ; les attaques à main armée (Papouasie-Nouvelle Guinée) ; l’instabilité sociale (Afrique du Nord, Côte d’Ivoire, Bahreïn et Thaïlande). Par ailleurs, DHL, partenaire de l’ONU pour la remise en état des pays affectés par des catastrophes naturelles, les prend aussi en compte (Pakistan et Japon). Selon une enquête interne auprès de ses cadres supérieurs, la réputation de l’entreprise, et donc la confiance qu’elle inspire, est la plus exposée parmi treize types de risques répertoriés, surtout depuis cinq ans. En outre, la plupart des gens interrogés ignorent ces risques et même s’ils les connaissent, pensent que rien ne peut leur arriver ! Or, ces risques sont multiples, imprévisibles quant au lieu et mode d’action et susceptibles de dégénérer en actions violentes. Ils ont, parfois, des conséquences psychologiques qui se manifestent plusieurs mois après l’événement et affectent indirectement la famille et l’entreprise de la victime. Des accidents peuvent entraîner des poursuites juridiques contre l’entreprise pour préjudices physiques et moraux, avec des impacts directs sur ses finances, son organisation et le renforcement de ses mesures de sûreté. De son côté, Subsea7 peut faire l’objet d’attaques informatiques par des organisations écologistes, en raison de ses prestations de services à de grandes compagnies pétrolières. Or, une seule journée de retard d’un navire-citerne, immobilisé par défaut de chargement à une plate-forme en mer, coûte environ 300.000 $ !

Les mesures de protection de l’entreprise passent par la prévention pour éviter qu’une malveillance se produise. Le service « sûreté » de Lafarge, créé en 2008, est chargé de protéger son personnel, ses biens, ses informations sensibles et son image, mais aussi de soutenir son développement international. Dès l’année suivante, il a élaboré un plan de gestion de crise et de continuité des activités, une procédure d’adjudication des contrats aux sociétés de gardiennage, des règles d’utilisation des armes, des outils de notifications des incidents, une procédure sûreté pour les déplacements professionnels, une procédure de préparation à l’expatriation et un enseignement en ligne (e-learning) pour les déplacements professionnels. De son côté, DHL insiste sur la rapidité de la communication en cas de crise, qui repose sur trois piliers : la prise de conscience de la gravité d’une situation ; l’engagement à y remédier en expliquant comment ; faire comprendre que la situation est maîtrisée et que l’entreprise travaille avec toutes les autorités compétentes. Quelque 350 responsables de la sûreté reçoivent des renseignements d’environ 1.000 personnes sur le terrain. Pour Subsea7, le service « sûreté » doit garder son indépendance (canaux d’information par les voies hiérarchique et fonctionnelle), disposer d’une relation directe avec la haute direction de l’entreprise (implication dans tous les projets et installations) et maintenir des liens sûrs sur le terrain. Par ailleurs, Subsea7 a créé un partenariat avec le Direction centrale de sécurité intérieure. Aujourd’hui, toutes les entreprises sont tenues de protéger leurs employés. Mais, les gens qui travaillent pour de grands groupes internationaux dans des pays à risques perdent toute notion de risque. La sensibilisation constante du personnel s’avère donc nécessaire. Enfin, les expatriations dans le pays à risques ne doivent pas durer trop longtemps, pour éviter l’accoutumance et la perte de vigilance qui en résulte.

Loïc Salmon

La table ronde a réuni : Bertrand Monnet, professeur à l’EDHEC Business School et titulaire de la chaire « Management des risques criminels » ; Jean-Claude Veillard, directeur « sûreté » du groupe Lafarge (matériaux de construction, présent dans 64 pays) ; Léon Jankowski, vice-président de DHL (transport et logistique, présent dans 225 pays et territoires) et directeur chargé de la sûreté et de la gestion de crise ; Nicolas Krmic, directeur « sûreté » de Subsea7 (ingénierie, construction des systèmes fond-surface et services associés pour l’industrie pétrolière en mer).




Attentats à Paris : plus grosse opération de secours de la BSPP depuis les années 1980

Lors des attentats terroristes le soir du 13 novembre 2015 en Ile-de-France, la Brigade des sapeurs pompiers de Paris (BSPP) a traité 381 victimes, dont 257 par balles. L’action de cette unité militaire a été présentée à la presse le 3 décembre à Paris par son commandant, le général Philippe Boutinaud. Cette opération a mobilisé : 125 engins ; 21 équipes médicales sur les 7 sites ciblés par les attentats ; 430 pompiers sur le « terrain » et 250 dans le soutien et la chaîne de commandement. Celle-ci a bien fonctionné grâce aux enseignements tirés des attentats de Madrid (11 mars 2004), Londres (7 juillet 2005) et Paris (années 1980, 1990 et 2000), estime le général. Le 13 novembre, la situation se caractérise par : un tempo rapproché, avec des alertes toutes les 5 minutes pendant 40 minutes ; un éclatement géographique dans 6 sites dans Paris intra-muros et 1 en banlieue Nord ; un engagement en zone non sécurisée, où un véhicule « premier secours »  et un véhicule de « secours à victime » seront atteints par des balles ; la menace d’autres attentats, notamment dans les gares. Tout blessé par balle bénéficie d’une urgence absolue qui détermine l’échelonnement des secours vers les hôpitaux. Tout le monde n’a pas été sauvé, regrette le général, mais toutes les victimes « sauvables » ont pu recevoir des gestes de chirurgie lourde dans les hôpitaux. Grâce à l’expérience de ses personnels sur les théâtres d’opérations extérieurs, le Service de santé des armées (SSA) a pu très vite catégoriser et hiérarchiser la gravité des blessures et organiser les passages de 21 blessés en bloc opératoire. La décentralisation de la conduite des opérations a permis de maintenir un équilibre mesuré entre le « terrain » et le Centre opérationnel de la BSPP, estime le général. Ainsi, les demandes de moyens supplémentaires ont été adaptées au juste besoin sans perturber les actions traditionnelles des pompiers, qui sont intervenus près de 1.300 fois ailleurs dans Paris pendant la journée du 13 novembre. Tout en conduisant les opérations sur les sites des attentats, le Centre opérationnel de la BSPP a pré-programmé un hélicoptère  et fait appel aux pompiers professionnels des communes de la Grande Couronne autour de Paris, à la Protection civile et au Service d’aide médicale urgente (SAMU) de la Petite Couronne, qui a transporté quelque 300 blessés vers les hôpitaux civils et militaires. Les hôpitaux d’instruction des armées Percy et Begin ont accueilli 58 blessés et traité 18 % des urgences absolues. Avant même le déclenchement du « plan blanc » du ministère de la Santé, 8 ambulances ont acheminé 31 blessés graves vers Bégin. Dès la soirée du 13 novembre, 48 médecins et 25 personnels paramédicaux ont été mobilisés. A l’École militaire, 12 psychiatres et psychologues du SSA, de la Marine nationale et de l’armée de l’Air ont participé à la mise en œuvre d’une cellule d’accueil des victimes, familles et personnels impliqués. En tout, 80 personnes ont reçu un soutien psychologique immédiat pour répondre à la « stupeur psychique » liée aux attentats. Elles devront quand même bénéficier d’une prise en charge dans les mois qui viennent ainsi que les personnels d’intervention (policiers et pompiers). Au sein de la BSPP, 11 pompiers ont perdu un proche dans les attentats. Selon le général Boutinaud, les opérations de secours du 13 novembre ont conforté la pertinence de la préparation opérationnelle entre les diverses unités déployées. Un exercice cadre entre la BSPP et le SAMU s’était déroulé sur 13 sites… le matin même !

Loïc Salmon

Terrorisme : plan Vigipirate renforcé à Paris

Crises : prévention et gestion en Ile-de-France

Résilience : la survie de la collectivité nationale




Les sœurs du Djihad

Les organisations djihadistes, surtout Daech (Etat islamique), parviennent à recruter des Européennes converties, destinées d’abord à procréer des combattants de l’islam radical. Si elles en ont les qualifications, elles peuvent occuper des emplois dans la santé, l’enseignement, la communication, l’informatique et même la sécurité !

Selon diverses études et recueils de témoignages (vidéos, confessions sur internet et écrits), le nombre de conversions à l’islam en Europe augmente de 20 % par an depuis 2010 et les femmes représenteraient environ 60%-70% des convertis. Il en ressort que les conversions se répartissent principalement en quatre types : rencontre amoureuse aboutissant souvent à un mariage, pour la majorité des jeunes femmes ; environnement social musulman de proximité ; quête de spiritualité après une déception vis-à-vis de la religion d’origine ; motivations politiques ou radicales, plus rares chez les femmes. Contrairement au catholicisme et au judaïsme qui demandent une grande implication et plusieurs étapes, la conversion à l’islam peut se réduire, pour les recruteurs salafistes, à la récitation en arabe phonétique de la profession de foi devant deux témoins : « J’atteste qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et que Muhammad est son messager ». Le nouveau musulman doit se conformer aux quatre piliers de l’islam : cinq prières quotidiennes n’importe où et en direction de la Mecque ; verser l’aumône aux plus pauvres selon ses moyens ; jeûner le mois du ramadan, de l’aube au coucher du soleil ; aller en pèlerinage à la Mecque une fois dans sa vie, si ses moyens physiques et financiers le lui permettent. Alors que l’islam modéré recommande une modification progressive du comportement vestimentaire et alimentaire, la mouvance rigoriste incite les nouveaux venus à se couper de leur environnement d’origine en deux ou trois mois. A la différence du chiisme iranien, l’imam sunnite, dépourvu de statut juridique ou légal, n’exerce pas de fonction « sacrée ». Il guide les croyants et les éclaire de ses connaissances du Coran et des « hadiths » (actes et paroles relatives à Mahomet et ses compagnons), acquises sans obligation d’une formation théologique sanctionnée par un diplôme officiel, décerné par une institution spirituelle islamique. De fait, beaucoup d’imams s’autoproclament tels ou sont même parfois téléguidés par l’Arabie Saoudite, le Qatar ou l’Algérie pour étendre leur influence. De son côté, Daech est parvenu à entraîner de nombreux départs de jeunes femmes européennes vers les zones de guerre en Syrie, Irak et Libye, entre sa proclamation du califat en 2014 et sa défaite militaire face à une coalition internationale et l’intervention russe en 2017. Il a présenté le djihad comme une cause humanitaire et offert une vision utopique de l’Etat islamique. Il a su tirer parti de l’addiction de jeunes filles, naïves ou psychologiquement fragiles, aux réseaux sociaux Facebook, Twitter, Instagram, WhatsApp, SkyBlog, Pinterest, Flicker, YouTube ou DailyMotion. Il leur a promis une vie romantique et démontré la cohésion sociale réalisée par la solidarité entre « sœurs », une fois intégrées à une communauté à l’écoute. Il leur a proposé une prise en charge intégrale par le groupe, sorte d’assistanat intégral et rassurant car évitant de prendre des responsabilités. Enfin, il leur a fait miroiter la possibilité de participer à un destin collectif exceptionnel, donnant ainsi un sens supérieur à leur vie.

Loïc Salmon

Terrorisme djihadiste : prédominance de la dimension psychoculturelle

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Qatar, vérités interdites

« Les sœurs du Djihad » par Jean-Christophe Damasin d’Arès. Editions JPO, 192 pages, 14,90 €.




Cyberespace : enjeux géopolitiques

Cet ouvrage rédigé par des chercheurs universitaires et agrémenté d’un très utile lexique, fait le tour des questions (17 répertoriées !) que suscite le cyberspace. Ce terme englobe internet (plus de 40.000 réseaux autonomes) et son extension, à savoir un espace intangible où des citoyens de tous pays échangent des messages à une vitesse instantanée, qui abolit les notions de distance et de territoire. La géopolitique étudie les rivalités de pouvoir et d’influence sur un territoire à différents niveaux d’analyse, rappelle Frédérick Douzet. Parmi les divers thèmes abordés, figurent notamment le cyberterrorisme et les conceptions américaine, russe et chinoise du cyberespace. Pour Olivier Kempf, le terrorisme, difficilement identifiable en général, l’est encore plus dans le cyberespace. Les réseaux terroristes l’utilisent pour sa capacité subversive qui démultiplie leur influence, la transmission secrète de données (fabrication de bombes), son accès facile à des caractéristiques techniques de cibles éventuelles, son ingénierie sociale pour identifier les habitudes de victimes potentielles et la mise en place de recrutement. Parallèlement, de plus en plus d’actions terroristes sont dues à des « loups solitaires », individus qui se sont auto-endoctrinés par internet : attentats locaux et filières d’étrangers venant participer au « djihad » en Syrie. Après les attentats d’Al Qaïda du 11 septembre 2001 sur leur sol et leurs guerres en Afghanistan et en Irak, les États-Unis ont pris conscience de la « dyssymétrie » de la terreur, qui les touche, et ont modifié leur stratégie en conséquence. Face à une intervention militaire qui se conclut par une guerre au sein de populations et désormais impossible à gagner, ils préfèrent l’action indirecte appuyée par les drones, les forces spéciales et… le cyberespace ! Par ailleurs, la Russie, leur principal adversaire de la guerre froide (1947-1991), compte 50 millions d’internautes et dispose d’un des réseaux les plus rapides du monde : son moteur de recherche Yandex est plus utilisé que l’américain Google ! Internet et les réseaux sociaux sont considérés comme de simples médias sur lesquels l’État a un droit de régulation, au nom de la souveraineté… que la notion de cyberespace tend à effacer, explique Kevin Limonier. « Runet », segment russophone d’internet, repose sur une communauté de langue (la 2ème après l’anglais et à égalité avec le français), de pratiques et de valeurs, dont le marché reste difficilement pénétrable par des entreprises occidentales comme Amazon. En outre, Moscou utilise Runet pour maintenir son influence sur les anciennes républiques soviétiques et les pays de la mouvance de l’ex-URSS. Mais en Russie même, la sourde contestation du pouvoir s’est structurée sur les blogs et les réseaux sociaux. Enfin, face à la supériorité militaire américaine, la Chine exploite toutes les ressources du cyberespace pour moderniser ses forces armées par le recueil de l’information de haut niveau scientifique, technologique, politique et stratégique (veille, renseignement, intrusions et espionnage), souligne Frédérick Douzet. Elle s’affirme au niveau international par son lobbying sur la gouvernance d’internet, sa tentative d’autonomisation du réseau, le renforcement de sa zone d’influence et ses démonstrations de force. Elle a mis sur pied une « armée bleue » d’experts informatiques pour affronter les puissances étrangères. Mais les États-Unis conservent une longueur d’avance… d’après les révélations sur les programmes de la NASA !

Loïc Salmon

Cyberspace : de la tension à la confrontation ou à la coopération

Moyen-Orient : le « cyber », arme des États et d’autres entités

La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre

« Cyberespace : enjeux géopolitiques », ouvrage collectif. Revue Hérodote N°152-153, 320 pages, 25 €




Enjeux de guerre : réfléchir à celle d’aujourd’hui et imaginer celle de demain

Les nouvelles menaces, aux approches directes, indirectes et globales, concernent la terre, la mer, l’air, l’espace et le cyberespace. En conséquence, la survie d’une société démocratique, soumise à son opinion publique toute puissante, repose sur sa capacité à conserver sa volonté de combattre.

Ces enjeux de guerre ont été présentés par les colonels Pierre-Joseph Givre et Nicolas Le Nen au cours d’une conférence-débat organisée, le 9 avril 2014 à Paris, par l’Association IHEDN Paris Ile-de-France.

La conflictualité. Leur expérience sur le terrain leur a appris que la guerre n’est pas purement rationnelle. Aujourd’hui, la suprématie américaine dans les airs et sur mer « gèle » l’éventualité d’un affrontement direct entre puissances symétriques en termes de capacités militaires. Mais dans un conflit asymétrique, une part d’irrationnel entre dans le mécanisme de déclenchement. « L’asymétrie, c’est un char moderne contre un moudjahidine en baskets et armé d’une kalachnikov des années 1970 ». Ce champ asymétrique, où agit le terrorisme, constitue la principale vulnérabilité des pays occidentaux. « Il faut toujours inventer, car il n’y a pas de solution miracle ». Dans leur livre « Enjeux de guerre », les deux colonels examinent les relations internationales au prisme de trois sources de la guerre : la sphère de l’intérêt, celle de l’honneur et celle de la peur. La première, la plus rationnelle, influe sur les relations entre les États-Unis et l’Union européenne (UE), les pays européens entre eux, l’UE et la Russie et l’UE et la Chine. L’importance de l’honneur se fait plutôt sentir sur celles entre les États-Unis et la Russie, les États-Unis et la Chine, Israël et la Turquie, la Chine et l’Inde, la Chine et le Japon, La Chine et Taïwan, la Chine et les pays riverains de la mer de Chine. La peur exerce une influence sur celles entre l’UE et l’Iran, les États-Unis et l’Iran, la Corée du Nord et celle du Sud, Israël et les pays arabes, entre les pays d’Afrique subsaharienne et, enfin, inspire l’islamisme radical. Les risques de guerre les plus probables concernent les pays à l’intersection de ces trois sphères : Israël et l’Iran, l’Inde et le Pakistan. Selon les colonels Givre et Le Nen, la cyberguerre n’emportera pas la décision. Elle causera des dégâts matériels importants et restera limitée sans entraîner une « montée de la nation en armes »… et l’adversaire le sait ! Les centres vitaux des puissances nucléaires n’étant pas atteints, leur dissuasion s’applique. Actuellement, la situation en Ukraine, restreinte à la sphère de l’intérêt, reste au niveau rationnel de la tension diplomatique, mais avec une incertitude sur la montée aux extrêmes. En effet, la Russie ne partage pas la rationalité des pays de l’OTAN. Quant à son annexion de la Crimée, Moscou a senti l’absence de volonté de Washington d’intervenir. « On entre là dans le champ psychologique pour analyser les zones à risques ». D’après les deux colonels, l’emploi de l’arme nucléaire relève de « l’hyper-rationalité », le nationalisme de la légitimité territoriale et la peur constitue le moteur d’un conflit. L’incompréhension culturelle peut provoquer une accélération de la guerre ou une interprétation erronée des possibilités d’action de l’adversaire. Toutefois, les principes scientifiques et mécaniques d’un conflit s’appliquent partout. Dans un conflit asymétrique, l’adversaire tire sa force de son intelligence, face à une armée disposant de technologie, puissance de feu et mobilité supérieures.

La dimension politique. Le but de la guerre, soulignent les colonels Givre et Le Nen, consiste à arriver à une situation politique plus favorable qu’au départ. La victoire correspond à l’obtention de l’état final recherché, après le dernier coup de feu. Son ampleur sera toujours relative et non plus décisive. Le conflit asymétrique est un mode d’action, sur le terrain, d’enjeux politiques très différents que ce soit dans les Balkans, en Afrique ou en Afghanistan. Le stratège prussien Carl von Clausewitz (1780-1831) a théorisé une « trinité » politico-militaire : un régime autoritaire exerce la souveraineté politique et la légitimité de l’action militaire en s’appuyant sur une armée, issue du peuple. Ce modèle dure jusqu’à la défaite de l’armée allemande en 1918, qui entraîne la chute du régime impérial. Toutefois, il reste valide pendant la guerre du Golfe en 1991 et… en Syrie en 2014 ! Aujourd’hui, dans les États démocratiques, le peuple se trouve en position dominante par le biais de l’opinion publique et délègue la souveraineté politique au gouvernement et la légitimité de l’action militaire à l’armée. Dans un conflit asymétrique, leurs adversaires ont analysé leur structure sociale. Quand un soldat meurt au combat, la société toute entière est meurtrie dans sa chair. Le concept de zéro mort dans une guerre « chirurgicale », quoique rassurant, s’avère impossible à mettre en œuvre.

Les résultats. Il faut savoir terminer une guerre, mais pas n’importe comment. Les deux colonels recommandent d’abandonner le schéma valable jusqu’à la 2ème guerre mondiale, selon lequel le gagnant est celui qui a tué le plus de monde en face. Les engagements militaires américains au Viêt Nam (1954-1975) et en Irak (2003-2011) ne justifiaient plus des frappes sans discrimination, conception de la guerre totale en rupture avec les opinions publiques de l’époque. L’évolution politique d’une guerre reste peu perceptible par des soldats de 20 ans. Selon les deux colonels, ceux-ci se battent par cohésion de groupe, par la confiance donnée au chef direct, qui incite à continuer le métier militaire, et l’envie de connaître ses propres capacités en situation de guerre. De son côté, le chef tactique doit anticiper les conséquences de ses actes sur l’opinion publique de son pays. Il doit prendre en compte les échéances électorales, pour le soutien politique, et le succès tactique, pour le soutien moral du peuple, en vue d’une victoire stratégique. En Afghanistan (2001-2014), où le but de l’engagement de l’OTAN était d’éviter que le pays devienne un repaire de terroristes, la population a globalement accepté la coalition qui lui a apporté une aide humanitaire. Lors de l’opération « Serval » de la France au Mali (2013), le but était clair, l’adversaire identifié et plus proche par rapport à l’engagement en Afghanistan. La synthèse entre le but politique et le déploiement militaire a été réalisée avec succès, estiment les colonels Givre et Le Nen.

Loïc Salmon

La guerre : phénomène social et politique

La guerre : nécessité d’une cohérence militaire et politique

Défense et sécurité : complémentarité et responsabilités internationales

Les colonels Pierre-Joseph Givre et Nicolas Le Nen ont chacun commandé le  27ème Bataillon de chasseurs alpins, qui a été déployé sur divers théâtres d’opérations extérieurs. Le 18 novembre 2013, ils ont reçu le prix Edmond Fréville-Pierre Messmer de l’Académie des sciences morales et politiques pour leur ouvrage « Enjeux de guerre ». Fondée en 1795, supprimée en 1803 et rétablie en 1832, celle-ci est la plus ancienne institution française sur les sciences humaines et sociales : philosophie ; morale et sociologie ; législation, droit public et jurisprudence ; économie politique, statistiques et finances ; histoire et géographie ; section générale. Son rôle est de décrire scientifiquement la vie des hommes en société, afin de proposer les meilleures formes pour son gouvernement.




Gouverner au nom d’Allah

L’islamisme, mélange de politique et de révolution apparu au XXème siècle, a donné naissance à diverses appellations hybrides : « islam politique », « islam radical », « république islamique » et « révolution islamique ».

Aujourd’hui, il est l’élément dominant dans une vingtaine de pays regroupant plusieurs centaines de millions d’habitants. Ce courant religieux ultra-orthodoxe vise à transformer les pays musulmans sur les plans religieux, politique, social et culturel. Il veut reconstituer le « califat » du début de l’islam sous une direction arabe et repartir à la conquête du monde. Or, bien que se réclamant de l’identité arabe, les peuples dits « arabes » n’ont jamais pu former un État unique. Selon le « think tank » américain Pex Research Center, les musulmans sont présents dans 170 pays et majoritaires dans 47. Cette communauté de 1,572 milliard de croyants se répartit entre l’Asie (972 millions), les Moyen-Orient et Maghreb (315 millions), l’Afrique subsaharienne (240 millions), l’Europe (38,1 millions) et l’Amérique (4,97 millions). Malgré la haine multiséculaire entre les Iraniens chiites et les Arabes sunnites, tous les musulmans dénoncent Israël, puissance nucléaire avérée et belliciste au sein du Proche-Orient, et les États-Unis, ses indéfectibles alliés. En 2006, les statistiques de l’ONU font apparaître que les musulmans ont atteint 19,2 % de la population mondiale, devançant pour la première fois les catholiques avec 17,4 %. Pour les islamistes, ce fut le signe que la victoire était proche. Hier inconnu et persécuté, l’islamisme est devenu un phénomène planétaire et veut redessiner le monde par la terreur et la prédication. Il utilise les stations de radios et de télévisions spécialisées, internet, les réseaux sociaux et dispose d’importantes maisons d’édition, qui distribuent gratuitement manuels et coran dans l’ensemble du monde musulman. Pour l’islamiste radical, la guerre a pour but de tuer tout contrevenant aux lois de l’islam. En une trentaine d’années, l’opinion générale sur l’islamisme est passée de la sympathie (guerre soviétique en Afghanistan) à l’inquiétude (lapidation de femmes et destruction de patrimoine historique), la panique (terrorisme) et la confrontation (enracinement dissimulé dans la société). A terme, l’islamisme radical pourrait être assimilé à l’islam tout court. L’organisation terroriste Al-Qaïda a noué des liens avec celle, moins extrémiste, des « Frères musulmans ». Ces derniers se trouvent aujourd’hui au cœur de la finance islamique internationale, en coopération avec les princes et émirs du golfe Arabo-Persique et les richissimes hommes d’affaires arabes, par le biais des banques, sociétés boursières et d’investissement, du commerce, de l’hôtellerie et des industries de pointe. En effet, les élites des Frères musulmans étudient l’informatique, la physique nucléaire, les mathématiques, la médecine et la recherche spatiale dans les meilleures universités du monde. Par ailleurs, les islamistes mettent en avant les progrès scientifiques de l’Iran, en dépit des sanctions de l’ONU, et les succès industriels et commerciaux de la Turquie. L’influence de ce pays, gouverné par des islamistes, est considérable sur les Arabes démocrates, nationalistes ou…islamistes radicaux ! Pour l’Algérien Boualem Sansal, auteur du livre « Gouverner au nom d’Allah », l’unique moyen pacifique d’apaiser les tensions au sein du monde musulman réside dans la liberté d’expression de chaque individu et citoyen, mais en toute sécurité !

Loïc Salmon

Moyen-Orient : défi du terrorisme islamiste de l’EIIL

Moyen-Orient : chaos interne et répercussions périphériques

Prix Brienne du livre géopolitique 2014

« Gouverner au nom d’Allah », par Boualem Sansal. Éditions Gallimard, 156 pages, 12,50 €