Défense : panorama des zones à risques

Le ministre de la Défense Gérard Longuet a présenté, sous l’aspect militaire, les situations en Libye, Syrie, Afghanistan, Iran et Afrique, lors d’un déjeuner organisé le 16 novembre 2011 à Paris par l’Association des journalistes de défense.

Libye : « Les guerres se gagnent au sol et pas dans l’air », a déclaré le ministre, estimant que l’intervention aérienne n’aurait pas permis de trouver une solution à la crise, sans l’organisation de combattants par le Conseil national de transition libyen. Il en a tiré trois enseignements. D’abord, « sans les Libyens, Kadhafi serait toujours là et, sans l’opération Harmattan, il n’y aurait pas d’opposants libyens ». Ensuite, il a fallu construire une coalition : au départ, il y avait trois états-majors (France, Grande-Bretagne et Etats-Unis), puis le secrétaire général de l’OTAN a pris en compte la dimension politique. Enfin, le conflit a prouvé « qu’on peut faire quelque chose avec les Etats-Unis, sans qu’ils soient les premiers ni les demandeurs. Ils ont donné les moyens de soutien ». La surveillance aérienne des dépôts de munitions se poursuit sur le théâtre opérationnel près de la mer, mais pas en profondeur. Quant au risque de dissémination des armes, le ministre a souligné que leur emploi demande un certain niveau de logistique et d’entretien, sans compter la date de préemption des munitions.

Syrie : une intervention militaire nécessite une décision du conseil de sécurité de l’ONU. Le terrain n’est pas le même qu’en Libye : chaque camp est imbriqué totalement dans chaque ville, qui constitue un lieu de combat.

Afghanistan : un retrait des troupes dès 2012 est incompatible avec le statut de membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies. « Nous ne pouvons décider seuls de notre participation ou de notre retrait, nous sommes solidaires ». La situation en Afghanistan concerne aussi ses voisins : l’Inde, qui souhaite un Afghanistan pacifique et non dépendant du Pakistan ; l’Iran, qui souffre du trafic de la drogue d’origine afghane ; la Chine, qui recherche des relations normales entre l’Afghanistan et le Pakistan. ; les Etats-Unis pour toutes ces raisons. L’armée et la police afghanes totalisent environ 280.000 hommes qui assurent la présence de l’Etat, lequel doit se construire dans la durée et avec suffisamment d’argent pour fonctionner.  « Le retrait immédiat, sans coopération ni perspectives, c’est la certitude d’une guerre civile déclenchée à partir de l’extérieur ».

Iran : « La France considère que l’Iran se donne les moyens d’accès à la bombe (atomique), en contradiction avec le  TNP (traité de non-prolifération des armes nucléaires) dont il est signataire ». Paris accentue les sanctions, redoutables sur le long terme pour le financement des importations. Une frappe des installations nucléaires iraniennes n’est pas à l’ordre du jour, mais la France défendrait Israël en cas d’agression, a indiqué le ministre. Un blocage des flux financiers aboutit au même résultat que celui des ports pétroliers. « Il est efficace s’il est appliqué avec obstination et dans la durée ».

Afrique : les bases militaires françaises de Djibouti (Est) et Libreville (Ouest) suffisent. En cas de nécessités ponctuelles ou de coopération, il est possible d’intervenir à partir de la métropole. « On n’a pas besoin d’un deuxième porte-avions, a déclaré Gérard Longuet, ce sera au cœur de la discussion sur l’actualisation du Livre Blanc (sur la défense et la sécurité) ».

Par ailleurs, le ministre va tenter de préserver le recrutement des coupes budgétaires en cours, lequel représente 20.000 contrats nouveaux par an.

Loïc Salmon

Gérard Longuet (65 ans), ministre de la Défense et des Anciens Combattants, est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, titulaire d’un diplôme d’études supérieures de sciences politiques et ancien élève de l’Ecole nationale d’administration. Il a exercé plusieurs mandats électifs, notamment ceux de député de la Meuse (1978-1981, 1986-1993), député européen (1984-1986), président du Conseil régional de Lorraine (1992-2004) et sénateur de la Meuse (2001-2011). Il a aussi été secrétaire d’Etat (mars-août 1986), puis ministre délégué (1986-1988) auprès du ministre de l’Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme et enfin ministre de l’Industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce extérieur (1993-1994). A ce titre, il a été le principal négociateur du traité de Marrakech, à l’origine de l’Organisation mondiale du commerce. Enfin, il préside le Centre de la paix à Verdun depuis sa création en 1988.




Moyen-Orient : défi du terrorisme islamiste de l’EIIL

L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) dispose d’une forte capacité militaire, face à des tribus arabes sous armées et une armée irakienne peu aguerrie. Sans intervention terrestre, les frappes aériennes de la coalition menée par les États-Unis ne peuvent que l’empêcher d’aller plus loin.

C’est ce qui ressort d’un débat organisé, le 30 septembre 2014 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale et le quotidien Libération. Sont notamment intervenus : Pierre-Jean Luizard, directeur de recherches au CNRS ; Myriam Benraad, politologue à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman ; Denis Bauchard, conseiller à l’Institut français de relations internationales ; Salam Kawakibi, chercheur et vice-président de l’Arab Reform Initiative.

Stratégie. Le rejet du concept occidental  de l’État Nation s’est manifesté par l’instauration d’un « califat » (encadré) sur un territoire riche en ressources pétrolières autour de la frontière syro-irakienne, explique Myriam Beraad. La contestation du califat, dès la mort du prophète Mahomet (632), est à l’origine du conflit pluriséculaire entre sunnites et chiites. Selon Pierre-Jean Luizard, l’EIIL (sunnite) a multiplié les provocations terroristes (menaces puis égorgements d’otages) pour susciter une réponse militaire de l’Occident et le faire apparaître comme engagé dans une croisade contre les sunnites, qui représentent 88 % des musulmans du monde arabe. Ainsi impliqué dans un conflit communautaire local, l’Occident se trouve entraîné dans une guerre dont il n’a pas encore défini les objectifs. Pour conquérir Bagdad, l’EIIL comptait sur les milliers de sunnites irakiens expulsés de chez eux par le régime chiite, mis en place par les États-Unis en 2003, et parqués dans des camps. Mais la population de la capitale, majoritairement chiite, les a considérés comme une  « 5ème colonne » de partisans hostiles cachés et les milices chiites ont résisté. Toutefois, l’EIIL a les moyens de durer. En effet, pour la première fois, explique Denis Bauchard, un mouvement terroriste dispose d’un financement considérable, que même Al Qaïda n’a jamais pu obtenir. Son trésor de guerre, de l’ordre de 1 à 2 Md$ au premier semestre 2014, s’alimente de diverses façons : ventes de pétrole à prix cassés vers la Turquie, l’Iran et la Syrie, via la région autonome du Kurdistan irakien ; pillage des banques irakiennes dans le territoire conquis ; racket de la population à grande échelle ; dons de fondations de pays du golfe Arabo-Persique, de Malaisie et d’Indonésie ; contrebande vers la Turquie par les tribus arabes. Cette manne financière s’avère donc beaucoup plus difficile à assécher que celle d’Al Qaïda, dont il suffisait de surveiller les flux bancaires. Dans les régions où la reconstruction économique n’existe pas, l’EIIL peut ainsi recruter des jeunes djihadistes à 500-700 $/mois, alors qu’Al Qaïda ne propose que 300 $.

Champ d’action. L’EIIL a profité du pourrissement de la situation politico-économique en Irak. Selon Myriam Benraad, les États-Unis ont commis plusieurs erreurs en 2003. D’abord, le démantèlement de l’armée irakienne a incité des soldats et des cadres à choisir le Djihad (guerre sainte), car la carrière militaire y est une véritable institution depuis l’empire ottoman. De plus, la mise à l’écart des sunnites du jeu politique a provoqué des insurrections de combattants nationalistes à tendance djihadiste, puis la répression des manifestations sunnites par le gouvernement chiite. Ce dernier a, en outre, transféré les ressources énergétiques du Nord du pays aux mains des Kurdes et des chiites. D’après Pierre-Jean Luizard, le succès de l’EIIL conduit, à moyen terme, à l’échec définitif de l’intégration des arabes sunnites de l’Irak (20 % de la population) et à celui des réformes du gouvernement, en vue d’un système de quotas de postes étatiques répartis en fonction de l’importance démographique de chaque communauté confessionnelle, comme au Liban. Par ailleurs, l’EIIL avait conclu un accord avec les Kurdes leur laissant la région pétrolière de Kirkourk, en échange de leur neutralité lors de la conquête de Mossoul et de trois provinces du Nord de l’Irak. Puis, il a rendu les Kurdes responsables de l’échec de la prise de Bagdad, a rompu cette alliance et aujourd’hui les combat. Tous les services de renseignement savent que les combattants djihadistes ont été formés en Syrie, souligne Salam Kawakibi. Il ajoute que le régime a libéré des prisonniers après la révolution pour créer de la radicalisation au sein de la rébellion syrienne. Enfin, vis-à-vis de la communauté internationale, ce dernier a joué la carte du choix entre lui et le chaos islamiste.

Influences étrangères. L’Iran s’implique discrètement sur le terrain. L’Arabie Saoudite (sunnite), qui n’a jamais accepté un gouvernement irakien chiite sous influence iranienne, a officieusement financé les djihadistes en 2005-2006, surtout par des dons de fondations ou de riches familles. Mais début 2014, ses services de renseignement ont été repris en main par le gouvernement, explique Denis Bauchard. A terme, la Turquie veut créer une zone tampon en territoire syrien pour protéger sa frontière, qui a été particulièrement poreuse (djihadistes et trafiquants), rappelle Salam Kawakibi. De plus, l’ex-chef de l’organisation terroriste kurde PKK, active en Syrie, Iran, Irak et Turquie, a été livré à la Turquie par le régime syrien. De leur côté, les États-Unis ont décidé des frappes aériennes au Nord de l’Irak, mais pas en Syrie où se trouve l’état-major de l’EIIL. L’ONU, rappelle Denis Bauchard, ne peut intervenir qu’à la demande d’un État attaqué comme l’Irak. Pour la Syrie, toute résolution du Conseil de sécurité sera probablement bloquée par les vetos de la Russie et de la Chine. Par ailleurs, la Syrie dispose d’armements sophistiqués et de conseillers russes. Un bombardement de son territoire causerait des dégâts collatéraux politiquement risqués et… profitables à l’EIIL ! De son côté, le ministère français des Affaires étrangères recommande aux voyageurs de se montrer vigilants lors de leurs séjours dans une quarantaine de pays à risques. Une conférence internationale s’est tenue à Paris le 15 septembre 2014 pour définir une stratégie contre le terrorisme. L’armée de l’Air française effectue déjà des frappes en Irak, en coordination avec la coalition internationale, pour appuyer les troupes locales au sol. Des appels ont été lancés aux imams d’Arabie saoudite et d’Égypte pour déclarer que les combattants de l’EIIL sont des « apostats » et que le terrorisme est un déni de l’Islam.

Loïc Salmon

Moyen-Orient : chaos interne et répercussions périphériques

Libye : bilan final de l’opération Harmattan dans le cadre OTAN

« Serval » : manœuvre aéroterrestre en profondeur et durcissement de l’engagement

L’État islamique en Irak et au Levant  (EIIL), parfois désigné sous l’appellation arabe de « Daech », est une organisation qui se considère comme le véritable État de l’Irak depuis 2006 puis de la Syrie en 2013. Initialement lié à Al Qaïda, il s’en est séparé en 2013. Avec des effectifs estimés à plus de 20.000 membres en 2014, il pratique la lutte armée, la guérilla, l’attentat suicide et la prise d’otages en Irak, en Syrie et au Liban. De mouvance sunnite opposée au chiisme iranien, il a proclamé, le 29 juin 2014, le rétablissement du « califat », à savoir l’autorité spirituelle et temporelle sur la communauté musulmane au début de l’islam, sur les territoires qu’il contrôle.




Syrie : le rapport de force après la défaite de l’Etat islamique

Après la disparition territoriale de l’Etat islamique (EI) de Syrie en mars 2019, le régime de Bachar el Assad continue de bénéficier de l’appui de la Russie, dont les forces spéciales ont remplacé celles des Etats-Unis sur place. En outre, par son soutien, l’Iran a suscité une alliance imprévue entre l’Arabie saoudite et Israël, ses adversaires déclarés.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 4 juin 2019 à Caen, par le Forum mondial pour la paix. Y sont intervenus : Nabil Fawaz, membre du Parti démocratique du peuple syrien et ancien maire de Raqqah, où l’EI avait établi sa « capitale ; Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient ; David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe. Le conflit contre l’EI en Syrie (2014-2019) s’est soldé par plus de 300.000 morts, 1,5 million d’invalides, 80.000 détenus, 7 millions de réfugiés au Liban et en Turquie et 6 à 7 millions de Syriens déplacés.

Précarité politique. Le régime de Damas a gagné sa guerre grâce au soutien iranien au sol puis russe dans les airs depuis 2015 et aussi des hésitations des pays occidentaux, explique David Rigoulet-Roze. Il contrôle 40 % du territoire et 60 % de la population du pays et maintient une pression militaire sur les enclaves sunnites. Le Nord se trouve sous protectorat turc, sous le prétexte d’une menace terroriste kurde. Le Front démocratique syrien a été soutenu par les pays occidentaux pour la reconquête de Raqqah, mais réalisée surtout par les Kurdes avec des éléments arabes. L’Iran veut maintenir Hassad au pouvoir et la Russie sauver son régime. Malgré sa stabilité garantie pour une clarification territoriale, ce dernier doit assurer sa survie par la reconstruction du pays estimée à 400 Md$ sur plusieurs décennies.

Reconstruction difficile. Le « printemps arabe » n’a pas pris en Syrie, pays non-démocratique sous le pouvoir d’une minorité (alaouïte), rappelle Mgr Gollnisch. Aujourd’hui, les réfugiés auront du mal à rentrer dans des villes détruites, mais la capacité de résilience de femmes chrétiennes et musulmanes permet de l’espérer. La Russie a déployé beaucoup de moyens pour revenir sur la scène internationale tout en manipulant la religion orthodoxe. L’Iran s’installe aux portes d’Israël, mais pas plus que la Russie, ne pourra reconstruire la Syrie. La Turquie se trouve dans une position délicate face aux Kurdes, désireux de transformer la partie du pays reconquise en Kurdistan syrien avec une minorité arabophone. La Chine, quoique désireuse, n’investira pas en Syrie sans contrepartie. Les pays occidentaux apparaissent comme seuls capables de reconstruire la Syrie en échange d’un processus démocratique. Mais ils manifestent une sorte de résignation par pragmatisme, réalisme et vision limitée au calendrier électoral.

Instrumentalisation de la religion. Communiste dans les années 1980, le Parti démocratique syrien souhaite transformer la Syrie en pays laïc, souligne Nabil Fawaz. La présence de forces russes et iraniennes rend difficile toute prévision de l’évolution du pays, sans compter les différents acteurs locaux. Auparavant, chrétiens et sunnites entretenaient d’excellentes relations et le terrorisme n’existait pas en Syrie. Hassad a réussi à transformer le conflit interne en guerre religieuse, avec l’aide de combattants palestiniens et du Hezbollah (groupe islamiste chiite proche de l’Iran). Le Parti Baas au pouvoir contrôle l’armée et soutient la minorité alaouïte (8 % de la population). Aujourd’hui, les forces occidentales surveillent les sous-marins russes de la base navale de Tartous.

Loïc Salmon

Terrorisme : impacts et enjeux du « cyberdjihadisme »

Moyen-Orient : géopolitique des rivalités des puissances

Diplomatie : prise en compte du fait religieux dans le monde




Moyen-Orient : pandémie du covid-19 et conflits en cours

Alors que le régime syrien nie la gravité du covid-19, au Liban, le mouvement politico-militaire Hezbollah y apporte une réponse sanitaire et sociale, tandis que celle de Daech repose sur une base idéologique.

Agnès Levallois et Jean-Luc Marret, maîtres de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), l’expliquent dans des notes publiées le 25 mars et le 13 avril 2020 à Paris.

La Syrie. Le gouvernement reconnaît, le 25 mars, le premier cas de contamination par le covid-19, en précisant qu’il s’agit d’une personne venant de l’étranger, indique Agnès Levallois. Jusqu’ici, il assurait que le virus n’avait pas atteint le territoire national, alors que la contamination avait déjà touché l’Irak, l’Iran, la Jordanie, le Liban et Israël. Les images d’agents municipaux désinfectant les rues de Damas semblent démontrer que le régime maîtrise la situation sanitaire, malgré la crise économique consécutive à neuf ans de guerre civile. Or le système de santé syrien n’est guère capable de gérer l’épidémie, remettant ainsi en question le retour à la normale de la vie quotidienne de la population. Le régime se maintient grâce à l’appui militaire de la Russie, de l’Iran et des milices chiites, dont le Hezbollah libanais. Il a réussi à repousser ses opposants jusque dans l’enclave d’Idlib (Nord-Ouest du pays). Les bombardements des forces armées syriennes entraînent un exode massif de la population civile, dont les exilés sont privés de leurs biens par décret du président Bachar al-Assad. Cette crise migratoire accentue la pression sur la Turquie et l’Europe. Le cessez-le-feu, négocié début mars par la Russie et la Turquie, doit notamment permettre à l’Organisation mondiale de la santé de procéder à des dépistages du covid-19 dans la région, d’autant plus exposée que les infrastructures de santé sont systématiquement détruites. En fait, le régime a tiré profit de l’émergence de l’Etat islamique (Daech) en 2014 sur une partie des territoires syrien et irakien, rappelle Agnès Levallois. Les pays occidentaux ont alors cessé d’exiger le départ de Bachar al-Assad. Son maintien au pouvoir devait garantir une certaine stabilité en Syrie, pendant la reconquête des territoires occupés par Daech par une coalition internationale de 70 nations dans le cadre de l’opération « Inherent Resolve », dont l’opération « Chammal » constitue le volet français.

Daech. Privé de territoire après sa défaite militaire, Daech ne peut conduire un « djihad sanitaire » en faveur exclusivement de musulmans sunnites de Syrie et d’Irak, estime Jean-Luc Marret. Faute d’effectifs et de moyens techniques suffisants, sa propagande a commencé par considérer le covid-19 comme un « châtiment divin » contre la Chine, Etat athée qui persécute sa minorité musulmane ouïghour. Ensuite, elle a accusé le « gouvernement infidèle de Chine » de minimiser sciemment l’étendue de la pandémie. Toutefois, Daech a élaboré des directives de sécurité prophylactiques pour ses sympathisants, en insistant sur la protection donnée par les vêtements islamiques féminins et la distance sociale entre les sexes. Il note que la pandémie pourrait empêcher les Etats, qu’il cible de ses menaces, de procéder à des opérations anti-terroristes. Il préfère concentrer les efforts de ses militants sur la recherche des moyens pour libérer ses djihadistes détenus en Syrie et en Irak. Dans le passé et sur les territoires qu’ils contrôlaient, Daech et l’organisation terroriste Al-Qaïda ont manifesté leur intérêt pour la recherche et le développement d’armes nucléaires, radiologiques, chimiques et même biologiques. Mais ils n’ont jamais pu en maîtriser les technologies les plus sensibles. Aucune information ne laisse à penser que Daech puisse recourir au covid-19 comme moyen improvisé et rustique de bioterrorisme en Europe. Toutefois en raison de son organisation décentralisée et de l’autonomie de ses réseaux à travers le monde, souligne Jean-Luc Marret, Daech pourrait utiliser certains individus psychologiquement fragiles pour effectuer des contaminations improvisées sur des cibles définies au préalable. Déjà en 2002-2003, Al-Qaïda s’était intéressé à la ricine (poison 6.000 fois plus toxique que le cyanure).

Le Hezbollah. Considéré comme organisation terroriste par de nombreux pays dont Israël, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les Etats membres de l’Union européenne, le Hezbollah bénéficie des appuis d’une vaste diaspora libanaise et surtout de l’Iran. Au Liban même, rappelle Jean-Luc Marret, il gère des dispensaires, des hôpitaux et une vaste logistique de soutien de la population chiite et même au-delà. Ses opposants l’ont accusé d’avoir introduit le covid-19, via la Syrie ou l’Iran. Certains de ses membres qui s’étaient rendus à la ville religieuse de Qoms n’ont pas été mis en isolement à leur retour, malgré l’épidémie en Iran. Vu la défaillance de l’Etat libanais, le Hezbollah a déclaré avoir mobilisé 24.500 de ses membres et sympathisants, dont des professionnels de la santé et même le ministre de la Santé choisi par lui lors de la constitution du gouvernement libanais, pour lutter contre la pandémie. Les médias libanais en ont montré certains, vêtus d’un uniforme, gantés et masqués, en train de désinfecter les quartiers chiites de Beyrouth et de distribuer de la nourriture. Le Hezbollah a déclaré affecter certains moyens de sa guerre contre Israël à celle contre le covid-19 : un centre d’appels ; trois centres de confinement de 170 lits pouvant monter jusqu’à 1.000 ; 64 comités sociaux pour aider les familles nécessiteuses. Mais son action a été complétée par une division du travail entre communautés sunnite, chrétienne et druze. Ainsi, plusieurs organisations chrétiennes ont fourni des tests de dépistage, notamment pour les nombreux réfugiés, et le parti druze a offert des dons à plusieurs hôpitaux et a mis des zones de confinement à disposition des personnes contaminées.

Loïc Salmon

La population libyenne se trouve confrontée à la guerre civile et au covid-19, souligne Aude Thomas, chargée de recherche à la FRS, dans une note du 3 avril 2020. Le premier cas d’infection a été signalé le 24 mars, quelques heures après les bombardements des quartiers du Sud de Tripoli, menés par l’Armée nationale libyenne (ANL). Celle-ci est dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, qui bénéficie de l’appui des Emirats arabes unis. En représailles, les forces armées du gouvernement d’union nationale (GUN) ont attaqué, sans succès, la base aérienne d’Al-Waztiyah (150 km à l’Ouest de Tripoli), qui fournit un soutien logistique aux zones contrôlées par l’ANL. Le GUN, soutenu par la Turquie, a instauré un couvre-feu partiel en Tripolitaine et dans le Sud du pays et fermé les écoles et commerces non essentiels. Les municipalités ont pris des mesures de désinfection des rues et bâtiments publics. Les déplacements ont été limités et les points de passage vers l’Algérie et la Tunisie fermés. Les Emirats arabe unis et la Turquie investissent des moyens militaires en Libye, à savoir soldats, officiers d’encadrement et drones. Récemment, des combattants syriens ont rejoint les rangs du GUN et même de l’ANL à la suite du rapprochement entre le maréchal Haftar et la Syrie. Les Etats européens et la Mission des nations unies en Libye tentent d’instaurer et de faire respecter une trêve humanitaire.

Défense : opération « Résilience » contre le covid-19

Proche-Orient : Israël, envisager tous les scénarios de riposte

Moyen-Orient : rivalités entre Arabie Saoudite, Iran et Turquie




Russie : perception et premier bilan de la guerre en Ukraine

« L’opération militaire spéciale » en Ukraine, dont le soutien populaire diminue, souligne le retard de la modernisation de l’armée de Terre par rapport à l’armée de l’Air et la Marine.

Elle a fait l’objet d’une table ronde organisée, le 20 avril 2022 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Y sont intervenus Isabelle Facon, directrice adjointe de la FRS et Vincent Tourret, chargé de recherche à la FRS.

L’opinion publique. La Russie n’a jamais accepté les « révolutions de couleurs » (soulèvements populaires pacifiques « rose » en Géorgie en 2003 et « orange » en Ukraine en 2004), rappelle Isabelle Facon. Moscou considère l’Ukraine comme un Etat artificiel et admet difficilement son indépendance depuis 1990. Dans la cadre du retour de la Russie au centre des relations internationales, sa population a commencé par soutenir son intervention en Ukraine à 81 % et son dirigeant Vladimir Poutine à 83 %. Mais après les manifestations d’opposants à la guerre, qualifiés par ce dernier de «5ème colonne » et de « traîtres », les pressions au nom de l’intérêt national se sont accrues sur les médias, qui pratiquent l’autocensure sur les violences sur le terrain. Après environ deux mois de guerre, les sociologues russes estiment que 25 % des personnes interrogées veulent la poursuivre jusqu’à la capitulation de l’Ukraine et 29 % souhaitent l’arrêter sous conditions, à savoir la reconnaissance par l’Ukraine de l’annexion de la Crimée et de l’indépendance des Républiques du Donbass (Donets et Lougansk) et sa renonciation à adhérer à l’OTAN. Depuis 2014, la Russie se considère en guerre contre une Ukraine manipulée par l’Occident et où ses soldats meurent pour une cause juste. Le Kremlin estime que l’économie russe va s’adapter aux sanctions internationales et instrumentalise les boycotts sportifs, scientifiques et culturels comme une coalition. Quant à la mise à l’écart de Vladimir Poutine, les experts russes soulignent l’absence de tradition putschiste en Russie. En 1991, les forces armées avaient soutenu le président russe Boris Eltsine contre la tentative de coup d’Etat des ultra-conservateurs.

Les carences militaires. Moscou a commis une erreur sur la réalité de la situation en Ukraine, souligne Vincent Tourret. Les troupes engagées, peu préparées, comptent beaucoup de conscrits et subissent des pertes importantes. L’armée de Terre, qui dispose de peu de sous-officiers, a connu une réduction drastique du nombre d’officiers. L’Etat-major général se trouve débordé, car la mise en service de systèmes d’information et d’aides au commandement performants a pris du retard. Les officiers supérieurs doivent gérer des unités sans coordination. Le dispositif de 160.000 hommes s’avère sous-dimensionné pour faciliter la transition vers un pouvoir prorusse à Kiev. La Russie a dejà déployé 80 % de ses forces terrestres disponibles, insuffisantes pour occuper le territoire ukrainien mais capables d’exercer une pression maximale sur le Donbass. Par ailleurs, la modernisation de l’artillerie terrestre n’a pas été prise en compte lors de la réforme des armées russes de 2010, qui a privilégié l’armée de l’Air, la Marine et les troupes aéroportées, en vue de frappes de précision et d’actions en profondeur. Celles-ci, dirigées contre les aéroports et les structures de commandement, visent à réduire les dommages collatéraux et les capacités de contre-offensive. L’évaluation de la situation en Ukraine a conduit à déclencher une « guerre locale » par une « opération militaire spéciale », comme l’intervention en Syrie (depuis 2015).

Loïc Salmon

Ukraine : conflit reconfiguré et vu d’Asie et du Moyen-Orient

Ukraine : sous-estimations stratégiques de la Russie

Proche-Orient : retour en force de la Russie dans la région

 




Terrorisme islamiste

La radicalisation islamiste, à caractère sectaire, cible, notamment en Europe, des jeunes sensibles à la frustration et au désir de revanche sociale, mais sans pour autant présenter des pathologies graves susceptibles de les repérer et d’anticiper leur comportement.

Les mouvements « salafistes », partisans d’un retour à « l’islam des origines » se réfèrent à l’obédience sunnite pour qui l’interprétation du Coran est close depuis le IXème siècle. Le salafisme « djihadiste », dont se réclame Daech (État islamique), prône le combat armé et légitime le terrorisme et les attentats- suicides contre ceux qui attentent à la communauté musulmane dans son ensemble, mais aussi contre les « faux » musulmans qui ont une interprétation de l’islam considérée comme dévoyée. Les sunnites constituent la plus grande partie de la population des pays des Proche et Moyen-Orient : 90 % en Arabie Saoudite ; 90 % au Qatar ; 90 % en Jordanie ; 85 % en Égypte ; 80 % aux Émirats arabes unis ; 75 % en Syrie ; 70 % au Koweït ; majoritaires dans les Territoires palestiniens ; 35 % en Irak ; 30 % à Bahreïn ; 30 % au Liban. Les représentants du régime syrien actuel pratiquent, en majorité, le chiisme alaouite, très tolérant envers les autres religions et dénué de prosélytisme. En conséquence, les femmes alaouites sont généralement plus libres que celles des autres obédiences musulmanes et atteignent un niveau d’éducation plus élevé que les autres femmes sunnites. Pourtant, des femmes, musulmanes d’origine ou occidentales converties, rejoignent les rangs de Daech, à la suite d’une consultation quotidienne des réseaux sociaux djihadistes, qui les convainquent de leur rôle essentiel de mères de futurs combattants. En raison du climat de méfiance et de suspicion à l’égard des musulmans consécutif aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, les groupes islamistes radicaux ont prospecté de fertiles viviers parmi les diasporas musulmanes en Europe, où elles sont moins prospères et plus confinées dans des ghettos qu’en Amérique du Nord : immigrants récents, immigrants de la deuxième génération qui n’ont pas su s’intégrer et même des professionnels instruits. Le discours djihadiste vise à leur faire sentir que leur appartenance à la communauté musulmane est plus importante que celle de leur pays d’accueil. Les individus de nombreux groupes ethniques, culturels et religieux (le leur ou celui de leurs ascendants) restent en effet profondément préoccupés par ce qui touche leur pays d’origine. En outre, pour contourner les mesures de sécurité et internationaliser leur combat, les groupes islamistes ciblent de plus en plus les convertis, capables de se déplacer librement en Europe, Asie et Amérique du Nord sans éveiller les soupçons et prêts à accepter des missions dangereuses, pour prouver leur nouvel engagement. Enfin, les réseaux islamistes utilisent des vecteurs d’influence : les médias, à savoir vidéos de propagande sur internet, magazines d’information, retransmissions de discours et de prêche ; « think tanks » (cercles de réflexion) avec des organisations représentatives connues de l’islam, utilisées souvent à leur insu ; organisations non gouvernementales communautaristes qui, sous couvert d’actions humanitaires, établissent et renforcent des réseaux d’informateurs et de recruteurs ; groupes de pression liés à l’islam et agissant aux niveaux politique et administratifs locaux pour faire adopter des mesures allant dans le sens de certains principes de la charia.

Loïc Salmon

Terrorisme djihadiste : prédominance de la dimension psychoculturelle

Le piège Daech

L‘Égypte en révolutions

« Terrorisme islamiste » par Jean-Christophe Damaisin d’Arès. Éditions JPO, 104 pages, 9,90 €.




OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Le resserrement du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine est perçu par l’OTAN comme déstabilisateur de l’ordre international. Pour les Etats-Unis, l’importance de la présence navale française dans la zone indopacifique contribue de façon significative à la sécurité régionale.

Un document de l’OTAN, rendu public lors du sommet des 29-30 juin 2022 à Madrid, réactualise le concept stratégique de 2010. Le 11 juillet, une source de l’Etat-major de la Marine française a indiqué les perspectives navales avec les Etats-Unis. Le même jour, l’Etat-major des armées (EMA) a exposé la situation du conflit en Ukraine.

Situation en Ukraine. Les gains territoriaux au Nord de la Crimée et à l’Ouest du Donbass augmentent (stries rouges sur la carte). Selon l’EMA, les frappes russes (astérisques jaunes) demeurent intenses sur toute la ligne de front et dans la profondeur, surtout sur le Donbass, et ciblent à nouveau les régions de Sumy et Chernihiv. L’artillerie ukrainienne vise les dépôts logistiques russes. Sur le front Nord, les frappes ont repris au Nord-Ouest et les combats se poursuivent autour de Kharkiv (1). Sur le front Est, les forces russes poursuivent leur offensive, lente et méthodique, vers les localités de Sloviansk et Kramatorsk. Les forces ukrainiennes tiennent leurs lignes de défense (2). Sur le front Sud, la situation s’est stabilisée. Les forces ukrainiennes font face aux dernières lignes de défenses russes dans les régions de Kherson et Zaporizhia, ciblant leurs approvisionnements sur leurs arrières (3). Selon la source navale française, cette guerre permet d’exploiter les erreurs de la Russie et d’évaluer ses capacités tactiques terrestre et navale (Île aux Serpents). Elle souligne le risque de chantage alimentaire en Afrique, en raison du contrôle russe de la mer Noire. Au 11 juillet, la Russie avait tiré plus de 1.000 missiles de croisière, dont une centaine depuis la mer. En conséquence, la Marine française portera ses efforts sur la lutte contre les drones et le brouillage des communications.

Russie et Chine. Pour l’OTAN, la Russie constitue la principale menace pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique. Avec des moyens conventionnels, cyber ou hybrides, elle tente d’exercer un contrôle direct et d’établir des sphères d’influence par la coercition, la subversion, l’agression et l’annexion. Brandissant la menace nucléaire, elle modernise ses forces nucléaires et développe de nouveaux vecteurs à capacités conventionnelle et nucléaire aux effets perturbateurs. Outre la déstabilisation des pays situés à l’Est ou au Sud du territoire de l’Alliance atlantique, elle entrave la liberté de navigation dans l’Atlantique Nord, zone d’acheminement de renforts militaires vers l’Europe. Son intégration militaire avec la Biélorussie et le renforcement de son dispositif militaire en mer Baltique, mer Noire et Méditerranée sont considérés comme portant atteinte à la sécurité et aux intérêts des pays de l’Alliance atlantique. Toutefois, estimant ne pas présenter une menace pour la Russie, l’OTAN ne cherche pas la confrontation et souhaite maintenir des canaux de communications pour gérer et réduire les risques, éviter toute escalade et accroître la transparence. Par ailleurs, selon l’OTAN, la Chine renforce sa présence dans le monde et projette sa puissance par des moyens politiques, économiques et militaires. Elle cible notamment les pays de l’Alliance atlantique par des opérations hybrides ou cyber malveillantes, une rhétorique hostile et des activités de désinformation. Elle tente d’exercer une mainmise sur des secteurs économiques et industriels clés, des infrastructures d’importance critique, des matériaux (terres rares) et des chaînes d’approvisionnements stratégiques. En outre, elle sape l’ordre international fondé sur des règles, notamment dans les domaines spatial, cyber et maritime (entraves à la liberté de navigation).

NRBC, cyber, technologies, climat. Selon l’OTAN, des Etats et des acteurs non-étatiques hostiles recourent à des substances ou des armes chimiques, biologiques radiologiques ou nucléaires, qui menacent la sécurité des pays de l’Alliance atlantique. Ainsi, l’Iran et la Corée du Nord poursuivent leurs programmes d’armement nucléaire et de missiles. La Syrie, la Corée du Nord, la Russie et des acteurs non-étatiques ont déjà employé des armes chimiques. La Chine développe son arsenal nucléaire à un rythme soutenu et met au point des vecteurs de plus en plus sophistiqués. Dans le cyberespace, théâtre d’une contestation permanente, des acteurs malveillants essaient d’affaiblir la défense de l’OTAN en cherchant à endommager des infrastructures d’importance critique, perturber le fonctionnement des services publics, dérober des renseignements, voler des contenus soumis à la propriété intellectuelle ou entraver des activités militaires. En outre, des pays compétiteurs stratégiques et des adversaires potentiels de l’OTAN investissent dans des technologies émergentes ou de rupture, capables d’endommager ses capacités spatiales, et de cibler ses infrastructures civiles ou militaires. Enfin, multiplicateur de crises et de menaces, le changement climatique provoque une montée du niveau des mers et des feux de végétations, désorganisant des sociétés. Souvent appelées à intervenir en cas de catastrophe naturelle, les forces armées doivent désormais agir dans des conditions climatiques extrêmes.

Zone indopacifique. Face à la Chine, les Etats-Unis ont besoin d’Alliés, indique la source navale française. Ils ont pris en compte l’implantation de la France dans la zone indopacifique, car ils partagent avec elle la même prudence vis-à-vis de la Chine, la nécessité de la prévention des combats dans la région et le souhait d’y limiter le développement des activités militaires. Depuis la seconde guerre mondiale, la Marine américaine domine les océans. Mais la Marine chinoise développe ses capacités de mener des opérations de coercition et de se déployer dans le monde, comme l’a démontré l’escale d’une frégate chinoise à Bata (Guinée). Elle a mis au point un porte-avions à catapulte et son avion spécifique et a loué des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) russes de la classe Akula. Autre alliée des Etats-Unis dans la région, l’Australie a annulé le contrat de sous-marins avec la France pour se tourner vers eux. Or le taux de remplacement dans la Marine américaine est passé de 2 unités par an à 1 par an, repoussant à 2040 la perspective pour l’Australie de prendre livraison de SNA opérationnels, à prélever sur la flotte américaine. Pour se renforcer dans le Pacifique, les Etats-Unis ont réduit de 70 % leur présence dans l’océan Indien, compensée par celle de la France, dont la posture stratégique dans la zone indopacifique complique l’analyse géopolitique de la Chine.

Interopérabilité navale. Selon la source navale française, des arrangements techniques entre les Marines américaine et française portent sur la validation, à différents niveaux, des systèmes d’informations concernant le commandement, les sous-marins et l’avion de chasse F-35 C. La 4ème génération de ce dernier en augmentera la furtivité, mais la 5ème entraînera un comportement différent, enjeu de la coordination avec le Rafale Marine

Loïc Salmon

Union européenne : présidence française, acquis de la défense

Ukraine : hégémonie navale russe en mer Noire

Stratégie : l’action de la France dans la zone indopacifique




Moyen-Orient : situation complexe et perspectives

Région stratégique et sous tension, le Moyen-Orient reste le théâtre de crises ou de conflits sans solution durable, malgré les récentes interventions de coalitions internationales conduites sous l’égide des États-Unis.

Il a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 27 octobre 2016 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale et animée par Renaud Girard, grand reporter au Figaro, chroniqueur international et écrivain.

Visions occidentales. En 1991, la guerre du Golfe, entreprise pour libérer le Koweït envahi par l’armée irakienne, est suivie de la Conférence de Madrid en vue d’une paix entre Israël et les pays arabes. Cet espoir, concrétisé par les accords d’Oslo en 1993, est anéanti après l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin deux ans plus tard par un extrémiste juif.  Pendant les deux mandats de George W.Bush (2001-2009), les néo-conservateurs américains ont imaginé un grand « Moyen-Orient démocratique », libéré des dictatures. Ils ont choisi l’Irak, pays très aphabétisé et qui, pensaient-ils, aspirait à la démocratie. Selon eux, l’Irak devait, après la chute de Saddam Hussein, répandre cette valeur par osmose parmi les nations arabes. La paix avec Israël s’ensuivrait, car les États démocratiques ne se font pas la guerre. En 2003, Renaud Girard se trouve à Bagdad pendant l’intervention de la coalition internationale conduite par les États-Unis contre l’Irak (à laquelle la France n’a pas participé). Il s’entretient avec le Premier ministre Tarek Aziz, qui lui déclare : « Nous n’avons pas d’armes de destruction massive ! » Une famille irakienne indique ne pas craindre les bombardements américains, car plus précis qu’en 1991, mais redoute l’anarchie. Quoique chiite et opposé au régime, son chef lui précise : « Nous ne sommes pas prêts pour la démocratie. » De fait, les élections qui suivent la guerre provoquent des clivages : les chiites votent pour les chiites, les sunnites pour les sunnites et les Kurdes pour les Kurdes. Les néo-conservateurs américains ont cru que le pire était la dictature, alors que c’est la guerre civile… qui éclatera en 2006, souligne Renaud Girard. Pour eux, la justice et la démocratie l’emportent sur la paix, tandis que les néo-réalistes pensent le contraire. Le « printemps arabe » de 2011 laisse augurer une démocratisation dans la région. Mais l’organisation islamique des « Frères musulmans » veut en profiter pour prendre le pouvoir. En Égypte, le président Mohamed Morsi, qui en est membre, nomme gouverneur de Louxor le chef d’un mouvement terroriste, qui y avait tué 60 touristes allemands quelques années auparavant. Après la première guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne exercent une tutelle sur les territoires arabes de l’ex-Empire ottoman. Après la seconde, elles s’en retirent pour donner naissance à la Syrie, au Liban et à l’Irak. De leur côté, les États-Unis ont conclu des accords avec l’Arabie saoudite (sunnite) et l’Iran (chiite). En 1956 après la nationalisation du canal de Suez et en accord avec l’URSS, ils mettent un terme à l’intervention militaire franco-israélo-britannique en Égypte. Après l’abandon du Chah en 1979, leurs relations avec Téhéran se sont détériorées jusqu’à l’accord sur le nucléaire iranien en 2015. Aujourd’hui, l’Occident préfère laisser les pays arabes s’organiser eux-mêmes.

Vers une nouvelle donne. Le Moyen-Orient est passé de la tolérance au fondamentalisme religieux, sous l’emprise d’Al Qaïda et de Daech, explique Renaud Girard. Longtemps, l’Empire ottoman n’a pas tenté d’éradiquer les autres religions. Mais au XIXème siècle, les puissances occidentales concluent avec lui des traités pour protéger les minorités chrétiennes. Le génocide arménien de 1915 sera motivé par des raisons politiques : le gouvernement turc reproche aux Arméniens d’être favorables à l’ennemi russe. La population grecque orthodoxe ne sera expulsée de Constantinople qu’en 1922. Aujourd’hui, les chrétiens ne constituent plus un facteur politique au Moyen-Orient, sauf au Liban où ils ont résisté pendant 15 ans aux Palestiniens. Autre caractéristique de la région, le sentiment national prime sur la solidarité religieuse tant que le régime est fort. Ainsi pendant sa guerre contre l’Iran (1980-1988), l’Irak de Saddam Hussein a pu compter sur la fidélité des soldats chiites. Mais aujourd’hui, l’influence de l’Iran y dépasse celle des États-Unis. Même si la monarchie saoudienne se fragilise, celles des Émirats arabes unis se maintiennent. En Syrie où l’armée a déjà perdu 80.000 hommes tués par Daech, le sentiment national reste fort parmi la bourgeoisie et les minorités chiite et alaouite. Si le régime de Bachar el-Assad avait accepté de rompre son alliance avec l’Iran, l’Arabie saoudite l’aurait soutenu, estime Renaud Girard. Selon le Haut commissariat des nations unies aux réfugiés, la guerre civile a, entre 2011 et février 2016, déplacé 13,5 millions de personnes, dont près de 4,6 millions dans les pays voisins surtout en Turquie, (2,5 millions), au Liban (1 million), en Jordanie (635.00) et en Irak (245.000). Dans le monde arabo-musulman, l’esprit national s’affaiblit dès que disparaît le dictateur qui se prétend le père de la nation, comme en Libye après Kadhafi et en Irak après Saddam Hussein. Toutefois, le Kurdistan ne devrait pas voir le jour, en raison des divisions entre les Kurdes eux-mêmes et de la volonté des grandes puissances de ne pas « casser » la carte du Moyen-Orient actuel. En matière d’intervention extérieure, les États-Unis préfèrent exercer une influence plutôt que d’envoyer des soldats sur le terrain. Pour eux, l’importance de cette région diminue, en raison de l’exploitation du gaz de schiste sur leur sol et de leur stratégie en Asie. Par contre, la Russie est devenue incontournable. Elle s’est réconciliée avec la Turquie et soutient la Syrie pour conserver un accès aux mers chaudes, avec la possibilité d’escales à Tartous. L’axe Moscou-Damas, solide depuis 50 ans, souligne sa fidélité à ses alliés, contrairement aux États-Unis qui ont abandonné Moubarak pendant la révolution arabe de 2011. Enfin, elle entend protéger les chrétiens d’Orient, dont les deux tiers sont orthodoxes.

Loïc Salmon

Israël : réagir à toute menace directe pour continuer à exister

Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

Turquie : partenaire de fait au Proche et Moyen-Orient

En octobre 2016, le régime syrien dispose de 650 pièces d’artillerie anti-missiles, 1.000 missiles sol-air, 365 avions de combat et 2 frégates. Les États-Unis déploient 1.000 hommes et des avions F16 en Jordanie, 4 navires de guerre et des sous-marins en Méditerranée et utilisent 2 bases en Turquie (Ismir et Incirlik, armée de l’Air), 1 aux Émirats arabes unis (Marine), 1 au Qatar (Marine) et 1 à Bahreïn (Marine). La France déploie 700 hommes et 6 Rafale dans les Émirats arabes unis, 7 Mirage 2000 à Djibouti et le groupe aéronaval en Méditerranée. La Grande-Bretagne utilise la base aérienne d’Akrotiri à Chypre et déploie quelques navires en Méditerranée. L’OTAN dispose des bases d’Incirlik, de Naples, de Sigonella (Sicile) et de Souada (Crète). La Russie peut utiliser les bases syriennes de Tartous (Marine) et de Hmeimim (armée de l’Air). Parmi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont approuvé l’intervention de la coalition internationale en Irak et en Syrie, à laquelle la Russie et la Chine ont opposé leur veto.




Marines : défense et déni d’accès

Recours à l’espace, technologie de pointe, interopérabilité et combat collaboratif constituent les objectifs des Marines. Pour éviter toute surprise stratégique, Chine, Russie, Iran et Syrie misent sur l’interdiction maritime de zones.

Ces thèmes ont été abordés au cours d’un colloque organisé, le 17 octobre 2022 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et la Sogena (Société d’organisation et de gestion d’événements navals dont le salon Euronaval à Paris). Sont notamment intervenus : Philippe Gros, maître de recherche à la FRS ; Xavier Mesnet, directeur du segment naval chez Thales ; Didier Alary, consultant et chercheur à la Chaire Sirius (droit et management du secteur spatial).

L’espace. Les constellations de satellites, reliées entre elles et aux centres de contrôle terrestres, permettent de mener une guerre avec une très forte élongation en temps réel, souligne Didier Alary. Elles intègrent la géolocalisation par ondes radio fréquences et la liaison tactique 16 de l’OTAN et peuvent envoyer des données ISR en une minute. A partir de cinq satellites connectés, il est possible de repérer un navire qui n’a pas allumé son système d’identification automatique AIS, pourtant obligatoire depuis 2007. Cryptables, les communications spatiales par laser restent difficiles à intercepter.

L’interdiction maritime. Les opérations navales prennent en compte les dimensions multi-milieux et multi-champs, explique Philippe Gros. L’interopérabilité des différentes unités navales est rendue difficile par l’hétérogénéité de la planification et de la mise en œuvre des moyens. La connectivité pourrait être améliorée sur le plan technique, mais l’écart culturel et cognitif persiste entre les personnels des différents domaines. Sur le plan stratégique au niveau international, il s’agit de faire converger les futurs « clouds de combat » (mise en réseau, facteur de la supériorité informationnelle et décisionnelle), tout en préservant sa propre base industrielle et technologique de défense. Le partage d’informations reste hautement sensible dans les opérations cyber. L’échelle du temps varie selon les opérations, de la conception à la planification et la conduite. Ainsi dans le cyber, une action défensive vise un effet immédiat, mais une action offensive recherche un effet différé pour exercer une influence. Une manœuvre navale ou terrestre dure des heures, des jours ou des semaines, mais une manœuvre aérienne des heures ou des jours. Si les contre-mesures électroniques durent de quelques minutes à plusieurs semaines, les tirs de missiles surface-surface, air-surface ou surface-air se limitent à la minute. Toutefois, un consensus se dégage sur les procédures et méthodes pour rechercher des effets conjoints et réorganiser le C2 (commandement et conduite). Cela implique d’améliorer la préparation opérationnelle commune et la planification des opérations interarmées.

La Chine. Selon Philippe Gros, la stratégie navale chinoise a évolué vers la défense au large, puis les opérations en haute mer, le contrôle de la mer de Chine et de la mer Jaune et le déni d’accès à la mer des Philippines et au-delà. Depuis 2015, elle y ajoute la protection des mers lointaines par des missions de projection à moyen terme. En cas de conflit, tous les domaines seront mis en œuvre pour des opérations de déni d’accès naval à longue distance. D’énormes moyens ISTAR (renseignement, surveillance, ciblage et reconnaissance) cibleront les unités américaines et alliées sur terre (radars transhorizon), dans les airs (avions de patrouille maritime et drones) et dans l’espace (imagerie et constellations de satellites militaires Yaogan). Les missiles balistiques antinavires MRBM DF-21D seront tirés de la terre. Le déni d’accès aérien sera assuré par les bombardiers H-6K/G, chasseurs bombardiers Flanker/JH-7 équipés de missiles supersoniques antinavires YJ-12 (portée jusqu’à 400 km), subsoniques LP YJ-100 (800 km) et peut-être hypersoniques CH-AS X-13 (4.500 km). L’action sous la mer serait réalisée par les sous-marins à propulsion diesel-électrique et quelques sous-marins nucléaires d’attaque équipés de missiles supersoniques YJ-18 ASCM. Les bâtiments de surface seraient réservés au contrôle de la mer de Chine et aux opérations autour de Taïwan. Les porte-avions, les destroyers de la classe 052D et les croiseurs « tueurs de porte-avions » 055 permettraient une projection de puissance. La coordination de l’ensemble nécessite une importante préparation opérationnelle commune.

La Russie. La fortification du littoral jusqu’à 1.000 km au large et le déni d’accès des approches maritimes se trouvent au cœur de la stratégie navale russe, explique Philippe Gros. Il s’agit de protéger les bases de la Force océanique stratégique dans le Nord et le Pacifique et de soutenir les engagements en mer Noire et en Méditerranée. L’aviation navale ou les forces aérospatiales (créées en 2015) assurent en priorité le déni d’accès. La défense côtière repose sur des flottilles de corvettes et frégates et des missiles antinavires basés à terre. Toutefois, la Russie n’a pas développé de capacités de ciblage au-delà de 500 km. La guerre en Ukraine a entraîné un usage intensif de missiles, dont les stocks se reconstituent mal en raison des sanctions occidentales qui affectent l’industrie de défense russe. Par ailleurs, la mer Noire joue un rôle crucial dans le conflit : contrôle naval par la Russie ; défense aérienne du flanc Sud-Ouest du théâtre ; missiles Kalibr, tirés de navires de surface ou de sous-marins sur le territoire ukrainien ; menace d’une opération amphibie russe contre le port ukrainien d’Odessa. La flotte côtière ukrainienne a été anéantie. Mais la force navale russe a subi des revers : croiseur Moskva coulé ; 3 à 7 navires amphibies détruits ou endommagés ; 5 patrouilleurs coulés. Ces pertes sont dues aux drones ukrainiens armés TB2 et aux tirs d’artillerie depuis le territoire ukrainien.

L’Iran. Selon Philippe Gros, les moyens navals iraniens se répartissent entre la Marine conventionnelle et la Garde côtière du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Il s’ensuit un grave déséquilibre face à la supériorité des flottes conventionnelles américaine et alliées présentes. La stratégie du CGRI porte sur la dissuasion par l’interdiction maritime via la guerre hybride jusqu’à l’engagement de haute intensité, avec des sous-marins de poche, des dizaines de bateaux rapides équipés de missiles et des centaines d’embarcations rapides légèrement armées. En outre, le CGRI dispose de forces aérospatiales équipées de missiles antinavires, de moyens ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), de drones armés, de munitions rôdeuses (drones suicides) jusqu’à quelques centaines de km et de lance-roquettes multiples à courte portée Exercices et infrastructures durcies et enterrées complètent le dispositif.

La Syrie. La Méditerranée, zone instable, se trouve sous la menace probable de « l’arc de résistance chiite », dirigé par l’Iran et la Syrie, et éventuellement d’autres puissances régionales, indique Philippe Gros. Moyens ISR, drones armés et missiles antinavires constituent une ligne de défense de plusieurs centaines de km, suffisante pour gêner une opération amphibie. Plus tard, la menace sera accrue par diverses proliférations : moyens de saturation des systèmes de missiles terrestres ; liaisons satellitaires commerciales de plus longue portée ; missiles hypervéloces ; nouveaux missiles antinavires. Enfin, d’autres pays de la région pourraient étendre un déni d’accès à plus de 1.000 km avec des moyens aériens.

Loïc Salmon

Le combat naval collaboratif implique le développement des drones armés et des armes à énergie dirigée, indique Xavier Mesnet. Il nécessite aussi la sécurisation du drone (cyberattaques) et de la transmission des bonnes informations qui doivent arriver au commandement au bon moment (capacité de calcul). Dans la lutte anti-sous-marine, la miniaturisation des sonars immergés à grande profondeur, réalisée grâce à la technologie quantique, réduit leur consommation d’énergie.

Marines : se préparer au combat naval de haute intensité

Marines : outils de sécurité, du Moyen-Orient à l’océan Indien

Chine : risque de conflit armé dans le détroit de Taïwan




Proche-Orient : retour en force de la Russie dans la région

La Russie pratique, au Proche-Orient, une politique étrangère fondée sur le calcul des forces en présence et ses propres intérêts, selon une approche économique, militaire et culturelle.

Forte de ses relations avec la Syrie, l’Egypte, la Turquie, l’Iran, Israël, le mouvement Hezbollah au Liban et celui du Hamas dans la bande de Gaza, elle engage un bras de fer avec l’Occident. Tel a été le thème d’une conférence-débat organisée, le 21 février 2017 à Paris, par l’Institut des relations internationales et stratégiques. Y sont intervenus : Igor Delanoë, Observatoire franco-russe ; Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France en Russie ; Jean-Paul Chagnollaud, Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient.

Une nouvelle donne. En 1991, la Russie a restructuré sa politique au Proche-Orient avec pragmatisme et sans l’idéologie du temps de l’URSS, explique Igor Delanoë. Elle y trouve d’abord un intérêt économique, fait nouveau, par la vente d’armement et d’énergie, à savoir nucléaire, gazière ou pétrolière.  Sur le plan sécuritaire, elle s’inquiète de la prolifération d’armes de destruction massive, de leur capacité et du risque de les voir utilisées contre elle. En conséquence, elle coopère avec les Etats-Unis pour maîtriser la dissémination d’armements dans la région, interdire les armes chimiques en 2013 et parvenir à un accord sur le programme nucléaire iranien en 2015. Enfin, elle veut disposer de cartes dans le jeu géopolitique du Moyen-Orient, face à l’Occident. Pour tenter de résoudre la crise israélo-palestinienne, elle a tenté, sans succès, de tenir une conférence à Moscou avec les deux parties. Elle essaie alors de réussir un dialogue entre les factions palestiniennes, en vue de favoriser l’émergence d’un seul interlocuteur pour faire avancer le dossier. Elle parvient à maintenir en Egypte des contacts avec les Frères musulmans (mouvement salafiste) et le président Abdel Fattah al-Sissi, depuis les printemps arabes de 2011. Ceux-ci, selon elle, découlent des « révolutions de couleur » précédentes : « rose » ou « des roses » en Géorgie (2003), « orange » en Ukraine (2004), « rose » ou « des tulipes » au Kirghizistan (2005), « bleue » ou « en blue jean » en Biélorussie (2005) et « du cèdre » au Liban (2005), qui ont porté au pouvoir des gouvernements pro-occidentaux. La crise actuelle en Libye résulte de l’opération occidentale menée par la France et la Grande-Bretagne contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi, qui n’aurait pu avoir lieu si la Russie avait opposé son veto au Conseil de sécurité de l’ONU. S’estimant dupée, elle l’a opposé 6 fois depuis et la Chine 2 fois. En Syrie, ses intérêts nationaux la poussent à une solution politique, à savoir une médiation avec l’Iran et la Turquie pour compléter la conférence de Genève sous l’égide de l’ONU. Selon Igor Delanoë, ce « triangle » devrait disparaître à la fin du conflit. En effet, la Turquie ne souhaite pas que la Russie se rapproche trop des Kurdes, qui revendiquent une entité transfrontalière laïque, valeur mal perçue au Moyen-Orient. Par ailleurs, Turquie, Iran et Irak s’opposent à la création d’un Etat kurde au détriment d’une partie de leur territoire. Partisane d’une décentralisation du pouvoir en Syrie, la Russie semble plus attachée à sa structure étatique qu’à la personne du président Bachar el-Assad qui, pour l’Iran, caractérise un Etat central fort. Le rapprochement de la Russie vers l’Iran et la Turquie vise à résoudre la situation au Nord de la Syrie et celui vers Israël à éviter des incidents de frontière. De son côté, la Chine craint le retour des Ouïghours partis combattre avec Daech et susceptibles de déstabiliser la province du Xinjiang à leur retour. Elle propose de participer à la reconstruction de la Syrie par le biais de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures.

Constance et intermittences. La Russie n’a jamais quitté le Moyen-Orient depuis la chute de Constantinople en 1453, quand elle s’est autoproclamée « troisième Rome », rappelle Jean de Gliniasty. La guerre de Crimée (1853-1856) l’a opposée à l’Empire ottoman, allié à la France et la Grande-Bretagne. Après 1945, l’URSS, disposant de ses propres ressources pétrolières, soutient les nationalismes arabes au détriment des partis communistes locaux pour des raisons politiques. Malgré l’expulsion d’Egypte de ses 20.000 conseillers en 1972, elle parvient à conserver son influence en Syrie. La guerre du golfe (1991), menée par une coalition internationale pour libérer le Koweït envahi par l’Irak, marque son éviction politique de la région, confirmée par les accords d’Oslo entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (1993). Mais elle préserve sa présence économique par la vente d’armement par les entreprises russes, affectées par la baisse du budget militaire national. Entre 2000 et 2015, ses échanges commerciaux ont décuplé. Vu de Moscou, la rupture des relations diplomatiques des pays occidentaux (hors Etats-Unis) avec la Syrie dès le début de la crise leur a fait perdre leur crédit et toute possibilité de dialogue. Pour sauver le régime de Bachar el-Assad, dont elle estime qu’il fait partie de la solution politique, la Russie est intervenue militairement (frappes aériennes) pour l’aider à reconquérir Alep. Par la suite, un bombardement américain a fait échouer un accord de cessez-le feu. Pour la Russie, sa réconciliation avec la Turquie lui donne un atout « sunnite » face au monde « chiite » dominé par l’Iran. Selon Jean de Gliniasty, Daech constitue un facteur d’unification de la coalition internationale et de la Russie. Mais, toute action militaire contre le régime syrien, passant outre à un veto russe à l’ONU, affaiblirait le Conseil de sécurité.

Incertitudes occidentales. Selon Jean-Paul Chagnollaud, le conflit syrien a conduit à la consolidation d’un régime totalitaire avec des implications : judiciaires par le nombre de victimes (voir encadré) ; politiques par celui des personnes réfugiées et déplacées (idem) et une société fracturée entre les anti et pro-régime ; existentielles, car le régime lutte pour sa survie. Avec l’envoi de 10.000 combattants sur le terrain, l’Iran se proclame première puissance régionale. Outre sa maîtrise de l’espace aérien, la Russie a remporté des succès diplomatiques. Les pays occidentaux se sont trouvés marginalisés, comptant sur la diplomatie sans l’action militaire.

Loïc Salmon

Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

Turquie : partenaire de fait au Proche et Moyen-Orient

Arabie Saoudite : retour du sacré dans les relations internationales

Le conflit armé en Syrie a causé plus de 400.000 morts entre mars 2011 et septembre 2016, selon plusieurs organisations non gouvernementales. La moitié de la population a été déplacée et plus de 5 millions de Syriens ont fui le pays. Les mouvements rebelles sont soutenus notamment par l’Arabie Saoudite, la Turquie, le Qatar et les Etats-Unis ainsi que le Front Al-Nosra, branche syrienne de l’organisation djihadiste Al-Qaïda. Le régime syrien a reçu les renforts du Hezbollah, mouvement politique et militaire chiite libanais, et des brigades islamistes chiites irakiennes et étrangères ainsi que l’appui militaire de l’Iran et de la Russie. L’Etat islamique (Daech), en guerre contre tous les belligérants depuis 2014, est devenu la cible des frappes aériennes de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis. Enfin, les Kurdes du parti PYD et de sa branche armée YPG combattent pour l’autodétermination du Rojava, territoire autonome de fait dans le Nord et le Nord-Ouest de la Syrie.