Recherche stratégique : de l’anticipation à la réponse

L’anticipation, le plus en amont possible, d’une surprise stratégique, toujours inévitable, permet d’en limiter la portée. L’importance cruciale de la recherche stratégique se manifeste surtout en période de bouleversement.

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 25 janvier 2017 à Paris, par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la Défense. Y sont intervenus : Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense ; François-Joseph Ruggiu, Institut des sciences humaines du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI) ; Olivier Darrason, président de la Compagnie européenne de l’intelligence stratégique (CEIS).

Recherche prospective. Le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale a sous-estimé la dimension et l’impact de quatre développements majeurs, estime Jean-Yves Le Drian. D’abord, le djihadisme présente une virulence idéologique et une hyperviolence, associées au caractère totalitaire du projet de l’Etat islamique (Daech). Ensuite, certains Etats généralisent l’intimidation stratégique : la Russie par l’annexion de la Crimée, la remise en cause des frontières européennes et un réarmement accéléré ; la Chine et la Corée du Nord par leurs démonstrations de force. En troisième lieu, les règles et cadres multilatéraux s’affaiblissent : mise en cause profonde de l’Union européenne (« Brexit » britannique) ; respect limité de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques au Moyen-Orient. Enfin, la mondialisation déstabilise les électorats du monde occidental (chômage persistant). L’Histoire s’accélère avec l’interconnexion croissante des hommes et des biens, qui entraîne une mondialisation de la violence. Rien qu’en 2014, la France a dû gérer simultanément les opérations de ses forces armées dans la bande sahélo-saharienne, les conséquences de la guerre dans le Donbass (Est de l’Ukraine) et la proclamation du califat djihadiste au Levant (Daech). Le ministre de la Défense retient trois caractéristiques de l’évolution de l‘environnement international depuis son entrée en fonctions en 2012. D’abord, l’imprévisibilité des acteurs majeurs le rend hétérogène et instable à un niveau inégalé depuis la fin de la guerre froide (1991). Ensuite, les menaces irrégulières et asymétriques fluctuent sans disparaître. Parallèlement, réapparaissent les dangers conventionnels du haut du spectre des capacités militaires, associées à des actions de subversion et sur fond de menace nucléaire. Enfin, l’imprévu domine l’environnement stratégique. Constante de l’histoire militaire, la surprise stratégique entraîne une révision de la posture ou de la politique d’un Etat. Jean Yves Le Drian en tire deux conclusions : le croisement des « grandes tendances » et des « petites causes » crée l’incertitude ; la rupture stratégique se constate après coup, en mesurant l’implication des événements. La recherche prospective est multiforme : opérationnelle par l’Etat-major des armées ; géostratégique par la DGRIS ; technologique par la Direction générale de l’armement (DGA). Elle s’appuie aussi sur une recherche et une expertise stratégiques indépendantes et soutenues par le « Pacte Enseignement Supérieur » (encadré). L’Ecole de guerre et le Centre des hautes études militaires développent des liens avec le monde universitaire. L’Institut des hautes études de défense nationale renforce ceux avec le monde civil dans le cadre de « l’approche globale ». Toutefois, remarque Jean-Yves Le Drian, celle-ci n’est pas encore mise en pratique à l’Ecole nationale d’administration, qui forme les hauts fonctionnaires.

Résilience globale. Suite à l’intervention au Mali (2013) et aux attentats terroristes en France (2015), le ministère de la Défense a renforcé et réformé les organisations et dispositifs existants pour réduire l’impact des surprises. La fonction « connaissance et anticipation » (renseignement, espace, cyberdéfense et forces spéciales) a vu son budget passer de 1,7 Md€ en 2012 à plus de 3 Md€ en 2017, rappelle Jean-Yves Le Drian. La résilience doit s’améliorer en permanence, à savoir le cyber et la protection des infrastructures critiques du pays. La modernisation des composantes navales et aériennes de la dissuasion nucléaire préservera, en toutes circonstances, les intérêts vitaux de la nation et la liberté d’action du président de la République. Un outil militaire, aussi complet et autonome que possible permet d’anticiper au mieux et en temps réel, d’absorber le choc de la surprise et de s’adapter, tout en conservant les bases d’une montée en puissance en cas de ruptures stratégiques. Par ailleurs, le « label d’excellence » a été lancé pour susciter et accompagner une filière universitaire d’études stratégiques en France, alliant rigueur scientifique et débouchés professionnels. A terme, il permettra de financer des centres de recherches à hauteur de 1,5 M€ par projet sur 5 ans renouvelables.

Cas de recherches opérationnelles. Peu après les attentats de 2015 en France, le CNRS a rédigé un rapport sur la radicalisation islamique dans ses perspectives historique, religieuse et sociale, indique François-Joseph Ruggiu. A la demande des autorités publiques, un appel à projets interdisciplinaires (sciences humaines, nanotechnologies, informatique etc.) a été lancé auprès de ses chercheurs, afin de comprendre la situation puis de se protéger à l’avenir. Ces fonctionnaires anglophones, sont motivés par le service de l’Etat et le retour des résultats de leurs travaux vers la société. Le CNRS a conclu des accords avec la DGRIS, la DGA et la Direction du renseignement militaire. Des ateliers thématiques traitent de la Russie, de la Syrie, de l’Iran et du Sahel. De son côté, l’IFRI analyse les structures politique, économique, médiatique et académique dans une logique de compréhension des contraintes pesant sur les pouvoirs publics, explique Thomas Gomart. Ses chercheurs vont sur le terrain, parlent à tout le monde et maîtrisent le débat sur un sujet donné. Recrutés pour 3 ans, ils organisent des tables rondes mensuelles, publient des documents de recherche et se confrontent à des questionnements non rationnels. Par exemple, partant du constat que la Russie profite du chaos actuel, l’IFRI examine notamment son travail d’influence, ses cibles et se perceptions en vue d’exploiter le désarroi démocratique occidental. Par ailleurs, la CEIS emploie une centaine de chercheurs qui fournissent des notes rapides et des études complètes sur des sujets concernant le cyber et demandés par la DGRIS, indique Olivier Darrason. Ses missions incluent : le pilotage de projets ; l’animation du centre de recherches de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr et de chaires universitaires ; la veille auprès d’une cinquantaine d’entreprises. Elle doit aussi développer la recherche internationale, répondre aux besoins en prospective et accélérer la recherche stratégique et son rayonnement. Selon Olivier Darrason, la relative pauvreté de la recherche stratégique sur le cyber en France contraste avec les efforts considérables entrepris sur ses aspects techniques et technologiques.

Loïc Salmon

Recherche stratégique : comprendre, analyser, expliquer

Géopolitique : le chaos d’aujourd’hui, dérive logique de la mondialisation

Stratégie : les menaces sans frontières d’aujourd’hui

 

Le 25 janvier 2017 à Paris, une convention a été signée entre la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la Défense, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et la Conférence des présidents d’université (CPU). Elle porte sur les coopérations scientifiques entre eux et au profit de la communauté des enseignants-chercheurs, afin de donner un cadre précis de développement aux recherches sur les questions de défense et de sécurité. Elle s’inscrit dans le « Pacte enseignement supérieur », placé sous l’égide de la DGRIS et qui inclut : un budget annuel de 2,5 M€ ; une aide financière à 40 chercheurs chaque année ; 3 centres labellisés « Centre d’excellence » ; 1 groupement d’intérêt scientifique « défense et stratégie » ; 1 club de partenaires privés.




Marines : outils politiques et de projection de puissance

La capacité d’intervenir n’importe où à partir de la mer garantit le statut de grande puissance militaire. Parmi les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, seuls les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne en disposent. Les opérations amphibies ont évolué techniquement, mais présentent des constantes historiques.

Martin Motte, professeur à l’Ecole de guerre, l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 5 juin 2019 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine.

La voile et le feu. Un vaisseau de haut bord, qui emporte des canons et des vivres pour plusieurs mois, pèse 32 fois plus qu’une galère, obligée de s’approvisionner tous les jours (voir encadré). Son artillerie, complétée par les bombes d’une galiote à faible tirant d’eau pour s’approcher d’un port fortifié, peut servir à une action de rétorsion, comme lors du bombardement d’Alger par la Marine française en 1682. Son propre tirant d’eau, supérieur à 7 m, l’empêchant de s’approcher d’une plage, il s’ensuit une disjonction entre combat naval et mise à terre de troupes au moyen de chaloupes, comme à Louisbourg (Amérique du Nord) par une force britannique en 1745. Le débarquement, plus ou moins long selon les fonds, peut bénéficier de l’appui feu du vaisseau contre la plage, mais inefficace contre des fortifications trop élevées. Toutefois, une opération amphibie s’avère hasardeuse si le vent change de direction. Ainsi, en 1758, des navires britanniques bombardent Saint-Malo, tandis que d’autres peinent à débarquer puis rembarquer une force expéditionnaire à Saint Gast, écrasée par l’armée française. L’année suivante, le colonel britannique Thomas Molyneux élabore une théorie de l’opération amphibie et recommande : l’attribution du commandement de la force à la mer à un amiral puis, à terre, à un général ; un entraînement spécifique ; une opération de diversion pour créer la surprise sur le lieu de débarquement ; la constitution d’une batellerie spécifique pour le transfert d’une compagnie complète ; l’appui feu par des canonnières au plus près de la plage ; l’échelonnement des vagues de débarquement avec un officier de plage, dès la première vague, pour coordonner les déplacements des troupes et de la logistique. Ces principes seront appliqués avec succès par la Marine britannique, lors de la prise de Québec en 1759 et la 3ème bataille d’Aboukir en Egypte en 1801, et par les forces alliées en Normandie en 1944.

L’ère industrielle (1850-1945). Les inventions techniques, à savoir armes à répétition, véhicules motorisés et indépendance du vent, renforcent la projection de puissance par mer. Les flux logistiques croissent pour les approvisionnements, les munitions, le charbon et le pétrole. Chemins de fer et automobiles améliorent la mobilité du des opérations à terre et en raccourcissent le temps. De 75.000 hommes au début de la guerre de Crimée (1854-1855), les effectifs passent à 140.000 hommes à ravitailler tous les jours au siège de Sébastopol. La flotte franco-britannique de 855 cuirassés parvient à détruire les forts russes, pourtant dotés de canons de gros calibres. Face à des armées locales moins bien équipées, France et Grande-Bretagne se taillent des empires coloniaux, mais perdent leur savoir-faire amphibie. La stratégie de déni d’action et de zone s’amorce à partir de 1880 avec la révolution de la défense du littoral par mines, sous-marins et torpilles capables de couler des cuirassés. Ainsi, l’expédition franco-britannique des Dardanelles en 1915 échoue : trois cuirassés coulés par des mines ; troupes transportées par péniches blindées, mais décimées par les mitrailleuses et canons à tir rapide turcs. Les pertes atteignent 60 %, contre 10 % à Omaha Beach en 1944. L’opération allemande « Albion » en Estonie en 1917, facilitée par des photos aériennes, déploie avec succès 24.000 hommes aguerris face à des troupes russes démotivées par la révolution bolchévique. En 1921, le colonel américain Earl Hellis, modernise les principes de Molyneux : liaison radio pour la coordination ; renforcement de la puissance de feu ; compétence pour gérer les troupes débarquées ; rapidité des mouvements sur la plage. Le débarquement de 13.000 Espagnols à Alhucemas (Al Hoceima), en 1925, combine l’appui feu aérien et les chars d’assaut contre 16.000 Marocains. Les grands débarquements de la guerre du Pacifique entre 1942 et 1945 et de Normandie en 1944 incluent : destruction des infrastructures terrestres pour annuler la mobilité de l’ennemi ; matériels nouveaux ; construction de ports artificiels.

L’amphibie aujourd’hui. Les opérations amphibies continuent pendant les guerres d’Indochine (1945-1954), de Corée (1950-1951), du Viêt Nam (1954-1975) et des Malouines (1982). Depuis la fin de la guerre froide (1991), le littoral devient un enjeu social, par la concentration des populations, et économique avec les prospections d’hydrocarbures offshore. Pour éloigner la menace de ses côtes, la Chine tire les leçons des opérations amphibies franco-britanniques du XIXème siècle, constitue un périmètre défensif de chaînes d’îles et d’atolls, correspondant aux conquêtes japonaises de1941-1942, et installe des missiles à terre et sur des navires. Dans le Pacifique, les Etats-Unis déploient porte-avions et sous-marins avec missiles de croisière. En cas de crise et à distance des missiles chinois, ils ajouteraient des bateaux-robots puis des navires d’assaut amphibie avec des hydroglisseurs et des appareils hybrides V-22 Osprey, combinant l’hélicoptère et l’avion, pour des poser d’assaut plus précis qu’un largage de parachutistes (photo). L’opération franco-britannique « Harmattan » en Libye en 2011, avec hélicoptères mais sans débarquement de troupes, a présenté un coût politique. Pour la France, le porte-hélicoptères amphibie de classe Mistral, transformable en navire-hôpital pour aider une population sinistrée, constitue un vecteur d’influence.

Loïc Salmon

Depuis l’Antiquité, le contrôle des passages et des îles s’avère primordial en mer de Chine, Baltique et Méditerranée. Le pseudo-Xénophon (- 130 avant JC) théorise l’opération amphibie par la capacité à débarquer, combattre et rembarquer très vite. Une galère de guerre athénienne se déplace à 10 km/h, contre 5 km/h pour un fantassin avec son équipement de 30 kg. Au Moyen-Age, le cheval devient plus important que le fantassin, car il permet de combattre plus rapidement à terre. Le débarquement des Normands en Angleterre, le 25 septembre 1066, s’effectue sans perte, car la bataille d’Hastings se déroulera trois semaines plus tard. Par la suite, l’action amphibie s’accompagne d’un épuisement de l’adversaire à terre par des tirs d’arbalètes et de balistes. Ainsi, pour prendre Constantinople, les Croisés débarquent au Nord-Est de la ville le 5 juillet 1203 et, avec les trébuchets transportés par mer, bombardent les troupes byzantines sur la plage, prennent le contrôle de l’estuaire de la Corne d’Or et attaquent simultanément la ville par le Nord-Est, côté terre, et le Nord-Ouest, côté mer. En Normandie en 1944, la percée d’Avranches par les armées alliées, six semaines après le débarquement du 6 juin, permet la reprise du port de Cherbourg, indispensable à la logistique.

Les Français du jour J

Libye : retour d’expérience de l’opération Harmattan

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer




Corée du Nord : « royaume ermite » et facteur de crise en Asie du Nord-Est

Pays au régime totalitaire et dynastique, la Corée du Nord inquiète la communauté internationale, en raison de ses essais nucléaires et balistiques menaçants. Pourtant, la pérennité d’une péninsule coréenne coupée en deux a convenu, jusqu’à aujourd’hui, à ses grands voisins de l’océan Pacifique.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 27 mars 2017 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont intervenus : Barthélémy Courmont, maître de conférences à l’Université Catholique de Lille ; Juliette Morillot, rédactrice en chef adjointe du média électronique Asialyst.

Dialogue en panne. Barthélémy Courmont s’est exprimé à cette occasion et dans une interview publiée le 10 mars par Asialyst. Depuis le début de 2017, les essais de missiles nord-coréens, quoique critiqués par la communauté internationale et surtout sanctionnés économiquement par les principaux acteurs de la région, sont tombés en mer sans présenter d’amélioration technique depuis plusieurs années. La Corée du Nord semble ainsi vouloir affirmer sa détermination et sa capacité de menace, en réponse à ce qu’elle perçoit comme des atteintes à sa souveraineté, à savoir les manœuvres militaires américano-sud-coréennes annuelles et l’installation progressive du bouclier antimissile THAAD américain en Corée du Sud. Par ailleurs, le projet international KEDO de développement de l’énergie nucléaire dans la péninsule, initié par Pékin en 1994 contre l’abandon par Pyongyang de tout programme nucléaire militaire, a été gelé en 2003 après le retrait de la Corée du Nord du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Depuis, la multiplication des essais nucléaires nord-coréens a conduit à la suspension des négociations multilatérales entre les deux Corées, la Russie, le Japon et la Chine sur les meilleures conditions pour diminuer la menace nord-coréenne. En 2002, Pyongyang avait ouvert la zone industrielle de Kaesong à des entreprises sud-coréennes qui, en 2012, réalisaient 400 M$ de chiffre d’affaires et y employaient 50.000 Nord-Coréens. Cette zone a été fermée par Séoul en février 2016, à la suite de l’essai nucléaire du 6 janvier. Selon Barthélémy Courmont, la Chine reste le seul pays susceptible de faire pression sur la Corée du Nord, alors qu’elle ne comptait pas 15 ans auparavant dans les discussions diplomatiques dominées par les Etats-Unis. A la suite de la dernière campagne de tirs de missiles en 2017, la Chine a annoncé des sanctions économiques, notamment sur les produits miniers nord-coréens. Toutefois, le « statu quo » apparaît comme la meilleure solution pour toutes les parties. En effet, une réunification de la péninsule aurait un coût financier très élevé, que seule la Chine pourrait assumer, et ôterait toute justification à la présence militaire américaine, situation difficilement acceptable par Washington. Par ailleurs, comme 50 millions de personnes vivent au Sud du 38ème parallèle et 25 millions au Nord, une réunification équivaudrait à une extension de la Corée du Sud, démocratique. Mais celle-ci changerait alors de nature par suite des votes massifs des Nord-Coréens et la désaffection des Sud-Coréens à l’égard du personnel politique.

La rationalité de Pyongyang. Juliette Morillot a présenté la vision de la situation par le régime de Pyongyang. Les deux Corées n’ont toujours pas signé de traité de paix depuis l’armistice de 1953. Celle du Nord se sent donc encore en guerre et sous la menace directe des Etats-Unis, qui avait installé des armes nucléaires en Corée du Sud de 1958 à 1991 pour dissuader le Nord de développer un arsenal nucléaire. La doctrine officielle, dite « Juche », repose sur l’autosuffisance économique et défensive et vise à hisser le pays au niveau des grandes puissances, l’arme nucléaire constituant une véritable assurance-vie. La Corée du Nord veut d’abord un traité de paix sur la péninsule en préalable à toute discussion sur sa dénucléarisation, alors que les Etats-Unis exigent l’inverse. Elle souhaite aussi un pacte de non-agression avec les Etats-Unis et un accord sur le nucléaire civil, similaire à celui avec l’Iran (2015). Devenue une puissance nucléaire, elle revendique une reconnaissance diplomatique. Pyongyang veut un dialogue direct avec Séoul et une relation bilatérale avec Washington et refuse la conférence multilatérale à 6, considérée comme un « tribunal » (Corées du Nord et du Sud, Etats-Unis, Japon, Russie et Chine). En fait, estime Juliette Morillot, tous les pays de la région souhaitent le maintien du « statu quo ». Pour le Japon, une péninsule réunifiée et nucléarisée justifierait son réarmement, actuellement freiné par un sentiment antinippon latent dans la région depuis la seconde guerre mondiale. Lassée des rêves nationalistes, la Corée du Sud n’a guère envie d’une réunification, surtout sa jeunesse qui voit la Corée du Nord comme un pays étranger dont elle ne perçoit pas la menace. La Chine conserve une attitude ambiguë. Pour se maintenir dans le concert des nations, elle condamne la Corée du Nord à l’ONU et vote les sanctions, contournées à leur frontière commune. En outre, elle préfère un « Etat-tampon » à une péninsule unifiée  et « américanisée ». Elle ne souhaite guère la constitution d’un bloc nucléaire à proximité : Corée du Nord mais aussi Japon et Corée du Sud sous l’égide des Etats-Unis. Pyongyang se méfie de Pékin et redoute un conflit armé avec Séoul…sous le commandement réel de Washington. Ses diplomates jouent sur l’ambiguïté régionale pour assurer la survie du régime. Enfin, son dirigeant, Kim Jong-Un jouit d’une relative popularité, en raison de l’amélioration des conditions de vie de la population par rapport à l’époque de son père où la famine avait sévi. La Russie se sent menacée par l’installation du bouclier antimissile américain THAAD et veut créer un pôle économique régional. Washington justifie la présence de 30.000 soldats en Corée du Sud et au Japon par la volonté expansionniste de Pékin en mer de Chine orientale, notamment sur les îles Senkaku sous contrôle japonais depuis 1895 et revendiqué par Taïwan et la Chine. Sous l’administration de Barack Obama (2009-2017), les « faucons » américains parlaient peu, mais depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, ils préconisent une frappe préventive contre la Corée du Nord.

Loïc Salmon

La Corée du Nord (en 100 questions)

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Défense antimissile : surtout protection des forces, moins celle des populations

Séparée de la Corée du Sud par une zone démilitarisée (DMZ) de 238 km le long du 38ème parallèle, la Corée du Nord a une frontière commune de 1.416 km avec la Chine et se trouve à 1.000 km au Nord-Ouest du Japon. Elle est dirigée depuis sa fondation par les Kim, de père en fils : Kim-Il Sung, de1948 à 1994 ; Kim Jong-Il, de 1994 à 2011 ; Kim Jong-Un, depuis 2011. Fortement minée, la DMZ est surveillée par 700.000 soldats nord-coréens et 410.000 militaires sud-coréens appuyés par des éléments de la 2ème Division d’infanterie américaine, conformément au pacte de sécurité conclu entre les Etats-Unis et la Corée du Sud. L’unique point de passage, dénommé « Joint Security Area », se trouve sous le contrôle de l’ONU. Disposant d’une force armée de 9,5 millions de personnels, la Corée du Nord développe des programmes nucléaire et spatial.




Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

Aligné ni à l’Est ni à l’Ouest, l’Iran inquiète les pays occidentaux et ceux de la région. Même si l’accord sur son programme nucléaire est durablement respecté, il lui faudra une dizaine d’années pour regagner la confiance de la communauté internationale.

Tel est l’avis de François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran. Il l’a développé lors d’une conférence-débat organisée, le 14 avril 2016 à Paris, par le Forum du futur et l’association Minerve EMSST.

Bilan de la « révolution islamique ». Commencée en 1979, la révolution iranienne a connu le même cycle que les révolutions française (1789) et russe (1917), explique François Nicoullaud. Un mouvement populaire renverse le monarque absolu (Shah), suivi d’un affrontement entre les factions (« progressistes » contre « religieux ») et d’un régime de terreur qui transforme la société en profondeur. Une guerre extérieure (1980-1988), provoquée par l’Irak qui profite du désordre intérieur en Iran, entraîne un ralliement de la population au régime et une levée en masse de combattants pour défendre la patrie en danger. Le calme et la paix revenus, la révolution islamique veut imprimer son empreinte sur le monde musulman en créant le « parti de Dieu » (Hezbollah), qui promeut l’idéal d’un islam rénové (chiisme) en Irak, au Liban et en Arabie Saoudite. Chantre de l’anti-impérialisme, elle veut défendre tous les musulmans et surtout l’entité palestinienne, « meilleur pays musulman », contre Israël, « qui doit disparaître de la carte du monde ». Le chiisme a été imposé en Iran, par la force au XVIème siècle, par la dynastie safavide pour se démarquer des Ottomans, qui s’étaient proclamés « califes » du monde musulman. Aujourd’hui, c’est une façon de se distinguer de la majorité du monde arabe sunnite. En effet, les Iraniens se considèrent indo-européens et non pas sémites comme les Arabes. La révolution islamique a été le paroxysme de l’État-Nation, auquel les Iraniens sont très attachés car il manifeste leur volonté d’indépendance. Le développement de l’industrie nucléaire est un moyen d’être considéré comme un grand pays moderne. Au final, la révolution islamique présente un bilan mitigé, estime l’ambassadeur Nicoullaud. Sur le plan intérieur, les « ayatollahs » (dignitaires chiites) ont triomphé au nom de la lutte contre le pouvoir corrompu du Shah et des dirigeants des pays arabes voisins. Or, aujourd’hui, le régime est gangréné par la corruption, accélérée par l’embargo international à l’origine du développement d’une économie parallèle. A l’extérieur, les idéaux islamiques révolutionnaires n’ont guère atteint le succès espéré, même en recourant au terrorisme, à l’exception du Hezbollah libanais. En revanche, l’Iran a obtenu des succès d’opportunité. En Irak (2003-2011), les États-Unis ont renversé le régime laïc de Saddam Hussein pour le remplacer par un gouvernement chiite. En Afghanistan (2001-2014), la coalition internationale sous l’égide de l’OTAN a affaibli les talibans dans la partie occidentale du pays, devenue de fait un protectorat iranien. Enfin, l’accord de Vienne sur le dossier nucléaire a mis fin à la paralysie politique de l’Iran (encadré). De leur côté, les pays musulmans sunnites du Moyen-Orient observent avec inquiétude l’extension des minorités chiites : Yémen ; région pétrolière de l’Arabie Saoudite ; Bahreïn ; Émirats arabes unis ; Koweït ; Sud de l’Irak, avec les réserves pétrolières de Bassorah ; Liban, avec le Hezbollah ; Syrie, où domine la secte alaouite considérée comme chiite. En raison de l’affaiblissement de la Turquie et de l’Égypte, l’Arabie Saoudite constitue le principal adversaire de l’Iran, qui s’oppose à elle partout où il le peut.

Perspectives stratégiques. De 1979 à 1990, le régime des ayatollahs a légitimé le terrorisme comme l’arme du faible au fort contre les pays occidentaux (prises d’otages et attentats au Liban) et pour éliminer ses opposants. Il a envoyé des conseillers militaires auprès des divers Hezbollahs. Celui de Syrie, qui compte 10.000 soldats en 2016, est aidé par des conseillers techniques qui ne participent pas aux combats. En Iran même, l’armée doit défendre les frontières terrestres et le territoire national. Les « pasdarans » (miliciens gardiens de la révolution islamique) protègent les approches maritimes et effectuent éventuellement des opérations spéciales à l’extérieur. L’aviation militaire, datant de la chute du Shah, est devenue obsolète et les moyens de projection de forces n’existent pas. En conséquence, l’Iran a développé des missiles à longue portée, de plus en plus performants et capables de représailles en cas d’attaque extérieure. En matière nucléaire, il applique totalement l’accord de Vienne. En revanche, les États-Unis ne lèvent pas les sanctions commerciales et financières antérieures à 2010, relatives au soutien de l’Iran au terrorisme et à son non-respect des droits de l’Homme. Une éventuelle rupture de l’accord, par l’administration américaine issue de l’élection présidentielle de novembre 2016, pourrait inciter l’Iran à relancer son programme nucléaire militaire, avertit l’ambassadeur Nicoullaud. Selon lui, l’Iran serait alors capable de monter, sur ses missiles balistiques, des ogives nucléaires en 3 ans et de réaliser leur miniaturisation en 6 ans. Mais en cas de rupture de l’accord par l’Iran, celui-ci s’exposerait à des sanctions plus sévères et même à des frappes militaires de la part des États-Unis, qui ont déjà déclaré ouvertes toutes les options. En outre, souligne l’ambassadeur, une rupture de l’accord de Vienne déclencherait une crise sérieuse avec l’Union européenne, la Chine et la Russie, qui l’ont également conclu. Selon le ministère français des Affaires Étrangères, les restrictions imposées par cet accord nécessiteraient, pour l’Iran, au moins un délai d’un an pour accumuler la matière indispensable à une bombe à uranium enrichi, s’il décidait de développer l’arme nucléaire. L’obtention du plutonium est rendue encore plus lointaine et difficile, car il faudrait réactiver le réacteur de la centrale d’Arak, dont le cœur a été retiré et où du béton a été coulé conformément à l’accord de Vienne, selon le rapport de janvier 2016 de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Enfin, si l’accord est scrupuleusement respecté, l’Iran ne pourra pas « être proche » de l’arme nucléaire pendant 10 à 15 ans.

Loïc Salmon

Iran : retour difficile sur la scène internationale

Arabie saoudite : prédominance au Moyen-Orient menacée

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

L’accord sur le dossier nucléaire iranien a été conclu le 14 juillet 2015 à Vienne entre l’Iran, l’Allemagne, la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Il prévoit une levée progressive des sanctions des États-Unis et de l’Union européenne à l’encontre de l’Iran, pour l’essentiel après 2010 (secteur financier, énergie et transports). Il porte sur l’accès à la matière nucléaire, sa militarisation et la mise d’un engin nucléaire sur un vecteur. Les vérifications sont effectuées par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Le nombre de centrifugeuses IR-1 est limité à 5.060 pendant 10 ans. Les restrictions sur le niveau et la localisation des activités d’enrichissement, les stocks d’uranium enrichi, le retraitement et l’interdiction de certaines activités liées à la militarisation d’une arme nucléaire durent 15 ans. Le Conseil de sécurité de l’ONU restera saisi pendant 10 ans. Enfin, le mécanisme de retour automatique des sanctions sera en vigueur pendant 15 ans.




Napoléon stratège

Napoléon a indirectement enseigné l’art de la guerre à ceux qu’il a affrontés et battus, favorisant ainsi leurs propres victoires ultérieures avec des conséquences politiques. La capitulation de Paris en 1814 a entraîné sa première abdication et la défaite de Waterloo, en 1815 après les Cent-Jours, la seconde.

L’archiduc autrichien Charles (1771-1847) combat, sans succès, le jeune général Bonaparte pendant la campagne d’Italie (1797). Président du Conseil de guerre en 1801, il propose un plan détaillé de la réorganisation globale de l’armée. Nommé ministre de la Guerre et de la Marine, il procède à de nombreuses réformes, inspirées de celles mises en œuvre en France depuis la Révolution. Généralissime, il est vaincu par Napoléon à Eckmühl (1809), puis remporte la victoire d’Essling un mois plus tard. Cette première grande défaite de l’armée napoléonienne est compensée, après quelques jours, par la victoire de Wagram. L’archiduc prend alors une retraite anticipée (à 38 ans !) et rédige ses réflexions dans un ouvrage sur la stratégie, dont Napoléon entendra parler lors de son exil à Sainte-Hélène. Bien qu’il ait effectué l’essentiel de sa carrière contre l’Empire ottoman, le général russe Koutouzov (1745-1813) est rappelé en 1805 à la tête d’une avant-garde pour soutenir les troupes autrichiennes. Malgré une infériorité numérique, Napoléon remporte alors la grande victoire d’Austerlitz le 2 décembre, jour anniversaire de son sacre. En juin 1812 lors de la campagne de Russie, Koutouzov, nommé commandant en chef des forces russes, affronte la Grande Armée à Borodino en septembre. Cette bataille, connue en France sous le nom de la Moscowa, est gagnée par Napoléon au prix de lourdes pertes. Elle lui ouvre les portes de Moscou, désertée par ses habitants. L’incendie de leur capitale par les Russes contraint l’armée impériale à la retraite. La rigueur de l’hiver et la tactique de harcèlement par les cosaques et les partisans, choisie par Koutouzov, achèvent de la décimer. Le général anglais Wellington (1769-1852) a séjourné neuf ans en Inde britannique, où il a compris l’étroite imbrication entre buts militaires et ambitions politiques. Pendant la guerre d’Espagne (1808-1814), les nations européennes coalisées contre la France lancent une contre-offensive à partir du Portugal. Nommé à la tête du corps expéditionnaire britannique en 1809, Wellington sait exploiter les erreurs des généraux et maréchaux français en l’absence de Napoléon, reconnaissant qu’il aurait été battu dans le cas contraire. Il l’affronte directement à Waterloo, rassuré par l’arrivée imminente de renforts prussiens. Sa réputation de vainqueur de l’Empereur servira la carrière diplomatique et politique de Wellington, qui deviendra Premier ministre (1828 à 1830). Le général prussien Blücher (1742-1819) contribue, en 1813, à transformer un simple conflit entre la Prusse et la France en une guerre de libération de l’Allemagne entière de l’hégémonie française. La victoire des Coalisés à Leipzig à l’issue de la « Bataille des Nations », la même année, brise le contrôle de Napoléon sur l’Europe centrale. Comme lui, Blücher avait compris qu’une bataille, susceptible d’emporter la décision, ne doit être livrée que dans de bonnes conditions. Pendant ses campagnes de 1813-1815, ses manœuvres audacieuses et inattendues déconcertent l’Empereur, obligé de réagir au lieu de prendre l’initiative. Il ressemble au général Bonaparte de la campagne d’Italie !

Loïc Salmon

Exposition « Napoléon stratège » aux Invalides

Napoléon à Sainte-Hélène, la conquête de la mémoire

« Napoléon stratège », ouvrage collectif. Éditions Lienart/Musée de l’Armée, 304 pages, 29 €




Le cyberespace : enjeux géopolitiques

Les cyberattaques gênent les opérations militaires, mais ne les remplacent pas. Derrière le flou de la ligne de partage entre la guerre et la paix se profilent des enjeux militaires, financiers et… démocratiques !

C’est ce qu’ont expliqué les professeurs Frédérick Douzet (géopolitique, Université Paris 8) et Kavé Salamatian (informatique, Université de Savoie), au cours d’une conférence organisée, le 27 septembre 2012 à Paris, par la chaire Castex de cyberstratégie (fondation d’entreprise EADS).

Les représentations géopolitiques. La stratégie repose sur la représentation de la réalité, que perçoivent les acteurs politiques d’un pays et qui varie d’un continent à l’autre. Le cyberespace est la représentation d’une menace pour un territoire qui, pour un Etat, est délimité par des frontières et sur lequel il exerce sa souveraineté (lois, sécurité, intérêts économiques, rivalités et coopérations régionales). Ce qui est acceptable dans certains pays ne l’est pas dans d’autres. Tout est une question de rapports de forces techniques et juridiques, précise Frédérick Douzet. Deux visions s’opposent. L’une, d’origine américaine, concerne un espace d’échanges sans frontières ni contrôle. L’autre, d’origine chinoise, porte sur un territoire à contrôler pour manifester sa puissance. Actuellement, une quarantaine d’Etats exercent un contrôle sur l’internet capté chez eux, afin de réaffirmer leur souveraineté. Il s’ensuit parfois des contradictions avec les valeurs que ce pays défend, comme la liberté d’expression et la protection de la vie privée. De petits acteurs non étatiques (pirates isolés et organisations diverses) émergent face à la supériorité des grandes puissances militaires. Cette perception d’une menace diffuse sur le territoire peut déterminer des orientations stratégiques. Ainsi, les Etats-Unis, qui ont pris conscience de leur vulnérabilité après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, ont mal ressenti la montée en puissance de la Chine et son développement de l’internet dans les années 2000. En effet, à partir de 2009, des attaques contre des réseaux et des entreprises américaines provoquent un emballement médiatique. Le cyberspace est présenté comme une menace par la hiérarchie militaire, le complexe militaro-industriel et le monde politique. Cette rhétorique alarmiste, souligne Frédérick Douzet, constitue la représentation d’une catastrophe imminente et contre laquelle il faut se prémunir, comme la menace nucléaire et avec les mêmes dégâts en termes de destructions militaires et économiques. Dès mai 2010, est créé le « US Cybercom » ou Commandement américain chargé de la sécurité des systèmes d’information et des opérations militaires dans le cyberespace. Un an plus tard, les Etats-Unis déclarent que les cyberattaques seront considérées comme des actes de guerre. Pourtant, leur gouvernement n’est pas unanime sur la question. De son côté, l’institution américaine à but non lucratif Rand Corporation qualifie les cyberattaques « d’armes de perturbation massive », susceptibles de causer des dégâts matériels importants, mais sans faire autant de victimes que des missiles à tête nucléaire. De plus, comment riposter contre un ennemi difficile à identifier avec certitude ou dépourvu d’infrastructures s’il n’est pas un Etat ? Mais, les enjeux sont considérables : capacité à élaborer une stratégie cohérente et efficace ; investissements en recherche et développement ; sécurité des personnes.

Des attaques très onéreuses. Kavé Salamatian définit la cyberstratégie comme l’art de diriger, coordonner et positionner ses forces dans l’espace de l’internet, afin d’atteindre des objectifs. Il est possible de couper l’internet d’un pays qui dispose d’un poste centralisé avec des connexions et qui a procédé à une réflexion stratégique. Les Etats-Unis ont effectué cette réflexion pour certains pays. L’Iran, qui a mené à terme cette réflexion, a quitté la connexion italienne pour celle de la Russie, qui assure 60 % de son trafic. En 2010, plusieurs de ses sites industriels avaient été victimes du ver informatique « Stuxnet », mis au point conjointement par Israël et… les Etats-Unis, dont la participation a été découverte en avril 2012. Aujourd’hui, l’Inde, la Chine et la France ont la capacité de réaliser le Stuxnet. Selon François Géré, l’administration Obama l’a utilisé pour mener une action contre le programme nucléaire iranien, en vue de signifier au gouvernement israélien qu’il est possible de gêner l’Iran sans recourir à une action militaire classique, opinion partagée par les services de renseignements israéliens. Par ailleurs, d’après le professeur Salamatian, les attaques informatiques chinoises contre Google, fin 2009, ont mobilisé trois équipes : une pour l’évaluation de la situation en amont, une pour l’élaboration de l’attaque et une pour l’attaque elle-même. Trois mois se sont écoulés entre chacune de ces actions. Des sommes astronomiques sont dépensées en matériels (« firewalls »), mais peu d’argent est consacré aux travaux de réflexion. De son côté, le professeur Géré indique que la phase de préparation d’une action exige des moyens financiers et humains considérables. Ainsi, il a fallu plusieurs centaines de personnes de haut niveau pour mener avec succès le vol des plans de l’avion polyvalent F-35 du constructeur américain Lockheed Martin. Enfin, selon le professeur Douzet, une cyberattaque abolit le temps et la distance, mais son efficacité repose sur une excellente connaissance du réseau, laquelle prend du temps.

La cybergéographie. L’internet, indique Kavé Salamatian, est un réseau virtuel qui s’étend dans le réel avec des contraintes physiques (fibres optiques et satellites), géopolitiques et économiques (investissements). Malgré la multitude de réseaux, seulement 10 % contrôlent 90 % des connexions. Le Japon concentre 85 % de son trafic grâce à sa langue. La Chine a intégré le cyberespace dans sa stratégie. Enfin, après le Stuxnet, les Etats-Unis ont développé le « Flame », encore plus efficace. La cyberguerre apparaît donc plus comme une gestion de crise qu’une véritable guerre.

Loïc Salmon

Frédérick Douzet (à gauche) est maître de conférences à l’Institut français de géopolitique de l’Université Paris 8, membre junior de l’Institut universitaire de France et membre du comité de rédaction de la revue « Hérodote ». Diplômée de l’Institut d’études politiques de Grenoble et de l’Université de Californie (Berkeley), elle est docteur en géopolitique. Elle a notamment publié, en 2007, un livre intitulé « La couleur du pouvoir. Géopolitique de l’immigration et de la ségrégation à Oakland, Calfornie », couronné par un prix de l’Académie des sciences morales et politiques et de la Société de géographie. Kavé Salamatian (à droite) est professeur à l’Université de Savoie et professeur adjoint à L’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. En 1998, il a obtenu un doctorat sur le « codage conjoint source-canal » pour la visioconférence sur internet. En 2011, il a été nommé, pour cinq ans, membre correspondant de l’Académie des sciences de Chine dans la section informatique et technologie des communications. Le professeur François Géré est également intervenu (voir rubrique « Archives » Cyberdéfense 25-07-2012).




Marine nationale : permanence, Opex et police en mer

Interopérable avec les armées de Terre et de l’Air, la Marine française doit aussi assurer permanence de l’action, polyvalence des moyens, prévision et complémentarité avec les Marines alliées (Union européenne et OTAN).

Son chef d’état-major, l’amiral Bernard Rogel, l’a présentée au cours d’une rencontre organisée, le 10 juillet 2013 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Un théâtre dense. La Marine doit conserver sa cohérence dans un environnement mondial avec des moyens budgétaires restreints. Le trafic commercial maritime mondial a progressé de 40 % en 10 ans, induisant des mesures accrues de sécurité, sauvegarde et protection. En outre, les navires deviennent de plus en plus grands : les derniers porte-conteneurs atteignent 18.000 EVP (400 m de long, 59 m de large et 73 m de haut). Les hydroliennes, qui récupèrent l’énergie des courants marins, constituent autant d’écueils artificiels. L’exploitation des ressources minières en mer augmente : plus de 100 projets de plates-formes ont été lancés en 2012. Enfin, la « territorialisation » de la mer a fait son apparition : certains pays côtiers augmentent la surface de leur plateau continental pour protéger leur accès aux ressources naturelles, créant de fait de nouvelles frontières maritimes. La France s’intéresse aussi à l’océan Arctique : sa Marine s’y entraîne avec les Marines canadienne et norvégienne pour conserver son savoir-faire en zone polaire.

Des missions multiples. La dissuasion, avec dorénavant un seul sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la mer, reste la principale mission permanente de la Marine. Par ailleurs, les crises sont imprévisibles et rapides, rappelle l’amiral Rogel. La présence de bâtiments en Méditerranée orientale, dans le golfe de Guinée et en océan Indien (zones prioritaires) permet de récolter, à la mer, sur la côte et même au-delà, les renseignements indispensables à la connaissance et l’anticipation. Elle permet aussi de lutter contre la piraterie et les trafics illicites. En océan Indien, l’opération « Atalante » de lutte contre la piraterie, sous l’égide de l’Union européenne, est dirigée du Centre de Northwood (banlieue de Londres) par un amiral britannique, secondé par un amiral français. Elle porte ses fruits : le nombre d’attaques réussies est passé de 22 en 2011 à 3 au premier semestre 2013. En outre, 15 équipes de protection (5 à 10 hommes) embarquent sur des navires civils sous pavillon français, après autorisation du Premier ministre. Il s’agit de navires lents, bas sur l’eau et remorquant quelque chose : thoniers, câbliers et navires de recherche sismiques. La Marine assure 80 % des demandes. En revanche, la piraterie augmente dans le golfe de Guinée et change de forme. Ce n’est plus la prise d’un équipage en otage pour en obtenir une rançon comme en océan Indien, mais du brigandage à grande échelle. Au début, les pirates attaquaient les navires de servitude des plates-formes pétrolières offshore. Aujourd’hui, ils capturent les pétroliers eux-mêmes et les vident de leur cargaison pour la revendre. Par ailleurs, la Marine intervient également dans des opérations à l’intérieur des terres. Pendant l’opération « Serval » au Mali (2013), elle a déployé des commandos dans les forces spéciales pour l’intervention au sol et un avion radar de patrouille maritime ATL2 à long rayon d’action pour le renseignement électromagnétique et optique. En mer, l’ATL2 participe à la lutte anti-sous-marine et à la recherche et au sauvetage d’équipages. L’opération « Harmattan » en Libye (2011) a mobilisé 27 bâtiments : sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), frégates, porte-avions, bâtiments de projection et de commandement et chasseurs de mines. L’opération « Baliste » au Liban (2006-2008) avait porté sur l’évacuation de 13.000 ressortissants français et européens. Depuis 2013, des chasseurs de mines sécurisent les routes du pétrole en océan Indien. En outre, la Marine assure l’action de l’Etat en mer. En 2012, elle a contrôlé 9.500 navires civils dont 43 ont été déroutés, dressé 333 procès-verbaux, arrêté 135 passeurs d’immigrants illégaux, sauvé 200 personnes en mer et procédé à 2000 déminages (bombes, torpilles et munitions de la deuxième guerre mondiale). La protection des pêches dans les zones économiques exclusives nécessite une surveillance régulière. La lutte contre le narcotrafic (13 t de drogues saisies en 2 ans, surtout dans les Caraïbes) devient une véritable opération militaire avec un ATL2, une frégate et des commandos.

Un futur complexe. Selon l’amiral Rogel, la conception de la Marine de demain prend en compte deux impératifs : les missions et le temps. Il faudra défendre les frontières pour garantir la souveraineté de l’Etat, alors que des flux croissants de biens, de personnes et de données (cyberdéfense) traversent les frontières en toute liberté. Or, le temps se comprime de plus en plus. A l’époque de la « blogosphère » et des réseaux sociaux, l’information va vite, la réaction politique aussi et le préavis de l’intervention militaire raccourcit : la montée en puissance n’a pris que quelques heures pour les interventions en Libye et au Mali. Il faut donc se prépositionner au plus près et assurer une préparation opérationnelle permanente. Compte tenu du resserrement de son budget, la Marine devra pouvoir se maintenir sur 1 ou 2 théâtres extérieurs, au lieu de 3 auparavant, avec 15 ATL2 modernisés et 40 avions de la chasse embarquée. La coopération avec la Grande-Bretagne  prévoit une force expéditionnaire commune avec 1 porte-avions (français ou britannique), 1 bâtiment amphibie, 1 escorte binationale et 1 état-major binational vers 2020. Les drones à voilure tournante, qui élargissent le périmètre de connaissance autour du bâtiment sans risque de pertes humaines, équiperont les frégates de haute mer dépourvues de plate-forme pour hélicoptère. L’amiral Rogel exclut l’externalisation du sauvetage en mer, qui nécessite des hélicoptères lourds (type Caïman) capables d’intervenir loin, de nuit et par mauvais temps et de rester longtemps en « stationnaire ». Enfin, l’arrivée des missiles de croisière navals à bord des frégates multi-missions (FREMM) et des SNA permettra des frappes dans la profondeur. « On peut les déployer dans une zone de crise, sans augmenter le niveau de crise », conclut l’amiral.

Loïc Salmon

La sécurisation des océans : un impératif mondial

L’appropriation des mers

Marine et Diplomatie

 

La Marine déploie 5.000-7.000 personnels à la mer sur un effectif d’environ 30.000 hommes et femmes. La Loi de programmation militaire en cours (2009-2014) lui a supprimé 6.000 postes. Le Livre Blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale prévoit une enveloppe globale, toutes armées confondues, de 24.000 suppressions d’emplois supplémentaires. La Marine devra donc procéder à une nouvelle déflation d’effectifs, encore à déterminer, tout en fidélisant ses spécialistes de haut niveau (aéronautique et nucléaire).

 




Sécurité : Israël et la France, face au terrorisme islamiste

La France, dans son modèle de société, et Israël, dans son existence même, sont menacés par les organisations terroristes djihadistes, aux modes d’action évolutifs. Leur coopération vise à gagner ensemble la guerre contre l’islamisme et travailler pour la paix.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 9 novembre 2017 à Paris, par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques et l’ambassade d’Israël. Y sont notamment intervenus : Pierre Razoux, historien ; David Harari, expert aéronautique ; Frédéric Charillon, universitaire ; Jean-Louis Bruguière, ancien juge anti-terrorisme (à gauche sur la photo).

Relations diplomatiques. L’Etat d’Israël, créé en 1948, résulte des promesses des déclarations Cambon et Balfour de 1917 (encadré). L’histoire de ses relations avec la France est parsemée de convergences et de divergences, rappelle Pierre Razoux. Jusqu’en 1954, la reconnaissance mutuelle s’avère progressive et complexe. Puissance méditerranéenne, la France veut contrebalancer l’influence de la Grande-Bretagne dans la région, après la perte de sa tutelle sur la Syrie et le Liban. Entrent aussi en ligne de compte le rôle des juifs dans la Résistance, la culpabilité relative à la Shoah et la solidarité entre les gouvernements socialistes de Paris et Tel-Aviv. Entre 1954 et 1962, les relations se renforcent dans la lutte contre le nationalisme arabe (crise de Suez en 1956) et par l’empathie entre les élites dirigeantes. La période 1962-1969 constitue un divorce à l’amiable. La France lance une politique étrangère pro-arabe après la fin de la guerre d’Algérie. Israël développe alors une alliance avec les Etats-Unis. De 1969 à 1982, la position pro-arabe de la France se renforce à la suite du rejet de la colonisation israélienne dans les territoires occupés depuis 1967 et son opposition aux accords de Camp David (1978), conclu entre les Etats-Unis, l’Egypte et Israël. En outre, le raid de l’aviation israélienne (1981) contre le réacteur nucléaire irakien Osirak, construit par la France, souligne le risque de prolifération. Un rapprochement s’effectue entre 1982 et 1996 avec la prise de conscience du droit à la sécurité pour Israël et pour un futur Etat palestinien. Un front commun dans la lutte anti-terroriste s’instaure après les accords d’Oslo (1993) entre les Etats-Unis, Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Un nouveau refroidissement se produit entre 1996 et 2005, après l’échec des processus de Camp David et d’Oslo, la seconde « intifada » (émeutes en Cisjordanie, en Israël et à Gaza) et le soutien de la France à l’OLP. Dès 2006, les deux pays se rapprochent, surtout après les attentats terroristes en France en 2015. Les relations personnelles entre les dirigeants ont pesé pour beaucoup, conclut Pierre Razoux.

Coopération militaire. Lors de la première guerre israélo-arabe de 1948, les Etats-Unis décrètent un embargo sur les armes à destination d’Israël, que seule la France n’applique pas, rappelle David Harari. Ensuite, les deux pays développent des coopérations militaires, industrielles et scientifiques. Des chercheurs israéliens viennent travailler dans les laboratoires de recherche nucléaire français de Saclay jusqu’en 1961, date de la fin de la coopération sur la séparation du plutonium. La centrale de Dimonah, entrée en service en 1963, se trouve à l’origine du programme nucléaire militaire israélien. Dans les années 1950, Israël achète des avions d’entraînement français Fouga Magister, conclut des contrats de maintenance aéronautique avec l’armée de l’Air et acquiert des avions de combat Mystère IV. De retour au pouvoir en 1958, le général de Gaulle autorise la vente des Mirage III, force de frappe décisive lors de la guerre israélo-arabe de 1967. L’embargo militaire qui s’ensuit mène à la constitution d’une industrie militaire israélienne indépendante. Celle-ci construit alors ses propres Mirage V. Lors de la guerre de 1973, grâce aux pièces détachées fournies officieusement par la France, ces avions protègent Israël contre les MiG 21, que l’URSS a fournis aux pays arabes. De leur côté, des vedettes commandées à l’arsenal français de Cherbourg puis détournées (1969) tirent des missiles mer/mer, dont les études avaient commencé en Israël dès 1949. Enfin, malgré les aléas, les services de renseignement français et israéliens ont maintenu leur coopération depuis 1950.

Intérêts stratégiques et sécurité. La France et Israël bénéficient du soutien de leur opinion publique pour leurs interventions extérieures et disposent d’outils performants pour les opérations spéciales, estime Frédéric Charillon. Mais la France, du fait de son interdépendance européenne, doit tenir compte de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne. Pour elle, la menace djihadiste s’avère difficile à cerner, car certains auteurs d’attentats sont de nationalité française. En outre, cette menace est surtout d’origine sunnite pour la France, mais iranienne pour Israël. Ce décalage s’accentue avec la question palestinienne, difficile à aborder avec Israël et les pays arabes. Par ailleurs, Israël vit en quasi belligérance avec l’obligation de protéger les libertés civiles, indique Jean-Louis Bruguière. Après deux ans d’état d’urgence depuis les attentats de novembre 2015, la France s’est dotée d’une loi équilibrant sécurité et protection des libertés. Dans une chaîne légale incontestable par la Cour de justice européenne, la Direction générale de la sécurité intérieure dispose des capacités de police judiciaire et de renseignement. Elle compte sur le temps pour détecter les signaux faibles, à savoir repérer des individus qui préparent un attentat avant qu’ils en soient encore conscients.

Loïc Salmon

Israël : réagir à toute menace directe pour continuer à exister

Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

Terrorisme : évolutions stratégiques et sociologiques

Les prémices de l’établissement d’un Etat juif en Palestine, alors partie de l’Empire ottoman, remontent à la première guerre mondiale. Le 4 juin 1917, Jules Cambon, secrétaire général du ministère français des Affaires étrangères, adresse une lettre à Nahum Sokolow, dirigeant du mouvement sioniste. Il écrit notamment : « Vous estimez que si les circonstances le permettent et l’indépendance des Lieux Saints étant assurée d’autre part, ce serait faire œuvre de justice et de réparation que d’aider, par la protection des Puissances alliées, à la renaissance de la nationalité juive, sur cette terre d’où le peuple d’Israël fut chassé il y a tant de siècles. Le gouvernement français, qui est entré dans cette guerre pour défendre un peuple injustement attaqué, et qui continue la lutte pour assurer la victoire du droit sur la force, ne peut qu’éprouver de la sympathie pour votre cause, dont le triomphe est lié à celui des Alliés. » Le 2 novembre 1917, le secrétaire britannique aux Affaires étrangères, Arthur Balfour, envoie une lettre similaire à Lord Lionel Rothschild, financier du mouvement sioniste, qui sera publiée dans le quotidien Times le 9 novembre. Cette « Déclaration Balfour » stipule : « Le gouvernement de Sa majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politiques dont les juifs disposent dans tout autre pays. »




Dissuasion nucléaire : assurer à la France son indépendance

Le 19 février 2015, le président de la République, François Hollande, a rendu publics les moyens de la dissuasion nucléaire de la France : 300 armes, 3 lots de 16 missiles M51 de la Force océanique stratégique (FOST) et 54 vecteurs air sol moyenne portée (ASMP) des Forces aériennes stratégiques (FAS, armée de l’Air et Marine). Lors d’une visite à la base aérienne d’Istres, il a rappelé que l’arme nucléaire est conçue uniquement dans une stratégie défensive. Toutefois, la composante aéroportée peut, en dernier ressort, marquer la volonté de la France à défendre ses « intérêts vitaux » par un avertissement ayant pour objectif de rétablir la dissuasion et ainsi éviter un engrenage vers les solutions extrêmes. Les forces nucléaires françaises doivent pouvoir infliger des dommages inacceptables sur les centres névralgiques, politiques, économiques et militaires de l’adversaire. Vu l’incertitude du contexte international, la réapparition d’une menace étatique majeure n’est pas exclue. La dissuasion nucléaire vise d’abord à protéger la France de toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. « C’est nous qui décidons, c’est nous qui apprécions nos intérêts vitaux », souligne le chef des armées. Il réaffirme solennellement que « la France n’utilisera pas d’armes nucléaires contre les États non dotés de l’arme nucléaire, qui sont parties au Traité de non-prolifération et qui respectent leurs obligations internationales de non-prolifération des armes de destruction massive ». La France et la Grande-Bretagne coopèrent dans le domaine nucléaire par des expérimentations de simulation dans une installation de chaque pays. Elles contribuent ainsi à la défense de l’Union européenne, ajoute-t-il. Leurs forces stratégiques indépendantes contribuent également à la dissuasion globale de l’Alliance Atlantique. Cependant, la France ne participe pas et ne participera pas aux mécanismes de planification nucléaire de l’OTAN. La complémentarité de la FOST et des FAS permet au chef de l’État de disposer à tout moment de la gamme d’options nécessaires et suffisantes et de ne jamais être tributaire d’un seul type de moyens. La Loi de programmation militaire 2014-2019 vise à : mettre en service la tête nucléaire du missile océanique M51.3 à partir de 2016 ; lancer les études de conception du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de 3ème génération de la FOST ; remplacer, à partir de 2018, les derniers Mirage 2000N par des Rafale emportant le missile ASMP-A (amélioré) ; remplacer la flotte d’avions ravitailleurs KC135 par 12 avions A330 MRTT, dont les 2 premiers seront livrés à partir de 2018 : étudier le successeur de l’ASMP-A. Toutefois, précise le président de la République, « la France ne produit pas et ne produira pas de nouveau types d’armes nucléaires ». Selon lui, la France a démontré que la renonciation complète et irréversible aux essais nucléaires est compatible avec le maintien d’une dissuasion crédible. Il souhaite : l’entrée en vigueur, au plus tôt, du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires ; l’arrêt définitif de production de matières fissiles pour les armes nucléaires. La France va bientôt proposer un projet de traité en ce sens, « ambitieux, réaliste et vérifiable ». Tout accroissement du nombre d’États possédant l’arme nucléaire constitue un risque majeur pour la sécurité internationale, rappelle le président. L’Iran n’a pas démontré sa volonté de renoncer à la bombe atomique, dit-il, et la Corée du Nord a procédé à un 3ème essai nucléaire en 2013.

Loïc Salmon

Dissuasion nucléaire : pertinence pérenne et retombées pour les armées

Dissuasion nucléaire : résultat de la puissance militaire et de l’excellence industrielle

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques




Union Européenne : présidence française, les enjeux de défense

Le renforcement de l’autonomie stratégique de l’Union européenne (UE) constitue une priorité de la présidence de la France au premier semestre 2022.

Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées, et Hervé Grandjean, porte-parole du ministère, l’ont expliqué en conférence de presse le 16 décembre 2021 à Paris.

« Boussole stratégique ». Afin d’éviter un déclassement stratégique, l’UE doit renforcer sa cohésion et sa capacité d’action, souligne Alice Guitton. La présidence française va porter ses efforts sur cinq axes : hausse de l’ambition opérationnelle ; contribution au droit international et préservation de l’accès aux espaces communs contestés ; résilience et solidarité face aux influences extérieures ; souveraineté technologique et industrielle ; rôle mondial par des relations équilibrées et mutuellement bénéfiques. La « Boussole stratégique », initiée sous la présidence allemande (second semestre 2020), qui fixe une vision à l’horizon 2030, a été endossée par les chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres. En outre, elle dispose d’un mécanisme de suivi de sa mise en œuvre par le Conseil européen (composé de la présidence en cours, des dirigeants des 27 Etats membres et de la présidente de la Commission européenne). Ses propositions visent à agir, sécuriser, investir et coopérer. Conformément à l’article 44 du traité de l’UE (1992), il s’agit d’abord d’assouplir le mécanisme de déclenchement des opérations de l’UE concernant les missions de formation et le déploiement rapide d’unités militaires. Un document, examiné en novembre 2021 pendant la présidence slovène du Conseil européen de l’UE, mentionne des forces modulaires jusqu’à 5.000 militaires d’ici à 2025 et l’engagement d’investissement dans les technologies de rupture. Selon Alice Guitton, la sécurisation des espaces maritime, aérien, extra-atmosphérique et cyber se concrétisera par l’élaboration d’une stratégie spatiale d’ici à 2023, le développement d’une cyberdéfense, l’expérimentation de la « Présence maritime coordonnée » et la modernisation de la stratégie maritime de 2014. Pour réduire la dépendance extérieure en matière de technologies et de matériels, l’innovation sera renforcée par la création d’une plateforme dédiée au sein de l’Agence européenne de défense. La coopération avec l’OTAN implique interopérabilité et complémentarité avec celle au sein de l’UE pour appuyer une montée en puissance de la capacité européenne. S’y ajoutent : des partenariats avec des pays d’Afrique et de la zone indopacifique, dont le Japon ; le dialogue avec les pays tiers ; une politique migratoire.

Participations militaires françaises. Le ministère des Armées, rappelle Hervé Grandjean, participe à 50 des 60 projets de la « Coopération structurée permanente », destinée à éviter la duplication des moyens ou des structures dans l’UE. Il a joué un rôle décisif dans le lancement de « l’Initiative européenne d’intervention » et le format de la « task force Takuba » (forces spéciales) au Sahel. De plus, la France participe à deux opérations européennes : « Irini » pour le respect de l’embargo sur les livraisons d’armes à la Libye ; « Atalanta » pour dissuader et réprimer la piraterie au large de la Somalie. Elle s’implique aussi dans des programmes industriels : Système de combat aérien du futur avec l’Allemagne et l’Espagne ; projet terrestre CaMo avec la Belgique ; construction des frégates multi-missions et de la flotte logistique avec l’Italie ; Constellation spatiale optique avec l’Allemagne et la Suède.

Loïc Salmon

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