Défense : les forces morales, la nation et son armée

Israël a riposté militairement à l’agression terroriste de l’organisation islamiste palestinienne Hamas du 7 octobre 2023. Son armée, constituée essentiellement de conscrits et de réservistes, s’appuie sur la cohésion nationale, principale force morale d’un pays démocratique menacé.

Les forces morales ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 15 janvier 2024 à Paris, par le Centre de recherche de Saint-Cyr Coëtquidan (CReC). Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée Bruno Baratz, chef du Commandement du combat futur ; Jean Tenneroni, contrôleur général de armées (2 S) ; Clara Sueid, Institut de recherche biomédicale des armées ; le chef d’escadrons Erwan de Legge de Kerlean, Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.

Des aspects militaire et stratégique. La guerre, confrontation de deux sociétés et de deux volontés, s’articule entre le peuple, les forces armées et le gouvernement, souligne le général Baratz. Le renforcement des forces morales de la nation constitue un sujet d’intérêt militaire, car les armées expriment l’ordre social dont elles émanent. L’ardeur des combattants reste intimement mêlée à la psyché collective de ceux qu’ils protègent. Une nation, qui aurait perdu tout esprit de défense, devrait disparaître, faute de défenseurs. Au centre de l’efficacité opérationnelle, les forces morales des soldats leur permettent d’affronter la violence des combats avec le pouvoir exorbitant de donner la mort. L’acceptation de risquer leur vie repose sur la certitude de leur engagement. En France, la suspension du service national et la bascule vers une armée de métier ferment la parenthèse de la nation en armes et des citoyens soldats, sous l’influence des dividendes de la paix après l’implosion de l’Union soviétique en 1991. L’attaque de la Russie contre l’Ukraine, le 24 février 2022, marque, pour la France, la fin des engagements militaires choisis. Sa première ligne de défense réside dans ses citoyens attachés à leur pays et à sa préservation. Sur le plan des moyens militaires, les applications parfois inattendues des innovations du domaine civil peuvent apporter un appui technique, par exemple l’importance prise par les drones. Toutefois, jamais une machine, quel que soit son degré d’autonomie décisionnelle, ne pourra assumer la responsabilité des destructions causées. En outre, l’homme adaptera ses modes d’actions pour la contourner. De plus, l’esprit de résistance se dresse inexorablement au sein des communautés humaines face à un occupation territoriale ou une oppression étrangère. Un document du chef d’État-major des armées, daté de juillet 2023, précise quatre champs d’action des militaires. Le champ physique vise à améliorer la puissance et la rusticité du corps pour développer l’endurance et la résistance dans le champ physiologique. Le champ psychologique permet d’absorber les chocs de la violence de la guerre dans un champ de bataille rendu plus dangereux par sa transparence. Enfin, le champ métaphysique donne du sens à l’action.

Les paramètres du moral. L’action matérielle du combat se distingue de sa puissance de destruction et de son action morale, à savoir la crainte qu’il inspire et la peur, explique Jean Tenneroni. D’une manière générale, différents paramètres affectent le moral des troupes : différences des champs de bataille liées à la température, aux intempéries, à l’altitude, à la végétation et à l’urbanisation ; état physique des combattants, faim et soif ; marche en avant, retraite ou attente ; isolement ou encerclement ; horreurs du champ de bataille ; usure, guerre des nerfs consécutive aux conflits de longue durée ; blessés et morts parmi les camarades. Des composantes plus profondes entrent en jeu : différences selon les milieux (terre, air et mer), l’arme et le poste de combat ; différences entre les personnalités, les sexes, les milieux d’origine et les cultures ethniques ; volonté de vaincre à tout prix ; patriotisme, traditions et éducation morale ; confiance dans le matériel, les chefs et les camarades. Or la prééminence du facteur technique tend à effacer les forces morales. Après la guerre d’Algérie (1954-1962), les armées françaises ont été réorganisées autour de la dissuasion nucléaire. Le militaire est devenu un technicien, servant d’une arme et qui risque moins sa vie, notamment le pilote de drone tueur très loin de sa cible. Pourtant, les forces morales resurgissent avec la guerre en Ukraine. L’ardeur, la combativité et la résilience démultiplient l’efficacité et catalysent l’énergie. Les forces morales s’étendent à la nation face aux grands chocs causés par la guerre extérieure, le terrorisme de masse, les émeutes intérieures et la pandémie. Le dispositif actuel les entretient par le soutien symbolique aux armées via les défilés, les hommages nationaux et les cérémonies militaires. S’y ajoutent les recrutements de militaires d’active et de réserve et les actions des institutions pour renforcer le lien entre les armées et la nation.

La nécessaire voix du chef. La parole transmet un message rapidement compréhensible, efficace et détaillé, mais la communication du commandement doit aller au-delà des mots, explique Clara Sueid. Selon des expérimentations conduites en 2012, 2017, 2019 et 2022, la perception de l’autorité se manifeste via le timbre de la voix, dont la modulation permet de transmettre autorité et compétence. Il s’agit de comprendre l’information non verbale présentée par la voix, à savoir les émotions de calme ou de peur. La perception d’un chef, homme ou femme, passe donc par le timbre de sa voix. Il est en effet possible d’inspirer confiance par la voix…en moins d’une seconde ! Des études entreprises en 2021 montrent que l’intelligence artificielle pourrait reconnaître et synthétiser des émotions dans un futur proche, mais les êtres humains préfèrent parler avec quelqu’un comme eux plutôt qu’avec un robot. La contribution de la voix aux forces morales subit des contraintes. Ainsi sa dégradation affecte la compréhension pour des raisons acoustiques (bruit et filtrage par la radio), auditives ou cognitives (communications multiples sous casque). La surcharge cognitive apparaît quand le cerveau reçoit trop d’informations à traiter. Toutefois, le « son 3D », mis au service des forces morales, améliore la compréhension des messages radio et diminue la charge cognitive. Il restitue l’écoute naturelle, non pas en stéréo mais en trois dimensions.

Le vécu du terrain. Le métier militaire, basé sur des relations humaines, se travaille au quotidien, rappelle le chef d’escadrons de Legge de Kerlean. La connaissance des camarades passe par l’émotion, transmise par les gestes, le regard et la voix. La technologie déportant le combat, la voix reste le seul lien entre le subordonné et son chef. Celui-ci, situé parfois à des dizaines de kilomètres, va comprendre l’état de la situation tactique via l’émotion du subordonné, manifestée par un petit bégaiement ou un changement radical de vocabulaire lors d’un accrochage avec l’adversaire. Le déclenchement d’une embuscade provoque un effet de sidération qui fige les combattants. Le silence radio immédiat libère le réseau prioritaire du chef lointain, qui donne des ordres simples et rassurants pour sortir très vite de sa torpeur le subordonné qui se ressaisit, parce qu’il reconnaît la voix. Cette communication, émotions comprises, permet de débloquer des situations et d’enrichir le compte rendu de l’action. En fait, les militaires apprennent à maîtriser leur stress pour pouvoir remplir leur mission. Mais masquer ses émotions comporte le risque d’en faire trop au cours de la mission et…de ne pouvoir la remplir complètement. Dans un hélicoptère, l’équipage capte de nombreux réseaux radio, parfois difficiles à discriminer. La technologie permet d’éviter cette surcharge et d’identifier tout de suite le bon interlocuteur. Le commandant de bord y gagne en efficacité. Lors de l’entraînement, certains chefs ayant vécu des situations similaires suscitent immédiatement la confiance parmi leurs subordonnés, qui éprouvent un « sentiment de liberté pour exécuter les ordres ».

Loïc Salmon

Défense : les forces morales, histoire et culture

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Europe : industrie de défense et forum stratégique à Paris

Simultanément à la publication par la Commission européenne d’une stratégie pour l’industrie de défense et d’une proposition de programme pour l’investissement de défense, l’Académie de défense de l’École militaire (ACADEM) organise, à Paris les 13 et 14 mars 2024, un forum international sur l’Europe.

Le 7 mars 2024, le ministère des Armées a publié un communiqué sur l’industrie de défense européenne et le général de corps d’armée Benoît Durieux, président de l’ACADEM, a présenté le forum à la presse.

Industrie de défense européenne. Le document de la Commission européenne sur la « Stratégie européenne pour l’industrie de défense » présente une vision à l’horizon 2035 selon cinq axes : investir mieux, ensemble et entre Européens ; assurer une meilleure disponibilité des équipements de défense ; un volet financement ; consolider une culture de préparation à la défense ; un volet partenariats, principalement avec l’Ukraine et l’OTAN. Le ministère français des Armées prend en compte ce qui sera défini comme « produit européen », à savoir conçu et fabriqué sur le sol européen. Il rappelle que l’industrie de défense doit répondre aux besoins des armées de chaque pays et que la vente d’équipements dépend de mesures définies au niveau national. Par ailleurs, la Commission européenne propose la création d’un Programme européen pour l’investissement de défense avec une enveloppe budgétaire de 1,5 Md€.

Contexte international tendu. Le général Durieux souligne que la Russie apparaît objectivement comme un péril pour l’Europe dans un monde où le repères se brouillent. Ainsi, l’ex-président des États-Unis Donald Trump (2017-2021), à nouveau candidat en 2024, a laissé entendre, le 10 février, que l’intervention des États-Unis ne serait pas automatique en cas d’attaque de la Russie contre un pays membre de l’OTAN. Il a répondu à un président d’un État membre : « Non je ne vous protégerai pas. En fait, je les encouragerai à faire ce qu’ils veulent ». Vous devez payer vos dettes ». Il faisait allusion aux pays membres qui ne consacrent pas encore 2 % de leur produit intérieur brut à la défense, pourcentage qui devrait être atteint par 18 pays membres (dont la France) sur 31 en 2024. Par ailleurs, le général Durieux a rappelé que de nombreux pays trouvent normal de ne pas condamner l’agression russe en Ukraine, que la violence politique se banalise et que l’organisation islamiste palestinienne a lancé une attaque terroriste contre Israël (7 octobre 2023), sans oublier les tensions en mer de Chine et les nombreuses attaques cyber récurrentes.

Forum international stratégique. Selon l’ACADEM, 2.600 personnes se sont inscrites au forum, qui réunit 215 conférenciers autour de 38 tables rondes et 3 ateliers continus. Parmi les invités, 68 nationalités sont représentées, dont : 80 personnes de la délégation franco-lituanienne (président lituanien et plusieurs ministres) ; 82 diplomates (22 ambassadeurs en poste) ; 41 parlementaires français et étrangers ; 39 attachés de Défense (42 attachés de. Défense adjoints) ; 26 officiers généraux étrangers (hors attachés de Défense) ; 128 officiers généraux français (59 en activité) ; 22 présidents-directeurs généraux de la base industrielle et technologique de défense. Le premier thème porte sur les architectures de défense et de sécurité de l’Europe, en raison de la proximité géographique de la guerre. Celle-ci appelle à accompagner l’innovation de rupture technologique, en tenant compte du changement climatique et de l’efficacité énergétique. Le deuxième thème aborde la géopolitique à l’Est, en mer Baltique, en Méditerranée, en Afrique et dans la zone indopacifique, où les ambitions territoriales de la Chine impliquent une « négociation coercitive entre États ». Le troisième thème concerne les milieux terrestre, maritime, aérien, spatial, cyber et informationnel, l’influence et le nucléaire.

Loïc Salmon

Ukraine : les enseignements de deux ans de guerre

Défense : l’ACADEM, rayonnement de la pensée stratégique française

Technologie : guerre électronique, cyber et renseignement




Stratégie : l’importance pérenne du groupe aéronaval

Gigantesque réservoir de ressources et espace majeur de communications, la mer est devenue un espace d’actions diplomatiques et militaires avec la guerre informationnelle. Grâce à son allonge, le groupe aéronaval (GAN) y produit des effets cinétiques et immatériels.

Le général d’armée Thierry Burkhard, chef d’État-major des armées (CEMA), s’est exprimé sur ce sujet à l’occasion de la conférence navale organisée, le 25 janvier 2024 à Paris, par l’Institut français de relations internationales.

Selon l’Institut du Pacifique, le parc des porte-avions, en service dans le monde en 2022 et en construction, s’établit ainsi : États-Unis, 11 en service et 3 en construction ; Chine, 2 en service et 1 en construction ; Inde, 2 en service et 1 en construction ; Italie, 2 en service et 1 en construction ; Grande-Bretagne, 2 en service et aucun en construction ; France, 1 en service et 1 en construction ; Espagne, 1 en service et aucun en construction ; Russie, 1 en service et aucun en construction ; Japon aucun en service mais 2 en construction.

La conflictualité aujourd’hui. Le modèle opérationnel a changé, explique le CEMA. L’ordre international, fondé sur le droit, se trouve remis en cause par la désinhibition dans l’emploi de la force dans tous les milieux, y compris l’espace maritime. Les attaques des rebelles houthis au Yémen contre les navires marchands ont entraîné un déroutement d’une partie du trafic du canal de Suez et de la mer Rouge. La dynamique de la force provoque une escalade dans les moyens et la recherche d’une létalité importante, notamment par les drones navals suicides. En mer Noire, des dizaines de navires russes ont été touchés par des attaques asymétriques. La liberté de navigation, autrefois respectée bon gré, mal gré, se trouve remise en cause. Par ailleurs, la compétition, état normal des relations internationales aujourd’hui, se manifeste en permanence en matière de sécurité et dans les domaines politique, diplomatique, culturel, sportif et informationnel. Elle s’exacerbe dans les espaces communs que sont le champ informationnel et la mer où le GAN envoie des signaux très forts. Dans les actions hybrides, peu régulées et difficilement observables, les flottilles de surveillance chinoises dans la zone Indopacifique, qui n’existent pas officiellement, constituent un important système de maillage. La compétition apparaît aussi dans l’utilisation du droit pour territorialiser la mer. Cet espace commun, auparavant appartenant à tous et donc répondant à des règles, est vu aujourd’hui comme n’appartenant à personne. En conséquence, le premier compétiteur qui se l’approprie en jouira finalement. L’emploi de la force permettra, éventuellement, d’obtenir des ressources, conquérir des zones et imposer sa présence par sa puissance technologique. En outre, le changement climatique se manifeste surtout sur les océans avec la montée des eaux et le nombre croissant de cyclones. Ainsi dans la zone Indopacifique, les exercices navals avec les Marines partenaires présentes sont moins militarisés dans le contexte de la rivalité Chine-États-Unis, mais davantage tournés vers les conséquences du changement climatique (actions humanitaires). Ensuite, les champs de bataille, y compris maritimes, se trouvent bouleversés. Pendant une trentaine d’années, les guerres, choisies, résultaient de décisions politiques, qui en maîtrisaient assez bien le tempo et l’intensité. La supériorité opérationnelle existait ponctuellement dans l’espace terrestre en raison de l’absence de moyens aériens des adversaires, à part des systèmes de défense sol-air très basiques. Le GAN a participé à la projection de puissance de feu pendant les guerres en Afghanistan et dans le Nord-Est de la Syrie. Aujourd’hui, la guerre s’est imposée à l’Ukraine qui, si elle la perd, disparaît en tant que nation. En mars 2022, déployé en Méditerranée orientale, le GAN se préparait à porter le feu chez l’adversaire. En janvier 2024, il se trouve à quelques milles marins d’un navire russe, désormais adversaire et encore plus impliqué dans ses missions qu’auparavant.

Menaces futures et moyens. Chercher à conserver une supériorité permanente dans un espace ou un ensemble d’espaces est devenu un objectif hors de portée, estime le CEMA. En revanche, il faut être capable d’imposer sa volonté dans un espace donné et pour une durée donnée…que permet le GAN ! La transparence du champ de bataille, y compris dans les airs, constitue un défi permanent. La guerre en Ukraine souligne la nécessité de la disponibilité des moyens, à savoir la logistique et les munitions. Le spectre des nouvelles menaces inclut les missiles hypervéloces, les essaims de drones, les attaques cyber et les systèmes de déni d’accès, qui peuvent aller très loin et impacter la zone d’opérations. Il s’agit d’imaginer des contre-mesures et des modes d’action pour s’en protéger, mais aussi utiliser ces moyens pour peser sur les dispositifs et les volontés adverses. Au cours des dernières décennies, les armées françaises ont misé sur la haute technologie, qui leur a évité le déclassement. Une guerre imposée nécessite une soutenabilité dans le temps qui ne dépend pas uniquement des armes de haute technologie, très coûteuses et difficiles à maintenir en condition opérationnelle. Il faudra aussi conserver des armes pour user l’adversaire sans avoir à utiliser des armes de décision, probablement de plus haute technologie et onéreuses. Par ailleurs, l’intelligence artificielle générative va influencer le champ informationnel et la capacité à planifier et conduire des opérations. Mais, elle permettra de lever beaucoup plus d’incertitudes grâce à la simulation, d’imaginer et de tester des possibilités plus rapidement en laissant le cerveau de l’homme décider. Ce dernier disposera de davantage de données et risquera moins de se tromper dans la décision qu’il prendra. S’y ajoutent la révolution quantique (l‘infiniment petit), les systèmes capables d’évoluer et la connectivité résiliente. En effet, il sera difficile de maintenir une supériorité forte et permanente dans le domaine de la connectivité. Il va falloir travailler en mode très dégradé et mettre en place un système avec des moyens très hauts dans le ciel et en surface, afin d’acquérir l’hyper-connectivité qui constitue l’un des facteurs permettant de conquérir la supériorité dans un espace donné à un moment donné. La soutenabilité sur le long terme inclut la loi de programmation militaire de cinq ans et le GAN, objet du temps long dans sa conception et son emploi.

L’espace maritime. Le GAN concentre toute la puissance de feu sur une très petite surface, rappelle le CEMA. Il affiche la détermination de la France à s’engager dans un conflit de haute intensité. Il constitue aussi une arme du champ informationnel, où se gagne la guerre avant la guerre. L’embarquement de la force d’action navale nucléaire sur le porte-avions Charles-de-Gaulle lui donne une dimension supplémentaire. Sur le plan opérationnel, le porte-avions permet une projection de puissance de feu vers la terre depuis la mer, espace à maîtriser car la menace se trouve à la surface et sous la surface. Il a donc été déployé pour influer sur les opérations terrestres au Kosovo, en Libye, en Afghanistan et en Irak, sans pour autant qu’une composante militaire puisse gagner la guerre à elle toute seule. En outre, l’action de la mer vers la mer, volet de la haute intensité qui redevient d’actualité, implique une confrontation avec un adversaire du même niveau. Le porte-avions doit créer ou contribuer à créer une bulle d’hyper-supériorité, locale et temporaire, pour produire des effets. Par exemple, là où divers pays affirment exagérément leur souveraineté, il peut trouver des chemins d’accès pour la contourner. Indispensable pour mener une action amphibie, il contribue à une opération vers la terre. Enfin, le GAN devient un facteur d’intimité stratégique avec l’intégration d’unités alliées dans son escorte, car la simultanéité des crises nécessite de combattre ensemble.

Loïc Salmon

Marines : le porte-avions, outil militaire et diplomatique pour agir loin

Marines : outils politiques et de projection de puissance

Stratégie : les menaces sans frontières d’aujourd’hui




Défense : l’ACADEM, rayonnement de la pensée stratégique française

L’Académie de défense de l’École militaire (ACADEM) regroupe, sur le même site, 21 organismes d’études et de recherche, rattachés au ministère des Armées, au ministère de l’Intérieur ou à vocation interministérielle, afin de nourrir le débat européen et atlantique et accroître la capacité d’influence de la France vers les pays partenaires et alliés.

L’ACADEM a été inaugurée le 26 octobre 2023 à Paris par le ministre de Armées, Sébastien Lecornu, qui a annoncé une subvention de 77 M€ pour le rayonnement de la pensée stratégique dans le cadre de la loi de programmations militaire 2024-2030, soit une augmentation de 40 % par rapport à la période précédente. Le président de l’ACADEM, le général de corps d’armée Benoît Durieux, l’avait présentée à la presse le 19 octobre à Paris.

Bouleversements stratégiques. Le contexte géopolitique est aujourd’hui déstabilisé : conflits en Afghanistan, en Libye, au Sahel et au Levant ; attaque de la Russie contre l’Ukraine ; reprise de la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Haut Karabagh ; agression de l’organisation terroriste Hamas de la bande de Gaza contre Israël, suivie de la riposte israélienne à Gaza. De nouveaux concepts émergent : guerre hybride ; conflit de haute intensité ; débats sur la frontière entre guerre militaire, terrorisme, cyberdéfense, cybersécurité et guerre économique. S’y ajoute la fragilisation des cadres internationaux du multilatéralisme. La conception de stratégies et la réflexion sur la défense nationale deviennent vitales, souligne le général Durieux. Elles concernent la défense militaire, mais aussi toutes les menaces contre les libertés et les intérêts de la France, comme la souveraineté industrielle, la défense des zones (maritimes) économiques exclusives et les luttes contre la désinformation, les cyberattaques et les ingérences.

Forum et interface. L’ACADEM rassemble des chercheurs de diverses disciplines, notamment en droit, sciences politiques, histoire, sociologie et économie. Elle inclut des experts dans leurs domaines, des décideurs, des acteurs opérationnels et des ingénieurs qui travaillent à la mise au point de l’avion de chasse futur, mais aussi des militaires ayant combattu en Afghanistan, au Sahel et au Levant, d’autres qui ont pisté les sous-marins russes en Méditerranée orientale ou qui ont survolé des territoires hostiles au Levant et enfin des commissaires qui adaptent l’administration à chaque opération militaire. Au sein de la « confédération » ACADEM, chacun de ses 21 organismes (voir encadré ci-dessous) conserve sa pleine indépendance ou, au moins, reste au service de son autorité d’emploi. Tous ont validé une charte sur le travail en commun. Enfin, l’ACADEM souhaite constituer une interface avec des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, français et étrangers.

Loïc Salmon

L’ACADEM regroupe déjà vingt et un organismes à l’École militaire à Paris : Académie du renseignement ; Bibliothèque de l’École militaire ; Centre de doctrine et d’enseignement du commandement ; Centre d’enseignement militaire supérieur air ; Centre d’enseignement supérieur terre ; Centre d’études stratégiques de la marine ; Centre de formation des dirigeants de la gendarmerie ; Centre de formation au management de la défense ; Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale ; Centre des hautes études militaires ; Centre interarmées de concepts, de doctrine et d’expérimentation ; Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) ; Chaire de cyberdéfense et souveraineté numérique de l’IHEDN ; Chaire d’économie de défense de l’IHEDN ; Chaire « Défense et sécurité du territoire national » de l’État-major interarmées du territoire national métropolitain ; Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA) ; Chaire « stratégies aérienne et spatiale » appliquées intégrée au CESA ; Conseil général de l’armement ; École de guerre ; Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur ; Institut de recherche stratégique de l’École militaire.

Enseignement militaire supérieur : former les chefs d’aujourd’hui et de demain

Défense : se réapproprier la question militaire

Histoire de l’IHEDN




Afrique : zone d’intérêt stratégique accru pour la Chine

Le continent africain constitue une cible privilégiée dans la stratégie mondiale de la Chine dans les domaines économique, de sécurité élargie et d’influence.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence organisée, le 7 juin 2023 à Paris, par l’association 3 AED- IHEDN. Le colonel Frédéric Gauthier, sous-directeur « Afrique » de la Direction de la coopération de sécurité et de défense au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, est intervenu. Le même jour, 3 AED-IHEDN a rendu public un rapport intitulé « Renouveau des puissances, quelle défense ? », dont un chapitre présente les ambitions de la Chine en Afrique.

Le nouveau contexte stratégique. L’annonce, en 2022, de l’évolution de la politique et du dispositif militaire de la France en Afrique francophone, à l’issue de l’opération « Barkhane » au Sahel, a changé la donne stratégique, estime le colonel Gauthier. La Chine a alors proposé aux pays africains francophones de coopérer davantage à leur développement à la place de la France. Cela a décidé les États-Unis à s’y impliquer aussi. Jusqu’alors, ils aidaient la France dans ses opérations dans la région par du renseignement et de la logistique. Ils se contentaient de dialoguer avec les pays anglophones, notamment le Ghana, le Nigeria, l’Ouganda, le Kenya et l’Afrique du Sud, et avaient une compréhension de l’Afrique différente de celle de la France et des pays d’Asie. Par ailleurs, le positionnement des pays africains sur la guerre en Ukraine et son évolution donne des indications sur ce qui pourrait arriver en cas de durcissement du conflit. A l’ONU, ils ont manifesté, en majorité, une neutralité quant à l’agression de la Russie contre l’Ukraine, mais en subissent directement deux conséquences, à savoir la forte hausse des coûts des denrées agricoles au sens large et la diminution massive de l’aide européenne. Auparavant, l’Afrique qui bénéficiait de 80 % de celle-ci, n’en reçoit plus que 20 %. En revanche, l’Ukraine reçoit une aide considérable de la communauté internationale, tandis que certains pays en Afrique, dont la Namibie, le Burkina Faso et ceux des Grands Lacs confrontés à des difficultés, certes différentes, en reçoivent beaucoup moins. Ce discours de double standard continue d’empoisonner les relations entre certains pays d’Afrique et les États occidentaux. De son côté, à part l’intervention de la société militaire privée Wagner en Afrique francophone, la Russie, agit dans le champ informationnel sur les réseaux sociaux, essentiellement pour dénigrer la France. Or les populations africaines, hyperconnectées au monde, voient ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux. En outre, la Russie dispose de moyens considérables de formation dans le cadre de coopérations dans les domaines militaire, sanitaire et agricole. Par exemple, quand la France forme un spécialiste africain, la Russie en forme 300. De son côté, la Chinepropose une coopération industrielle en finançant des grands projets d’infrastructures, mais également en vue d’obtenir les ressources et les denrées qui lui manquent. Selon le colonel Gauthier, la Russie et la Chine mettent en œuvre la même politique de prédation des ressources naturelles en Afrique et, de préférence, des matières premières brutes exportées hors douane Ainsi, les pays africains disposant de réserves de bauxite, dont la Guinée, n’encaissent que le prix de la bauxite brute à la tonne au lieu d’exporter de l’aluminium produit localement. Aujourd’hui, la France veut établir un nouveau partenariat avec ses partenaires africains, tout en conservant ses valeurs au cœur des relations, ce qu’excluent la Russie et la Chine. Or, même les pays anglo-saxons placent leurs intérêts devant leurs valeurs, souligne le colonel.

L’emprise économique chinoise. La Chine exploite des gisements de pétrole et de gaz, des mines, des forêts et des terres agricoles en Afrique pour ses besoins en matières premières, indique le rapport de 3AED-IHEDN. Elle importe de la bauxite de Guinée, du Ghana et de Sierra Leone, de l’uranium et du thorium de Namibie, du cuivre, du nickel, du cobalt et du manganèse d’autres pays. L’Angola lui fournit 70 % de sa production pétrolière. En 2000, la Chine a créé le Forum de la coopération sino-africaine (FCSA), où 53 pays africains et l’Union africaine sont représentés. Elle leur propose des prêts importants pour la construction de leurs infrastructures. Avec ces fonds, des entreprises chinoises ont modernisé et construit plus de 10.000 km de voies ferrées, environ 1.000 ponts, 100 ports et 66.000 km de lignes de transmission et de distribution d’électricité. Elles ont participé à la construction de moyens de production d’électricité de 120 millions de kW, d’un réseau de communication de base de 150.000 km et d’un service de réseaux couvrant près de 700 millions de terminaux d’utilisateurs. Un plan de 2020 prévoit la construction de 30.000 km de routes d’ici à 2030. Elle a établi 25 zones de coopération économique et commerciale dans 16 pays d’Afrique. En une vingtaine d’années, elle est devenue le premier pays pourvoyeur de prêts à l’Afrique subsaharienne, dont la dette envers la Chine est passée de 3,1 % de leur dette totale en 2000 à 62,1 % en 2020. Sur la période 2000-2019, les prêts les plus importants ont été attribués à l’Angola, à l’Éthiopie, à la Zambie, au Kenya, au Nigeria, au Cameroun et au Soudan. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la Chine détenait 15 % de la dette extérieure de l’Afrique en 2021 et lui a accordé environs les deux tiers des nouveaux prêts au cours des années 2020-2022. Cela lui permet d’orienter des décisions politiques favorables aux intérêts chinois et d’exercer une influence, voire des pressions, sur le pays emprunteur. Par ailleurs, une partie significative de ces prêts n’est pas signalée au FMI ni à la Banque mondiale. Les entreprises chinoises chargées de réaliser les projets ainsi financés reçoivent les fonds directement, sans qu’ils transitent par le pays africain concerné.

La sécurité chinoise élargie. Depuis 2009, la Chine s’intéresse à la défense de ses intérêts hors du territoire national et à la sécurité en mer, indique le rapport de 3 AED-IHEDN. Sa stratégie maritime, dite du « collier de perles », consiste à installer des points d’appui commerciaux et miliaires pour ses marines marchande et militaire. En 2018, le FCSA a reconnu les objectifs de la Chine en matière de sécurité sur le continent africain. Il s’agit d’abord d’assurer la protection des milliers de travailleurs chinois employés dans les constructions d’infrastructures, financées par Pékin, et de 10.000 entreprises chinoises réparties le long des nouvelles « Routes de la soie » entre la Chine et l’Europe. Ensuite, il convient de lutter contre le terrorisme et la piraterie. Cette stratégie de défense élargie se réalise surtout dans un cadre bilatéral avec une coopération militaire approfondie dans plusieurs domaines. Toutefois, il ne semble pas y avoir d’accords formels de sécurité avec des pays africains. Enfin, une loi de 2017 oblige les entreprises chinoises à collecter du renseignement à l‘étranger dans le cadre du « pilier civilo-militaire ». Ce dernier permet au monde civil et aux armées d’utiliser en commun des technologies, procédés de fabrication, équipements, personnels et installations.

Les opérations d’influence chinoises. Le FCSA cadre l’action diplomatique de la Chine en Afrique : non-ingérence dans les affaires intérieures ; solidarité Sud-Sud ; coopération sans conditions sociétales préalables. Les 61 Instituts Confucius, promeuvent la culture et la langue chinoise et, indique le rapport 3 AED-IHEDN, pratiqueraient l’espionnage et l’influence auprès des décideurs politiques et économiques, opérations facilitées par la faiblesse des structures administratives et la corruption élevée en Afrique. Enfin, la Chine a accordé, aux médias d’Afrique subsaharienne, des financements pour les technologies de l’information et de la communication supérieurs à l’ensemble de ceux des agences multilatérales et des principales démocraties réunies. Elle leur fournit aussi gratuitement des articles sur les thématiques sino-africaines.

Loïc Salmon

Chine : l’instrumentalisation de l’Afrique et ses conséquences

Afrique : nouvelle frontière de la Chine avec des enjeux stratégiques

Russie : partenariats en Afrique, son principal marché d’exportation d’armement




OTAN : pouvoir conserver l’avantage opérationnel

Afin de conserver une longueur d’avance pour préserver sa liberté d’action dans un contexte militaire futur, l’OTAN devra disposer de structures et de forces capables de comprendre, de décider plus rapidement et d’agir ensemble.

Le général d’armée aérienne Philippe Lavigne, commandant Suprême Allié Transformation (Allied Command Transformation en anglais, ACT) de l’OTAN, l’a expliqué à la presse le 14 septembre 2023, à l’occasion de la tenue de la conférence des communicants OTAN à Paris. (11-14 septembre).

Menaces nombreuses et rapides. En 74 ans d’existence, l’OTAN a bénéficié d’une avance technologique sur ses adversaires potentiels et a connu 30 ans de dividendes de la paix et 20 ans d’opérations hors de sa zone, contre des adversaires qui n’avaient pas de puissance équivalente. En 2003, l’OTAN a créé l’ACT pour se transformer en vue des menaces futures. Or, les menaces sont déjà plus nombreuses en raison de la prolifération des technologies et des quantités gigantesques de données sur le champ de bataille. En outre, depuis février 2022, la guerre entre la Russie et l’Ukraine consomme d’énormes quantités de munitions, que les industries occidentales d’armement pourraient difficilement produire. S’y ajoutent : les contestations multiformes, multi-milieux (terre, mer, air, espace et cyberespace) et multi-champs (matériel et immatériel) avec une échelle géographique et une complexité d’interconnexion sans précédent ; les technologies de rupture comme l’intelligence artificielle (IA) et les systèmes autonomes, auxquels les acteurs étatiques et non-étatiques ont aujourd’hui accès. Ainsi en Ukraine, des entreprises privées ont contribué à la survie numérique de l’État. Dès le début de l’invasion, la Russie a coupé l’accès à internet dans les territoires occupés. De plus, elle a lancé une propagande ciblée et des campagnes de désinformation destinées à l’Ukraine, mais aussi à sa propre population et à ses ennemis à l’étranger. En Afrique, elle recourt à des acteurs non-étatiques (notamment la société militaire privée Wagner) et utilise la désinformation pour déstabiliser des populations et réduire la compréhension et la légitimité des actions des pays occidentaux (dont celles de la France). En outre, l’OTAN observe l’Arctique et le Grand Nord, le Sud, l’espace et le champ informationnel. La compétition technologique porte notamment sur l’IA et le quantique (réalisation d’objets physiques au niveau microscopique), où la Chine investit massivement et dont ses forces armées bénéficient des avancées dans le domaine civil. De plus, celle-ci a conceptualisé la « guerre cognitive », qui lui permettrait de vaincre sans combattre. Dans les dix prochaines années, la majorité de la population mondiale aura accès à d’énormes quantités d’informations et à un déluge de fausses nouvelles. Enfin, le développement des armes hypervéloces (par la Russie et la Chine) réduit la capacité de l’OTAN à détecter, décider et agir.

Conceptualiser la défense future. Avant tout développement technologique, l’OTAN s’interroge, en toute transparence avec 31 nations partenaires, sur les limites éthiques et morales qu’elle se fixe. Cela s’applique aussi au champ informationnel, pour contrer les actions des compétiteurs et adversaires. En 2014, des actions de la Russie dans le champ informationnel, non détectées, ont précédé son attaque en Crimée. Actuellement, les experts de la communication de l’OTAN développent un outil d’IA, avec des partenariats extérieurs, pour comprendre la situation, mieux et plus vite. Il s’agit de la résumer quotidiennement et de présenter ce qui présente un intérêt militaire, notamment la détection d’une démarche hostile. L’ACT a aussi pour mission de renforcer au maximum l’interopérabilité des forces de l’OTAN et de structurer une planification de défense et de développement capacitaire, en s’appuyant sur l’innovation pour exploiter idées, procédures et technologies et expérimenter des solutions.

Loïc Salmon

OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Chine : l’intelligence artificielle, priorité de sécurité nationale

Industrie de défense : les armes hypersoniques à l’heure asiatique




Le livre noir de la CIA

Agence mondiale de collecte et d’évaluation du renseignement, la CIA renforce aussi l’influence des États-Unis dans le monde par l’action clandestine. Les liens entre les grandes entreprises multinationales et le pouvoir politique américain ont contribué à la dévoyer au cours de divers épisodes de son histoire.

Les archives de la CIA, les rapports d’enquêtes parlementaires ou les témoignages d’anciens agents donnent un solide aperçu de son envergure et de sa relation avec les décideurs politiques, destinataires de sa production mais aussi fournisseurs de ses ressources. Les archives dévoilent le lien entre l’élaboration de la politique extérieure des États-Unis et les services de renseignement, dont les outils incluent la traîtrise, la tromperie, la corruption et l’assassinat. Elles montrent les graves erreurs de jugement de la CIA concernant notamment le pont aérien de Berlin, l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Union soviétique, les guerres de Corée et du Viêt Nam, la crise des missiles de Cuba et le conflit israélo-arabe qui perdure. Ces événements et bien d’autres se sont déroulés au cours des mandats des présidents Truman et Eisenhower (1947-1962), Kennedy et Johnson (1960-1968), Nixon et Ford (1968-1976), Reagan et Bush père (1980-1992), Clinton et Bush fils (1992-2009), Obama (2009-2017) et Trump (2017-2021). Lors de l’inauguration du nouveau siège de la CIA à Langley, Kennedy conclut son discours aux personnels de l’agence par une phrase qui reste d’actualité : « Vos succès ne seront pas rendus publics. Vos échecs seront annoncés avec une sonnerie de trompette. » Après la guerre froide (1947-1991), la plus grande menace pour la sécurité des États-Unis est venue des attaques terroristes et du crime organisé, souvent étroitement liés. Les drogues de Colombie sont distribuées via les réseaux islamistes, qui revendent aussi les drogues synthétiques fabriquées dans les anciens laboratoires d’État de Pologne, de la République tchèque, de Lettonie, de Lituanie et d’Estonie. Les fautes de la CIA, en contradiction flagrante avec le modèle démocratique qu’elle est censée défendre, ont été mal acceptées par ses agents. Cela explique leurs révélations dans la presse, malgré les mesures strictes de cloisonnement. Au nom de la lutte contre le communisme, la CIA est intervenue dans le fonctionnement de la vie politique de nombreux pays en organisant des coups d’État contre des gouvernements démocratiquement élus, alors que bien peu de ces régimes étaient réellement communistes. Elle a déployé tous les moyens disponibles dans un but politique provisoire, sans en évaluer suffisamment les conséquences possibles, involontaires mais prévisibles, par rapport à leurs avantages immédiats. Aujourd’hui, la CIA a perdu le monopole des opérations clandestines à l’étranger. Selon un rapport publié en mai 2021, le ministère de la Défense dispose d’une « armée secrète » de plus de 60.000 agents, soit dix fois l’effectif clandestin de la CIA. Beaucoup agissent dans le monde entier sous une fausse identité avec une « légende » (passé vraisemblable fabriqué de toutes pièces). Certains accomplissent des tâches clandestines sous leur vrai nom, mais sans lien officiel avec l’État fédéral. Les bases de données des administrations publiques, comme les Services de la citoyenneté et de l’immigration ou l’Agence des douanes et de la protection des frontières, sont modifiées pour protéger ces fausses identités. Ces agents sont dotés d’équipements permettant d’échapper à la reconnaissance faciale et aux scanners d’empreintes digitales. Le programme de « réduction de la signature » des activités clandestines inclut la fourniture de « couvertures » contractuelles par des entreprises privées. Les agents peuvent ainsi travailler à l’étranger à titre civil sans lien officiel avec les ambassades ou les bases militaires américaines.

Loïc Salmon

« Le livre noir de la CIA », Yvonnick Denoël. nouveau monde éditions, 466 p, 10,90 €.

Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère

DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

Renseignement : pouvoir et ambiguïté des « SR » des pays arabes




Indo-Pacifique : éviter l’escalade nucléaire malgré la compétition stratégique accrue

Russie, Chine, Inde, Pakistan et Corée du Nord, détenteurs de l’arme nucléaire et aux intérêts stratégiques divergents, fondent leur dissuasion sur l’ambiguïté, mais adoptent des mesures pour réduire le risque de conflit nucléaire dans la zone Indo-Pacifique aux territoires contestés.

Emmanuelle Maitre, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, l’explique dans une note publiée en mars 2023 à Paris. L’accord militaire AUKUS, conclu entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis en septembre 2021, témoigne de la compétition stratégique dans la zone. En effet, la Chine développe son arsenal nucléaire sur les plans quantitatif et qualitatif et la dissuasion nucléaire de la Corée du Nord devient opérationnelle.

Les arsenaux. Selon le rapport annuel 2021 de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, les États-Unis disposent de 5.550 têtes nucléaires, réparties entre les composantes terrestre, aérienne et sous-marine, chiffre en diminution par rapport à l’année précédente. Cette tendance apparaît aussi pour la Russie, qui compte 6.255 têtes réparties entre les mêmes composantes. Les chiffres restent stables pour trois pays : France, 290 ogives (composantes aérienne et sous-marine) ; Grande-Bretagne, 225 ogives (composante sous-marine) ; Israël, 90 ogives (composantes terrestre, aérienne et probablement sous-marine). En revanche, ils progressent pour quatre pays asiatiques : Chine, 350 têtes (composantes terrestre, aérienne et sous-marine) ; Pakistan, 165 têtes (composantes terrestre et aérienne) ; Inde, 156 têtes (composantes terrestre, aérienne et sous-marine) ; Corée du Nord, 45 ogives (composantes terrestre et sous-marine). Les diplomates chinois, indiens et pakistanais répètent régulièrement que la maîtrise des armements ne doit être envisagée que si elle ne diminue en rien la sécurité d’aucune des parties (voir encadré). En conséquence, souligne Emmanuelle Maitre, Chine, Inde et Pakistan considèrent certaines propositions en ce sens comme inacceptables, vu qu’ils estiment ne pas avoir encore développé de capacités suffisantes à leur protection. En raison d’intérêts militaires, politiques ou de prestige, la constitution d’une force de dissuasion nucléaire vise à renforcer davantage les capacités de défense, plutôt qu’à réduire la menace adverse. En outre, l’asymétrie des arsenaux conduit généralement le pays le plus faible à refuser toute mesure susceptible de pérenniser son infériorité et le pays le plus fort à rejeter tout cadre juridique prévoyant l’égalisation de capacités. Cela s’observe entre l’Inde et la Chine et entre l’Inde et le Pakistan. De plus, la Chine et l’Inde excluent d’envisager des limites à leurs arsenaux, alors que les États-Unis et la Russie continuent de posséder des arsenaux très importants. La supériorité des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine se manifeste par leurs armes stratégiques, missiles à vocation duale de portée intermédiaire, armes nucléaires tactiques, défense antimissile et capacité de frappe conventionnelle à longue portée. La Chine estime que sa participation à un traité, similaire à celui sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI, 1987-2019) entre les États-Unis et l’l’URSS puis la Russie, éliminerait 95 % de ses capacités missiles sans contrepartie notable. La Chine craint une première frappe massive des États-Unis, dont la Russie redoute la défense antimissile. Le mélange des armes conventionnelles et nucléaires par la Chine inquiète les États-Unis, dont la Russie souligne le développement de nouveaux types d’armes nucléaires.

Les doctrines. Pendant la guerre froide (1947-1991), les États-Unis et l’URSS ont choisi une stratégie de volume et de redondance, qui leur a permis de disposer d’arsenaux nucléaires massifs. Par la suite, les efforts de Washington et de Moscou en faveur de la non-prolifération ont été perçus comme leur volonté de conserver leur hégémonie, indique Emmanuelle Maitre. En outre, tous les États d’Asie se méfient des exemples de maîtrise des armements tirés de l’Occident et estiment les expériences européennes ou américano-russes inadaptées à leurs cultures stratégiques nationales. Pour l’Inde, l’arsenal nucléaire joue surtout un rôle politique vis-à-vis du Pakistan, avec qui toute ouverture diplomatique peut être interprétée comme un signe de faiblesse du gouvernement en place. Pour le Pakistan, son infériorité en armement conventionnel justifie le rôle de l’arme nucléaire dans la politique de défense et toute négociation passerait pour une concession indue. Afin de garantir la survie de son arsenal nucléaire, la Chine entend l’accroître et rester discrète sur ses armes et leurs sites de déploiement. La visite d’inspecteurs internationaux et l’envoi de notifications sont perçus comme des risques pour la crédibilité de la dissuasion…en rendant possible une première frappe adverse dévastatrice ! En outre, les décisions des États-Unis de mettre fin à des régimes de maîtrise des armements (Traités ABM, FNI et Open Skies) sont interprétées comme des reniements pour maximiser leur puissance. La maîtrise des armements est décrite comme un outil de pouvoir, pour prolonger leur avantage sur les puissances émergente et non pas pour rechercher des intérêts mutuels pour accroître la sécurité commune. Pour la Corée du Nord, la maîtrise des armements permet de gagner du temps et de poursuivre ses intérêts de sécurité sans concession majeure.

Les cadres bilatéraux. En dehors des accords multilatéraux ou unilatéraux de maîtrise des armements, précise Emmanuelle Maitre, les États asiatiques détenteurs de l’arme nucléaire ont adopté des mesures de confiance, non contraignantes, pour réduire les risques. Depuis 1991, un accord entre l’Inde et le Pakistan permet l’échange d’informations sur les coordonnées de leurs installations nucléaires. La même année, un deuxième accord porte sur la pré-notification des exercices militaires, manœuvres et mouvements de troupes et un troisième sur la prévention de violations des espaces aériens nationaux. Un accord de 2005, reconduit en 2011, exige la notification, avec 72 heures de préavis, des tirs de missiles balistiques et limite leurs trajectoires et les zones d’impact visées. Un autre concerne les risques d’accidents liés aux armes nucléaires. Comme avec le Pakistan, l’Inde connaît des tensions frontalières avec la Chine. Dans les années 1990, New Delhi et Pékin ont adopté des mesures de confiance, sans aborder le niveau nucléaire, pour limiter ces tensions par l’interdiction d’exercices majeurs à la frontière ou d’ouvrir le feu le long de la ligne de contrôle et par la mise en place d’une communication opérationnelle. En 1994, la Chine et la Russie ont signé une déclaration mutuelle de non-emploi de l’arme nucléaire en premier et de non-ciblage. Un accord de 2010, renouvelé en 2020 pour dix ans, porte sur la notification, avec un préavis de 24 heures, d’un tir de missile balistique de plus de 2.000 km de portée ou d’un lancement spatial. Enfin, des mesures de confiance existent entre la Chine et les États non nucléaires, à savoir le Japon, la Corée du Sud et l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (dix pays).

Loïc Salmon

Il existe neuf traités et mécanismes de maîtrise des armements : Traité sur l’espace ; Traité de non-prolifération (TNP) ; Convention d’interdiction des armes chimiques (CIAC) ; Convention d’interdiction des armes biologiques et des toxiques (CIABT) ; Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) ; Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCoC) ; Convention sur la sécurité nucléaire (CSN) ; Convention sur la protection physique des matières nucléaires (CPPMN) ; Convention sur la notification des accidents nucléaires (CNAN). La Russie a ratifié tous ces traités et adhère à tous ces mécanismes. La Chine n’a pas ratifié le TICE et n’adhère pas au HCoC. Le Pakistan n’a pas ratifié le TNP ni le TICE et n’adhère pas au HCoC. L’Inde n’a pas ratifié le TNP ni le TICE. La Corée du Nord a ratifié uniquement le Traité sur l’espace.

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Indo-Pacifique : convergence stratégique possible entre les Etats-Unis et la France

Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires




Défense : « Revue nationale stratégique 2022 »

Crise sanitaire et climatique et retour d’une guerre de haute intensité en Europe rappellent l’interdépendance internationale dans les domaines alimentaire, économique et énergétique. Quand la compétition et la confrontation stratégiques se confondent, souveraineté et résistance prennent un tour nouveau.

Cela ressort de la « Revue nationale stratégique 2022 » présentée, le 9 novembre 2022 à Toulon, par le président de la République Emmanuel Macron, à bord du porte-hélicoptères amphibie Dixmude, et détaillée par le Secrétariat de la défense et de la sécurité nationale.

Environnement stratégique. Postures d’intimidation ou stratégies agressives se manifestent, mêlant modes d’action militaires et non militaires, manipulation de l’information et menace nucléaire à des fins d’intimidation. La désinhibition des puissances globales et régionales, poursuivant des révisions de l’Histoire et des politiques militaires opportunistes, va de pair avec le renforcement de la tendance aux replis isolationnistes ou identitaires. Prolifération technologique et menace terroriste restent d’actualité. En outre, des déséquilibres risquent d’émerger, notamment sur l’accès à l’eau, l’insécurité alimentaire, les migrations, la démographie et les pandémies. Une réponse globale vise à favoriser l’émergence d’une conception commune et partagée de la défense de l’Europe et de son autonomie stratégique. Les menaces s’inscrivent dans un cadre marqué par la haute intensité de l’affrontement potentiel entre forces conventionnelles. Elles se concrétisent par les stratégies « hybrides » (attaques cyber, numériques et dans l’espace) ou de déni d’accès à une zone pour peser sur les intérêts de la France (exploitation des vulnérabilités des flux ou infrastructures logistiques et des espaces aéromaritimes).

Défense et action. Pour lutter contre les menaces hybrides, la France s’appuie sur l’OTAN et l’Union européenne afin de bénéficier d’effets de levier. Sa stratégie d’influence mobilise une diplomatie publique dans une approche globale et sur le temps long, pour valoriser ses engagements et riposter efficacement à des manœuvres ou à des attaques informationnelles, notamment en Afrique. La communication stratégique de la France, éventuellement coordonnée avec celles de ses alliés, vise à porter un message cohérent, crédible et efficace vers les compétiteurs, partenaires ou alliés et vers les opinions publiques nationale et internationale. La France lutte contre l’utilisation du droit et de la norme, comme outil stratégique (« lawfare »), par ses compétiteurs et appuie l’adoption d’outils européens concourant à la lutte contre l’extraterritorialité. Elle développe de outils de riposte contre les sociétés militaires privées, groupes armés ou milices utilisées comme intermédiaires (« proxies ») par des puissances hostiles, pour démultiplier leurs actions de contestation ou de compétition, tout en maintenant un déni plausible. Diffusion d’informations, sanctions françaises ou européennes, poursuites judiciaires ou même actions militaires pourront cibler ces groupes, s’ils mènent des activités préjudiciables aux intérêts de la France, portent atteinte aux droits humains ou commettent des crimes de guerre.

Ambition pour 2030. Afin de devenir une puissance d’équilibres dans le monde en 2030, la France entend contribuer à la stabilité en Méditerranée, grâce à des capacités d’engagement dans un conflit de haute intensité. Elle peut déjà assumer le rôle de nation-cadre au sein d’une coalition de l’OTAN, de l’Union européenne ou de circonstance. Dans le cadre de partenariats équilibrés, elle agit de l’Afrique subsaharienne au golfe Arabo-Persique, à partir de points d’appui adaptés, et contribue à la stabilité de la zone indopacifique. Avec ses partenaires, elle assure sa liberté d’action dans les espaces communs (cyber, spatial, fonds marins et espace aéromaritime) et la sûreté de ses voies d’approvisionnements.

Loïc Salmon

Défense : actualisation de la LPM 2014-2019

OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Prospective 2030 : tendances lourdes consolidées et ruptures technologiques prévisibles




Stratégie : les métaux « critiques », enjeux de sécurité pour les États-Unis et de puissance pour la Chine

L’importation de minerais dits « critiques », indispensables aux industries civiles et de défense, crée une dépendance considérée par les États-Unis comme une menace pesant sur la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie. Pour la Chine, qui en possède, en raffine et investit dans leur production à l’étranger, ils sont devenus des éléments de richesse et de puissance.

Ce thème a fait l’objet d’une visioconférence organisée, le 21 septembre 2022 à Paris, par l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont notamment  intervenus : David Amselem, cartographe chez Cassini Conseil ; Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS. Guillaume Pitron, auteur du livre « La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique », fournit des informations complémentaires dans l’interview qu’il a accordé à l’IRIS le 26 juillet 2018.

Le contrôle des industries du futur. Les éoliennes, panneaux photovoltaïques, moteurs électriques et outils électroniques utilisent une trentaine de métaux rares, comme le tungstène et le cobalt, mais aussi d’autres moins connus comme le samarium, le gadolinium ou le dysprosium, indique Guillaume Pitron. Leur extraction coûte très cher et dégrade l’environnement. C’est pourquoi les États-Unis et l’Australie, qui disposent d’importantes réserves, n’ont pas toujours souhaité en poursuivre la production. En revanche, la Chine à investi à perte pour soutenir la pérennité de leur exploitation. Comme l’Indonésie et l’Afrique du Sud, elle n’a pas exporté les minerais vers les pays clients et a développé localement une filière intégrée. En raison de la disponibilité des ressources en Chine, les industriels occidentaux ont accéléré pendant plusieurs décennies les délocalisations de leurs outils de production, accompagnées de transferts de technologies et de brevets. La Chine est ainsi parvenue à dominer l’ensemble de certaines filières utilisatrices de métaux rares dans les nouvelles technologies de l’énergie et du numérique. Jusque dans les années 1980, la France avait développé l’extraction du tungstène, du manganèse et du zinc et était devenue alors l’un des principaux pays producteurs d’antimoine et de germanium. Outre la richesse de son sous-sol en Bretagne et dans le Massif central et les Pyrénées, elle dispose de réserves exploitables dans certaines zones économiques maritimes exclusives (Polynésie française et Wallis-et-Futuna).

L’inquiétude américaine. La chute de l’URSS et la fin de la guerre froide ont incité les administrations américaines à privilégier les approvisionnements de métaux sur les marchés mondiaux moins onéreux, explique Emmanuel Hache. En conséquence, le nombre de mines métallifères actives est passé de 640 en 1991 à 278 en 2020. Entre 1991 et 2021, les productions nationales ont diminué dans diverses proportions : – 40 % pour le cuivre raffiné à partir de minerais ; – 39 % pour les minerais d’or ; – 18 % pour les minerais de fer ; – 13 % pour le zinc raffiné ; – 79 % pour l’aluminium primaire. En 2021, la production de métaux et de minerais métallifères aux États-Unis se répartit ainsi : minerais de cuivre, 35 % ; minerais d’or, 31 % ; minerais de fer, 13 % ; minerais de zinc, 7 % ; autres minerais, 14 %. Huit entreprises américaines figurent dans la liste des 50 premières compagnies minières du monde, classées par capitalisation boursière : Freeport-McMoran pour le cuivre (5ème rang mondial) ; Newmont pour l’or (7ème) ; Southern Copper pour le cuivre, le molybdène, l’argent et le zinc (9ème) ; Albemarle pour le lithium ; Cleveland-Cliffs pour le fer ; Alcoa pour la bauxite et l’alumine et plus grand producteur d’alumine après la Chine ; MP Materials pour les terres rares ; Hecla Mining pour l’or et l’argent et plus grand producteur d’argent des États-Unis. En 2021, le taux de dépendance extérieure des États-Unis dans la chaîne de production de l’aluminium s’établit à 75 % pour la bauxite importée surtout de la Jamaïque, 55 % pour l’alumine importé surtout du Brésil et 45 % pour l’aluminium importé surtout du Canada. La même année, le taux de dépendance des États-Unis aux importations de minerai et métaux varie de 25 % pour le lithium à 48 % pour le nickel, 75 % pour le cobalt et 100 % pour le graphite naturel, le manganèse, le rubidium, le strontium et le vanadium. La Chine satisfait plus de 50 % de la demande américaine pour plusieurs minerais et métaux (voir encadré). En septembre 2020, le président Donald Trump avait souligné la menace constituée par cette dépendance d’adversaires potentiels pour les besoins en métaux critiques. En février 2022, son successeur Joe Biden a durci la stratégie des États-Unis et défini des priorités : accroissement de la production nationale de minerais et de métaux primaires ; développement du potentiel de recyclage et de la récupération des métaux ; diversification des sources d’approvisionnement extérieurs auprès des pays alliés et partenaires des États-Unis. Pour compenser la dépendance de la Chine, la « diplomatie minière » se concentre sur le Canada, l’Union européenne, l’Australie et le Japon.

Le poids de la Chine. Selon Emmanuel Hache, les ressources dites « incontournables » de la Chine portent sur l’aluminium, le chrome, le cuivre, le fer et le nickel. Les ressources « avantageuses » incluent l’antimoine, l’étain, le tungstène et les terres rares. Sont considérés comme « stratégiques » pour les industries émergentes l’aluminium, l’antimoine, le cobalt, le lithium, le molybdène, les terres rares, le tungstène et le zirconium. Très dépendante des approvisionnements extérieurs, la Chine investit aussi directement à l’étranger dans les secteurs des minerais et métaux (voir encadré). Entre 2005 et 2013, elle a réparti le financement de projets surtout dans 9 pays : Australie, 33 % ; République démocratique du Congo (RDC), 6 % ; Russie, 5 % ; Pérou, 4 % ; Brésil 4 %, ; Iran, 4 % et Indonésie 3 %. Puis elle a modifié sa stratégie sur 9 pays entre 2014 et 2021 : Indonésie, 15 % ; Pérou, 12 % ; RDC, 8 % ; Canada, 6 % ; Guinée, 5 % ; Chili ; 5 % ; Australie, 4 %. La part du reste du monde a augmenté, passant de 41% à 45 %.

Loïc Salmon

Deux cartes de David Amsellem présentent la géopolitique des métaux. La première montre les principaux pays exportateurs de minerais vers les États-Unis pour plus de 50 % de la demande américaine : Chine pour l’antimoine, l’arsenic, le bismuth, le gallium, le germanium, le magnésium et les terres rares ; Canada, potasse et tellure (métalloïde argenté) ; Brésil, alumine et niobium ; Chili, rhénium ; Argentine, lithium ; Jamaïque, bauxite ; Mexique, strontium. La seconde carte indique les pays où la Chine investit dans des projets relatifs aux minerais et métaux : Indonésie pour l’acier, l’aluminium et autres minerais ; Malaisie, acier, aluminium et autres ; Singapour, acier ; Thaïlande, acier ; Viêt Nam, acier ; Laos, autres minerais ; Birmanie, acier ; Philippines, acier ; Australie, acier, cuivre, aluminium et autres ; Papouasie-Nouvelle-Guinée, acier et autres ; Bangladesh, acier ; Inde, acier et autres ; Iran, acier et autres ; Azerbaïdjan, acier ; Tadjikistan, aluminium ; Kazakhstan, cuivre, acier et autres ; Kirghizstan, autres ; Mongolie, acier ; Russie, acier, aluminium et autres ; Ukraine, acier ; Serbie, cuivre, acier et autres ; Bosnie, cuivre ; Grèce, aluminium ; France, aluminium ; Suisse, acier ; Allemagne, acier et aluminium ; Pays-Bas, autres ; Grande-Bretagne, acier et autres ; Algérie, acier ; Libéria, acier ; Sierra Leone, acier ; Guinée, aluminium et acier ; Mali, autres ; Ghana, autres ; Cameroun, acier ; Congo, cuivre et autres ; République démocratique du Congo, cuivre et autres ; Ouganda, cuivre et acier ; Tanzanie, autres ; Mozambique, autres ; Zimbabwe, acier et autres ; Namibie, autres ; Afrique du Sud, cuivre et autres ; Argentine, autres ; Bolivie, acier ; Guyana, aluminium et autres ; Venezuela, aluminium ; Pérou, cuivre et acier ; Équateur, cuivre ; Jamaïque, autres ; Mexique, autres ; Canada, cuivre, acier et autres ; États-Unis, cuivre.

Stratégie : maîtrise des fonds marins, ambition et opérations

Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère

Chine : une stratégie d’influence pour la puissance économique