Chine : une stratégie de plus en plus mondiale

Après avoir succédé à l’URSS comme principale nation rivale des États-Unis, la Chine durcit et élargit la dimension régionale de sa sécurité, avec le risque de heurter les pays voisins et au-delà.

Son rôle mondial a été abordé au cours d’un colloque organisé, le 8 décembre 2014 à Paris, par le Club Participation et Progrès et la revue Défense Nationale. Y sont intervenus : Michel Jan, sinologue ; le général (2S) Alain Lamballe de l’Académie des sciences d’outre-mer ; le général (2S) Henri Paris, président de « Démocraties ».

« L’Empire du Milieu ». En matière de sécurité nationale et de diplomatie, le président Xi-Jinping affirme les ambitions de la Chine sur son environnement régional, souligne Michel Jan. Sa nouvelle équipe dirigeante, opposée à la démocratie à l’occidentale, veut changer les règles internationales, une fois réalisées la stabilité intérieure du pays et la modernisation de ses armées. Résultante d’une classification confucéenne et du maoïsme, la loi chinoise codifie les directives du Parti communiste qui présentent une continuité avec la politique impériale. L’Histoire tumultueuse de la Chine montre que les périodes d’harmonie et de stabilité correspondaient à un pouvoir central fort. Selon Michel Jan, la Chine rêve de donner la priorité à l’Asie, mettre fin à la suprématie des États-Unis et mettre le droit international au service de sa politique commerciale. La puissance économique et militaire du pays devrait lui permettre de rouvrir l’antique « Route de la soie » vers l’océan Indien et l’Europe. Pour se préparer à assurer la sécurité régionale en mer de Chine méridionale, elle envoie ses bâtiments militaires s’entraîner en océan Indien avec ceux des Marines étrangères. Sa diplomatie périphérique porte sur la coopération régionale pour supplanter la suprématie militaire américaine en Asie, qui fait obstacle à sa politique économique et commerciale. La Chine promeut les organisations internationales où la présence occidentale reste limitée. Ainsi, lors du sommet  de la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie, tenue à Shanghai en mai 2014 (27 pays membres et 6 observateurs), Xi-Jinping a proposé une « vision commune, globale, coopérative et durable ». Le 24 octobre 2014, la Chine et vingt autres pays ont signé un protocole d’accord sur l’établissement, en Asie, de la « Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures » (BAII), conçue comme un contrepoids à la Banque mondiale ou à la Banque asiatique de développement. Selon les médias chinois, la BAII disposera d’un capital initial de 50 Md$, principalement d’origine chinoise, pour améliorer transports, barrages et ports dans la région. A l’ONU, la Chine n’hésite pas à utiliser son droit de veto, mais ignore le droit international de la mer. Quoique membre permanent du Conseil de sécurité, elle ne s’implique guère dans la résolution des crises internationales, sauf quand elle peut en tirer un avantage. Elle exige des pays partisans d’un dialogue qu’ils acceptent ses demandes, avec des conséquences insupportables pour eux et un risque élevé de guerre, conclut Michel Jan.

Différends frontaliers et fluviaux. La Chine n’oublie pas les traités qu’elle juge « inégaux » et, depuis 1949, tente de reprendre certains territoires perdus, indique le général Lamballe. Sa frontière avec le Bhoutan n’est pas délimitée et elle a déjà récupéré 1.000  km2 dans le Tadjikistan, riche en minerais. Avec la Russie, le traité de Nertchinsk de 1689 lui avait accordé un droit sur les populations chinoise et mandchoue vivant en Sibérie. Mais celui de Aihun (1858) lui a enlevé la rive gauche du fleuve Amour, qu’elle ne revendique plus. Celui de Pékin (1860), que la Chine conteste encore, lui a retiré la province de l’Oussouri, où sera fondé le port russe de Vladivostok. Aujourd’hui, les travailleurs chinois, dont la Russie a besoin pour développer la Sibérie, affluent à la périphérie des villes. Par ailleurs, la Chine n’a signé aucune convention internationale relative au partage des eaux des fleuves avec les autres pays riverains. Elle a déjà entrepris des travaux sur le Mékong sans en informer les pays en aval (Laos, Thaïlande, Cambodge et Viêt Nam). Ses contentieux avec l’Inde portent sur le Brahmapoutre, qui prend sa source au Tibet, et 90.000 km2 de territoire frontalier. Chine et Inde massent des troupes de part et d’autre, mais préfèrent la négociation à l’affrontement armé. Enfin, le centre de gravité du monde se déplace vers elles, car elles totalisent 40 % de sa population, souligne le général Lamballe.

Duel sino-américain. Grâce à l’extraction du gaz de schiste sur leur sol les États-Unis n’ont plus besoin d’importer du pétrole, contrairement à la Chine dont la consommation en dépend à 50 %, rappelle le général Paris. Il s’ensuit une rivalité entre eux pour le contrôle des zones maritimes riches en ressources pétrolières. Sur le plan militaire, la Chine ne dispose que de 3 sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), tout juste capables de prendre la mer. De leur côté, les États-Unis déploient 12 SNLE, dont 4 ou 5 en patrouille opérationnelle, et 11 porte-avions pour contrôler le Pacifique et l’océan Indien. Présents en Extrême-Orient depuis 2012, ils n’ont laissé en Europe, depuis le 1er janvier 2014, que 70.000 hommes peu aptes au combat. En 2002, les États-Unis ont dénoncé le traité sur la limitation des armes nucléaires stratégiques signé en 1972 avec l’URSS, que respectent implicitement la France, la Grande-Bretagne et la Chine. Pour constituer leur bouclier antimissile, ils ont établi 35 sites de lancement en Alaska et dans le Dakota du Nord. Ce bouclier agirait par : destruction du missile assaillant par collision avec un missile lancé d’un de ces sites ; impulsion électromagnétique pour dérégler son système de navigation ; cyberattaque du segment sol par un virus. Il fonctionne grâce à la surveillance spatiale, qui détermine le tir du missile et sa provenance. Or la Chine est déjà parvenue à détruire un satellite par collision. En outre, sur le plan stratégique, elle entretient des alliances avec la Corée du Nord, devenue puissance nucléaire et perturbatrice dans la région Asie-Pacifique, et la Russie, qui s’écarte de l’Occident. Aujourd’hui, les États-Unis l’emportent sur la Chine, mais ce ne sera plus vrai dans 30 ans car celle-ci accroît sa puissance, avertit le général Paris. La perspective d’une guerre existe, non pas « nucléaire » mais « froide » avec l’Afrique comme enjeu, conclut-il.

Loïc Salmon

Chine : montée en puissance plus diplomatique que militaire

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel

Afrique : nouvelle frontière de la Chine avec des enjeux stratégiques

La France a été le premier grand pays occidental à reconnaître la Chine populaire en 1964 et à y nommer un ambassadeur de plein exercice. Selon le ministère des Affaires étrangères, la relation bilatérale se caractérise, depuis 1997, par un partenariat global stratégique de haut niveau et par un dialogue sur tous les sujets, y compris celui des droits de l’Homme. La Chine, l’un des moteurs de la croissance économique mondiale, est devenue le premier partenaire commercial de la France en Asie. Toutefois, le déficit de la balance commerciale de la France avec elle a atteint 26 Md€ en 2013, soit près de 40% du déficit extérieur total de la France. Le rééquilibrage par le haut s’appuie sur l’application nécessaire du principe de réciprocité, souligne le ministère.




Le sous-marin, composante fondamentale de l’action navale

Le sous-marin est une pièce maîtresse d’un dispositif interarmées. Toutefois, un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) dispose d’une énergie et d’une puissance très supérieure à un sous-marin à propulsion diesel-électrique.

L’emploi des submersibles a fait l’objet d’une table ronde organisée, le 18 décembre 2012 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine. Y ont notamment participé : l’ingénieur général de l’armement Jacques Cousquer ; le vice-amiral d’escadre (2S) Thierry d’Arbonneau, ancien commandant des forces sous-marines et de la Force océanique stratégiques (FOST) ; le capitaine de vaisseau ® Hughes Eudeline ; le capitaine de vaisseau Xavier Mesnet, sous-directeur de Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations.

Un emploi évolutif. Pendant la première guerre mondiale, les sous-marins diesel, mobiles et robustes, ont disposé d’une puissance de feu constituée de torpilles à courte portée, du mouillage offensif de mines et du canon. Mais l’attaque des voies maritimes d’approvisionnement a échoué en raison des hésitations du gouvernement impérial allemand, de l’efficacité du système allié de convois protégés par une escorte et enfin de la faiblesse des moyens de transmissions. Pendant la seconde guerre mondiale, les sous-marins ont encore eu pour mission de couper les flux d’approvisionnements de l’adversaire. En Atlantique, ce fut un nouvel échec de la Marine allemande. Elle a coulé 2.779 navires alliés, mais a perdu 88 % de ses 820 sous-marins opérationnels attaqués par les forces navales alliées : 800 escorteurs de haute mer, 2.250 escorteurs côtiers et 1.500 avions. En revanche, la guerre sous-marine fut un succès pour la Marine américaine dans le Pacifique. Elle n’a perdu que 18 % de ses 288 sous-marins, qui ont coulé 1.178 navires de commerce et 214 bâtiments de combat japonais. Pendant la guerre froide, la lutte anti-sous-marine est devenue prioritaire. Les SNA américains « pistaient » les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins nucléaires (SNLE) de l’URSS, tandis que les sous-marins soviétiques, équipés de missiles anti-navires, suivaient les porte-avions américains. Les sous-marins diesel-électriques de l’OTAN et ceux du Pacte de Varsovie se chassaient mutuellement. D’une manière générale, les sous-marins ont travaillé en coopération avec les avions de patrouille maritime et les forces navales de surface. Ils ont aussi participé à des opérations spéciales : renseignement sur zone, débarquement discret de commandos, sauvetage de pilotes d’avions abattus en mer, alerte antiaérienne avancée et espionnage ciblé sur les câbles de télécommunications. Pendant la guerre des Malouines (1982), en torpillant le croiseur argentin Belgrano, un SNA britannique a provoqué le retour à quai du porte-avions adverse 25-de-Mayo. Pendant la guerre du Kosovo (1999), la présence sur zone d’un SNA français a empêché la sortie de la flotte du Monténégro, qui n’a pu se rallier à la Serbie. Pendant l’intervention de l’OTAN en Libye (2011), des sous-marins américains et britanniques ont tiré plus de 120 missiles de croisière Tomahawk pour ouvrir la voie à une offensive aérienne. Des SNA français ont assuré une permanence sur zone pendant sept mois, détecté des petites vedettes par acoustique et guidé des hélicoptères de l’Aviation légère de l’armée de terre vers leurs cibles. En outre, des sous-marins britanniques, espagnols et turcs ont patrouillé au large de la Libye.

 Une menace grandissante. Aujourd’hui, la menace devient globale : maritime, aérienne et spatiale. L’interruption des trafics maritimes marchands aurait des conséquences graves sur l’économie mondiale. Malgré les forces qu’ils déploient, les Etats-Unis admettent qu’ils n’ont pas de capacité d’accès permanente à tous les théâtres d’opérations possibles. Sept pays renoncent actuellement à leurs forces sous-marines : le Danemark a désarmé 6 unités, la Serbie-Monténégro 8, la Croatie 1, la Roumanie toutes, la Bulgarie 4, la Libye 4 (+ 2 hors d’usage) et la Syrie 3. En revanche, le Japon, la Chine, les deux Corées, Taïwan, l’Australie, le Brésil, le Pakistan, l’Inde et l’Iran accroissent leurs flottes militaires et veulent se doter d’une composante sous-marine puissante. De son côté, Israël utilise ses sous-marins comme arme de dissuasion, en laissant entendre que leurs missiles de croisière pourraient atteindre des cibles vitales en Iran. La portée de ces missiles devra atteindre 800 km s’ils sont tirés du golfe Persique, mais devra être doublée s’ils doivent être tirés de la Méditerranée. La France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis déploient leurs SNLE en Atlantique. « Les SNA font plus que du soutien aux SNLE, indique l’amiral d’Arbonneau, pas de crédibilité de la FOST sans SNA de qualité ! » Un SNA présent dans la zone d’un SNLE (capable désormais de signaler sa présence au central opérations de la FOST) collecte des renseignements acoustiques et les partagent. L’apprentissage du « pistage » de SNLE soviétiques, puis russes, par les SNA français a permis d’alimenter les SNLE français en renseignements. En Méditerranée, un SNA français acquiert des renseignements pour le long terme sur les Marines du Sud qui, quoiqu’encore peu performantes, naviguent de plus en plus. En mer Noire et en Méditerranée, il étudie les tactiques et les capacités des Marines américaine et russe En outre, il peut assurer un soutien au profit d’un théâtre terrestre et maintenir une présence sous la mer face aux sous-marins diesel (SMD) et patrouilleurs hostiles. Enfin un SNA français est déployé en océan Indien, où sévit la piraterie maritime. Capable d’intervenir sur un théâtre lointain, le SNA a une « employabilité » de trois à quatre fois supérieure à celle d’un SMD, car il peut rester trois à quatre semaines sur zone. La proportion de présence aux Proche et Moyen-Orient atteint un SNA pour 20 SMD de diverses nationalités. Aujourd’hui, seuls les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France et Chine) maîtrisent la conception et la construction de sous-marins nucléaires. Enfin, l’outil technique que constitue le sous-marin en général ne suffit pas, il faut aussi une doctrine d’emploi !

Loïc Salmon

Selon la Direction générale de l’armement, 489 sous-marins armés étaient en service dans le monde en 2011 et répartis dans 42 flottes sous-marines, alors qu’il existe 189 Marines militaires. Par zones géographiques, la répartition était la suivante : Asie, Océanie et Extrême-Orient, 42 % ; Europe, 17 % ; Amérique du Nord, 15 % ;Russie et Communauté des Etats indépendants, 14 % ; Afrique subsaharienne, 6 % ; Amérique Centrale et du Sud, 5 % ; Afrique du Nord et Moyen-Orient, 1 %. La propulsion diesel a été mise au point en 1906, la propulsion nucléaire en 1955 et la propulsion indépendante de l’air (AIP) non nucléaire, permettant de rester en plongée pendant de plus longues périodes que celle par diesel, en 1989. Le premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) a été mis en service en 1960 par la Marine américaine. En 2012, la France et la Grande-Bretagne disposent chacune de 4 SNLE et de 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA).




Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Le missile balistique impose le respect s’il est capable de décoller et d’arriver à sa phase terminale avec une charge nucléaire. Sans elle, il devient une arme d’affrontement « psychologique » sur un théâtre par la persistance dans l’action à tout prix.

Ces sujets ont été traités au cours d’une conférence-débat organisée, le 24 octobre 2013 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont intervenus Philippe Wodka-Gallien, membre de l’Institut français d’analyse stratégique, et Valéry Rousset, consultant sur les relations entre stratégie et technologie.

Un cadre juridique international. Le traité de non prolifération des armes nucléaires (TNP, 1968) précise que 5 États peuvent en disposer (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France), mais que tous les autres ont accès à la technologie nucléaire civile. L’Iran l’a signé et n’a donc pas le droit de fabriquer des armes nucléaires. En revanche, la Corée du Nord l’a théoriquement, car elle a dénoncé le TNP qu’elle avait auparavant signé. La Suisse y a renoncé par referendum. L’Irak se l’est vu refuser par la force. La Libye y a renoncé pour rejoindre la communauté internationale. Lors de sa réunification, l’Allemagne, pourtant signataire du TNP, a dû signer un engagement supplémentaire à ne pas acquérir d’armement nucléaire. Le 8 juillet 1986, la Cour internationale de justice considère que l’emploi de la bombe atomique est conforme à l’article 51 de la Charte des Nations unies et peut être utilisée en situation de légitime défense. L’espace, le fond des océans et certaines zones géographiques sont dénucléarisés. La résolution 1540 de l’ONU du 28 avril 2004 porte sur la prévention de la diffusion des armes de destruction massive en direction des organisations terroristes. Vu la difficulté à employer une arme nucléaire, rappelle Philippe Wodka-Gallien, un État serait certainement derrière cette organisation et le réseau d’alerte existant permettrait d’identifier l’agresseur. En effet, 24 États  ont tissé une toile de suivi et de détection de la prolifération, conformément aux directives du Régime de l’ONU de contrôle de la technologie des missiles. Ces directives concernent les vecteurs capables d’emporter des armes de destruction massive comme les missiles balistiques, lanceurs spatiaux, fusées-sondes, véhicules aériens non pilotés, missiles de croisière, drones et véhicules téléguidés.

Des missiles à double usage. En 1945, les États-Unis, l’URSS, la Grande-Bretagne et la France se sont partagés les savants allemands et la technologie des V2. Ceux-ci connaissent deux destins différents : vecteurs de l’arme nucléaire pour les pays qui la possèdent et vecteurs d’attaque pour les autres. La précision du missile balistique est passée du km en 1943 à quelques centaines de mètres aujourd’hui. Les missiles balistiques stratégiques sont des vecteurs à changement de milieux (mer si tirés de sous-marins, atmosphère et espace), quasi-orbitaux (plus de 1.000 km d’altitude) et hypersoniques (plusieurs centaines de km par seconde) avec une portée allant jusqu’à 10.000 km. Les missiles balistiques de théâtre (États-Unis, Russie, Inde, Chine, Corée du Nord, Iran et Israël) ont une portée de 300 km à 3.000 km. Depuis 70 ans, ils se trouvent au cœur de toutes les crises. Sur le plan tactique, ils créent une zone d’interdiction ou de saturation (Afghanistan et Caucase) et, sur le plan stratégique, inspirent la terreur ou la crainte de représailles (guerre du Golfe en 1991 et Asie). Le missile balistique mobile de type « Scud » est un système complexe, repérable et vulnérable car composé de véhicules de soutien, du lanceur (camion de lancement et de tir), du vecteur contenant le carburant (propergol solide ou liquide) et de la tête militaire. Celle-ci peut contenir des armes conventionnelles (TNT, sous-munitions ou explosif par aérosol), des produits chimiques (gaz sarin) ou une ogive nucléaire miniaturisée. L’ogive biologique se révèle très difficile à maîtriser et mal adaptée au profil de vol. Le missile anti-missile « Patriot » crée des débris autour du « Scud » sans pouvoir en atteindre la tête militaire, car ce dernier effectue une trajectoire torsadée pour lui échapper. Mais les « gesticulations géopolitiques » alimentent les « cercles de la peur » en Iran et en Syrie. Le missile russe SS 26 « Iskander » se pilote sur toute sa trajectoire. Le missile chinois DF-21, équipé d’ogives à têtes multiples, est dédié à la destruction d’un porte-avions pour interdire l’accès d’une force aéronavale en mer de Chine.

Une prolifération à réduire. De 1960 à 1990, Moscou a exporté ses missiles « Scud » et SS-21 vers ses alliés et Washington ses « Lance » vers les siens. Ensuite et jusqu’en 2010, la Russie a été remplacée par la Chine avec ses M-11 et la Corée du Nord avec ses « Hwasong ». Depuis, l’indépendance en matière de missiles balistiques entraîne des coûts, délais et risques croissants pour les pays désireux d’en disposer, souligne Valéry Rousset. D’abord, l’acquisition de missiles « sur étagères », pratiquée par l’Algérie, l’Afghanistan, l’Égypte, la Syrie, le Yémen, l’Irak et l’Iran, n’inclut pas leur maintien en condition opérationnelle. Ensuite, l’évolution locale, à savoir l’achat de missiles qui seront modifiés, exige d’aplanir les difficultés de conversion ou d’adaptation (Corée du Nord, Chine, Irak, Iran et Libye). Enfin, le développement local ou en coopération, en vigueur au Pakistan et en Afrique du Sud, Argentine, Égypte, Inde et Israël, nécessite de résoudre les problèmes de production ou d’intégration et de pouvoir réaliser les essais et l’entraînement. Pour endiguer cette prolifération, l’ONU dispose de mesures politiques, juridiques et économiques coordonnées pour prévenir ou dissuader la diffusion des systèmes et des technologies permettant de développer des missiles balistiques. Elle élabore des directives distinguant les technologies spécifiques et à usage dual et procède à des inspections sur site (Irak de 1991 à 2003). Enfin, certains États peuvent décider de neutraliser la production et l’emploi de missiles balistiques par des actions militaires, comme les systèmes de défense anti-missiles ou la destruction à distance (laser) ou sur site (bombardement).

Loïc Salmon

Forces nucléaires : autonomie de décision et liberté d’action

La sûreté nucléaire des installations de défense

Dès 1942, l’Allemagne met au point les missiles V2 qui seront tirés sur Londres, Anvers et le Nord de la France. En 1957, la Russie développe son premier missile intercontinental à charge nucléaire « R7/SS6 ». En 1973, l’Égypte tire des missiles « Scud » contre Israël à la fin de la guerre du Kippour. En 1986, la Libye tire 2 « Scud » vers la station de l’agence de renseignement américaine NSA, située sur l’île de Lampedusa (Italie). En 1988, pendant la guerre Iran-Irak, 190 missiles tirés sur des villes tuent 2.000 personnes. Pendant la guerre du Golfe en 1991, 88 « Scud » sont tirés sur Israël et l’Arabie Saoudite, malgré 2.700 sorties aériennes dédiées. En 1996, la Chine tire 4 « CSS-6 » au-dessus de Taïwan à la veille des élections présidentielles. En 1998, la Corée du Nord lance son premier missile balistique intercontinental « Tae-Po-Dong ». En 2013, des tirs d’essais de missiles israéliens ont lieu en Méditerranée et l’Inde lance son premier missile balistique « Agni V ».

 




L’océan Arctique : atouts économiques, guerre froide larvée

L’océan Arctique, aux perspectives énergétiques et commerciales prometteuses, intéresse de nombreux pays. Les États riverains, surtout la Russie et les États-Unis, entendent y préserver leur souveraineté mais sans aller jusqu’à la confrontation.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat, organisée le 2 octobre 2014 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y ont participé :  Laurent Mayet, conseiller spécial de Michel Rocard, ambassadeur de France chargé de la négociation internationale pour les pôles arctique et antarctique ; Mika Mered, président et directeur de recherches chez Polarisk Group et co-fondateur du Cluster polaire français ; Alexandre Taithe, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique.

Routes commerciales. Le réchauffement climatique fait varier la surface minimale de la banquise : 4,17 Mkm2 en septembre 2007 ; 3,41 Mkm2 en septembre 2012 ; 5,02 Mkm2 en septembre 2014, indique Alexandre Taithe. En outre, l’épaisseur de la glace  en période estivale, divisée par deux entre 2003 et 2011, a entraîné des modifications de la circulation atmosphérique et des courants océaniques dans l’hémisphère Nord et une libération rapide des matières polluantes accumulées depuis des décennies. Toutefois, la navigation par les passages du Nord-Est et du Nord-Ouest de l’océan Arctique, déjà possible de 30 à 60 jours/an, devrait l’être pendant 4 mois en 2035. Ainsi, la liaison entre les ports de Rotterdam et Yokohama (Japon), distants de 23.470 km par le canal de Panama et de 21.170 km par celui de Suez et le détroit de Malacca, est réduite à 13.950 km par le Nord-Ouest et 13.360 km par le Nord-Est. De même, la liaison entre Marseille et Yokohama, distants de 24.030 km par Panama et 17.800 km par Suez et Malacca, passe à 16.720 km par le Nord-Ouest et 17.954 km par le Nord-Est. Cependant, l’environnement naturel de ces routes demeure incertain : orages polaires, hautes vagues, présence de blocs de glace même sur une route maritime ouverte et amoncellement de glaces dérivantes. L’ouverture des routes, qui varie d’une année à l’autre, rend difficile la livraison des marchandises à temps. L’exploitation  des navires de commerce coûtera plus cher, en raison du renforcement de leur coque pour la navigation dans les glaces, l’augmentation des primes d’assurance, la protection des marchandises et la formation spécifique des équipages. Pourtant, l’avenir s’annonce radieux, estime Mika Mered. Le nombre de transits par le Nord-Est, de 4 en 2010 et 71 en 2013, devrait dépasser 2.000 en 2035 avec le développement d’une trentaine de ports, dont certains datent de l’époque soviétique. Par exemple, la liaison arctique entre Rotterdam et le port sud-coréen de Busan sera réduite de 40 % en distance et de 30 % en temps et permettra une économie de 500.000 $ à 1 M$, sous réserve de la sécurité du trajet.

Ressources énergétiques. Dans le domaine énergétique, la dépendance de l’étranger est de 30 % pour le Groenland, de 1 % pour l’Islande et de 0 % pour la Norvège, la Russie, l’Alaska et le Canada. Les réserves en gaz et pétrole de l’Arctique sont estimées à environ 412 milliards de barils équivalents pétrole. La mer de Kara, en bordure de cet océan, contiendrait des réserves de pétrole de bonne qualité aussi importantes que celles de l’Arabie Saoudite. Les risques de marée noire dans l’exploitation en offshore profond (photo) sont pris en compte par la Russie et l’Allemagne, qui étudient un contrôle par le déversement de bactéries capables de phagocyter les hydrocarbures. A la suite des sanctions contre la Russie sur la question ukrainienne, la compagnie américaine Exxon Mobil a dénoncé son contrat avec son homologue russe Rosneft, qui s’est alors adressé à PetroVietnam. Situé dans l’estuaire de l’Ob, le projet Yamal LNG d’exploitation du gaz liquéfié porte sur le forage de plus de 200 puits, 3 trains de méthaniers d’une capacité annuelle de 16,5 Mt et la mise en service de 16 méthaniers brise-glace de 170.000 m3. Le capital de Yamal LNG se répartit entre les entreprises russe Novatek (60 %), chinoise China National Petroleum (20 %) et française Total (20 %). Enfin, des gisements d’uranium sont exploités dans les zones économiques exclusives de Russie et du Canada, où la compagnie française Areva est très présente. En revanche, depuis 25 ans, le Groenland interdit l’exploitation de ses réserves d’uranium estimées à 600.000 t.

Gouvernance. L’Allemagne et la France veulent une gouvernance en matière de navigation commerciale et de ressources minérales et énergétiques, selon Laurent Mayet. Par ailleurs, seules les armées ont les moyens matériels d’affirmer leur présence dans l’océan Arctique, où patrouillent des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) russes, américains, français et britanniques. De plus, la dimension OTAN réapparaît avec le durcissement de la crise en Ukraine qui rappelle l’ambiance de la guerre froide. Par ailleurs, la situation est déjà compliquée entre la Russie et la Norvège, membre de l’OTAN dont le nouveau secrétaire général, Jens Stoltenberg, est un ancien Premier ministre norvégien. En 2011, souligne Mika Mered, le président russe Vladimir Poutine a annoncé son intention de rouvrir les anciennes bases soviétiques de la zone arctique en 2015, d’y accroître la présence des forces aériennes, terrestres et navales en 2017 et de doter la Marine russe de trois nouveaux SNLE. Entre 2015 et 2035, les investissements militaires dans la zone arctique devraient atteindre 60 Md$ pour l’OTAN et 350 Md$ pour la Russie. De son côté, la Chine redoute une tension militaire dans la région et y manifeste sa présence. Elle y envoie des navires de recherches scientifiques, qui n’échangent jamais leurs résultats avec ceux des autres délégations présentes sur zone, indique Alexandre Taithe. Soucieuse de maintenir son monopole sur les « terres rares » utilisées notamment dans l’industrie électronique, elle suit de près la réglementation maritime et la gestion des ressources, dont 95 % des réserves se trouvent dans les zones exclusives des États riverains.

Loïc Salmon

L’océan Arctique : nouveaux enjeux stratégiques

OTAN : réaffirmation des défense collective, gestion des crises et sécurité coopérative

Le Conseil de l’Arctique,  forum intergouvernemental sans pouvoir juridique contraignant, promeut le développement durable dans la région en matières sociale, économique et environnementale. Les États riverains en sont membres : Canada ; Danemark qui représente également le Groenland (autonomie renforcée depuis 2009) et les îles Féroé (province autonome depuis 1948) ; États-Unis ; Finlande ; Islande ; Norvège ; Suède ; Russie. De plus, six associations autonomes ont le statut de participants permanents. Divers pays et entités ont le statut d’observateur : Allemagne ; Chine ; Corée du Sud ; Espagne ; France ; Grande-Bretagne ; Inde ; Italie ; Japon ; Pays-Bas ; Pologne ; Singapour ; Commission européenne ; Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ; Fond mondial pour la nature (WWF) ; organisations interparlementaires et intergouvernementales. Enfin, le Canada assure la présidence tournante du Conseil de l’Arctique de 2013 à 2015.




L’océan Arctique : nouveaux enjeux stratégiques

Ses richesses présumées et l’ouverture de nouvelles routes maritimes, libres de glaces une partie de l‘année à l’horizon 2025, donnent à l’océan Arctique une nouvelle dimension stratégique à l’échelle mondiale, avec les tensions qui s’ensuivent.

Ces perspectives ont été présentées par Viviane du Castel, directrice pédagogique à l’ISEG Group, au cours d’une table ronde organisée, le 14 février 2013 à Paris, par le Centre d’enseignement supérieur de la marine et l’Ecole de guerre. Y ont aussi participé Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime, Cyrille Poirier Coutansais du Bureau droit de la mer à l’état-major de la Marine, et Christian Buchet, directeur scientifique du programme international de recherches « Océanides ».

Enjeux des nouvelles routes. La Chine, le Japon, la Corée du Sud et l’Union européenne sont venus rejoindre les pays riverains de l’Arctique, à savoir le Groenland, la Norvège, la Russie, le Canada et les Etats-Unis, mais aussi la France traditionnellement intéressée depuis les travaux de l’explorateur Paul-Emile Victor. Les ressources naturelles comprennent 84 % des gisements offshore actuels (Alaska et Russie) et le quart des réserves estimées mais non prouvées d’hydrocarbures, à savoir 30 % du gaz et environ 20 % du pétrole, et aussi les terres rares indispensables aux nouvelles technologies. Le passage du Nord-Ouest par le Canada et l’Alaska, déjà ouvert six mois par an, est considéré comme une voie intérieure par le Canada, mais comme un corridor international par les Etats-Unis. Le passage du Nord-Est, où sept ports russes sont libres de glaces toute l’année, permettra des liaisons maritimes de l’Atlantique au Pacifique.  Déjà, le 2 août 2007, au moyen d’un bathyscaphe, la Russie avait planté un drapeau national en titane à la verticale du pôle Nord pour affirmer sa souveraineté, aussitôt contestée par les Etats-Unis, le Canada et le Danemark. Les routes maritimes de l’Arctique faciliteront le désenclavement de la Russie en évitant à ses flux commerciaux de transiter par les Etats baltes et l’Ukraine. Afin de sécuriser la route maritime du Nord, la Russie a conclu un accord de délimitation de frontière maritime avec la Norvège en octobre 2010. De son côté, la Chine souhaite transformer l’Islande en centre d’éclatement de ses trafics de marchandises vers l’Europe. Dans l’ensemble, les passages du Nord-Ouest et du Nord-Est ouvrent de nouvelles opportunités : trajets plus courts donc transports plus économiques en temps, coûts d’équipage et énergie ; exploitation plus facile de la pêche, des gisements de minéraux et d’hydrocarbures ; ouverture vers l’extérieur des régions industrielles. Toutefois, le transport de conteneurs semble limité pour plusieurs raisons : taille grandissante des porte-conteneurs et régularité impérative de leurs horaires ; obligation de traverser les eaux territoriales russes ; réticences des compagnies d’assurances. Cependant, un traité sur l’organisation des recherches et sauvetage après accident a été conclu en mai 2011 entre les membres du Conseil Arctique : Canada, Danemark (représentant aussi le Groenland et les Iles Féroé), Etats-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Suède et Russie.  Le Conseil Arctique a admis comme observateurs l’Allemagne, la Chine, l’Espagne, la France, l’Italie, le Japon, la Corée du Sud, les Pays-Bas, la Pologne, la Grande-Bretagne, la Commission européenne et la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge. Par ailleurs, l’Organisation maritime internationale, institution spécialisée de l’ONU, élabore un code polaire. Enfin, les passages par le nord réduiront la saturation des trafics maritimes dans le détroit de Malacca et les canaux de Suez et de Panama.

Vulnérabilités et sécurité. L’environnement de l’Arctique subit déjà des dommages : déballastages des eaux usées par les navires en transit ; émission de gaz à effet de serre ; érosion des côtes ; risques associés aux naufrages et déversements d’hydrocarbures. Les modes de vie et la culture des Inuits sont perturbés et leur santé menacée par les matériaux radioactifs militaires rejetés en mer à l’issue de la guerre froide.

Pour Viviane du Castel, l’Arctique constitue un fort potentiel économique et militaire pour la Russie et les Etats-Unis. Ils pourront y développer la prospection et la production d’uranium. La navigation de leurs bâtiments militaires, notamment les sous-marins à propulsion nucléaire, sera facilitée.  D’ici à 2020, la Russie prévoit de construire des ports, des brise-glace à propulsion nucléaire et un nouveau système satellitaire Glonass, concurrent du GPS américain. Toutefois, s’interroge Viviane du Castel, la sécurité relève-t-elle des Etats ou des grands groupes industriels et commerciaux ? Il s’agit en effet de gérer les événements et les catastrophes naturelles, mais aussi de développer, maîtriser et diffuser les connaissances scientifiques et faire connaître les nouveaux risques. Les entreprises et les organisations non gouvernementales semblent mieux placées pour coopérer, notamment dans la recherche médicale, que les Etats. Cependant, sous la pression de leurs opinions publiques, ceux-ci peuvent imposer le principe de précaution. Selon Viviane du Castel, seul un concept de sécurité globale pour l’Arctique pourra assurer un niveau suffisant de prévention et de protection contre les risques et menaces, sans rupture de la vie et des activités collectives et individuelles des populations riveraines.

Loïc Salmon

D’une surface de 14 Mkm2, l’océan Arctique communique avec l’Atlantique par la mer de Barents et le détroit de Fram et avec le Pacifique par le détroit de Béring. Sa profondeur atteint 1.000 m en moyenne et 4.000 m à certains endroits. Sa température varie de – 50 °C en hiver à 0° C en été. Il est en grande partie recouvert par la banquise qui atteint jusqu’à 4 m d’épaisseur, mais en diminution de 40 % en cinquante ans par suite du réchauffement climatique. Cette évolution va s’accélérer et devrait aboutir à la fonte totale des glaces en été dans une cinquantaine d’années.




Cyber : de l’omniprésence à l’hyperpuissance

Présent dans tous les relais d’activités économiques, le monde numérique (cyber), surtout américain, dispose d’énormes moyens financiers, d’une formidable puissance de calcul et d’une capacité à modéliser des comportements dans tous les domaines.

Olivier Sichel, président-directeur général de Leguide Group et co-fondateur de l’Open Internet Project, a présenté la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 19 mars 2015 à Paris, par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

L’hégémonie des États-Unis. La puissance financière de l’univers numérique se chiffre en centaines de milliards de dollars, explique-t-il. Sur les 20 plus grandes « plates-formes numériques » dans les monde, 13 sont américaines dont les 3 principales, à savoir Google, Facebook et Amazon, réalisent un chiffre d’affaires cumulé équivalent au produit intérieur brut du Danemark (248,9 Md€ en 2013). Google va devenir un opérateur mondial de téléphones mobiles, réduisant les autres au rôle de poseurs d’infrastructures. La capacité financière des plates-formes américaines leur permet de consolider leurs positions et de racheter des concurrents. Rien qu’en France, les « start up » (jeunes entreprises à fort potentiel de croissance) sont rachetées  jusqu’à 30 fois leur bénéfice annuel ! Il s’ensuit un très fort dynamisme du numérique américain, qui capte systématiquement tous les services informatiques gratuits. Ces données sont ensuite traitées en vue d’une rentabilité publicitaire. La plate-forme LinkedIn connaît ainsi une croissance exponentielle. Par ailleurs, l’irruption des logiciels dans tous les secteurs économiques transforme l’échelle des valeurs. Les États-Unis ne cachent plus leur volonté de contrôler la chaîne des valeurs, indique Olivier Sichel. Le président Barack Obama a même déclaré : « Nous possédons Internet » ! Son cabinet inclut 16 anciens cadres dirigeants venus de Google. Le « complexe digitalo-industriel » apparaît plus puissant que le « complexe militaro-industriel »… dénoncé en 1961 par un autre président américain, le général Dwight Eisenhower. Par la diffusion massive de messages écrits et de vidéos, les plates-formes américaines Facebook et YouTube développent en fait une grille de lecture culturelle de la société et des valeurs et exercent, sur le monde, une influence différente de celle des pays européens. Google, entend aussi conquérir, à terme, le marché de l’automobile. Depuis 2010, il développe le concept de la voiture autonome sans chauffeur, dont le pilotage automatique comprend un « lidcar » (faisceau de lumière), une caméra, un récepteur de navigation GPS et des capteurs sur les roues motrices. En outre, Google a déjà déposé un brevet de sélection des molécules ADN, qui renferment toutes les informations génétiques d’un être vivant et qui permettent son développement et son fonctionnement. D’autres entreprises travaillent sur les nanotechnologies (structures infiniment petites) et la biologie, en vue d’améliorer les capacités du corps humain. L’essentiel des capacités numériques américaines se trouve rassemblé dans la « Silicon Valley » (voir encadré) : laboratoires de recherches, universités de Berkeley et de Stanford, entreprises de hautes technologies, plates-formes numériques et ressources financières.

Le retard des autres pays. La Russie et la Chine ont développé leurs moteurs de recherche, pour éviter de passer par Google, et renforcé leur régulation pour se protéger de l’ingérence américaine. En revanche, l’Union européenne (UE) a raté le départ du « train numérique », constate Olivier Sichel. Selon lui, elle manque « d’intelligence numérique », pour concevoir les innovations qui intéressent l’usager dans sa vie quotidienne comme, par exemple, les bracelets ou lunettes donnant en direct des informations sur sa santé. Il s’ensuit peu de prospective et d’anticipation sur les décisions probables des internautes. Pourtant, les compétences ne manquent pas, mais l’absence de régulation empêche l’émergence de géants informatiques européens. En France, la formation aux hautes technologies se limite à certaines grandes écoles d’ingénieurs. Les crédits à l’innovation et à la recherche favorisent les « start up ». Mais, ils deviennent insuffisants pour les entreprises de taille intermédiaire, alors que leurs homologues américaines peuvent recevoir des millions de dollars. En outre, ces dernières profitent de la défiscalisation du commerce numérique dans certains pays de l’UE, comme l’Irlande ou le Luxembourg, pour s’y installer et payer moins d’impôts qu’aux États-Unis. Chaque année, la France perd 1 Md€ de recettes fiscales imputables à Google, Facebook et Amazon, qui paient 22 fois moins d’impôts que les sociétés françaises de services informatiques !

Comment inverser ces tendances. L’UE devrait se doter d’une autorité de régulation, faire valoir ses droits, imposer ses règles et prévoir des sanctions significatives en cas d’infractions, estime Olivier Sichel. France Télécom, où il a travaillé, pourrait techniquement éliminer du marché l’opérateur de téléphonie mobile Free en changeant simplement sa clé d’accès à Internet. Les pouvoirs publics pourraient créer les conditions de développement d’entreprises de services informatiques par la libre concurrence et éviter de devenir victimes de la position dominante de quelques grands groupes. En outre, l’UE devrait pouvoir conserver chez elle les données numériques ouvertes, d’origine publique ou privée (« open data »), et ne pas les laisser partir aux États-Unis. La France et surtout l’Allemagne, en raison de son passé (Gestapo et Stasi), s’inquiètent aussi de la collecte massive de données personnelles par les plates-formes américaines et exigent la transparence des algorithmes. Par ailleurs, l’affaire Snowden a révélé la collaboration entre l’agence de renseignement NSA et certaines plates-formes numériques américaines pour échanger des données contre un soutien politique, en vue de conquérir des marchés dans le monde. Toutefois, l’UE a compris le danger et rompu tout lien de confiance avec ces entreprises. Enfin, elle devrait développer sa capacité à lever l’impôt. L’Allemagne a pris conscience des enjeux stratégiques et de souveraineté liés au cyber et se positionne sur la scène diplomatique, alors que la France est jugée trop protectionniste pour se faire entendre en matière de fiscalité, souligne Olivier Sichel.

Loïc Salmon

Cyberespace : enjeu de puissance ou soupape de sécurité ?

Cyberespace : enjeux géopolitiques

La « Silicon Valley » (vallée du Silicium) dans la baie de San Francisco (côte Ouest des États-Unis) désigne une région de 2 millions d’habitants et 6.000 entreprises de hautes technologies. Elle a connu une immigration massive au début des années 2000. Une autre langue que l’anglais y est aujourd’hui parlée dans 48 % des foyers. Environ 55 % des employés dans les domaines des sciences et technologies sont nés hors des États-Unis, surtout en Inde et en Chine. Toutefois, la « Silicon Valley » est aujourd’hui concurrencée par de nouveaux « technopôles » : Bangalore en Inde, où de nombreuses entreprises de hautes technologies y délocalisent leurs centres d’appel et même une partie de leurs activités ; Paris-Saclay en France ; Skolkovo (banlieue de Moscou) en Russie.




Forces nucléaires : autonomie de décision et liberté d’action

La possession d’armes nucléaires et de vecteurs fiables rend crédible une opération extérieure conventionnelle, acte politique. En effet, les forces nucléaires résultent aussi d’un savoir-faire en matière de communications et de précision des systèmes de navigation.

Philippe Wodka-Gallien, membre de l’Institut français d’analyse stratégique et auteur du « Dictionnaire de la dissuasion », l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 25 juin 2013 à Paris, par l’Association de l’armement terrestre.

L’arme nucléaire. La puissante bombe thermonucléaire (H), dérivée des bombes atomiques à uranium 235 et au plutonium 239, dégage une chaleur intense. Son petit volume permet de l’installer sur un missile de croisière de type air-sol moyenne portée (ASMP/A). L’URSS a construit la plus grosse bombe connue, la « Tsar Bomba » de 50 mégatonnes, capable de vitrifier un territoire grand comme la Belgique. Les Etats-Unis ont réalisé la plus petite, dite « Davy Crockett » (0,01 kilotonne), transportable à dos d’homme et destinée à arrêter une éventuelle invasion soviétique de la Corée du Sud. Ils ont aussi mis au point des mines nucléaires terrestres, que les forces spéciales devaient enterrer sur les passages prévus des armées du Pacte de Varsovie. Ils ont déployé des canons atomiques M-65 de 280 mm en Europe et en Corée du Sud (opération « Upshot Knothole »). Aujourd’hui, les Etats-Unis et la Russie disposent d’environ 90 % des armes nucléaires dans le monde (voir encadré). La Chine déploie une grande variété de vecteurs : sous-marins, bombardiers, missiles de croisière et missiles lançables à partir d’un tunnel. L’Inde et le Pakistan ne disposent pas encore d’arme thermonucléaire. L’Iran s’achemine vers la bombe à uranium 235. La Corée du Nord a acquis son savoir-faire auprès de la Chine et de l’URSS. Selon Philippe Wodka-Gallien, le tabou de la dissuasion varie selon les pays. Les Etats-Unis, l’Inde et la France en parlent beaucoup, contrairement à la Grande-Bretagne. En Russie, cela commence. Par contre, en Israël, ne pas en parler fait partie de la dissuasion.

Du « technique » au « politique ». Le missile balistique s’impose comme vecteur de l’arme nucléaire au tournant des années 1960. Les Etats-Unis disposent alors de 1.505 bombardiers porteurs d’armes nucléaires et de 174 missiles intercontinentaux (ICBM) et l’Union soviétique de 182 bombardiers et 56 ICBM. Les projets fusent tous azimuts : bombardiers et missiles à propulsion nucléaire ; bombardier supersonique « B-70 Valkyrie » ; armes nucléaires en orbite ou installées sous la mer ; dissémination des charges ; bombes pour le génie civil (programme « Plowshare ») ; patrouilles d’avions armés (accidents de Palomares en 1966 et Thulé en 1968) ; initiative de défense stratégique du président Ronald Reagan (1983). En France, le programme nucléaire, entrepris dès 1945 avec la création du Commissariat à l’énergie atomique, se développe parallèlement à un consensus politique sur la dissuasion. En 1960, la première explosion a lieu et la décision est prise de former une triade : avions, missiles sol/sol et sous-marins. Le premier bombardier Mirage IV est mis en alerte quatre ans plus tard. En 1972, les missiles sol/sol balistiques sont opérationnels au plateau d’Albion et le premier sous-marin lanceur d’engins (SNLE) part en patrouille. Dès 1965, un système de navigation inertielle équipe la fusée « Diamant », ancêtre des engins balistiques (1971) et du lanceur de satellites européen « Ariane » (1979). Sur le plan politique, le pouvoir égalisateur de l’atome s’affirme. Lors de la crise de Cuba en 1962, le président Kennedy s’oppose à ses conseillers et refuse de bombarder l’URSS, à cause des représailles possibles évaluées à 40 millions de victimes américaines. En 1965, le président De Gaulle, fort de la technologie française, fait de l’arme nucléaire une affirmation de souveraineté. Il prend prétexte du survol d’un avion de chasse américain au dessus de l’usine d’enrichissement d’uranium à des fins militaires de Pierrelatte pour quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN en 1966. Le président Sarkozy prend la décision inverse en 2009, mais la France n’intègre pas le comité des plans nucléaires afin de préserver sa dissuasion. En 2013, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale rappelle que la dissuasion a pour objet de protéger la France contre toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. « La dissuasion française contribue, par son existence, à la sécurité de l’Alliance Atlantique et à celle de l’Europe. L’exercice de la dissuasion nucléaire est de la responsabilité du président de la République », écrit le Livre blanc. Il ajoute que la complémentarité des forces nucléaires françaises permet « le maintien d’un outil qui, dans un contexte stratégique évolutif, demeure crédible à long terme, tout en restant au niveau de la stricte suffisance. Les capacités de simulation, dont la France s’est dotée après l’arrêt de ses essais nucléaires, assurent la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires ».

Les perspectives. La simulation, souligne Philippe Wodka-Gallien, constitue un terrain de compétition pour les grandes nations nucléaires, en matière de haute performance scientifique grâce aux supercalculateurs et lasers de forte puissance. Avec son Laser Mégajoule, la France se trouve au même rang que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine. La dissuasion peut s’exercer aussi à l’encontre d’Etats belliqueux susceptibles d’utiliser des armes chimiques ou biologiques. Les ogives à têtes nucléaires multiples, mises au point dans les années 1960 pour contrer les défenses antimissiles, élargissent la zone possible de destruction. La Chine n’a pas encore cette capacité, contrairement aux Etats-Unis, à la Russie et à la France. Enfin, l’avenir de la dissuasion française dépendra des décisions à prendre d’ici à 2020 : lancement des travaux sur les SNLE de la 3ème génération et le remplacement des missiles balistiques M 51 ; mise en service d’un missile hypersonique ASMP/A vers 2035 ; renouvellement de la flotte d’avions ravitailleurs ; nouveau supercalculateur.

Loïc Salmon

La sûreté nucléaire des installations de défense

Au 12 février 2013, le nombre de charges nucléaires se répartit ainsi : Etats-Unis, 5.513 ; Russie, 4.850 ; France, 300 ; Grande-Bretagne, 160 ; Chine, 250 ; Israël, 70 à 200 ; Inde, 100 ; Pakistan, 70 à 90 ; Corée du Nord, 10 à 12. A la même date, 2.074 essais nucléaires auraient été réalisés : Etats-Unis, 1.030 ou 1.031 dont 215 aériens et 2 opérationnels (Hiroshima et Nagasaki en 1945) ; Russie, 715 ; France, 210 ; Grande-Bretagne, 57 ; Chine, 45 ; Inde, 7 ; Pakistan, 6 ; Corée du Nord, 2 ou 3 ; Afrique du Sud, 1 avec la collaboration probable d’Israël. Les forces nucléaires françaises incluent quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (missiles balistiques M 51) et une composante aéroportée (missiles air/sol moyenne portée). Celle-ci compte : deux escadrons de Mirage 2000N et Rafale ; un groupe aéronaval de deux flottilles opérationnelles sur Rafale, dont une embarquée sur le porte-avions Charles-De-Gaulle ; un escadron de ravitaillement en vol.

 




La puissance au XXIème siècle : le poids de l’Histoire

La force militaire suffit-elle à garantir la puissance d’un État ? Russie, OTAN, Grande-Bretagne et Allemagne conservent-elles leur puissance ?

Ces questions ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 13 avril 2015 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), EuroDéfense-France, l’Institut Jean Lecanuet et la revue France Forum. Y ont notamment participé : le général de brigade Benoît Durieux, directeur du Centre des hautes études militaires ; Gabriel Bernier du secrétariat international de l’OTAN ; Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe ; le général (2S) Maurice de Langlois de l’IRSEM.

Capacité militaire durable. Le discrédit moral et juridique de la guerre perdure depuis 1945 dans une Europe qui se démilitarise, alors que les violences armées s’en rapprochent, note le général Durieux. Mais, la réflexion sur la puissance militaire se poursuit depuis une quinzaine d’années. Après leurs interventions en Afghanistan et en Irak, les États-Unis ont compris l’inadaptation de leur force militaire, dans un environnement mal perçu et un mode de combat déconnecté de la réalité du terrain et de la situation politique. Un débat s’est ouvert sur l’offensive et la défensive. Celle-ci l’emporte avec la dissuasion nucléaire et des armées conventionnelles qui coûtent de plus en plus cher. L’offensive repose sur la faiblesse conceptuelle de la puissance militaire. La destruction de l’adversaire rassure, mais c’est un résultat à court terme. Il faut donc repenser le concept de puissance militaire, estime le général. En raison de la nature politique de la guerre, les militaires ne peuvent pas régler des problèmes non militaires. La singularité de la guerre nécessite une approche globale : contrôle des milieux marin et aérien et destruction de l’adversaire. S’y ajoute le temps long du développement de la puissance militaire. Le premier effort porte sur « l’intelligence stratégique » : comprendre l’adversaire et ses motivations pour éviter la « facilité tactique », uniquement militaire, et la tentation de la « morale », conception étrangère à la politique. Le deuxième effort concerne la capacité d’un pays à s’engager de façon autonome sur un théâtre d’opérations, comme les États-Unis dans le passé, la France au Mali ou le Tchad contre l’organisation terroriste Boko Haram. Enfin, la pérennité de l’action militaire dépend de la capacité industrielle du pays et de la formation des personnels.

L’OTAN, outil de puissance. Pour l’opinion publique, l’OTAN se présente comme un multiplicateur de forces militaires entraînées et constitue un saut qualitatif en terme de puissance  avec la dissuasion nucléaire, indique Gabriel Bernier. Cela implique : un partage du fardeau transatlantique et intereuropéen, avec une plus grande autonomie pour l’Union européenne ; l’élaboration d’une politique de défense et d’une doctrine pour le contrôle de l’espace stratégique ; une approche internationale en matière d’équipements par la mutualisation et le partage des moyens. Le retour de la menace russe et l’apparition de Daech ont conduit à l’adaptation de la capacité de réaction rapide de l’OTAN, qui doit d’abord éviter tout conflit en Europe.

Résurgence de la Russie. Puissance régionale moyenne, la Russie s’étend de la Baltique au Pacifique. Inquiète pour sa sécurité, elle s’attend à une confrontation avec l’Occident, notamment au Moyen-Orient, estime Arnaud Dubien. En outre, elle ne s’estime pas vaincue à l’issue de la guerre froide (1947-1991). La dissuasion nucléaire a été modernisée, mais les forces conventionnelles devront être mises à niveau d’ici à 2020. Depuis les années 2000, la Russie souhaite la prise en considération de ses intérêts stratégiques, ignorés depuis 1990, surtout l’élargissement de l’OTAN aux pays de l’Europe de l’Est. Pour la Russie, l’Ukraine, dont elle est frontalière, ne doit appartenir ni à l’OTAN, ni à l’Union européenne. Considérant que son intérêt stratégique vital y est engagé, elle entend maintenir son rang dans les décennies à venir et est prête à en payer le prix, malgré les sanctions  économiques. La crise semble durable avec les États-Unis, malgré l’absence de véritable confrontation idéologique. L’attitude des autres pays est variable. Grande-Bretagne, Suède, Pologne et Pays Baltes prônent une ligne dure en matière de sanctions économiques. L’Espagne, l’Italie, la Grèce, Chypre, la République Tchèque et la Hongrie préfèrent un assouplissement. L’Allemagne adopte une position médiane. La Russie, pour qui l’Occident a cessé d’être la référence, se tourne d’abord vers la Chine, qui représente 17 % de ses échanges extérieurs. Elle recherche des partenariats dans les domaines nucléaire et militaire avec l’Afrique du Sud et le Brésil. Enfin, elle développe ses relations diplomatiques et économiques avec l’Inde, le Viêt Nam, l’Égypte, la Turquie et l’Iran.

Prise de conscience de l’Allemagne. L’Allemagne se considère comme une puissance « civile », sceptique sur l’emploi de la force, explique le général Maurice de Langlois. Privilégiant une approche multilatérale pour éviter les risques, son Livre Blanc 2006 sur la sécurité n’évoque pas la notion d’intérêt national et manque de réflexion stratégique, selon le général. Intégrée à l’OTAN dès 1955, la Bundeswher est pourtant intervenue en ex-Yougoslavie, Afrique et Afghanistan, quoique souvent soumise au « caveat » national (limitation des missions opérationnelles par le gouvernement). Mais en 2011, l’opinion publique a pris conscience de la nécessité de maintenir la violence en cas de remise en cause de la co-existence pacifique. Le délai d’alerte opérationnelle de la Bundeswehr est passé à 48 h. Le budget de la Défense doit croître de 8 Md€ d’ici à 2019, notamment pour augmenter ses investissements et améliorer la disponibilité de ses équipements.

Réticences de la Grande-Bretagne. Malgré l’hésitation de son opinion publique à l’envoi de troupes en opérations extérieures, la Grande-Bretagne se croit encore une grande puissance et veut étendre son influence dans le monde, souligne le général de Langlois. Elle préfère envoyer des experts militaires et civils, à titre préventif. La force armée, quoique considérée comme la clé de voûte de la sécurité, ne doit être employée qu’après tous les autres moyens. De leur côté, les États-Unis estiment que la Grande-Bretagne ne remplit plus son rôle dans les grandes opérations qu’ils mènent.

Loïc Salmon

Selon Falashadé Soulé-Kohndou, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud constituent un groupe « d’États émergents », qui recherchent une influence politique internationale, basée sur leur statut de puissance régionale. Ils développent leur capacité militaire et préfèrent l’action collective à l’initiative individuelle. Ils utilisent la diplomatie selon les enjeux : système financier international, droits de l’Homme, gouvernance internationale ou réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Ils s’impliquent dans les médiations entre pays en litige et dans les opérations de maintien de la paix. Toutefois, leur influence politique reste limitée. Ainsi, l’Inde et l’Afrique du Sud s’abstiennent régulièrement lors du vote sur des résolutions des Nations unies mettant en cause la Russie ou la Chine.




Chine, Iran, Russie : un nouvel empire mongol ?

Le concept de « nouvel empire mongol », élaboré par les trois auteurs de ce livre, se veut une allusion à la grande aventure eurasiatique du Moyen-Age et non pas une vision hypothétique de son renouveau.

Or, la Chine, l’Iran, la Russie se trouvent au cœur de l’équation géopolitique mondiale d’aujourd’hui … avec la Turquie ! Partant d’une approche historique, puis contemporaine, trois auteurs tentent d’en dégager les convergences et les perspectives futures. Nomades, les Mongols du XIIème siècle forment un ensemble de tribus, dont le mode de vie semble incompatible avec la notion de frontière. Pourtant, à la mort de Gengis Khan en 1227, l’empire qu’il a créé s’étend sur toute l’Asie centrale. Ses petits-fils conquièrent l’Iran, l’Irak et la Chine. La « Horde d’Or » déferle ensuite sur la Russie, la Pologne et la Hongrie. Au XIVème siècle, un chef mongol se convertit à l’islam pour se rallier les élites turques. Après une période de déprédations, la Horde d’Or restaure les villes ruinées et construit Kazan et Astrakan. Ouverte sur le monde extérieur, elle accueille missionnaires et marchands de toute la Méditerranée, facilite l’ouverture de comptoirs génois et vénitiens en Crimée et fait de la mer Noire une plaque tournante du commerce international. Aujourd’hui, pour de multiples raisons, la Chine, l’Iran et la Russie ne risquent guère de reconstituer l’empire mongol qui les avait fédérés. Ils encerclent en effet la civilisation turque, qui les rassemblait autrefois. De plus, la Russie et la Chine peinent à contrôler leurs minorités turcophones (Caucase et Xinjiang) et l’Iran voit en la Turquie une puissance régionale rivale. Cependant, une alliance pragmatique entre ces trois puissances inquiète les États-Unis, dont le jeu consiste à les maintenir divisées. En effet, malgré leurs relations tumultueuses antérieures, la Chine et la Russie fondent en 2001, avec le Tadjikistan, l’organisation de coopération de Shanghai, dont l’un des principaux objectifs est de contrer l’influence américaine en Asie centrale. L’Iran y adhère en 2005 et l’Afghanistan en 2012. Cette organisation rassemble 1,5 milliard d’habitants sur 26 Mkm2, où se trouvent 50 % de l’uranium et 40 % du charbon du monde. Dans son cadre, sont menées des manœuvres militaires communes et des échanges dans les domaines de la médecine et des nanotechnologies. La collusion entre la Russie, l’Iran et la Chine, discrète pour des raisons propres à leurs cultures, transparaît au détour de conflits périphériques ouvert (Syrie) et larvé (Corée du Nord). Formant une véritable communauté d’intérêts, ils diffusent sur internet une vision du monde différente des stéréotypes occidentaux. Toutefois, ils connaissent une faiblesse structurelle due à la démographie : baisse de la natalité et hausse de la mortalité en Russie ; limitation des naissances en Chine entraînant un vieillissement de la population, qui menace la croissance économique à terme ; chute du taux de fécondité des femmes en Iran. En outre, ces trois puissances continentales souffrent d’un déficit naval. La Marine russe est concentrée sur le Sud (mer Caspienne et mer Noire), où se trouvent de considérables ressources alimentaires et énergétiques. L’Iran hésite entre les puissances maritime et nucléaire. Enfin, la Chine a longtemps tourné le dos à l’océan.

Loïc Salmon

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel

« Chine, Iran, Russie : un nouvel empire mongol ? » par Thomas Flichy, Jean-Marie Holtzinger, Jérôme Pâris et Antoine-Louis de Prémonville. Éditions Lavauzelle, 90 pages.




Le basculement océanique mondial

Le trafic maritime marchand mondial est passé de 550 Mt de marchandises en 1995 à 8 Mdt en 2008. La plaque arabique, longue de 2.000 km et large de 500 km, recèle près des trois quarts des réserves mondiales d’hydrocarbures et 40 % de la production mondiale de pétrole transitent par le détroit d’Ormuz.

Placé entre le golfe Persique et la mer Caspienne qu’il relie par des oléoducs, l’Iran se retrouve au centre géopolitique du monde, dont il est le 4ème producteur de pétrole et dépositaire de la 2ème réserve de gaz après la Russie. Par le détroit de Malacca, 50.000 navires transportent chaque année 30 % du commerce mondial et 80 % des importations pétrolières de la Chine et du Japon. A l’importance stratégique des canaux de Suez et de Panama, pourrait s’ajouter, à terme, celle du passage de l’Atlantique au Pacifique par le Nord-Est par suite du réchauffement climatique. La montée en puissance des marines de commerce s’est accompagnée de l’essor des flottes de guerre pour sécuriser ces axes maritimes, menacés par les trafics illicites et la piraterie. A la suite d’analyses géographiques, historiques et statistiques, les auteurs constatent que les anciennes puissances océaniques (Europe, États-Unis et Japon) ont réduit leur présence sur les mers, alors que les pays émergents (Chine, Inde et Brésil) augmentent la leur. A partir des années 1990 et afin de maîtriser la route maritime la reliant au golfe Persique, la Chine lance sa stratégie du « collier de perles » par la construction de bases navales en Birmanie, au Bangladesh, au Pakistan et au Sri-Lanka. Pour la contrer, les Etats-Unis ont renforcé leur base de Diego Garcia, dans l’archipel des Chagos au milieu de l’océan Indien, pour surveiller les zones sensibles et lutter contre le terrorisme. Ils considèrent en effet que l’Asie-Pacifique présente un risque d’embrasement  pour diverses raisons : poursuite du programme nucléaire nord-coréen ; non règlement du contentieux Chine/Taïwan ; montée de l’islamisme en Indonésie ; instabilité politique des Philippines ; brigandage maritime en mer de Chine méridionale. Le Japon modernise sa Marine pour contrôler les routes maritimes indispensables à sa sécurité et pallier la montée en puissance chinoise. Dans l’océan qui porte son nom, l’Inde développe sa Marine pour : bloquer les trafics d’armes et de stupéfiants ; protéger ses voies de navigation pour ses approvisionnements énergétiques et son commerce extérieur ; patrouiller dans sa zone économique exclusive de 2,3 Mkm2. Par ailleurs, la Russie cherche à monopoliser l’écoulement des exportations pétrolières des pays riverains de la mer Caspienne par son propre réseau d’oléoducs continentaux. Pour cela, elle a reconduit ses accords militaires avec l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kazakhstan et renforcé sa flotte en mer Caspienne. Les États-Unis ont alors lancé une coopération avec l’Azerbaïdjan, fourni une aide militaire à la Géorgie et un soutien financier à l’Arménie. De son côté, la Chine a conclu un accord de coopération avec le Kazakhstan. En Amérique latine, le Brésil développe sa Marine avec notamment l’aide de la France. Celle-ci, déjà présente à Djibouti, a construit une base navale à Abou Dhabi face à l’Iran, exemple qu’envisage de suivre la Grande-Bretagne dans le sultanat d’Oman !

Loïc Salmon

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Marine et Diplomatie

« Le basculement océanique mondial » par Olivier Chantriaux et Thomas Flichy de La Neuville. Éditions Lavauzelle, 150 pages.