Défense : budget 2022, une hausse annuelle de 4,3 %

Le projet de loi de finances (PLF) des Armées, qui sera présenté au Parlement, se monte à 40,9 Mds€ pour 2022, soit 1,7 Md€ de plus en un an.

Hervé Grandjean, porte-parole du ministère des Armées, l’a présenté à la presse le 22 septembre 2021 à Paris.

La hausse cumulée sur cinq ans depuis 2018 se monte à 27 % pour atteindre 9 Mds$. Le LPF de 40,9 Mds€ se répartit en : 23,7 Mds€ pour l’équipement ; 12,6 Mds€ pour les salaires de 273.000 personnels, dont 208.000 militaires (35.500 femmes) et 65.000 civils (25.000 femmes) ; 4,6 Mds€ pour le fonctionnement. La ressource supplémentaire de 1,7 Md€ se répartit en : 800 M€ pour les programmes d’armement et l’entretien des matériels ; 600 M€, autres dépenses d’équipement ; 300 M€, masse salariale.

Les montées en puissance. En vue de garantir l’autonomie stratégique, le PLF 2022 privilégie l’espace avec 646 M€. Le domaine du cyberspace reçoit 231 M€ en 2022 avec l’embauche de 1.900 cybercombattants pour la période 2019-2025. L’enveloppe du renseignement se monte à 399 M€. Celle de la lutte anti-drones, soit 23 M€, permet la livraison des premières bulles de protection permanente, l’expérimentation d’une arme laser sur les navires de la Marine nationale et l’achat de fusils brouilleurs supplémentaires. Enfin, 2,9 M€ sont réservés aux grands fonds marins pour la protection des ressources naturelles et des câbles sous-marins, la récupération des objets sensibles et le lancement en 2022 de la réalisation de capacités exploratoires. Les armées vont recruter l’an prochain 22.000 militaires (90 % de moins de 25 ans) et 4.200 agents civils. Environ 450 postes sont créés pour le renseignement, la cyberdéfense, les unités opérationnelles et le soutien aux exportations.

Les principales livraisons. Voici les livraisons prévues pour l’armée de l’Air et de l’Espace dans le domaine spatial : 1 système de renseignement électromagnétique Céres ; 1 satellite d’observation Musis-CSO ; 1 satellite de communication Syracuse IV. Celles dans le domaine aéronautique comptent : 2 avions de transport A 400 M Atlas ; 3 avions ravitailleurs multi-rôles Phénix ; 1 avion de transport stratégique A 330 ; 13 avions de chasse Mirage 2000D rénovés ; 4 radars SCCOA pour le contrôle aérien et la     préparation et la conduite des opérations aériennes. Voici les livraisons prévues pour l’armée de Terre : 14 drones tactiques ; 12.000 fusils d’assaut HK 416 F ; 10 stations terrestres connectées à Syracuse IV ; 200 missiles de moyenne portée ; 26 postes de missile de moyenne portée ; 8 hélicoptères Caïman Terre ; 245 véhicules blindés (Jaguar, Griffon et Serval) ; 1.200 véhicules légers tactiques polyvalents non protégés ; 120 véhicules blindés légers régénérés ; 2.075 équipements radio. Voici les livraisons prévues pour la Marine nationale : 4 avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés ; 15 stations navales connectées à Syracuse IV ; 1 module SLAMF de lutte contre les mines ; 1 sous-marin nucléaire d’attaque type Suffren ; 1 frégate multifonctions (6.000 t) à capacité de défense aérienne renforcée ; 1 bâtiment avitailleur de forces ; 1 frégate légère furtive type La-Fayette (3.200 t) rénovée.

Le cadre européen. Le fonds européen de défense prévoit 1,2 Md€ de commandes dès 2022 et 8 Mds€ sur 2021-2027 pour soutenir la compétitivité de l’industrie de défense de l’Union européenne. Les premiers contrats de recherche et développement portent sur l’énergie et la transition environnementale des combats terrestre et aérien et de la défense anti-missile.

Loïc Salmon

Défense : le cyber, de la conflictualité à la guerre froide

Défense : les infrastructures, de la construction à l’expertise

Marine nationale : le « MICA Center », compétence mondiale

 




OTAN : évolution, partenariat, élargissement et cyber

L’OTAN s’adapte aux transformations de l’espace stratégique, qui inclut aussi le cyber. La dynamique politique, commerciale, civile et militaire de ce dernier multiplie les moyens d’actions discrètes et indirectes, rendant difficile l’établir la responsabilité d’un Etat.

Ce domaine a fait l’objet d’un colloque organisé, le 16 septembre 2019 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à l’occasion du 70ème anniversaire de l’OTAN. Y sont notamment intervenus : le général (2S) Michel Yakovleff, titulaire de différents postes à l’OTAN de 2009 à 2016 puis enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris ; Guillaume Lasconjarias, délégué défense au ministère de l’Education nationale ; Camille Morel, Université Lyon 3. En outre, la FRS a diffusé une note de recherche intitulée « Du cyber et de la guerre », écrite par son chercheur associé, le général (2S) Olivier Kempf.

Alliance militaire évolutive. L’OTAN consiste en exercices et partenariats qui produisent du dialogue et de la sécurité, mais a tendance à militariser la situation du monde, explique le général Yakovleff. Depuis 50 ans, elle développe ses capacités par des exercices, dont les normes constituent un label fort, au point que la Russie a réformé ses forces armées en conséquence. Les opérations entreprises par l’OTAN au Kosovo, en Afghanistan et en Irak depuis 1999 apparaissent comme des « accidents historiques ». L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord a en effet évolué au cours d’une succession de réformes. Créée face à l’URSS en 1949 par des pays occidentaux démocratiques, elle s’est réinventée dans le « Partenariat pour la paix », passant d’une alliance « contre » à une alliance « pour » agir ensemble. Fondée sur le consensus, l’OTAN n’est pas le « faux-nez » des Etats-Unis, qui fédèrent l’espace stratégique en profondeur dans le respect des opinions des autres, souligne le général. Même si les Etats-Unis représentent 25 % de la structure militaire de l’OTAN, une opération peut se faire sans eux, notamment par une coalition spécifique avec les structures existantes. La France le démontre au Sahel, sans pour autant conduire une opération « à l’américaine ». Peu pourvue en implantations et en fonctionnaires, l’OTAN constitue une véritable école de partage pour les milliers d’officiers des pays membres qui y sont affectés trois ans. Toutefois, elle se trouve fragilisée par l’un de ses membres, la Turquie, qui représente une menace existentielle plus grave que la résurgence de la Russie, avertit le général. Selon lui, la puissance militaire turque face à l’URSS d’autrefois a diminué, depuis que le régime actuel terrorise les élites militaires, a décapité l’armée de l’Air et a accumulé les erreurs tactiques en Syrie face à Daech, causant des pertes colossales malgré les moyens engagés.

Défense et sécurité. Après l’éclatement du Pacte de Varsovie (1991), l’OTAN s’est élargie pour se transformer en alliance de sécurité collective et assurer une légitimité maximale, indique Guillaume Lasconjarias. Elle a accueilli son 30ème membre, la Macédoine du Nord, en 2019 à l’issue d’un compromis sur son nom avec la Grèce. L’OTAN promeut les valeurs occidentales, dont l’état de droit, dans les forces armées des membres du « Partenariat pour la paix » (20 pays, pour la plupart neutres ou de l’ex-URSS), mais le dialogue avec la Russie a été interrompu après son annexion de la Crimée en 2014. L’OTAN entretient d’autres partenariats dans le monde : « Dialogue méditerranéen » (Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Mauritanie, Maroc et Tunisie) ; « lnitiative de coopération d’Istanbul » (Bahreïn, Qatar, Koweït et Emirats arabes unis) ; « Partners around the Globe » (Afghanistan, Australie, Colombie, Irak, Japon, Corée du Sud, Mongolie, Nouvelle-Zélande et Pakistan). S’y ajoutent ceux avec diverses organisations internationales : ONU ; Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ; Union européenne ; Union africaine ; Ligue arabe. La Géorgie et l’Ukraine ne peuvent encore la rejoindre, à cause de leurs conflits territoriaux en cours : Abkhazie et Ossétie du Sud pour la première et Crimée pour la seconde. Par ailleurs, le Japon, la Corée du Sud et l’Australie veulent y adhérer, car la présence des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France, principaux pays membres, permettrait de créer une coalition spécifique en cas de conflit multinational dans leur environnement proche. En raison de ses engagements internationaux et de ses capacités expéditionnaires, l’OTAN se trouve sur deux fronts. Sa direction stratégique Est traite la Russie, les menaces hybrides, la pression économique et la dissuasion nucléaire. Sa direction stratégique Sud s’occupe du djihadisme, du terrorisme et des migrations. L’OTAN doit gérer les crises, assurer une défense collective et coopérer en matière de sécurité. Elle considère que si les Etats du Sud sont en sécurité, ceux du Nord le seront aussi.

Conflictualité nouvelle. Selon le général Kempf, la lutte générale dans le cyber mélange : les intérêts de puissance, réservés aux Etats ; les intérêts économiques des firmes multinationales et des mafias ; les intérêts politiques ou idéologiques (organisation non gouvernementales, djihadistes, Wikileaks, Anonymous et « cyberpatriotes ») ; les intérêts individuels (hackers). En outre, le cyber constitue un outil remarquable pour des actions hostiles, en-deçà du seuil de la guerre et en dehors d’actions militaires classiques : sanctions juridiques ; blocus économiques ; amendes ; guerre économique ; actions massives d’influence. La « cyberconflictualité » s’est développée en même temps que la mondialisation. Elle sape la concurrence par l’emploi souterrain et quotidien de l’espionnage, du sabotage et de la subversion. Aux Etats-Unis, sous prétexte de lutte-anti-terrorisme, la NSA espionne surtout les pays concurrents et collabore, dans une relation à double sens, avec les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). La Chine, pratique une stratégie d’espionnage économique par tous les moyens, y compris le cyber. Russie, Israël et Singapour entretiennent une symbiose étroite entre les services spécialisés et les jeunes passionnés d’informatique. A terme, conclut le général, cette nouvelle conflictualité va fusionner les guerres militaires, les oppositions géopolitiques et les concurrences économiques. Toutefois, elle n’a pas encore tué d’êtres humains.

Loïc Salmon

Selon Camille Morel, 350 câbles sous-marins acheminent 80 % des flux de données, publiques et privées, transitant sur internet. Les satellites ne jouent qu’un rôle complémentaire, notamment en Arctique et au Canada. Dès le XIXème siècle, ces réseaux de câbles font l’objet de menaces, surtout par l’espionnage. Depuis les années 1980, des Etats et des organisations non étatiques tentent de capter les informations en transit sur la fibre optique des câbles et peuvent, éventuellement, s’attaquer à leurs réseaux de gestion. L’OTAN a pris conscience de la vulnérabilité des câbles sous-marins et les considère comme des cibles militaires en temps de guerre. Elle a lancé une réflexion sur leur importance, le droit de la mer et la nécessité d’accroître la résilience dans ce domaine. De leur côté, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne réglementent l’exportation des matériaux et éléments les concernant.

OTAN : synergie pour traiter les symptômes et causes des crises

Cyber : nouvelle doctrine pour la lutte informatique

Cyber : prise de conscience du risque et perspectives (2030)




Renseignement : innover sur les plans technique et conceptuel

Malgré son expertise et ses matériels aux performances reconnues par ses partenaires étrangers, la Direction du renseignement militaire (DRM) a besoin d’outils techniques, dont l’intelligence artificielle, pour faciliter et même rendre possible le travail de ses analystes.

Son directeur, le général de corps aérien Jean-François Ferley, l’a expliqué le 23 novembre 2018 à Paris, dans le cadre du Forum innovation défense.

Penser autrement. Aux autorités politiques, la DRM fournit une appréciation de la situation d’un théâtre en crise pour aider à la décision, indique le général. Pour les armées, elle doit appuyer les opérations en cours sur le terrain et anticiper de 12 à 18 mois une situation pour éclairer la manœuvre future. Outre ses capacités propres, elle coordonne le fonctionnement des capteurs de la Marine nationale et des armées de Terre et de l’Air en matière de renseignement d’origines image, électromagnétique, humaine et cyber. La DRM travaille en collaboration étroite avec les autres services de renseignement français et étrangers. Ses personnels, militaires et civils, doivent faire preuve d’initiative, d’intuition et de rigueur dans leur domaine d’expertise au sein d’un vingtaine de grands métiers. Même si le nombre de capteurs se multiplie avec des performances améliorées, celui des données à exploiter augmente de façon exponentielle et dépasse les capacités actuelles d’analyse. La DRM concentre alors ses efforts sur l’automatisation du traitement des données et le développement de nouveaux outils pour continuer à valoriser son socle stratégique de connaissances, afin de déceler le bon renseignement au bon moment et au bon endroit. Or le monde civil va plus vite que celui de la défense. Ainsi, le programme français MUSIS du Centre national d’études spatiales, par délégation de la Direction générale de l’armement, prévoit le lancement de trois satellites de reconnaissance optique entre 2018 et 2021 pour remplacer Hélios II et multiplier les capacités par cinq. De son côté, la DRM va mettre sur orbite un satellite d’écoute électromagnétique en 2019. Dans le domaine cyber, la DRM doit déterminer l’origine d’une attaque et aussi rechercher les informations susceptibles d’intéresser les services chargés des actions défensives et offensives. En 2019, elle va lancer un projet sur les outils innovants d’exploitation des informations issues du « darkweb ».

Applications duales. L’écosystème Intelligence Campus fédère les acteurs publics et privés, issus de la communauté du renseignement, du monde académique et des entreprises. Il a identifié les capacités de Earthcube, startup spécialisée dans l’analyse d’images satellitaires. Présente au Forum innovation défense, cette dernière a mis au point la détection automatique d’objets sur image satellite pour produire du « renseignement multicapteurs ». Les taches (photo) indiquent, par exemple, les bâtiments d’origine, ceux construits après une date précise puis après une date ultérieure ainsi que les quantités d’émissions électromagnétiques. Les innovations de Earthcube consistent à : mettre en place une solution d’intelligence artificielle pour aider l’opérateur dans ses actions quotidiennes ; optimiser la consultation de la base de données existante d’images satellitaires ; identifier des partenaires innovants pouvant interagir avec les acteurs des programmes d’armement. Ce projet à double finalité permet, sur le plan civil, la détection d’activités humaines et économiques ou, sur le plan militaire, l’automatisation partielle de la surveillance d’une zone de crise.

Loïc Salmon

DRM : intégrateur du renseignement militaire

La face cachée d’internet

Renseignement : lancement de « l’Intelligence Campus »




Lève-toi et tue le premier

L’efficacité de ses services de renseignement (SR) et de ses forces armées a sauvé Israël lors de crises graves. Les succès de ses opérations clandestines n’ont pu remplacer la diplomatie pour mettre un terme aux affrontements avec ses adversaires, Etats ou organisations terroristes.

Cet ouvrage se fonde sur un millier d’entretiens avec des dirigeants politiques, des hauts responsables du renseignement et même des agents d’exécution ainsi que sur des milliers de documents fournis par ces sources. Toute opération secrète du Mossad (SR extérieur), du Shin Bet (SR intérieur), de l’Aman (SR militaire) ou des forces spéciales nécessite l’autorisation écrite du Premier ministre…qui peut l’annuler au dernier moment ! Tous les Premiers ministres, qui se sont succédé depuis 1974, avaient servi auparavant dans les SR ou les unités spéciales. Dès la création de l’Etat en 1948, les SR envisagent de recourir à des opérations ciblées, loin derrière les lignes des nations arabes hostiles. A la suite d’un premier échec, le recours à des juifs autochtones dans les pays « cibles » a été exclu, à cause des répercussions sur toute la communauté juive locale. En outre, tout juif « traître » doit être ramené devant un tribunal israélien et non pas exécuté, en raison de la tradition de responsabilité mutuelle et du sentiment d’appartenance à une seule grande famille après deux millénaires d’exil. Israël accède au rang de grande puissance du renseignement en 1956, par l’obtention du rapport secret sur la dénonciation des crimes du stalinisme, présenté devant le XXème Congrès du Parti communiste soviétique. La remise d’un exemplaire à la CIA marque le début de l’alliance secrète entre les SR américains et israéliens. La guerre secrète inclut rivalités entre SR, mésententes avec les dirigeants politiques, échecs et dommages collatéraux. Suite à une opération indirecte concernant un pays allié et ayant entraîné de graves conséquences sur le plan international, les assassinats ciblés ne visent que des individus menaçant les intérêts d’Israël et doivent être menés uniquement par ses ressortissants. Une exécution complexe, entreprise loin à l’étranger, nécessite jusqu’à plusieurs centaines de participants, âgés pour la plupart de moins de 25 ans. Après la guerre des Six-Jours (1967), gagnée grâce à l’effet de surprise et anticipée par ses SR, Israël n’a guère recherché de compromis diplomatique avec les pays arabes voisins…jusqu’à la guerre du Kippour (1973), qui lui a coûté 2.300 soldats et aurait pu être mieux préparée par un travail de renseignement en amont. Les SR israéliens n’ont pas davantage anticipé la bombe à retardement constituée par les millions de réfugiés palestiniens après les guerres de 1948 et 1967, dont une partie vient chaque jour travailler en Israël et voit le développement des colonies juives en Cisjordanie. Dès 1993, les organisations terroristes palestiniennes recourent aux attentats-suicides, causant des centaines de morts et plus d’un millier de blessés israéliens. A l’ONU, les Etats-Unis opposent systématiquement leur véto à toute condamnation de la politique de représailles d’Israël par des assassinats ciblés. Entre 2000 et 2017, l’Etat hébreu a procédé à environ 2.300 opérations de ce type contre le Hamas, à Gaza, ou lors d’interventions du Mossad contre des cibles palestiniennes, syriennes et iraniennes. Les Etats-Unis, qui s’en sont inspiré après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, n’en ont conduit que 401 entre 2001 et 2017.

Loïc Salmon

« Lève-toi et tue le premier », Ronen Bergman. Editions Grasset, 944 pages, 29€. Format numérique, 19,99 € 

Proche-Orient : Israël, envisager tous les scénarios de riposte

Sécurité : Israël et la France, face au terrorisme islamiste

325 – Dossier : “Israël, continuum défense-sécurité depuis 50 ans”

Renseignement : pouvoir et ambiguïté des « SR » des pays arabes




Défense : la MCIC, promouvoir les armées dans le respect de la liberté de création

Outre l’entretien du lien Armées-Nation, la Mission cinéma et industries créatives (MCIC) du ministère des Armées contribue au maintien des vocations et du sentiment d’appartenance de ses personnels ainsi qu’au rayonnement extérieur de la France.

Lors d’un point de presse, le 12 mai 2022 à Paris, sa directrice, Eve-Lise Blanc-Deleuze, l’a présentée et le producteur de la série télévisée « Sentinelles », Antoine Szymalka, a apporté son témoignage.

Accompagnement et expertise. Le ministère des Armées dispose d’un catalogue de 15 millions de photos et de 94.000 heures de films depuis 1842. Etablie en mai 2016, la MCIC étudie plus de 200 projets audiovisuels par an, dont 52 sollicitations sur des fictions de séries télévisées, 49 sur des fictions cinéma, 50 sur des documentaires et 25 tournages dans l’environnement militaire. La fiction permet au grand public de mieux connaître et comprendre le milieu des armées, indique Eve-Lise Blanc-Deleuze. Il ne s’agit pas de faire leur propagande mais d’en montrer la réalité et de lutter contre les représentations caricaturales. La MCIC reste présente tout au long du projet : avant le tournage, par le conseil en écriture, la documentation et l’expertise ; pendant, par la mise à disposition, payante, de matériels non accessibles dans le secteur privé ; après, par un accompagnement en matière de communication. La MCIC invite les professionnels concernés à visiter les établissements d’enseignement militaire, embarquer sur un porte-hélicoptères amphibie ou assister aux présentations des capacités de l’armée de Terre ou de l’armée de l’Air et de l’Espace. Certains films ainsi soutenus ont connu un succès réel, notamment « Le chant du Loup » (2019) et « Notre-Dame brûle » (2022). La série « Le Bureau des légendes » (50 épisodes de 2015 à 2020), vendue dans 15 pays et qui montre le rôle de la Direction générale de la sécurité extérieure de façon plausible, a suscité une vague de candidatures. Une série sur les forces spéciales doit suivre en 2023. D’autres sont à l’étude pour la Marine nationale et l’armée de l’Air et de l’Espace.

Fiction « vraisemblable ». La série « Sentinelles » (7 épisodes diffusés à partir d’avril 2022), soutenue par la MCIC, porte sur l’opération « Barkhane » au Mali. Elle présente une intervention terrestre dans sa véracité, explique Antoine Szymalka. Les différentes rencontres, organisées par la MCIC, ont permis de cibler l’univers militaire. Une formation accélérée de quatre jours dans un régiment a facilité le croisement des regards et des avis pour accroître le réalisme. Les entretiens avec des soldats de retour de « Barkhane » ont aidé à présenter les émotions des militaires sur le terrain. Alors qu’aux Etats-Unis un événement militaire donne rapidement lieu à une série télévisée, il a fallu quatre ans pour réaliser « Sentinelles », après une longue préparation documentaire et des tournages en France mais aussi au Maroc avec ses paysages de désert et ses véhicules de l’avant blindé…âgés.

Bandes dessinées à l’honneur. La MCIC a reçu plus de 90 ouvrages (25 éditeurs) pour la 2ème édition des « Galons de la BD ». Le 10 mai à l’Ecole militaire et en présence de la ministre des Armées Florence Parly, le jury a attribué : le Grand Prix à Madeleine Résistante, (vie de Madeleine Riffaud) ; le Prix Histoire à #J’accuse (l’affaire Dreyfus, traitée par les médias d’aujourd’hui) ; le prix Jeunesse à L’insurgée de Varsovie (Pologne, 1944) ; une mention spéciale à Bob Denard, le dernier mercenaire.

Loïc Salmon

Défense : le cinéma, de la communication à la réalité

Renseignement et cinéma : des logiques difficilement compatibles

Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère




Défense et sécurité : s’organiser face au terrorisme protéiforme

La lutte contre le terrorisme et l’islamisme radical nécessite détermination politique, planification et action militaires, renseignement et sanctions judiciaires.

Ce thème a été traité au cours d’un colloque tenu les 22 et 23 novembre 2016 à Paris, à l’occasion du 110ème anniversaire du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Y sont notamment intervenus : le Premier ministre Manuel Valls ; le général Pierre de Villiers, chef d’État-major des armées ; Thierry Matta, adjoint au directeur général de la sécurité intérieure ; Véronique Degermann, procureur de la République adjoint près le Tribunal de grande instance de Paris ; Jean Mairesse, directeur adjoint de l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions.

Adaptation permanente. « L’ennemi n’est plus seulement à nos frontières, il se trouve au cœur de notre société et peut faire irruption à tout moment », déclare Manuel Valls qui rappelle les moyens d’y faire face. En 2013, ont été créés la Direction générale de la sécurité intérieure et le Service central du renseignement territorial, qui échangent et partagent leurs informations. S’y ajouteront, d’ici à 2017, 9.000 postes de policiers et gendarmes et une allocation de plus de 1,1 Md€, dont 290 M€ d’investissements. Les lois des 24 juillet et 30 novembre 2015 accordent aux services de renseignement des moyens légaux avec la mise en place de mécanismes de contrôle pour préserver les libertés individuelles. L’administration pénitentiaire sera dotée de son propre service de renseignement, car le milieu carcéral constitue l’un des incubateurs de la radicalisation islamiste. La section antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris a été renforcée de 13 magistrats et bientôt de 11 juges d’instruction spécialisés, en vue d’une judiciarisation systématique et la plus rapide possible envers les associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Au 23 novembre 2016, 365 dossiers judiciaires sur 1.400 personnes sont ouverts et 313 individus mis en examen. L’état d’urgence, déclenché en novembre 2015, est prolongé jusqu’aux élections présidentielle et législatives du printemps 2017. La même année, la Garde nationale, composée de volontaires, viendra en soutien des 10.000 militaires de l’opération « Sentinelle » pour la protection du territoire. Enfin, la France mettra 170 personnels des Douanes et des ministères de l’Intérieur et de la Défense à la disposition de l’agence Frontex pour le contrôle de l’espace Schengen.

Outil de défense. Terrorisme djihadiste et certains États-puissances, traditionnels ou émergents, présentent des liens et des ressorts communs, estime le général de Villiers. Le premier porte la violence dans les champs matériel et immatériel, politique, social, culturel, économique et militaire, dans les zones grises ou au cœur du territoire national. Les seconds étendent leur influence par le rapport de force et le fait accompli, avec un risque majeur de déstabilisation. Forces armées et de sécurité sont confrontées à l’usage très fréquent de la violence, par un adversaire qui cherche à entraver la liberté d’action et de circulation. La dispersion des zones d’intervention et les élongations inter et intra-théâtres d’opérations extérieurs rendent primordiales les capacités de projection, de commandement et de renseignement. De même, certains groupes terroristes réalisent des attaques coordonnées et simultanées sur le territoire national. La technologie numérique permet à Daech d’être ici et là-bas, instantanément et au même moment. Mais aujourd’hui, la France se situe dans le peloton de tête dans le domaine du cyber. Par ailleurs, la multiplication des engagements de longue durée (jusqu’à 10 ans) use rapidement les ressources humaines et matérielles et exige la résilience des forces armées et de la nation toute entière. La planification, à savoir comprendre et concevoir, s’impose sur le plan militaire. Il s’agit de transformer l’intention du chef en une succession d’actions conduites par des forces complémentaires, pour atteindre des objectifs en acceptant une prise de risque mesurée. Une situation complexe nécessite l’intervention d’acteurs différents. Enfin, prévoir l’impensable exige notamment d’étudier l’adversaire, d’examiner les cas « non conformes », de confronter les divers modes d’action, d’identifier les contraintes et les risques et d’analyser les opportunités.

Renseignement et intervention. Surveillance, renseignement technique et coopérations nationales et internationales se complètent, explique Thierry Matta. Toutes les informations sont recoupées, analysées et enrichies par l’action. Le spectre couvert va de la prévention à la riposte via des mécanismes bilatéraux. Ainsi, la Direction générale de sécurité intérieure (DGSI) participe à la lutte anti-terroriste en cohérence avec celle de la sécurité extérieure, dont certaines équipes viennent chez elle, et les autres services de renseignement, pour une analyse commune avant la prise de décision. L’intervention inclut l’interdiction d’accès ou de sortie du territoire et l’assignation à résidence de suspects. Aujourd’hui, la rapidité d’action entre l’ouverture d’une enquête et la neutralisation de terroristes augmente.

Action judiciaire. Le terrorisme a pour finalité le trouble à l’ordre public par l’intimidation et la terreur, souligne Véronique Degermann. Le parquet de Paris compte 140 magistrats spécialisés, dont  une cellule de crise (60 magistrats) qui intervient en cas d’événement majeur (attentat de Paris en 2015 et de Nice en 2016). Partenaire du ministère de la Défense, il travaille en totale confiance avec la DGSI : action en amont dans les réseaux pour les démanteler ; possibilité de perquisition de nuit avec garantie d’autorisation du juge des libertés ; prolongation de la détention préventive ; accès aux données cryptées et téléphones de dernière génération. Depuis janvier 2015, les individus vivant sur le territoire national et qui se sont rendus en Syrie ou en reviennent sont passibles d’une cour d’assises, composée de magistrats professionnels, et risquent 20 ans de prison. Les mineurs de moins de 15 ans sont envoyés en détention avec un suivi éducatif. Enfin, la coopération internationale (Union européenne et États-Unis) passe par des techniques communes d’enquête.

Loïc Salmon

Moyen-Orient : chaos interne et répercussions périphériques

Terrorisme islamiste

Marine nationale : mission « Arromanches 3 » du GAN en Méditerranée orientale

Selon Jean Mairesse, le « numérique » ou science de l’information inclut informatique, robotique, traitement de données, physique, chimie et sciences humaines. Elle nécessite donc une formation pluridisciplinaire. L’intelligence artificielle consiste en une machine capable d’apprendre et de prendre la meilleure décision possible, grâce à une puissance de calcul exponentielle avec des capteurs de moins en moins chers et des algorithmes plus performants. Sa progression exponentielle la rend plus efficace qu’un être humain. Les cyberattaques progressent en sophistication. Les plus efficaces perturbent le tissu social en recueillant notamment des informations sur le style de hauts responsables, en vue de comprendre leurs éléments de langage pour duper leurs subordonnés par de « faux » ordres aux conséquences graves ou même criminelles.




KGB-DGSE

Russes ou français, les agents de renseignement acquièrent la même façon de penser et s’intéressent, en priorité, au pillage économique et technologique des pays en pointe. Le reste de leurs tâches s’apparente au travail des diplomates.

Deux anciens officiers traitants (OT), en service des années 1970 à la chute de l’URSS en 1991, l’expliquent sous forme de dialogue. A sa grande époque, le KGB soviétique compte 420.000 personnels, dont la moitié garde les frontières, une bonne partie assure la police politique et seulement 10.000 gèrent le renseignement extérieur sur l’ensemble du monde. Avec un budget dix fois inférieur, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) concentre les efforts de ses 2.500 personnels sur les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne, mais aussi les anciennes colonies françaises pour le renseignement politique. D’une façon générale, le recueil de renseignement porte d’abord sur les sources « ouvertes » : presse spécialisée ; documentations professionnelles ; publications universitaires ou de recherche ; études à diffusion restreinte accessibles dans les bibliothèques d’universités ; interventions dans les colloques et congrès. Viennent ensuite les sources secrètes, à savoir documents internes d’entreprises, de laboratoires, d’institutions ou de ministères. Ce renseignement d’origine humaine concerne rarement des directeurs, ingénieurs ou cadres haut placés, car rapidement identifiables par les services de contre-espionnage adverses en cas de fuite. Or, de bons analystes de sources ouvertes peuvent arriver aux mêmes conclusions que ceux travaillant sur les renseignements confidentiels recueillis…par les OT, qui récoltent aussi du renseignement d’ambiance, très apprécié. Les procédures de transmission ou d’espionnage varient selon la « culture » des services. Ainsi, l’OT du KGB dispose d’un émetteur radio compressant des données transmises en une seconde, quand il passe devant l’ambassade soviétique. La DGSE utilise des « canons spéciaux » qui captent les vibrations de la voix à travers les murs. En URSS, des micros directionnels peuvent écouter des conversations à l’extérieur jusqu’à 500 m. Fort de l’appui des partis communistes locaux, le KGB utilise, dans les années 1950 et 1960, des « agents d’influence » dans les milieux politiques, intellectuels et artistiques des pays capitalistes. Il s’agit souvent de personnalités haut placées, plus ou moins conscientes ou même qui ne se rendent pas compte de la manipulation. De son côté, la DGSE recourt aussi à des « agents inconscients » de la mouvance soviétique, qui servent à faire passer des messages dans certains milieux ou à obtenir du renseignement mais jamais pour la propagande. Tout agent du KGB en mission extérieure doit surveiller les Soviétiques en poste à l’étranger ou des ressortissants ayant émigré partout dans le monde. Toutefois, il ne peut réaliser une opération criminelle qu’avec l’autorisation du Bureau politique ou du secrétaire général du Parti communiste soviétique. Le service action de la DGSE est soumis aux mêmes contraintes politiques. Dans les années 1970, les dirigeants soviétiques cessent de croire à la révolution communiste mondiale. L’agitation dans les pays occidentaux, par l’intermédiaire de groupuscules « gauchistes » soutenus par les pays satellites, devient gênante lors de l’entrée dans une période de coopération économique. Aujourd’hui, le FSB russe a pris la relève du défunt KGB.

Loïc Salmon

 KGB-DGSE », Sergeï Jirnov et François Waroux. Mareuil Éditions, 204 pages. 19 €

Renseignement : la DGSE souhaite être connue

James Bond n’existe pas

Dictionnaire renseigné de l’espionnage




Renseignement : importance croissante en France depuis la première guerre mondiale

Le renseignement d’intérêt stratégique, avec ses dimensions militaire, économique et politique, s’est développé en France au cours du 1er conflit mondial. Ses ressources humaines, techniques et financières ont considérablement augmenté depuis.

Un colloque sur l’espionnage et le renseignement pendant la 1ère guerre mondiale a été organisé, le 26 novembre 2014 à Paris, par l’Académie du renseignement, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire et la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives. Y ont notamment participé : Olivier Forcade, professeur à la Sorbonne ; le commandant Michaël Bourlet, professeur à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan ; le préfet Alain Zabulon, coordonnateur national du renseignement.

Carences et évolution structurelle. Après la défaite de 1870 devant l’armée prussienne, le renseignement militaire français a été réorganisé. Mais la notion de planification annuelle du renseignement n’existe pas. Le 2ème Bureau se concentre sur les intentions adverses d’invasion du territoire national. Après l’affaire Dreyfus (1899) l’espionnage a mauvaise presse, explique Olivier Forcade. La défiance est générale à l’égard du renseignement : l’information brute est préférée au renseignement élaboré, suspect de déformation et de politisation. En 1914, la communauté du renseignement regroupe quelques centaines de personnes sans organisation institutionnelle, qui s’échangent des informations de façon informelle. Elle se répartit entre les ministères de l’Intérieur, de la Guerre et des Affaires étrangères. Contrairement à la Grande-Bretagne, le renseignement n’est pas encore perçu comme une ressource de la décision politique. Pourtant, les armées assurent une formation au renseignement, notamment la reconnaissance de la cavalerie et les investigations des sapeurs. Mais ce savoir-faire tactique ne débouche pas sur une technique professionnelle. L’attentat terroriste de Sarajevo (28 juin) contre l’héritier de l’Empire austro-hongrois, prémisse de la guerre, constitue une surprise diplomatique et stratégique. Par ailleurs, depuis 1857, la police collecte des informations bancaires et installe une vingtaine de postes le long des frontières pour anticiper les intentions adverses et prévenir les crises, savoir-faire qui perdure jusqu‘en 1914. En outre, dès 1880, des agences privées collectent des informations commerciales et économiques. Les consulats à l’étranger font de même et disposent de moyens techniques d’écoute. Les attachés militaires s’intéressent aux industries d’armement. En 1914, ces recueils deviennent systématiques pour la poursuite de la guerre. Ensuite, un contrôle des informations téléphoniques et télégraphiques des entreprises et établissements bancaires est instauré, en raison du blocus du ravitaillement résultant de la « guerre totale ». Les interceptions et écoutes portent sur les flux de marchandises entre pays neutres (Espagne et pays scandinaves) et belligérants, qui pourraient en réexporter vers les Empires centraux. Après l’invasion de la Belgique et d’une dizaine de départements français par les troupes allemandes, des réseaux se constituent parmi les milliers de réfugiés et de personnes déplacées, afin de collecter des renseignements sur l’ennemi et influencer les populations. En outre, la diffusion de fausses « bonnes » nouvelles devient un enjeu en soi pour la désinformation des États neutres (Espagne, Grèce et Pays-Bas).

Les 2ème et 5ème Bureaux. Alors que le 2ème Bureau s’occupe du renseignement militaire, l’état-major général crée le 5ème Bureau fin 1915, pour l’information et la propagande en métropole et la coopération interalliée dans le renseignement, explique le commandant Michaël Bourlet. Tous deux recrutent des personnels très diplômés : 70 % viennent des Grandes Écoles et 30 % de l’Université. Le 2ème Bureau se présente ainsi : 60 personnes au début ; 77 % d’officiers, surtout supérieurs brevetés de l’École de guerre et issus principalement de l’École Polytechnique ; 45-46 ans d’âge moyen. Le 5ème Bureau compte : 220 personnes militaires et civiles ; 20 % d’officiers subalternes venus de Saint-Cyr et surtout de la réserve ; 40 % d’agrégés en langues ou histoire ; 40 ans. Les gens du 5ème Bureau ont participé au combat, sont cités ou décorés et ont été blessés au moins une fois (30 % sont inaptes au front). Ils doivent rédiger avec rigueur et avoir l’esprit de synthèse : les linguistes pour tout ce qui concerne l’étranger (interrogatoires de prisonniers et analyse de la presse) et les « historiens » pour les états-majors. Le 5ème Bureau compte peu d’espions (8 % en 1916), essentiellement envoyés sur le terrain pour organiser des réseaux. La fonction prime le grade : des professeurs militaires du rang commandent à des officiers moins compétents ! Ces élites ainsi formées pendant la 1ère guerre mondiale serviront l’État par la suite.

Le renseignement aujourd’hui. La 1ère guerre mondiale constitue une période charnière pour le renseignement avec les effets induits de l’avion, du char, du sous-marin et de la communication sans fil, rappelle le préfet Alain Zabulon. En outre, les menaces ont évolué. Alors que les grandes puissances s’affrontaient directement, elles se trouvent aujourd’hui impliquées dans des conflits régionaux (Irak, Syrie, Israël et Territoires palestiniens). S’y ajoutent : le terrorisme avec des acteurs non étatiques (Daech, Al Qaïda et groupes djihadistes) ; les atteintes au patrimoine scientifique et technologique national par des puissances étrangères (espionnage) ; les cyberattaques contre les établissements d’intérêt vital. Les services de renseignement assurent des missions essentielles pour l’autonomie stratégique, la conduite des opérations militaires et la sécurité intérieure. Le Comité interministériel du renseignement élabore les directives nationales sous l’autorité du Premier ministre et assure synergie et transversalité des services concernés. Le Conseil national du renseignement, présidé par le président de la République, s’est réuni trois fois depuis 2012 pour définir les orientations et priorités. Le contrôle parlementaire du monde du renseignement a été renforcé. En 2014, l’ancienne Direction centrale du renseignement intérieur, dépendant du ministère de l’Intérieur, s’est étoffée en Direction générale de la sécurité intérieure correspondant à la Direction générale de la sécurité extérieure, rattachée au ministère de la Défense.

Loïc Salmon

Renseignement : hommes et moyens techniques pendant la première guerre mondiale

DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

DCRI : anticiper les menaces futures

Le « renseignement » est une information estimée pour sa valeur et sa pertinence, alors que la « donnée » se réfère à la précision de l’information et le « fait » à sa constatation objective. Collecté et traité par des services militaires et civils, il est destiné à un gouvernement ou une institution pour guider les prises de décision et les actions. En revanche, « l’espionnage », accompli au profit d’une puissance étrangère, est considéré comme un crime et une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Commis par un Français ou un militaire au service de la France, il constitue une trahison.




Armée de Terre : un état-major de forces immédiatement projetable

La France développe sa capacité d’entrer en premier sur un théâtre d’opérations extérieur et celle de nation cadre dans une coalition. Outre des missions sur le territoire national, son système d’état-major de forces lui permet de projeter immédiatement un commandement opérationnel.

Ce système comprenait 4 états-majors de forces (EMF), réduits aujourd’hui à 2 et interchangeables : l’un à Besançon (EMF N°1) et l’autre à Marseille (EMF N°3). Ce dernier est commandé par le général de division Philippe Pontiès, qui l’a présenté, avec son équipe de direction, à l’Association des journalistes de défense le 25 novembre 2013 à Marseille. L’EMF 3 est en posture de projection pendant toute l’année 2014, tandis que l’EMF 1 reste en alerte et en préparation opérationnelle au moyen de divers exercices. Les rôles s’inverseront en 2015.

Opérations extérieures. Tous les personnels des EMF ont participé à des opérations extérieures. Pendant un an, un EMF est en mesure de projeter immédiatement environ 20 % de son effectif en temps ordinaire, chiffre passé à 80 % fin 2013 pour l’EMF 1 en raison de la relève dans l’opération « Serval » au Mali. Pour honorer le contrat opérationnel de l’armée de Terre (voir encadré), il remplit 4 missions : planifier et conduire des opérations interarmées de niveau division de l’OTAN ; assurer la mise sur pied d’un poste de commandement interarmées à dominante terrestre (PC opératif type « Serval ») pour un engagement national limité à 5.000 hommes en alerte « Guépard » ; armer un PC de circonstance dans le cadre de la défense du territoire national ; renforcer un PC interarmées à dominante aérienne ou maritime dans le cadre d’une opération. Il s’agit de s’adapter au contexte d’une guerre et dans l’urgence. L’EMF apporte la capacité de travailler ensemble, à la différence de la juxtaposition de compétences individuelles. La clé de son succès réside dans la cohérence, la connaissance mutuelle, la confiance et les automatismes. « Il faut bien connaître la doctrine pour mieux s’en affranchir », souligne le général Pontiès. L’efficacité repose sur la qualité des combattants, du 2ème classe au général et acquise par la formation, sur celle du dispositif de commandement et de contrôle et sur celle de la préparation opérationnelle. Pour rester à niveau, cette dernière correspond, idéalement, à 90 jours d’entraînement par homme et par an et à 180 heures de vol pour les équipages de l’Aviation légère de l’armée de terre. Des exercices d’EMF avec des pays alliés entretiennent la préparation opérationnelle. Avec le Qatar, cela envoie un signal fort dans la région du Moyen-Orient. Suite aux accords de Lancaster House, 60 personnels d’EMF sont envoyés en Grande-Bretagne dans le cadre de la force expéditionnaire commune. Renseignement. Tous les personnels officiers et sous-officiers viennent de l’École du renseignement de l’armée de terre (Saumur), de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Direction générale de la sécurité extérieure. Pendant 4 semaines et dans des bâtiments sécurisés, ils se forment à l’outil SAERc (Solution d’aide à l’exploitation du renseignement « convergé »), dont la production est diffusée à toute personne habilitée de la planification et de la conduite des opérations. La chaîne SEARc assure une cohérence bout à bout pour un meilleur partage et une exploitation plus performante du renseignement. Un moteur de recherche dédié stocke des volumes très importants d’informations diverses (textes, images et sons), retrouve des données pertinentes (pays, armement, personnes etc.) et extrait au bon moment et rapidement celles recherchées. Il identifie : les relations entre plusieurs types d’entités dans une même phrase (personnes et mots clés par exemple) ; les principaux thèmes et catégories d’informations à partir d’un corpus documentaire. Il visualise : les relations entre les différentes entités (ébauche de réseau mafieux) ; les redondances dans le temps, coïncidences ou rapprochement entre différents types d’entités (présence dans un attentat d’un individu fiché) ; les entités géolocalisées (réseaux mafieux identifiés). Quelque 60.000 fiches thématiques permettent de faire des analyses statistiques et thématiques, de comprendre l’enchaînement d’événements et d’en déterminer le « centre de gravité ». Pendant la préparation opérationnelle, la cellule renseignement de l’EMF s’entraîne à partir des comptes rendus de situation d’un théâtre d’opération réel provenant de la base de données du Centre de planification et de conduite des opérations à Paris. Lors de la projection de l’EMF, elle assure la veille en relation avec le Système d’information et de commandement des forces.

Environnement opérationnel. Outre la logistique, le renseignement, la planification et  la conduite des opérations, les fonctions de l’EMF incluent les actions sur les perceptions et l’environnement opérationnel : ciblage, opérations d’information, opérations militaires d’influence et actions civilo-militaires. Le ciblage consiste à identifier puis sélectionner des cibles pour agir sur elles avec des moyens létaux ou non, en vue d’obtenir l’effet recherché. Il est assuré par les forces spéciales, la guerre électronique, la cyberdéfense et les opérations d’information. Ces dernières visent à utiliser ou à défendre l’information, les systèmes d’information et les processus décisionnels pour appuyer une stratégie d’influence en respectant les valeurs défendues. Il s’agit d’informer la population et les responsables locaux neutres, de promouvoir les gens favorables à la cause défendue et de discréditer les opposants. Contrairement à la propagande, tout ce qui est diffusé par tracts ou par radio doit être exact et vérifiable. Les opérations militaires d’influence cherchent à obtenir un effet sur les comportements d’individus, de groupes ou d’organisations afin d’atteindre des objectifs politiques et militaires. En Afghanistan, les personnels français chargés des opérations militaires d’influence et des actions civilo-militaires ont été formés à l’OTAN. Après leur départ, le relais a été pris par l’ambassade de France et des organisations non gouvernementales, car l’effet durable se fera sentir… au bout d’une génération !

Loïc Salmon

Coalition 2012 : exercice majeur d’état-major à l’Ecole de guerre

« Serval » : manœuvre aéroterrestre en profondeur et durcissement de l’engagement

Selon le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale, l’armée de Terre doit pouvoir disposer de 66.000 personnels projetables à l’horizon 2025, dont : 10.000 sur le territoire national ; 7.000 en tout dans 2 ou 3 opérations de gestion de crises ou 15.000 dans 1 opération de coercition avec préavis et après réarticulation du dispositif engagé en opération ; 1.500 dans un groupement tactique interarmes de la Force interarmées de réaction immédiate (2.300 h) et déployable jusqu’à 3.000 km en 7 jours. L’État-major de forces N°3 (Marseille) compte 291 personnels, dont 107 officiers (3 généraux), 107 sous-officiers et 77 militaires du rang. Il inclut un escadron de quartier général pour le déploiement du système d’information et de commandement et la protection immédiate. S’y ajoutent 128 réservistes et 13 personnels civils.




La DST sur le front de la guerre froide

La Direction de la surveillance du territoire (DST, 1944-2008) a eu recours au flagrant délit pour justifier l’arrestation d’espions du bloc de l’Est. Pour les étrangers, l’expulsion a suivi mais, pour les Français, les suites judiciaires ont parfois été contrecarrées pour des raisons politiques.

De 1960 à 1990, 83 diplomates soviétiques ont dû rentrer chez eux, dont 47 en 1983, ainsi que des agents des services de renseignement (SR) polonais, tchécoslovaques, est-allemands et roumains. Pendant cette période, les autorités politiques, quelle que soit leur couleur, ont exceptionnellement soutenu la DST, préférant ignorer ses actions, les bloquer ou même les critiquer publiquement. Selon l’URSS, la révolution prolétarienne doit se réaliser par la subversion avec l’aide des partis communistes locaux, légaux, et des réseaux clandestins dirigés par Moscou. Pendant la guerre d’Indochine (1945-1954), la DST signale les « fuites » de documents secrets qui parviennent au Vietminh, via l’ambassade d’URSS…et des responsables et des sympathisants communistes français. Pendant celle d’Algérie (1954-1962), elle démantèle des réseaux du Front de libération nationale et empêche des attentats. Puis, son activité de contre-espionnage remonte en puissance, notamment grâce aux relais des organisations d’émigrés russophones. A l’époque, le KGB déploie cinq pôles thématiques : les « illégaux » sans couverture diplomatique ; le contre-espionnage et les SR adverses, dont la DST et le SDECE puis la DGSE à partir de1982 ; l’émigration des dissidents ; les sciences et techniques pour rattraper le retard dans ces domaines ; la politique, milieu ouvert propice à l’influence. Le KGB fixe les objectifs à la désinformation des opinions publiques : dénigrer les États-Unis ; saper la confiance des pays occidentaux entre eux ; donner une impression trompeuse des intentions de l’URSS ; neutraliser les oppositions extérieures. La DST exerce alors un contrôle serré des diplomates soviétiques et assimilés à partir de leur ambassade ou de tout autre établissement officiel. Tout Français en rapport avec un Soviétique est systématiquement identifié et fait l’objet d’une enquête, suivie d’une convocation. L’aide du FBI et de la CIA se révèle essentielle, car les États-Unis sont espionnés par l’intermédiaire d’autres pays et à partir de bases qui leur sont extérieures. Ces SR ciblent surtout l’OTAN, le nucléaire et l’aéronautique. L’invocation de l’immunité diplomatique, celle de l’universalité de la science ou la renommée dans la presse nationale assurent une certaine « protection », en cas de découverte d’activités d’espionnage. Comme les SR occidentaux, le KGB et le GRU (renseignement militaire) connaissent des désertions…surtout vers les États-Unis, plus attractifs sur les plans idéologique et financier. Les transfuges de chaque camp facilitent l’identification des « taupes » adverses. Les arrestations débouchent sur l’exécution à l’Est et de lourdes peines de prison à l’Ouest…mais moindres ou annulées en France. La « chasse aux taupes » entraîne une psychose au sein des SR anglo-saxons, dont profite le KGB. En France, celui-ci cible notamment le ministère des Affaires étrangères…qui supporte mal que la DST puisse légitimement suspecter un diplomate et lui refuser un visa. Certains ambassadeurs représentent moins les intérêts de la France que ceux du pays de leur affectation. Via un niveau subalterne, les SR soviétiques et chinois ont eu accès aux télégrammes diplomatiques. De 1964 à 1974, les autorités chinoises ont obtenu, de façon discontinue, la correspondance de l’ambassade de France à Pékin et celle du pool de Hong Kong (échanges entre Américains, Britanniques et Français). Les télex de l’ambassade de France à Moscou ont été « piégés » de 1976 à 1983.

Loïc Salmon

« La DST sur le front de la guerre froide », par Jean-François Clair, Michel Guérin et Raymond Nart. Mareuil Éditions, 210 pages. 21 €

Renseignement : recomposition des services au début de la guerre froide (1945-1955)

Guerres secrètes

Histoire secrète du XXème siècle, mémoires d’espions