Interarmées : anticipation et numérisation, gages de la supériorité opérationnelle

Les nouvelles technologies de l’information profitent également aux adversaires asymétriques, qui évoluent plus vite que les armées régulières. Celles-ci doivent s’adapter pour éviter le « décrochage opérationnel ».

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 3 mai 2018 à Paris, par le Commandement pour les opérations interarmées (CPOIA) à l’occasion de son 25ème anniversaire. Y sont notamment intervenus : le général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées ; le général de corps d’armée Grégoire de Saint-Quentin, sous-chef « opérations » de l’Etat-major des armées ; Olivier Zajec, chef de cours à l’Ecole de guerre et conférencier à l’Institut des hautes études de défense nationale et au Centre des hautes études militaires.

« L’art opératif ». Le niveau opératif d’une opération extérieure se situe entre les niveaux stratégique (autorités politiques) et tactique (manœuvres et combats). Conception française de conduire la guerre, l’art opératif s’exerce sur de nouveaux champs de conflictualité, rappelle le général Lecointre. Aux affrontements traditionnels sur mer, sur terre et dans les airs, s’ajoutent ceux dans l’espace et le cyber et peut-être d’autres qui restent à imaginer. En outre, la portée de systèmes d’armes s’accroît et le nombre de capteurs se multiplie. Par ailleurs, la capacité à manœuvrer sur un champ très large, comme celui de l’opération « Barkhane » en cours au Sahel, implique une approche globale, difficile à mettre en œuvre. De plus, le temps connaît une mutation, où une action continue complète une série d’actions séquentielles. A terme, il faudra résoudre l’équation entre les contraintes des moyens et les objectifs à atteindre dans une crise évolutive. Cela impliquera d’abord une souplesse de l’organisation des forces, qui prendra en compte les évolutions technologiques. Innovation et imagination entreront dans le choix du mode d’action pour obtenir une supériorité opérationnelle, grâce au numérique et à l’intelligence artificielle. En matière d’informations, il faudra empêcher un cloisonnement vertical entre les niveaux stratégique, opératif et tactique, tout en évitant, pour le niveau supérieur, de se substituer au niveau subalterne où chacun doit pouvoir se concentrer sur la tâche de son niveau. Enfin, il ne faudra pas céder au « tout technologique » souligne le chef d’état-major des armées.

Conduite et contrôle. La numérisation permet l’enregistrement des données et la vérification du résultat d’une opération pour conduire la manœuvre à tout instant, indique Olivier Zajec. Dès 1973, en pleine guerre du Viêt Nam, le général américain William Westmoreland anticipe le champ de bataille du futur : forces ennemies localisées, traquées et ciblées presqu’instantanément par l’utilisation de liaisons de transmission ; évaluation de l’espionnage assisté par ordinateur ; contrôle automatisé de tirs. Le retour d’expérience français de la guerre du Golfe (1990-1991) préconise : une entité de planification des opérations ; un cycle d’entraînement interarmées pour préparer les opérations majeures ; l’emploi de moyens de communication mobiles, fiables et compatibles avec les systèmes alliés pour permettre l’exercice du commandement ; fluidification de la manœuvre entre les armées de Terre et de l’Air. En 25 ans, l’organisme devenu aujourd’hui le CPOIA a porté ses efforts selon quatre axes : adaptation des structures de commandement ; recherche de solutions techniques et humaines pour trier les énormes flux de données qui menace de submerger les postes de commandement ; adaptation des boucles décisionnelles au temps numérique pour définir le tempo idéal d’une action de la force ; détermination de la place respective des niveaux stratégique, opératif et tactique dans la conduite des opérations. L’enjeu de demain porte sur l’équilibre entre les technologies de communication en temps réel et la marge d’initiative à laisser au plus bas niveau. Depuis septembre 2017, le groupe de travail sur le commandement interarmées des engagements prend en compte la compression de l’espace et du temps par la révolution numérique et la concentration de l’intelligence pour anticiper, planifier conduire et évaluer une opération. Le filtrage des données et le partage de leur exploitation à tous les niveaux permettent de décider l’action à mener et d’améliorer l’art opératif.

Défis technologiques et humains. La révolution numérique vise à améliorer la compréhension de situations complexes et volatiles et à décider dans des délais de plus en plus courts. Enjeu majeur, le filtrage des données en surabondance consiste à détecter les « pépites », accélérer le traitement des données et en extraire des tendances et des « signaux faibles ». Il s’agit d’obtenir la bonne information pour prendre la bonne décision, explique le général de Saint-Quentin. Il convient de se prémunir contrer la désinformation pour contrer une manœuvre très sophistiquée et, par l’anticipation, de discerner les intentions de l’adversaire. Le numérique donne de l’agilité à une « planification sur mesure », car chaque cas appelle une réponse différente. A l’instar du Commandement des opérations spéciales, le contrôle opérationnel doit être dévolu, pour une courte période, à la composante de la force la mieux placée pour fusionner toutes les compétences au poste de commandement. Sont concernées : l’armée de l’Air pour le transport et la frappe ; la Marine nationale pour la permanence sur zone ; une composante alliée, britannique ou américaine. Outre la gestion des équipes opérationnelles et non opérationnelles, la conduite et le contrôle des opérations impliquent de favoriser les initiatives par délégation de commandement. Sur le plan technique, il s’agit d’imposer des normes mais dans un environnement collaboratif et de prendre ce qui existe déjà dans le secteur civil. Toutes les hypothèses doivent prendre en compte les cyberattaques contre les centres de commandement, garants de la « survivabilité » militaire. La simulation de la conduite des opérations permet de valider une hypothèse et de l’appréhender en temps réel. Faute de mise à jour sur le plan numérique, l’interopérabilité disparaît, avertit le général de Saint-Quentin.

Loïc Salmon

« Serval » : manœuvre aéroterrestre en profondeur et durcissement de l’engagement

Centrafrique : l’opération « Sangaris » au niveau « opératif »

Enjeux de guerre : réfléchir à celle d’aujourd’hui et imaginer celle de demain

Le commandement de niveau opératif, projeté sur un théâtre, recouvre les dimensions militaire, civilo-militaire et politico-militaire d’opérations planifiées et conduites par une ou plusieurs forces dans un cadre national ou multinational. Ce niveau d’intégration permet d’atteindre les objectifs militaires fixés par le commandement stratégique et de contribuer à la réalisation de l’état final recherché. Le « Commandement pour les opérations interarmées » regroupe 150 militaires issus des armées de Terre et de l’Air, de la Marine nationale, du Service du commissariat des armées ainsi que des officiers des nations alliées et du personnel civil. Il a armé des postes de commandement de niveau opératif au sein de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (2002), en République démocratique du Congo (2003 et 2006), au Tchad (2008) sous l’égide de l’Union européenne, en Haïti (2010), en Libye (2011), en Jordanie (2012) et au Sahel (depuis 2013).




Renseignement : indispensable à la souveraineté et garant de l’indépendance nationale

Les services de renseignement (SR) français ont connu une grande transformation en France ces dernières années, après la prise de conscience de l’opinion et des pouvoirs publics de la nécessité de leurs travaux.

Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a fait le point de la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 9 février 2015 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale.

Évolution de l’opinion publique. Dans les pays anglo-saxons, les services de renseignement (SR) sont considérés comme utiles et légitimes et leurs agents comme exerçant « un métier de seigneur ». En France, en dehors des conflits armés, le renseignement a longtemps été perçu comme infâmant et comme un mélange de trahison et de surveillance policière. Cette absence de culture de renseignement ne résulte pas du hasard, estime Jean-Jacques Urvoas. La géographie du pays et son autosuffisance économique pendant longtemps n’ont guère incité ses habitants à s’informer sur l’extérieur, la quête de l’unité l’emportant sur la conquête hors frontières naturelles. Peu curieux, le tempérament français a valorisé la connaissance et méprisé le renseignement. Depuis le Moyen-Age, le risque doit permettre la victoire, qui résulte d’un exploit guerrier. La beauté du geste compte, notion totalement étrangère au monde du renseignement. La mémoire collective a retenu les « affaires » louches : Dreyfus (1894-1906), Ben Barka (1965), micros du Canard enchaîné (1973) et Rainbow Warrior (1985). Les dirigeants politiques français ont longtemps mal connu les possibilités et les contraintes des SR, estimant qu’ils peuvent tout, savent tout et ont réponse à tout… immédiatement ! Jusqu’à Nicolas Sarkozy (2007-2012), indique Jean-Jacques Urvoas, les présidents de la Vème République ont gardé une attitude méfiante ou prudente à leur égard. Toutefois, ces sentiments ne sont pas l’apanage de la France. Aux États-Unis, le président John Kennedy, échaudé par le fiasco de « l’affaire de la Baie des cochons » (1961) imputé à la CIA, avait déclaré à son personnel dans le hall de l’agence de renseignement : « Vos succès ne seront pas rendus publics, mais vos échecs seront annoncés à la trompette » ! Pourtant, tout change après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis par l’organisation terroriste Al Qaïda. Celle-ci, qui ne dépend pas d’un État, peut frapper n’importe où, n’importe quand et n’importe comment. Contrairement à la guerre froide (1945-1991) où les objectifs des SR étaient de grande taille (capacités militaires et économiques adverses), la menace est devenue diffuse. Les renseignements d’origines humaine, technique et satellitaire ne suffisent plus. Il s’agit de détecter les « signaux faibles », cachés probablement au fond d’un ordinateur qui n’est pas connecté à internet. En outre, devant le développement exponentiel de la téléphonie mobile (courriels compris), les défis majeurs résident dans le tri de l’information et la capacité d’analyse. Pour l’opinion publique française, les SR, outils indispensables de l’État, sont devenus des « réducteurs d’incertitude » face à une menace non identifiable.

« Mutation » des SR. Le Livre blanc 2008 sur la défense et la sécurité nationale mentionne la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation », au même titre que « dissuasion », « protection », « prévention » et « intervention ». Est également créée la communauté du renseignement, qui regroupe 6 SR : Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Direction du renseignement militaire et Direction de la protection et de la sécurité de la défense rattachées au ministère de la Défense ; Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, police nationale) ; Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (ministère de l’Économie) ; Tracfin (encadré, ministère des Finances). En 2014, le président de la République et le gouvernement ont engagé des mutations juridique et capacitaire des SR, indique Jean-Jacques Urvoas. Un budget supplémentaire de 425 M€ financera les équipements et le fonctionnement. Les effectifs, actuellement de 12.000 personnes, seront renforcés de 1.300 postes. A titre de comparaison, les SR américains emploient 80.000 personnes et les SR britanniques 30.000. En raison de la montée en puissance du terrorisme, le renseignement intérieur a été restructuré. La DCRI a été transformée en « Direction générale de la sécurité intérieure » (DGSI). Le recrutement, auparavant constitué à 66 % de fonctionnaires de police (formation juridique) est ouvert, par des contrats de 3-4 ans, aux informaticiens, mathématiciens (cryptage), traducteurs et analystes financiers. Le maillage territorial est reconfiguré en fonction du risque estimé. La DGSI a accès directement au ministre de l’Intérieur et peut coopérer plus facilement avec la DGSE. Elle peut établir des partenariats avec : la Préfecture de police de Paris pour les recherches sur l’immigration clandestine, les infractions à l’emploi d’étrangers, le terrorisme et l’action violente ; le Service central du renseignement territorial, né en mai 2014, pour le travail de détection en amont de dérives sectaires et de repli identitaire dans les quartiers difficiles ; la sous-direction à l’anticipation opérationnelle de la Gendarmerie nationale, qui dispose de brigades aux échelons départemental, régional et zonal ; le Bureau du renseignement pénitentiaire. En matière d’écoutes téléphoniques, les fichiers de Google et d’Amazon sont plus performants que ceux de la DGSI. En outre, les terroristes, se sachant sur écoutes, ne disent rien au téléphone et ne se parlent que chez eux. Leur domicile doit donc être « sonorisé » et leur véhicule suivi grâce à la pose de balises. Enfin, la loi va bientôt obliger les sociétés étrangères de téléphonie, comme Skype, à coopérer. L’emploi de ces moyens sera validé par une commission de contrôle avec des ingénieurs chargés de la vérification technique, précise Jean-Jacques Urvoas. Enfin, en matière d’espionnage industriel et de pillage de savoir-faire des entreprises, les plus grands prédateurs se trouvent parmi les pays alliés proches, souligne-t-il.

Loïc Salmon

Le renseignement, clé pour la connaissance et l’anticipation

Renseignement : importance croissante en France depuis la première guerre mondiale

Renseignement : cadre législatif à améliorer, selon la DPR

Le service de renseignement financier « Tracfin », qui dépend du ministère des Finances, compte une centaine dagents. Le département de lanalyse du renseignement et de linformation assure lintégration, lenrichissement et la valorisation de linformation. Il entretient des relations avec les professionnels déclarants et les services étrangers homologues. Le département des enquêtes recherche notamment les fraudes financières en matière de jeux et de transferts dargent. La cellule danalyse stratégique exploite les informations disponibles, afin didentifier les tendances en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Une cellule spécifique traite les affaires de financement du terrorisme. Le pôle juridique et judiciaire assure aussi une mission dexpertise. La mission « système dinformation » est chargée du fonctionnement et des évolutions des systèmes informatiques de Tracfin.  




Le sous-marin nucléaire d’attaque : aller loin et durer

Le sous-marin à propulsion nucléaire d’attaque (SNA), capable de rester longtemps sur un théâtre lointain, est un projecteur de puissance contre la terre avec le missile de croisière naval et un projecteur de forces pour les opérations spéciales.

Le SNA peut aussi sécuriser un porte-avions et son escorte, devenus trop rapides pour les sous-marins à propulsion diesel-électrique, qui restent quand même une menace sérieuse. Son évolution future a fait l’objet d’une table ronde organisée, le 18 décembre 2012 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine. Y ont notamment participé : le vice-amiral d’escadre Charles-Edouard de Coriolis, commandant des Forces sous-marines et de la Force océanique stratégique ; les ingénieurs en chef de l’Armement Christian Dugué et Yannick Le Yaouanc de la Délégation générale de l’armement ; le capitaine de vaisseau Marc Ginisty de l’état-major de la Marine ; Christian Dufour du groupe d’armement naval DCNS.

L’opérationnel et le technique. La Russie envoie des SNA dans le Pacifique. L’Inde a loué deux SNA russes de type « Akula » et prépare un projet national. La Chine a construit une nouvelle base navale dans l’île de Haïnan pour que les siens aient accès aux eaux profondes. La Marine française souhaite des « modules » pour ses SNA, en vue de s’adapter à l’évolution des menaces et d’avoir la capacité de s’en prémunir. Ainsi, pour arriver en océan Indien, il faut 17 jours à un SNA de type « Rubis » conçu, pendant et pour la guerre froide (1947-1991), pour la lutte anti-sous-marine et anti-navire de surface ainsi que le renseignement. Sa puissance repose sur sa capacité à durer sur zone,  sa capacité de feu, la qualité de ses capteurs, sa capacité à communiquer et agir dans un cadre interallié. Sa capacité à durer dépend de sa coque, son énergie électrique, son réacteur nucléaire et sa faible vulnérabilité. La capacité de feu du SNA français va augmenter avec l’élargissement du panel de ses armes : aujourd’hui les torpilles et l’embarquement de forces spéciales, demain les drones et le missile de croisière naval pour des frappes en profondeur contre la terre. Or, ces armes, même prévues, vont évoluer selon leur propre cycle de vie. Les capteurs et moyens de communication sont modifiés en permanence et consomment beaucoup d’électricité pour être efficaces et discrets. Ainsi, le sonar, destiné à l’origine à la détection de bâtiments, sous-marins et mines ainsi qu’au guidage des torpilles, intervient aussi dans la navigation en zone littorale peu profonde. Les « mâts » du SNA ne sont plus constitués d’un simple périscope, mais abritent plusieurs capteurs (antennes, radar et caméras numérique et infrarouge) et les systèmes de pointage. D’un poids total de près d’une tonne à hisser de 5 à 10 m discrètement pour ne pas être repérés, ils doivent programmer, capter et analyser en quelques secondes. En fin de compte, les SNA français se sont révélés des outils adaptables et d’emploi flexible sur le long terme. Vu que la durée de vie d’un bâtiment en général peut dépasser celle d’une entreprise ou du moins de sa stratégie, un ingénieur en verra peut-être deux au cours de sa carrière, mais n’en construira qu’un ! En conséquence, il s’agit de prévoir des marges d’évolution des matériels qui, de plus, ne dureront pas de la même façon à bord.

Le programme Barracuda. En vue de déploiements lointains de longue durée, les SNA français devront accroître leur autonomie et la redondance de leurs équipements et aussi  regrouper leurs périodes de maintenance. Leur vie passera de 35 ans pour ceux du type Rubis (74 m de long, 2.600 t) à plus de 40 ans pour ceux du type Barracuda (100 m, 5.000 t). Le premier SNA de nouvelle génération entrera en service actif en 2017 et le  sixième le quittera… vers 2070 ! Chacun sera équipé d’une liaison tactique performante, dérivée de celle des nouvelles frégates multi-missions et adaptée à ses antennes pour le débit (système de données) et les vacations (réception des informations). Afin de pouvoir embarquer des équipements plus grands, l’équipage sera restreint à 60 hommes au lieu de 70 actuellement. Comme les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la Force océanique stratégique, chaque Barracuda pourra partir 90 jours d’affilée et disposera de deux équipages qui se relaieront, non au port d’attache, mais dans un port d’appui. Le futur SNA pourra ainsi être projeté très loin pendant six mois. En outre, il aura la capacité d’embarquer 15 passagers, dont deux équipes de nageurs de combat avec leurs propulseurs sous-marins pour effectuer des opérations spéciales à terre. Il sera équipé de mines, du missile anti-navire SM 39, de la prochaine torpille lourde F21 et du futur missile de croisière naval d’environ 1.000 km de portée. Le programme Barracuda, lancé par la Direction générale de l’armement en 1998, est en cours de réalisation par le groupe naval DCNS, qui y mobilise 2.000 personnes dans ses différents sites : Cherbourg pour la coque et la structure d’intégration d’ensemble ; Indret pour la chaufferie et l’appareil moteur ; Toulon pour le système de combat ; Ruelle pour les mécaniques d’armes et de conduite. Les quatre sites participent à l’ingénierie. Le groupe industriel Areva  traite la partie nucléaire. Les travaux ont déjà commencé sur la première série de trois submersibles dénommés Suffren, Duguay-Trouin et Tourville. Enfin, le SNA, qui doit aller là où il se passe quelque chose, souligne l’amiral de Coriolis, occupe une fonction stratégique pour la connaissance et l’anticipation. Il recueille en effet des renseignements d’origines acoustique, électromagnétique et optique, fusionne les données dans la durée et les synthétisent. Il se positionne au plus près des sources, sans que sa présence les alerte et modifie leurs comportements. Ainsi, lors de l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011, un SNA français est resté 95 % du temps en immersion périscopique, en zone littorale et par petit fond.

Loïc Salmon

Même si elle ne dispose que de SNA, la France a construit pour l’exportation des sous-marins à propulsion diesel-électrique (SMD) du type « Scorpène » : 4 au Brésil, 2 au Chili, 6 en Inde et 2 en Malaisie. Leur propulsion indépendante de l’air (AIP) leur permet des plongées plus longues et améliore leurs performances : vitesse maximale, 20 à 21 nœuds (37/38 km/h) ; autonomie à 19 ou 20 nœuds, 2 à 3 heures ; autonomie à 3 ou 4 nœuds, 15 à 20 jours au lieu de 5/6 j pour les SMD dépourvus d’AIP ; distances franchissables à 8 ou 9 nœuds, 12.000 milles nautiques (plus de 22.000 km). Un SMD AIP, parti de France, peut rallier la Libye en 6 jours, la Syrie en 13 j et la Somalie (environ 3.000 milles) en 24 j et rester 15 j environ sur zone. Par contre, un SNA de type « Rubis », actuellement en service, atteint la Libye en 5 j, la Somalie en 11 j et le détroit de Malacca (6.000 milles) en 17/18 j et reste environ 30 j sur zone. Le futur SNA de type « Barracuda » arrivera dans le golfe Arabo-Persique (5.000 milles) en 10 j et en mer de Chine (7.000 milles) en 19/20 j et pourra rester plus de 40 j sur zone. Enfin, il bénéficiera des dernières études réalisées pour le Scorpène en matière d’invulnérabilité acoustique.




Renseignement : cadre législatif à améliorer, selon la DPR

La législation doit s’adapter aux évolutions, notamment technologiques, de la criminalité et du terrorisme afin de maintenir l’efficacité des services de renseignement, tout en préservant la sauvegarde des libertés.

Tel est le point de vue de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), qui a publié le 2 mai 2013 un rapport sur ce sujet pour 2012. En outre, le rapporteur de la mission d’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, Jean-Jacques Urvoas, a présenté la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 15 mai à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. La DPR s’est réunie une journée par semaine pendant sept mois et a entendu 63 personnes à huis clos, sans trace écrite ni verbatim. Elle a rencontré notamment le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, le coordonnateur national du renseignement Ange Mancini et l’ensemble des directeurs et leurs prédécesseurs de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) dont elle a visité un site d’installations techniques, de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, de la Direction du renseignement militaire et de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers).

Constats. Selon Jean-Jacques Urvoas, la DPR a cherché à comprendre la communauté du renseignement pour faire évoluer ses moyens en fonction de ses missions. Elle a constaté que les services de renseignement (SR), institués uniquement par décrets, n’ont pas d’existence légale en France. En raison de l’absence de loi, cette dernière se trouve à la merci d’une condamnation de la Commission européenne des droits de l’homme. En outre, les moyens des SR sont maigres : usage restreint des fichiers, autorisations d’écoutes téléphoniques au compte-gouttes, mais recours massif aux réquisitions de « fadettes » (factures détaillées des appels téléphoniques). Les SR militaires concentrent leurs efforts sur la prévention du terrorisme. Le rapport de la DPR constate un retard de quatre ans du programme de renseignement électromagnétique Ceres, un report de celui du satellite d’alerte avancée et l’absence de modernisation du drone MALE (moyenne altitude, longue endurance). Or, la possession d’une capacité spatiale pérenne en matière d’écoute électromagnétique, précise le rapport, apparaît comme un instrument indispensable pour la connaissance et la surveillance des théâtres d’opérations ou zones d’intérêts importants (Sahel notamment) pour la sécurité de la France. Par ailleurs, le satellite Ceres, dont le coût global paraît moins élevé que d’autres programmes militaires, permettrait à la France d’acquérir une capacité de souveraineté unique en Europe. Toutefois, la mutualisation, depuis 2008, des moyens techniques de la DGSE a profité à la communauté du renseignement. Jean-Jacques Urvoas rappelle la menace juridique qui pèse sur l’anonymat des agents qui peuvent être appelés à témoigner. Il se déclare « effaré » par la publication de livres de souvenirs des anciens des SR !

Recommandations. La Commission des lois de l’Assemblée nationale a approuvé le rapport de la DPR à l’unanimité, indique Jean-Jacques Urvoas. Ce rapport note que la liste des personnes pouvant être entendues est limitée dans l’état actuel du droit. La DPR souhaite en effet pouvoir entendre des responsables des SR autres que les directeurs. De plus, suite à l’affaire Mohamed Merah (auteur de plusieurs assassinats, au nom du jihad, à Toulouse et Montauban entre les 11 et 19 mars 2012), elle estime qu’elle devrait être en mesure de connaître les dysfonctionnements relatifs à des opérations achevées. Jean-Jacques Urvoas rappelle que « le renseignement est vécu comme un objet sale en France et qu’on en parle qu’en cas de scandale » (affaires Ben Barka en 1965 et Rainbow-Warrior en 1985). En revanche, « en Angleterre, c’est un travail de gentlemen ». Mais depuis la création de la DPR en 2007, ces deux mondes (renseignement et Parlement) « ont appris à se connaître et construire une relation de confiance sur le long terme ». Selon la DPR, la DCRI devrait disposer d’une plus grande autonomie de gestion, afin de pouvoir recruter, par contrat, des linguistes et des spécialistes de haut niveau. L’idéal serait de la transformer en « Direction générale de la sécurité intérieure » pour reformater le renseignement intérieur (police) et profiter des compétences de la Gendarmerie en matière de renseignement généraliste. De son côté, « la DGSE est un outil qui fonctionne bien, souligne Jean-Jacques Urvoas, il faut lui donner les moyens de monter en puissance en termes humains, techniques et juridiques ».  Quant à la cyberdéfense, la DPR considère indispensable de fixer un objectif minimal de 500 agents en 2015 pour l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et de renforcer les effectifs affectés à cette tâche au sein des SR. Elle préconise l’obligation, pour les entreprises et opérateurs d’importance vitale, de signaler à l’ANSSI tout incident ou attaque informatique significative. D’après Jean-Jacques Urvoas, le retard de la France par rapport à d’autres démocraties occidentales pourrait se combler en s’inspirant de leurs bonnes pratiques : contrôle parlementaire (Grande-Bretagne, Israël, Allemagne, Canada) ; commission judiciaire (Nouvelle-Zélande) ; magistrat (Espagne). « Seule une loi peut définir durablement les missions des services qui peuvent déroger au droit commun ». La plupart des pays font un constat a posteriori des activités, mais pas sur celles en cours. « Ce sera probablement le cas en France ». Selon Jean-Jacques Urvoas, une loi présenterait trois atouts pour les SR : légalisation de leurs activités ; acquisition des moyens nécessaires ; certitude qu’ils ne servent pas le pouvoir, mais l’Etat. Enfin, un contrôle parlementaire « garantirait que les services de renseignement ne sont pas dévoyés par l’exécutif », conclut le président de la Commission des lois.

Loïc Salmon

Le renseignement, clé pour la connaissance et l’anticipation

Renseignement et Parlement : transparence et souplesse

DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

La Délégation parlementaire au renseignement, créée le 9 octobre 2007, est habilitée à suivre l’activité générale et les moyens des services de renseignement (Voir rubrique « Archives » 01/02/2012 : Renseignement et Parlement). Paritaire majorité/opposition, elle compte 8 membres (4 députés et 4 sénateurs). Son premier vice-président, Jean-Jacques Urvoas (à gauche) est également président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Présidée par François Mattens (à droite), l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale compte plus de 1.500 membres, qui ont suivi une formation courte à l’Institut des hautes études de défense nationale, en métropole et dans les départements et territoires d’outre-mer : séminaires Jeunes ; séminaires Cohésion nationale et Citoyenneté ; séminaires Master II « Sécurité-Défense » ; séminaires Grandes Ecoles.




Forces spéciales : outil complémentaire des forces conventionnelles

Les opérations « spéciales » emploient un minimum de moyens et visent un maximum de résultats dans un but stratégique. Elles sont réalisées par des forces dites « spéciales », dont l’action, sur décision politique, doit être fulgurante et facilement réversible.

Ce domaine a fait l’objet d’un rapport d’information de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et d’un document du cercle « Prospective Terre », publié par le GICAT (groupement des industries d’armements terrestres), tous deux rendus publics en mai 2014.

Concepts. Le glossaire de l’OTAN, sur lequel s’appuie le rapport sénatorial, distingue divers types d’opérations militaires, visibles ou secrètes, et menées par des acteurs spécifiques. Une opération classique, préparée, planifiée et conduite sans dissimulation par des troupes conventionnelles, constitue le socle de toute campagne militaire importante et cherche un effet tactique sur le déroulement d’une bataille. Une opération « commando », menée par des unités d’élite sans discrétion, vise à neutraliser un point décisif lors d’une bataille. Une opération discrète, conduite par tous types de forces, n’est pas dissimulée, mais ne fait l’objet d’aucune communication par l’État commanditaire. Elle devient secrète quand l’accent est mis sur sa dissimulation. Une opération spéciale, destinée à influer de façon décisive sur la suite du conflit et menée par des forces non conventionnelles, peut être revendiquée par l’autorité politique, comme l’action américaine « Trident de Neptune » pour neutraliser Oussama Ben Laden. Une opération « clandestine » se différencie de la précédente par l’absence de preuve de son lien avec l’État commanditaire : l’identité de l’exécutant doit être dissimulée ou permettre un déni possible. Enfin, une opération « numérique », entreprise contre les infrastructures vitales d’un pays, s’apparente aux opérations spéciales et clandestines, avec lesquelles elle pourrait se combiner. Elle frappe « au cœur » de l’adversaire et démultiplie les effets obtenus par rapport aux moyens employés et sans identification de l’origine, par des actes de sabotage, déstabilisation, malveillance, manipulation ou d’espionnage : Estonie, 2007 ; Géorgie, 2008 ; Iran, 2010 ; affaire Wikileaks, 2010 ; ONU, Inde, Canada, États-Unis, Corée du Sud, Comité olympique international et 72 entités, 2006-2010 ; France, 2011 ;  Arabie saoudite et Qatar, 2012.

Organisations et missions. En incluant le soutien et les troupes d’élite, les forces spéciales américaines (USSOCOM) se montent à environ 60.000 personnels, qui devraient passer à 69.700. Elles se répartissent entre les armées de Terre et de l’Air, la Marine et le Corps des Marines avec un commandement interarmées. L’agence de renseignement CIA dispose de ses propres forces spéciales (environ 1.000 personnels) pour ses activités clandestines. Suite à la réforme de 2013, les forces spéciales britanniques (UKSF) devraient passer de 3.500 personnels à 1.750. Utilisables indifféremment pour les opérations spéciales ou clandestines, elles viennent des trois armées et peuvent recourir aux  unités commandos SAS (1.000 hommes) d’active et de réserve. En France, le Commandement des opérations spéciales (COS) est interarmées et placé directement sous les ordres du chef d’État-major des armées. Il ne s’occupe pas des opérations clandestines, menées sous une fausse identité par les agents du service action de la Direction générale de la sécurité extérieure. L’armée de Terre met à sa disposition : le 13ème Régiment de dragons parachutistes, pour l’acquisition du renseignement (photo) ; le 1er Régiment parachutiste d’infanterie de marine, pour action dans la profondeur, entrée en premier sur un théâtre, infiltration, raid de neutralisation, combat en zone urbaine et opération d’influence ; le 4ème Régiment d’hélicoptères des forces spéciales, pour aérocombat, infiltration et exfiltration des équipes de commandos, surtout de nuit. Tous dépendent de la Brigade des forces spéciales terre, chargée de leur organisation, équipement et mise en condition opérationnelle. La Marine compte 5 unités de forces spéciales, appelées « commandos » et portant un nom comme les bâtiments de combat. Chaque commando compte 3 groupes répondant au socle commun des forces spéciales et 1 correspondant à sa dominante particulière : assaut de navires pour Jaubert et Trépel ; reconnaissance maritime et côtière pour Penfentenyo ; appui et neutralisation d’objectifs pour Monfort ; guerre électronique pour Kieffer ; action sous-marine pour Hubert.  L’armée de l’Air met 2 unités  à la disposition du COS : le Commando parachutiste de l’air N°10 pour mise en œuvre de zones aéroportuaires et guidage d’aéronefs dans la profondeur ; l’escadron de transport 03/61 « Poitou » pour infiltration, aérolargage et poser d’assaut, surtout de nuit.

Suremploi et limites. Le rapport sénatorial note le suremploi des forces spéciales depuis 2006, en raison de leur adaptation aux formes d’engagement d’aujourd’hui, et l’usure des hommes : sur 3.000 personnels, plus de 600 se trouvent en permanence en opérations ! Dans le bulletin du « Cercle Prospective terre », le général de division (2S) Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre et professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris et à HEC, souligne la nécessité et la spécificité des forces spéciales. Leur emploi s’apparente à de la projection de puissance plutôt que de forces et ne peut produire d’effet politique, finalité de toute action militaire. Mais le recours aux forces spéciales présente certains avantages : contrôle politico-militaire étroit pour limiter les dérives ; exposition médiatique faible et modulable ; interventions très en amont, tout en préservant la liberté d’action politique du pays hôte et de celui qui intervient ; désengagement aisé et discret. En revanche, estime le général, les forces spéciales ne peuvent contrôler l’espace aérien, maritime ou terrestre, ni durer sur zone en assurant leur propre protection, ni interdire une invasion territoriale face à des troupes nombreuses. Ces missions resteront du ressort des forces conventionnelles, également vivier du recrutement des forces spéciales.

Loïc Salmon

Nom de code Geronimo

Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

ALAT : les hélicoptères NG, nouveaux systèmes d’armes

Fin 2013, les forces spéciales françaises comptent un peu plus de 3.000 personnels d’active des armées de Terre et de l’Air et de la Marine, auxquels s’ajoutent 400 réservistes. Son parc aérien inclut : 2 avions de transport tactique Hercules  C130 ; 3  avions de transport tactique Transall C160 ; 2 avions Twin Otter DCH6, équipés de roues, skis ou flotteurs ; 41 hélicoptères de l’Aviation légère de l’armée de terre ; 2 hélicoptères de l’armée de l’Air. La loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit d’accroître les effectifs d’environ 1.000 personnels. Parmi leurs équipements futurs, figurent le programme « Melchior » de transmissions sécurisées et la livraison des premiers véhicules adaptés aux opérations spéciales (programme d’ensemble VLFS/PLFS). L’ensemble de la flotte d’hélicoptères Caracal des armées sera regroupé sur un seul site, sous l’autorité du Commandement des opérations spéciales.




Renseignement : hommes et moyens techniques pendant la première guerre mondiale

Le renseignement a connu des innovations majeures pendant la Grande Guerre en France : humaines, technologiques (transmissions, cryptage, écoutes et interceptions) et en matière de photographie aérienne. Mais l’excès du secret aura de graves conséquences en 1939.

Un colloque sur l’espionnage et le renseignement pendant la première guerre mondiale a été organisé, le 26 novembre 2014 à Paris, par l’Académie du renseignement, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire et la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives. Y ont notamment participé : le lieutenant-colonel Olivier Lahaie ; Agathe Couderc, universitaire ; Marie-Catherine Villatoux du Service historique de la défense.

Les sources humaines. L’observation du champ de bataille et l’interrogatoire des prisonniers constituent la base du recueil de renseignement. S’y ajoute l’espionnage, consistant à glaner des renseignements sous un faux prétexte. Dès le déclenchement de la guerre, tout espion démasqué est fusillé. En outre, l’image de l’espion est déplorable auprès de l’opinion publique, depuis l’affaire Dreyfus (1899), et du combattant du front, qui le considère comme un « embusqué ». Celle des femmes l’est tout autant au sein des services de renseignement, qui recommandent de s’en méfier. La misogynie virulente de l’époque invoque l’incapacité des femmes à garder un secret, leur vénalité et l’emploi de leurs charmes pour arriver à leurs fins. Contrairement à leurs homologues allemands et anglo-saxons, les agents français ne reçoivent presque pas de formation scientifique. Ceux du 2ème Bureau militaire apprennent un peu l’allemand, l’emploi de l’encre sympathique, la pyrotechnie, le combat rapproché et l’identification des uniformes et insignes des armées ennemies. Toutefois, des évolutions se produisent au cours de la guerre. Le renseignement englobe les champs militaire, économique et de l’influence. Le terme « agent de renseignement » remplace celui « d’espion », qui qualifie désormais un Français au service de l’ennemi, donc un traître. Les agents, permanents ou occasionnels, font alors l’objet d’une typologie fine. La catégorie des « volontaires » et actifs regroupe : les « vénaux », motivés par l’argent et considérés comme dangereux ; les « exaltés », tout aussi dangereux car incontrôlables à cause de leur goût du risque ; les « rancuniers » sans peur, mais imprudents par esprit de vengeance ; les « idéologues » et les « patriotes », prêts à donner leur vie sans trahir, car conscients de leur devoir et des risques encourus. La catégorie des « forcés » et passifs  rassemble : les « inconscients », victimes de leurs indiscrétions verbales ou écrites et de leurs confidences « sur l’oreiller » ; les « conscients », soumis au chantage ou à une menace quelconque ; les prisonniers de guerre ou de droit commun acceptant de parler ou d’espionner en échange d’une remise de peine. Ces agents peuvent être : « mobiles » envoyés en mission à l’étranger ; « fixes » résidant sur un territoire neutre ou ennemi ; « simples » ne servant qu’un camp ; « doubles » par vénalité ou chantage ; de « pénétration » pour faire passer de fausses informations à l’ennemi et influencer ses décisions ; « contre-espion » pour détecter les agents ennemis. Ces agents reçoivent de faux papiers d’identité et des appareils photos miniaturisés faciles à dissimuler.

L’électronique et le cryptage. Le renseignement technique s’obtient par interceptions et écoutes des transmissions ennemies, recoupées par radiogoniométrie pour repérer l’émetteur. Les transmissions s’effectuent par télégraphe filaire ou optique, TSF, relais de la Tour Eiffel, téléphone et messages écrits acheminés par pigeons voyageurs. Après les tâtonnements de 1914-1915, le  commandement français reconnaît l’importance du renseignement technique dans l’élaboration du renseignement stratégique. Le 2ème Bureau entreprend une écoute permanente des communications pour localiser les troupes ennemies. Les services du génie et de la radiotélégraphie mobilisent ainsi 12.000 hommes sur le front. A Verdun, le renseignement technique complète les rapports des patrouilles d’observation et les interrogatoires de prisonniers allemands. En 1918, il permet de déterminer les lieux de déclenchement des attaques futures, d’évaluer le moral des soldats allemands et d’anticiper la capitulation du IIème Reich. Son existence même suscite le besoin de développer le cryptage, dénommé « chiffre ». Peu nombreux en 1914, les effectifs du chiffre atteignent 55.000 hommes en 1918. La même année, les échanges d’informations se produisent entre les services de renseignement, du génie, de la Marine nationale et du chiffre de la TSF, début d’une restructuration du renseignement technique en temps de guerre. Un secret total sur les écoutes décryptées est imposé pour éviter que les Allemands ne s’en aperçoivent et changent leurs codes. L’interdiction d’en parler sera maintenue chez les officiers et sous-officiers de réserve, démobilisés, et les personnels d’active, affectés dans d’autres unités. Faute de cette mémoire, le 2ème Bureau se retrouvera, en 1939, dans la même situation qu’en 1914 !

La photographie aérienne. La reconnaissance aérienne met en œuvre avions, dirigeables et…ballons captifs à 2-5 km du front et 1.500-2.000 m d’altitude ! Les observateurs embarqués prennent des photos et renseignent par radio sur les mouvements de troupes et les tirs d’artillerie (bataille de la Marne). La guerre de positions va renforcer l’importance de la photo : mises à jour des cartes vieilles de 50 ans ; prises de vues stéréoscopiques ; rôle décisif des interprétateurs. Le général Joffre et le colonel Barès réorganisent l’aviation militaire : reconnaissance stratégique à haute altitude à l’intérieur du dispositif ennemi (40 km) ; observation tactique à basse altitude (150 m) …qui rendra le camouflage indispensable ! Lors des offensives de 1918, l’ingénieur Paul-Louis Weiller crée une escadrille de biplans Bréguet XIV pour le renseignement stratégique dans la profondeur (100 km), intégrant la photo aérienne dans la manœuvre. Celle-ci permet de frapper l’ennemi là où il ne s’attend pas et de corriger les bombardements. Le nombre de photos aériennes est passé de 40.000 en 1914 à 1 million  en 1918. Les photographes et interprétateurs sont astreints au secret absolu, de sorte que, par ignorance, les chefs militaires de 1939 estimeront impossible le renseignement aérien dans la profondeur. Les 250 techniciens survivants pourront en parler en 1970 !

Loïc Salmon

Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

Renseignement aérospatial : complémentarité entre drones et aéronefs légers ISR

Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

Les performances des télécommunications sont équivalentes dans les deux camps. Les dirigeables allemands ont pu effectuer des bombardements jusqu’à Londres, de nuit par guidage radio. Mais les Britanniques ont développé des contre-mesures électroniques pour les égarer. Les belligérants ont adapté des technologies déjà existantes pour les utiliser au front : radio, avion et photographie. Trois appareils à distances focales différentes sont utilisés pour les prises de vues aériennes avec des plaques de verre de 6-7 kg. Il faut 2 h pour développer une photo dans un camion.




Libye : Retex de l’armée de l’Air

Pendant l’opération Harmattan au large de la Lybie, l’armée de l’Air, disponible à 92 %, a dû combiner réactivité,  allonge endurance, polyvalence et précision. Le colonel Jean Rondel, chef de l’état-major opérationnel du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes, a présenté un retour d’expérience (Retex) à froid, au cours d’une conférence organisée, le 15 mars 2012 à Paris, par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Préparation et déroulement : les opérations aériennes en Libye ont duré plus de sept mois, contre deux mois et demi au Kosovo (1999) et un mois pendant la guerre du golfe (1991). Elles ont été initiées par la France et la Grande-Bretagne le 19 mars, avant de passer sous commandement OTAN le 1er avril (revue téléchargeable septembre 2011, p.11-12). Pour la première fois, elles ont été exercées au profit de forces terrestres étrangères (le Conseil national libyen, CNT), morcelées et sans véritable coordination. Avant le début des combats, la France a évacué, le 22 févier en deux missions Airbus A-340, les ressortissants européens (400) résidant dans les grandes villes. La Grande-Bretagne a envoyé, par avions de transport tactique Hercules, des forces spéciales récupérer ceux qui étaient dispersés dans le pays. Pour la première fois, le Commandement du transport européen (Allemagne, France, Belgique et Pays-Bas), opérationnel fin 2010, a été mis en œuvre. L’Allemagne a participé à la logistique, mais pas aux frappes. La logistique a inclus le largage de sacs de riz et d’armes et équipements aux forces du CNT, en coopération avec le Qatar et les Emirats arabes unis. Pour la première fois, les Etats-Unis ont participé aux premières frappes (missiles de croisières navals et quelques raids aériens), puis se sont limités à l’appui : lutte anti-radar, ravitaillement en vol (75 %) et renseignement. Avec les ravitaillements en vol, les avions de reconnaissance ont poursuivi et surveillé les bandes armées pro-Kadhafi s’enfonçant vers le sud de la Libye. Du côté français, le recueil de renseignements électromagnétiques, en vue de régler les contre-mesures électroniques, commencé dès le 5 mars, a duré 14 jours au moyen des capteurs des AWACS, de l’avion d’écoute Transall C160 Gabriel et des Mirage F1 CR  équipés de la nacelle d’analyse de signaux tactiques. Le drone Harfang, dont les missions pouvaient dépasser 19 heures d’affilée, a servi à lever les incertitudes sur des cibles. Cette autonomie d’appréciation a pallié l’insuffisance de renseignements en provenance du groupe des « Five Eyes » (cinq yeux) alliés (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), pas toujours coopératifs.  Frappes : les premières, sous commandement national (19-21 mars), ont interdit de vol les forces aériennes libyennes. Celles du 19 mars avec des bombes guidées laser de 250 kg ont eu une portée stratégique : l’arrêt de la progression des colonnes blindées pro-Kadhafi vers le port de Benghazi tenu par le CNT. La vitesse d’intervention a été essentielle : la frappe s’est produite deux heures après la déclaration du président de la République Nicolas Sarkozy, les avions étant déjà en l’air. Du 22 au 31 mars, les avions américains, britanniques et français ont effectué des reconnaissances, des frappes ciblées sur des blindés et des raids dans la profondeur, en vue de protéger les populations et d’affaiblir le potentiel des forces pro-Kadahi. Le 23 mars, les premières frappes de missiles de croisière français Scalp ont eu lieu : deux Rafale Air ont décollé de Saint-Dizier et deux Mirage 2000 D de Nancy pour se poser au retour à Solenzara (Corse) avec deux ravitaillements en vol entretemps. Simultanément, deux Rafale Marine sont partis du porte-avions Charles-De-Gaulle. Le Rafale Air emporte deux Scalp, le Mirage 2000 un et le Rafale Marine un. Les Scalp ont été tirés à 21 h 33 à une distance de sécurité de 400 km, avec la possibilité d’interrompre l’intervention jusqu’à huit minutes avant grâce à une liaison radio avec un AWACS. Du 1er avril au 31 octobre, l’opération OTAN « Unified Protector » a évolué vers un soutien accru au CNT par des vols de reconnaissance sur toute la Libye, des raids dans la profondeur et des frappes ciblées sur des forces et des infrastructures militaires (dépôts de munitions), à savoir au bon moment et au bon endroit pour inverser le cours des opérations. L’analyse et le ciblage des objectifs ont suscité quelques tiraillements entre Alliés, dont les appréciations ont parfois divergé. Toutes les frappes françaises devant recevoir l’approbation de Paris, le contrôle très serré du Centre de planification et de contrôle des opérations (CPCO) a ralenti la vitesse d’appréciation et donc la réactivité. Les pays alliés délèguent en effet davantage de responsabilités à leur commandement sur zone. Ainsi le 20 octobre, un drone armé américain a repéré un véhicule militaire et l’a détruit peu après. Sa capacité d’écoute des communications téléphoniques permet de décider la frappe en un temps très court. Enfin, pendant Harmattan, 11 Scalp ont été tirés sur les 400 en soute. L’annulation d’une frappe avec des bombes guidées laser (250 kg et 1.000 kg) résultait de l’appréciation de la valeur ajoutée de l’objectif et non pas du prix de la munition.

Enseignements : Harmattan a permis de valider la polyvalence du Rafale : défense aérienne, reconnaissance et assaut. Equipé de plusieurs armements et grâce à la fusion des informations de l’ensemble de ses capteurs, il peut même tirer un missile sur une cible… située derrière lui ! Un drone MALE (moyenne altitude longue endurance) peut effectuer des missions d’une durée de 19 heures, chose impossible  pour un pilote d’avion. Toutefois, il convient de développer : les armes à létalité modulaire ; les capacités de renseignement d’origine électromagnétique (ELINT/COMINT) ; la capacité radar à couverture synthétique/indicateur de cibles en mouvement (SAR/MTI) ; la coordination entre avions et hélicoptères de combat ; le ravitaillement en vol ; la réactivité et la capacité à durer. Enfin, Harmattan constitue une participation majeure de la France au sein de l’OTAN… qui lui permettra de peser sur les décisions futures !

Loïc Salmon

L’opération Harmattan, qui a duré du 19 mars au 31 octobre 2011, a déjà été traitée à plusieurs reprises : voir « Archives » des 22-06-2011, 02-09-2011, 15-09-2011, 28-09-2011 et 01-02-2012. Cette fois-ci, il s’agit du retour d’expérience (Retex) spécifique à l’armée de l’Air, mobilisée sur un théâtre de 1.500 km de large sur une profondeur de 1.000 km. Elle a effectué 78 %  des 5.800 sorties de chasse françaises. Ses avions se trouvaient à 3 h de vol de Saint-Dizier en métropole (2.300 km), 1 h 20 de la base de Solenzara en Corse (1.000 km), 1 h de celle de Souda en Crète (850 km) et 45 minutes de celle de Sigonella en Sicile (540 km). L’autonomie d’un Mirage F1 est de 7 h, celle d’un Mirage 2000 de 9 h et celle d’un Rafale de 10 h. L’OTAN a mis en œuvre 15 avions radar AWACS, la Grande-Bretagne 6 et la France 4 (20 % des sorties). L’unique drone français Harfang, déployé du 23 août au 31 octobre, a effectué 22 sorties à partir de Sigonella (7-8 h de transit aller-retour).




Renseignement : pouvoir et ambiguïté des « SR » des pays arabes

Les services de renseignement (SR) des pays arabes jouent des rôles sécuritaire, politique et d’ascension sociale. Quoique tout-puissants et omniprésents, ils n’ont pas vu venir les mouvements de contestation populaire de 2011, qu’ils ont tenté de canaliser ensuite.

Le général (2 S) Luc Batigne, ancien attaché de défense en Syrie et en Irak, et Agnès Levallois, consultante et spécialiste du monde arabe, en ont analysé les particularités au cours d’une conférence-débat organisée, le 21 janvier 2014 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

« Sécuritocratie ». Ce terme, utilisé par les chercheurs arabes, souligne les liens étroits des SR avec l’État puis le régime, le clan et enfin la famille dirigeante. Lors de la constitution des États nations, les communautés dominantes ont choisi les domaines politique ou économique et les minorités les armées et surtout les SR, qui ont pris de l’importance en défendant des régimes autoritaires plutôt qu’en travaillant comme leurs homologues occidentaux, explique Agnès Levallois. Détenteurs de pouvoirs exorbitants et jouissant d’une impunité totale et de nombreux privilèges, les SR arabes attirent des gens compétents, mais recrutent aussi à tout va de gros bataillons d’informateurs. La création de l’État d’Israël (1948) a été perçue comme une menace pour les régimes arabes. Chacun a développé ses SR et les a multipliés pour surveiller la population et éviter que l’un d’entre eux ne devienne trop puissant et donc un danger pour le régime. Suivant l’évolution des alliances extérieures au Moyen-Orient et au Maghreb, les SR locaux ont été formés par la France et la Grande-Bretagne, puis l’URSS et enfin les États-Unis, qui ont également équipé les armées et les services de sécurité. Un SR arabe doit d’abord garantir la pérennité du régime par le contrôle de la population. Face aux dangers extérieurs, il doit rechercher des alliances et surveiller les diasporas des mondes anglophone et francophone : opposants exilés, étudiants à recruter, organisations de travailleurs à infiltrer et lieux de culte à bien connaître. Pour influencer l’opinion publique arabe, les divers pays protègent leurs intérêts régionaux en invoquant le grand idéal du « panarabisme » et en défendant des causes « justes » : Palestine, Cachemire et ….Kurdes du pays voisin ! Les SR arabes pratiquent le clientélisme : dans des sociétés minées par la corruption administrative, la « règle du  service rendu » permet de recruter des « obligés », qui suivront immédiatement les directives. Pour effrayer les individus récalcitrants, la violence peut être utilisée, mais avec doigté. Le soutien au terrorisme international a même servi ponctuellement au régime libyen de Kadhafi pour faire passer un message. La manipulation des pays occidentaux est du ressort des SR arabes, qui connaissent bien leurs homologues d’en face. Moins un régime se sent légitime, plus il multiplie les SR, souligne le général Batigne. Il s’ensuit une pléthore de SR en concurrence « où chacun cherche à dire ce qui fait plaisir au chef ». Pour le contrôle intérieur, les SR égyptiens ont mis l’accent sur les moyens humains, qui n’ont guère empêché la contestation de 2011. En revanche, les SR syriens, qui avaient investi dans l’informatique, ont pu réagir immédiatement sur les réseaux sociaux après les événements du Caire.

Exécutants et/ou décideurs. L’armée et le SR militaire, apolitiques, acquièrent une légitimité et constituent un recours, tandis que la police, au contact de la population, reste liée au régime. Pour analyser les relations entre les SR et les régimes en place, Agnès  Levallois et le général Batigne ont classé les pays arabes selon trois critères :  SR outil du pouvoir ; SR centre « de » pouvoir ; SR centre « du » pouvoir. Dans la 1ère catégorie, figurent d’abord les monarchies du golfe Arabo-Persique et la Jordanie, qui contrôlent leurs SR plus qu‘ailleurs. Au Maroc, la monarchie a repris en mains les SR militaires et civils. Dans les Territoires Palestiniens, malgré le contrôle de Gaza par le mouvement islamiste Hamas, les SR travaillent avec leurs homologues occidentaux. En Tunisie, Ben Ali avait confié la sécurité de son régime à la police. Dans la 2ème catégorie, entre d’abord le Yémen où les SR occupent une place importante dans le système tribal. Au Soudan, ils sont aux ordres du régime. En Libye, l’ancien chef des SR de Kadhafi s’est réfugié au Qatar. Depuis, chaque mouvance ou clan dispose de SR qui se font concurrence. Au Liban, un SR n’étant pas considéré comme un organe du régime, chaque communauté veut le sien pour se protéger : un chrétien dirige le SR militaire et un musulman sunnite celui du ministère de l’Intérieur. En Irak, Saddam Hussein avait organisé une concurrence permanente entre ses services. Après l’intervention américaine de 2003, la CIA a créé un SR sunnite. Dans la 3ème catégorie, se trouvent les pays où les armées, très fortes, bénéficient d’une assise économique. En Algérie, pas un fonctionnaire n’est nommé sans le consentement du Département du renseignement et de la sécurité. Mais après la prise d’otages dans le centre gazier d’Imn Amenas en 2013, la sécurité intérieure lui a été retirée et placée sous la tutelle directe de la présidence de la République. Toutefois, l’armée a conservé le service des écoutes. En Égypte, le GIS (Government Intelligence Service), tombé en disgrâce à la chute de Moubarak, a transféré ses dossiers à la Direction du renseignement militaire (ministère de la Défense). En Syrie, les SR ne s’appuient pas sur des clans de l’armée comme en Algérie ou en Égypte. Mal vue par les communautés chiite et sunnite, celle des alaouites a fait carrière dans les armées et les SR et, quoique très minoritaire, dirige le pays.

Coopérations ambigües. Très intéressés par toute ce qui se passe dans la région, les SR israéliens travaillent avec leurs homologues occidentaux pour obtenir en échange des renseignements sur les pays où ils ne peuvent aller. Ils entretiennent des coopérations avec certains homologues arabes : officielles avec ceux de Jordanie et bonnes avec ceux de l’Égypte. Ils gardent aussi des contacts avec les SR palestiniens pour assurer la sécurité de Gaza. En Libye, la CIA américaine et les MI6 et MI5 britanniques ont travaillé avec les SR de Kadhafi pour infiltrer les réseaux islamistes de Grande-Bretagne. Aujourd’hui, les pays arabes coopèrent de façon ambiguë avec l’Occident. Leurs SR travaillent avec leurs homologues pour lutter contre le terrorisme, mais agissent parfois contre les intérêts des pays d’accueil.

Loïc Salmon

DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

DCRI : anticiper les menaces futures

Les « printemps arabes » de 2011 n’ont pas eu les mêmes conséquences dans les pays concernés. Les réalités sociales, économiques et militaires sont en effet  différentes au Liban et en Irak, Syrie, Égypte, Tunisie et Algérie. Le changement né de ces « révolutions » préoccupe le Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, Koweït, Oman et le Qatar. Ces monarchies, assises sur leurs privilèges et gisements d’hydrocarbures, entendent préserver leurs régimes, maintenir l’Iran et l’Irak à distance et gérer elles-mêmes le cas du Yémen, qui les inquiètent au premier chef.




Drones Air et Marine : surveillance, renseignement et… combat

Les drones de surveillance participent à la collecte du renseignement et accélèrent la boucle décisionnelle, en vue d’une intervention aérienne ou navale. Complémentaires des avions et hélicoptères, les drones de combat apportent de nouvelles perspectives opérationnelles.

Les spécificités des besoins de l’armée de l’Air et de la Marine dans ce domaine ont été abordées lors d’un colloque organisé, le 3 décembre 2012 à Paris, par le Club Participation et Progrès. Les interventions ont été rassemblées dans un ouvrage publié en 2013 (Prividef Éditions 224 pages 25 €).

Armée de l’Air. Les conflits récents ont montré l’efficacité des drones pour la surveillance et la reconnaissance de cibles fugaces, la surveillance des habitudes de vie sur un théâtre d’opérations et le besoin accru de discrimination des cibles, afin d’éviter les tirs fratricides ou les dommages collatéraux. La neutralisation des cibles à haute valeur ajoutée peut être assurée par les drones de surveillance dotés d’un armement, explique le lieutenant-colonel Virginie Bouquet de l’état-major de l’armée de l’Air. Aujourd’hui, les drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) répondent aux divers besoins de surveillance : frontières et approches maritimes ; convois « spéciaux » ; événements particuliers ; feux de forêt ; zones de pêche et de trafic routier ; conditions météorologiques. A l’avenir, le drone de surveillance devra élargir son champ de détection par l’emport de capteurs de localisation de communications ou d’un radar à synthèse d’ouverture, qui traite les données reçues sur une cible mobile pour en améliorer la résolution en azimut. La séquence «  surveillance, détection, reconnaissance et identification » sera achevée avec des capteurs vidéo à champ plus étroit dans l’électro-optique et l’infrarouge. Le drone de combat devrait arriver dans l’armée de l’Air française vers 2030. Les système de drones (vecteurs, liaisons de données et stations au sol) rempliront des missions dans des contextes ennuyeux, pollués ou dangereux. Ils renforceront plusieurs capacités : initiative des armées ; entrée d’une nation en premier sur un théâtre d’opérations ; frappe dans la profondeur tout en préservant la vie humaine pour éviter une exposition diplomatique et médiatique qu’exploiterait l’adversaire. Le vecteur devra pouvoir supprimer ou détruire des défenses aériennes adverses et assurer une reconnaissance stratégique au regard des menaces futures. Il devra renforcer les modes d’action des forces spéciales, grâce à ses furtivités électromagnétique et infrarouge, et larguer une arme d’une grande précision. Suite aux accords-cadres franco-britanniques de 2012, un démonstrateur commun de drones de combat devrait résulter des retours d’expérience des prototypes français « Neuron » et britannique « Taranis ». En outre, des démonstrations technico-opérationnelles se poursuivront jusqu’en 2020, dans le cadre du programme commun sur le système de combat aérien futur. Celui-ci inclura des avions de chasse et/ou des drones de combat. Il s’intégrera à un dispositif comprenant : des drones de surveillance MALE et HALE (Haute Altitude, supérieure à 20.000 m, Longue Endurance) ; des avions ravitailleurs ; un système de détection et de commandement aéroporté (AWACS en anglais), composé d’une station radar montée sur un avion de guet ; des avions de transport tactiques.

Marine nationale. Dans la combinaison drones/aéronefs habités, les premiers sont dédiés à la surveillance et l’identification et les seconds à l’intervention, indique le capitaine de frégate Hervé Chevalier de l’état-major de la Marine. L’absence d’équipage à bord d’un drone permet de l’exposer plus fortement au danger, d’exploiter son endurance et sa vélocité et de réduire les dépenses en ressources humaines (formation, qualification et entraînement). Le drone tactique contribue à la sûreté d’une unité navale, au recueil du renseignement d’intérêt maritime et au soutien de la lutte anti-surface et anti-sous-marine. Il sert aussi comme relais de communications, intercepteur radio/radar et transporteur de petites charges. L’équipage de l’hélicoptère embarqué se concentre sur l’intervention : tir de semonce ; recherche et sauvetage de personnes tombées en mer ; signification à un navire en infraction de se dérouter. La mise en œuvre du système de drone tactique dépendra du type de navire qui devra rester, le plus possible, maître de sa manœuvre. Le porte-avions Charles-de-Gaulle et les bâtiments de projection et de commandement à « pont droit » peuvent embarquer les drones MALE et ceux à voilure tournante à décollage et atterrissage verticaux (VTOL en anglais). Ils effectuent des missions de projection de puissance ou d’une force, de la mer vers la terre et sous escorte de frégates de lutte anti-aérienne, anti-surface ou anti-sous-marine. Équipées d’une plate-forme hélicoptère et capables de remplir des missions de maîtrise de zones opérationnelles, ces frégates peuvent emporter des drones VTOL de 50 kg de charge utile. Chargée de la maîtrise des approches maritimes, les vedettes, avisos et patrouilleurs, dépourvus de pont d’envol, n’emporteront que des minidrones de moins de 25 kg. La réversibilité de la trajectoire du drone VTOL lui permet de choisir l’instant adéquat pour se poser quand la mer est forte, contrairement aux autres drones à trajectoire irréversible. Capable de rester sur zone, il accroît le préavis de détection et donc d’intervention. Ce dernier, de l’ordre de 10 minutes contre un skiff (bateau pirate somalien) repéré à 5-7 milles marins (environ 9-13 km), monte à 30 minutes contre une frégate hostile à 15-20 milles (28-37 km) et 60 minutes contre un navire de commerce en infraction à 25-30 milles (46-56 km). Il dépasse 120 minutes pour des missions de routine contre n’importe quel navire dans une zone de 20 à 30 milles (37 à 56 km) de rayon et située à 40-60 milles (74-111 km) de son bâtiment porteur. Un hélicoptère embarqué sur une frégate ne peut voler que 3 heures par jour… mais son commandant de bord peut prendre l’initiative sur place !

Loïc Salmon

Renseignement aérospatial : complémentarité entre drones et aéronefs légers ISR

Marine : « navalisation » d’un drone aérien et test d’un système vidéo embarqué

Opex : enjeux et perspectives des drones militaires

Fin 2013, l’armée de l’Air française a pris livraison de 2 drones américains de surveillance MQ-9 « Reaper » (photo). La loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit la commande de 4 systèmes (12 vecteurs) Reaper avec des systèmes adaptés : liaison de données à vue directe et compatible avec le plan de fréquences français ; capteurs optroniques ou électromagnétiques réalisés en Europe. Voici les caractéristiques du Reaper français : envergure, 20,1 m ; longueur, 11 m ; hauteur, 3,8 m ; poids à pleine charge, 4,76 t ; vitesse maximale, 240 km/h ; plafond, 15.200 m ; rayon d’action, 1.850 km ; endurance, plus de 24 heures. Les armées de l’Air américaine et britannique ont déjà utilisé en Afghanistan la version combat du Reaper qui peut emporter, au choix : 4 missiles air-sol Hellfire ; 2 missiles air-air Stinger ; 2 bombes à guidage laser GBU-12 de 225 kg.  




13ème Bataillon de chasseurs alpins

Connus aujourd’hui pour leur large béret à l’insigne de cor de chasse, les unités de chasseurs, dont le 13ème bataillon de chasseurs alpins (BCA), ont été engagées dans toutes les guerres et opérations extérieures de la France depuis la Révolution.

Officiellement créé le 17 octobre 1791, le 13ème bataillon de chasseurs prend part à la bataille de Valmy (20 septembre 1792). Il devient 13ème bataillon de chasseurs « à pied » (BCP) par le décret du 22 novembre 1853 de l’empereur Napoléon III. Il participe à la conquête de l’Algérie, où il reste jusqu’en 1860. Deux ans auparavant, un « ministère de l’Algérie et des Colonies » est institué sous la direction du prince Jérôme Bonaparte, oncle de Napoléon III. Par la suite, une princesse Napoléon, (ex-Bonaparte) deviendra traditionnellement la marraine du 13ème BCA. La dernière en date, Alix, également marraine du 13ème Régiment de dragons parachutistes, assume cette fonction pour le 13ème BCA depuis 1955. Ce dernier porte le blason de la Savoie, rattachée à la France après la guerre d’indépendance italienne (1859) à laquelle la France a contribuée, et dont la ville de Chambéry accueille le bataillon en 1882. Après la guerre franco-prussienne de 1870, le 13ème BCP a été transformé en « alpin » face à la menace des 45.000 soldats « Alpini » de l’Italie, devenue l’alliée de l’Allemagne. Le bataillon, appuyé par une batterie d’artillerie et un détachement du génie, recrute en priorité tous les guides, porteurs et chasseurs (au sens propre) de la région. Pendant les manœuvres adaptées à la configuration du terrain, les chasseurs ne couchent jamais dans un lit. Il s’ensuit une véritable camaraderie entre la troupe et ses chefs. Le mulet devient le compagnon nécessaire pour affronter pentes et rochers et porter des charges de 150 kg. En hiver, la ration alimentaire augmente considérablement et le vin et l’alcool sont considérés comme indispensables pour lutter contre le froid. Depuis, les missions se sont diversifiées. Ainsi, les éclaireurs-skieurs d’hier se sont transformés en sections de renseignement, puis en unités de recherche humaine, avec infiltration sous voile de parapente de nuit, et enfin en groupes commando montagne, présents dans chaque bataillon de la 27ème Brigade d’infanterie de montagne. Au cours de son existence, le 13ème BCP puis BCA s’est illustré sur tous les fronts comme l’indique son drapeau : Isly, 1844 ; Sidi-Brahim, 1845 ; Sébastopol 1854-1855 ; Solférino, 1859 ; Extrême-Orient, 1855-1888 ; Madagascar, 1895 ; Maroc, 1912-1914 ; Grande Guerre, 1914-1918 ; Norvège, 1940 ; Blarégnies, 1940 ; Les Glières, 1944 ; Indochine, 1950-1952 ; AFN, 1952-1962. Parallèlement aux missions de souveraineté nationale (métropole et DOM-TOM), se succèdent celles en opérations extérieures sans déclaration de guerre : Liban, Sénégal, Côte d’Ivoire, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Tchad, Afghanistan, République Centrafricaine, Gabon et Djibouti. Le monument aux morts du 13ème BCA rappelle le lourd tribut qu’il a déjà payé : 1.473 morts pendant la première guerre mondiale, 167 tués ou disparus pendant la seconde et 3 en Afghanistan, sans oublier les morts en montagne et en service. Fier de sa devise « Sans peur et sans reproche », empruntée au chevalier Bayard (1476-1524), le 13ème BCA porte les fourragères de la croix de Guerre 1914-1918, de la Médaille militaire et de la croix de la Valeur militaire.

Loïc Salmon

Renseignement militaire : clé de l’autonomie stratégique et de l’efficacité opérationnelle

« Les chasseurs alpins du 13ème BCA » par le colonel Cyrille Becker. Éditions Pierre de Taillac, 240 pages, plus de 250 documents rares ou inédits, 35 €.