ALAT : les hélicoptères NG, nouveaux systèmes d’armes

Les hélicoptères de nouvelle génération (NG) de l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) disposent d’une puissance de feu accrue et s’intègrent dans un système complexe interarmes et interarmées. Mieux au fait de l’environnement tactique, leurs équipages peuvent se concentrer davantage sur leurs missions.

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 17 juin 2014 à Villepinte (banlieue parisienne), dans le cadre du salon des armements terrestres Eurosatory. Parmi les intervenants figurent : le général de division Autran de l’état-major de l’armée de Terre ; le colonel Arnaud Cazalaa, chef de corps du 4ème Régiment d’hélicoptères des forces spéciales ; l’ingénieur général de l’armement Thierry Pérard de la Direction générale de l’armement (DGA).

Combats futurs. Le combat de contact évolue selon les contraintes environnementales et l’évolution des technologies, explique le général Autran. A court et moyen termes, les combats de demain ressembleront à ceux du Liban, d’Afghanistan, du Mali et de la République centrafricaine. L’adversaire restera divers : insurgés, terroristes, factions armées et équipées de matériels modernes ou groupes claniques profitant de « sanctuaires » et utilisant des procédés rustiques (engins explosifs improvisés). Il faudra s’adapter à une situation variable, car les engagements se produiront aussi au sein des populations. La variété de terrains d’action, éloignés des bases, nécessitera des équipements robustes et adaptables. Les moyens futurs devront permettre de savoir, comprendre et agir vite. La masse d’informations à traiter augmentant, l’accélération des opérations exigera plus de réactivité avec moins de temps pour la réflexion. Le renseignement devra être exploité le plus vite possible avec des équipements performants. La mobilité tactique, avec une concentration de moyens à faibles effectifs au sol, nécessitera une capacité de traque et de combat de nuit pour surprendre l’adversaire. La fulgurance et le maintien du « tempo » (rythme de l’action) exigeront réactivité des acteurs, précision des tirs, combinaison des effets et économie des moyens. Les forces et les équipements devront pouvoir être renouvelés rapidement. D’une rusticité suffisante pour opérer dans des conditions dégradées, les hélicoptères Tigre HAD devront améliorer leur capacité d’observation pour discriminer les cibles potentielles, en coordination avec les drones tactiques et des équipes au sol. Pour s’intégrer à la manœuvre, ils devront être interopérables avec le futur système de combat « Scorpion » de modernisation des forces terrestres.

Forces spéciales. Les hélicoptères NG Tigre et Caracal se trouvent au cœur de l’engagement des forces spéciales, souligne le colonel Cazalaa. Les opérations spéciales se caractérisent par : un engagement sur des objectifs stratégiques ; des modes d’action et savoir-faire spécifiques ; un contrôle politico-militaire étroit ; une capacité aux engagements dans la profondeur, grâce à des moyens de liaisons chiffrés redondants ; une capacité de commandement et de manœuvre interarmées combinant des moyens terrestres et aériens ; une grande souplesse d’emploi et un haut niveau de réversibilité ; un petit volume de forces alliant discrétion, surprise, fulgurance et actions de nuit ; un haut niveau d’intégration en opérations interarmées et interalliées ; une prise de risque très élevée au regard des enjeux ; un large spectre capacitaire avec la maîtrise des milieux difficiles (jungle, montagne et zone urbaine). En conséquence, les hélicoptères NG permettent un éventail de missions plus larges que ceux de l’ancienne génération (Gazelle et Cougar), où il faudra maîtriser la violence et réduire davantage les dégâts collatéraux. Les évolutions techniques des hélicoptères NG devront porter sur la performance, l’endurance, la masse, la modularité et la compatibilité avec les Gazelle et Cougar. Sont aussi fondamentales pour la sécurité : la détection du départ de coups de feu ; la protection automatique ; la synchronisation du lancement de leurres. Les hélicoptères NG devront aussi disposer de moyens de communication entre le théâtre d’opérations et Paris, pour éventuellement modifier de manière claire une mission en cours de vol. Les capacités à venir porteront notamment sur la liaison par satellites, les systèmes de communication vidéo de combat et la transmission de données cryptées. Une autonomie accrue résultera d’un compromis entre les équipements des forces spéciales et la quantité de carburant à emporter dans des réservoirs supplémentaires.

Besoins et études amont. Selon l’ingénieur général Pérard, les concepts d’emploi des hélicoptères militaires en service varient d’une armée (Terre, Air, Marine et Gendarmerie) à l’autre. Quelque 500 appareils de 13 modèles différents se répartissent dans des flottes très hétérogènes d’appareils d’ancienne génération et de nouvelle génération en cours de livraison. La DGA et les constructeurs doivent mettre à niveau les Cougar et Caracal, très sollicités, pour améliorer leurs capacités ou permettre leur emploi dans le cadre réglementaire de l’Organisation de l’aviation civile internationale. Ils doivent réaliser rapidement les adaptations demandées en urgence opérationnelle, lors d’opérations extérieures (chiffreur sur Tigre et blindage de Gazelle). Pour assurer la disponibilité des appareils dans un contexte budgétaire restreint, il leur faut : être au rendez-vous des livraisons des hélicoptères NG avec les capacités attendues (Tigre HAD et NH90) ; optimiser les délais d’immobilisation lors de la rénovation des appareils d’ancienne génération. Dans la conduite de ses programmes, la DGA lance, très en amont, une étude des concepts de soutien/formation et un pilotage du coût de possession de l’hélicoptère du futur (achat et maintien en condition opérationnelle). Enfin, elle maintient une relation étroite avec les études menées dans le cadre de développements civils, afin d’identifier et intégrer les nouvelles technologies permettant de mieux répondre aux besoins opérationnels des forces.

Loïc Salmon

ALAT : retour d’expérience opérationnelle

L’ALAT : un ensemble de systèmes de combat et d’hommes

Forces spéciales : outil complémentaire des forces conventionnelles

 

L’hélicoptère Tigre (premier plan), de conception franco-allemande, est utilisé par les armées de Terre française, allemande, espagnole et australienne. Il existe en 4 versions : UHT, antichar avec viseur de mât et missiles air-sol ; HAP, appui protection sans capacité de tir de missiles antichars ; HAD, appui destruction avec armement HAP et missiles antichars ; ARH, version reconnaissance développée pour l’Australie. Sa vitesse de croisière atteint 280 km/h, avec une pointe possible de 315 km/h, pour la version HAP et de 260 km/h, avec une pointe possible de 290 km/h, pour l’UHT. Il peut  s’élever de 842 m par minute jusqu’à 4.000 m et franchir 800 km ou 1.300 km avec des réservoirs supplémentaires. Son armement interne compte : 1 canon de 30 mm (450 obus) pour les versions HAP, ARH et HAD ; 1 mitrailleuse de 12,7 mm ou 1 canon de 20 mm en nacelle pour l’UHT. Son armement externe inclut : 4 paniers de 12 roquettes et  4 missiles air/air Mistral pour l’HAP ; 8 missiles antichars Trigat-LR ou Hot 3 pour l’UHT ; 8 missiles antichars AGM-114 Hellfire pour les ARH et HAD.




La guerre future : hybride, majeure ou mondiale ?

Les sociétés développées, les plus sensibles à la menace nucléaire, rejettent l’option « guerre » depuis les excès du second conflit mondial. Les « crises » doivent donc se régler par l’intervention militaire (court terme), la diplomatie (moyen terme) et la reconstruction de l’État (long terme), avant qu’elles dégénèrent en « guerres ». Cette question a fait l’objet d’un colloque organisé, le 8 décembre 2014 à Paris, par le Club Participation et Progrès et la revue Défense Nationale. Y sont intervenus : le général (2S) Vincent Desportes, professeur de stratégie à l’Institut d’études politiques de Paris et à HEC ; François Géré, président de l’Institut français d’analyse stratégique ; le général (2S) Jean-Paul Perruche, président d’Eurodéfense-France ; Olivier Kempf, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques.

De l’asymétrie à l’hybride. La guerre « hybride », semi-conventionnelle, n’est ni la paix ni la guerre, estime François Géré. Aujourd’hui, la transformation du monde crée de nouvelles formes de guerre. Le dépérissement de la suprématie de l’État nation conduit à des séparatismes en Europe, en Afghanistan et au Moyen-Orient, de façon pacifique, violente ou mixte comme en Ukraine. Les combattants de Daech, en Syrie et Irak, et ceux d’Ukraine mènent une guerre, non pas « asymétrique » mais « hybride ». Celle-ci consiste en un mélange d’actions hétérogènes dans un contexte mouvant. Les forces en présence appliquent une stratégie indirecte avec des opérations militaires variables : engagement de combattants en uniforme ou non ; agressions par entités mal définies, comme les bateaux de pêche ou les navires garde-côtes en Asie du Sud-Est ou en Afrique ; intervention de forces spéciales sans insignes et le visage dissimulé par une cagoule ; moyens militaires classiques. En Crimée, la guerre électronique a paralysé les moyens de transmissions des forces ukrainiennes, coupées de leurs centres de commandement. Le chantage énergétique, financier ou bancaire de la Russie a pesé sur l’économie de l’Ukraine. La manipulation de l’information, consistant à ne pas dire que c’est la guerre, est menée en Ukraine et par Daech. Elle vise à désinformer les populations locales, le monde musulman et les sociétés occidentales. Parallèlement, la Russie tire des missiles pour montrer la modernité de ses capacités nucléaires, fragilisant les traités de régulation. Selon le professeur Géré, la responsabilité de cette évolution générale incombe aux États-Unis, dont les politiques de délocalisation industrielle et de déréglementation ont conduit à l’obsolescence de l’État nation. Les flux sont devenus transnationaux. Les États-Unis ont la capacité d’en tirer bénéfice, grâce à leur puissance technologique, notamment dans le cyberespace où ils investissent massivement dans la recherche et le développement. En outre, les sociétés évoluent dans l’économie numérique. Dans le cyberespace, les États-Unis arrivent en tête, loin devant la Chine et l’Union européenne (UE), qui n’a pas pris le tournant numérique à temps. Après l’échec du « plan calcul » en 1966, l’informatique française est devenue américaine. Par ailleurs, ajoute le professeur, l’UE est incapable d’élaborer une stratégie nucléaire et de devenir la troisième puissance mondiale.

Guerre froide limitée. Le contexte actuel présente des similitudes et des différences avec celui de la guerre froide (1947-1991), estime le général Perruche. La terreur qu’inspire l’arme nucléaire empêche la montée aux extrêmes d’un affrontement militaire. La Russie instrumentalise une minorité dans un pays et l’arme : Corée, Viêt Nam et Afghanistan hier ; Ossétie du Sud, Abkhazie, Géorgie et Crimée aujourd’hui. Toutefois, l’idéologie n’est plus de mise : la Russie rejette les valeurs occidentales qui réduisent sa puissance. La confrontation entre États de puissance équivalente n’est plus concevable : la Russie, dominée par l’Occident, passe après la Chine comme principale rivale des États-Unis. Mais elle se sert de sa présence militaire pour appuyer des populations qui lui sont favorables, en vue de récupérer ressources et territoires, où vivent d’importantes minorités russophones. L’Ukraine a déjà perdu, avec la Crimée, 16 % de sa population et veut conserver l’intégrité de son territoire. En outre, les autres pays voisins de la Russie (Pologne, Estonie, Lettonie et Lituanie) se tiennent sur la défensive, car elle reste présente chez eux par ses minorités. Moscou joue sur le nationalisme et la fierté russes pour faire oublier la faiblesse de l’économie du pays. La popularité du président Vladimir Poutine est au zénith en Russie. Mais celle-ci, perçue à l’étranger comme hostile, se trouve de plus en plus isolée, même parmi les pays émergents. Elle se rapproche donc de la Chine (gazoducs), dont elle fait le jeu en incitant les États-Unis à revenir en Europe renforcer le flanc Est de l’OTAN. En effet, Washington ne peut affaiblir la crédibilité de l’OTAN en ignorant la situation en Europe orientale, mais n’envisage pas une option militaire contre la Russie. Enfin, l’UE, divisée,  souhaite une désescalade des sanctions économiques contre la Russie.

Mondialisation de la guerre. La fin de la « guerre » ne signifie pas celle de la violence politique, souligne Olivier Kempf. Selon lui, les guerres révolutionnaires et napoléoniennes (1792-1815) ont été « mondiales », quoiqu’elles se soient déroulées surtout en Europe. La guerre de 1914-1918 entre États, surtout européens, a été mondiale sur le terrain. Celle de 1939-1945 a eu le monde pour théâtre d’opérations. La guerre froide en Centre-Europe a connu des débordements armés en Afrique, Asie et Amérique du Sud. Les guerres de décolonisation ont impliqué les populations civiles dans les combats, en tant que victimes ou combattantes, avec des pratiques atypiques comme la guerre « psychologique » et la guerre « révolutionnaire ». Après la guerre froide, l’affrontement violent entre États disparaissent, faute de pouvoir désigner clairement l’ennemi. Aujourd’hui, il n’y a plus de mêlée générale ni de duel étendu, mais des conflits où sont mis en œuvre drones, cyberattaques, guerres médiatique et économique. Des affrontements multicentriques fragilisent certaines zones et affectent la régulation et les flux mondiaux. Ils se transforment en crises internationales, de plus en plus difficiles à gérer.

Loïc Salmon

La guerre : phénomène social et politique

Enseignement militaire supérieur : former les chefs d’aujourd’hui et de demain

Guerre de l’information et information de guerre

 

Athéna, déesse grecque de la sagesse, est aussi celle de la guerre et…de la stratégie militaire qui nécessite de réfléchir. Aujourd’hui, il est illusoire de penser pouvoir anticiper la surprise stratégique, estime le général Desportes. S’il est possible de connaître les capacités, il est difficile de comprendre les intentions. La résistance des acteurs aux accidents de l’Histoire de 1914 à 2001 a résulté de leur capacité de « résilience » après un désastre, à savoir « encaisser et réagir » : France, victoire en 1914 mais défaite en 1940 ; Russie, défaite en 1917 mais résistance en 1941 ; États-Unis, résiliences en 1941 et 2001. Réflexion et préparation à la surprise stratégique par divers moyens sont indispensables : renseignement et alerte précoce ; réduction des risques et prévention ; atténuation des effets par la capacité de résilience.




La puissance au XXIème siècle : le poids de l’Histoire

La force militaire suffit-elle à garantir la puissance d’un État ? Russie, OTAN, Grande-Bretagne et Allemagne conservent-elles leur puissance ?

Ces questions ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 13 avril 2015 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), EuroDéfense-France, l’Institut Jean Lecanuet et la revue France Forum. Y ont notamment participé : le général de brigade Benoît Durieux, directeur du Centre des hautes études militaires ; Gabriel Bernier du secrétariat international de l’OTAN ; Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe ; le général (2S) Maurice de Langlois de l’IRSEM.

Capacité militaire durable. Le discrédit moral et juridique de la guerre perdure depuis 1945 dans une Europe qui se démilitarise, alors que les violences armées s’en rapprochent, note le général Durieux. Mais, la réflexion sur la puissance militaire se poursuit depuis une quinzaine d’années. Après leurs interventions en Afghanistan et en Irak, les États-Unis ont compris l’inadaptation de leur force militaire, dans un environnement mal perçu et un mode de combat déconnecté de la réalité du terrain et de la situation politique. Un débat s’est ouvert sur l’offensive et la défensive. Celle-ci l’emporte avec la dissuasion nucléaire et des armées conventionnelles qui coûtent de plus en plus cher. L’offensive repose sur la faiblesse conceptuelle de la puissance militaire. La destruction de l’adversaire rassure, mais c’est un résultat à court terme. Il faut donc repenser le concept de puissance militaire, estime le général. En raison de la nature politique de la guerre, les militaires ne peuvent pas régler des problèmes non militaires. La singularité de la guerre nécessite une approche globale : contrôle des milieux marin et aérien et destruction de l’adversaire. S’y ajoute le temps long du développement de la puissance militaire. Le premier effort porte sur « l’intelligence stratégique » : comprendre l’adversaire et ses motivations pour éviter la « facilité tactique », uniquement militaire, et la tentation de la « morale », conception étrangère à la politique. Le deuxième effort concerne la capacité d’un pays à s’engager de façon autonome sur un théâtre d’opérations, comme les États-Unis dans le passé, la France au Mali ou le Tchad contre l’organisation terroriste Boko Haram. Enfin, la pérennité de l’action militaire dépend de la capacité industrielle du pays et de la formation des personnels.

L’OTAN, outil de puissance. Pour l’opinion publique, l’OTAN se présente comme un multiplicateur de forces militaires entraînées et constitue un saut qualitatif en terme de puissance  avec la dissuasion nucléaire, indique Gabriel Bernier. Cela implique : un partage du fardeau transatlantique et intereuropéen, avec une plus grande autonomie pour l’Union européenne ; l’élaboration d’une politique de défense et d’une doctrine pour le contrôle de l’espace stratégique ; une approche internationale en matière d’équipements par la mutualisation et le partage des moyens. Le retour de la menace russe et l’apparition de Daech ont conduit à l’adaptation de la capacité de réaction rapide de l’OTAN, qui doit d’abord éviter tout conflit en Europe.

Résurgence de la Russie. Puissance régionale moyenne, la Russie s’étend de la Baltique au Pacifique. Inquiète pour sa sécurité, elle s’attend à une confrontation avec l’Occident, notamment au Moyen-Orient, estime Arnaud Dubien. En outre, elle ne s’estime pas vaincue à l’issue de la guerre froide (1947-1991). La dissuasion nucléaire a été modernisée, mais les forces conventionnelles devront être mises à niveau d’ici à 2020. Depuis les années 2000, la Russie souhaite la prise en considération de ses intérêts stratégiques, ignorés depuis 1990, surtout l’élargissement de l’OTAN aux pays de l’Europe de l’Est. Pour la Russie, l’Ukraine, dont elle est frontalière, ne doit appartenir ni à l’OTAN, ni à l’Union européenne. Considérant que son intérêt stratégique vital y est engagé, elle entend maintenir son rang dans les décennies à venir et est prête à en payer le prix, malgré les sanctions  économiques. La crise semble durable avec les États-Unis, malgré l’absence de véritable confrontation idéologique. L’attitude des autres pays est variable. Grande-Bretagne, Suède, Pologne et Pays Baltes prônent une ligne dure en matière de sanctions économiques. L’Espagne, l’Italie, la Grèce, Chypre, la République Tchèque et la Hongrie préfèrent un assouplissement. L’Allemagne adopte une position médiane. La Russie, pour qui l’Occident a cessé d’être la référence, se tourne d’abord vers la Chine, qui représente 17 % de ses échanges extérieurs. Elle recherche des partenariats dans les domaines nucléaire et militaire avec l’Afrique du Sud et le Brésil. Enfin, elle développe ses relations diplomatiques et économiques avec l’Inde, le Viêt Nam, l’Égypte, la Turquie et l’Iran.

Prise de conscience de l’Allemagne. L’Allemagne se considère comme une puissance « civile », sceptique sur l’emploi de la force, explique le général Maurice de Langlois. Privilégiant une approche multilatérale pour éviter les risques, son Livre Blanc 2006 sur la sécurité n’évoque pas la notion d’intérêt national et manque de réflexion stratégique, selon le général. Intégrée à l’OTAN dès 1955, la Bundeswher est pourtant intervenue en ex-Yougoslavie, Afrique et Afghanistan, quoique souvent soumise au « caveat » national (limitation des missions opérationnelles par le gouvernement). Mais en 2011, l’opinion publique a pris conscience de la nécessité de maintenir la violence en cas de remise en cause de la co-existence pacifique. Le délai d’alerte opérationnelle de la Bundeswehr est passé à 48 h. Le budget de la Défense doit croître de 8 Md€ d’ici à 2019, notamment pour augmenter ses investissements et améliorer la disponibilité de ses équipements.

Réticences de la Grande-Bretagne. Malgré l’hésitation de son opinion publique à l’envoi de troupes en opérations extérieures, la Grande-Bretagne se croit encore une grande puissance et veut étendre son influence dans le monde, souligne le général de Langlois. Elle préfère envoyer des experts militaires et civils, à titre préventif. La force armée, quoique considérée comme la clé de voûte de la sécurité, ne doit être employée qu’après tous les autres moyens. De leur côté, les États-Unis estiment que la Grande-Bretagne ne remplit plus son rôle dans les grandes opérations qu’ils mènent.

Loïc Salmon

Selon Falashadé Soulé-Kohndou, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud constituent un groupe « d’États émergents », qui recherchent une influence politique internationale, basée sur leur statut de puissance régionale. Ils développent leur capacité militaire et préfèrent l’action collective à l’initiative individuelle. Ils utilisent la diplomatie selon les enjeux : système financier international, droits de l’Homme, gouvernance internationale ou réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Ils s’impliquent dans les médiations entre pays en litige et dans les opérations de maintien de la paix. Toutefois, leur influence politique reste limitée. Ainsi, l’Inde et l’Afrique du Sud s’abstiennent régulièrement lors du vote sur des résolutions des Nations unies mettant en cause la Russie ou la Chine.




OTAN : réaffirmation des défense collective, gestion des crises et sécurité coopérative

L’OTAN a accusé la Russie de constituer une menace pour l’ordre international et souligné l’instabilité au Moyen-Orient et en Afrique. Elle a aussi évoqué ses relations futures avec l’Afghanistan et son propre avenir.

C’est ce qui ressort des communiqués communs des 27 chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’OTAN, réunis les 4 et 5 septembre 2014 à Newport (Grande-Bretagne).

La Russie accusée. Le pacte de confiance entre l’OTAN et la Russie, lancé il y a une vingtaine d’années, est mis à mal, car « la Russie a rompu ses engagements et elle a violé le droit international ». L’OTAN ne reconnaît pas « l’annexion illégale et illégitime de la Crimée par la Russie », à qui elle demande d’y mettre fin. Elle condamne son intervention militaire en Ukraine et lui demande d’y retirer ses troupes, estimant que la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de ce pays constitue une infraction grave au droit international et un défi majeur pour la sécurité euro-atlantique. L’OTAN demande aussi à la Russie de : faire cesser le flux d’armes, d’équipements, de personnes et de fonds, qui traversent la frontière à destination des séparatistes ukrainiens ; cesser d’attiser les tensions le long de la frontière ukrainienne et au-delà ; d’user de son influence auprès des séparatistes pour permettre une désescalade ; prendre des mesures concrètes en vue d’une solution politique et diplomatique. Dans ce contexte, l’OTAN soutient les sanctions imposées par l’Union européenne, le G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie et Canada) et d’autres pays pour : limiter l’accès des institutions financières publiques russes aux marchés des capitaux ; restreindre le commerce des armes ; établir des restrictions à l’exportation de biens à double usage civil et militaire ; réduire l’accès de la Russie à des technologies sensibles dans les secteurs de la défense et de l’énergie. Par ailleurs, la Russie est accusée par l’OTAN de non-respect récurrent du droit international, y compris la Charte des Nations unies. Elle est critiquée pour : son comportement à l’égard de la Géorgie et de la République de Moldova ; sa violation des engagements de l’Acte final d’Helsinki de 1975 sur la sécurité et la coopération en Europe ; sa non-application prolongée du Traité de 1990 sur les forces conventionnelles en Europe ; l’utilisation de moyens militaires et autres à des fins coercitives à l’encontre de pays voisins. Enfin, l’OTAN s’engage à poursuivre les efforts des pays riverains de la mer Noire pour assurer la sécurité et la stabilité de la région.

Le Moyen-Orient et l’Afrique menacés. L’OTAN considère le « prétendu État islamique en Irak et au Levant » (EIIL) comme une menace grave pour les populations civiles irakienne et syrienne. Son partenariat avec l’Irak prévoit notamment la sécurité de ses frontières. Favorable à une transition politique négociée avec le régime de Damas, elle redoute les effets de la guerre civile syrienne (3 ans déjà) et de « l’extrémisme de l’EIIL » sur les économies et sociétés de la Jordanie, du Liban et de la Turquie (membre de l’OTAN). Celle-ci bénéficie déjà du déploiement de missiles Patriot de l’Alliance atlantique pour assurer sa défense et la dissuasion contre toute menace potentielle. Suite à son intervention « Unified Protector » (2011) en Libye et à sa décision d’octobre 2013, l’OTAN reste prête à instaurer un partenariat de défense et de sécurité à long terme avec ce pays et soutient la Mission d’appui des Nations unies pour parvenir à un cessez-le-feu immédiat. Malgré le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Mali, les actes terroristes, le trafic d’armes et de stupéfiants et la traite d’êtres humains dans toute la bande sahélo-saharienne menacent la sécurité régionale et celle de l’OTAN. Celle-ci se dit prête à contribuer aux efforts de l’ONU, de l’Union européenne et de l’Union africaine pour assurer la stabilité politique et la sécurité régionale.

L’Afghanistan conforté. Tirant le bilan de 13 ans de présence de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan, l’OTAN estime avoir amélioré la sécurité à l’échelle mondiale et son aptitude à agir ensemble. La FIAS cessera ses opérations fin 2014, mais l’engagement de l’OTAN avec l’Afghanistan va perdurer. A court terme, la mission « Resolute Support », non combattante, continuera à fournir formation, conseil et assistance aux Forces nationales de sécurité afghanes (ANSF), mais devra être appuyée par une résolution de l’ONU. A moyen terme, les engagements financiers en faveur des ANSF seront poursuivis. Depuis le sommet de l’OTAN à Chicago (2012), des mécanismes ont été mis en place pour assurer transparence, efficacité financière et respect de l’obligation de rendre compte. L’OTAN, qui encourage le gouvernement afghan à intensifier ses efforts de lutte contre la corruption, a rappelé que l’Afghanistan devra financer totalement les ANSF à partir de 2024. A long terme, un partenariat durable OTAN-Afghanistan complètera la mission « Resolute Support » et se prolongera au-delà, dans le cadre de consultations régulières sur des questions d’intérêt stratégique. Il s’agit de : faire avancer la lutte contre les trafics de stupéfiants, les migrations illégales, le terrorisme et la criminalité dans la région ; mettre en œuvre les résolutions de l’ONU sur les droits des femmes et la protection des enfants.

L’avenir préservé. L’OTAN ne constitue une menace pour aucun pays, mais si l’un de ses membres devait être menacé, elle agirait de manière décisive, conformément à l’article 5 du Traité de Washington. Le budget de défense de chaque pays membre devrait se rapprocher de 2 % de son produit intérieur brut dans les 10 prochaines années, pour fournir les capacités requises et déployer les forces nécessaires. L’OTAN se déclare favorable au maintien d’une étroite coopération et d’une grande complémentarité avec l’Union européenne, afin de répartir plus équitablement les dépenses et les responsabilités et de renforcer le lien transatlantique, notamment par une plus grande coopération industrielle de défense. Enfin, elle souligne que la défense antimissile peut venir compléter le rôle des armes nucléaires, mais ne peut s’y substituer.

Loïc Salmon

OTAN : sommet de Chicago

Le CSAT de l’OTAN : un poste clé

Libye : bilan des opérations aériennes OTAN

Dans le cadre des mesures dites de « réassurance » sous mandat de l’OTAN, un détachement d’avions de chasse français a été déployé à Malbork (Pologne) du 24 avril au 1er septembre 2014 pour renforcer les missions de police de l’air et de surveillance des espaces aériens des pays baltes (Lettonie, Lituanie et Estonie). Dès le 6 mai, 4 Rafale ont pris la permanence opérationnelle, à savoir la capacité d’intercepter un intrus sous faible préavis. Ils ont été relevés le 2 juin par 2 Mirage 2000 C et 2 Mirage 2000-5. Le bilan s’établit à 424 sorties pour 500 h de vol et 4 aéronefs interceptés. En outre depuis le 1er avril, des avions AWACS de l’OTAN effectuent 1 à 2 vols par semaine dans les espaces aériens polonais et roumain à partir de la base française d’Avord. Enfin, depuis mars 2014, des bâtiments français sont déployés en Méditerranée, en mer Noire et en mer Baltique dans le cadre des mesures de « réassurance ».




Recherche stratégique : outil pour éclairer l’action publique

La recherche stratégique peut influer sur les décisions du ministre de la Défense à court terme (opérations et gestion de crise), à moyen terme (changement d’emploi des forces armées) et à long terme (orientation de la doctrine militaire).

C’est ce qu’a expliqué Jean-Claude Mallet, conseiller auprès du ministre de la Défense, au cours d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par la Direction des affaires stratégiques (DAS) et l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Y ont également participé des représentants de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et de l’Université de Montpellier 1.

Moyens étatiques. Selon Jean-Claude Mallet, la stratégie est générale dans sa finalité, militaire par son action et ouverte sur les aspects technico-opérationnels. Les crises récentes concernent les mouvements djihadistes à tendance terroriste (Sahel, Irak et Syrie), la République Centrafricaine et l’Ukraine. La réflexion au sens large porte sur le savoir et les connaissances militaires et universitaires, avec l’aide de l‘IRSEM, des laboratoires de grands centres universitaires (économie) et de la Direction générale de l’armement (sciences et techniques), en vue d’orienter leurs savoir-faire vers les études de défense. Les cyberattaques constituent une révolution dans les affaires militaires et stratégiques avec des enjeux éthiques, humains, financiers et technologiques, en raison de leur capacité à paralyser des infrastructures vitales. Cette évolution générale devrait permettre d’anticiper les crises. Le Livre blanc 2013 sur la défense et la sécurité nationale souligne la montée en puissance de l’Asie, centre de gravité des rapports de forces internationaux avec un impact sur la sécurité de la France. En Afrique, la violence des mouvements djihadistes combattants nécessite un investissement politico-militaire fort, en rapport avec une réflexion stratégique pour anticiper les crises. Il est particulièrement difficile d’orienter les données connues vers la bonne décision et éviter la myopie dans l’action, estime Jean-Claude Mallet : les causes des printemps arabes de 2010 avaient déjà été étudiées par les diplomates sur le terrain ! De son côté, la DAS a subventionné 40 projets contribuant à la recherche stratégique en 2013. Elle entretient un dialogue permanent avec les instituts de recherche et a mis en ligne, sous son contrôle qualitatif, 142 études sur des sujets non sensibles. Le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères met en relation des chercheurs et des diplomates, pour que leur savoir contribue à la réflexion au sein du ministère, notamment par le biais de la Fondation pour la recherche stratégique, des instituts de sciences politiques en France et de son réseau de 27 instituts de recherche étrangers. Son directeur adjoint, David Cvach, a regretté le cloisonnement entre la recherche et la diplomatie. En effet, les chercheurs connaissent mal les décideurs de politique étrangère et le monde diplomatique a tendance à se refermer sur lui-même, sauf les agents issus du concours Orient. En conséquence, les diplomates doivent passer deux ans hors de leur filière, notamment dans les « think tanks », organismes privés, à but non lucratif, de réflexion d’intérêt général. Selon Frédéric Charillon, directeur de l’IRSEM, une simple recommandation d’un institut de recherche ne peut modifier une décision politique en cas de crise. En France, les passerelles entre milieux universitaire, diplomatique et militaire sont rares, contrairement aux pays anglo-saxons (Grande-Bretagne et États-Unis). Il faut en effet un contact permanent, pour que les décideurs envisagent des réactions à chaud aux recommandations d’experts, avec qui ils ont travaillé dans le passé.

Penser autrement. Selon son maître de recherche Xavier Pasco, la FRS se met en relation avec des acteurs étatiques et privés, techniques et industriels, car rien ne remplace l’expérience sur le terrain. La stratégie repose sur la diversité des domaines et des acteurs : Commission et Parlement européens, Agence spatiale européenne et OTAN. Il s’agit de comprendre les rapports entre les forces d’intervention et présenter les débats politiques, économiques et sociaux. Le cyberespace ne se réduit pas à ses aspects techniques. La FRS entend construire sa compétence dans la durée et consolider son expertise en matière de prolifération des armes nucléaires, biologiques et chimiques. Ses recherches portent sur la transversalité des niveaux national et européen, à savoir le passage de la souveraineté à la coopération, le cyberespace, l’orientation des investissements militaires et civils là où l’interaction est permanente, le partenariat public/privé pour obtenir l’efficacité économique et une garantie durable. Soucieuse de ne pas s’attarder sur le passé, la FRS veut éviter le « prêt à penser ». De son côté, Dominique David, directeur exécutif de l’IFRI, rappelle qu’un « think tank » est une organisation permanente, dont les équipes se donnent le temps de la réflexion pour élaborer des produits spécifiques (documents écrits et débats), destinés aux décideurs politiques, entreprises, chercheurs et médias. Sa crédibilité dépend de son indépendance… garantie par ses multiples dépendances ! Le think tank travaille dans l’intérêt général et définit de nouveaux champs de recherche, dont il planifie l’exploration. A côté de l’État, producteur intellectuel collectif, prolifèrent des clubs de réflexion sur : l’évolution de la communauté internationale avec ses incertitudes sur la répartition de la puissance et la capacité de nuire ; l’évolution des moyens de gestion des crises. Un département de quelques dizaines de personnes de l’Université de Montpellier1 travaille sur les aspects internes de la politique de défense et des questions militaires, explique le professeur Jean Joana. Un dialogue s’est ouvert entre leurs spécificités et les autres enjeux politiques et sociaux : solidarité, contrôle des dépenses, réforme de l’État et participations aux instances de l’Union européenne et de l’OTAN. Les travaux en cours portent notamment sur : la formulation et la mise en œuvre des doctrines militaires ; la participation à des coalitions ; la privatisation de la sécurité ; la planification et la programmation militaires ; l’industrie de l’armement ; la gestion du personnel ; l’implantation des bases de défense ; l’adaptation de l’outil militaire en tirant les leçons des erreurs du passé.

Loïc Salmon

Enseignement militaire supérieur : former les chefs d’aujourd’hui et de demain

« Think Tanks » : de l’expertise des questions internationales aux réseaux d’influence

Entre 1990 et 2011, 65 manuels généralistes des relations internationales ont été publiés dans le monde. L’approche française est assurée par l’Institut des hautes études de défense nationale, qui a établi un réseau d’universités et de « think tanks » et créé l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Ce dernier s’est spécialisé sur l’économie, la sécurité, la cyberstratégie et les grands enjeux politiques. L’IRSEM a pour objectifs : produire des études internes pour le ministère de la Défense ; attirer les jeunes chercheurs pour constituer la relève en matière d’études stratégiques ; diffuser la pensée stratégique française à l’étranger ; soutenir l’enseignement militaire supérieur.




Drones et armes hypersoniques : futurs enjeux de puissance

A l’horizon 2035, les drones et missiles hypersoniques, difficiles à intercepter en raison de leur très grande vitesse, pourront agir dans la profondeur, avec précision et à distance de sécurité. Leur coût élevé nécessitera des choix budgétaires et opérationnels.

Ils ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 3 novembre 2014 à Paris, par le Club Participation et Progrès. Y sont notamment intervenus : le général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’Air ; Laurent Serre, responsable des programmes hypersonique à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) ; Philippe Migault, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques ; André Geoffroy, consultant.

Drones de demain. Un drone de reconnaissance hypersonique se rendra très vite sur zone et en reviendra avec des informations fraîches immédiatement utilisables, explique Laurent Serre (ONERA). Ce drone peut être tiré sous avion, du sol ou depuis la mer (bâtiment de surface ou sous-marin). Un propulseur d’appoint lui donne une accélération jusqu’à Mach 2 (680 m/s), qu’il maintient par son statoréacteur aux conditions de croisière à haute altitude. Sa portée croît alors avec sa vitesse. En conséquence, il peut réaliser une mission loin à l’intérieur d’un territoire hostile sans disposer de la supériorité aérienne. A une altitude donnée, voler plus vite lui donne un avantage de manœuvrabilité face à un intercepteur (avion ou missile sol/air). En outre, à une vitesse donnée, voler plus haut réduit les performances de l’intercepteur. La mission du drone est entièrement automatique. Pendant sa phase de croisière, il atteint un territoire, même très défendu, en 20 mn, puis y parcourt plus de 600 km dans la profondeur et capte des images par son radar SAR à haute résolution (10 à 30 cm) sur une sélection de sites de points chauds d’intérêt du moment. Sa phase de récupération se décompose en : vol de retour vers le lieu choisi ; décélération jusqu’à une vitesse subsonique ; descente freinée par parachute ; récupération par hélicoptère, méthode utilisée pendant la guerre du Viêt Nam (1955-1975) ; retour vers l’infrastructure de base. Les données captées au cours de la reconnaissance ont été extraites et disséminées vers les destinataires pendant le vol du retour. Par exemple, au cours d’une mission d’une heure, le drone hypersonique peut recueillir des informations sur une dizaine de zones (4 km de côté) réparties dans un carré (500 km de côté) et sous 2 angles d’observation aller/retour pour les reconstituer en 3 dimensions. Mais l’expression du besoin de « renseignement stratégique réactif tout temps » reste à affiner, souligne Laurent Serre. Des missions, quotidiennes ou hebdomadaires, permettraient d’affiner la base de données, de détecter les changements et de prendre des vues dans de nouvelles conditions, elles porteraient notamment sur : la surveillance de sites de missiles ou de radars fixes ou déplaçables ; l’indice d’activité de réseaux de communications terrestres et fluviaux ; l’indice d’activité d’installations sensibles ; le recensement de capacités aériennes ou navales.

Projets français. Face aux menaces futures, la technologie des armes hypersoniques fera la différence entre les grandes puissances qui s’en doteront, estime le général Mercier. Leur concept d’emploi sera le même qu’aujourd’hui pour garder la capacité d’entrer en premier sur un théâtre,  mais avec une différence importante : la distance de tir ! L’armée de l’Air a déjà entrepris des études très poussées sur les techniques essentielles et les enjeux opérationnels. La constante restera la liberté d’action sur les espaces terrestre et maritime, qui dépend de celle dans l’espace aérien. Contrer le déni d’accès à ces espaces nécessite d’imaginer des armements à forte réactivité, longue portée et précision des effets. La furtivité des avions de chasse se trouve déjà mise à mal par les radars passifs. En outre, les missiles sol/air et air/air augmentent leur allonge. La vitesse devient donc un facteur d’efficacité contre les systèmes de défense au sol. Le niveau déjà atteint ne permet plus de progresser, mais la vitesse hypersonique constituera un facteur opérationnel important dans une dizaine d’années. Or, la dissuasion nucléaire devra moderniser sa partie aéroportée après 2030. Sa crédibilité dans un monde changeant résidera encore sur la complémentarité de ses composantes océanique (sous-marins nucléaires lanceurs d’engins) et aérienne (avions Rafale). A la même époque, le Rafale et le missile ASMP-A (air-sol moyenne portée amélioré) arriveront à mi-vie. Ce missile, que la France est la seule à posséder, est équipé d’un statoréacteur de haute technologie, dont il convient de garder les compétences pour préserver l’avenir, souligne le chef d’état-major de l’armée de l’Air. Le maintien de ce niveau passe par la simulation numérique de la poussée et de la trainée, les applications de la technologie du plasma, l’amélioration de la chambre de combustion et les matériaux résistants à la chaleur. L’ONERA et MBDA (missiles et systèmes de défense) poursuivent leurs recherches dans ces domaines. Le démonstrateur technologique Neuron permettra d’affiner le concept d’emploi du drone de combat. Il devra répondre à deux questions : imaginer un système complexe de capteur et de frappeur et limiter le coût budgétaire.

A l’étranger. La Russie a élaboré des applications tactiques du statoréacteur et les exporte, indique Laurent Serre. Ainsi le missile Yakhont (Mach 2,5), qui peut être tiré d’une rampe terrestre, d’un avion ou d’un sous-marin, a été livré à la Syrie. Le missile air-sol et antinavire KH31 (Mach 3,5) peut être tiré des avions Mig 29 et Su 27. Le missile antinavire Moskit (Mach 3), utilisé par la Russie, l’Ukraine, la Chine et l’Inde, peut être lancé de diverses plates-formes. Pour les États-Unis, les armes hypersoniques constituent un élément essentiel au maintien de la supériorité aérienne, selon André Geoffroy. La NASA, Boeing et l’armée de l’Air américaine procèdent à des essais de prototype de missile volant à Mach 5, en vue d’une mise en service vers 2020. L’Inde  a développé avec la Russie le missile de croisière BrahMos (Mach 3), tirable de la terre et de la mer, et compte l’exporter. L’expérimentation du BrahMos-II, version hypersonique (Mach 7), devrait commencer en 2017. La Chine développe un missile hypersonique avec des résultats mitigés. Enfin, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Australie s’y intéressent.

Loic Salmon

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Drones Air et Marine : surveillance, renseignement et… combat

L’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) a mis au point un concept de drone à statoréacteur capable de voler au-delà de Mach 5 (1.701 m/s) et plus, avec du kérosène comme combustible. Selon le contexte, il pourrait parcourir 1.000 km en 14 minutes à Mach 4 (1.361 m/s) et en 7 minutes à Mach 8 (2.722 m/s). Récupérable à un point de rendez-vous prédéterminé, il ne nécessiterait ni communication, ni contrôle pendant le vol. Il pourrait emporter : un radar à synthèse d’ouverture, qui améliore la résolution en azimut ; un système de traitement de données ; un système de navigation inertielle et GPS.




Armée de l’Air : engagement opérationnel intense et réforme en profondeur

L’armée de l’Air est engagée en opérations extérieures au maximum de ses capacités. Son format aura été divisé par 2 en 10 ans à l’issue de la Loi de programmation militaire 2014-2019.

C’est ce qu’a constaté son chef d’état-major, le général Denis Mercier, au cours d’une rencontre organisée, le 10 décembre 2014 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Opérations extérieures (Opex). « On ne peut absorber une troisième crise » après celles d’Irak et d’Afrique, a déclaré le général. Actuellement, l’armée de l’Air déploie 25 avions en Opex et 4 à Djibouti, alors que la limite opérationnelle est fixée à 33 pour l’armée de l’Air et 12 pour la Marine nationale. Dans l’opération « Chammale » en Irak, la France met en œuvre 9 Rafale, 6 Mirage 2000D, 1 avion ravitailleur et 1 avion de patrouille maritime Atlantique 2 à partir des Émirats arabes unis, et de la Jordanie. Les avions de la coalition ont pour but d’interdire toute liberté d’action à l’organisation djihadiste Daech et d’assurer une permanence d’appui aérien aux troupes irakiennes au sol, jusqu’à ce qu’elles soient en mesure de la repousser. Ils effectuent surtout des missions de renseignement, surveillance et reconnaissance. Les frappes sont peu nombreuses pour éviter des dommages collatéraux, car une mission se joue en quelques secondes, précise le général Mercier. Un officier de chaque État membre de la coalition se trouve dans la salle d’opérations aérienne du Qatar, sous commandement américain, et peut refuser, pour ses avions, une mission qui ne correspond pas aux engagements de son pays. Ainsi, une cible peut être traitée, non pas avec une bombe guidée de 250 kg, mais au canon, ce qui implique de voler à basse altitude. En raison de la menace de missiles sol/air à très courte portée, les avions évoluent en général à moyenne altitude. En Afrique, dans la bande sahélo-saharienne, les opérations de défense aérienne sont regroupées au centre de Lyon-Verdun et dirigées localement à partir de 3 centres interarmées aux Niger, Tchad et Burkina Faso. Une composante drone/Rafale peut aller partout sous ces différents commandements. Par exemple, un Rafale peut décoller directement de la base de Saint-Dizier, effectuer sa mission, se poser à N’Djamena (Tchad) et rentrer en France le lendemain. Son armement air/sol modulaire, dit A2SM et composé de kits de guidage et d’augmentation de portée (jusqu’à 55 km) de bombe (250 kg), détecte et détruit une cible en quelques secondes. Un Rafale peut ainsi traiter 6 objectifs différents. Dans le cadre de l’OTAN, l’armée de l’Air a participé à la police du ciel des pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) et de la Pologne pour les rassurer. Les « tests » avec les avions russes sont constants et consistent en « escortes » mutuelles dans le corridor de Kaliningrad. Toutefois, aucune coopération n’est prévue avec l’Ukraine, « sujet éminemment politique », souligne le général Mercier.

Maintien en condition opérationnelle (MCO). Le taux de disponibilité des aéronefs est calculé selon des critères techniques, opérationnels et d’activités quotidiennes. Par suite de la diminution du budget du MCO au cours de la Loi de programmation militaire 2008-2013, ce taux a dégradé le niveau d’activité de 20 %. Celle de 2014-2019 tente de l’améliorer. Depuis l’instauration d’un secrétariat permanent du MCO aéronautique en coopération avec les industriels Dassault et Thalès, le coût de l’heure de vol du Rafale a diminué de 14 % en 2013. En outre, la SIMMAD (Structure intégrée du MCO des matériels aéronautiques du ministère de la Défense) gère le soutien des 1.265 avions et hélicoptères de 46 types différents des armées de Terre et de l’Air, de la Marine nationale, de la Direction générale de l’armement, de la Gendarmerie et de la Sécurité civile. Enfin, le 8 décembre 2014, les ministères français et britannique de la Défense ont signé le premier contrat commun de MCO des avions de transport tactique A400 M, qui inclut la mise en place d’un stock partagé de pièces de rechange et des services d’ingénierie de maintenance au profit des deux armées de l’Air. Ce contrat porte notamment sur la traçabilité exhaustive des pièces détachées, indique le général Mercier. Le constructeur européen Airbus Defence and Space a déjà livré 7 A400 M sur les 170 commandés par 7 pays : Allemagne, Belgique, Espagne, France (5), Luxembourg, Grande-Bretagne (1) et Turquie (1).

Réformes et perspectives. La réorganisation de l’armée de l’Air vise à une cohérence militaire globale à l’horizon 2020, sous réserve du respect des règles financières de la loi de programmation, explique son chef d’état-major. Elle repose aussi sur la responsabilisation, en raison des choix interarmées, et l’innovation, car « il faut penser toujours différemment ». Enfin, il faut remettre les personnels au cœur des transformations pour obtenir leur adhésion. Cela implique de nouveaux partenariats aux niveaux interarmées, interministériel, international et avec le monde civil. L’armée de l’Air s’est dotée de 3 centres de contrôle (Lyon, Tours et Mont-de-Marsan) : 2 en activité et 1 en maintenance à tour de rôle. Par ailleurs, un groupe de travail sur les futurs systèmes de combat interarmées et de combat aérien a été mis sur pied. Selon des scénarios possibles vers 2030, l’armée de l’Air doit : conserver la capacité d’entrer en premier sur un théâtre mieux défendu qu’aujourd’hui ; protéger une force contre des drones et avions de chasse furtifs ; surveiller un théâtre sans aucune restriction du Conseil de sécurité de l’ONU ; faciliter l’intégration aéroterrestre ; contrer les futures menaces sol/air, fixes ou mobiles. Le système de combat, qui combine renseignement et tir, se compose de senseurs ou capteurs (satellite, avions, drones, sous-marins et navires de surface) et des moyens de frappe. Il doit pouvoir fusionner les renseignements et traiter les données en temps réel. En 2015, le centre d’expérience aérienne de Mont-de-Marsan numérisera toutes les actions entre pays de l’OTAN pour améliorer la boucle de réactivité.

Loïc Salmon

Opérations aériennes : la cohérence, clé du succès

Armée de l’Air : anticiper et avoir un coup d’avance

Un nouveau chef d’état-major pour l’armée de l’Air

 

Le 20 novembre 2014, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a annoncé la commande de 12 avions multirôles de ravitaillement en vol et de transport stratégique (A330 MRTT) pour assurer les capacités de transport à longue distance et d’évacuation sanitaire sur le long terme. L’A330 MRTT peut transporter au choix : 50 t de carburant pour une autonomie de 4 h 30 sur une zone distante de 2.000 km ; 40 t à 7.000 km ; 271 passagers à 10.000 km ; 10 modules de réanimation pour patients à haute élongation d’évacuation (« Morphée »). En outre, l’A330 MRTT peut assurer le relais du commandement (système de commandement et de contrôle et communication par satellite) et celui d’information ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), leur traitement et leur diffusion. La flotte de 12 A330 MRTT remplacera 4 flottes anciennes et spécialisées (12 C135 FR, 3 KC135 RG, 3 A310 et 2 A340). Le 1er appareil sera livré à l’armée de l’Air en 2018, le 2ème en 2019 et les autres suivront à raison d’un à deux par an.




Géopolitique : frontières ignorées et affrontements futurs

La mondialisation, à savoir échanges des services et des biens et circulation des personnes, devait conduire à une uniformisation culturelle de la communauté internationale. Pourtant, la diffusion universelle des technologies d’information et de la communication semble aboutir au résultat inverse.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 15 décembre 2016 à Paris, par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques. Y ont notamment participé : Renaud Girard, correspondant de guerre et grand reporter pour le quotidien Le Figaro ; Bernard Bajolet, directeur général de la Sécurité extérieure (DGSE) ; Mireille Delmas-Marty, professeur honoraire au Collège de France.

Explosion des frontières. Les bouleversements politiques survenus depuis 1991 (fin de la guerre froide) ont provoqué la dissolution non maîtrisée de divers types de frontières, estime Renaud Girard. Les frontières territoriales présentent le plus de fragilité. Ainsi, l’Ukraine, qui signifie littéralement « sur la frontière », séparait les Empires austro-hongrois et ottoman. Issue de la disparition de l’URSS, elle se voit reconnue en 1994 par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et la Russie, en échange des armes nucléaires qui y sont entreposées et qui seront détruites par les États-Unis. L’annexion de la Crimée en 2014 par l’armée russe, sans effusion de sang, sera approuvée par un référendum populaire, mais non reconnu par la communauté internationale car refusé par le régime ukrainien. Lors de la désintégration de la Yougoslavie en 1999, l’OTAN, dont aucun État membre n’était menacé, avait arraché par la force la province du Kosovo à la Serbie en vue de son indépendance, mais sans l’approbation de l’ONU ni du Parlement serbe. A l’époque, la Russie avait averti les pays occidentaux « qu’ils jouaient avec le feu sur les frontières ». La question des frontières maritimes se pose en mer de Chine méridionale. Le gouvernement chinois n’accepte pas celles définies par le droit de la mer (1982). En juillet 2016, il refuse le verdict de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (saisie en 2013) en faveur des Philippines, mais réussit à mettre de son côté le nouveau président philippin Rodrigo Duerte (élu le 30 juin). En outre, il s’arroge toute la mer de Chine méridionale jusqu’au Viêt Nam, à la Malaisie et aux Philippines (l’équivalent de 4 fois la surface de la Méditerranée), afin de contrôler une route maritime alternative au détroit de Malacca. Ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins peuvent ainsi passer librement dans les eaux profondes du Pacifique, afin d’acquérir une parité stratégique de discussion avec les États-Unis. La Chine a également construit des bases militaires sur les îles Spratley, considérées comme (n’appartenant à personne). Les “frontières des personnes” ont été franchies sans procédures (passeport et visas) par des migrants civils issus de sociétés faillies par la guerre (Afghanistan, Syrie et Irak), le régime politique (Érythrée) ou le réchauffement climatique (Sahel). Il leur suffit de connaître le numéro du téléphone portable d’un passeur, qui demande jusqu’à 3.000 $. Ces migrations massives entraînent des difficultés économiques (logements et emplois à pourvoir) et culturelles (intégration) dans les pays d’accueil.

Réflexions sur le long terme. Les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur mettent en œuvre des cellules de crise et de soutien efficaces, mais au détriment des réflexions de fond, estime Bernard Bajolet. Selon lui, les services de renseignement (SR) disposent en interne des capacités techniques, humaines et opérationnelles, de plus en plus nécessaires pour traiter l’ensemble d’un problème. Les données démographiques et la relative marginalisation de l’Occident sont à prendre en compte. La maîtrise du changement climatique avec l’objectif d’une réduction de 2 ° C en 2050 ne préserve pas des migrations futures. Les technologies de l’information et de la communication, sciences cognitives, nanotechnologies, biotechnologies et nouveaux matériaux induisent une révolution dans la robotique et l’internet des objets (impression 3D). Mais, cela ne permet pas d’anticiper les percées technologiques des dix prochaines années. Les menaces terroristes et asymétriques perdureront sous d’autres formes. Outre les réponses sécuritaires, les conséquences sur les sociétés occidentales et les incidences diplomatiques entrent en jeu. Les phénomènes de fond de la Syrie et de l’Irak, connus depuis 2003, n’ont pas été traités de façon adéquate. Il en est de même pour la Libye, la bande sahélo-saharienne et l’Afrique centrale. Les SR ne séparent pas le traitement du terrorisme de la géographie des pays concernés. La criminalité organisée agit, à côté de l’État, dans les échanges économiques et les relations internationales. La prolifération des armes de destruction massive (ADM), la vulgarisation des technologies et la miniaturisation des armes mises à la portée de petits États engendrent une hybridation entre ADM et terrorisme. Ainsi, Daech a utilisé des armes chimiques en Syrie et en Irak. États et groupes terroristes ou mafieux acquièrent des capacités de cyberattaques. Les affrontements futurs entre États seront toujours accompagnés d’une composante cyber. Russie, Turquie et Iran, puissances anciennes, ressurgissent. Les entreprises multinationales collectent des milliers de données personnelles à des fins commerciales et disposent de réserves financières supérieures à celles de nombreux États. La guerre hybride, entre paix et conflit armé, efface la différence entre combattants et non-combattants. Certaines milices, aux moyens considérables (avions et navires), jouent un rôle plus important que certains États. Propagande et cyberattaques permettent d’éviter de déclarer la guerre ou de revendiquer des actions belliqueuses. Au niveau mondial, l’ONU ne contrôle plus l’évolution des rapports de forces. En Europe, le retour aux égoïsmes nationaux s’affirme (« Brexit » britannique). Selon Bernard Bajolet, la France doit disposer de toute la panoplie militaire conventionnelle et de la dissuasion nucléaire, en cas d’affrontement entre États, et d’autres moyens contre les menaces terroristes, criminelles ou économiques.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Stratégie : au-delà de l’ennemi présent, imaginer celui de demain

DGA : la révolution numérique et industrielle de l’impression 3D

Selon Mireille Delmas-Marty, les sociétés  sont déstabilisées par les changements incessants, dus à la mondialisation, et cherchent des repères dans une « rose des vents », où « vent », en grec, signifie « souffle » et « esprit » . Cette rose présente des couples de principes qui régissent tout collectif humain, mais dont aucun n’est absolu en soi : compétition/coopération ; innovation/conservation ; liberté/sécurité ; intégration/exclusion. Dans cette rose s’intercale celle des principes régulateurs : précaution ; anticipation ; pluralisme ordonné ; dignité humaine ; solidarité planétaire. Ces tensions créent une « ronde des vents ». Les acteurs politiques y entrent à la recherche de l’équilibre et passent d’un principe à l’autre, en remplaçant le « ou » qui oppose par le « et » qui unit. Tout dépend du contexte politique, géographique, culturel ou anthropologique. Le droit est un outil nécessaire mais pas suffisant.




Afrique : les risques de déstabilisation et de terrorisme

Dysfonctionnement de l’Etat et échecs sur les plans économique et démographique constituent le terreau du terrorisme dans la bande centrale de l’Afrique. Son éradication passe par le traitement de la démographie et de l’éducation nationale, la réforme des armées et l’aide aux forces de sécurité.

Nicolas Normand, ancien ambassadeur au Mali (2002-2006), au Congo (2006-2009) et au Sénégal (2010-2013), l’a expliqué lors d’une conférence-débat organisée, le 12 juin 2019 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Croissance hétérogène. La contribution de l’Afrique sub-saharienne au produit intérieur brut (PIB) mondial par habitant est passée de 0 %, entre les indépendances (1960) et la fin du XXème siècle, à 5 % entre 2000 et 2015. Après la stagnation de 2016, la reprise économique moyenne s’établit à 3-3,5 % par an avec une croissance démographique de 2,5 %. Toutefois, 40 % de sa population ne dispose que de 1,9 $ par personne et par jour, seuil de pauvreté selon les normes de l’ONU. L’ambassadeur attribue ce réveil économique à l’annulation de la dette, l’essor du numérique, l’arrivée des investissements chinois, la progression de la scolarisation, un grand pas vers l’égalité des femmes et la diminution de la conflictualité entre 1990 et 2010 mais qui repart en 2013. Cependant, seulement une dizaine de pays allient croissance et développement, tandis que les autres connaissent une situation fragile, voire chaotique. Les importations se montent à 40M$/an pour la nourriture et à 15 Mds$ pour les biens. Négative jusqu’en 2010, la balance commerciale a provoqué un endettement croissant dans les secteurs public (budgets) et privé (taux d’intérêt de 7 %). A titre d’exemple, au Nigeria, la dette représente 60 % du budget de l’Etat et l’assiette fiscale moins de 15 % du PIB, contre 35 % pour la moyenne mondiale, et une hausse de 1 % de la fiscalité correspondrait à l’aide au développement. Environ 30 à 40 % des investissements étrangers vont en Asie, 20 % vers l’Amérique latine et seulement 3 % vers l’Afrique sub-saharienne, en raison de l’insécurité juridique et du manque d’infrastructures, notamment pour le réseau électrique. Ainsi, 55 % de la population n’a pas accès à l’électricité et à peine 15 % en a suffisamment.

Démographie et éducation. D’ici à 2050, la population de l’Afrique sub-saharienne devrait augmenter de 160 % pour atteindre 1 milliard d’habitants. Selon les estimations de l’ONU, le nombre d’enfants par femme, actuellement de 5, devrait tomber à 2 en 2100. Dans tous les pays asiatiques, la baisse de la natalité et l’effort sur l’éducation a permis leur décollage économique, rappelle l’ambassadeur. Or en Afrique, un enfant sur trois arrive en fin du cycle primaire, alors que 22 % des jeunes Européens obtiennent un diplôme d’enseignement secondaire. S’y ajoutent les handicaps de l’éducation insuffisante des filles et des mariages précoces dans de nombreux pays d’Afrique. Seuls le Ghana, l’Ethiopie, le Kenya et l’Afrique du Sud maîtrisent leur éducation nationale. Ailleurs, en zone urbaine, celle-ci se trouve concurrencée par les écoles coraniques aux idéologies anti-modernisme, anti-occidentale et anti-démocratique. L’Afrique sub-saharienne ne produit que 2 % de la valeur des biens manufacturés dans le monde, en raison de l’enclavement de certains pays, d’une compétitivité très faible, d’une électrification et d’infrastructures déficientes, d’une formation professionnelle limitée et d’une baisse de natalité trop lente. Chaque année, le marché du travail doit absorber 30 millions de jeunes dont la plupart ne trouve pas d’emploi, facteur supplémentaire d’insécurité.

Carences étatiques. L’aide au développement s’est concentrée sur la santé et divers projets, sans s’interroger sur les causes du sous-développement, souligne l’ambassadeur. La construction des routes ou du métro par des entreprises et personnels étrangers déresponsabilisent les autorités locales et les discréditent auprès des populations. La police et les armées ont été négligées et sont mal payées, faute d’une fiscalité efficace. Présence étatique limitée en zone rurale et mauvais fonctionnement de la justice créent un terreau propice à des désordres. Dans certains pays, l’Etat a dissous les autorités traditionnelles et délégué le maintien de l’ordre à des milices armées rurales pour régler les conflits entre nomades pasteurs et agriculteurs sédentaires, notamment pendant les périodes de sécheresse.

Djihadisme. En Afrique sub-saharienne, le terrorisme chrétien a déjà tué 100.000 personnes, soit plus que les djihadistes après 2000, indique l’ambassadeur. Selon le Programme des nations unies pour le développement, une répression étatique violente favorise le djihadisme, notamment au Nigeria où le salafisme « quiétiste » (cheminement spirituel) est devenu « djihadiste » avec Boko Haram. Le djihadisme suscite des adhésions car il propose un projet de civilisation, gère les besoins de justice et favorise les pasteurs. Dans le Nord-Mali, s’affrontent des groupes armés répartis en trois catégories aux frontières poreuses, où se mêlent lutte des castes et compétition pour le narcotrafic : Coordination des mouvements de l’Azawad, Touaregs sécessionnistes mais signataires des accords de paix d’Alger avec le gouvernement malien à l’issue de l’opération « Serval » ; groupes armés pro-gouvernementaux, également signataires ; djihadistes, répartis entre le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et l’Etat islamique, non signataires. Alors que la population penche plutôt du côté des djihadistes, l’opération « Barkhane », qui a succédé à « Serval », s’est associée aux milices. Le djihadisme, parti du Mali, s’est étendu notamment en République centrafricaine et en République démocratique du Congo, mais a disparu de l’Ouganda. La Mauritanie a procédé avec succès à la « déradicalisation » en plaçant des imams auprès de prisonniers djihadistes. Sur 60 détenus, un seul a repris le maquis après sa libération ! La solution, à terme, repose sur la réconciliation à partir du renoncement au djihadisme, à condition de négocier en position de force avec les djihadistes, conclut l’ambassadeur.

Loïc Salmon

Le nombre de morts dans les combats est passé de 607 en 2012 à 2.829 en 2018 dans les pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso et Mauritanie). En 2018, le terrorisme sévit dans les pays les moins avancés (PMA), à savoir le Mali, le Niger et la Somalie, mais aussi au Nigeria, pourtant plus développé. En outre, guerre civile et exactions de groupes armés continuent au Soudan, au Soudan du Sud, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et au Mozambique. Quoique classés PMA, Mauritanie, Guinée, Sierra Leone, Liberia, Bénin, Togo, Angola, Zambie et Madagascar échappent à ces fléaux. Sont aussi épargnés des pays plus développés, à savoir le Cameroun, le Gabon, le Congo, le Kenya, la Namibie, le Botswana, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud. Y échappent également le Sénégal (PMA), la Côte d’ivoire, le Ghana, l’Ethiopie (PMA) et la Tanzanie (PMA), tous classés parmi les dix premiers pays du monde à forte croissance économique.

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Recherche stratégique : comprendre, analyser, expliquer

Préserver la capacité à penser et agir de manière autonome afin de garantir la liberté et la sécurité, tel est le premier objectif de la recherche stratégique.

Son renouveau a fait l’objet d’un colloque organisé, le 25 janvier 2017 à Paris, par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la Défense. Y sont notamment intervenus : Philippe Errera, directeur de la DGRIS ; un général de brigade (Air) de l’Etat-major des armées ; le général de corps d’armée Christophe Gomart, directeur du Renseignement militaire ; Nathalie Leclerc, Secrétariat général pour l’administration.

Enjeu crucial. La compréhension, l’analyse et l’explication des phénomènes de déstructuration et de recomposition de l’environnement stratégique sont indispensables pour éviter un décalage de la politique d’aujourd’hui et la préparation de l’avenir par rapport aux défis et menaces. Philippe Errera l’explique : « Il nous faut donc comprendre pour anticiper. Anticiper une menace qui se joue de nos faiblesses, dans toutes leurs dimensions sociale, politique, économique et militaire, lorsque le rapport de force lui est ponctuellement favorable. Il nous faut ensuite comprendre pour agir en liant les deux pôles : le décisionnel et l’académique, afin de réduire la distance entre le savoir et le pouvoir dans un monde où les institutions gouvernementales n’ont pas, loin s’en faut, le monopole de l’information et de l’expertise. » Or depuis une quinzaine d’années, de nombreux rapports soulignent la fragilité structurelle de la recherche stratégique sur les questions de défense de la France, pourtant engagée en première ligne dans des opérations extérieures. Le contexte international actuel facilite la concurrence des idées, doctrines et concepts. Ainsi de nombreux acteurs émergents, notamment en Asie,  accompagnent leur volonté de puissance d’une stratégie d’influence fondée sur une recherche de plus en plus innovantes. Pour inverser cette tendance et garantir à moyen terme la satisfaction des besoins nationaux, la DGRIS a proposé, en 2015, une réforme du dispositif ministériel de soutien à la recherche stratégique portant sur un financement du ministère de la défense de près de 10 M€ par an dans le domaine des sciences humaines et sociales. Ce soutien inclut : une réforme des relations avec les instituts privés de recherche ; la création en France des « Biennales des études de défense », en coopération avec une institution universitaire de renom à chaque édition ; la transformation de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) en un centre de référence en la matière.

Rôle de la DGRIS. La DGRIS pilote l’action internationale du ministère de la Défense en coordination avec l’Etat-major des armées (EMA), la Direction générale de l’armement (DGA) et le Secrétariat général pour l’administration  (SGA). Responsable des travaux de prospective, elle coordonne la préparation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et son actualisation régulière. En liaison avec l’EMA, la DGA et le SGA, elle veille à l’articulation entre la stratégie de défense et la loi de programmation militaire. Chargée du pilotage du réseau des missions de défense à l’étranger, elle définit la stratégie d’influence internationale du ministère. Outre la lutte contre la prolifération, la maîtrise des armements et le désarmement, elle coordonne le contrôle des exportations de matériels de guerre et assimilés et de biens à double usage. En 2015, elle a traité 5.562 demandes de licences d’exportation ou de transfert d’armement. Son service « Europe, Amérique du Nord et action multilatérale » prépare les sommets de l’OTAN et les Conseils de l’Union européenne en matière de défense et d’affaires étrangères. Il suit les opérations de maintien de la paix de l’ONU et contribue aux résolutions du Conseil de sécurité (Libye, Mali et Centrafrique récemment). Il suit en permanence 46 pays, organise 13 dialogues stratégiques  par an dans un cadre bilatéral et a obtenu la signature de 26 plans de coopération en 2015. Le service « Questions régionales » contribue à la politique internationale  envers les Etats d’Amérique latine d’Afrique, du Proche et Moyen-Orient, d’Asie et d’Océanie et valide les plans de coopération de défense.

Besoins et attentes des décideurs. La recherche permet d’intégrer une stratégie militaire à celle de la nation, indique le général de l’EMA. Il s’agit de penser le futur en dépassant le cadre de la guerre. L’EMA a besoin d’éclairages sur les aspects sociétaux non militaires, qui doivent être opératoires et pas seulement intellectuels. Il demande des études prospectives à la DGRIS, selon un cahier des charges définies au préalable, à savoir des travaux thématiques (le djihadisme par exemple) ou géographiques. De son côté, la Direction du renseignement militaire (DRM) a besoin de la recherche explique le général Gomart. Elle a accueilli une vingtaine de docteurs et autant de doctorants, dont les travaux ne sont pas rendus publics. Capable d’anticiper de 0 à 2 ans, la DRM coopère avec la DGRIS pour les études prospectives au-delà. Des groupes d’anticipation stratégique sont chargés de renseigner le chef d’Etat-major des armées et le ministre de la Défense. Par exemple, l’aviation syrienne a effectué un bombardement ciblé sur un quartier d’Alep, car habité par des gens venus d’un village dépendant d’une faction rebelle. La DRM recoupe cette information avec ses propres « capteurs » sur le terrain et fusionne le tout avec les recherches universitaires ouvertes, en vue d’une analyse plus fine. Certaines études, réalisées par des chercheurs habilités au « secret défense », restent en « interne ». La montée en puissance des chercheurs facilite la discussion et l’orientation des recherches, notamment en sciences humaines. Le projet « Intelligence Campus » vise à faire travailler ensemble le Centre du renseignement opérationnel, des chercheurs et des petites et moyennes entreprises civiles, françaises et européennes. Le Secrétariat général pour l’administration (SGA) emploie 15.000 personnels, dont un tiers de civils, explique Nathalie Leclerc. Outre un service de soutien, il compte 6 directions : affaires financières ; ressources humaines ; affaires juridiques ; mémoire, patrimoine et archives ; service national ; infrastructures de la Défense. Parfois, la direction des affaires juridiques fait appel à quelques doctorants sur des sujets techniques. Au sein de la direction des affaires financières et en liaison avec des universitaires ou des centres de recherche, l’Observatoire économique de la défense réalise des « études prospectives et stratégiques », consultables sur le site de la DGRIS. Enfin, le SGA dispose d’un état-major chargé de faire remonter les besoins en matière de prospective.

Loïc Salmon

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Géopolitique : frontières ignorées et affrontements futurs

Le réseau de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) compte : 87 missions de défense française (279 personnels) pour 165 pays couverts, dont 78 en non résidence ; 170 attachés militaires et de défense étrangers accrédités en France, représentant une centaine de nations ; 500 stagiaires étrangers accueillis chaque année dans les écoles de formation et d’application des officiers. La préparation des rencontres ministérielles bilatérales inclut : 92 pays suivis en permanence par le service des questions régionales ; 26 dialogues stratégiques par an ; 6 crises régionales suivies en 2015 ; 36 plans de coopération signés en 2015. La loi de finances 2016 a fixé à 1,295 Md€ le budget de la DGRIS. Son directeur est l’un des grands subordonnés du ministre de la défense avec le chef d’Etat-major des armées, le délégué général pour l’armement et le secrétaire général pour l’administration. Le Pôle relations internationales militaires de l’Etat-major des armées compte des bureaux de coopération bilatérale auprès des états-majors de la Marine nationale et des armées de Terre et de l’Air. Enfin, la Direction générale de l’armement dispose d’une direction des relations internationales.