Défense : montée en puissance et restructuration

Les moyens des armées sont accrus au cours des années 2016 et 2017 et leurs dispositifs adaptés, notamment pour mieux lutter contre le terrorisme sur le territoire national.

Financement et effectifs. Les chiffres clés des armées ont été présentés à la presse, le 1er septembre 2016 à Paris, par l’Observatoire économique de la défense. Ce ministère a réalisé 81 % des dépenses de l’État en 2015, soit 18 Md€, dont 14 Md€ pour l‘équipement des forces auprès des grands groupes de défense et de 26.000 petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire. Avec l’actualisation de la Loi de programmation militaire 2014-2019, son budget 2016 a été accru de 600 M€ pour atteindre 32 Md€ avec la création nette de 2.300 emplois. En 2017, il sera encore augmenté de 600 M€ avec la création de 10.000 postes entre 2017 et 2019, correspondant à l’annulation des suppressions d’emplois antérieurement programmées. Fin 2015, les 61 bases de défense totalisent 60.386 civils et 202.964 militaires. Ceux-ci se répartissent ainsi : armée de Terre, 109.444 personnels dont 13.821 officiers, 37.610 sous-officiers, 57.342 caporaux et soldats et 671 volontaires ; Marine nationale, 35.411 (4.495 officiers, 23.566 officiers-mariniers, 6.583 quartiers-maîtres et matelots  et 767 volontaires) ; armée de l’Air, 42.037 (6.429 officiers, 24.828 sous-officiers, 10.746 militaires du rang et 34 volontaires) ; autres services, 16.072 (7.961 officiers, 6.595 sous-officiers, 874 militaires du rang et 642 volontaires). S’y ajoutent 28.100 réservistes opérationnels et 2.778 réservistes citoyens (hors Gendarmerie nationale).

L’opération « Sentinelle » de  protection du territoire national a été maintenue au maximum pendant la période estivale 2016 : 10.000 militaires déployés sur 2.500 sites de 78 des 101 départements. Le dispositif a inclus des missions particulières, à savoir la protection de 47 événements et le contrôle des flux à 14 postes frontières.

Renforcements des unités. Fin juillet 2016, le ministère de la Défense a annoncé diverses mesures pour 2017, dans le cadre de la montée en puissance des domaines prioritaires : cybersécurité, renseignement et fonction protection. Ainsi, l’armée de Terre doit renforcer la 13ème Demi-brigade de la Légion Étrangère, le 5ème Régiment de dragons et le 5ème Régiment de cuirassiers stationné aux Émirats arabes unis. La Marine nationale étoffe ses unités de protection, la défense maritime du territoire et ses centres opérationnels. En outre, elle va créer un peloton de surveillance maritime et portuaire de la Gendarmerie maritime pour l’ensemble Dunkerque-Calais. L’armée de l’Air poursuit la concentration de ses moyens par pôles de spécialisation. Elle prépare également la montée en puissance de nouvelles flottes d’aéronefs : avions de transport et de ravitaillement Airbus A330 MRTT ; avions de transport tactique C 130J Hercules, version améliorée du C 130 ; drones Reaper. Par ailleurs, le Centre d’analyse en lutte informatique défensive et le Commandement opérationnel de la cyberdéfense se renforcent au sein des armées. La Délégation générale de l’armement bénéficiera de l’allègement des déflations d’effectifs au profit de ses domaines prioritaires. Le Service des essences des armées va actualiser ses mesures, entraînant un report ou annulation de certaines d’entre elles. Enfin, le quatrième centre du Service militaire volontaire doit ouvrir à Châlons-en-Champagne en janvier 2017, après ceux de Metz, La Rochelle et Brétigny-sur-Orge.

Loïc Salmon

Défense : les armées, leur image et leurs moyens

Défense : effectifs et engagements en 2014-2015

Défense : actualisation de la LPM 2014-2019




Armée de Terre : l’arme blindée cavalerie de demain après l’intervention au Mali

L’arme blindée cavalerie a déployé presque tous ses matériels face à un adversaire asymétrique dans l’opération « Serval » au Mali. Pour son emploi futur, elle doit en tirer les conséquences en termes de doctrine, de coopérations et d’équipements.

Tel a été le thème des premiers « Ateliers de la cavalerie », tenus le 21 octobre 2013 à l’Ecole militaire à Paris.

Retour d’expérience spécifique. Le général de brigade Bernard Barrera, commandant de la brigade « Serval » (comme l’opération) de janvier à mai 2013, avait un cavalier comme adjoint. « Les blindés ont été indispensables pour une victoire tactique dans les trois premières semaines, dit-il, nous avons appliqué ce qu’on nous a appris à l‘Ecole de guerre pour une guerre qu’on n’attendait pas ». Il a fallu retrouver la capacité, la volonté et l’audace. Aucune unité ne s’est retrouvée sans appui feu, articulé entre les canons terrestres, l’aviation et les hélicoptères selon les circonstances. Toutefois, une instruction en amont s’avère nécessaire pour la coordination entre un chef d’unité terrestre et l’arme aérienne. L’opération « Serval » a été précédée par un entraînement de 18 mois en France avec parcours de tir et des chars Leclerc… qui seront remplacés par des véhicules à roues et canon. Finalement, les unités blindées engagées comprennent : 1 PC de groupement tactique interarmes, 2 escadrons d’AMX 10 RC, 1 escadron Sagaie (VAB) et 1 escadron d’aide à l’engagement (VBL). Tous les personnels reviennent d’Afghanistan, connaissent leur métier et sont heureux de servir. Le chef doit faire preuve d’imagination. Selon le général Barrera, les djihadistes ont commis l’erreur d’accepter le combat, alors que le Mali convient au combat de véhicules blindés dont l’allonge du canon suffit pour les affronter. Trop sûrs d’eux, ils pensaient que les troupes françaises n’iraient pas les chercher dans leurs repaires après un raid de plusieurs centaines de km par une forte chaleur. « Le pire aurait été qu’ils nous évitent. On arrivait sur une zone où on ne peut les détruire, car ils sont bien camouflés ». Malgré l’aide des drones américains et britanniques, 80 % des renseignements obtenus sont d’origine tactique et terrestre. Les grottes des djihadistes ont été repérées par les DRAC (drones portatifs de reconnaissance au contact) de la batterie de renseignement de brigade et les VBCI du 2ème Régiment de hussards, qui allaient directement dans les oueds. L’escadron d’aide à l’engagement est resté deux mois seul à Tombouctou, zone non sécurisée la nuit. Les combats ont eu lieu simultanément à Gao et dans le massif de l’Adrar. Les blindés ont effectué des reconnaissances et des combats offensifs en compagnie des troupes françaises et tchadiennes à pied. Sans les blindés, les avions et les hélicoptères, les soldats du 2ème Régiment étranger de parachutistes n’auraient disposé que de leurs fusils d’assaut pour se défendre. Les missions d’acheminement du carburant depuis la frontière algérienne duraient 2 jours. Les blindés roulaient à la vitesse des camions citernes, afin de tenir le terrain pendant 6 semaines. La rupture du pont aérien a été compensée par une noria de 70 camions, commandée par un lieutenant de 25 ans, pour la fourniture quotidienne de 20 t d’eau et de munitions. Les blindés ont été adaptés au terrain, indique le général, grâce à la complémentarité des moyens : infanterie légère dans les montagnes, blindés dans les grands espaces et infanterie blindée face aux unités motorisées du mouvement djihadiste Mujao. Un rapport de forces supérieur à celui de l’adversaire a toujours été recherché et optimisé par les appuis : un sous-groupement tactique interarmes étant préférable à un escadron de blindés. L’opération « Serval » a démontré : l’effet dissuasif des colonnes blindées ; l’efficacité des engins « roues canon », adaptés au rythme des véhicules plus lents ; l’usure des matériels et la nécessité des précautions logistiques (carburant) ; l’appui de l’infanterie, indispensable lors des reconnaissances des vallées ; la très bonne protection contre les armes légères, mais la vulnérabilité aux engins explosifs improvisés (mines) ; l’aptitude des chefs à l’autonomie et au combat interarmes. Enfin, conclut le général Barrera, « il faut toujours prendre des risques calculés ».

Perspectives. Trois tables rondes ont dégagé les contours de la future arme blindée cavalerie. La première a porté sur la doctrine, cet ensemble de notions fournissant une interprétation des faits et permettant de diriger l’action. L’intervention au Mali a révélé, au combat, l’efficacité du tir en roulant et à distance sur des cibles mobiles, la rapidité de l‘engagement sans temps mort et l’enchaînement des cycles tactiques. Les blindés partent plus loin que les fantassins, tiennent plus longtemps le terrain et rayonnent sur zone grâce à leurs moyens radio. L’état-major doit gérer le trop plein d’informations dû à la redondance des moyens. Le risque d’imbrication dans le dispositif ennemi existe. Le combat en zone urbaine implique de trouver les bons axes de pénétration. Enfin, il n’y a plus de prisonniers dans un combat asymétrique, mais des otages. La 2ème table ronde a examiné notamment les coopérations interarmes, interarmées, et interalliées en opérations extérieures (Opex). Le blindé se présente comme un compromis d’aptitudes d’observation, de mobilité, de protection et de puissance de feu. La cavalerie devra remplir ses missions de renseignement, de couverture des forces, de combat et d’exploitation du succès tactique. La multiplication des Opex accroît l’expérience pour développer l’interopérabilité des acteurs par la formation, l’entraînement et les échanges. La 3ème table ronde s’est intéressée aux équipements de demain. Le blindé, système d’armes (arme et munitions) d’une durée de vie de 40 ans avec un équipage plus réduit grâce à l’emploi de robots, embarquera des moyens ISTAR (renseignement, surveillance, désignation d’objectifs et reconnaissance). Il affronte déjà le petit drone, difficile à détecter et donc à détruire. Outre le recours accru à la simulation pour la formation et l’entraînement, l’utilisation des futurs engins de cavalerie devra rester simple et intuitive.

Loïc Salmon

Armée de Terre : retour d’expérience de l’opération « Serval » au Mali

L’opération « Serval » a permis à la cavalerie d’évaluer les performances de ses matériels. Parmi les plus récents, le véhicule blindé du combat d’infanterie (VBCI) se caractérise par son excellente mobilité, sa puissance de feu optimisée et ses bonnes conditions d’emploi. Le canon Caesar a manifesté sa très bonne mobilité et son tir précis et rapide. L’hélicoptère Tigre a révélé sa puissance de feu et sa qualité d’observation. Malgré le vieillissement du parc, les matériels anciens ont démontré leur capacité à durer dans des conditions climatiques éprouvantes (40-50 ° C). L’engin blindé de reconnaissance feu AMX-10 RC (roues et canon), entré en service en 1980, conserve ses qualités de mobilité et d’appui au contact. Le véhicule de l’avant blindé (VAB, 1976) maintient sa rusticité et sa bonne disponibilité, mais s’ensable fréquemment. Le véhicule blindé léger (VBL, 1990) assure encore une excellente mobilité et une très bonne disponibilité.




Armée de Terre : opérations et relations internationales

La France n’agissant pas seule dans le monde, le « partenariat militaire opérationnel » a remplacé l’ancienne « coopération militaire » pour aller jusqu’à l’engagement armé si nécessaire.

Cette question a été abordée au cours d’un colloque organisé, le 27 novembre 2019 à Paris, par l’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger. Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée François-Xavier Le Pelletier de Woillemont, secrétaire général adjoint de la défense et de la sécurité nationale ; Hervé de Charette, ancien ministre des Affaires étrangères (1995-1997) ; Bertrand Badie, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et au Centre d’études et de recherches internationales ; le colonel des troupes de marine Thomas Pieau, projeté sur les théâtres d’opérations en Bosnie, en Afghanistan et au Liban ; le capitaine Charles Allègre, officier adjoint à la compagnie permanente du 9ème Régiment d’infanterie de marine en Guyane.

L’action militaire. L’interculturalité permet aux forces armées françaises de combattre au loin dans un environnement, sinon favorable, du moins peu hostile, souligne le général Le Pelletier de Woillemont. Elle transforme les procédures, la doctrine et l’entraînement pour agir mieux ensemble entre partenaires et alliés, acquérir l’expérience opérationnelle et la partager pour anticiper l’action de l’adversaire. Elle évite une forme d’isolement physique, linguistique et culturel, pour remplir la mission avec efficacité. Elle permet l’équilibre entre protection des soldats et proximité avec la population. Ainsi l’opération « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne implique 5 pays avec 5 cultures différentes, unifiées par la langue française. La France y agit pour assurer sa propre sécurité et celle de populations locales qu’il convient de respecter. La solidité d’une armée, rappelle le général, repose sur sa chaîne hiérarchique et sa capacité à tenir le terrain au contact. Les soldats français combattent donc ensemble avec leurs partenaires africains. Pour vivre au milieu d’autres cultures, les missions de longue durée (2-4 ans) sont préférables aux affectations de 4 mois de diverses unités, qui tournent trop vite au sein de « Barkhane ». Il incombe aussi aux armées africaines de « gagner les cœurs et les esprits », car les forces françaises partiront un jour. S’y ajoute le risque que les unités françaises soient gagnées à la cause des populations au sein desquelles elles vivent. Par ailleurs, indique le général, la France, dont la culture n’est plus dominante, promeut certaines valeurs universelles comme l’état de droit, le multilatéralisme et la dignité humaine. Or, parallèlement au besoin d’enracinement dans une société, se profilent les affirmations d’identité, de culture et de rapport de forces.

Le travail en amont. Depuis 2008, les troupes françaises sont mises en situation d’interculturalité aux niveaux individuel et collectif, indique le colonel Pieau. L’adaptation se fait en fonction des besoins à partir du plus petit échelon pour éviter les maladresses. L’état-major prépare l’approche tactique selon des méthodes de comportement validées par le chef, qui négocie avec les autorités locales. Une observation décalée permet une analyse plus fine, sachant que la conquête des cœurs et des esprits s’inscrit dans la durée.

L’action diplomatique. Pour défendre ses intérêts, la France prend en compte l’identité de ses interlocuteurs, dont la connaissance lui permet de se faire reconnaître par eux et de respecter leurs différences et particularités, indique Hervé de Charette. Elle doit privilégier l’ouverture sur le monde et éviter l’arrogance pour y conserver son influence et sa place. Parler avec tout le monde implique de ne pas placer les valeurs occidentales au-dessus des autres, mais ne signifie pas renoncer à celles d’une portée universelle, comme les droits de l’Homme. Une dimension affective entre dans la politique étrangère, comme l’a montré l’action de la diplomatie française en 1996, lors de l’opération israélienne « Raisins de la colère » contre le Liban, dans un contexte de tensions avec les organisations politico-militaires Hamas et Hezbollah. Adepte de la « diplomatie militaire », Israël recourt à la force chaque fois qu’il le juge nécessaire pour atteindre ses objectifs. Or, la France attache de l’importance à la souveraineté du Liban, sa première carte d’influence dans la région, pour relancer sa politique arabe et méditerranéenne. Une équipe de diplomates chevonnés, dirigée par le ministre des Affaires étrangères (Hervé de Charette), fait la navette pendant 15 jours entre Tel Aviv, Beyrouth, Damas et Le Caire. Elle obtient un cessez-le feu…qui va durer 4 ans ! Ce succès repose sur la longue expérience de la diplomatie française au Moyen-Orient. La solution a nécessité un dialogue avec la Syrie, qui encourageait le Hezbollah, et avec l’Iran, son principal fournisseur d’armement et inspirateur religieux. Les Etats-Unis considéraient Israël comme leur seul interlocuteur dans la région et refusaient l’intervention d’un pays tiers, mais n’avaient plus de relations diplomatiques avec l’Iran. La France avait accepté d’avance d’en subir les conséquences éventuelles.

La reconnaissance internationale. Le système westphalien (1648) a instauré la reconnaissance mutuelle des Etats sur les plans juridique, politique (leur rôle à jouer) et culturel (égalité et découverte de l’autre), explique Bertrand Badie. Toutefois, il s’ensuit une compétition entre Etats, en rivalité permanente, et un classement hiérarchique. L’entrée de l’idée d’universalité dans l’histoire philosophique européenne a débouché sur l’évangélisation puis la colonisation. En Occident, la découverte de l’altérité s’est manifestée par la solidarité aux niveaux national (XIXème siècle), puis international (XXème siècle). Ensuite, la mondialisation de l’interculturalité a entraîné interdépendance et migrations. La culture, dont la définition varie avec le temps, a servi d’emblème. Lors des décolonisations, l’imposition de systèmes étatiques étrangers a suscité un sentiment d’aliénation de leur propre culture au sein des anciennes colonies. Le passé structure les comportements sociaux. L’altérité a été perturbée par l’humiliation du « dominé », paramètre incontournable des relations internationales, souligne Bertrand Badie. Elle entraîne des diplomaties de la revanche, où l’humilié va chercher à imposer l’humiliation à son tour, et de la réparation par l’ancien pays dominateur.

Loïc Salmon

Les distances et les difficultés de communication imposent la culture de l’autonomie, estime le capitaine Allège (photo), à l’issue d’une étude comparative des missions de combat au Tonkin (journaux de marche 1945-1954) et de lutte contre les orpailleurs clandestins en Guyane (son propre carnet de bord). Milieu difficile, la forêt équatoriale mettant hommes et matériel à rude épreuve, il s’agit d’apprendre de ceux qui y vivent en permanence et d’adapter la logistique. Pour comprendre sa manière de réagir, il faut se mettre à la place de l’adversaire, rustique et qui maîtrise ce milieu. Le succès de la mission dépend de sa durée et du soutien de la population locale, composante essentielle de la mission. Le rapport humain facilite le recrutement local et permet de transformer un adversaire en allié potentiel…à condition de savoir l’utiliser !

Armée de Terre : prise en compte de « l’interculturalité »

Opex, des vies pour la France

Armée de Terre : gagner la paix après l’intervention en Opex

 

 




Opex : protéger juridiquement le combattant et garantir son droit à réparations

Devant la complexité croissante des opérations extérieures (Opex), l’action de combat, qui amène à donner la mort, implique de protéger le combattant contre toute « judiciarisation » excessive et déstabilisante. En outre, le soldat et ses ayants droit bénéficient de réparations consécutives à des blessures morales et/ou psychiques.

Ces aspects des Opex ont fait l’objet d’un colloque organisé, les 2 et 3 novembre 2015 à Paris, par le ministère de la Défense. Y sont notamment intervenus : Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense ; le général Didier Castres, sous-chef « Opérations » à l’État-major des armées ; François Molins, procureur de la République auprès du Tribunal de grande instance de Paris ; Jacques Feytis, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense.

Combattre en « zones grises ». Aujourd’hui, l’insécurité est omnidirectionnelle et l’adversaire peut se trouver partout, explique le général Castres. Dans ce type de conflit asymétrique, la destruction du potentiel militaire de l’adversaire doit s’accompagner de l’affaiblissement et de la désorganisation de ses réseaux et de ses flux financier, logistique, de commandement, de recrutement, de formation et de propagande. A titre indicatif, les 2.760 sites francophones pro-Daech ne représentent que 25 % du total, où des milliers de « tweets » sont échangés chaque jour. Il s’agit dès lors d’identifier les points de fragilité de l’État islamique et de les mettre hors d’état de fonctionner. Il en est de même pour les individus y jouant un rôle majeur, quelle que soit leur nationalité, mais jamais en raison de leur seule nationalité, précise le général. Pour contourner l’avance technologique d’une armée régulière sur un théâtre d’opérations, cet adversaire asymétrique recourt aux armes chimiques de fortune, engins explosifs improvisés, tireurs d’élite, zones urbanisées, foules et combattants-suicides. Les actions militaires doivent donc s’adapter pour conserver l’ascendant. Dans ce but, le sous-chef « Opérations » préconise de : prendre l’initiative par la surprise, l’intensité et la fréquence des opérations ; développer l’ubiquité pour pouvoir agir en tout point de la zone d’opération, parfois très étendue ; d’accentuer la précision et la fulgurance des actions afin de contourner les mesures de sécurité de l’adversaire ; d’offrir une liberté de destin aux populations. Affronter un adversaire aussi déterminé que Daech impose une part de risque qui suppose de sortir du dogme de « zéro mort », souligne le général. Les conditions d’engagement et d’emploi de la force dans des pays différents varient, car ils sont rarement englobés dans la même logique en matière de droit international. De plus, la très courte durée d’une action militaire, entreprise avec des effectifs restreints, rend difficilement conciliables temps judiciaire et temps opérationnel. Enfin, le volet sécuritaire d’une crise doit être mené en continuité, cohérence et coordination avec les actions de nature politique, économique ou diplomatique, souligne le général.

Responsabilité pénale. L’intervention de la France en Syrie est licite, en raison de la menace permanente de terrorisme par Daech sur son territoire, rappelle François Molins. Par sa résolution 2170, le Conseil de sécurité de l’ONU qualifie Daech d’organisation terroriste et lie ses actions en Irak et en Syrie. Sa résolution 2178 fait de même envers les combattants rejoignant Daech et qui peuvent être poursuivis judiciairement et « ciblés » militairement. La légitimité des interventions armées est incontestable dans la bande sahélo-saharienne et dans la zone irako-syrienne, où les situations doivent être appréhendées comme des actions de combat asymétrique, souligne le procureur. Quand des personnes sont tuées au combat en Opex, les prévôts établissent les circonstances de la mort, procède à l’examen des corps et fournissent les renseignements judiciaires au Tribunal de grande instance de Paris, qui en informe éventuellement les familles à leur demande (encadré). Seul le procureur de la République peut engager des poursuites judiciaires en cas de délits et crimes commis par des militaires en Opex, y compris pour la libération d’otages ou l’évacuation de ressortissants. Il n’agit que sur dépôt de plainte ou dénonciation. Dans un contexte opérationnel, les homicides involontaires, comme les tirs fratricides ou les accidents aériens ou de convoi, sont classés sans suite. La responsabilité pénale d’un militaire n’est pas engagée quand l’usage de la force se justifie dans le cadre du droit international, par exemple quand un civil a été tué ou blessé pour n’avoir pas obtempéré aux sommations, indique le procureur.

Réparations et indemnisations. Le régime de pension militaire d’invalidité a pour missions d’exprimer une reconnaissance et de réparer le préjudice subi par un combattant blessé, explique Jacques Feytis. Les infirmités relatives aux Opex résultent surtout de : traumatismes par balles ou éclats ; « blast », variation de pression par explosion dans un environnement confiné ; mines, brûlures et accidents de véhicules ; stress post-traumatique, en hausse ; maladies exotiques (paludisme, tuberculose et parasitose) ; séquelles de la guerre du Golfe (1991, exposition à l’uranium appauvri). L’infirmité, dont le taux détermine l’accessibilité à pension, doit relever d’un fait précis et d’une relation directe avec une Opex. Sur les quelque 10.000 dossiers traités par an, 20 % sont rejetés. Enfin, l’État prend directement en charge les appareillages.

Éviter le doute. L’intervention militaire avec usage de la force létale doit se situer dans un cadre politique et juridique, clair et robuste, avec des conditions d’engagement (ouverture du feu) et une articulation entre objectifs et moyens, souligne Jean-Yves Le Drian. En raison de l’importance croissante de la dimension judiciaire, nationale ou internationale, dans la résolution des crises, il convient de tenir compte de la spécificité du métier des armes et de l’action de combat. En outre, la création d’un droit pénal du conflit armé, intermédiaire entre les temps de paix et celui de guerre, s’avère nécessaire, estime le ministre. Selon lui, la Loi de programmation militaire 2013-2019 a permis d’équilibrer la protection du combattant, agissant pour le succès de la mission confiée aux armées, avec les nécessités de la manifestation de la vérité et de la poursuite des infractions.

Loïc Salmon

Opex : difficultés à caractériser l’ennemi et à circonscrire le cadre d’opérations

Moyen-Orient : crises, Daech et flux de migrants en Europe

OPEX : prise en charge et suivi des grands blessés

La Gendarmerie prévôtale a pour mission principale la police judiciaire militaire auprès des forces armées françaises stationnées hors du territoire national. En leur qualité d’officier de police judiciaire, les prévôts sont chargés de constater les infractions commises par ou contre les forces armées françaises ou contre leurs établissements ou matériels, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs sous la direction exclusive des magistrats du Tribunal de grande instance de Paris. Spécialisé dans les affaires militaires, ce dernier est notamment compétent pour le terrorisme et les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les prévôts sont détachés de façon permanente auprès des forces stationnées à l’étranger ou constituent des détachements de circonstance auprès des forces en opérations extérieures.




Exposition photographique itinérante « Femmes de la défense »

Avec 15 % de femmes parmi son personnel militaire en 2012, l’armée française est la plus « féminisée » d’Europe, devant celles de la Grande-Bretagne (9,7 % en 2010) et de l’Allemagne (9,1 % en 2010). Elles servent dans tous les domaines, sauf les sous-marins en raison de la promiscuité à bord. Toutefois, le programme des futurs sous-marins nucléaires d’attaque « Barracuda » prévoit des aménagements pour leur embarquement. Sur les 60.000 femmes du ministère de la Défense, 38 % sont civiles. Les autres, au nombre de 33.000 dans les armées, représentent 6 % des militaires engagés en opérations extérieures. Une exposition photographique itinérante, inaugurée le 29 août 2013 par Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, et Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement (photo), leur est consacrée. Elle en montre 23 dans leur quotidien : pilote de chasse à Saint-Dizier, navigateur en mer Rouge, secrétaire au sein du groupement Terre au Tchad, infirmière militaire en Jordanie, réserviste chef de groupe section Vigipirate à l’aéroport Roissy Charles-De-Gaulle, ingénieur civil expérimentateur navigant à Cazaux, commandant du bâtiment école Panthère à Brest, chef de projet à Paris, gendarme au Bourget, directeur de pont d’envol en océan Indien, mécanicienne armement à Solenzara, chasseur alpin à Paris, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française à Tahiti, chef d’équipe appui image drone en Afghanistan, pilote d’hélicoptère à Saillagouse, juriste à Paris, adjoint chef d’escouade transport en Côte d’Ivoire, directeur d’essais à Biscarrosse, convoyeuse de l’air au Mali, chef d’équipe chargée de prévention à Paris, manœuvrier en surveillance maritime au large de la Birmanie, conducteur de chien à Chabeley et… parachutiste en Afghanistan ! Une femme haut fonctionnaire a été nommée à l’égalité des droits en 2012 au sein du ministère de la Défense et un observatoire de la parité établi en 2013 pour appuyer son action. Les femmes peuvent accéder au grade d’officier général : elles sont déjà une dizaine à la Direction générale de l’armement, quelques unes au Service de santé des armées et au Commissariat (service interarmées) et… une dans la Marine ! La voie a été ouverte par le médecin général Valérie André, présente à l’inauguration de l’exposition photographique à l’Hôtel de Brienne (Paris). Résistante et pilote d’hélicoptère, elle totalise plus de 4.200 heures de vol, 129 missions de guerre en Indochine, 365 missions de guerre en Algérie et 7 citations. Titulaire des croix de Guerre 1939-1945 et des Théâtres d’opérations extérieures, de la croix de la Valeur militaire, de la Médaille de l’aéronautique et de la Legion of Merit (Etats-Unis), elle est Grand-Croix de la Légion d’Honneur et de l’Ordre national du Mérite. L’exposition est présentée sur les grilles du 231 boulevard Saint-Germain à Paris, siège du ministère de la Défense et de l’Etat-major des armées. Elle passera notamment à Toulon (15 octobre-7 novembre), Toulouse (7-30 novembre) et Lyon (mars 2014).

Loïc Salmon

Une deuxième femme amirale

Femmes en guerre 1940-1946




Service de santé des armées : garantir aux blessés les meilleures chances de survie

Toutes les catégories de soignants sont projetées au plus près des opérations. L’expertise acquise donne aux forces armées françaises la capacité de s’engager en premier sur un théâtre.

Cette action du Service de santé des armées (SSA) a été présentée à la presse, le 15 juin 2017 à Paris, par les médecins-chefs Chantal Roche et Thibaut Provost-Fleury.

Retour d’expérience. L’équipe médicale, intégrée à l’unité de combat et composée d’un médecin, d’un infirmier, d’auxiliaires sanitaires, est formée au secours d’urgence et vit avec le danger. Le stress devient un gage de la rapidité de la prise en chaerge du blessé grave. Afin de faire venir un hélicoptère, le médecin décrit par radio le bilan qu’il vient d’établir : blessure physique, brûlure et/ou « blast » (effet de souffle). L’aéronef devant rester le moins de temps possible au sol, il sait que quelqu’un va appliquer les mêmes procédures d’urgence que lui pendant le transfert et que, 24-35 heures plus tard, le grand blessé arrivera en métropole à l’hôpital Percy par avion médicalisé. La chaîne de soutien médical s’échelonne sur quatre « rôles » : survie du blessé dans les zones de contact par les soins d’urgence et de réanimation ; traitement au groupement médico-chirurgical du théâtre, pour limiter les séquelles et stabiliser le blessé ; hospitalisation puis, le cas échéant, évacuation sanitaire ; soins dans un hôpital d’instruction des armées. Chaque combattant, formé au sauvetage de combat, dispose d’une trousse individuelle : un garrot tourniquet, des pansements compressifs pour arrêter l’hémorragie, une syrette de morphine, un kit de perfusion et une poche de soluté. Les trois quarts des décès au combat sont dus à une hémorragie non compressible et non garrotable, que seul un chirurgien aurait pu traiter dans la première heure. Le concept français place l’équipe médicale au plus près de la victime, alors que le concept anglo-saxon privilégie la rapidité de l’évacuation médicalisée vers les structures hospitalières. Aujourd’hui, les soldats sont surtout atteints aux membres et moins au thorax et à la tête, mieux protégés que lors des conflits précédents. L’évolution des techniques et matériels médicaux résulte d’une connaissance plus fine des blessures. Dans le cadre de l’opération « Barkhane » en cours, 200 militaires du SSA sont déployés dans la bande sahélo-saharienne, avec une capacité logistique autonome, des services hospitaliers de pointe et une recherche de l’innovation, comme le plasma lyophilisé pour s’affranchir des contraintes du froid. Le SSA prend aussi en compte les retours d’expérience des armées étrangères. Rien que pour l’armée de Terre, il suit 11.500 blessés en opération extérieure, en service commandé, pendant une formation ou par accident.

Parcours de la réinsertion. Ensuite, le Secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées met en œuvre un accompagnement social et juridique, des indemnisations et une aide à la reconversion professionnelle. Plus de 2.000 blessés en opérations bénéficient d’une pension militaire d’invalidité. Outre la prise en charge des blessés psychiques post-traumatiques, un « congé du blessé » a été instauré, en vue de son maintien en activité jusqu’à 18 mois au-delà des congés maladie. Puis, des associations et l’Office national de anciens combattants et victimes de guerre interviennent. Enfin, la première « journée nationale des blessés de l’armée de Terre » a eu lieu le 23 juin 2017 aux Invalides.

Loïc Salmon

Sauvetage de combat : l’apprentissage des médecins

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Blessés psychiques : agir vite, au plus près et de façon continue




Marine nationale : opération « Agénor » et missions « Foch » et « Jeanne d’Arc »

L’opération « Agénor », dans le golfe Arabo-Persique et le détroit d’Ormuz, et les missions « Foch » du groupe aéronaval, en Méditerranée orientale, et « Jeanne d’Arc » de l’Ecole d’application des officiers de marine, dans les océans Indien et Pacifique, ont été présentées à la presse à Paris le 27 février 2020.

L’opération « Agénor ». Volet militaire de l’initiative européenne « European led Maritime Situation Awareness in the Straight of Hormuz » (EMASOH), « Agénor » a atteint sa pleine capacité opérationnelle le 25 février. Nation-cadre, la France s’appuie sur ses forces stationnées dans la base navale d’Abou Dhabi, où se trouve l’état-major tactique constitué de représentants des Etats contributeurs et d’officiers de liaison. Les frégates française Forbin et néerlandaise De-Ruyter sont placées sous le contrôle opérationnel et le commandement tactique de l’opération. EMASOH doit donner une appréciation autonome de situation à ses huit membres, à savoir l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, de l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal. « Agénor » assure la surveillance de l’activité maritime et la sécurité en mer pour garantir la liberté de navigation, conformément à la convention des Nations unies sur le droit de la mer. En outre, elle contribue à la désescalade des tensions et reste ouverte à d’autres pays désireux d’y participer. En 2019, de nombreux incidents, maritimes ou non, ont été observés dans la région, portant atteinte à la sécurité des navires et des équipages européens et étrangers.

La mission « Foch ». Le groupe aéronaval (GAN) participe à l’opération « Chammal », volet français de l’opération américaine « Inherent Resolve » menée dans le cadre de la coalition internationale contre Daech en Irak et en Syrie. Depuis les premiers vols sur le théâtre le 29 janvier, il contribue à l’appréciation autonome de la situation sur zone. Son groupe aérien s’entraîne avec des partenaires régionaux et alliés. Ainsi, le16 février, les Rafale marine et les Rafale de l’armée de l’Air égyptienne se sont affrontés à environ 200 km du porte-avions Charles-de-Gaulle dans un scénario de deux contre deux, alternant les missions « DCA » (position de défense d’une zone et prise en charge de la menace) et « OCA » (mission offensive de reprise d’une zone). Un avion de guet aérien E2C-Hawkeye égyptien et un Rafale marine ravitailleur ont participé à l’exercice. Le 18 février, des exercices similaires se sont déroulés avec deux Eurofighter Typhoon britanniques. La veille, dix Rafale marine ont mené un entraînement mutuel de défense aérienne en « milieu contraint » avec la République de Chypre. Enfin depuis le 28 janvier, la frégate grecque Psara a pris la suite de la frégate Spetsai, qui a accompagné le GAN depuis son départ, afin d’approfondir leur interopérabilité.

La mission « Jeanne d’Arc ». L’Ecole d’application des officiers de marine a quitté Toulon le 26 février pour la mission « Jeanne d’Arc » (cinq mois). Composée du porte-hélicoptères amphibie Mistral et de la frégate furtive Guépratte, elle embarque 1 groupement tactique, 2 hélicoptères Gazelle de l’armée de Terre et 1 hélicoptère NH90 italien. Près de 550 militaires français et étrangers participent à cette mission, dont 138 officiers-élèves incluant des ressortissants d’Australie, de Belgique, du Brésil, d’Egypte, d’Ethiopie, d’Indonésie et du Maroc. En océan Indien, la mission « Jeanne d’Arc » sera intégrée à la « Force opérationnelle combinée 150 » de lutte contre les trafics illicites contribuant au financement du terrorisme.

Loïc Salmon

Marine nationale : l’aéronavale, tournée vers les opérations

L’océan Indien : enjeux stratégiques et militaires

Marine : GAN et « Mission Jeanne d’Arc » en océan Indien




Armée de Terre : pas de victoire sans le soutien de la nation

Affrontement de deux volontés et fondé sur des ressources matérielles et immatérielles, la victoire implique, pour l’armée de Terre, la poursuite de son mandat sur 20-30 ans et l’intégration des innovations d’usage immédiat.

Ce thème a été abordé au cours d’un colloque organisé, le 6 février 2018 à Paris, par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de terre. Un diplomate et deux généraux de haut rang y sont intervenus.

Le dilemme du temps. Le pouvoir politique veut des victoires rapides, car l’opinion publique se lasse des engagements militaires longs après ceux en Afghanistan (13 ans), en Centrafrique (3 ans) et au Sahel (depuis janvier 2013), explique le diplomate. Il voit sa propre communication contestée par le « complexe militaro-industriel » dans les médias…qui racontent la guerre à sa place ! L’incertitude du monde actuel estompe l’idée de « guerre juste » et donc de victoire militaire définitive. L’ennemi soviétique d’hier a été remplacé par le terrorisme islamiste, avec une vision du monde différente de celle des Etats démocratiques. Quoique ce dernier soit identifiable au Levant et au Mali, la difficulté d’une interposition internationale entre factions rivales conduit à un combat sans fin et une victoire impossible. Sans accompagnement économique massif, les effets pervers l’emportent sur la victoire. Ainsi en Libye, la réussite militaire franco-britannique de 2011 s’efface devant l’émergence des centres de transit de migrants clandestins et de trafics d’armes, comme en Irak depuis l’intervention américaine de 2003. Les contraintes budgétaires nécessitent de s’intégrer à une alliance, facteur de dépendance dans la prise de décision. En France, la fin du service militaire obligatoire et la recherche du « zéro mort » dans un conflit ont conduit à l’absence de prise de risques et donc de victoire. Or, souligne le diplomate, le monde doit reconnaître que la France porte un message, reste fidèle à son histoire et maintient son rang, le rôle de sa diplomatie étant de transformer la victoire aux yeux de tous en une paix durable. Les dirigeants politiques actuels n’ont connu ni le second conflit mondial ni les guerres de décolonisation. Mais conscients de l’Histoire ils s’imprègnent de la culture militaire par leurs fréquentes visites sur le terrain. Par ailleurs, aux Etats-Unis, les généraux sont reconnus comme les artisans de la victoire, alors qu’en France, cet honneur revient aux dirigeants politiques, en raison de la mauvaise image des militaires dans la nation après les guerres de décolonisation. Toutefois, les attentats terroristes de 2015 et 2016 ont eu pour conséquence de valoriser les services de renseignement, autrefois mal vus, et les militaires avec l’opération « Sentinelle ».

La constance et la patience. Le chef militaire doit concilier le temps de son action sur le terrain avec celui, très court, du pouvoir politique, et celui, très long, du diplomate et éviter qu’ils divergent, indique l’un des généraux. Cela passe d’abord par une réflexion sur les crises, toujours différentes, et la connaissance de leurs acteurs, pour ne pas appliquer à une crise nouvelle la solution de la précédente. La fascination pour les images de départs de navires et de déploiements d’avions et d’hélicoptères dans la gestion des crises occulte la nécessité de jouer sur tous les leviers et dans le temps long, surtout quand elles durent plus de dix ans (Kosovo, Irak, Afghanistan). Entre 2014 et 2017, la coalition internationale a largué 100.000 bombes contre Daech en Syrie et en Irak, soit cinq fois plus que sur Dresde en 1944. Par ailleurs, tout pays membre d’une coalition internationale doit rester lucide quant à son poids dans la décision opérationnelle. Ainsi, dans celle contre les talibans, la France n’a fourni que 2,5 % des effectifs pour contrôler 3 % du territoire afghan. Une erreur consiste à tenter de résoudre les crises une par une, en partant du principe qu’elles sont disjointes, alors qu’elles surviennent en réseau, comme en Libye, Irak et Syrie. L’action précipitée, sous le coup de l’émotion et de la pression médiatique, peut avoir de graves conséquences, comme le brusque afflux de 5.000 migrants clandestins en Méditerranée après la diffusion mondiale d’une vidéo montrant un enfant mort sur une plage. Enfin, précise le général, l’engagement politico-militaire ne peut reposer sur un consensus lent. Le pouvoir politique doit donner une directive claire et rapide sur les objectifs à atteindre, pour lesquels les militaires présentent des options d’action avec les risques encourus.

L’action durable. Autrefois, gagner la guerre consistait à remporter une grande bataille ou s’emparer d’une capitale pour détruire une idéologie. Aujourd’hui, souligne l’autre général, la liberté d’action s’impose à l’armée de Terre pour défendre les intérêts de la France dans un monde multipolaire, asymétrique et connecté. Elle doit pouvoir agir vite et loin, en toute circonstance, où il faut et autant que nécessaire, par une opération aéroportée ou amphibie. Cela implique maîtrise du renseignement, masse et épaisseur. Cela va de l’interopérabilité avec les armées des Etats baltes, à l’adversaire hybride dans la bande sahélo-saharienne et à la combinaison des forces armées avec celles de la sécurité intérieure (autorités civiles, douane et gendarmerie). En cas de coup dur, la résilience inclut action de communication, acte juridique et application de règles éthiques pour éviter la barbarie. La spécificité militaire (donner et recevoir la mort) nécessite endurance, aguerrissement et volonté du pouvoir politique de détruire l’ennemi. L’initiative sert à mener l’action pour exercer une influence et obtenir un effet final pertinent. Elle implique imposition du tempo à l’adversaire et réversibilité de l’action, car le temps militaire diffère de celui de la reconstruction. L’efficience repose sur une intervention brutale et décisive des forces spéciales et conventionnelles. Pour empêcher l’adversaire de prendre un ascendant tactique par l’emploi inattendu de moyens bon marché, comme un drone commercial armé de façon rudimentaire, l’achat d’une technologie de pointe « sur étagère » satisfait le besoin d’urgence opérationnelle. Par ailleurs, une intervention armée ne se justifie qu’avec le soutien de la population locale. Ainsi l’opération « Serval » au Mali (2013) l’a pris en compte dans le cadre d’une approche globale régionale, avec un appui international et le partage de renseignements sur place et en France.

Loïc Salmon

Le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de terre anime la pensée militaire au profit de l’efficacité opérationnelle des forces terrestres. Il assure la formation des futurs décideurs à différents niveaux. L’enseignement militaire supérieur Terre prépare à l’exercice de hautes responsabilités ou de postes de direction exigeant un niveau élevé de qualifications scientifiques et techniques. Il enseigne le travail en état-major et en interarmées, au sein de quatre établissements : Ecole d’état-major pour jeunes capitaines et sous-officiers ainsi que pour les officiers candidats au concours d’entrée à l’Ecole de guerre ; Cours supérieur interarmes ; Enseignement militaire supérieur scientifique et technique ; Ecole supérieure des officiers de réserve spécialistes d’état-major.

Les diplomates, acteurs de la politique étrangère et représentants de la France

Armée de Terre : faire face à toutes menaces, ici et là-bas




Armée de l’Air : engagement opérationnel intense et réforme en profondeur

L’armée de l’Air est engagée en opérations extérieures au maximum de ses capacités. Son format aura été divisé par 2 en 10 ans à l’issue de la Loi de programmation militaire 2014-2019.

C’est ce qu’a constaté son chef d’état-major, le général Denis Mercier, au cours d’une rencontre organisée, le 10 décembre 2014 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

Opérations extérieures (Opex). « On ne peut absorber une troisième crise » après celles d’Irak et d’Afrique, a déclaré le général. Actuellement, l’armée de l’Air déploie 25 avions en Opex et 4 à Djibouti, alors que la limite opérationnelle est fixée à 33 pour l’armée de l’Air et 12 pour la Marine nationale. Dans l’opération « Chammale » en Irak, la France met en œuvre 9 Rafale, 6 Mirage 2000D, 1 avion ravitailleur et 1 avion de patrouille maritime Atlantique 2 à partir des Émirats arabes unis, et de la Jordanie. Les avions de la coalition ont pour but d’interdire toute liberté d’action à l’organisation djihadiste Daech et d’assurer une permanence d’appui aérien aux troupes irakiennes au sol, jusqu’à ce qu’elles soient en mesure de la repousser. Ils effectuent surtout des missions de renseignement, surveillance et reconnaissance. Les frappes sont peu nombreuses pour éviter des dommages collatéraux, car une mission se joue en quelques secondes, précise le général Mercier. Un officier de chaque État membre de la coalition se trouve dans la salle d’opérations aérienne du Qatar, sous commandement américain, et peut refuser, pour ses avions, une mission qui ne correspond pas aux engagements de son pays. Ainsi, une cible peut être traitée, non pas avec une bombe guidée de 250 kg, mais au canon, ce qui implique de voler à basse altitude. En raison de la menace de missiles sol/air à très courte portée, les avions évoluent en général à moyenne altitude. En Afrique, dans la bande sahélo-saharienne, les opérations de défense aérienne sont regroupées au centre de Lyon-Verdun et dirigées localement à partir de 3 centres interarmées aux Niger, Tchad et Burkina Faso. Une composante drone/Rafale peut aller partout sous ces différents commandements. Par exemple, un Rafale peut décoller directement de la base de Saint-Dizier, effectuer sa mission, se poser à N’Djamena (Tchad) et rentrer en France le lendemain. Son armement air/sol modulaire, dit A2SM et composé de kits de guidage et d’augmentation de portée (jusqu’à 55 km) de bombe (250 kg), détecte et détruit une cible en quelques secondes. Un Rafale peut ainsi traiter 6 objectifs différents. Dans le cadre de l’OTAN, l’armée de l’Air a participé à la police du ciel des pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) et de la Pologne pour les rassurer. Les « tests » avec les avions russes sont constants et consistent en « escortes » mutuelles dans le corridor de Kaliningrad. Toutefois, aucune coopération n’est prévue avec l’Ukraine, « sujet éminemment politique », souligne le général Mercier.

Maintien en condition opérationnelle (MCO). Le taux de disponibilité des aéronefs est calculé selon des critères techniques, opérationnels et d’activités quotidiennes. Par suite de la diminution du budget du MCO au cours de la Loi de programmation militaire 2008-2013, ce taux a dégradé le niveau d’activité de 20 %. Celle de 2014-2019 tente de l’améliorer. Depuis l’instauration d’un secrétariat permanent du MCO aéronautique en coopération avec les industriels Dassault et Thalès, le coût de l’heure de vol du Rafale a diminué de 14 % en 2013. En outre, la SIMMAD (Structure intégrée du MCO des matériels aéronautiques du ministère de la Défense) gère le soutien des 1.265 avions et hélicoptères de 46 types différents des armées de Terre et de l’Air, de la Marine nationale, de la Direction générale de l’armement, de la Gendarmerie et de la Sécurité civile. Enfin, le 8 décembre 2014, les ministères français et britannique de la Défense ont signé le premier contrat commun de MCO des avions de transport tactique A400 M, qui inclut la mise en place d’un stock partagé de pièces de rechange et des services d’ingénierie de maintenance au profit des deux armées de l’Air. Ce contrat porte notamment sur la traçabilité exhaustive des pièces détachées, indique le général Mercier. Le constructeur européen Airbus Defence and Space a déjà livré 7 A400 M sur les 170 commandés par 7 pays : Allemagne, Belgique, Espagne, France (5), Luxembourg, Grande-Bretagne (1) et Turquie (1).

Réformes et perspectives. La réorganisation de l’armée de l’Air vise à une cohérence militaire globale à l’horizon 2020, sous réserve du respect des règles financières de la loi de programmation, explique son chef d’état-major. Elle repose aussi sur la responsabilisation, en raison des choix interarmées, et l’innovation, car « il faut penser toujours différemment ». Enfin, il faut remettre les personnels au cœur des transformations pour obtenir leur adhésion. Cela implique de nouveaux partenariats aux niveaux interarmées, interministériel, international et avec le monde civil. L’armée de l’Air s’est dotée de 3 centres de contrôle (Lyon, Tours et Mont-de-Marsan) : 2 en activité et 1 en maintenance à tour de rôle. Par ailleurs, un groupe de travail sur les futurs systèmes de combat interarmées et de combat aérien a été mis sur pied. Selon des scénarios possibles vers 2030, l’armée de l’Air doit : conserver la capacité d’entrer en premier sur un théâtre mieux défendu qu’aujourd’hui ; protéger une force contre des drones et avions de chasse furtifs ; surveiller un théâtre sans aucune restriction du Conseil de sécurité de l’ONU ; faciliter l’intégration aéroterrestre ; contrer les futures menaces sol/air, fixes ou mobiles. Le système de combat, qui combine renseignement et tir, se compose de senseurs ou capteurs (satellite, avions, drones, sous-marins et navires de surface) et des moyens de frappe. Il doit pouvoir fusionner les renseignements et traiter les données en temps réel. En 2015, le centre d’expérience aérienne de Mont-de-Marsan numérisera toutes les actions entre pays de l’OTAN pour améliorer la boucle de réactivité.

Loïc Salmon

Opérations aériennes : la cohérence, clé du succès

Armée de l’Air : anticiper et avoir un coup d’avance

Un nouveau chef d’état-major pour l’armée de l’Air

 

Le 20 novembre 2014, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a annoncé la commande de 12 avions multirôles de ravitaillement en vol et de transport stratégique (A330 MRTT) pour assurer les capacités de transport à longue distance et d’évacuation sanitaire sur le long terme. L’A330 MRTT peut transporter au choix : 50 t de carburant pour une autonomie de 4 h 30 sur une zone distante de 2.000 km ; 40 t à 7.000 km ; 271 passagers à 10.000 km ; 10 modules de réanimation pour patients à haute élongation d’évacuation (« Morphée »). En outre, l’A330 MRTT peut assurer le relais du commandement (système de commandement et de contrôle et communication par satellite) et celui d’information ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), leur traitement et leur diffusion. La flotte de 12 A330 MRTT remplacera 4 flottes anciennes et spécialisées (12 C135 FR, 3 KC135 RG, 3 A310 et 2 A340). Le 1er appareil sera livré à l’armée de l’Air en 2018, le 2ème en 2019 et les autres suivront à raison d’un à deux par an.




Démineurs

Le métier, très dangereux, de démineur exige une préparation minutieuse de la mission, pour ne rien laisser au hasard. Il implique humilité, malgré l’expérience, et discrétion vis-à-vis des proches, pour ne pas les inquiéter.

Ces hommes et ces femmes travaillent dans l’urgence en France, sur les bombes et obus datant des deux guerres mondiales, mais aussi au Cambodge, au Liban, en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, au Tchad ou au Mali, ravagés par des conflits plus récents. S’y ajoutent les colis suspects ou les engins explosifs improvisés (IED en anglais), mis au point par des organisations terroristes pour frapper aveuglément n’importe où. Celles-ci veulent tuer le maximum de gens de façon spectaculaire, en vue de provoquer une forte résonnance médiatique qui pèsera sur l’opinion publique du pays ciblé. Le livre « Démineurs » donne la parole à 70 professionnels du danger permanent, photos à l’appui et à visage découvert ou caché. Leurs motivations varient du goût du défi et de la recherche d’adrénaline en situation extrême à la solidarité et à l’amour des autres, sans oublier la fraternité inhérente à ce métier hors du commun. Agés de 19 à 83 ans, militaires de grades divers, policiers ou personnels de la sécurité civile, ils expliquent, avec simplicité, ce qu’ils font. Les unités d’appartenance de certains militaires parlent d’elles-mêmes : Groupement des commandos parachutistes, Groupement d’intervention du déminage, Groupe de plongeurs démineurs, Régiment du génie, Régiment étranger de génie et Régiment du génie parachutiste. Certains ont fait partie d’une « WIT », acronyme anglais pour « Weapons Intelligence Team », à avoir une équipe qui mène des enquêtes d’armement sur le terrain, afin de prélever des indices pour déterminer des sources sur les plans technique et tactique à des fins de renseignement. Enfin, le traitement des IED nécessite de devenir « EOD » (Explosive Ordnance Disposal), spécialiste qualifié dans le traitement des munitions et engins explosifs.

Loïc Salmon

« Démineurs », par Victor Ferreira. Mareuil Éditions, 160 pages, 20 €

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