Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

Présente sur les océans Indien et Pacifique où elle dispose de territoires et de ressortissants en nombre croissant, la France entend contribuer à la sécurité de la zone Asie-Pacifique, qui devrait réaliser plus du tiers du produit intérieur brut mondial en 2030.

En avril 2014, la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense a rendu public un document sur ce sujet, élaboré en concertation avec le ministère des Affaires étrangères.

Contexte stratégique. Quelque 70 % des échanges de marchandises conteneurisées de l’Union européenne (UE) transitent par l’océan Indien. En 2020, 45 % du trafic mondial de conteneurs concerneront les échanges UE-Asie. Depuis 1990, les pays de la région augmentent leurs dépenses militaires et modernisent leurs outils militaires, avec des impacts sur l’équilibre des forces et la stabilité de la région. Ainsi, la Chine, l’Inde et le Pakistan disposent de l’arme nucléaire. La Corée du Nord, qui exerce des activités proliférantes d’armes de destruction massive, a déclaré son intention de se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire. Face aux régimes communistes de la Chine, de la Corée du Nord et du Viêt Nam, les États-Unis maintiennent leurs traités d’alliance, datant de la guerre froide (1947-1989), avec la Corée du Sud, le Japon, les Philippines, l’Australie et la Thaïlande. Ils assurent une présence militaire en Corée du Sud, au Japon, à Singapour et dans les îles de Guam (Pacifique) et Diego Garcia (océan Indien). Parallèlement, des tensions s’aggravent entre alliés du même camp au sujet de territoires contestés, parfois inhabités mais riches en ressources naturelles. Ainsi, l’archipel des Kouriles du Sud, occupé par la Russie, est revendiqué par le Japon. L’île de Takeshima/Dokdo est revendiquée par la Corée du Sud et le Japon. Les îles Senkaku/Diaoyutai sont revendiquées par le Japon, la Chine et Taïwan… elle-même revendiquée par la Chine. Les îles Paracels, occupées par la Chine, sont revendiquées par le Viêt Nam. La Chine revendique l’ensemble de la mer de Chine du Sud. Les îles Sprateley sont revendiquées partiellement ou totalement par la Chine, Taïwan, le Viêt Nam, les Philippines, la Malaisie et Brunei. Le territoire indien d’Arunachal Pradesh est revendiqué par la Chine. Le territoire du Cachemire se trouve sous le contrôle de trois pays différents, qui s’en contestent la juridiction : la partie sous contrôle pakistanais est revendiquée par l’Inde ; celle sous contrôle indien est revendiquée par le Pakistan ; celle sous contrôle chinois est revendiquée par l’Inde. Enfin, une longue zone frontalière fait l’objet de négociations entre le Pakistan et l’Afghanistan.

Protection des intérêts français. Toute crise en Asie-Pacifique pourrait porter gravement atteinte aux intérêts commerciaux de la France, 5ème exportateur et 3ème investisseur mondial. D’abord, le nombre de ressortissants français dans les départements et territoires d’outre-mer atteint 500.000 personnes dans le Pacifique et plus de 1 million en océan Indien. En 2012, il a dépassé 120.000 personnes dans les pays d’Asie-Pacifique, soit presqu’autant que dans ceux d’Afrique subsaharienne. Ensuite, la France dispose de 11 Mkm2 de zone économique exclusive, soit la 2ème du monde après celle des États-Unis, dont 62 % dans le Pacifique et 24 % dans l’océan Indien. Les forces de défense et de sécurité prépositionnées assurent des missions de lutte contre les trafics illicites et de protection de l’environnement et des ressources halieutiques, minérales et énergétiques. Elles participent aux secours aux populations régionales lors de catastrophes naturelles (tsunamis et cyclones). La coopération bilatérale dans tous les domaines de la défense repose sur les 18 attachés de défense, accrédités dans la quasi-totalité des pays d’Asie, et les coopérants militaires permanents. Ce dispositif est renforcé par la trentaine d’attachés de sécurité intérieure présents dans 21 pays d’Asie. S’y ajoute le soutien des coopérants gendarmes et d’experts de police et de sécurité civile.

Coopération internationale. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France assume des responsabilités internationales, qui dépassent le cadre de ses intérêts propres. En Asie-Pacifique, elle est signataire de plusieurs engagements politiques et de sécurité : traité de paix avec le Japon (1951) ; convention d’armistice en Corée (1953) ; traité de sécurité collective en Asie du Sud-Est (1954) ; traité d’amitié et de coopération en Asie du Sud-Est (1976). Sur le plan bilatéral, la France a conclu des partenariats stratégiques avec l’Inde, la Malaisie, Singapour et l’Australie. En outre, elle entretient un dialogue politico-militaire et des coopérations militaire et en matière d’armements, très variables selon les pays. Sont concernés : l’Afghanistan, le Cambodge, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, les Philippines, la Thaïlande, le Viêt Nam et bientôt la Mongolie. Cette coopération de défense repose sur le partage de compétences dans les domaines de l’expertise, du conseil et de la formation. Conçue par les ministères des Affaires étrangères et de la Défense, elle s’inscrit dans la durée, porte sur la prévention et n’intervient pas en période de crise, mais se situe dans la sortie de crise. Une centaine de stagiaires des pays d’Asie ont été formés dans des institutions militaires françaises d’officiers en 2013. En outre, des missions d’experts français ont été conduites au profit des forces armées locales et un soutien est apporté à des centres de formation aux opérations de maintien de la paix. Par ailleurs, la France respecte les embargos sur les armes et autres mesures restrictives du Conseil de sécurité de l’ONU et du Conseil européen (niveau des chefs d’État et de gouvernements de l’UE). En Asie-Pacifique, cela s’applique à la Birmanie, la Chine, la Corée du Nord ainsi qu’aux entités et individus liés aux talibans et à l’organisation terroriste Al Qaïda. Enfin, la France a été engagée dans diverses opérations militaires et de maintien de la paix : Cambodge (1991-1993) ; golfe Arabo-Persique (1990-1991) ; Timor oriental (1999-2000) ; moyens navals déployés sur zone lors du tsunami de décembre 2004 ; Indonésie (2005) ; Afghanistan (depuis 2001) ; golfe d’Aden (depuis 2008).

Loïc Salmon

L’océan Indien : espace sous tension

Opération « Atalante » : bilan du commandement français

Chine : montée en puissance plus diplomatique que militaire

Les forces armées dans le Pacifique, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française totalisent 2.500 personnels militaires et civils, 2 frégates de surveillance, 3 patrouilleurs, 4 avions de surveillance maritime, 4 avions de transport tactique et 6 hélicoptères pour des missions de protection et de sécurité et l’action de l’État en mer. Du golfe Arabo-Persique à celui d’Aden, les forces permanentes comptent 700 militaires et mettent en œuvre 6 avions de combat Rafale depuis les Émirats arabes unis. A Djibouti, sont stationnés 1.900 militaires, 7 avions Mirage-2000, 8 hélicoptères, 1 avion de transport et 2 bâtiments de soutien. Enfin, en océan Indien même, 700 marins à bord des bâtiments de combat sont engagés en permanence dans la lutte contre la piraterie et le terrorisme, avec le renfort occasionnel du groupe aéronaval avec le porte-avions Charles-de-Gaulle, d’un groupe amphibie ou d’un groupe de guerre des mines.




États-Unis : une politique ambiguë de défense et de sécurité

L’administration Obama, critiquée dans son propre pays pour son absence de  « grande stratégie », est pourtant à l‘origine du « rééquilibrage » de la politique de défense américaine en Asie. Celle-ci repose sur la dissuasion plutôt que sur l’affrontement.

Steven Ekovitch, professeur de politique internationale, l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 26 juin 2014 à Paris, par le Forum du futur et l’association Minerve EMSST.

« Flous » diplomatique et budgétaire. Tous les quatre ans, le gouvernement doit présenter au Congrès des « Livres Blancs » : diplomatie, défense, renseignement, sécurité intérieure, sécurité internationale etc. La politique étrangère se focalise sur les capacités militaires et les pays partenaires, sans ligne directrice ni vue d’ensemble. Par exemple pour le Moyen-Orient, sont traités l’Irak, la Syrie et l’Iran. Mais, la question nucléaire iranienne est séparée des interventions de Téhéran dans la région. Le président Barack Obama, en position de faiblesse faute de succès diplomatique, en a besoin d’un sur la question iranienne et les Israéliens le savent, précise Steven Ekovitch. En matière de défense, les documents officiels ne mentionnent que le budget de base, soit 525 Md€ en 2013. D’autres lignes budgétaires concernent : les « opérations sur les théâtres extérieurs », qui ne sont pas qualifiées de « guerres » ; la mise à niveau de la dissuasion nucléaire, qui émarge au budget du ministère de l’Énergie ; le renseignement, qui dispose d’un budget propre ; les remboursements des emprunts de l‘État fédéral pour financer les guerres et opérations extérieures précédentes. En tout, selon Steven Ekovitch, quelque 1.000 Md$ par an sont consacrés à la protection des intérêts de la nation, soit environ 3 % du produit intérieur brut. Le budget de la défense irrigue l’économie nationale. Or, un projet de loi propose de le réduire de 487 Md$ sur 10 ans. Selon les états-majors, cette réduction trop brutale menacerait la sécurité du pays. En conséquence, le gouvernement prépare un amendement pour y pallier. Si la Chambre des représentants et le Sénat ne peuvent parvenir à un accord en ce sens pour le budget 2015, la loi de réduction automatique de 10 % de tous les budgets de l’État fédéral s’appliquera à celui de la Défense. Même en cas d’accord, cette  menace réapparaîtra en 2016, date des élections présidentielles : le futur président devra à son tour convaincre le Congrès d’augmenter le budget de la défense. Toutefois, un événement extérieur peut déclencher des mesures exceptionnelles. Ainsi, après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, l’administration Bush et le Congrès étaient parvenus à un accord sur une augmentation substantielle du budget de la défense.

« Air Sea Battle ». Depuis 2012, l’administration Obama estime que les États-Unis doivent être capables d’assurer, non plus deux opérations majeures, mais une seule et avec la possibilité de dissuader une autre menace importante. Elle a élaboré un nouveau concept de défense dénommé « Air Sea Battle » (bataille aéromaritime) qui va de la lutte anti-terroriste au conflit de haute intensité, contre un adversaire disposant de technologies capables de rivaliser avec celle des États-Unis. Il s’agit de : défendre le territoire national et ceux des alliés de longue date et des nouveaux partenaires avec, notamment, le projet de bouclier antimissiles dont le budget sera conservé ; maintenir une économie forte dans un marché mondial ouvert ; favoriser une interdépendance économique ; rendre universelles les valeurs démocratiques de paix, sécurité et coopération. Dans le cadre de la guerre de l’information, la Maison Blanche et le Pentagone ont rendu publics leurs projets : porter l’effort sur les conflits asymétriques ; contrer une puissance militaire menaçante par un déni de zone d’action aérienne ou maritime ;  réduire la prolifération des armes de destruction massive ; fonctionner efficacement dans l’espace et le cyberespace ; conserver l’arme nucléaire ; lancer des opérations de contre-insurrection ; organiser des aides humanitaires. Cela implique de nombreuses opérations spéciales, dont les forces sont recrutées dans les unités conventionnelles. L’armée de Terre compte 500.000 hommes et femmes, le Corps des « Marines » (spécialisé dans la gestion de crises) 175.000 et les forces spéciales 60.000 déployés dans la plupart des pays du monde. Les réservistes, dont le nombre sera peu réduit, s’entraînent avec les personnels d’active pour être mobilisables rapidement en cas de crise. En revanche, des réductions d’effectifs toucheront l’armée de Terre, la Marine et le Corps des « Marines », dont cependant 900 personnels iront renforcer la protection des ambassades. En compensation, seront maintenus les investissements dans les technologies à usages civil et militaire. Il en sera de même pour les budgets de l’espace et du cyberespace. Les technologies devront être plus simples et moins chères, pour pouvoir en mettre beaucoup en service et réduire ainsi les risques de vulnérabilité par attrition au combat.

Océans Indien et Pacifique. Malgré les coupes budgétaires, l’armée de l’Air et la Marine américaines se déploient surtout en Asie-Pacifique et océan Indien. En outre, les États-Unis se manifestent à nouveau dans toutes les organisations internationales de ces régions. Tout cela rassure les pays alliés et partenaires, qui s’inquiètent de la diplomatie musclée de la Chine et de la montée en puissance de son outil militaire quantitativement et qualitativement. Les missiles de croisière chinois, d’une portée de 1.500 km, menacent la Corée du Sud, le Japon, les pays d’Asie du Sud-Est, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et un chapelet d’îles du Pacifique. Cette zone et l’Asie du Sud représentent 60 % des échanges et des investissements mondiaux. En cas d’agression de la Chine dans une perspective de guerre éclair, les États-Unis ont les capacités d’encaisser une première frappe, de bloquer les détroits indonésiens et de Malacca (accès à l’océan Indien) et d’entraîner Pékin dans un conflit long et coûteux. Un simple déni de zone aéromaritime consiste à en tenir l’adversaire éloigné. Toutefois, indique Steven Ekovitch, un scénario de guerre ne signifie pas un passage à l’acte. Comme pendant la guerre froide, il convient d’éviter l’affrontement direct et d’agir à la périphérie. Aujourd’hui, l’Europe et l’Afrique se trouvent à la périphérie. Les États-Unis veulent empêcher que des pays africains deviennent des sanctuaires de mouvements terroristes pour attaquer l’Europe.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

L’océan Indien : espace sous tension

Auditeur de l’Institut des hautes études de défense nationale, le professeur Steven Ekovitch (à droite) a obtenu un doctorat en Histoire (1984) à l’Université de Californie. Il enseigne à l’Université américaine de Paris et à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a servi  dans l’armée de l’Air américaine (1969-1972) pendant la guerre du Viêt Nam. Le vice-amiral d’escadre (2S) Jean Bétermier (à gauche) préside le Forum du futur, centre d’analyse et de prospective géopolitique. L’association Minerve regroupe les officiers diplômés et stagiaires de l’Enseignement militaire supérieur, scientifique et technique (EMSST) de l’armée de Terre.




Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Face à la montée en puissance des États-Unis en Asie-Pacifique, la Chine compte sur sa puissance économique pour s’imposer aux pays riverains. Mais ceux-ci sont passés de la dépendance des deux « Grands » à leur mise en concurrence, renforçant ainsi l’ambiguïté stratégique de la zone.

Cette situation a fait l’objet d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Y ont notamment participé Valérie Niquet, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, et Delphine Allès, professeur en sciences politiques à l’université de Paris-Est (Créteil).

Vision chinoise. La zone Asie-Pacifique se caractérise par son dynamisme et sa stabilité, contrairement au Moyen-Orient, sujet à une violence chronique, ou l’Europe, atteinte par la crise économique et financière de 2008, souligne Valérie Niquet. Le nouvel intérêt de Washington pour l’Asie, inquiète Pékin, d’autant plus qu’après sa réélection en 2012, le président Barack Obama a préféré se rendre d’abord, non pas en Chine, mais au Japon, en Corée du Sud et même au Myanmar, sphère d’influence de la Chine. Depuis l’arrivée au pouvoir du président chinois Xi Jinping la même année, les tensions se sont aggravées avec le Japon, les Philippines et le Viêt Nam. Elles font partie d’une affirmation de puissance du pays définie par le Parti communiste chinois, consécutive à une analyse des rapports de forces avec les autres pôles de puissance (États-Unis, Union européenne et Russie) et à une volonté de stabilité interne, en raison des failles du régime (inégalités et troubles sociaux). Selon Valérie Niquet, la Chine tente de rassurer ses interlocuteurs sur sa volonté de prolonger cette période d’opportunités et de paix dans la zone Asie-Pacifique, qui a assuré sa montée en puissance : interdépendance des relations économiques avec les Etats-Unis ; maintien de la stabilité en Asie par son influence sur la Corée du Nord. Mais, en même temps, Pékin affirme la défense de ses intérêts vitaux, non négociables, en mer de Chine méridionale et poursuit le « rêve chinois » d’occuper, comme du temps de l’empire, le « centre » de l’Asie… pour assurer la survie du régime communiste ! Les analystes chinois estiment que la fin de la guerre froide (1947-1989) a coïncidé en Asie avec une augmentation des tensions et même des risques de guerre. Ils dénoncent le renforcement de l’appareil de défense du Japon, l’augmentation des missions d’observation militaire des États-Unis en mer de Chine et le déploiement de bâtiments militaires des Philippines, alors que la Chine n’y envoie que des unités de garde-côtes « civils ». Malgré un climat de défiance, le partenariat avec la Russie est considéré comme stratégique, comme le montre le contrat signé le 21 mai 2014 portant sur la fourniture de gaz russe pendant 30 ans.

Vision du Sud-Est asiatique. Le retour périodique des différends territoriaux constitue une source de tensions récurrentes, explique Delphine Allès.  Ainsi, la Thaïlande et le Cambodge se disputent un territoire frontalier où se trouve le temple de Preah Vihear, classé par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité et donc susceptible d’y attirer le tourisme. En outre, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Myanmar font face à des contestations séparatistes, dues à l’héritage territorial des anciens empires, à la centralisation des États modernes et à la volonté de contrôle des ressources naturelles locales. Par ailleurs, les incidents de frontières maritimes résultent de la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) de 200 milles, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Au-delà des 12 milles des eaux territoriales, le partage se complique lorsque le plateau continental d’un pays déborde de sa ZEE. En outre, Pékin considère la mer de Chine méridionale comme partie intégrante de ses eaux territoriales. Sont alors contestées les îles inhabitées qui s’y trouvent : Paracels, Spratleys et le récif de Scarborough. Or, dans ces zones, le volume des réserves d’hydrocarbures est peu prouvé et les ressources halieutiques se révèlent modérément élevées. De plus, leur intérêt purement stratégique reste limité. D’abord, ces îles sont trop petites pour y construire des installations militaires. Ensuite, les États riverains peuvent les menacer par des missiles. Enfin, un sous-marin, caché à proximité, peut en interdire l’accès aux bâtiments de surface. Par ailleurs, les tensions sont alimentées par l’implication de puissances extérieures. En outre, depuis les années 1990, les enjeux territoriaux traditionnels des pays de la zone Asie-Pacifique sont occultés par les questions non militaires et non étatiques, où la coopération et le partage d’informations s’imposent : environnement et catastrophes naturelles ; sécurité sanitaire ; terrorisme ; migrations ; trafics illicites ; piraterie maritime. Celle-ci a diminué après l’instauration du droit de poursuite des bateaux pirates dans les eaux  territoriales d’un pays riverain. Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la sécurité humaine, à savoir le lien entre défense extérieure et sécurité intérieure, est valorisée par la communauté internationale et s’intègre dans les doctrines stratégiques des pays membres de l’ASEAN. En vue d’éviter l’internationalisation de conflits intérieurs ou bilatéraux, ceux-ci veulent dépolitiser les enjeux régionaux et favoriser la coopération stratégique. Ils augmentent leurs dépenses militaires en renouvelant leurs matériels à moindre coût auprès des États-Unis. Ils refusent de se positionner en bloc vers la Chine ou les États-Unis. Ainsi, Singapour, les Philippines et le Viêt Nam sont devenus les partenaires privilégiés des États-Unis, mais le Laos, le Cambodge et le Myanmar ont préféré la Chine. S’y ajoutent des partenariats croisés entre l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande. La Chine multiplie les efforts diplomatiques envers la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et la Thaïlande, augmente les patrouilles paramilitaires et le déploiement de pêcheurs sur zone et développe sa capacité de déni d’accès naval à Taïwan. De leur côté, les États-Unis accroissent leurs capacités aériennes et navales dans la zone, renforcent leur présence en Australie et aux Philippines, procèdent à des exercices maritimes et apportent un soutien diplomatique à l’ASEAN.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

Marine et Diplomatie

L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a été fondée en 1967 par les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande, rejoints ensuite par Brunei (1984), le Viêt Nam (1995), le Laos (1997), le Myanmar, ex-Birmanie, (1997) et le Cambodge (1999). Le Timor oriental pourrait y adhérer en 2015. La Papouasie-Nouvelle-Guinée a le statut d’observateur. Chaque année, 16 chefs d’État de la région se rencontrent au Sommet de l’Asie de l’Est, où la Russie a le statut d’observateur. « L’ASEAN Regional Forum », qui compte 26 membres, traite des questions de sécurité en Asie-Pacifique. « L’ASEAN + 3 », qui se tient pendant les sommets de l’ASEAN, inclut la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Le « Dialogue Asie-Europe » réunit de façon informelle l’ASEAN + 3 et l’Union européenne. Enfin, il existe un sommet ASEAN-Russie au niveau des chefs d’État.




Le basculement océanique mondial

Le trafic maritime marchand mondial est passé de 550 Mt de marchandises en 1995 à 8 Mdt en 2008. La plaque arabique, longue de 2.000 km et large de 500 km, recèle près des trois quarts des réserves mondiales d’hydrocarbures et 40 % de la production mondiale de pétrole transitent par le détroit d’Ormuz.

Placé entre le golfe Persique et la mer Caspienne qu’il relie par des oléoducs, l’Iran se retrouve au centre géopolitique du monde, dont il est le 4ème producteur de pétrole et dépositaire de la 2ème réserve de gaz après la Russie. Par le détroit de Malacca, 50.000 navires transportent chaque année 30 % du commerce mondial et 80 % des importations pétrolières de la Chine et du Japon. A l’importance stratégique des canaux de Suez et de Panama, pourrait s’ajouter, à terme, celle du passage de l’Atlantique au Pacifique par le Nord-Est par suite du réchauffement climatique. La montée en puissance des marines de commerce s’est accompagnée de l’essor des flottes de guerre pour sécuriser ces axes maritimes, menacés par les trafics illicites et la piraterie. A la suite d’analyses géographiques, historiques et statistiques, les auteurs constatent que les anciennes puissances océaniques (Europe, États-Unis et Japon) ont réduit leur présence sur les mers, alors que les pays émergents (Chine, Inde et Brésil) augmentent la leur. A partir des années 1990 et afin de maîtriser la route maritime la reliant au golfe Persique, la Chine lance sa stratégie du « collier de perles » par la construction de bases navales en Birmanie, au Bangladesh, au Pakistan et au Sri-Lanka. Pour la contrer, les Etats-Unis ont renforcé leur base de Diego Garcia, dans l’archipel des Chagos au milieu de l’océan Indien, pour surveiller les zones sensibles et lutter contre le terrorisme. Ils considèrent en effet que l’Asie-Pacifique présente un risque d’embrasement  pour diverses raisons : poursuite du programme nucléaire nord-coréen ; non règlement du contentieux Chine/Taïwan ; montée de l’islamisme en Indonésie ; instabilité politique des Philippines ; brigandage maritime en mer de Chine méridionale. Le Japon modernise sa Marine pour contrôler les routes maritimes indispensables à sa sécurité et pallier la montée en puissance chinoise. Dans l’océan qui porte son nom, l’Inde développe sa Marine pour : bloquer les trafics d’armes et de stupéfiants ; protéger ses voies de navigation pour ses approvisionnements énergétiques et son commerce extérieur ; patrouiller dans sa zone économique exclusive de 2,3 Mkm2. Par ailleurs, la Russie cherche à monopoliser l’écoulement des exportations pétrolières des pays riverains de la mer Caspienne par son propre réseau d’oléoducs continentaux. Pour cela, elle a reconduit ses accords militaires avec l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kazakhstan et renforcé sa flotte en mer Caspienne. Les États-Unis ont alors lancé une coopération avec l’Azerbaïdjan, fourni une aide militaire à la Géorgie et un soutien financier à l’Arménie. De son côté, la Chine a conclu un accord de coopération avec le Kazakhstan. En Amérique latine, le Brésil développe sa Marine avec notamment l’aide de la France. Celle-ci, déjà présente à Djibouti, a construit une base navale à Abou Dhabi face à l’Iran, exemple qu’envisage de suivre la Grande-Bretagne dans le sultanat d’Oman !

Loïc Salmon

Chine, Iran, Russie : un nouvel empire mongol ?

Marine nationale : permanence, Opex et police en mer

Marine et Diplomatie

« Le basculement océanique mondial » par Olivier Chantriaux et Thomas Flichy de La Neuville. Éditions Lavauzelle, 150 pages.




Attendez ici – Terminé

Rigueur de l’entraînement, dépassement de soi, opiniâtreté, volonté de vaincre et fraternité d’armes. Ces caractéristiques du combattant ont permis à des soldats japonais de survivre dans la jungle pendant des années et même des décennies.

En 1945, pour atteindre rapidement le Japon, la stratégie américaine consiste à contourner certaines îles du Pacifique en misant sur le fait que leurs garnisons japonaises, privées de ravitaillement, ne représentaient pas de danger. Des milliers de soldats japonais se sont retrouvés, seuls ou en petits groupes, isolés, abandonnés mais armés. Beaucoup n’ont pas été informés de la fin de la guerre. Ceux qui ont continué le combat ont été capturés ou tués jusque dans les années 1950. D’autres, souvent des appelés du contingent, se sont cachés par peur de la captivité ou du sort que leur aurait réservé la sévère hiérarchie militaire japonaise. Beaucoup sont morts de maladies ou victimes de la faune de la jungle. Les quatre militaires de ce roman intitulé « Attendez ici – Terminé » sont inspirés de personnages bien réels : Itô Masahi, capturé à Guam en 1960 ; Shoichi Yokoi, caché à Guam jusqu’en 1972 ; Téruo Nakamura, d’origine taïwanaise, capturé en Indonésie en 1974 ; Hiroô Onoda, combattant dans l’île philippine de Lubang jusqu’en 1972 avant sa reddition en 1974. Le titre reprend les messages radio, brefs et clairs pour ne pas encombrer les ondes : « Attendez ici » correspond à l’ordre à exécuter. « Terminé » met fin à la conversation avec le chef. Officier de renseignement, le sous-lieutenant Onoda (1922-2014) avait été entraîné pour résister des années sur les arrières de l’ennemi jusqu’à la reconquête des territoires abandonnés. Le roman rend compte des préoccupations quotidiennes et des sentiments de ces soldats, persuadés que la guerre continuait. Ils se méfiaient des autochtones, car les Américains avaient la réputation de les envoyer en première ligne et de tuer tous les prisonniers. Dans le îles, les Japonais creusaient des postes de combat tournés vers la mer pour affronter des fantassins américains, sans blindés ni logistique ni canons. Ils pensaient que la préparation et la motivation du défenseur compenseraient l’avantage du nombre de l’assaillant. La récupération d’un poste de radio et de piles permettait d’écouter les nouvelles de Bangkok, de Saïgon ou de Brunei. Mais après des années sans informations de l’extérieur, les soldats japonais interprétaient la guerre du Viêt Nam (1955-1975) de façon erronée. A l’unité secrète de Nakano (Japon), les instructeurs avaient ordonné aux officiers de ne pas se suicider, de ne jamais abandonner la mission ni d’envoyer des hommes à la mort de façon inconsidérée. Les cours portaient sur la survie, le sabotage, l’emploi d’explosifs, la résistance aux interrogatoires, l’usage des émetteurs-récepteurs, les codes, l’anglais, les arts martiaux et l’observation de l’ennemi. Outre ses missions de renseignement, un officier devait maintenir le moral et la volonté de son groupe par une discipline de fer, face à ce qu’il considérait comme de la propagande ou une manœuvre d’influence adverse. Le largage de tracts par hélicoptères, appelant à la reddition, ou la diffusion de messages par haut-parleurs, répétant que la guerre mondiale était finie, ne pouvaient qu’être que des ruses pour déstabiliser les soldats japonais, avant de les traquer et les tuer. Mais après 29 ans de résistance et de certitude, Onoda (le lieutenant Ikéda dans le roman) a commencé à douter. Pourquoi l’ennemi consacrait tant de temps et de moyens pour faire sortir de la jungle un seul soldat japonais, alors qu’ils devaient être des milliers insérés, comme lui, derrière les lignes de combat ? Dans la réalité, le journaliste japonais Norio Suzuki parvient à rencontrer Onoda dans la jungle le 20 février 1974. Les autorités japonaises et philippines organisent alors la venue du chef direct d’Onoda en 1945, devenu libraire, qui lui donne l’ordre de se rendre.

Loïc Salmon

« Attendez ici – Terminé », Noël-Noël Uchida. Éditions Pierre de Taillac, 116 pages, illustrations, 16,90 €.

La puissance au XXIème siècle : les « pôles » du Pacifique

Japon : protection et évacuation des ressortissants en cas de crise en Corée et à Taïwan

Exposition « Forces spéciales » aux Invalides




Forces spéciales : réactivité maximale partout dans le monde avec les ERC

Les « embarcations rapides commandos » (ERC), prépositionnées ou déployées, permettent aux commandos marine d’effectuer opérations spéciales, interventions aéromaritimes de la mer vers la terre et actions de l’Etat en mer.

Elles ont fait l’objet d’une présentation à la presse, le 15 février 2018 à Paris, par un capitaine de frégate de la Force maritime des fusiliers marins et commandos (Forfusco).

Systèmes d’armes modulables. La Forfusco dispose de deux types d’ERC : l’Etraco (Embarcation de transport rapide pour commandos) et l’Ecume (Embarcation commando à usages multiples et embarquable). Toutes deux, capables d’embarquer jusqu’à 12 commandos équipés, sont employables depuis la terre par transport routier sur remorque. Pour les missions lointaines, elles sont déployables par mer sur les frégates multimissions (6.000 t), bâtiments de projection et de commandement ou bâtiments de soutien. En cas d’urgence, elles sont largables d’avions de transport tactique C-130 Hercules ou A400M Atlas. Longue de 8 m, l’Etraco déplace 2,4 t, emporte une mitrailleuse de 7,62 mm et navigue à plus de 50 nœuds (93 km/h). L’Ecume, qui a profité du retour d’expérience de l’Etraco, est modulable selon les missions, endurante et particulièrement manœuvrable même par gros temps. Elle présente une longueur de 9,3 m, un déplacement de 7 t, une vitesse supérieure à 40 nœuds (75 km/h), une capacité d’emport de 3 t et une autonomie en charge de 200 nautiques (370 km). La future frégate de taille intermédiaire (4.250 t) pourra en embarquer un ou deux.

Large spectre de missions. L’action de l’Etat en mer s’exerce sur l’ensemble des zones économiques exclusives de la France. Cela va de la lutte contre les narcotrafics jusqu’à 60 nautiques (111 km) au large des Antilles à celle contre la pêche illicite dans les zones maritimes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. S’y ajoutent la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée, le détroit de Malacca et au large de la Somalie et celle contre le crime organisé sur la côte libyenne. Celle contre le terrorisme s’étend de la Méditerranée orientale à la mer Rouge. Les ERC rendent possibles des opérations spéciales contre la terre, comme pénétrer de façon discrète dans un espace hostile, notamment pour recueillir du renseignement. Pour s’y préparer physiquement et mentalement et se maintenir à niveau, les commandos effectuent des raids nautiques de 1.200 km en 4 jours entre Lorient et Saint-Malo. Cet entraînement leur permettra de faire des raids de 100 nautiques (1.852 km), à partir d’un bâtiment porteur ou par aérolargage pour, par exemple, rattraper un navire détourné par des pirates. La capacité à conduire des assauts de vive force contre des adversaires en mer, explique le capitaine de frégate, nécessite de parcourir de longues distances, longtemps, et avec une importante réserve de puissance au moment de les intercepter et d’agir contre eux, sans leur laisser la possibilité de fuir. Une autre action contre la terre consiste à forcer le déni d’accès à une côte, lequel peut s’étendre jusqu’à 50 nautiques (90 km) en mer et sur des longueurs de plus en plus longues. Cela implique la participation des partenaires aériens et navals de la Forfusco, pour le transport jusqu’à la limite de la zone, et la mise à l’eau de senseurs, pour que les commandos puissent passer inaperçus. L’équipe ERC/hélicoptère Caïman permet de les récupérer. L’action à partir de sous-marins relève des nageurs de combat.

Loïc Salmon

Forces spéciales : création du commando Ponchardier de la Marine nationale

Forces spéciales Air : allonge, rapidité et puissance de feu




Armée de l’Air et de l’Espace : missions « Heifara » et « Wakea » dans le Pacifique

Du 20 juin au 9 juillet 2021, l’armée de l’Air et de l’Espace effectue une mission de projection de puissance, jusqu’en Polynésie française, puis une autre de coopération opérationnelle, à Hawaï, avec son homologue américaine.

Ces deux missions sur longue distance, dénommées respectivement « Heifara » et « Wakea », ont été présentées à la presse le 9 juin 2021 à Paris.

La mission « Heifara » (20-26 juin). Ce mot tahitien signifie « couronne de pandanus », plante très répandue en Polynésie française. Parti de métropole le 20 juin, un détachement aérien y est arrivé le 22 juin, après avoir parcouru 16.850 km avec une escale technique à la base aérienne de Travis (côte Ouest des Etats-Unis). Armé par 170 militaires, il compte : 3 avions de chasse Rafale F3-R d’une vitesse de Mach 1,8 (2.222 km/h) ; 2 avions de ravitaillement en vol et de transport stratégique A330 Phénix, chacun capable d’emporter 110 t de carburant ou le kit médical Morphée (Module de réanimation pour patients à haute élongation d’évacuation) ; 2 avions de transport d’assaut A 400 M Atlas à soute modulaire, chargés de 30 t et 200 m3 de fret et lot technique. « Heifara » démontre la capacité de protection des ressortissants et territoires français dans la zone indopacifique. A l’arrivée en Polynésie, les Rafale conduisent un raid « Scalp », simulant l’entrée dans un espace aérien contesté, puis réalisent des missions de préparation opérationnelle de haute intensité pendant 24 heures.

La mission « Wakea » (27 juin-9 juillet). Le même détachement, mais avec un seul A330 Phénix, vole 4.445 km jusqu’à l’archipel d’Hawaï pour la mission « Wakea », nom de la divinité hawaïenne du ciel. Il s’agit de renforcer l’interopérabilité des Rafale et des chasseurs F22 de l’armée de l’Air américaine par des manœuvres de préparation opérationnelle. Outre les entraînements interalliés de haut niveau et les opérations conjointes au Levant et au Sahel, les deux armées de l’Air utilisent une chaîne de commandement des opérations, interconnectée entre les milieux terre, mer, air et espace, pour défendre les intérêts nationaux et prendre l’avantage face aux menaces hybrides et globalisées (cyber, lutte informationnelle et déni d’accès). Après un vol de 7.780 km et une escale à la base aérienne de Nellis (côte Ouest), le détachement français se pose à Langley (côte Est) le 7 juillet, pour commémorer le 240ème anniversaire de la victoire de Yorktown (28 septembre-17 octobre 1781) des forces franco-américaines sur les troupes britanniques, bataille décisive pour l’indépendance des futurs Etats-Unis. Au retour vers la France, une étape de 6.110 km clôt un périple de 19 jours et de plus de 35.000 km.

Le CAPCO. Les missions « Heifara » et « Wakea » sont suivies par le nouveau Centre air de planification et de conduite des opérations (CAPCO), installé à Lyon-Mont Verdun. Il est placé sous la responsabilité du Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes, qui exerce la police du ciel sur le territoire métropolitain et conduit la partie aérienne des opérations extérieures, partout dans le monde. Le CAPCO synchronise les actions aériennes et coordonne aussi interarmées et interalliées sous très court préavis. Il développe la résilience et l’agilité de la chaîne opérationnelle de l’armée de l’Air et de l’Espace. Il devra synchroniser les effets des volets espace, cyber et guerre électronique pour les opérations multi-milieux et multi-champs. Enfin, il prépare l’intégration du SCAF (système de combat aérien futur) dans les chaînes de commandement.

Loïc Salmon

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Indo-Pacifique : convergence stratégique possible entre les Etats-Unis et la France

La France peut apparaître comme un partenaire crédible pour les États-Unis dans la zone Indo-Pacifique, à condition de limiter ses ambitions à ses moyens sans ignorer le rôle de Washington.

Lisa Curtis, directrice du programme de sécurité Indo-Pacifique du « think tank » américain Center for a New American Security, l’a expliqué au cours d’une conférence organisée le 15 novembre 2022 par la Fondation pour la recherche stratégique et l’association Jeunes IHEDN.

Centre de gravité mondial. Au cours du premier mandat du président démocrate Barack Obama (2009-2017), la zone Indo-Pacifique, a été replacée au cœur de la priorité géopolitique américaine. Ce pivot vers l’Asie n’a pas été remis en question par l’alternance républicaine de Donald Trump (2017-2021), malgré son retrait unilatéral de l’accord de Partenariat transpacifique en 2017. En comparant le « Cadre stratégique de l’Indo-Pacifique », suivi par l’administration Trump, et la « Stratégie pour l’Indo-Pacifique », publiée par l’administration de son successeur démocrate Joe Biden, les objectifs apparaissent identiques, à savoir garantir la liberté, l’ouverture, la prospérité et la sécurité de ce bassin océanique vital pour les intérêts américains. La Chine, la Corée du Nord et la Russie demeurent les adversaires désignés de ce cadre sécuritaire régi par les normes internationales. Cependant, l’administration Biden préfère aujourd’hui désigner le changement climatique comme principale menace à la stabilité de la région, plutôt que le terrorisme. Une approche multilatérale est à nouveau privilégiée pour obtenir l’abandon du programme nucléaire de Pyongyang et endiguer les ambitions de Pékin.

La Chine. Les États-Unis voient la Chine comme leur principale concurrente et la première opposante systématique au modèle d’économie de marché en Asie. La paix semble remise en question par le discours du président chinois Xi Jinping, qui souhaite parvenir à la réunification avec Taïwan, y compris par la force si nécessaire. Dans le cas d’une guerre sino-taïwanaise, une intervention des États-Unis ne fait aucun doute selon les récentes déclarations du président Biden. L’ambiguïté de la stratégie américaine, rappelle Lisa Curtis, repose sur le degré réel de cette intervention, dont le secret est censé dissuader toute prise de risque. En outre, la tactique de la « zone grise », pratiquée par la Chine pour imposer sa souveraineté en mer de Chine méridionale par des activités maritimes illicites, devient préoccupante. Un conflit menacerait la liberté de navigation dans cette zone riche en ressources et où transite un tiers des trafics pétroliers et de conteneurs. Le projet chinois des Nouvelles Routes de la Soie soulève de nombreuses inquiétudes pour la sécurité et le libre-échange en Asie. Les investissements fonctionnent, selon Washington, comme « un piège à dette » qui remet en question la souveraineté des États débiteurs. En défaut de paiement, le Sri Lanka a ainsi dû concéder le port de Hambantoa à la Chine par un bail de 99 ans et ne peut s’opposer aux escales de ses navires militaires.

Partenariats tous azimuts. Selon Lisa Curtis, le succès de la politique américaine réside dans la multiplication des dialogues internationaux permettant d’inclure davantage de partenaires, parfois au-delà des frontières traditionnelles de l’Indo-Pacifique. Cette relance multilatérale cible d’abord l’Association des nations d’Asie du Sud Est (ASEAN), qui regroupe l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, les Philippines, Brunei, le Viêt Nam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge. Les États-Unis désirent renforcer cette organisation intergouvernementale, qui entretient des rapports complexes avec la Chine, entre investissements massifs et différends maritimes. Au cours d’une réunion ASEAN-États-Unis en mai 2022, le président Biden a promis une aide de 150 M$ aux pays de la région dans les domaines de la santé, du transport, de l’éducation, de l’énergie et de la protection de l’environnement. De son côté, la Chine y a investi 13 Mds$ en 2021. C’est pourquoi la contribution d’autres États et organisations proches des États-Unis est indispensable pour proposer des investissements alternatifs aux Nouvelles Routes de la Soie. En 2017, les États-Unis ont ainsi relancé le dialogue quadrilatéral de sécurité (QUAD) avec l’Inde, l’Australie et le Japon. Son objectif est d’agir suivant une vision commune des enjeux de la région en matière de sécurité maritime et de développement économique durable. Lors du sommet du QUAD à Tokyo en mai 2022, un fonds de 50 Mds$ sur cinq ans a été décidé pour contribuer au développement des pays de la région. Un partage d’informations satellitaires a été mis en place pour lutter contre les actions illégales en mer de Chine méridionale. Selon Lisa Curtis, l’Union Européenne est aussi amenée à jouer un rôle par ses capacités financière et diplomatique via le programme « EU Global Gateway Initiative », fonds d’investissements centré sur la lutte contre le réchauffement climatique et sur la transition énergétique. Une enveloppe de 10 Mds€ a été actée par la Commission européenne en décembre 2022 au profit des pays de l’ASEAN.

La France. L’alliance militaire AUKUS entre l’Australie, la Grande-Bretagne et les États-Unis a été conclue en septembre 2021 pour endiguer la montée en puissance de la Chine. Ce traité comprend en particulier des échanges de technologies dans les domaines du nucléaire, de l’intelligence artificielle, de la cyberguerre et des sous-marins. Selon Lisa Curtis, la rupture par l’Australie du contrat de 90 Mds$ avec la France, portant sur un programme de sous-marins, ne signifie pas une opposition entre la France et les États-Unis dans la région. Elle concède que la création d’AUKUS aurait pu se conclure en consultant Paris au préalable. Elle souligne qu’il n’a jamais été question de tenir la France à l’écart, dont la zone économique exclusive et les moyens d’action en mer en font une partenaire incontournable. Depuis 2017, Paris porte un nouveau regard sur l’importance de la zone Indo-Pacifique dans sa politique internationale. Ses objectifs se rapprochent de ceux de Washington : développement économique ; lutte contre les effets du changement climatique ; sécurité maritime. Dans cette optique, la France a adhéré en décembre 2020 à l’Association des États riverains de l’océan Indien, où elle contribue à l’initiative de protection du domaine maritime par le partage d’images satellitaires. Toutefois, la question d’une intégration de la France dans le QUAD reste suspendue à une contribution matérielle et financière plus importante, estime Lisa Curtis. La notion de « puissance d’équilibre », mentionnée dans le document officiel français « Revue nationale stratégique 2022 », n’est pas clairement définie. Pour Washington, cela laisse planer une incertitude sur la volonté de la France de s’engager davantage.

Louis Lamiot

Les États-Unis maintiennent une présence militaire en Indo-Pacifique depuis plus de 70 ans. Entre l’Inde et le Pakistan et entre les îles Kouriles au Nord du Japon et l’Antarctique, la VIIème Flotte déploie un ou deux porte-avions, 50 à 70 navires de surface et sous-marins, 140 avions et environ 20.000 marins et « marines » (troupes de débarquement). Dans les golfes Arabo-Persique, d’Oman et d’Aden ainsi qu’en mer Rouge et mer d’Arabie, la Vème Flotte déploie deux porte-avions, 20 navires, une centaine d’avions et environ 20.000 marins et marines pour, notamment, surveiller le canal de Suez et les détroits d’Ormuz et de Bab el Mandeb. En outre, les États-Unis disposent de bases militaires sur la zone : Japon, 39.300 soldats ; Corée du Sud 23.400 militaires et système antimissile THAAD ; Australie,1.250 marines et 2.500 à terme ; Guam et Saipan, 6.000 militaires et système THAAD ; Djibouti, 4.000 soldats et drones ; Diego Garcia, base britannique concédée aux États-Unis jusqu’en 2036, 4.000 personnels militaires et civils. Enfin, les États-Unis ont conclu des traités d’alliance militaire avec la Corée du Sud, le Japon, la Thaïlande et Taïwan.

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Marine nationale : les enjeux de la Nouvelle-Calédonie

L’action de l’Etat au large de la Nouvelle-Calédonie, qui mobilise des moyens aériens et navals, exprime la souveraineté de la France. Elle nécessite une coopération avec les pays voisins, notamment contre les bateaux de pêche étrangers en situation irrégulière.

Le capitaine de vaisseau Jean-Louis Fournier, commandant de la zone maritime de Nouvelle-Calédonie (ZMNC), l’a expliqué à la presse le 21 juin 2018 à Paris. Conseiller du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, il est aussi « adjoint mer » du commandant des Forces armées de Nouvelle-Calédonie dans leur zone de responsabilité permanente.

L’action de l’Etat en mer. La ZMNC couvre le quart de la surface du globe. En raison de son insularité généralisée, un trajet de 3 heures de vol correspond à 3 jours de mer. La zone économique exclusive de la Nouvelle-Calédonie s’étend sur 1,6 Mkm2 et celle de Wallis et Futuna sur 265.000 km2. Les forces armées contribuent à l’action de l’Etat en mer pour faire respecter les lois dans les eaux sous souveraineté française, à savoir la protection de l’environnement, la sauvegarde des personnes et des biens et la lutte contre les trafics illicites. Cela implique de savoir ce qui s’y passe, de travailler en interministériel et d’agir à la hauteur de la menace. En conséquence, il faut adapter le dispositif d’intervention, concentrer des moyens aéromaritimes et coordonner l’intervention en mer avec des capacités de traitement à terre. La sécurité maritime régionale est assurée par une organisation quadrilatérale regroupant les Etats-Unis, la France, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Cette dernière va fournir des patrouilleurs et des avions de surveillance maritime aux petits pays du Pacifique-Sud, à savoir les îles Salomon, Vanuatu et Fidji. En outre, les forces armées françaises ont noué des partenariats internationaux avec leurs homologues australiennes et néo-zélandaises (Accord FRANZ) ou travaillent dans le cadre d’organisations internationales comme la Pacific Islands Forum Fishheries Agency.

 « Uatio ». L’opération « Uatio » en ZMNC vise à préserver la filière pêche locale, faire respecter la réglementation pour la protection de la richesse halieutique et mettre un terme aux pêches illicites. Sa 10ème édition s’est déroulée, du 27 novembre au 5 décembre 2017. Des bateaux de pêche vietnamiens de 25 m de long, peints en bleu, effectuent 30 à 40 jours de navigation pour récupérer, au fond de la mer, des « holothuries » (concombres de mer) mettant ainsi en péril l’écosystème. Animal marin, au corps mou et doté de tentacules autour de la bouche, l’holothurie se vend 1.000 $ le kg sur le marché chinois. En coopération interministérielle, Uatio 10, véritable opération militaire, a mobilisé un avion de surveillance maritime Gardian, pour détecter deux bateaux bleus, la frégate Vendémiaire et la vedette côtière Dumbéa pour les intercepter et les accompagner à Nouméa. Il s’agit de supprimer toute rentabilité aux incursions : confiscation de la pêche estimée à 140.000 $ ; condamnation immédiate des capitaines à des peines de prison ferme ; renvoi des équipages au Viêt Nam ; déconstruction des bateaux dans un chantier de Nouméa, qui emploie des jeunes Néo-Calédoniens. Les 70 données d’Uatio 10 ont été envoyées au Secrétariat général de la mer, rattaché au Premier ministre, afin que le ministère des Affaires étrangères adresse une protestation officielle au Viêt Nam et un « carton jaune » (blâme) à l’Union européenne, qui revend les holothuries pêchées par les bateaux bleus.

Loïc Salmon

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Marine : technologie de pointe pour combattre partout

La préparation au combat de haute intensité, en interarmées et de façon synchronisée dans l’espace et le cyber, nécessite une technologie avancée et du personnel à motiver et fidéliser.

L’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine (CEMM), l’a expliqué au cours d’une rencontre organisée, le 12 juillet 2021 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

L’action en interne Outre une présence mondiale, la Marine assure des missions permanentes : patrouille d’au moins un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) pour la dissuasion ; patrouille d’un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) ; équipes spécialisées pour la connaissance et l’anticipation ; défense côtière et interdiction maritime par des équipes de fusiliers marins ; soutien aux opérations par les commandos Marine. Selon l’amiral Vandier, le plan « Mercator », lancé en 2018, doit d’abord développer la capacité offensive, à savoir retrouver l’initiative et l’audace. Ensuite, il porte sur l’investissement pour les « cas d’usage » à 2-3 ans, comme par exemple : la lutte anti-drones en combinant satellite et laser qui aveugle ; le traitement des méga données pour évaluer l’environnement électromagnétique ; la frégate de défense et d’intervention et son « jumeau numérique » pour développer la modélisation. Grâce à la gestion de carrière et la rémunération, « Mercator » vise à fidéliser le personnel compétent, notamment féminin qui subit une forte attrition après 10-12 ans de service.

La présence extérieure. En juin 2021, la Marine déploie 49 navires, 12 aéronefs et 3.083 marins dans l’océan Atlantique, en Méditerranée, en Manche et mer du Nord, en océan Indien et dans le Pacifique. Le CEMM estime nécessaire de développer également une stratégie défensive. Ainsi, l’appareil militaire contribue aux technologies maritime, spatiale et cyber, qui soutiennent la croissance économique. L’Occident, pénalisé par le coût du travail, doit reprendre la main par la technologie duale (civile et militaire). La Marine française a besoin de patrouilleurs pour assurer la sécurité du SNLE (au départ et à l’arrivée) et de frégates multi-missions pour gérer les perturbations et les tentatives de chantage de la Russie. Les frégates naviguent aussi en Méditerranée centrale, à cause de la situation dans l’Ouest libyen et des migrations, et orientale, en raison du conflit en Syrie, du canal de Suez et de l’activisme turc à proximité des gisements de gaz. La mer Rouge constitue une zone d’action militaire entre la Russie, les Etats-Unis et la Chine, déjà présente dans le détroit de Bab el-Mandeb. Les porte-avions américains ne vont plus dans le golfe Persique, où la mission française « Agénor » recueille du renseignement électromagnétique (cyber et radar tridimensionnel). Dans les océans Indien et Pacifique, la Chine manifeste un comportement agressif avec ses bateaux de pêche, navires garde-côtes et bâtiments militaires. La situation se complique dans le détroit de Taïwan, île que Pékin considère comme une province à conquérir sans guerre.

La troisième voie. Selon l’amiral Vandier, la Chine pratique déjà une forme d’assujettissement économique et financier en Asie du Sud-Est. La France prône un multilatéralisme efficace partout où elle l’estime nécessaire, indépendamment de la tension Washington-Pékin. Ainsi pour acquérir une dimension océanique face à la Chine, l’Australie a décidé de se doter de sous-marins français malgré les pressions politiques des Etats-Unis, car « acheter américain » aurait été considéré comme un acte offensif par Pékin.

Loïc Salmon

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