Défense : lutte informatique d’influence et respect du droit

Face aux campagnes de désinformation déstabilisantes, la supériorité opérationnelle sur un théâtre nécessite de maîtriser le champ informationnel pour appuyer l’action militaire, mais dans le cadre du droit international.

Florence Parly, ministre des Armées, et le général Thierry Burkhard, chef d’Etat-major des Armées (CEMA), l’ont expliqué, le 20 octobre 2021 à Paris, lors de la publication de la doctrine militaire de lutte informatique d’influence (L2I), complément de celles relatives à la lutte informatique défensive (LID, 2018) et la lutte informatique offensive (LIO, 2019).

Lieu de compétition stratégique. Gagner la bataille idéologique de la guerre froide (1947-1991) passait par la faculté d’agir sur la perception des populations et impliquait d’utiliser l’information comme une arme, indique Florence Parly. Mais la nouveauté réside dans la vitesse de circulation de l’information (voir encadré). Daech s’est révélé d’une très grande efficacité par sa capacité à mobiliser et recruter sur les réseaux sociaux dans les années 2010. Son expansion territoriale est allée de pair avec la professionnalisation de ses opérations informationnelles (46.000 comptes recensés en 2014). La neutralisation des cadres qui les organisaient a contribué au déclin de l’organisation et à la fin de sa domination territoriale. L’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 a été réalisée autant par la manipulation d’informations et la désinformation que par les manœuvres militaires. Aujourd’hui, les principales puissances mondiales (Etats-Unis, Chine et Russie) sont engagées dans la course aux armements et dans celle des technologies de l’information. Mais il existe une asymétrie entre les démocraties libérales et les Etats autoritaires. En matière de cyberdéfense, la France se défend, attaque et influence. « Concrètement, souligne la ministre des Armées, cela signifie que, sur les théâtres d’opérations où elles agissent, les armées françaises conduisent des actions informationnelles, afin de lutter contre la propagande terroriste et contre la manipulation de l’information ». En liaison avec le ministère de l’Intérieur et les principaux pays alliés, elles surveillent les réseaux sociaux pour contrer, notamment, les activités numériques de Daech, d’Al Qaïda et des organisations affilées. Elles en exploitent les renseignements recueillis et en dénoncent les comptes liés à leurs propagandes. Vu le caractère sensible du terme « influence », la ministre des Armées précise que « les armées françaises ne conduiront pas d’opération informationnelle sur le territoire national. Les armées françaises ne déstabiliseront pas un Etat étranger à travers des actions informationnelles qui viseraient, par exemple, ses processus électoraux. » La cyberdéfense, considérée comme prioritaire par la Loi de programmation militaire 2019-2025, va donner lieu à l’embauche d’informaticiens, de linguistes, de psychologues, de sociologues et de spécialistes de l’environnement informationnel et cognitif.

Capacités militaires. Les actions d’influence obéissent, notamment, au maintien de l’initiative face à l’adversaire. « L’enjeu, indique le général Burkhard, est donc d’être capable de communiquer vite et juste. A la contrainte de la vitesse, se combine une obligation d’exactitude, ce qui rend l’exercice parfois difficile ». Il s’agit de proposer un narratif sincère et convaincant et de disposer d’informations vérifiées, dont la diffusion appuie les opérations militaires. L’influence vise à devancer les « fake news » (informations tronquées ou fausses) ou les contrer en rétablissant les faits. L’action du Comcyber (commandant de la cyberdéfense) dans le champ informationnel est coordonnée avec l’ensemble des actions en cours. La manœuvre s’articule autour de la recherche permanente de la synchronisation des effets. Pour cela, précise le CEMA, il faut recueillir du renseignement, étudier l’adversaire, choisir des modes d’action et prévoir les cas non conformes. La L2I s’appuie sur un ensemble de modes d’action, qui se combinent. Manœuvrer implique aussi d’accepter une part d’incertitude et de prendre des risques, à réduire au minimum, car l’ensemble des variables dans l’analyse et l’action n’est jamais maîtrisable. « Seule l’audace permet de saisir les opportunités et d’imposer un rapport de forces favorables, souligne le général Burkhard. Il faut se préparer à un conflit de haute intensité, même si la L2I contribue à gagner la guerre avant qu’elle se déclenche. Sa doctrine a pour objet de donner aux cyber-combattants des règles d’engagement claires pour agir efficacement, conclut le CEMA, qui s’appuie sur le Comcyber et des unités spécialisées pour la mettre en œuvre.

Renseigner, défendre et agir. Le document « Eléments publics de doctrine militaire de lutte informatique d’influence » en présente les objectifs et les types d’opérations militaires. En matière de renseignement, il faut : connaître l’environnement international d’une coopération militaire ; détecter et caractériser les attaques informationnelles adverses ; connaître les intentions et les dispositifs militaires adverses. Outre la veille numérique, il s’agit d’induire l’adversaire en erreur pour lui faire dévoiler ses intentions ou son dispositif. En matière de défense, pour faire cesser les attaques informationnelles adverses ou en atténuer les effets, il faut les dénoncer, contenir, affaiblir ou discréditer, y compris par la ruse. La L2I valorise l’action des forces armées dans leur zone d’action, affaiblit la légitimité de l’adversaire et appuie les opérations menées dans le champ physique par des manœuvres de diversion. Ses opérations consistent à : promouvoir l’action des forces armées sur les médias sociaux ; convaincre les acteurs d’une crise d’agir dans le sens souhaité ; dénoncer les incohérences ou mensonges de l’adversaire ; faire des opérations de « déception » (tromperie).

Loïc Salmon

Selon le ministère des Armées, les réseaux sociaux débitent en 60 secondes : 1,3 million de connexions et 360 nouveaux inscrits sur Facebook ; 19 millions de SMS envoyés ; 4,7 millions de vues sur YouTube ; 400.000 applications téléchargées sur Google Play ; 694.444 visites sur Instagram ; 194.444 tweets ; 190 millions de courriels envoyés ; 1.400 vidéos postées sur Tik Tok ; 305 commandes vocales « intelligentes » ; 2,5 millions d’images vues sur Imgur ; 59 millions de messages instantanés envoyés sur Facebook Messenger ; 2,5 millions de publications sur Snapchat ;  4,1 millions de requêtes sur Google ; 1,1 million de dollars dépensés. La couche informationnelle du cyberespace comporte six caractéristiques : contraction du temps et de l’espace par l’immédiateté de l’information, diffusée à très grande échelle et favorisant l’interactivité ; possibilité de dissimuler les sources d’information ou d’en falsifier l’origine par la maîtrise des technologies ; information difficile à effacer, car facilement dupliquée ou stockée ailleurs ; grande liberté des comportements individuels pour diffuser de l’information, vraie ou fausse, sans aucun contrôle éditorial ; innovations technologiques continues en matière de création, stockage et diffusion d’informations ; espace modelé par les grands opérateurs du numérique, qui imposent leur propre réglementation.

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Défense : les forces morales, la nation et son armée

Israël a riposté militairement à l’agression terroriste de l’organisation islamiste palestinienne Hamas du 7 octobre 2023. Son armée, constituée essentiellement de conscrits et de réservistes, s’appuie sur la cohésion nationale, principale force morale d’un pays démocratique menacé.

Les forces morales ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 15 janvier 2024 à Paris, par le Centre de recherche de Saint-Cyr Coëtquidan (CReC). Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée Bruno Baratz, chef du Commandement du combat futur ; Jean Tenneroni, contrôleur général de armées (2 S) ; Clara Sueid, Institut de recherche biomédicale des armées ; le chef d’escadrons Erwan de Legge de Kerlean, Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.

Des aspects militaire et stratégique. La guerre, confrontation de deux sociétés et de deux volontés, s’articule entre le peuple, les forces armées et le gouvernement, souligne le général Baratz. Le renforcement des forces morales de la nation constitue un sujet d’intérêt militaire, car les armées expriment l’ordre social dont elles émanent. L’ardeur des combattants reste intimement mêlée à la psyché collective de ceux qu’ils protègent. Une nation, qui aurait perdu tout esprit de défense, devrait disparaître, faute de défenseurs. Au centre de l’efficacité opérationnelle, les forces morales des soldats leur permettent d’affronter la violence des combats avec le pouvoir exorbitant de donner la mort. L’acceptation de risquer leur vie repose sur la certitude de leur engagement. En France, la suspension du service national et la bascule vers une armée de métier ferment la parenthèse de la nation en armes et des citoyens soldats, sous l’influence des dividendes de la paix après l’implosion de l’Union soviétique en 1991. L’attaque de la Russie contre l’Ukraine, le 24 février 2022, marque, pour la France, la fin des engagements militaires choisis. Sa première ligne de défense réside dans ses citoyens attachés à leur pays et à sa préservation. Sur le plan des moyens militaires, les applications parfois inattendues des innovations du domaine civil peuvent apporter un appui technique, par exemple l’importance prise par les drones. Toutefois, jamais une machine, quel que soit son degré d’autonomie décisionnelle, ne pourra assumer la responsabilité des destructions causées. En outre, l’homme adaptera ses modes d’actions pour la contourner. De plus, l’esprit de résistance se dresse inexorablement au sein des communautés humaines face à un occupation territoriale ou une oppression étrangère. Un document du chef d’État-major des armées, daté de juillet 2023, précise quatre champs d’action des militaires. Le champ physique vise à améliorer la puissance et la rusticité du corps pour développer l’endurance et la résistance dans le champ physiologique. Le champ psychologique permet d’absorber les chocs de la violence de la guerre dans un champ de bataille rendu plus dangereux par sa transparence. Enfin, le champ métaphysique donne du sens à l’action.

Les paramètres du moral. L’action matérielle du combat se distingue de sa puissance de destruction et de son action morale, à savoir la crainte qu’il inspire et la peur, explique Jean Tenneroni. D’une manière générale, différents paramètres affectent le moral des troupes : différences des champs de bataille liées à la température, aux intempéries, à l’altitude, à la végétation et à l’urbanisation ; état physique des combattants, faim et soif ; marche en avant, retraite ou attente ; isolement ou encerclement ; horreurs du champ de bataille ; usure, guerre des nerfs consécutive aux conflits de longue durée ; blessés et morts parmi les camarades. Des composantes plus profondes entrent en jeu : différences selon les milieux (terre, air et mer), l’arme et le poste de combat ; différences entre les personnalités, les sexes, les milieux d’origine et les cultures ethniques ; volonté de vaincre à tout prix ; patriotisme, traditions et éducation morale ; confiance dans le matériel, les chefs et les camarades. Or la prééminence du facteur technique tend à effacer les forces morales. Après la guerre d’Algérie (1954-1962), les armées françaises ont été réorganisées autour de la dissuasion nucléaire. Le militaire est devenu un technicien, servant d’une arme et qui risque moins sa vie, notamment le pilote de drone tueur très loin de sa cible. Pourtant, les forces morales resurgissent avec la guerre en Ukraine. L’ardeur, la combativité et la résilience démultiplient l’efficacité et catalysent l’énergie. Les forces morales s’étendent à la nation face aux grands chocs causés par la guerre extérieure, le terrorisme de masse, les émeutes intérieures et la pandémie. Le dispositif actuel les entretient par le soutien symbolique aux armées via les défilés, les hommages nationaux et les cérémonies militaires. S’y ajoutent les recrutements de militaires d’active et de réserve et les actions des institutions pour renforcer le lien entre les armées et la nation.

La nécessaire voix du chef. La parole transmet un message rapidement compréhensible, efficace et détaillé, mais la communication du commandement doit aller au-delà des mots, explique Clara Sueid. Selon des expérimentations conduites en 2012, 2017, 2019 et 2022, la perception de l’autorité se manifeste via le timbre de la voix, dont la modulation permet de transmettre autorité et compétence. Il s’agit de comprendre l’information non verbale présentée par la voix, à savoir les émotions de calme ou de peur. La perception d’un chef, homme ou femme, passe donc par le timbre de sa voix. Il est en effet possible d’inspirer confiance par la voix…en moins d’une seconde ! Des études entreprises en 2021 montrent que l’intelligence artificielle pourrait reconnaître et synthétiser des émotions dans un futur proche, mais les êtres humains préfèrent parler avec quelqu’un comme eux plutôt qu’avec un robot. La contribution de la voix aux forces morales subit des contraintes. Ainsi sa dégradation affecte la compréhension pour des raisons acoustiques (bruit et filtrage par la radio), auditives ou cognitives (communications multiples sous casque). La surcharge cognitive apparaît quand le cerveau reçoit trop d’informations à traiter. Toutefois, le « son 3D », mis au service des forces morales, améliore la compréhension des messages radio et diminue la charge cognitive. Il restitue l’écoute naturelle, non pas en stéréo mais en trois dimensions.

Le vécu du terrain. Le métier militaire, basé sur des relations humaines, se travaille au quotidien, rappelle le chef d’escadrons de Legge de Kerlean. La connaissance des camarades passe par l’émotion, transmise par les gestes, le regard et la voix. La technologie déportant le combat, la voix reste le seul lien entre le subordonné et son chef. Celui-ci, situé parfois à des dizaines de kilomètres, va comprendre l’état de la situation tactique via l’émotion du subordonné, manifestée par un petit bégaiement ou un changement radical de vocabulaire lors d’un accrochage avec l’adversaire. Le déclenchement d’une embuscade provoque un effet de sidération qui fige les combattants. Le silence radio immédiat libère le réseau prioritaire du chef lointain, qui donne des ordres simples et rassurants pour sortir très vite de sa torpeur le subordonné qui se ressaisit, parce qu’il reconnaît la voix. Cette communication, émotions comprises, permet de débloquer des situations et d’enrichir le compte rendu de l’action. En fait, les militaires apprennent à maîtriser leur stress pour pouvoir remplir leur mission. Mais masquer ses émotions comporte le risque d’en faire trop au cours de la mission et…de ne pouvoir la remplir complètement. Dans un hélicoptère, l’équipage capte de nombreux réseaux radio, parfois difficiles à discriminer. La technologie permet d’éviter cette surcharge et d’identifier tout de suite le bon interlocuteur. Le commandant de bord y gagne en efficacité. Lors de l’entraînement, certains chefs ayant vécu des situations similaires suscitent immédiatement la confiance parmi leurs subordonnés, qui éprouvent un « sentiment de liberté pour exécuter les ordres ».

Loïc Salmon

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Défense : information falsifiée, internet et réseaux sociaux

Résilience de la société et débat libre et ouvert, atouts des démocraties, leur permettent de lutter contre la manipulation de l’information par des Etats autoritaires ou des organisations non étatiques, qui exploitent leurs vulnérabilités à des fins stratégiques.

Le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) ont rendu public, le 4 septembre 2018, leur rapport sur les manipulations de l’information. Le même jour à Paris, ils l’ont présenté au cours d’une conférence-débat, ouverte par Florence Parly, ministre des Armées. Parmi les intervenants figurent : Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l’IRSEM ; Marine Guillaume, chargée de mission au CAPS ; Alexandre Escorcia, directeur-adjoint du CAPS ; le diplomate Manuel Lafont Rapnouil, Conseil européen des relations internationales ; Grégoire Lemarchand, Agence France Presse.

Menace et arme à contrer. La manipulation de l’information crée crispation et haine de l’autre et sème trouble et zizanie, estime Florence Parly. La désinformation remplace la critique raisonnée par la défiance a priori et profite de la liberté d’expression des sociétés démocratiques. La répétition et la diffusion rendent légitimes et « vraies » de fausses informations, qui mélangent habilement le vrai et le faux. Elles peuvent viser les forces armées pour tenter de faire croire à leur inefficacité et saper leur crédibilité en dénonçant des agissements supposés. Toutefois, le rapport CAPS/IRSEM identifie, chez les adversaires des démocraties, trois vulnérabilités, donc des opportunités pour leur permettre de riposter. D’abord, les services de renseignement pénètrent le champ des perceptions adverses, détectent les innombrables comptes twitter ou d’agents virtuels, relais de fausses nouvelles et amplificateurs d’anecdotes. Les experts du Centre interarmées des actions sur l’environnement et le Commandement de la cyberdéfense participent aux détections et déconstructions des tentatives de manipulation de l’information. Ensuite, la détermination à innover constitue une autre opportunité. Bientôt, l’intelligence artificielle pourra signaler et contrer la diffusion d’une information inventée. Elle dénichera les faux comptes et garantira la sécurité numérique. Enfin, la riposte à la désinformation nécessite actions interministérielles et partenariats avec les acteurs privés. La lutte contre le terrorisme, via internet, a déjà amélioré les relations de l’Etat avec les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon). Les coopérations concernent tous les pays membres de l’Union européenne et du G7, touchés par la manipulation de l’information. Ce sujet s’inscrit dans l’établissement d’un dialogue avec la Russie sur l’architecture de la sécurité européenne, conclut Florence Parly. Ensuite, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Marine Guillaume ont présenté le rapport CAPS/IRSEM.

Daech. Selon ce rapport, la campagne de l’Etat islamique (Daech) sur les médias sociaux lui a permis d’attirer plus de 18.000 combattants étrangers de 90 pays entre 2005 et 2015. Sa propagande propose une vision du monde manichéenne, simple et « complotiste » (actions d’un groupe occulte) pour expliquer l’ensemble de la vie en société. Elle cible les vulnérabilités sociales, économiques, politiques et culturelles des sociétés visées. Possesseur de sites internet, forums de conversations et revues en ligne, Daech recourt de façon intensive aux réseaux sociaux, blogs, messageries instantanées et sites de partage vidéo. Actif sur les forums spécialisés (« terror forums »), il prépare ses opérations terroristes sur le « Darknet » (réseau permettant l’anonymat sur internet).

Russie. Les ingérences constatées lors des référendums (Pays-Bas, « Brexit » et Catalogne) et des élections (Etats-Unis, France et Allemagne) sont liées de près ou de loin à la Russie, indique le rapport. Dans l’ensemble, 80 % des efforts d’influence en Europe lui sont attribués, le reste se répartissant, en gros, entre la Chine, l’Iran et Daech. Seules l’URSS puis la Russie ont officialisé la manipulation de l’information pour affaiblir l’Occident. Celle-ci a d’abord été utilisée contre les minorités ethniques, nationales et religieuses de la Russie elle-même. Aujourd’hui, la manipulation mélange propagande de tradition soviétique et divertissement à l’américaine. Il s’agit moins de convaincre que d’affaiblir en divisant. En outre, des « cyberbrigades » ont été mises sur pied en 2017. Moscou considère ses méthodes comme défensives, face à la guerre de l’information menée par les Etats-Unis, et la promotion des valeurs libérales et démocratiques comme une action subversive pour renverser son régime.

Chine. Le savoir-faire de la tradition de la lutte idéologique et de la propagande est aujourd’hui au service des intérêts chinois, précise le rapport. Le parti communiste entend entretenir sa légitimité à l’intérieur, influencer les opinions internationales et mettre en œuvre la guerre de l’information. Il s’agit de contrôler le discours dominant et d’influencer les croyances et perceptions des sociétés ouvertes, en vue de servir les intérêts de la Chine et de réduire leur capacité de réponse. Ingérence et influence se manifestent par l’instrumentalisation des diasporas chinoises (prises de contrôle des médias en chinois) et d’anciens hommes d’Etat européens, la pénétration d’organisations régionales (Interpol et Conseil de l’Europe) et les pressions sur les chercheurs (visas et financement de programmes). Elles ciblent surtout l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les pays d’Europe de l’Est et d’Afrique.

Union européenne. La manipulation de l’information s’infiltrant au cœur des mécanismes internationaux pour entraver la décision, il faut aussi lutter contre notre propre crédulité, souligne Manuel Lafont Rapnouil. L’expérience de l’Estonie, qui y a été exposée, lui donne une capacité de prévision, indique Alexandre Escorcia. Déjà, la lutte contre la manipulation de l’information est particulièrement prise en compte par la Commission européenne et le Service européen pour l’action extérieure.

Média. Dans ce domaine, les média sont passés du déni à la vérification des sources sur les réseaux sociaux en cas de « partage », souligne Grégoire Lemarchand. De leur propre initiative, ils ont établi collectivement des normes (« fact-checkings ») sur la déontologie et la transparence pour intervenir sur les moteurs de recherche et auprès des annonceurs en ce qui concerne les sites colportant de fausses nouvelles.

Loïc Salmon

Le rapport « Les manipulations de l’information » résulte d’une enquête de terrain à l’initiative du CAPS et de l’IRSEM, qui ont effectué une centaine d’entretiens auprès : d’institutions publiques (ministères et services de renseignement) d’une vingtaine de pays (Asie, Europe, Amérique du Nord et Russie) ; d’organisations internationales (OTAN, OSCE et Union européenne) et d’organisations non gouvernementales ; d’universitaires, de « think tanks » et de journalistes. Il s’appuie aussi sur la littérature scientifique disponible. Il examine les causes, conséquences et réponses aux manipulations de l’information d’origine étatique, visant les populations d’autres Etats et présente 50 recommandations pour s’en protéger.

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Chine : ambition hégémonique du Parti communiste

La mondialisation a développé considérablement la puissance économique de la Chine et consolidé l’influence du Parti communiste chinois (PCC), qui tente d’imposer ses normes, valeurs et institutions au monde.

C’est ce qui ressort du rapport sur les opérations d’influence chinoises, rendu public en septembre 2021 à Paris par l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) et rédigé par son directeur Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Paul Charon, chargé du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » à l’IRSEM.

Le concept de « Front uni ». Le PCC cherche à éliminer ses adversaires intérieurs et extérieurs, contrôler les groupes susceptibles de défier son autorité, construire une coalition pour servir ses intérêts et projeter son influence à l’étranger. Il s’agit de vaincre sans combattre en constituant un environnement étranger favorable à la Chine et défavorable à ses adversaires. Dès le temps de paix, trois guerres doivent donc être menées simultanément. La première, celle de l’opinion publique, vise à rallier les publics cibles, modeler les esprits des masses populaires en excitant leurs émotions et contraignant leur comportement. La deuxième guerre, à savoir psychologique, vise à : démoraliser les forces adverses ; les dissuader ; distiller le doute sur leur action, quitte à les terroriser pour miner leur capacité et leur volonté de combattre ; briser le lien de confiance entre gouvernants et gouvernés ; perturber le processus décisionnel du pays ennemi. La troisième guerre consiste à utiliser le droit pour dissuader, attaquer, contre-attaquer, contraindre et sanctionner. Ainsi le PCC a émis une nouvelle interprétation du droit de la mer et promulgué une loi sur la sécurité nationale de Hong Kong en 2020. Au moyen de procédures financièrement dissuasives, il entame des poursuites judiciaires contre quiconque s’oppose à ses intérêts en l’accusant de diffamation. En outre, certaines opérations portent sur le contrôle des capacités cognitives de l’ennemi et de prise de décision en manipulant ses valeurs, son éthique nationale, ses idéologies, traditions culturelles ou croyances historiques de son pays, en vue de l’inciter à abandonner son système social et sa voie de développement. S’y ajoutent les mesures actives inspirées de l’Union soviétique : désinformation ; contrefaçons ; sabotage ; discrédit et déstabilisation de gouvernements étrangers ; provocations ; opérations de fragilisation de la cohésion sociale ; recrutement « d’idiots utiles » (admirateurs naïfs de la Chine) ; assassinats et actions terroristes. Les opérations d’influence sont mises en œuvre par des entités relevant du PCC, de l’Etat, de l’Armée populaire de libération et des entreprises.

Le PCC. A lui seul, le PCC dispose de cinq organismes dédiés. Le département de la propagande contrôle tous les médias et la production culturelle, afin de restreindre la liberté d’expression et l’esprit critique. Il oriente l’opinion publique, défend les intérêts de la Chine, justifie ses actions et la présente sous son meilleur jour. Son vaste réseau s’étend à l’étranger, où il se montre de plus en plus agressif. Le département du « Travail du Front uni » dispose d’une douzaine de bureaux pour cibler : les partis politiques ; les minorités ethniques ; les entreprises privées ; les intellectuels non membres du PCC ; les nouvelles classes sociales ; Hong Kong ; Macao ; Taïwan ; le Tibet ; le Xinjiang, où se trouve la minorité ouïgoure ; les Chinois d’outre-mer ; les affaires religieuses. Le département des liaisons internationales s’occupe de la « diplomatie de parti », à savoir les relations avec les partis politiques étrangers pour accroître le nombre d’amis de la Chine, servir de plateforme d’observation et d’analyse et collecter des renseignements. La Ligue de la jeunesse communiste compte 80 millions de membres âgés de 14 à 28 ans. Elle sert de courroie de transmission vers les jeunes, de pépinière de futurs cadres du PCC et de force mobilisable en cas de besoin (les jeunes « gardes rouges » avaient lancé la « Révolution culturelle » de 1966-1976). Avec ses propres moyens de propagande en chinois et en anglais, elle accroît sa présence sur les réseaux sociaux pour promouvoir le PCC et la Chine et critiquer les Etats-Unis par l’humour et le sarcasme. Le Bureau 610 regroupe 15.000 personnes en Chine et à l’étranger pour éradiquer, en dehors de tout cadre légal, le mouvement Falun Gong créé en 1992 et prônant la méditation et le travail sur soi. Chaque mission diplomatique compte un membre du Bureau 610, chargé d’en détecter les adeptes, les ficher et les intimider. En outre, il s’efforce de dissuader les gouvernements étrangers d’entretenir des relations avec eux.

L’Etat. Principale agence civile de renseignement, le ministère de la Sécurité d’Etat mène des opérations à l’étranger avec un peu moins de vingt directions ou bureaux, dont l’un se dissimule sous le nom de « Bureau de coopération scientifique avec Taïwan, Hong Kong et Macao » de l’Académie des sciences. Le Bureau des affaires taïwanaises surveille divers médias pour distiller la propagande vers Taïwan.

L’Armée populaire de libération (APL). Bras armé du PCC, l’APL inclut la Force de soutien stratégique, dont le département des systèmes de réseaux s’occupe des domaines cyber, électromagnétique et informationnel. La Base 311 centralise l’action psychologique contre Taïwan et mène des recherches sur l’environnement informationnel aux Etats-Unis. Composée essentiellement de chercheurs et d’ingénieurs, la Base 311 s’intéresse aux technologies, dont l’intelligence artificielle, pour agir sur l’opinion publique. Elle gère des entreprises comme Voice of the Strait, China Huayi Braodcasting Corporation et la maison d’éditions Haifeng pour exercer une influence via la radio, la télévision, les réseaux sociaux ou les livres. Elle contrôle la plateforme-relais China Association for International Friendly Contact, chargée des relations avec les élites de pays étrangers.

Les entreprises. Privées ou publiques, les entreprises collectent des données par l’espionnage, le piratage, la construction d’infrastructures ou les nouvelles technologies pour servir à des fins militaires. L’article 7 de la loi sur le renseignement les contraint ainsi que tout citoyen à soutenir, aider et coopérer aux efforts nationaux dans ce domaine. En matière d’infrastructures, des entreprises chinoises ont construit ou rénové 186 bâtiments étatiques en Afrique, dont le siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, et créé au moins 14 réseaux gouvernementaux sensibles de télécommunications, dont les systèmes informatiques pourraient être équipés de « portes dérobées » destinées à capter tous les échanges. Cela permettrait de recruter des agents potentiels, compromettre et contraindre certains dirigeants et faciliter les opérations d’influence. Il en est de même pour les câbles sous-marins, l’une des priorités des « routes numériques de la soie ». S’y ajoutent les plateformes WeChat, Weibo et TikTok ainsi que le système de navigation Beidou. Enfin, la société Huawei (électronique grand public) entretiendrait des relations avec les services de sécurité et l’APL.

Loïc Salmon

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Défense : le cinéma, de la communication à la réalité

Dans les films mettant en scène des combattants, y compris de l’ombre, la réalité prend de plus en plus le pas sur l’antimilitarisme et la caricature d’hier. De leur côté, les institutions de défense les considèrent comme des canaux de communication et de recrutement.

Ce thème a été abordé lors d’une conférence-débat organisée, le 28 juin 2018 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont intervenus : Bénédicte Chéron, enseignante à l’Institut catholique de Paris ; Pauline Blistène, chercheuse à l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne Paris I ; Cécile Ducrocq, scénariste et réalisatrice.

Relation aléatoire en France. La guerre constitue un sujet cinématographique porteur pour les armées, explique Bénédicte Chéron. Dès 1897, les frères Lumière tournent le film « La dernière cartouche » sur la bataille de Bazeilles (1870), reconstituée en studio. Les armées, qui ont pris conscience de la nécessité de garder des images des opérations, créent un service photographique et cinématographique en 1915, qui deviendra plus tard l’ECPAD (Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense). L’action militaire sert la propagande destinée à la population à l’arrière du front. En racontant la vie militaire, le cinéma va jouer un rôle dans la relation des Français avec leurs armées pendant une centaine d’années. Dès 1920, le soldat n’apparaît plus comme un héros du XIXème siècle, mais plutôt comme un martyr ou une victime. La Grande Guerre, souvent désignée sous le terme de « boucherie », n’incite guère à traiter des conflits ou de l’héroïsme. Après 1940, les civils remplacent les militaires vaincus, qui n’incarnent plus l’héroïsme de la littérature historique. Ils sont mis en scène dans « La bataille du rail » (1946) et « L’armée des ombres » (1969). Il faudra attendre « La 7ème Compagnie » (1973), qui connaît un gros succès en salle, pour renouer avec le second conflit mondial. Les guerres de décolonisation modifient encore la représentation des armées, avec quelques films sur celle d’Indochine puis sur celle d’Algérie, où surgit l’antagonisme entre les « appelés » du contingent, les « engagés » et surtout les officiers d’active. Les premiers sont présentés comme des victimes envoyées à la mort par une hiérarchie politique et militaire sans conscience morale, notamment dans « Avoir vingt ans dans les Aurès » (1972) et « R.A.S. » (1973). A la suite des conflits précédents, les militaires professionnels sont perçus comme des « bourreaux », qui trouvent un exutoire dans la pratique de la torture. Ces caricatures ne facilitent pas le dialogue entre les milieux militaire et cinématographique. Pierre Schoendoerffer, cameraman pendant la guerre d’Indochine, pense à la postérité. Il met en scène des héros universels, héritiers du XIXème siècle et moines-soldats, avec « La 317ème section » (1965) et « Le Crabe-tambour » (1976). La sortie du film « L’honneur d’un capitaine » (1982), pour lequel la hiérarchie militaire a découragé le réalisateur, a rouvert de vieilles blessures dans l’institution. Avec la suspension du service militaire obligatoire (2002), la présentation cinématographique de la vie militaire dans sa diversité devient plus réaliste.

Partenariat aux Etats-Unis. Les liens entre la défense et le cinéma américains remontent à des décennies, rappelle Pauline Blistène. Dès 1931, le FBI (police fédérale et service de renseignement intérieur) a noué des relations avec le cinéma pour obtenir le soutien de la population et du Congrès…qui vote son budget ! Le Pentagone (ministère de la Défense) a suivi très tôt son exemple, au point de créer un « complexe militaro-divertissement », similaire au complexe militaro-industriel dénoncé par le président Eisenhower en 1961. Pendant le second conflit mondial, le monde du cinéma a contribué à l’effort de guerre pour unir la population américaine, par le biais de films de propagande, comme « Destination Tokyo » (1943), ou ceux de John Ford. Ce partenariat s’officialise en 1948 par l’ouverture d’un bureau de liaison à Hollywood, en vue d’une représentation réaliste des armées américaines à l’écran. Après la critique hollywoodienne de la guerre au Viêt Nam dans les années 1970, le Pentagone a négocié le prêt de matériels contre un droit de regard sur le scénario, notamment pour le film « Top Gun » (1984). Pendant la guerre froide (1947-1991), la CIA (service de renseignement extérieur) a souffert de son image, systématiquement mauvaise, à l’écran. Les scénaristes se sont notamment inspirés des « mémoires » des anciens agents de renseignement. Jalouse de la relation privilégiée du Pentagone avec Hollywood, la CIA a dû lutter pour sa survie à l’issue. Elle s’est donc résolue à communiquer en ouvrant un bureau à Los Angeles en 1995, puis un site internet. Après les attentats terroristes de 2001, la fiction étant l’unique point de contact entre les services de renseignement (SR) et le cinéma, elle a organisé des réunions entre ces derniers et des scénaristes, considérés comme plus imaginatifs. Sa culture du secret lui interdisant toute contrepartie, elle laisse le champ libre aux réalisateurs auxquels elle reproche la méconnaissance de la réalité, même si elle participe à la production ! En France, le premier film sur la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), « Secret Défense », sort en 2008. Deux ans plus tard, celle-ci crée un poste de « chargé de communication ». Les attentats terroristes à Paris (2015) et Nice (2016) font prendre conscience de la nécessité d’entrer dans leur réalité par la fiction. La série télévisée sur la DGSE, « Le Bureau des Légendes », démarrée dès avril 2015, continue en 2018. Elle a contribué à un accroissement qualitatif du recrutement, selon Pauline Blistène.

« Le Bureau des Légendes ». Le film (français) sur les SR israéliens, « Les Patriotes » (1994), est montré au jeunes recrues de la DGSE pour rendre hommage à l’institution, indique Cécile Ducrocq, qui participe à la réalisation du « Bureau des Légendes ». La matière première vient des livres, souvent à charge, des anciens de la DGSE, de la presse, d’internet à condition de faire le tri, des personnels de la DGSE, à qui le scénario est raconté en gros, et de visites à son siège pour les décors. Ensuite, l’invention totale prime, car il ne s’agit pas d’être réaliste mais crédible. La partie romanesque, qui porte sur un agent mettant ses collègues en danger, inclut héros, martyrs, victimes, trahison et dilemme moral permanent. L’espionnage constitue un vrai « pain bénit » pour les scénaristes.

Loïc Salmon

Intégrée à la Direction à l’information et à la communication de la défense, la Mission cinéma s’adresse aux professionnels de l’audiovisuel désireux de conduire des projets relatifs au ministère des Armées. Encadrée sur les plans juridique et financier, elle les accompagne, des premiers conseils à l’écriture à la communication lors de la distribution du film, en passant par l’accueil des tournages, la mise à disposition de matériels, de fonds de soutien financier et d’archives ou une proposition de co-production. En vue d’une mise en contact des réalités de la défense, la Mission cinéma accueille les scénaristes en immersion, sur le terrain ou dans les entités militaires.

DGSE : le renseignement à l’étranger par des moyens clandestins

Renseignement et cinéma : des logiques difficilement compatibles

 




Chine : ingérence et « guerre politique » croissantes

Les opérations d’influence de la Chine incluent la subversion, l’intimidation et les pressions politiques dans son environnement régional et aussi en Amérique du Nord et en Europe.

C’est ce qui ressort du rapport sur les opérations d’influence chinoises, rendu public en septembre 2021 à Paris par l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM)et rédigé par son directeur Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Paul Charon, chargé du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » de l’IRSEM.

De l’influence à l’ingérence. Pour les autorités chinoises, en l’occurrence le Parti communiste (PCC) il s’agit d’abord de séduire et subjuguer les publics étrangers en soulignant la croissance économique spectaculaire du pays, son efficacité administrative et la supériorité de son régime politique sur la démocratie libérale. Vient ensuite la tradition plurimillénaire de la Chine, dont sa médecine. En politique étrangère, le PCC a imaginé une « émergence pacifique » destinée à dissiper l’impression de « menace chinoise ». Depuis une vingtaine d’années, la puissance de la Chine se manifeste sur le plan militaire mais aussi par ses prouesses architecturales, scientifiques ou technologiques et l’organisation d’événements d’envergure mondiale (Jeux olympiques d’été en 2008 et d’hiver en 2022). Certaines opérations d’influence consistent à contraindre les sociétés adverses par une infiltration lente afin d’entraver toute velléité d’action contraire aux intérêts du PCC. Depuis 2018, elles visent d’abord les diasporas chinoises à l’étranger, très hétérogènes, en créant ou entretenant un sentiment d’appartenance à une même nation et pour bénéficier de leurs connaissances de leur pays de résidence. Afin d’éviter qu’elles deviennent une menace pour le PCC, la Chine exerce une pression constante d’abord sur elles, mais aussi sur les Etats des pays de résidence pour en faire arrêter certains membres et éventuellement les extrader. Vis-à-vis des pays étrangers, elle pratique la diplomatie du « loup guerrier » », à savoir les postures agressives du porte-parole du ministère des Affaires étrangères et d’une dizaine de diplomates qui, via les réseaux sociaux, recourent à l’invective ou même l’intimidation en brouillant ce qui relève du PCC et de la Chine comme « pays-culture ». Au sein de l’ONU, Pékin détient plusieurs postes-clés, fournit d’importantes contributions financières et exerce des pressions économiques et politiques ou pratique la cooptation, la coercition et la corruption. Il s’agit de renforcer sa présence, cadrer les débats et contrôler les discours, obtenir des soutiens, imposer un ordre du jour et influencer l’élaboration et l’interprétation des normes. Le PCC utilise aussi les universités pour acquérir des connaissances et des technologies par le biais de programmes de recherche conjoints, de façon légale ou par le vol et l’espionnage. En outre, des « stations de recrutement » à l’étranger font venir des candidats potentiels en Chine et collectent des informations sur les personnalités scientifiques et les programmes de recherche. Ainsi, plusieurs bases chinoises de données contiennent des millions de profils ciblés dans le monde. Souvent, les chercheurs ainsi recrutés travaillent au développement des capacités militaires chinoises. Plusieurs scandales ont éclaté en 2020 et 2021 au sujet de programmes conjoints avec des universités occidentales aidant, involontairement, Pékin à construire des armes de destruction massive ou à mettre au point des technologies de surveillance de la population chinoise. La manipulation de l’information passe par les réseaux sociaux avec la création de faux comptes, de « trolls » (messages destinés à susciter des polémiques) et de « l’astrosurfing » (simulation d’un mouvement populaire spontané). Ces procédés, inspirés de ceux de la Russie, visent d’abord la population chinoise, pour empêcher des actions collectives non contrôlées par le PCC, puis la scène internationale. La manipulation inclut l’achat d’un message, d’influence sur un compte, d’un compte ou d’une page. Depuis 2019, Twitter, Facebook et YouTube identifient de telles campagnes originaires de Chine et suspendent des dizaines de milliers de comptes. Les relais de la propagande chinoise incluent le recrutement d’universitaires étrangers et d’« influenceurs » (vedettes de réseaux sociaux) occidentaux. L’intelligence artificielle génère des textes et des images de profils. Les touristes chinois à l’étranger peuvent faire passer des messages, comme l’appui des revendications territoriales de Pékin en mer de Chine méridionale. Enfin, la « diplomatie des otages », détention arbitraire de ressortissants étrangers pour faire basculer un rapport de force, a été utilisée par Pékin contre la Suède, le Canada, le Japon et Taïwan.

« Guerre politique » ciblée. Prenant exemple sur les opérations d’influence de la Russie contre la Géorgie (2008) et l’Ukraine (depuis 2014), la Chine en a lancé contre l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Europe et l’Amérique du Nord. Mais Hong Kong et Taïwan, cibles prioritaires, constituent de véritables laboratoires de recherche et développement de la « guerre politique ». A Taïwan, le PCC utilise des relais locaux pour dissimuler ses traces. Il a commencé par des pressions sur certains médias, qui se sont autocensurés afin de pouvoir continuer à poursuivre leurs activités en Chine. Cela passe par la publicité, l’achat d’actions de médias jusqu’à en prendre le contrôle (avec des conséquences sur la ligne éditoriale), le financement clandestin, les nominations d’ « amis » à des postes-clés et les forums sino-taïwanais. Pékin recourt aussi à des « cyberarmées », groupes menant campagne contre quelque chose ou quelqu’un. Dans le monde politique local, des micro-partis, favorables au rattachement de Taïwan à la Chine, et des personnalités, ciblées pour leur inclination prochinoise, servent de relais. S’y ajoutent célébrités culturelles ou artistiques, organisations civiques, réseaux de temples bouddhistes et taoïstes, milieux d’affaires, Taïwanais résidant en Chine et Chinois vivant à Taïwan. Toutefois, ces ingérences de Pékin ont produit l’effet inverse parmi la population, qui s’identifie à 67 % comme « seulement taïwanaise ». La crise hongkongaise de 2019 a en effet joué un rôle de repoussoir. Sur les réseaux sociaux, Pékin a submergé les opinions publiques, de Hong Kong et d’autres pays, de contenus manipulés ou sensationnels, comparant les manifestants à des cafards ou des terroristes djihadistes. Ces campagnes, dont la moitié des comptes a été créée en trois mois, diffusent des récits orientés sur le rejet des manifestants, le soutien à la police de Hong Kong et un « complot d’Occidentaux ». Par ailleurs, Pékin considère Singapour comme un « pays chinois », en raison de l’origine à 74,5 % chinoise de sa population. Pékin veut que la Cité-Etat cesse de parler de liberté de navigation et d’entraîner ses forces armées à Taïwan et aussi qu’elle développe davantage ses relations commerciales avec la Chine. Singapour, où sont parlés l’anglais et le chinois, résiste en prônant son identité spécifique, à savoir pluriethnique et multiculturelle avec une particularité « chinoise singapourienne ».

Loïc Salmon

Chine : ambition hégémonique du Parti communiste

Défense : information falsifiée, internet et réseaux sociaux

Guerre de l’information et information de guerre




Géopolitique : la souveraineté démocratique face aux GAFA

L’Etat a toujours utilisé les technologies pour asseoir ou élargir sa souveraineté. Mais les ingérences récentes d’algorithmes dans les processus démocratiques soulignent l’influence des GAFA, les groupes américains Google, Apple, Facebook et Amazon.

Cette question a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 6 septembre 2018 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont intervenus : le professeur Pierre Musso, Université de Rennes 2 ; François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS ; Charles Thibout, chercheur à l’IRIS.

Perspective historique. L’idée de l’Etat apparaît en Occident au XIIème siècle, rappelle le professeur Musso. La souveraineté repose sur les institutions juridiques, où le droit (la norme) constitue le lien avec une vision du monde (la chrétienté). La défense du territoire dépend de l’industrie militaire, qui se développe au XVème siècle. Une rupture dans cette vision du monde se produit au XVIIème siècle : il faut utiliser la science pour dominer la nature, cartographier le territoire, établir une comptabilité et inventer la statistique. Au cours des deux siècles suivants, l’essor scientifique et technique et l’innovation permanente conduisent à l’idée de « progrès » et à l’industrialisation, en partant du principe que la société suit. Or, souligne le professeur Musso, la technique ne peut se dissocier d’une « culture », vision du monde ou d’une société. La technologie de production va osciller entre puissance publique et service public, notamment dans les transports. La politique industrielle d’après 1945, du ressort de l’Etat guidé par la rationalité, sera progressivement déléguée aux grandes entreprises au cours de la construction européenne, amorcée dans les années 1980. En outre, la révolution numérique, lancée dans les années 1950-1960, débouche sur la rencontre du « management » (organisation et gestion des entreprises) avec l’efficacité, dont profite l’Etat ingénieur pour produire plus, plus vite et moins cher. Aujourd’hui, il a perdu sa capacité à produire de l’intelligence et de la capacité, car les techniques sont mises au point par les étudiants et les industriels. L’Union internationale des télécommunications, créée en 1865, a proposé, dès 2003, une régulation mondiale d’internet, refusée par les Etats-Unis qui l’estiment aussi important que le domaine militaire. L’informatique et ses applications à la production constituent le système nerveux de l’économie mondiale. Leur réputation, qui relève de l’imaginaire et du symbolique, et leur audience, pour les ressources publicitaires, imposent aux GAFA de capter la confiance des internautes à l’échelle internationale.

Pouvoirs des GAFA. Au niveau « macro », les GAFA occupent le temps d’autrui et reconfigurent complètement les liens sociaux par l’usage du téléphone portable depuis huit ans, rappelle François-Bernard Huyghe. Au niveau « micro », ils déterminent le profil comportemental de chaque individu, après quelques dizaines de clics. Leur richesse leur permet de créer de nouveaux rapports économiques en se jouant des règles fiscales, juridiques et financières. Ils établissent des codes (« protocoles »), auxquels les Etats ne peuvent guère s’opposer, d’autant plus que leurs rapports avec eux restent ambigus. Les pouvoirs publics américains ont en effet négocié avec eux, notamment pour la surveillance des citoyens révélée par le lanceur d’alerte Edward Snowden (2013). Une véritable diplomatie des GAFA est apparue avec la nomination, en France, d’un ambassadeur pour le numérique en 2017. Ils exercent un pouvoir de « dressage mental » sur des milliers de gens, qu’ils connaissent parfaitement, et créent une nouvelle circulation des biens et des échanges, estime François-Bernard Huyghe. Certains GAFA ont envahi le champ politique et s’arrogent un droit de censure, comme la suppression de milliers de comptes par Google et Facebook. Ce dernier a laissé fuir les données personnelles de 4 millions d’internautes, facilitant la prévision de leurs votes. Enfin, les GAFA véhiculent une idéologie visant à créer une « super-élite » échappant à l’Etat. Ce dernier doit disparaître au profit d’une société nouvelle « post-politique », excluant la souveraineté. Toutefois, souligne François-Bernard Huyghe, la Chine est entrée en conflit avec Google qui a cédé, notamment sur les logiciels de notation des citoyens et de reconnaissance faciale. Alors que les pays européens témoignent d’une grande impuissance face aux GAFA, le droit américain donne aux citoyens une capacité de nuisance à leur égard.

Attrait de l’intelligence artificielle. Les Etats-Unis et la Chine estiment que l’intelligence artificielle (IA) peut affecter les relations internationales, indique Charles Thibout. Dans leur logique de puissance mondiale, les Etats-Unis opposent la force à un environnement international menaçant. Dès 2014, ils incluent l’IA dans le domaine militaire, comme la robotique et les « Big Data » (mégadonnées). Le Pentagone associe des acteurs privés à son développement et y investit 60 Mds$/an. La Chine compte sur l’IA pour retrouver l’espace politique de l’époque impériale. Le parti communiste dirige grandes entreprises et forces armées dans la réalisation de programmes militaires. L’IA doit permettre de passer de la guerre de l’information, dominée par les Etats-Unis, à celle de la guerre « intelligencielle » où s’accélère la prise de décision. La Chine, qui compte rattraper les Etats-Unis en matière d’IA dès 2025, prévoit d’y investir jusqu’à 50 Mds$ en 2030. Des opérations de propagande se superposent à cette compétition technique pour dissuader le camp adverse. Par ailleurs, les GAFA sont portés par le néolibéralisme, auquel adhère la plupart des dirigeants politiques occidentaux et qui fait passer l’économie avant l’intérêt général, estime Charles Thibout. Déjà, les GAFA s’émancipent du gouvernement fédéral américain en vendant leurs technologies à la Chine. Leurs postures politiques et diplomatiques conduisent à la déconstruction des Etats-nations, en vue de constituer des populations transnationales et apolitiques.

Loïc Salmon

Google, fondé en 1998, fournit des services technologiques via son moteur de recherche. Propriétaire du site YouTube et du système téléphonique Android, sa valeur boursière est passé de 176 Mds$ en 2008 à 550 Mds$ en 2016. Apple (1976), conçoit et commercialise produits électroniques grand public, ordinateurs personnels et logiciels informatiques (Macintosh, iPod, iPhone et iPad), dont une grande partie est fabriquée en Inde et en Chine. En 2017, il emploie 116.000 personnes dans 22 pays et est valorisé à 170 Mds$. Facebook (2004), réseau social en ligne, permet à ses usagers de diffuser images, photos, vidéos, fichiers, messages et de constituer des groupes. Son usage des données personnelles, son rôle dans la propagation de fausses nouvelles (« fake news ») et sa politique de régulation des contenus suscitent des interrogations. En juin 2015, il a réalisé un chiffre d’affaires de 17,9 Mds$. Amazon (1995) commercialise tous types de produits culturels et alimentaires avec des sites spécifiques dans 15 pays (Europe, Asie et continent américain). Sa capitalisation boursière atteint 586 Mds$ en novembre 2017.

Cyber : dilution des frontières territoriales et souveraineté

Défense : information falsifiée, internet et réseaux sociaux




Défense : la MCIC, promouvoir les armées dans le respect de la liberté de création

Outre l’entretien du lien Armées-Nation, la Mission cinéma et industries créatives (MCIC) du ministère des Armées contribue au maintien des vocations et du sentiment d’appartenance de ses personnels ainsi qu’au rayonnement extérieur de la France.

Lors d’un point de presse, le 12 mai 2022 à Paris, sa directrice, Eve-Lise Blanc-Deleuze, l’a présentée et le producteur de la série télévisée « Sentinelles », Antoine Szymalka, a apporté son témoignage.

Accompagnement et expertise. Le ministère des Armées dispose d’un catalogue de 15 millions de photos et de 94.000 heures de films depuis 1842. Etablie en mai 2016, la MCIC étudie plus de 200 projets audiovisuels par an, dont 52 sollicitations sur des fictions de séries télévisées, 49 sur des fictions cinéma, 50 sur des documentaires et 25 tournages dans l’environnement militaire. La fiction permet au grand public de mieux connaître et comprendre le milieu des armées, indique Eve-Lise Blanc-Deleuze. Il ne s’agit pas de faire leur propagande mais d’en montrer la réalité et de lutter contre les représentations caricaturales. La MCIC reste présente tout au long du projet : avant le tournage, par le conseil en écriture, la documentation et l’expertise ; pendant, par la mise à disposition, payante, de matériels non accessibles dans le secteur privé ; après, par un accompagnement en matière de communication. La MCIC invite les professionnels concernés à visiter les établissements d’enseignement militaire, embarquer sur un porte-hélicoptères amphibie ou assister aux présentations des capacités de l’armée de Terre ou de l’armée de l’Air et de l’Espace. Certains films ainsi soutenus ont connu un succès réel, notamment « Le chant du Loup » (2019) et « Notre-Dame brûle » (2022). La série « Le Bureau des légendes » (50 épisodes de 2015 à 2020), vendue dans 15 pays et qui montre le rôle de la Direction générale de la sécurité extérieure de façon plausible, a suscité une vague de candidatures. Une série sur les forces spéciales doit suivre en 2023. D’autres sont à l’étude pour la Marine nationale et l’armée de l’Air et de l’Espace.

Fiction « vraisemblable ». La série « Sentinelles » (7 épisodes diffusés à partir d’avril 2022), soutenue par la MCIC, porte sur l’opération « Barkhane » au Mali. Elle présente une intervention terrestre dans sa véracité, explique Antoine Szymalka. Les différentes rencontres, organisées par la MCIC, ont permis de cibler l’univers militaire. Une formation accélérée de quatre jours dans un régiment a facilité le croisement des regards et des avis pour accroître le réalisme. Les entretiens avec des soldats de retour de « Barkhane » ont aidé à présenter les émotions des militaires sur le terrain. Alors qu’aux Etats-Unis un événement militaire donne rapidement lieu à une série télévisée, il a fallu quatre ans pour réaliser « Sentinelles », après une longue préparation documentaire et des tournages en France mais aussi au Maroc avec ses paysages de désert et ses véhicules de l’avant blindé…âgés.

Bandes dessinées à l’honneur. La MCIC a reçu plus de 90 ouvrages (25 éditeurs) pour la 2ème édition des « Galons de la BD ». Le 10 mai à l’Ecole militaire et en présence de la ministre des Armées Florence Parly, le jury a attribué : le Grand Prix à Madeleine Résistante, (vie de Madeleine Riffaud) ; le Prix Histoire à #J’accuse (l’affaire Dreyfus, traitée par les médias d’aujourd’hui) ; le prix Jeunesse à L’insurgée de Varsovie (Pologne, 1944) ; une mention spéciale à Bob Denard, le dernier mercenaire.

Loïc Salmon

Défense : le cinéma, de la communication à la réalité

Renseignement et cinéma : des logiques difficilement compatibles

Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère




Blocus du Qatar : l’offensive manquée

Quatre Etats arabes ont tenté, sans succès, de déstabiliser un cinquième, petit mais très riche, par la diffusion de fausses informations dans les médias et les réseaux sociaux, les cyberattaques, l’action de lobbyistes aux Etats-Unis et en Europe, les pressions diplomatiques et les sanctions économiques.

Ce quartet, composé de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis (EAU), de Bahreïn et de l’Egypte, a donc employé tous les moyens, sauf militaires, pour réduire le Qatar, qui a riposté et est parvenu à obtenir l’aide de l’Iran, de la Turquie et surtout… des Etats-Unis qui y stationnent 10.000 soldats sur leur base d’Al Udeid. Cette crise a été suivie attentivement par Israël, qui reproche au Qatar son soutien économique au mouvement islamiste palestinien Hamas, très implanté dans la Bande de Gaza (entre Israël et l’Egypte). Israël entretient des relations étroites avec la Russie (présente en Syrie), pour lutter contre le terrorisme islamiste, et des liens officieux avec les EAU. Comme le quartet anti-Qatar, il veut contrer l’influence régionale de l’Iran. Tout commence le 23 mai 2017 par le piratage de l’agence de presse du Qatar (QNA). Celle-ci diffuse des extraits d’un prétendu discours de l’émir faisant l’éloge de la puissance de l’Iran chiite, avec des critiques à peine voilées de l’administration américaine, et présente le Hamas comme le « représentant légitime du peuple palestinien ». Ensuite, les médias du quartet dénoncent « l’aventurisme et la traîtrise du perfide Qatar ». Or ces extraits, entièrement faux, et le piratage de QNA ont été réalisés par les EAU, comme le prouvera une enquête du FBI quelques semaines plus tard. Malgré le démenti du gouvernement qatari, la crise atteint son paroxysme le 5 juin avec la rupture des relations diplomatiques du quartet avec le Qatar, qui se voit aussi interdire le franchissement de leurs frontières terrestres et l’accès à leurs espaces aériens, avec de graves conséquences économiques. L’Iran propose alors son aide au Qatar pour contourner l’embargo. Washington appelle le quartet à la retenue, car la plus grande partie des raids aériens de la coalition internationale contre Daech, en Syrie et en Irak, s’effectue à partir de la base d’Al Udeid. Conformément à l’accord bilatéral de défense, Ankara active sa base au Qatar en y envoyant 1.000 soldats et des véhicules blindés. Le quartet n’ose prendre le risque d’un affrontement militaire direct. Mais la confrontation se poursuit. Au piratage de QNA, le Qatar répond par celui de la boîte mail du très influent ambassadeur des EAU à Washington et divulgue ses manœuvres. Par ailleurs, le Qatar pratique une diplomatie relativement indépendante, avec des rapports directs avec les grandes puissances, et une stratégie d’influence dans le monde musulman, grâce à son assise financière. Plus grand exportateur mondial de gaz naturel, il l’exporte par ses 60 méthaniers directement à partir du port Hamad, inauguré le 5 septembre 2017. Le blocus l’a incité à développer l’économie locale et un commerce maritime vers Oman, la Turquie, le Pakistan, Koweït et l’Inde. Sa réputation de soutien au terrorisme remonte à la guerre d’Afghanistan (2001-2014), quand il avait autorisé les talibans à disposer d’une représentation à Doha…à la demande de Washington ! Ensuite, des financiers, privés, du terrorisme s’y sont installés jusqu’en 2015. Toutefois, le 11 juillet 2017, le Qatar a signé, avec les Etats-Unis, un accord sur la lutte contre le financement du terrorisme.

Loïc Salmon

« Blocus du Qatar : l’offensive manquée » par le général François Chauvancy. Éditions Hermann, 330 pages. 18 €

Qatar, vérités interdites

Arabie Saoudite, de l’influence à la décadence

Iran : acteur incontournable au Moyen-Orient et au-delà

L‘Égypte en révolutions




Photographies en guerre

Du photojournalisme à la conquête de l’opinion publique, la guerre se photographie dans tous ses aspects, à savoir militaire, politique, économique, social, culturel et esthétique.

Dès l’origine, les arts représentent la guerre avec ses combats, ses héros et ses horreurs. A la photo argentique prise par le combattant d’hier a succédé la capture d’écran du téléphone portable du soldat, laquelle circule sur les réseaux sociaux avant d’arriver sur les médias traditionnels. Dès le XIXème siècle, la presse envoie ses propres correspondants sur le terrain, où la censure est moins organisée. Dans les années 1980, l’arrivée du numérique bouleverse le marché de l’image car des gens sur place fournissent des instantanés en grandes quantités, peu onéreux et quasi anonymes. Mais à l’époque de la pellicule, le photographe de guerre doit produire des images tout en se protégeant, maîtriser sa technique et s’en remettre au hasard. En effet, l’instantané permet à la photographie de s’installer au cœur des combats, de saisir l’émotion d’un visage ou la douleur d’un blessé. Avec le temps, les guerres sont oubliées ou célébrées, alors que la photographie demeure. Son invention, dans les années 1820-1830, survient au moment où émergent un désir d’exploration du monde, une forme de rationalisme et la notion d’objectivité. Progressivement avec l’évolution technique, la photographie de guerre acquiert un statut de document. Les journalistes, gens de plume, doivent prendre en compte son attrait et son intérêt commercial. Réticents, les militaires s’adaptent selon les guerres et les pays, enclins à un contrôle total ou à une grande liberté de la presse. Peu sensibles à sa valeur informative, les historiens l’ont longtemps ignorée. Aujourd’hui, les moyens numériques permettent d’exploiter massivement les archives mondiales, négligées ou redécouvertes. Parfois la technique photographique va de pair avec celle d’une arme. Pendant la première guerre mondiale, l’armée de l’Air britannique utilise un appareil photographique identique à une mitrailleuse pour l’entraînement au tir à partir d’un avion. Chaque tir, enregistré sur une pellicule en rouleau, permet de valider les performances de l’opérateur. Pendant le second conflit mondial, un dispositif similaire, installé sur les avions américains, se déclenche au moment du tir pour valider les victoires aériennes. Pendant la guerre du Golfe (1990-1991), les caméras embarquées prennent des images destinées à illustrer le discours d’une « guerre propre », réalisée par des « frappes chirurgicales ». Pendant la guerre civile espagnole (1936-1939), les deux camps se battent aussi avec des images de propagande, facilitée par l’emploi d’appareils photographiques moins lourds et plus maniables et l’envoi des images par bélinographe (transmission par circuit téléphonique ou par radio). A partir de 1938, deux idées vont s’imposer : le photographe doit contrôler la publication de ses images et des légendes qui l’accompagnent ; il doit conserver la propriété de ses négatifs. En 1947, elles donnent naissance à l’agence Magnum, première coopérative de photographes. Pendant le conflit du Viêt Nam, considéré comme une guerre d’images influentes, la puissance de la photographie de presse repose sur sa capacité à résumer les événements. Dans les années 2010, les groupes terroristes inspirent la peur en diffusant photos ou vidéos de décapitations directement sur internet.

Loïc Salmon

« Photographies en guerre », ouvrage collectif. Editions Rmn-Grand Palais et Musée de l’Armée Invalides, 328 pages, 320 illustrations, 39 €

Exposition « Photographies en guerre » aux Invalides

Exposition « Images interdites de la Grande Guerre » à Vincennes

Exposition « Picasso et la guerre » aux Invalides