Moyen-Orient : pandémie du covid-19 et conflits en cours
Alors que le régime syrien nie la gravité du covid-19, au Liban, le mouvement politico-militaire Hezbollah y apporte une réponse sanitaire et sociale, tandis que celle de Daech repose sur une base idéologique.
Agnès Levallois et Jean-Luc Marret, maîtres de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), l’expliquent dans des notes publiées le 25 mars et le 13 avril 2020 à Paris.
La Syrie. Le gouvernement reconnaît, le 25 mars, le premier cas de contamination par le covid-19, en précisant qu’il s’agit d’une personne venant de l’étranger, indique Agnès Levallois. Jusqu’ici, il assurait que le virus n’avait pas atteint le territoire national, alors que la contamination avait déjà touché l’Irak, l’Iran, la Jordanie, le Liban et Israël. Les images d’agents municipaux désinfectant les rues de Damas semblent démontrer que le régime maîtrise la situation sanitaire, malgré la crise économique consécutive à neuf ans de guerre civile. Or le système de santé syrien n’est guère capable de gérer l’épidémie, remettant ainsi en question le retour à la normale de la vie quotidienne de la population. Le régime se maintient grâce à l’appui militaire de la Russie, de l’Iran et des milices chiites, dont le Hezbollah libanais. Il a réussi à repousser ses opposants jusque dans l’enclave d’Idlib (Nord-Ouest du pays). Les bombardements des forces armées syriennes entraînent un exode massif de la population civile, dont les exilés sont privés de leurs biens par décret du président Bachar al-Assad. Cette crise migratoire accentue la pression sur la Turquie et l’Europe. Le cessez-le-feu, négocié début mars par la Russie et la Turquie, doit notamment permettre à l’Organisation mondiale de la santé de procéder à des dépistages du covid-19 dans la région, d’autant plus exposée que les infrastructures de santé sont systématiquement détruites. En fait, le régime a tiré profit de l’émergence de l’Etat islamique (Daech) en 2014 sur une partie des territoires syrien et irakien, rappelle Agnès Levallois. Les pays occidentaux ont alors cessé d’exiger le départ de Bachar al-Assad. Son maintien au pouvoir devait garantir une certaine stabilité en Syrie, pendant la reconquête des territoires occupés par Daech par une coalition internationale de 70 nations dans le cadre de l’opération « Inherent Resolve », dont l’opération « Chammal » constitue le volet français.
Daech. Privé de territoire après sa défaite militaire, Daech ne peut conduire un « djihad sanitaire » en faveur exclusivement de musulmans sunnites de Syrie et d’Irak, estime Jean-Luc Marret. Faute d’effectifs et de moyens techniques suffisants, sa propagande a commencé par considérer le covid-19 comme un « châtiment divin » contre la Chine, Etat athée qui persécute sa minorité musulmane ouïghour. Ensuite, elle a accusé le « gouvernement infidèle de Chine » de minimiser sciemment l’étendue de la pandémie. Toutefois, Daech a élaboré des directives de sécurité prophylactiques pour ses sympathisants, en insistant sur la protection donnée par les vêtements islamiques féminins et la distance sociale entre les sexes. Il note que la pandémie pourrait empêcher les Etats, qu’il cible de ses menaces, de procéder à des opérations anti-terroristes. Il préfère concentrer les efforts de ses militants sur la recherche des moyens pour libérer ses djihadistes détenus en Syrie et en Irak. Dans le passé et sur les territoires qu’ils contrôlaient, Daech et l’organisation terroriste Al-Qaïda ont manifesté leur intérêt pour la recherche et le développement d’armes nucléaires, radiologiques, chimiques et même biologiques. Mais ils n’ont jamais pu en maîtriser les technologies les plus sensibles. Aucune information ne laisse à penser que Daech puisse recourir au covid-19 comme moyen improvisé et rustique de bioterrorisme en Europe. Toutefois en raison de son organisation décentralisée et de l’autonomie de ses réseaux à travers le monde, souligne Jean-Luc Marret, Daech pourrait utiliser certains individus psychologiquement fragiles pour effectuer des contaminations improvisées sur des cibles définies au préalable. Déjà en 2002-2003, Al-Qaïda s’était intéressé à la ricine (poison 6.000 fois plus toxique que le cyanure).
Le Hezbollah. Considéré comme organisation terroriste par de nombreux pays dont Israël, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et les Etats membres de l’Union européenne, le Hezbollah bénéficie des appuis d’une vaste diaspora libanaise et surtout de l’Iran. Au Liban même, rappelle Jean-Luc Marret, il gère des dispensaires, des hôpitaux et une vaste logistique de soutien de la population chiite et même au-delà. Ses opposants l’ont accusé d’avoir introduit le covid-19, via la Syrie ou l’Iran. Certains de ses membres qui s’étaient rendus à la ville religieuse de Qoms n’ont pas été mis en isolement à leur retour, malgré l’épidémie en Iran. Vu la défaillance de l’Etat libanais, le Hezbollah a déclaré avoir mobilisé 24.500 de ses membres et sympathisants, dont des professionnels de la santé et même le ministre de la Santé choisi par lui lors de la constitution du gouvernement libanais, pour lutter contre la pandémie. Les médias libanais en ont montré certains, vêtus d’un uniforme, gantés et masqués, en train de désinfecter les quartiers chiites de Beyrouth et de distribuer de la nourriture. Le Hezbollah a déclaré affecter certains moyens de sa guerre contre Israël à celle contre le covid-19 : un centre d’appels ; trois centres de confinement de 170 lits pouvant monter jusqu’à 1.000 ; 64 comités sociaux pour aider les familles nécessiteuses. Mais son action a été complétée par une division du travail entre communautés sunnite, chrétienne et druze. Ainsi, plusieurs organisations chrétiennes ont fourni des tests de dépistage, notamment pour les nombreux réfugiés, et le parti druze a offert des dons à plusieurs hôpitaux et a mis des zones de confinement à disposition des personnes contaminées.
Loïc Salmon
La population libyenne se trouve confrontée à la guerre civile et au covid-19, souligne Aude Thomas, chargée de recherche à la FRS, dans une note du 3 avril 2020. Le premier cas d’infection a été signalé le 24 mars, quelques heures après les bombardements des quartiers du Sud de Tripoli, menés par l’Armée nationale libyenne (ANL). Celle-ci est dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, qui bénéficie de l’appui des Emirats arabes unis. En représailles, les forces armées du gouvernement d’union nationale (GUN) ont attaqué, sans succès, la base aérienne d’Al-Waztiyah (150 km à l’Ouest de Tripoli), qui fournit un soutien logistique aux zones contrôlées par l’ANL. Le GUN, soutenu par la Turquie, a instauré un couvre-feu partiel en Tripolitaine et dans le Sud du pays et fermé les écoles et commerces non essentiels. Les municipalités ont pris des mesures de désinfection des rues et bâtiments publics. Les déplacements ont été limités et les points de passage vers l’Algérie et la Tunisie fermés. Les Emirats arabe unis et la Turquie investissent des moyens militaires en Libye, à savoir soldats, officiers d’encadrement et drones. Récemment, des combattants syriens ont rejoint les rangs du GUN et même de l’ANL à la suite du rapprochement entre le maréchal Haftar et la Syrie. Les Etats européens et la Mission des nations unies en Libye tentent d’instaurer et de faire respecter une trêve humanitaire.
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