Défense antimissiles : surtout protection des forces, moins celle des populations

La défense antimissiles balistiques (DAMB) est un outil défensif face aux armes de destruction massive, qui constituent une capacité crédible de projection de puissance à bas coût pour certains pays capables d’en fabriquer.

Le colonel (Air) Loïc Rullière, chef du bureau Prospective technologique et industrielle de la Délégation aux affaires stratégiques, a présenté la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 6 mars 2014 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’institut des hautes études de défense nationale.

Menaces concrètes. La prolifération balistique reste une préoccupation majeure de la communauté internationale. Toutefois, la Chine, l’Inde, la Russie et les États-Unis continuent de financer recherches et développements dans ce domaine. En outre, des échanges de technologie ont lieu entre pays proliférants ainsi que des ventes de matériels susceptibles d’entrer dans la composition d’un missile. La Chine a effectué le plus grand nombre de tirs de missiles depuis 2007. La Turquie, à la recherche d’une capacité spatiale, investit massivement dans les lanceurs, dont la technologie s’applique aux missiles. Déjà, les missiles de la Corée du Nord peuvent atteindre la Corée du Sud, le Japon, Taïwan et les bases américaines qui s’y trouvent. L’Iran développe des missiles à courte et moyenne portées, en vue d’actions régionales. Il ne menace pas encore les États-Unis, mais n’a pas besoin de missiles à longue portée pour atteindre les pays européens. Des acteurs non étatiques pourront bientôt intervenir. Ainsi, le mouvement chiite libanais Hezbollah et les groupuscules palestiniens disposent de roquettes de plus en plus lourdes. La Marine israélienne a intercepté récemment un cargo contenant des roquettes de 60 km de portée, capables de frapper au centre de l’État hébreu.

Défis opérationnels. Souvent mais pas uniquement porteurs d’armes de destruction massive (nucléaire, chimique, radiologique ou biologique), les missiles balistiques sont constitués de plusieurs étages pour augmenter leur portée, l’ogive contenant la charge militaire se séparant à partir de 600 km de la cible. Les types de propulsion possèdent des propriétés différentes. Le carburant liquide permet de contrôler la poussée et de faire varier la portée. Mais, son entreposage à température fixe exige de remplir les réservoirs du missile au dernier moment. Le carburant solide, plus facile à stocker, permet de transporter le missile dans son silo par camion, de le positionner et de le déplacer ailleurs après le tir. Pendant la guerre du Golfe (1991), les forces américaines ont rencontré des difficultés pour retrouver les bases de lancement des Scud irakiens. Les missiles balistiques à portées moyenne et intermédiaire visent les villes en raison de leur précision limitée par le manque de guidage terminal, technologiquement difficile aux vitesses de rentrée dans l’atmosphère, de l’ordre de plusieurs km/s. La possession de missiles à longue portée implique des étapes difficiles et incontournables : tête séparable ; séparation des étages ; aide à la pénétration ; ogives à têtes multiples à trajectoire unique sur une seule cible ; ogives à têtes multiples à trajectoires indépendantes, qui produisent le maximum d’effet sur des objectifs différents de la même zone.

Défis technologiques. Les trajectoires de ces missiles, situées en grande partie hors de l’atmosphère, sont prévisibles, principe sur lequel reposent les capacités d’interception, indique le colonel Rullière. La DAMB dite « passive » limite l’impact du missile, tandis que celle dite « active » l’empêche d’atteindre sa cible. La composante spatiale de la DAMB constitue l’alerte avancée pour déterminer le point de lancement et ainsi identifier l’agresseur. La détection, par infrarouge, de la chaleur dégagée par le missile permet de connaître l’axe et l’altitude de sa trajectoire, de préciser sa catégorie et localiser la région d’impact. Ensuite, les radars de très longue portée (5.000 km) à basses fréquences effectuent une recherche en « nappe », où chaque antenne regarde dans une direction donnée (« sectorisée ») pour affiner la zone d’impact et alerter les systèmes d’interception. Déplaçables et installés à proximité des pays « menaçants », ces radars aident à la contre-prolifération en reconstituant les données sur les caractéristiques des missiles. Les renseignements d’origine humaine permettent de savoir quels sont les pays capables de les munir de charges conventionnelles ou nucléaires. Le relais passe aux radars de veille et de trajectographie, qui portent jusqu’à 1.500 km et assurent une veille de 360 ° ou sectorisée. Les radars de conduite de tir prennent la main pour raccourcir le plus possible la chaîne d’engagement dans le temps, notamment dans les basses couches de l’atmosphère, où le trajet dure moins d’une minute. L’interception en dehors de l’atmosphère étant autorisée, le « véhicule tueur » va chercher le missile assaillant avec son radar auto-directeur, en vue d’un impact direct à 80-120 km d’altitude. Si l’interception échoue, le missile pourra aller n’importe où. En cas de succès, les débris s‘éparpilleront, causant peu de dégâts collatéraux sur l’immensité presque vide de l’Amérique du Nord protégée par le système NORAD, mais beaucoup plus sur le territoire européen, à forte densité de population. Russie, Chine, États-Unis et Israël disposent d’intercepteurs montés sur camions. Les  systèmes THAAD américain et Aster 30 franco-italien sont installés sur des navires.

Défis politiques. La DAMB coûte très cher, avec un taux de réussite de 50 % et un système de commandement et de contrôle (C2) étalé sur 4.000 km. « On ne pourra pas tout protéger, il faudra faire des choix sur certaines parties du territoire, l’une des grosses difficultés de l’OTAN », souligne le colonel Rullière. En fait, 88 % des missiles balistiques sont à courte portée pour exercer des menaces régionales. L’Union européenne investit donc dans la défense de théâtre pour protéger surtout les forces armées et moins les territoires. Les négociations entre l’OTAN et la Russie sont interrompues. Celle-ci cherche à obtenir un accord contraignant pour les États-Unis, qui ont pris une avance technologique et la maîtrise. Pour la France, indique le colonel, la DAMB reste un outil capable de faire face à une attaque simple et limitée. Elle complète la dissuasion, mais ne peut s’y substituer.

Loïc Salmon

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel

Inde : industrie spatiale civile, mais de plus en plus militaire

Les missiles balistiques stratégiques, dotés d’une charge non conventionnelle, jouent un rôle dissuasif par leur capacité à frapper les intérêts adverses sans réelle possibilité d’interception. Parmi les missiles à courte portée (jusqu’à 1.000 km), se trouvent les Iskander-E russes (vendus à l’exportation), Shaheen I pakistanais, Scud soviétiques et Pershing américains. Parmi les missiles à moyenne portée (1.000 à 3.000 km), figurent les Shahab-3 M et Ashura iraniens, Nodong-1 nord-coréens, Shaheen 2 pakistanais, Agni II indiens et Jericho-II israéliens. Parmi les missiles à portée intermédiaire (3.000 à 5.500 km), se trouvent les Agni III et IV indiens. Parmi les missiles à longue portée (5.500 à 13.000 km) figurent les Taepodong 2 nord-coréens et les Topol-M et SS-18 russes.




L’océan Indien : espace sous tension

L’Union européenne, l’Amérique du Sud, la Chine et le Japon, très dépendants du commerce maritime Est-Ouest, sont donc naturellement attachés à la liberté de navigation sur l’océan Indien, pourtant fragile et mal contrôlé.

C’est ce qu’a expliqué le vice-amiral d’escadre (2S) Laurent Mérer, ancien commandant de la zone maritime de l’océan Indien (Alindien), au cours d’une table ronde organisée, le 14 février 2013 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine et l’Ecole de guerre. Ont participé au débat : Hubert Loiseleur des Longchamps, directeur des affaires publiques du groupe pétrolier Total ; Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime ; Serge Beslier, ancien président du conseil d’administration de l’Agence européenne de contrôle des pêches ; Christian Buchet, directeur scientifique du programme international de recherches « Océanides ».

Tensions et menaces. Les passages resserrés sont autant de lieux  de tensions : Suez, Bab-el-Mandeb, Ormuz et Malacca. En outre, se côtoient environ quarante pays, allant de l’extrême pauvreté à la plus grande richesse sans oublier l’instabilité politique de certains Etats. Cette zone regroupe 800 millions de musulmans, répartis en Inde, Pakistan et Bangladesh. Les rivalités avec les hindous et aussi entre musulmans chiites et sunnites s’y exercent en permanence. L’hinterland est le foyer de conflits larvés et récurrents : Inde et Pakistan ; Iran et Afghanistan ; Israël et Proche et Moyen-Orient. Enfin, les Etats-Unis et la Chine, quoiqu’à la périphérie, apparaissent comme des protagonistes majeurs, en raison des flux commerciaux en général et de leurs approvisionnements, notamment pétroliers, en particulier. L’océan Indien est en effet un lieu de passage obligé du gaz et du pétrole dans les deux sens. Les opérateurs européens produisent et négocient le pétrole du Mozambique et de certains pays du golfe Arabo-Persique destiné à l’Extrême-Orient et transportent des produits dérivés, de quoi tenter une piraterie endémique. A tire d’exemple, un navire de type PSO, construit en Corée du Sud au prix de 1-1,5 Md$, peut traiter 800.000 barils par jour et en stocker 2 millions. Par ailleurs, les importantes ressources halieutiques attirent les pêches illicites. L’océan Indien est aussi devenu le premier centre de production de thon à destination de la France, qui assure une surveillance à partir de l’île de La Réunion. De son côté, l’Union européenne consacre 1 M€/an à la lutte contre la pêche illicite. Par ailleurs, par suite de l’essor de son commerce, la Chine renforce sa présence dans la région depuis les années 1990. D’autres puissances militaires jouent un grand rôle comme consommateurs et partenaires commerciaux : Australie, Inde, Afrique du Sud et Iran. L’amiral Mérer rappelle que le terrorisme est apparu en Asie du Sud-Est en 2006. La piraterie est contenue à Malacca, grâce à l’action commune des pays riverains lancée sous la pression des Etats-Unis et du Japon. Le chantage à la fermeture des détroits, menace agitée par l’Iran en 1986-1987, peut recommencer demain. Aucun pays riverain de l’océan Indien n’étant membre du conseil permanent de sécurité de l’ONU, personne n’assume la responsabilité de sa sécurisation. Enfin, il n’existe pas d’organisation militaire comme l’OTAN ni économique comme celle de l’Association des pays de l’Asie du sud-Est.

Principaux protagonistes. L’Inde, la Chine, les Etats-Unis dans une moindre mesure et la France constituent les principales puissances attentives à la situation dans l’océan Indien. Disposant d’une grande capacité de raffinage, l’Inde exporte les produits pétroliers dérivés d’Arabie Saoudite. Toutefois, elle peine à démarrer ses programmes navals, notamment celui d’un groupe aéronaval, estime l’amiral Mérer. Elle coopère avec le Japon et l’Australie pour équilibrer la présence croissante de la Chine, mais ne semble guère capable d’assurer, avant longtemps, la régulation de l’océan qui porte son nom. De son côté, la Chine participe à la lutte contre la piraterie pour montrer sa capacité à agir dans cette zone et à défendre ses intérêts, à savoir ses réseaux d’approvisionnement en matières premières et d’exportation de biens et de services. Indifférente aux populations riveraines, elle n’a pas besoin d’expansion territoriale pour sécuriser ces routes. Ses entreprises sont bien accueillies par les Etats africains, car elles réalisent ce qu’elles promettent, respectent les délais et ne posent pas de questions sur les droits de l’Homme. La Chine développe sa flotte militaire, multiplie les accords de défense et les  grands travaux portuaires au Pakistan, au Sri Lanka et en Birmanie et envisage, à terme, d’utiliser des routes commerciales terrestres pour s’affranchir des détroits. Les Etats-Unis disposent d’une base navale sur l’île britannique de Diego Garcia et renforcent leur coopération avec l’Australie et l’Afrique du Sud, afin de surveiller la montée en puissance des autres pays de la zone. Malgré leur désengagement en Irak et en Afghanistan, ils maintiennent une présence à cause du pétrole (pays du Golfe) et du gaz (Qatar), en vue d’empêcher que l’océan Indien ne devienne « chinois » et pour garantir la protection d’Israël. La France a déployé les deux tiers de sa Marine à proximité du détroit d’Ormuz en 1986-1987. Mais a-t-elle encore la capacité d’y rester en permanence, s’interroge l’amiral Mérer. Quand il exerçait les fonctions d’Alindien en 2001 avec son quartier général sur un pétrolier-ravitailleur itinérant, la vision globale de la France avait été reconnue par le commandement naval américain. Dix ans plus tard, Alindien est installé dans la base française d’Abou Dhabi et doit maintenir ses liens avec tous les pays de la zone. Ainsi, un  solide réseau diplomatique,  la base de Djibouti (Afrique de l’Est), un bâtiment de projection et de commandement et un avion radar Atlantique 2 permettent d’assurer une présence suffisante et, éventuellement, d’agir. Madagascar, où résident 28.000 ressortissants français, est devenue une zone de non-droit en dix ans. La paupérisation accrue risque de transformer la grande île en une nouvelle Somalie avec, pour conséquences, des trafics mafieux et la  piraterie, avertit l’amiral Mérer.

Enfin, comme les transits commerciaux (pétrole et conteneurs) entre l’Est et l’Ouest de l’océan Indien se partagent entre l’Europe et les Etats-Unis, le golfe du Bengale devrait devenir une zone de prospérité après 2030, selon Paul Touret. A cette époque, anticipe Christian Buchet, la population indienne aura dépassé celle de la Chine et sera… la première du monde !

Loïc Salmon

 D’une superficie de 75 Mkm2, l’océan Indien est le seul à porter le nom d’un pays. Il est bordé : au nord par l’Inde, le Pakistan et l’Iran ; à l’est par la Birmanie, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et l’Australie ; au sud par l’océan glacial Antarctique ; à l’ouest par l’Afrique et la péninsule arabique. Pa convention, ses frontières se situent au cap des Aiguilles pour l’Atlantique, à l’île de Tasmanie pour le Pacifique et au 60ème parallèle Sud pour l’Antarctique. Ses rives accueillent 40-50 % de la population mondiale.




Asie-Pacifique : présence militaire française accrue

Ses moyens d’action et son influence dans la zone Asie-Pacifique permettent à la France, seule nation européenne riveraine, d’y préserver ses intérêts et de contribuer à la sécurité régionale.

Le contre-amiral Jean-Mathieu Rey, commandant sur zone, l’a expliqué lors d’une visioconférence organisée avec Paris, le 30 mars 2021, par le Centre d’études stratégiques de la Marine.

Zone « crisogène ». Nouveau centre de gravité du monde, l’océan Pacifique est devenu le théâtre d’enjeux économiques et stratégiques entre les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Inde, indique l’amiral Rey. Les pays riverains du Pacifique regroupent 50 % de la population mondiale. Les ports asiatiques déchargent 61 % des marchandises transportées par mer, alors que le trafic transatlantique stagne. Le réchauffement climatique va bientôt permettre de relier l’Europe à l’Asie par le passage maritime du Nord-Est, où l’exploitation des ressources sous-marines se développe. Dans un contexte de tension commerciale avec les Etats-Unis, la Chine valorise ses « nouvelles routes de la soie » vers l’Europe. Toutefois, la crise sanitaire consécutive à la pandémie du Covid-19 rend plus complexe la situation pendant les escales. En outre, les Etats insulaires du Pacifique Sud connaissent de plus en plus de cyclones et de tsunamis. Les contestations territoriales perdurent, notamment au sujet des îles Kouriles entre le Japon et la Russie et des Senkaku entre le Japon, Taïwan et la Chine. A lui seul, l’archipel des Spratleys et sa zone économique exclusive (ZEE), qui recèle du pétrole, du gaz et de vastes ressources halieutiques, sont revendiqués par Brunei, la Malaisie, les Philippines, le Viêt Nam, Taïwan et la Chine. Celle-ci construit, sur cette zone, des aérodromes militaires sur des atolls « poldérisés » et des îlots artificiels reposant sur des récifs d’ordinaire submergés : Johnson South, travaux commencés en 2008 et achevés en 2016 ; Fiery Cross Reef, (2014-2018) ; Subi Reef (2015-2018) ; Mischief Reef (2015-2018) ; Woody Island (2018). Le Viêt Nam a installé une base aérienne à Truong Sa Lon entre 2013 et 2018. Outre la poursuite du programme nucléaire spécifique de la Corée du Nord, la zone Asie-Pacifique connaît une militarisation générale croissante avec l’augmentation du nombre de sous-marins, de l’activité spatiale et des missiles hypervéloces en développement. S’y ajoutent le terrorisme dans les Célèbes et en mer de Chine, le narcotrafic entre l’Amérique du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie et aussi la surpêche par des bateaux-usines restant jusqu’à deux ans sur zone.

Présence française. Selon l’amiral Rey, la zone à surveiller s’étend sur 5 Mkm2, où la liaison maritime sur l’Extrême-Orient dure une semaine à partir de la Nouvelle-Calédonie et deux depuis Tahiti. Environ 500.000 ressortissants vivent en Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie française. S’y ajoutent les expatriés, dont 130.000 en Asie-Pacifique, 234.000 en Amérique du Nord et 147.000 en Amérique du Sud. Pour les protéger ainsi que la ZEE française (pêche), les forces permanentes pré-positionnées en zone Indo-Pacifique totalisent 6.800 militaires, 15 bâtiments de la Marine nationale, 22 avions de transport et 16 hélicoptères. Elle se renforcent périodiquement par : le groupe aéronaval ; la mission « Jeanne d’Arc » de l’Ecole d’application des officiers de marine ; une frégate ; un sous-marin nucléaire d’attaque (3 mois sur zone) ; un avion de transport polyvalent A400M de l’armée de l’Air et de l’Espace avec un avion ravitailleur C135 (2 à 3 semaines tous les 3 mois). Il s’agit d’entretenir une bonne connaissance de la zone pour éviter des réactions hostiles de la part des pays riverains qui, dans le respect du droit international de la mer, « marquent » les navires français. Ceux-ci n’entrent pas dans les espaces contestés (voir plus haut), mais contribuent au maintien de la liberté de navigation ailleurs. Ainsi, en avril 2019, la frégate de surveillance Vendémiaire a été « marquée », au plus bas niveau possible pour réduire les risques, lors du franchissement du détroit international de Taïwan, fréquenté par des centaines de bateaux de pêche de divers pavillons. Une autre suivra. La France, souligne l’amiral Rey, maintient son autonomie stratégique jusqu’au Pacifique par sa présence en océan Indien : au Nord avec 2.100 militaires, 11 avions et 8 navires dans les bases de Djibouti et d’Abou Dhabi ; au Sud avec 1.900 militaires, 5 navires, 2 avions et 2 hélicoptères à La Réunion. Au cas où la Nouvelle-Calédonie quitterait la République française par référendum, celle-ci ne disposerait plus que des bases de La Réunion et de la Polynésie française dans l’hémisphère Sud, compliquant notamment la coopération avec les pays partenaires du Pacifique Sud.

Coopération internationale. Il s’agit d’opérer en bonne intelligence avec tous les protagonistes de la zone Asie-Pacifique, souligne l’amiral Rey. La lutte contre la drogue, coordonnée avec le Chili, le Mexique et l’Equateur, porte sur une partie des trafics de l’Amérique du Sud et de l’Australie vers le continent nord-américain. Exercices conjoints de haut niveau pour renforcer l’interopérabilité, dialogues entre états-majors et commandeurs, soutiens mutuels et opérations coordonnées sont organisés avec les Etats-Unis, l’Australie et le Japon. Pour prévenir un contrôle de l’Asie du Sud-Est par la Chine, qui construit l’équivalent en tonnage de la Marine française tous les quatre ans, les partenariats stratégiques s’intensifient avec Singapour, la Malaisie, le Viêt Nam et les Philippines. Enfin, la lutte contre la prolifération nucléaire de la Corée du Nord concerne les Etats-Unis, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne et…la France !

Loïc Salmon

Le « Commandement Pacifique des Etats-Unis » (USPACOM), installé à Hawaii, inclut des unités des armées de Terre, de l’Air, de la Marine et du Corps des marines. Il dispose notamment de 375.000 militaires et de 5 groupes aéronavals. L’USPACOM a pour mission de veiller au respect des traités de défense conclus entre les Etats-Unis et les Philippines (1952), l’Australie et la Nouvelle-Zélande (1952), la Coré du Sud (1954) et le Japon (1960). La VIIème Flotte, basée au Japon, opère dans le Pacifique Ouest et l’océan Indien. Outre de nombreux destroyers et frégates, la Marine chinoise compte 2 porte-avions et bientôt un 3ème ainsi qu’une capacité amphibie et une infanterie de marine (40.000 hommes en 2017). En outre, elle dispose de facilités navales en Birmanie, au Bangladesh et au Pakistan ainsi qu’une base permanente à Djibouti. La Marine japonaise dispose de plus d’une centaine de navires de combat, dont 2 porte-hélicoptères et 18 sous-marins, ainsi qu’une base navale permanente à Djibouti pour 2 frégates et 2 avions de patrouille maritime. La Marine australienne compte 2 porte-aéronefs, 6 sous-marins et une dizaine de frégates. La Marine néo-zélandaise comprend notamment 1 bâtiment amphibie, 2 frégates et 6 patrouilleurs. Outre des frégates, corvettes et patrouilleurs, la Marine malaisienne compte 2 navires amphibies et 2 sous-marins Scorpène (origine française). Outre des frégates et des patrouilleurs, la Marine chilienne comprend 4 sous-marins (2 Scorpène), 1 transport de chalands de débarquement et 5.200 soldats d’infanterie de marine.

Océan Indien : les forces françaises aux EAU, surveillance et coopération opérationnelle

Chine : risque de conflit armé dans le détroit de Taïwan

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité




14 juillet 2018 : l’engagement citoyen et patriote

L’édition 2018 du traditionnel défilé sur les Champs-Elysées à Paris met en valeur le caractère collectif (esprit d’équipe et interopérabilité), solidaire (blessés, familles et anciens) et international de l’engagement pour la défense et la sécurité de la France.

Le général de corps d’armée Bruno Le Ray, gouverneur militaire de Paris, a présenté le défilé à la presse le 28 juin à Paris. Le dispositif militaire « Sentinelle » de protection contre le terrorisme a été adapté, en coordination avec la Police et la Gendarmerie.

La coopération internationale. Cette année, le Japon et Singapour sont à l’honneur. Leurs emblèmes, à savoir un détachement de sept militaires autour du drapeau, ouvrent le défilé des troupes à pied en compagnie d’un emblème de la Marine française. Le 13 juillet, une visite a été organisée à la base aérienne 942 de Lyon-Mont Verdun pour le Premier ministre Lee Hsien Loong et son chef d’état-major, à l’occasion du renouvellement pour vingt ans de l’accord de défense bilatéral, justifiant la présence en France de forces aériennes de Singapour à des fins d’entraînement. Chargé de la formation avancée des pilotes de chasse, le Squadron 150 de Singapour compte une centaine de militaires qui, avec les familles, constituent une communauté de 300 personnes vivant au Sud du bassin d’Arcachon. Le défilé aérien inclut un avion d’entraînement avancé M346 singapourien, un avion d’entraînement ou d’attaque au sol Alphajet belge et de trois avions allemands de transport tactique (C160 Transall, A400M et C130J Super Hercules). Un premier escadron franco-allemand doit voir le jour sur la base aérienne105 d’Evreux en 2021. Une compagnie franco-espagnole de gendarmes, dite « compagnie Valdemoro », défile à pied. En effet, selon un partenariat bilatéral, une formation commune est dispensée aux gendarmes français et aux gardes civils espagnols. Dans le défilé motorisé, des blindés belges sont incorporés à ceux du 152ème Régiment d’infanterie. Enfin, dans le cadre de la coopération entre la France et la Grande-Bretagne, la 1ère Division de l’armée de Terre française, compte un officier général adjoint de nationalité britannique, qui défile dans le véhicule de commandement.

Les hommages. L’édition 2018 du défilé militaire marque divers anniversaires : le 130ème des troupes de montagne, le 70ème des opérations de maintien de la paix de l’ONU, le 50ème de l’équipe de voltige de l’armée de l’Air et le 20ème de l’escadron singapourien à la base aérienne 120 de Cazaux. Parmi les participations exceptionnelles, figurent : l’avion multi-rôles (transport et ravitaillement en vol) Airbus A330 ; le commandement de la cyberdéfense ; les centres d’instruction élémentaire de conduite ; la Musique de la flotte ; le service militaire adapté ; une formation des hôpitaux d’instruction des armées ; deux avions à décollage et atterrissage courts Pilatus PC6 de l’Aviation légère de l’armée de terre, inclus dans le défilé des hélicoptères. En outre, 305 personnels militaires et civils appartenant aux 13 unités ayant participé à l’opération « Irma » d’assistance aux Antilles, ravagées par le cyclone du même nom (septembre 2017), participent au défilé. D’une durée de deux heures, ce dernier totalise 4.290 personnels défilant à pied, 220 véhicules, 250 cavaliers de la Garde républicaine, 64 avions et 30 hélicoptères. Par ailleurs, chaque année, à l’occasion du 14 juillet, le Souvenir Français rend hommage aux 19 présidents de la République décédés et inhumés en France, dont 7 à Paris.

Loïc Salmon

14 juillet 2017 : « opérationnels ensemble » en interarmées, interministériel et international

14 juillet 2016 : les engagements militaire, sécuritaire et national




Espace : système GEOTracker®, surveillance optique renforcée

Le ministère des Armées et ArianeGroup ont signé, le 16 décembre 2021 à Paris, un contrat de surveillance renforcée de l’espace sur des orbites de 2.000 km à 36.000 km par GEOTracker®, pour réagir vite et efficacement aux menaces émergentes.

André-Hubert Roussel, président exécutif d’ArianeGroup, le responsable Défense et son adjointe ont présenté ce système à l’Association des journalistes de défense le 15 décembre à Paris.

Système GEOTracker®. Ce contrat constitue une extension, financée par le Commandement de l’espace (CdE), de celui sur le service de données de positionnement, d’orbitographie et d’analyse de 2017. ArianeGroup dispose d’un réseau mondial de capteurs optiques et d’un centre de commande et de contrôle centralisé, qui automatise et traite rapidement les données orbitales. GEOTracker® fournit une couverture permanente à 360 °, qui permet au CdE de détecter, suivre et contribuer à la caractérisation d’objets spatiaux, actifs ou inactifs, afin d’établir la situation spatiale et de protéger les satellites français. En 2021, se déplacent dans l’espace : 1.500 satellites actifs et 2.900 inactifs ; 23.000 objets supérieurs à 10 cm ; 500.000 entre 1 cm et 10 cm ; plusieurs millions de débris inférieurs à 1 cm. Parmi les satellites, 41 % sont américains, 13 % chinois, 12 % européens, 9 % russes, 4 % japonais et 21 % divers. GEOTracker® utilise le laser et l’intelligence artificielle pour détecter le comportement d’un satellite qui, s’il se déplace, effectue une mission particulière. Du 8 au 12 mars 2021, GEOTracker® a participé à l’exercice tactique et opératif d’entraînement aux opérations spatiales militaires « Aster’X », piloté par le CdE sur le site de Toulouse du Centre national d’études spatiales. Un exercice similaire est prévu en 2022. Cela permet de voir les équipements, défensifs et offensifs, des satellites en orbite, d’établir la situation sur une zone géographique et d’envisager des scénarios d’attaque. Vu qu’un satellite parcourt plusieurs dizaines de km en quelques secondes, la surveillance permanente de 100.000 objets nécessite une réflexion, au niveau européen, sur la mise en œuvre et le partage de moyens à améliorer, afin de tenir une situation en temps réel. Déjà, en juin 2021, la Commission européenne a sélectionné ArianeGroup pour les projets de surveillance spatiale « Sauron » et « Integral ». D’ici à 2025, GEOTracker® disposera d’un grand réseau de télescopes répartis sur une vingtaine de stations sol pour réaliser un catalogue de plusieurs milliers d’objets.

Lanceurs et missiles. ArianeGroup, co-entreprise à parité du constructeur aéronautique européen Airbus et du motoriste aéronautique et spatial français Safran, emploie 8.800 personnes (filiales comprises) en France et en Allemagne et a réalisé un chiffre d’affaires de 2,7 Mds€ en 2020. Il assure la maîtrise d’œuvre des lanceurs européens civils Ariane 5 et Ariane 6, des recherche et développement à l’exploitation. Pour la dissuasion nucléaire de la France, il contrôle le cycle de vie, des études amont au démantèlement, des missiles balistiques M51 de la Force océanique stratégique et en effectue l’adaptation permanente au contexte stratégique et aux systèmes de défense des grandes puissances nucléaires. Par ailleurs, ArianeGroup conçoit les futurs « planeurs hypersoniques », destinés aux frappes dans la profondeur et que développent les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Lancés d’un avion, d’un sous-marin ou d’une plateforme mobile, ils parcourront environ 4.000 km à 60-80 km d’altitude dans une atmosphère raréfiée.

Loïc Salmon

Espace : « Keraunos », le laser pour la communication optique

Espace : un commandement dédié pour comprendre et agir

Espace : sécurisation en question et dissuasion nucléaire




Stratégie : contexte évolutif de la dissuasion nucléaire

Malgré les guerres civiles et conflits régionaux, la dissuasion nucléaire, instrument de rapport de force entre puissances, connaît miniaturisation technique et évolution doctrinale.

Ces questions ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 6 décembre 2018 à Paris, par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques. Y sont notamment intervenus : l’ambassadeur Philippe Errera, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ; Benoît d’Aboville, ancien ambassadeur à l’OTAN et vice-président de la Fondation pour la recherche stratégique ; le général de brigade aérienne (2S) Jean-Vincent Brisset, Institut de relations internationales et stratégiques.

La Russie. Depuis 2000, explique l’ambassadeur Errera, la Russie a entrepris de moderniser les vecteurs de ses forces nucléaires sur les plans quantitatif et qualitatif : missiles balistiques intercontinentaux, sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et composante aéroportée. Face à ce qu’elle considère comme une menace euro-atlantique, elle développe le futur missile stratégique mobile MX229 à propulsion nucléaire. Malgré le traité de 1990 conclu avec les Etats-Unis sur la disparition des armes nucléaires tactiques, la Russie en a conservé et a annoncé, en 2018, la mise au point de torpilles nucléaires. Parallèlement, elle a poursuivi la modernisation de ses forces conventionnelles. En octobre dernier, elle a démontré ses capacités de déploiement opérationnel de moyens terrestres, de tir aérien et de lancement de missiles à longue portée à partir de sous-marins. En outre, la doctrine de défense a évolué après les interventions occidentales au Kosovo (1998-1999) et en Afghanistan (2001-2014), qui lui ont fait prendre conscience de la faiblesse de sa capacité militaire conventionnelle. Dès 2000, la doctrine officielle envisage la possibilité d’un conflit nucléaire et, pour les conflits régionaux, celle d’une escalade nucléaire. En 1999, des manœuvres ont simulé un conflit conventionnel de grande ampleur. En 2010, elles ont inclus un volet nucléaire. En cas de conflit régional proche de ses frontières, indique l’ambassadeur, la Russie pourrait utiliser une arme nucléaire de faible puissance pour amener l’adversaire à renoncer à l’action militaire, puis manifester sa volonté politique de recourir à l’arme stratégique contre les capitales occidentales. En outre, sa puissance aérienne lui donne la capacité de déni d’accès. L’intégration de la capacité nucléaire aux forces conventionnelles accroît sa liberté d’action, tout en diminuant celles des pays occidentaux par des manœuvres d’intimidation et de déstabilisation intérieure. Ainsi, en 2015, elle a averti qu’elle reconfigurera ses lignes de défense si la Suède et la Finlande rejoignent l’OTAN. De plus, elle attaquera les bâtiments militaires du Danemark en cas de présence du bouclier américain anti-missiles sur son sol. Cette évolution de la doctrine va de pair avec la remise en cause d’accords bilatéraux et multilatéraux. Par exemple, souligne l’ambassadeur, l’annexion de la Crimée constitue une violation de l’engagement des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Russie à garantir la sécurité de l’Ukraine.

Les Etats-Unis. Le débat sur le partage du fardeau financier de l’OTAN remonte à l’administration Kennedy (1960-1963), rappelle l’ambassadeur d’Aboville. L’administration Carter (1977-1981) a préconisé une participation des pays membres égale à 3 % de leur produit intérieur brut. L’administration Trump veut la porter à 4 %, alors que les Etats-Unis investissent déjà 1 % de leur part en Europe même. Quoique ces derniers souhaitent une plus grande implication de l’Europe dans l’OTAN, ils maintiennent des troupes chez elle. L’ordre européen, instauré après la dislocation de l’URSS (1991), peut être remis en cause par la Russie. Elle le démontre par son différend avec l’Ukraine et n’exclut pas un chantage nucléaire, comme en 2014. La Pologne, inquiète, se dit prête à verser 2 Md$ pour l’accueil d’une brigade blindée américaine (3.000 personnels), alors que 1.000 GI s’y trouvent déjà. Selon l’ambassadeur, l’OTAN se présente comme un « mix » du bouclier antimissiles et de décisions en matière d’armement nucléaire. L’administration Obama (2009-2017) a lancé des programmes de modernisation des missiles stratégiques, que l’administration Trump veut élargir aux armes de faible puissance. En octobre 2018, les Etats-Unis se sont retirés du traité de 1981 sur les forces nucléaires intermédiaires (entre 500 et 1.000 km de portée), l’estimant violé par la Russie depuis 2014 et qui n’inclut pas la Chine.

L’Asie. Après son essai nucléaire en 1964, la Chine a élaboré une doctrine de frappe en second anti-cités. Depuis 1990, elle envisage un usage en premier en cas de menace contre ses intérêts vitaux (villes, centres de décision politique et installations nucléaires) et le déni d’accès en mer, notamment contre les porte-avions américains (Livre blanc 2015). Elle dispose d’au moins 250 ogives nucléaires, dont 200 pour les missiles balistiques sol-sol, 30 pour les SNLE et 20 pour le bombardement stratégique. Elle travaille sur le leurrage et les missiles « « MIRV », équipés de plusieurs têtes nucléaires à trajectoires indépendantes après leur rentrée dans l’atmosphère. La Corée du Nord, aidée dès 1952 par l’URSS, a poursuivi seule son programme nucléaire et procédé à six essais entre 2006 et 2017. Pourtant, l’administration Obama a retiré la garantie du parapluie nucléaire américain à la Corée du Sud et au Japon. Ce dernier pourrait développer très rapidement une capacité nucléaire. Taïwan a renoncé à s’en doter. L’Inde a lancé un programme nucléaire civil dès 1948, avec l’aide des Etats-Unis et du Canada. Son programme militaire a été décidé après son conflit contre la Chine en 1962 et l’explosion de la bombe atomique chinoise deux ans plus tard. Son premier tir nucléaire, en 1974, a été suivi du lancement d’un programme spatial. Après le succès de ses cinq essais en 1998, elle dispose aujourd’hui d’une triade, terrestre, aérienne et sous-marine, dirigée contre la Chine et le Pakistan. Ce dernier a bénéficié d’un soutien, matériel et non pas militaire, de la Chine au cours de ses trois guerres contre l’Inde. Il a effectué également cinq essais nucléaires en 1998, en réplique à ceux de l’Inde. Le Pakistan envisage l’utilisation strictement tactique de l’arme nucléaire, qu’il peut tirer à partir d’un sous-marin. Sa capacité technique nourrit la crainte d’une « bombe atomique islamique », montée sur un missile balistique chinois.

Loïc Salmon

La Fondation pour la recherche stratégique a répertorié les « crises nucléaires » depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le niveau d’alerte a été élevé lors de six d’entre elles : Berlin, 1948 ; Asie du Sud, 1971 ; Kippour, 1973 aux Etats-Unis et en Israël ; Able Archer, 1983 en URSS ; Cachemire, 1990 ; Kargil, 1999 en Inde et au Pakistan. Trois autres crises ont donné lieu à une planification de circonstance, sans emploi sérieusement envisagé : Dien Bien Phu, 1954 ; Viêt Nam, 1969 ; Golfe arabo-persique, 1980 ; Golfe arabo-persique, 1991. L’emploi de l’arme nucléaire a été sérieusement envisagé à quatre occasions : Corée, 1950-1953 ; Formose, 1954-1955 ; Formose, 1958 ; Cuba, 1962.

Chine et Russie : affirmations de puissance et difficultés internes

Baltique : Suède et Finlande, de la neutralité à l’engagement




Exposition « De l’Asie à la France libre » aux Invalides

Joseph et Marie Hackin, connus pour leurs travaux archéologiques en Afghanistan dans les années 1930, ont été nommés « compagnons de la Libération » à titre posthume. C’est le seul couple de l’Ordre de la France libre.

Le « savant combattant ». D’origine luxembourgeoise, Joseph Hackin (1886-1941), diplômé de l’Institut commercial de Paris, entre en 1905 à l’Ecole libre des sciences politiques (section économique et sociale). Son intérêt pour les civilisations orientales s’éveille par ses fréquentes visites au musée Guimet, place d’Iéna et proche du domicile familial. Cela l’incite à choisir un sujet de fin d’études politiques original : « Une phase de l’histoire comparée des religions (de l’Iran et du Japon) ». Il entretient une correspondance avec Emile Guimet, dont le nom est associé à celui des Arts asiatiques qu’il a fondé en 1888 à partir des collections amassées au cours de ses voyages. Engagé comme secrétaire d’Emile Guimet et diplômé de « Sciences-Po » en 1907, Joseph Hackin continue des études historiques et philologiques en sanscrit et en tibétain à l’Ecole pratique des hautes études. Une fois diplômé en 1911, il commence une thèse de doctorat sous la direction de son professeur de sanscrit, Sylvain Lévi, professeur au Collège de France. L’obtention de la nationalité française l’année suivante, grâce aux relations d’Emile Guimet, lui permet d’être embauché au musée Guimet comme conservateur-adjoint en 1913. Considéré comme trop âgé (27 ans !), il est dispensé de service militaire…mais pas de la mobilisation générale au début de la première guerre mondiale. Fantassin de 2ème classe en août 1914, il la termine comme lieutenant commandant de compagnie, au terme d’un long parcours de combattant : bataille de la Marne (1914) ; offensive en Artois (1915) ; Verdun (1916-1917) ; Serbie (1918) ; Ukraine (1919). Titulaire de la croix de Guerre (deux citations) et chevalier de la Légion d’honneur, il a été blessé trois fois (1915, 1916 et 1918). Il consacre une année complète de soins à continuer puis présenter, en 1916, sa thèse intitulée « Scènes figurées de la vie de Bouddha d’après les peintures tibétaines ». Son propre courage physique lui fera dire que « le danger mesure exactement la valeur de la personnalité humaine ». Dans ses carnets de guerre, il analyse, à partir de son expérience du combat, les raisons de son attachement à la France qui justifient de « tenir envers et contre tout ». Démobilisé en 1919, il revient au musée Guimet, dont il devient le conservateur quatre ans plus tard. Il en enrichit les collections et le réorganise avec deux galeries d’archéologie khmère et une salle dédiée aux fouilles du monastère de Hadda (Afghanistan). La bibliothèque devient un centre de recherche grâce à l’acquisition de nombreux ouvrages. En 1928, il épouse Marie Parmentier (1905-1941), elle aussi de famille luxembourgeoise. Arrivée à Paris quelques années plus tôt, Marie suit les cours de l’Ecole du Louvre en auditrice libre et réside avenue d’Iéna, près du musée Guimet. Naturalisée française par son mariage, elle participe aux recherches de Joseph, tant dans ses missions en Asie que pour ses travaux scientifiques au musée Guimet.

Les grands voyageurs. En 1924, Joseph Hackin effectue sa première mission en Afghanistan et vit « l’archéologie comme un sport », écrit-il dans ses carnets. Il se rend notamment dans la vallée de Bamyan, où il réalise sa première étude sur les Bouddhas géants. Il participe aux fouilles dans le Sud de Bagram et y découvre, dans le monastère de Païtava, un « Bouddha au grand miracle » (photo). Cette stèle révèle l’extension en Afghanistan de l’art bouddhique, venu de l’Inde et marqué par les influences iranienne, grecque et romaine. Elle représente Sâkyamouni, le Bouddha historique, qui manifeste sa puissance devant l’assemblée des maîtres « hérétiques » en accomplissant des miracles. Le lotus de la Loi est gravé dans la paume de sa main droite levée. Les dieux hindous Indra et Brahma tiennent un parasol au-dessus de sa tête, en signe de révérence. Deux petits bouddhas, assis en méditation, l’encadrent pour accentuer son aspect monumental. Cette campagne de fouilles va profondément marquer Joseph Hackin qui, rentré en France en 1925, se détourne du Tibet au profit de l’Afghanistan. Quatre ans plus tard, il repart pour Kaboul diriger les fouilles de la Délégation française en Afghanistan, en compagnie de Marie et de l’architecte Jean Carl. Lors des événements liés à la prise de pouvoir par Nadir Shah, sa participation, l’arme à la main, à la protection de la légation française, lui vaut une promotion au grade d’officier de la Légion d’honneur. Ensuite, il organise la remise en ordre du musée de Kaboul et explore les sites de Bamiyan et de Kakrak. De 1930 à 1933, à la tête de la Maison franco-japonaise à Tokyo, Joseph y dirige l’action intellectuelle de la France au Japon. De mai 1931 à février 1932, il accompagne la mission Citroën Centre-Asie (la « Croisière jaune ») à travers l’Afghanistan, l’Himalaya et la Chine, où il acquiert des sculptures chinoises et tibétaines pour les musées Guimet et du Louvre. Rentré en France en 1933, il devient titulaire de la chaire d’art et d’architecture de l’Inde à l’Ecole du Louvre. Pendant quatre autres missions en Afghanistan et son séjour au Japon, Marie photographie et filme paysages, découvertes et gens.

Les Résistants. En Afghanistan en 1939, Joseph Hackin est mobilisé sur place comme officier de liaison auprès de la légation de France à Kaboul. En désaccord avec l’armistice de juin 1940, il informe de son ralliement le général de Gaulle, qui lui demande de le rejoindre à Londres. Le couple y arrive mi-octobre après un voyage de 20.000 km via l’Afrique du Sud. Joseph s’engage dans les Forces françaises libres le 19 octobre et Marie le 26 décembre. Début 1941, Joseph est chargé d’entrer en contact avec le gouvernement de l’Inde, de mettre de l’ordre entre les groupes rivaux de la France libre des comptoirs français, premiers ralliés de l’Empire colonial français, et d’établir des relations avec les gouvernements de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. Le 20 février, Marie embarque avec lui comme secrétaire sur le Jonathan-Holt. Ils disparaissent lors de son torpillage par un sous-marin allemand le 24 février au large des Îles Féroé.

Loïc Salmon

De l’Asie à la France libre

La Résistance en Europe, les combattants de l’ombre

L’exposition « De l’Asie à la France libre » (15 juin-16 septembre 2018) est organisée par et dans le musée de l’Ordre de la Libération aux Invalides à Paris. Elle présente des photographies, documents, objets et archives cinématographiques sur la « Croisière jaune » à travers l’Asie centrale jusqu’à Pékin (avril 1931-février 1932) et la destruction des Bouddhas de Bamyan (Afghanistan) par les talibans (mars 2001). L’ensemble provient des collections des musées des Arts asiatiques-Guimet, du Quai Branly-Jacques Chirac, de l’Armée, d’Art moderne-Centre Pompidou et de la Photographie, du Service historique de la défense, des Archives nationales et de la Cinémathèque française. Le musée de l’Ordre de la Libération accueille en moyenne 100.000 visiteurs par an. Il dispose de collections permanentes et d’un centre de recherches et de documentation : dossiers individuels de compagnons de la Libération ; collection de presse et périodiques ; 6.500 ouvrages ; 30.000 photographies. (www.ordredelaliberation.fr)




Aéronautique militaire : technologie, stratégie et concurrence accrue

L’aviation de combat, qui intégrera les dimensions spatiale et cybernétique, fait l’objet d’interactions politiques, diplomatiques, technologiques et industrielles entre pays de l’OTAN, Russie, Chine, Corée du Sud et Japon.

Ce thème a été abordé lors d’un colloque organisé, le 6 juin 2019 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à l’occasion du Salon international de l’aéronautique et de l’espace de Paris-Le Bourget (17-23 juin 2019). Y sont notamment intervenus : Philippe Segovia, directeur programme SCAF France chez Airbus Defence & Space ; Emmanuelle Maître, chargée de recherche à la FRS ; Isabelle Facon, directrice adjointe de la FRS et maître de recherche ; Kévin Martin, chargé de recherche à la FRS. Josselin Droff, chercheur à la chaire économie de défense de l’Institut des hautes études de défense nationale.

Le SCAF. La décision politique franco-allemande de juillet 2017 sur le programme SCAF (système de combat aérien futur) a été suivie de la notification, à Dassault Aviation et au consortium européen Airbus, d’une étude de concept commune qui a démarré en février 2019, rappelle Philippe Segovia. A l’horizon 2040, l’architecture du SCAF se composera du futur avion de combat connecté à des satellites d’observation, un avion d’alerte avancé AWACS, un essaim de drones, un avion CUGE (capacité universelle de guerre électronique) et aux chasseurs Rafale et Eurofighter Typhoon modernisés. Il évoluera dans « l’Air Combat Cloud », à savoir un réseau reliant tous les capteurs, effecteurs (appareils de combat) et centres de commandement et de conduite (C2) dans les domaines aérien, spatial et cyber. Cette connectivité, par radio, liaison tactique 16 et moyens de communications hybrides à grand débit, produira des quantités de données considérables à traiter par l’intelligence artificielle pour en obtenir l’information qui aidera à la décision par l’homme. L’Air Combat Cloud va accélérer la boucle OODA (observer, orienter, décider et agir) du C2 pour démultiplier les effets militaires possibles. Le futur avion de combat sera décliné en deux versions avec des périmètres spécifiques de missions : dissuasion nucléaire, opérations à partir du porte-avions Charles-de-Gaulle, cryptographie nationale et informations réservées pour la version française ; rôle dans le partage nucléaire de l’OTAN, cryptographie nationale et informations réservées pour la version allemande. L’approche « système de systèmes » fera passer du combat « connecté » au combat « collaboratif » avec les forces aériennes, maritimes et terrestres alliées. Le SCAF, « cybersécurisé », inclut le développement de standards européens, souverains et interopérables avec les moyens existants, pour partager l’information nécessaire à la mission.

La mission nucléaire de l’OTAN. Après le rattachement de la Crimée à la Russie en 2014, le sommet de l’OTAN de 2016 a rassuré les pays membres sur l’engagement nucléaire américain en cas de conflit sur le théâtre européen, rappelle Emmanuelle Maître. Ce facteur joue en effet un rôle important dans l’acquisition d’avions de défense aérienne par les pays qui accueillent des bases de l’OTAN, où sont entreposées des armes nucléaires américaines. Il s’agit de celles de Kleine Brogel en Belgique, de Volkel aux Pays-Bas, de Blüchel en Allemagne, de Ghedi Torre et d’Aviano en l’Italie et d’Incirlik en Turquie. Ces pays mettent en service des avions de chasse américains ou européens, à remplacer vers 2025. La Belgique, qui déploie des F-16 A/B américains, a décidé en 2018 d’acheter 34 avions américains multi-rôles F-35 A de 5ème génération. Les Pays-Bas, équipés de F-16 A/B, ont commandé 37 F-35 A, dont 3 ont déjà été livrés. L’Allemagne, équipée de PA200 Tornado du consortium européen Panavia (Allemagne, Italie et Grande-Bretagne), a déjà acquis des Typhoon, construits par Eurofighters GmbH (Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne). L’Italie, équipée de Tornado, a reçu 11 F-35 A sur une commande de 90 appareils, mais pourrait réduire cette dernière pour des raisons budgétaires. La Turquie, équipée de F-16, a déclaré son intention d’achat de 100 F-35, mais la livraison des 30 premiers déjà commandés est bloquée par le gouvernement américain, pour des raisons politiques (voir plus loin).

La diplomatie russe des systèmes sol-air. En prévision d’éventuelles frappes aériennes de l’OTAN contre ses centres stratégiques clés, la Russie a déployé des systèmes sol-air S-300 et S-400 dans l’enclave de Kaliningrad, face aux espaces aériens de la Pologne et de la Finlande, indique Isabelle Facon. En outre, elle a vendu le S-300 à une vingtaine de pays, dont l’Iran, le Viêt-Nam, la Chine, l’Algérie et la Grèce, et le S-400 à l’Inde, la Chine et la Turquie. Ce dernier, déployé en Syrie en 2018, suscite l’intérêt du Qatar, des Emirats arabes unis, de l’Irak, de l’Egypte et de l’Iran. La Russie renforce ainsi son implantation au Moyen-Orient et met à mal la solidarité de certains membres de l’OTAN (Grèce et Turquie). Elle s’affirme comme puissance technologique et industrielle face à la concurrence de la Chine dans le domaine des systèmes anti-aériens. Elle coopère avec la Corée du Sud sur une version modernisée du S-300, moins chère que le S-400. Toutefois, elle ne vend que des versions dégradées du S-300, pour protéger sa technologie, et la mise en service du S-400 prend du retard.

Les dynamiques asiatiques. Chine, Corée du Sud et Japon, qui ont constitué leur propre base industrielle de technologie de défense, intègrent les transferts de technologie dans leurs programmes sous maîtrise d’œuvre nationale, explique Kévin Martin. La Chine en a lancé un en partenariat avec le Pakistan pour développer l’avion de chasse JF-17, destiné à l’armée de l’Air pakistanaise et vendu à la Birmanie et au Nigeria. La Corée du Sud s’est associée à l’Indonésie pour la production du chasseur KF-X. Ce programme nécessitait des transferts de technologies américaines, demandés dans le cadre de négociations sur l’achat du F-35, mais certains ont été refusés dont le radar à antenne active AESA. Le Japon, qui s’interdit toute exportation d’armes, a construit sous licence les chasseurs américains F-4 et F-15 avant de lancer son programme F-2, adapté du F-16 américain. Son programme F-3 serait dérivé du F-35, qu’il a commandé et dont il a déjà reçu plusieurs unités.

Loïc Salmon

Enjeux de négociations dans les accords d’accompagnement (« offsets »), les technologies de souveraineté sont recherchées par les Etats acheteurs (pays émergents) mais protégées par les Etats vendeurs et leurs entreprises, indique Josselin Droff. Pour ces dernières, les brevets, expériences et savoir-faire constituent des avantages compétitifs, qu’elles risquent de perdre par les départs de personnels ou expositions des connaissances en cas de partenariats ou d’alliances. Une étude, effectuée en 2013-2014 auprès de six grandes entreprises des secteurs aéronautique, transport, énergie, électronique et construction navale, souligne la nécessité de : maîtriser les fuites de connaissances ; sensibiliser le personnel au risque « humain » ; former les formateurs ; développer un contrôle, pour éviter la « sur-confiance » dans les barrières techniques et légales.

Aéronautique militaire : perspectives capacitaires

Défense : coopérations et BITD en Europe du Nord

Proche-Orient : retour en force de la Russie dans la région




Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Face à la montée en puissance des États-Unis en Asie-Pacifique, la Chine compte sur sa puissance économique pour s’imposer aux pays riverains. Mais ceux-ci sont passés de la dépendance des deux « Grands » à leur mise en concurrence, renforçant ainsi l’ambiguïté stratégique de la zone.

Cette situation a fait l’objet d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Y ont notamment participé Valérie Niquet, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, et Delphine Allès, professeur en sciences politiques à l’université de Paris-Est (Créteil).

Vision chinoise. La zone Asie-Pacifique se caractérise par son dynamisme et sa stabilité, contrairement au Moyen-Orient, sujet à une violence chronique, ou l’Europe, atteinte par la crise économique et financière de 2008, souligne Valérie Niquet. Le nouvel intérêt de Washington pour l’Asie, inquiète Pékin, d’autant plus qu’après sa réélection en 2012, le président Barack Obama a préféré se rendre d’abord, non pas en Chine, mais au Japon, en Corée du Sud et même au Myanmar, sphère d’influence de la Chine. Depuis l’arrivée au pouvoir du président chinois Xi Jinping la même année, les tensions se sont aggravées avec le Japon, les Philippines et le Viêt Nam. Elles font partie d’une affirmation de puissance du pays définie par le Parti communiste chinois, consécutive à une analyse des rapports de forces avec les autres pôles de puissance (États-Unis, Union européenne et Russie) et à une volonté de stabilité interne, en raison des failles du régime (inégalités et troubles sociaux). Selon Valérie Niquet, la Chine tente de rassurer ses interlocuteurs sur sa volonté de prolonger cette période d’opportunités et de paix dans la zone Asie-Pacifique, qui a assuré sa montée en puissance : interdépendance des relations économiques avec les Etats-Unis ; maintien de la stabilité en Asie par son influence sur la Corée du Nord. Mais, en même temps, Pékin affirme la défense de ses intérêts vitaux, non négociables, en mer de Chine méridionale et poursuit le « rêve chinois » d’occuper, comme du temps de l’empire, le « centre » de l’Asie… pour assurer la survie du régime communiste ! Les analystes chinois estiment que la fin de la guerre froide (1947-1989) a coïncidé en Asie avec une augmentation des tensions et même des risques de guerre. Ils dénoncent le renforcement de l’appareil de défense du Japon, l’augmentation des missions d’observation militaire des États-Unis en mer de Chine et le déploiement de bâtiments militaires des Philippines, alors que la Chine n’y envoie que des unités de garde-côtes « civils ». Malgré un climat de défiance, le partenariat avec la Russie est considéré comme stratégique, comme le montre le contrat signé le 21 mai 2014 portant sur la fourniture de gaz russe pendant 30 ans.

Vision du Sud-Est asiatique. Le retour périodique des différends territoriaux constitue une source de tensions récurrentes, explique Delphine Allès.  Ainsi, la Thaïlande et le Cambodge se disputent un territoire frontalier où se trouve le temple de Preah Vihear, classé par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité et donc susceptible d’y attirer le tourisme. En outre, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Myanmar font face à des contestations séparatistes, dues à l’héritage territorial des anciens empires, à la centralisation des États modernes et à la volonté de contrôle des ressources naturelles locales. Par ailleurs, les incidents de frontières maritimes résultent de la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) de 200 milles, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Au-delà des 12 milles des eaux territoriales, le partage se complique lorsque le plateau continental d’un pays déborde de sa ZEE. En outre, Pékin considère la mer de Chine méridionale comme partie intégrante de ses eaux territoriales. Sont alors contestées les îles inhabitées qui s’y trouvent : Paracels, Spratleys et le récif de Scarborough. Or, dans ces zones, le volume des réserves d’hydrocarbures est peu prouvé et les ressources halieutiques se révèlent modérément élevées. De plus, leur intérêt purement stratégique reste limité. D’abord, ces îles sont trop petites pour y construire des installations militaires. Ensuite, les États riverains peuvent les menacer par des missiles. Enfin, un sous-marin, caché à proximité, peut en interdire l’accès aux bâtiments de surface. Par ailleurs, les tensions sont alimentées par l’implication de puissances extérieures. En outre, depuis les années 1990, les enjeux territoriaux traditionnels des pays de la zone Asie-Pacifique sont occultés par les questions non militaires et non étatiques, où la coopération et le partage d’informations s’imposent : environnement et catastrophes naturelles ; sécurité sanitaire ; terrorisme ; migrations ; trafics illicites ; piraterie maritime. Celle-ci a diminué après l’instauration du droit de poursuite des bateaux pirates dans les eaux  territoriales d’un pays riverain. Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la sécurité humaine, à savoir le lien entre défense extérieure et sécurité intérieure, est valorisée par la communauté internationale et s’intègre dans les doctrines stratégiques des pays membres de l’ASEAN. En vue d’éviter l’internationalisation de conflits intérieurs ou bilatéraux, ceux-ci veulent dépolitiser les enjeux régionaux et favoriser la coopération stratégique. Ils augmentent leurs dépenses militaires en renouvelant leurs matériels à moindre coût auprès des États-Unis. Ils refusent de se positionner en bloc vers la Chine ou les États-Unis. Ainsi, Singapour, les Philippines et le Viêt Nam sont devenus les partenaires privilégiés des États-Unis, mais le Laos, le Cambodge et le Myanmar ont préféré la Chine. S’y ajoutent des partenariats croisés entre l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande. La Chine multiplie les efforts diplomatiques envers la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et la Thaïlande, augmente les patrouilles paramilitaires et le déploiement de pêcheurs sur zone et développe sa capacité de déni d’accès naval à Taïwan. De leur côté, les États-Unis accroissent leurs capacités aériennes et navales dans la zone, renforcent leur présence en Australie et aux Philippines, procèdent à des exercices maritimes et apportent un soutien diplomatique à l’ASEAN.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

Marine et Diplomatie

L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a été fondée en 1967 par les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande, rejoints ensuite par Brunei (1984), le Viêt Nam (1995), le Laos (1997), le Myanmar, ex-Birmanie, (1997) et le Cambodge (1999). Le Timor oriental pourrait y adhérer en 2015. La Papouasie-Nouvelle-Guinée a le statut d’observateur. Chaque année, 16 chefs d’État de la région se rencontrent au Sommet de l’Asie de l’Est, où la Russie a le statut d’observateur. « L’ASEAN Regional Forum », qui compte 26 membres, traite des questions de sécurité en Asie-Pacifique. « L’ASEAN + 3 », qui se tient pendant les sommets de l’ASEAN, inclut la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Le « Dialogue Asie-Europe » réunit de façon informelle l’ASEAN + 3 et l’Union européenne. Enfin, il existe un sommet ASEAN-Russie au niveau des chefs d’État.




Du Sabre à l’Esprit

Le guerrier, qui a assimilé les techniques individuelles et collectives, garde l’esprit libre pour mieux appréhender la réalité et renforcer son efficacité au combat.

Le « sabre », qui symbolise la technique (armes et méthodes) doit rester subordonné à « l’esprit » (dimensions intellectuelle et morale) pour gagner la guerre, à savoir rétablir la paix. Ce concept s’applique au soldat et à l’unité combattante, comme aux populations qu’ils défendent et qui les soutiennent. Il reste universel, malgré les différences culturelles. Alors que le chevalier occidental recherchait l’exploit, le héros traditionnel chinois restait discret. Selon le stratège chinois Sun Tzu (VIème siècle avant JC), le « comble du savoir-faire ne consiste pas à remporter toutes les batailles, mais à pouvoir soumettre l’armée ennemie sans livrer bataille ». Si celle-ci devient inévitable, son issue dépend des conditions météorologiques, des potentialités du terrain, de l’organisation des forces armées, de la qualité de leurs chefs et de l’engagement du peuple derrière son souverain. En Occident, Alexandre le Grand et Napoléon l’ont amplement démontré. L’essor considérable des moyens techniques militaires depuis la première guerre mondiale a créé une dépendance de leurs utilisateurs, avec le risque d’un appauvrissement de la pensée stratégique et d’un amoindrissement de la volonté de combattre. En 1992, le professeur Thomas Caokley, retraité de l’armée de l’Air américaine, a identifié sept dangers générés par la technique dans le commandement et la conduite des opérations : excès de confiance dans ses capacités ; surdose d’informations ; exigences de soutien importantes ; défauts cachés ; étroitesse de la vision ; tromperie de la vitesse ; précision illusoire. Les dommages collatéraux, qui en découlent, provoquent une perte de légitimité des forces militaires sur le terrain qui doivent pourtant les éviter, conformément au droit international des conflits armés. Cette défaillance se propage au sein des populations et sur la scène internationale…par les nouvelles techniques d’information et de communication ! Au cours de multiples situations, chaque chef met à l’épreuve sa réactivité et la sûreté de son jugement, qui s’appuient sur une solide culture générale. Celle-ci, « véritable école du commandement », apporte des références permettant de « discerner dans les choses l’essentiel de l’accessoire » (Charles de Gaulle, 1932). L’efficacité au combat dépend aussi de la condition physique des soldats, pris dans le feu de l’action, et du chef, contraint de rester lucide malgré la pression des événements et le manque de sommeil. Dépositaires de la violence légale et légitime, les militaires peuvent donner la mort, même en dehors de la légitime défense, mais dans le respect des règles d’engagement (ouverture du feu). L’instinct de combat de chacun résulte en grande partie de la réminiscence de ce qui a été appris par un entraînement mécanique et répétitif. Au niveau collectif, par exemple, l’efficacité du commandement d’un détachement interarmes en milieu urbain repose sur un entraînement intensif et réaliste. En effet, l’intensité de la pratique porte à l’assimilation de la technique, tandis que le réalisme de l’entraînement permet de faire émerger les qualités requises pour un usage approprié de la technique. Par ailleurs, l’intuition du chef, qui lui permettra de gagner la bataille (objectif opérationnel), doit aller de pair avec une étude prospective en amont sur les effets recherchés (objectif stratégique). Le « Bushidô », (« Voie du guerrier » en japonais) associe la maîtrise d’un art martial à… la réflexion éthique.

Loïc Salmon

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« Du Sabre à l’Esprit » par Matthieu Debas. Editions JPO, 192 pages, 9,90 €.