L’océan Indien : espace sous tension

L’Union européenne, l’Amérique du Sud, la Chine et le Japon, très dépendants du commerce maritime Est-Ouest, sont donc naturellement attachés à la liberté de navigation sur l’océan Indien, pourtant fragile et mal contrôlé.

C’est ce qu’a expliqué le vice-amiral d’escadre (2S) Laurent Mérer, ancien commandant de la zone maritime de l’océan Indien (Alindien), au cours d’une table ronde organisée, le 14 février 2013 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine et l’Ecole de guerre. Ont participé au débat : Hubert Loiseleur des Longchamps, directeur des affaires publiques du groupe pétrolier Total ; Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime ; Serge Beslier, ancien président du conseil d’administration de l’Agence européenne de contrôle des pêches ; Christian Buchet, directeur scientifique du programme international de recherches « Océanides ».

Tensions et menaces. Les passages resserrés sont autant de lieux  de tensions : Suez, Bab-el-Mandeb, Ormuz et Malacca. En outre, se côtoient environ quarante pays, allant de l’extrême pauvreté à la plus grande richesse sans oublier l’instabilité politique de certains Etats. Cette zone regroupe 800 millions de musulmans, répartis en Inde, Pakistan et Bangladesh. Les rivalités avec les hindous et aussi entre musulmans chiites et sunnites s’y exercent en permanence. L’hinterland est le foyer de conflits larvés et récurrents : Inde et Pakistan ; Iran et Afghanistan ; Israël et Proche et Moyen-Orient. Enfin, les Etats-Unis et la Chine, quoiqu’à la périphérie, apparaissent comme des protagonistes majeurs, en raison des flux commerciaux en général et de leurs approvisionnements, notamment pétroliers, en particulier. L’océan Indien est en effet un lieu de passage obligé du gaz et du pétrole dans les deux sens. Les opérateurs européens produisent et négocient le pétrole du Mozambique et de certains pays du golfe Arabo-Persique destiné à l’Extrême-Orient et transportent des produits dérivés, de quoi tenter une piraterie endémique. A tire d’exemple, un navire de type PSO, construit en Corée du Sud au prix de 1-1,5 Md$, peut traiter 800.000 barils par jour et en stocker 2 millions. Par ailleurs, les importantes ressources halieutiques attirent les pêches illicites. L’océan Indien est aussi devenu le premier centre de production de thon à destination de la France, qui assure une surveillance à partir de l’île de La Réunion. De son côté, l’Union européenne consacre 1 M€/an à la lutte contre la pêche illicite. Par ailleurs, par suite de l’essor de son commerce, la Chine renforce sa présence dans la région depuis les années 1990. D’autres puissances militaires jouent un grand rôle comme consommateurs et partenaires commerciaux : Australie, Inde, Afrique du Sud et Iran. L’amiral Mérer rappelle que le terrorisme est apparu en Asie du Sud-Est en 2006. La piraterie est contenue à Malacca, grâce à l’action commune des pays riverains lancée sous la pression des Etats-Unis et du Japon. Le chantage à la fermeture des détroits, menace agitée par l’Iran en 1986-1987, peut recommencer demain. Aucun pays riverain de l’océan Indien n’étant membre du conseil permanent de sécurité de l’ONU, personne n’assume la responsabilité de sa sécurisation. Enfin, il n’existe pas d’organisation militaire comme l’OTAN ni économique comme celle de l’Association des pays de l’Asie du sud-Est.

Principaux protagonistes. L’Inde, la Chine, les Etats-Unis dans une moindre mesure et la France constituent les principales puissances attentives à la situation dans l’océan Indien. Disposant d’une grande capacité de raffinage, l’Inde exporte les produits pétroliers dérivés d’Arabie Saoudite. Toutefois, elle peine à démarrer ses programmes navals, notamment celui d’un groupe aéronaval, estime l’amiral Mérer. Elle coopère avec le Japon et l’Australie pour équilibrer la présence croissante de la Chine, mais ne semble guère capable d’assurer, avant longtemps, la régulation de l’océan qui porte son nom. De son côté, la Chine participe à la lutte contre la piraterie pour montrer sa capacité à agir dans cette zone et à défendre ses intérêts, à savoir ses réseaux d’approvisionnement en matières premières et d’exportation de biens et de services. Indifférente aux populations riveraines, elle n’a pas besoin d’expansion territoriale pour sécuriser ces routes. Ses entreprises sont bien accueillies par les Etats africains, car elles réalisent ce qu’elles promettent, respectent les délais et ne posent pas de questions sur les droits de l’Homme. La Chine développe sa flotte militaire, multiplie les accords de défense et les  grands travaux portuaires au Pakistan, au Sri Lanka et en Birmanie et envisage, à terme, d’utiliser des routes commerciales terrestres pour s’affranchir des détroits. Les Etats-Unis disposent d’une base navale sur l’île britannique de Diego Garcia et renforcent leur coopération avec l’Australie et l’Afrique du Sud, afin de surveiller la montée en puissance des autres pays de la zone. Malgré leur désengagement en Irak et en Afghanistan, ils maintiennent une présence à cause du pétrole (pays du Golfe) et du gaz (Qatar), en vue d’empêcher que l’océan Indien ne devienne « chinois » et pour garantir la protection d’Israël. La France a déployé les deux tiers de sa Marine à proximité du détroit d’Ormuz en 1986-1987. Mais a-t-elle encore la capacité d’y rester en permanence, s’interroge l’amiral Mérer. Quand il exerçait les fonctions d’Alindien en 2001 avec son quartier général sur un pétrolier-ravitailleur itinérant, la vision globale de la France avait été reconnue par le commandement naval américain. Dix ans plus tard, Alindien est installé dans la base française d’Abou Dhabi et doit maintenir ses liens avec tous les pays de la zone. Ainsi, un  solide réseau diplomatique,  la base de Djibouti (Afrique de l’Est), un bâtiment de projection et de commandement et un avion radar Atlantique 2 permettent d’assurer une présence suffisante et, éventuellement, d’agir. Madagascar, où résident 28.000 ressortissants français, est devenue une zone de non-droit en dix ans. La paupérisation accrue risque de transformer la grande île en une nouvelle Somalie avec, pour conséquences, des trafics mafieux et la  piraterie, avertit l’amiral Mérer.

Enfin, comme les transits commerciaux (pétrole et conteneurs) entre l’Est et l’Ouest de l’océan Indien se partagent entre l’Europe et les Etats-Unis, le golfe du Bengale devrait devenir une zone de prospérité après 2030, selon Paul Touret. A cette époque, anticipe Christian Buchet, la population indienne aura dépassé celle de la Chine et sera… la première du monde !

Loïc Salmon

 D’une superficie de 75 Mkm2, l’océan Indien est le seul à porter le nom d’un pays. Il est bordé : au nord par l’Inde, le Pakistan et l’Iran ; à l’est par la Birmanie, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et l’Australie ; au sud par l’océan glacial Antarctique ; à l’ouest par l’Afrique et la péninsule arabique. Pa convention, ses frontières se situent au cap des Aiguilles pour l’Atlantique, à l’île de Tasmanie pour le Pacifique et au 60ème parallèle Sud pour l’Antarctique. Ses rives accueillent 40-50 % de la population mondiale.




Marine : obligation permanente d’innover pour rester performante

Les bâtiments de combat doivent allier fiabilité, polyvalence, autonomie et durée dans un environnement difficile. Capacité d’inventions et aptitude à les transformer en innovations assurent la puissance d’une nation maritime.

L’innovation permanente a fait l’objet d’un colloque organisé, le 27 juin 2013 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine. Y ont notamment participé : l’ingénieur en chef Christian Dugué, responsable du pôle « Architecture et techniques des systèmes navals » à la Direction générale de l’armement (DGA) ; l’ingénieur en chef de l’armement Frédéric Petit, officier correspondant d’état-major pour les études, état-major de la Marine.

Les technologies clés. Pour construire des « plates-formes » (navires de surface et sous-marins), les chantiers navals doivent d’abord maîtriser la métallurgie, la soudure et la peinture, rappelle l’ingénieur en chef Dugué. La durée des plates-formes s’allonge : la frégate De-Grasse a parcouru un million de milles marins (1,8 Mkm) en 37 ans de service et le porte-avions à propulsion nucléaire américain Enterprise a vécu 55 ans ! Les innovations ne créent pas de nouvelles capacités mais remplacent des solutions existantes, notamment dans la propulsion et le stockage d’énergie. Environ 500 personnes, identifiées une par une, travaillent sur 11 plates-formes à propulsion nucléaire (10 sous-marins et 1 porte-avions). Cette innovation dans la propulsion, essentielle pour la dissuasion, a modifié les performances d’un porte-avions. Le retour d’expérience (retex) du Charles-de-Gaulle sur 12 ans permet d’estimer qu’il aura parcouru dans sa vie une distance trois à quatre fois supérieure à celle d’un porte-avions classique et en envoyant plus d’avions en l’air. Il n’a pas besoin de pétrolier-ravitailleur et ravitaille lui-même son escorte. Sa vitesse sert au catapultage des avions et à son déploiement opérationnel. En général, un bâtiment de surface utilise relativement peu ses armes, mais beaucoup ses senseurs et moyens de communications. Le retex de l’opération « Harmattan » en Libye (2011) a identifié le besoin d’optimiser l’exploitation des données multimédias dans la conduite des opérations. Le démonstrateur Evitac (Exploitation des vidéos tactiques), en cours d’expérimentation par la DGA, reçoit, sur une table tactile, des vidéos de plusieurs drones, des forces spéciales et des caméras de conduite de tir. Il permet de partager en temps réel une vision tactique commune avec le centre de commandement opérationnel, qui reçoit également des informations du Rifan (Réseau intranet des forces aéronavales). La prise de décision par le chef opérationnel au cours de l’action en est facilitée.  Déjà, l’équipage de la nouvelle frégate mutimissions (FREMM) a été limité à 94 personnes au lieu de 153 sur une frégate de type La Fayette. L’équipe de plate-forme a été considérablement réduite, grâce à une intégration poussée des équipements. Mais, elle reste en charge de la sécurité (accidents et incendie) et de la sûreté (actes de malveillance). Les informations sur l’état du navire remontent vers elle, afin qu’elle ne se déplace qu’en cas de problème avéré. En revanche, l’équipe du système de combat reste stable et même s’accroît en raison de l’augmentation du nombre d’armes, de systèmes et de missions.

« L’évolutivité ». Comment se produit l’innovation ? Au départ, « quelqu’un a eu une vision et des gens ont pris des risques », explique Christian Dugué. Il y a eu « un contexte un peu particulier et un peu de chance peut-être ». Certaines conditions favorisent l’innovation de technologies clés. Or, ces équipements deviendront obsolètes avant la fin de vie de la plate-forme. Il faudra donc intégrer les innovations « sans casser et refaire la moitié du bateau ». Cela implique d’éviter toute impasse, de ne pas fermer des possibilités, de traiter les interfaces entre équipements dès l’origine et de prévoir quelques marges, car la charge utile de demain est mal connue aujourd’hui. Selon l’ingénieur en chef Dugué, les systèmes de combat deviennent plus complexes avec davantage de communications, de radars et de guerre électronique. Lors des opérations amphibies, la robotique du système de lutte anti-mines futur (SLAMF) évitera de pénétrer dans les zones dangereuses. La DGA a déjà notifié un contrat à DCNS, Thales et ECA pour développer un démonstrateur du SLMAF, qui succédera aux actuels chasseurs de mines. Il s’agit d’un drone de surface autonome en forme de catamaran (USV), de 17 m de long. Un « navire mère » (1.000-2.000 t de déplacement et 100 m de long) pourra en transporter 2 ou 3. Chaque USV remorquera des sonars et une drague et emportera des véhicules sous-marins téléguidés pour la détection, la classification, l’identification et la neutralisation de la menace mine. Dans l’ensemble, les réflexions en cours portent sur l’amélioration de la fonction « tenue de situation » et la réduction de la charge des opérateurs (pas de double saisie d’informations et automatisation des processus simples), en vue d’une « évolutivité » accrue et de l’uniformisation de la solution pour l’ensemble des bâtiments. « Il y a des possibilités informatiques formidables, mais il faut maîtriser le génie logiciel ».

La Marine de 2030. Par suite des contraintes budgétaires, les matériels en service seront prolongés et les programmes étalés. L’innovation technologique se mettra au service de la robustesse des bâtiments, qui disposeront de moins en moins de points d’appui stratégiques, indique l’ingénieur en chef de l’armement Frédéric Petit. Les axes d’effort porteront sur : les capacités de veille, détection et poursuite en surface ; les moyens de guerre électronique ; la protection des systèmes de combat contre la cybermenace ; la détection sous-marine et la discrétion des bâtiments ; la lutte contre les menaces asymétriques ; les missiles à longue portée ; les armements de précision à létalité contrôlée (laser, micro-ondes à forte puissance et artillerie électrique) ; les drones de combat et missiles supersoniques antinavires pour la haute intensité. Les équipements, performants même en conditions dégradées, résulteront d’un double compromis : complexité et intégration à l’ensemble de la plate-forme ; rusticité et simplicité d’apprentissage et d’utilisation par l’opérateur.

Loïc Salmon

Marine : des capacités à la hauteur des enjeux stratégiques

Euronaval 2012 : défis maritime et industriel

Le sous-marin nucléaire d’attaque : aller loin et durer

La puissance accrue des ordinateurs permet de calculer l’adaptation des coques et de les rendre opérationnelles dans les environnements marins les plus sévères, d’améliorer la survie au combat, de placer au mieux à bord les éléments du système de combat et de perfectionner les modes de propulsion. En outre, le bâtiment de combat concentre de multiples liaisons de communications sur une plate-forme exigüe. Parmi les 15 premières nations maritimes du monde, les Etats-Unis arrivent en tête avec un tonnage de 2,9 Mt, devant la Russie (1,1 Mt), la Chine (788.870 t), la Grande-Bretagne (470.000 t), le Japon  (432.000 t), la France (307.000 t), l’Inde (240.000 t), l’Italie (143.000 t), l’Allemagne (133.450 t), la Turquie (108.730 t), Taïwan (105.200 t), le Brésil (101.300 t), la Corée du Sud (89.000 t), le Canada (80.000 t) et la Grèce (79.800 t).




Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Face à la montée en puissance des États-Unis en Asie-Pacifique, la Chine compte sur sa puissance économique pour s’imposer aux pays riverains. Mais ceux-ci sont passés de la dépendance des deux « Grands » à leur mise en concurrence, renforçant ainsi l’ambiguïté stratégique de la zone.

Cette situation a fait l’objet d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Y ont notamment participé Valérie Niquet, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, et Delphine Allès, professeur en sciences politiques à l’université de Paris-Est (Créteil).

Vision chinoise. La zone Asie-Pacifique se caractérise par son dynamisme et sa stabilité, contrairement au Moyen-Orient, sujet à une violence chronique, ou l’Europe, atteinte par la crise économique et financière de 2008, souligne Valérie Niquet. Le nouvel intérêt de Washington pour l’Asie, inquiète Pékin, d’autant plus qu’après sa réélection en 2012, le président Barack Obama a préféré se rendre d’abord, non pas en Chine, mais au Japon, en Corée du Sud et même au Myanmar, sphère d’influence de la Chine. Depuis l’arrivée au pouvoir du président chinois Xi Jinping la même année, les tensions se sont aggravées avec le Japon, les Philippines et le Viêt Nam. Elles font partie d’une affirmation de puissance du pays définie par le Parti communiste chinois, consécutive à une analyse des rapports de forces avec les autres pôles de puissance (États-Unis, Union européenne et Russie) et à une volonté de stabilité interne, en raison des failles du régime (inégalités et troubles sociaux). Selon Valérie Niquet, la Chine tente de rassurer ses interlocuteurs sur sa volonté de prolonger cette période d’opportunités et de paix dans la zone Asie-Pacifique, qui a assuré sa montée en puissance : interdépendance des relations économiques avec les Etats-Unis ; maintien de la stabilité en Asie par son influence sur la Corée du Nord. Mais, en même temps, Pékin affirme la défense de ses intérêts vitaux, non négociables, en mer de Chine méridionale et poursuit le « rêve chinois » d’occuper, comme du temps de l’empire, le « centre » de l’Asie… pour assurer la survie du régime communiste ! Les analystes chinois estiment que la fin de la guerre froide (1947-1989) a coïncidé en Asie avec une augmentation des tensions et même des risques de guerre. Ils dénoncent le renforcement de l’appareil de défense du Japon, l’augmentation des missions d’observation militaire des États-Unis en mer de Chine et le déploiement de bâtiments militaires des Philippines, alors que la Chine n’y envoie que des unités de garde-côtes « civils ». Malgré un climat de défiance, le partenariat avec la Russie est considéré comme stratégique, comme le montre le contrat signé le 21 mai 2014 portant sur la fourniture de gaz russe pendant 30 ans.

Vision du Sud-Est asiatique. Le retour périodique des différends territoriaux constitue une source de tensions récurrentes, explique Delphine Allès.  Ainsi, la Thaïlande et le Cambodge se disputent un territoire frontalier où se trouve le temple de Preah Vihear, classé par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité et donc susceptible d’y attirer le tourisme. En outre, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Myanmar font face à des contestations séparatistes, dues à l’héritage territorial des anciens empires, à la centralisation des États modernes et à la volonté de contrôle des ressources naturelles locales. Par ailleurs, les incidents de frontières maritimes résultent de la délimitation des zones économiques exclusives (ZEE) de 200 milles, conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982). Au-delà des 12 milles des eaux territoriales, le partage se complique lorsque le plateau continental d’un pays déborde de sa ZEE. En outre, Pékin considère la mer de Chine méridionale comme partie intégrante de ses eaux territoriales. Sont alors contestées les îles inhabitées qui s’y trouvent : Paracels, Spratleys et le récif de Scarborough. Or, dans ces zones, le volume des réserves d’hydrocarbures est peu prouvé et les ressources halieutiques se révèlent modérément élevées. De plus, leur intérêt purement stratégique reste limité. D’abord, ces îles sont trop petites pour y construire des installations militaires. Ensuite, les États riverains peuvent les menacer par des missiles. Enfin, un sous-marin, caché à proximité, peut en interdire l’accès aux bâtiments de surface. Par ailleurs, les tensions sont alimentées par l’implication de puissances extérieures. En outre, depuis les années 1990, les enjeux territoriaux traditionnels des pays de la zone Asie-Pacifique sont occultés par les questions non militaires et non étatiques, où la coopération et le partage d’informations s’imposent : environnement et catastrophes naturelles ; sécurité sanitaire ; terrorisme ; migrations ; trafics illicites ; piraterie maritime. Celle-ci a diminué après l’instauration du droit de poursuite des bateaux pirates dans les eaux  territoriales d’un pays riverain. Depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, la sécurité humaine, à savoir le lien entre défense extérieure et sécurité intérieure, est valorisée par la communauté internationale et s’intègre dans les doctrines stratégiques des pays membres de l’ASEAN. En vue d’éviter l’internationalisation de conflits intérieurs ou bilatéraux, ceux-ci veulent dépolitiser les enjeux régionaux et favoriser la coopération stratégique. Ils augmentent leurs dépenses militaires en renouvelant leurs matériels à moindre coût auprès des États-Unis. Ils refusent de se positionner en bloc vers la Chine ou les États-Unis. Ainsi, Singapour, les Philippines et le Viêt Nam sont devenus les partenaires privilégiés des États-Unis, mais le Laos, le Cambodge et le Myanmar ont préféré la Chine. S’y ajoutent des partenariats croisés entre l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande. La Chine multiplie les efforts diplomatiques envers la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et la Thaïlande, augmente les patrouilles paramilitaires et le déploiement de pêcheurs sur zone et développe sa capacité de déni d’accès naval à Taïwan. De leur côté, les États-Unis accroissent leurs capacités aériennes et navales dans la zone, renforcent leur présence en Australie et aux Philippines, procèdent à des exercices maritimes et apportent un soutien diplomatique à l’ASEAN.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

Marine et Diplomatie

L’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) a été fondée en 1967 par les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande, rejoints ensuite par Brunei (1984), le Viêt Nam (1995), le Laos (1997), le Myanmar, ex-Birmanie, (1997) et le Cambodge (1999). Le Timor oriental pourrait y adhérer en 2015. La Papouasie-Nouvelle-Guinée a le statut d’observateur. Chaque année, 16 chefs d’État de la région se rencontrent au Sommet de l’Asie de l’Est, où la Russie a le statut d’observateur. « L’ASEAN Regional Forum », qui compte 26 membres, traite des questions de sécurité en Asie-Pacifique. « L’ASEAN + 3 », qui se tient pendant les sommets de l’ASEAN, inclut la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Le « Dialogue Asie-Europe » réunit de façon informelle l’ASEAN + 3 et l’Union européenne. Enfin, il existe un sommet ASEAN-Russie au niveau des chefs d’État.




Défense antimissiles : surtout protection des forces, moins celle des populations

La défense antimissiles balistiques (DAMB) est un outil défensif face aux armes de destruction massive, qui constituent une capacité crédible de projection de puissance à bas coût pour certains pays capables d’en fabriquer.

Le colonel (Air) Loïc Rullière, chef du bureau Prospective technologique et industrielle de la Délégation aux affaires stratégiques, a présenté la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 6 mars 2014 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’institut des hautes études de défense nationale.

Menaces concrètes. La prolifération balistique reste une préoccupation majeure de la communauté internationale. Toutefois, la Chine, l’Inde, la Russie et les États-Unis continuent de financer recherches et développements dans ce domaine. En outre, des échanges de technologie ont lieu entre pays proliférants ainsi que des ventes de matériels susceptibles d’entrer dans la composition d’un missile. La Chine a effectué le plus grand nombre de tirs de missiles depuis 2007. La Turquie, à la recherche d’une capacité spatiale, investit massivement dans les lanceurs, dont la technologie s’applique aux missiles. Déjà, les missiles de la Corée du Nord peuvent atteindre la Corée du Sud, le Japon, Taïwan et les bases américaines qui s’y trouvent. L’Iran développe des missiles à courte et moyenne portées, en vue d’actions régionales. Il ne menace pas encore les États-Unis, mais n’a pas besoin de missiles à longue portée pour atteindre les pays européens. Des acteurs non étatiques pourront bientôt intervenir. Ainsi, le mouvement chiite libanais Hezbollah et les groupuscules palestiniens disposent de roquettes de plus en plus lourdes. La Marine israélienne a intercepté récemment un cargo contenant des roquettes de 60 km de portée, capables de frapper au centre de l’État hébreu.

Défis opérationnels. Souvent mais pas uniquement porteurs d’armes de destruction massive (nucléaire, chimique, radiologique ou biologique), les missiles balistiques sont constitués de plusieurs étages pour augmenter leur portée, l’ogive contenant la charge militaire se séparant à partir de 600 km de la cible. Les types de propulsion possèdent des propriétés différentes. Le carburant liquide permet de contrôler la poussée et de faire varier la portée. Mais, son entreposage à température fixe exige de remplir les réservoirs du missile au dernier moment. Le carburant solide, plus facile à stocker, permet de transporter le missile dans son silo par camion, de le positionner et de le déplacer ailleurs après le tir. Pendant la guerre du Golfe (1991), les forces américaines ont rencontré des difficultés pour retrouver les bases de lancement des Scud irakiens. Les missiles balistiques à portées moyenne et intermédiaire visent les villes en raison de leur précision limitée par le manque de guidage terminal, technologiquement difficile aux vitesses de rentrée dans l’atmosphère, de l’ordre de plusieurs km/s. La possession de missiles à longue portée implique des étapes difficiles et incontournables : tête séparable ; séparation des étages ; aide à la pénétration ; ogives à têtes multiples à trajectoire unique sur une seule cible ; ogives à têtes multiples à trajectoires indépendantes, qui produisent le maximum d’effet sur des objectifs différents de la même zone.

Défis technologiques. Les trajectoires de ces missiles, situées en grande partie hors de l’atmosphère, sont prévisibles, principe sur lequel reposent les capacités d’interception, indique le colonel Rullière. La DAMB dite « passive » limite l’impact du missile, tandis que celle dite « active » l’empêche d’atteindre sa cible. La composante spatiale de la DAMB constitue l’alerte avancée pour déterminer le point de lancement et ainsi identifier l’agresseur. La détection, par infrarouge, de la chaleur dégagée par le missile permet de connaître l’axe et l’altitude de sa trajectoire, de préciser sa catégorie et localiser la région d’impact. Ensuite, les radars de très longue portée (5.000 km) à basses fréquences effectuent une recherche en « nappe », où chaque antenne regarde dans une direction donnée (« sectorisée ») pour affiner la zone d’impact et alerter les systèmes d’interception. Déplaçables et installés à proximité des pays « menaçants », ces radars aident à la contre-prolifération en reconstituant les données sur les caractéristiques des missiles. Les renseignements d’origine humaine permettent de savoir quels sont les pays capables de les munir de charges conventionnelles ou nucléaires. Le relais passe aux radars de veille et de trajectographie, qui portent jusqu’à 1.500 km et assurent une veille de 360 ° ou sectorisée. Les radars de conduite de tir prennent la main pour raccourcir le plus possible la chaîne d’engagement dans le temps, notamment dans les basses couches de l’atmosphère, où le trajet dure moins d’une minute. L’interception en dehors de l’atmosphère étant autorisée, le « véhicule tueur » va chercher le missile assaillant avec son radar auto-directeur, en vue d’un impact direct à 80-120 km d’altitude. Si l’interception échoue, le missile pourra aller n’importe où. En cas de succès, les débris s‘éparpilleront, causant peu de dégâts collatéraux sur l’immensité presque vide de l’Amérique du Nord protégée par le système NORAD, mais beaucoup plus sur le territoire européen, à forte densité de population. Russie, Chine, États-Unis et Israël disposent d’intercepteurs montés sur camions. Les  systèmes THAAD américain et Aster 30 franco-italien sont installés sur des navires.

Défis politiques. La DAMB coûte très cher, avec un taux de réussite de 50 % et un système de commandement et de contrôle (C2) étalé sur 4.000 km. « On ne pourra pas tout protéger, il faudra faire des choix sur certaines parties du territoire, l’une des grosses difficultés de l’OTAN », souligne le colonel Rullière. En fait, 88 % des missiles balistiques sont à courte portée pour exercer des menaces régionales. L’Union européenne investit donc dans la défense de théâtre pour protéger surtout les forces armées et moins les territoires. Les négociations entre l’OTAN et la Russie sont interrompues. Celle-ci cherche à obtenir un accord contraignant pour les États-Unis, qui ont pris une avance technologique et la maîtrise. Pour la France, indique le colonel, la DAMB reste un outil capable de faire face à une attaque simple et limitée. Elle complète la dissuasion, mais ne peut s’y substituer.

Loïc Salmon

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel

Inde : industrie spatiale civile, mais de plus en plus militaire

Les missiles balistiques stratégiques, dotés d’une charge non conventionnelle, jouent un rôle dissuasif par leur capacité à frapper les intérêts adverses sans réelle possibilité d’interception. Parmi les missiles à courte portée (jusqu’à 1.000 km), se trouvent les Iskander-E russes (vendus à l’exportation), Shaheen I pakistanais, Scud soviétiques et Pershing américains. Parmi les missiles à moyenne portée (1.000 à 3.000 km), figurent les Shahab-3 M et Ashura iraniens, Nodong-1 nord-coréens, Shaheen 2 pakistanais, Agni II indiens et Jericho-II israéliens. Parmi les missiles à portée intermédiaire (3.000 à 5.500 km), se trouvent les Agni III et IV indiens. Parmi les missiles à longue portée (5.500 à 13.000 km) figurent les Taepodong 2 nord-coréens et les Topol-M et SS-18 russes.




Attendez ici – Terminé

Rigueur de l’entraînement, dépassement de soi, opiniâtreté, volonté de vaincre et fraternité d’armes. Ces caractéristiques du combattant ont permis à des soldats japonais de survivre dans la jungle pendant des années et même des décennies.

En 1945, pour atteindre rapidement le Japon, la stratégie américaine consiste à contourner certaines îles du Pacifique en misant sur le fait que leurs garnisons japonaises, privées de ravitaillement, ne représentaient pas de danger. Des milliers de soldats japonais se sont retrouvés, seuls ou en petits groupes, isolés, abandonnés mais armés. Beaucoup n’ont pas été informés de la fin de la guerre. Ceux qui ont continué le combat ont été capturés ou tués jusque dans les années 1950. D’autres, souvent des appelés du contingent, se sont cachés par peur de la captivité ou du sort que leur aurait réservé la sévère hiérarchie militaire japonaise. Beaucoup sont morts de maladies ou victimes de la faune de la jungle. Les quatre militaires de ce roman intitulé « Attendez ici – Terminé » sont inspirés de personnages bien réels : Itô Masahi, capturé à Guam en 1960 ; Shoichi Yokoi, caché à Guam jusqu’en 1972 ; Téruo Nakamura, d’origine taïwanaise, capturé en Indonésie en 1974 ; Hiroô Onoda, combattant dans l’île philippine de Lubang jusqu’en 1972 avant sa reddition en 1974. Le titre reprend les messages radio, brefs et clairs pour ne pas encombrer les ondes : « Attendez ici » correspond à l’ordre à exécuter. « Terminé » met fin à la conversation avec le chef. Officier de renseignement, le sous-lieutenant Onoda (1922-2014) avait été entraîné pour résister des années sur les arrières de l’ennemi jusqu’à la reconquête des territoires abandonnés. Le roman rend compte des préoccupations quotidiennes et des sentiments de ces soldats, persuadés que la guerre continuait. Ils se méfiaient des autochtones, car les Américains avaient la réputation de les envoyer en première ligne et de tuer tous les prisonniers. Dans le îles, les Japonais creusaient des postes de combat tournés vers la mer pour affronter des fantassins américains, sans blindés ni logistique ni canons. Ils pensaient que la préparation et la motivation du défenseur compenseraient l’avantage du nombre de l’assaillant. La récupération d’un poste de radio et de piles permettait d’écouter les nouvelles de Bangkok, de Saïgon ou de Brunei. Mais après des années sans informations de l’extérieur, les soldats japonais interprétaient la guerre du Viêt Nam (1955-1975) de façon erronée. A l’unité secrète de Nakano (Japon), les instructeurs avaient ordonné aux officiers de ne pas se suicider, de ne jamais abandonner la mission ni d’envoyer des hommes à la mort de façon inconsidérée. Les cours portaient sur la survie, le sabotage, l’emploi d’explosifs, la résistance aux interrogatoires, l’usage des émetteurs-récepteurs, les codes, l’anglais, les arts martiaux et l’observation de l’ennemi. Outre ses missions de renseignement, un officier devait maintenir le moral et la volonté de son groupe par une discipline de fer, face à ce qu’il considérait comme de la propagande ou une manœuvre d’influence adverse. Le largage de tracts par hélicoptères, appelant à la reddition, ou la diffusion de messages par haut-parleurs, répétant que la guerre mondiale était finie, ne pouvaient qu’être que des ruses pour déstabiliser les soldats japonais, avant de les traquer et les tuer. Mais après 29 ans de résistance et de certitude, Onoda (le lieutenant Ikéda dans le roman) a commencé à douter. Pourquoi l’ennemi consacrait tant de temps et de moyens pour faire sortir de la jungle un seul soldat japonais, alors qu’ils devaient être des milliers insérés, comme lui, derrière les lignes de combat ? Dans la réalité, le journaliste japonais Norio Suzuki parvient à rencontrer Onoda dans la jungle le 20 février 1974. Les autorités japonaises et philippines organisent alors la venue du chef direct d’Onoda en 1945, devenu libraire, qui lui donne l’ordre de se rendre.

Loïc Salmon

« Attendez ici – Terminé », Noël-Noël Uchida. Éditions Pierre de Taillac, 116 pages, illustrations, 16,90 €.

La puissance au XXIème siècle : les « pôles » du Pacifique

Japon : protection et évacuation des ressortissants en cas de crise en Corée et à Taïwan

Exposition « Forces spéciales » aux Invalides




Mexique : ambition économique mais violence récurrente

Très dépendant des Etats-Unis, le Mexique souhaite devenir la 6ème puissance économique mondiale, mais ne parvient pas à réduire une corruption endémique et une insécurité croissante.

Un groupe d’auditeurs de l’Association des auditeurs de l’Institut des hautes études de défense nationale s’est rendu sur place du 19 au 30 janvier 2018 et y a rencontré des responsables officiels et d’organisations non gouvernementales.

Les atouts économiques. Deuxième économie d’Amérique latine et quinzième dans le monde, le Mexique dispose d’un vaste marché intérieur. La croissance économique, solide et continue, de ces dernières années lui a permis de passer de la mono exportation de matières premières, surtout de pétrole, à la fabrication de produits à haute valeur ajoutée, notamment dans le secteur automobile. Quoique son économie soit fortement liée à celle des Etats-Unis, le Mexique compte le Canada et la Chine comme principaux clients et le Japon et la Chine comme principaux fournisseurs. Membre du GATT (1986), de l’ALENA (1994) et de l’OCDE (1994), il a conclu 45 accords de de libre-échange. Sur le plan régional, il en négocie un avec le Brésil et l’Argentine. Avec le Chili, la Colombie et le Pérou, il a constitué « l’Alliance du Pacifique » (Panama et Costa Rica observateurs) pour contrebalancer le « Mercosur », qui regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay (Mexique observateur). En mars 2018, il a signé le nouveau « Partenariat Trans-Pacifique », dont les Etats-Unis se sont déjà retirés. Cet accord implique dix autres pays : Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Viêt Nam. Enfin, le Mexique et l’Union européenne ont signé, en avril 2018, un « accord de principe » pour moderniser et élargir le traité de libre-échange de 2000.

Le « grand voisin » nord-américain

Les relations avec les Etats-Unis, toujours ambigües, se caractérisent par une interdépendance indéniable et un pragmatisme nécessaire. Les Etats-Unis restent un partenaire obligé, tant sur le plan commercial que social, mais difficile en raison du contexte historique et de la politique de l’administration Trump. Parmi les 55 millions de Latino-Américains résidant aux Etats-Unis, figurent 30-35 millions de Mexicains. En 2015, les transferts de devises des migrants mexicains auraient été supérieurs aux revenus du pétrole. Le Consulat général américain de Monterrey délivre le plus grand nombre de visas de travail : 500.000 chaque année ! Les Etats-Unis sont certes consommateurs des drogues qui transitent par le Mexique, « entretenant » ainsi les trafics. Mais ils sont aussi les principaux pourvoyeurs d’armes au Mexique qui alimentent une violence déjà très forte. Il existe 9.000 points de vente d’armes à la frontière du Texas. Les migrants qui se rendent, illégalement, aux Etats-Unis seraient surtout des ressortissants d’Amérique centrale (Honduras, Guatemala et Salvador) et d’Amérique du Sud en transit par le Mexique, par l’entremise de cartels de « passeurs ». Le Mexique ne pourra résoudre seul ce problème et aura besoin de la coopération des Etats-Unis. Malgré les vicissitudes et difficultés actuelles, 120 ans de relations bilatérales ne peuvent cesser brutalement. Les 3.200 km de frontière commune ont forgé des liens forts et une longue histoire d’échanges, plus que de séparation et d’opposition. En outre, la situation sécuritaire ne pourra s’améliorer si les relations économiques se détériorent.

La sécurité en question. Les autorités mexicaines reconnaissent l’insécurité générale dans le pays. Toutefois, les résultats de la lutte contre la violence semblent surestimés au regard des chiffres rendus publics, notamment par les organisations non gouvernementales (ONG). Le discours officiel, très mesuré, reconnaît, certes, une violence liée à la drogue et aux trafics divers, mais la relativise pour la mettre en parallèle avec la violence ordinaire. La corruption est endémique, condamnée et dénoncée, mais ne semble pas vraiment combattue. Généralisée, notamment dans la police et la justice, elle profite de l’impunité. Ainsi, 70-80 % de la population admet avoir dû payer un « pot de vin » en 2016. Cela induit un manque de confiance dans les institutions et dans les partis politiques : ainsi 97% des victimes de crimes et délits ne porteraient pas plainte… Selon certaines ONG, le niveau d’insécurité au Mexique correspond à celui d’un pays en guerre. Cependant la lutte menée par les gouvernements fédéraux successifs, depuis le début des années 2000, n’a pas éradiqué la violence, mais ne semble pas non plus soutenue par toutes les composantes de la classe politique. Les controverses au sujet de la loi sur la sécurité intérieure, votée en décembre 2017, font apparaître les contraintes posées par le régime fédéral du pays et amènent à s’interroger sur ce qui fait finalement l’unité du Mexique. Les deux ministères en charge de la « Défense », à savoir le secrétariat à la Défense (armées de Terre et de l’Air) et le secrétariat à la Marine, jouent sans doute un rôle politique stabilisateur et fédérateur non négligeable. Mais certains s’interrogent sur la compatibilité de cette loi avec la constitution, dont l’article 21 affirme la séparation des pouvoirs et la seule responsabilité du pouvoir civil en matière de sécurité intérieure. La question se pose de savoir si ces dispositions, destinées à faire obstacle aux « pronunciamentos » (putschs ou coups d’Etat militaires) fréquents en Amérique latine, sont applicables dans les cas de « circonstances exceptionnelles », où la sécurité publique et la sécurité intérieure sont menacées. Le développement économique du Mexique, quoique patent depuis plusieurs années, ne profite pas à tous. Le grand défi à relever reste le partage équitable des richesses.

Hélène Mazeran

 Les relations entre la France et le Mexique, liées à l’émigration française au XIXème siècle, sont aujourd’hui confortées par un partenariat stratégique. Lors de sa visite en novembre 2017, le ministre français des Affaires étrangères, a proposé une évolution du statut de « partenaire » à celui « d’allié » et le président de la République est attendu au Mexique en 2019. En outre, la France et le Mexique ont des approches communes au sein des instances multilatérales, en matière de gouvernance mondiale et de maintien de la paix. Le Mexique développe sa participation aux opérations de maintien de la paix en coordination avec la France. Il s’intéresse aussi à l’OTAN en tant qu’observateur. Enfin, sur le plan économique, la relation du Mexique avec la France, bien que de second rang derrière les Etats-Unis, devrait pouvoir se développer avec notamment la présence de 500 grands groupes français et des opportunités pour les petites et moyennes entreprises.

 




Chine : cyber-espionnage et attaques informatiques

La Chine utilise le cyberespace pour maintenir sa croissance économique, par l’intrusion informatique dans des entreprises privées surtout asiatiques, et pour accroître sa puissance régionale par l’espionnage militaire, plutôt à l’encontre des pays occidentaux.

C’est ce qui ressort d’une étude sur le cyber-espionnage chinois (2016-2018), publiée par le Centre de réflexions sur la guerre économique en décembre 2018. Seules les forces armées, des agences de renseignement civil ou des sociétés de sécurité chinoises seraient capables d’élaborer et de mettre en œuvre des intrusions informatiques de grandes dimensions, transversales et complexes.

Retard technologique à combler. La dépendance de la Chine à l’égard des technologies de l’information et de la communication (TIC), notamment américaines, et de sa vulnérabilité militaire ont été mis en exergue dans le livre « La guerre hors limites » des colonels chinois Liang Qiao et Wang Xiangsui, publié en 1998. Les TIC permettent en effet d’obtenir des avantages asymétriques dans une guerre qui recouvre la force, armée ou non, militaire ou non, et des moyens létaux ou non. Extension du champ de bataille, le cyberespace devient vital pour la Chine afin de récolter le plus d’informations possibles, en vue d’établir une asymétrie à son avantage. Les forces armées chinoises ont porté leurs efforts sur les renseignements d’origines humaine, électromagnétique et satellitaire. En 2013, l’entreprise américaine de cyber-sécurité Mandiant a identifié deux unités militaires de cyber-espionnage, installées à Shanghai. Ainsi la « Unit 61398 » a récupéré des térabits (1.000 milliards d’unités numériques) des données de 141 entreprises étrangères. La « Unit 61486 » a surtout ciblé les secteurs de la défense et de la haute technologie. En 2014, le ministère américain de la Justice a accusé cinq officiers chinois de vols de secrets d’entreprises américaines. En outre, l’agence de renseignement NSA a révélé que des hackers chinois avaient réussi des centaines d’intrusions dans des infrastructures aux Etats-Unis. En 2015, Washington et Pékin ont conclu un accord de collaboration pour lutter contre le cyber-espionnage. Ensuite, les agences privées chinoises auraient bénéficié d’une plus grande marge de manœuvre, pour éviter une implication directe de l’Etat. Les plus connues, « Menupass Team » et « UPS Team », ciblent les entreprises spécialisées dans l’ingénierie, l’espace ou les télécommunications aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. Par ailleurs, le 13ème plan quinquennal chinois 2016-2020 fixe un objectif annuel de 6,5 % de croissance économique et transfère des fonds d’aide à l’exportation vers des investissements en Chine même. Il porte aussi sur le développement des secteurs technologique, biomédical et énergétique, orientant l’espionnage vers les entreprises étrangères de référence.

Le Japon. Cible de choix en raison de son avance technologique, le Japon a été attaqué par deux groupes de hackers d’origine chinoise. Le premier, « Stone Panda », a cherché à voler le maximum de données à haute valeur ajoutée. Son arsenal visait les universités, les entreprises de haute technologie, notamment pharmaceutiques, et des agences étatiques. Pour tromper ses cibles, « Stone Panda » s’est fait passer, entre autres, pour le ministère japonais des Affaires étrangères. Il a compromis les services d’entreprises de stockage numérique, afin d’exfiltrer une grande quantité des données sans être détecté. Le second groupe, « Bronze Butler », a pratiqué l’hameçonnage des réseaux critiques dans les milieux des biotechnologies, de l’électronique, de la chimie et de l’ingénierie maritime. Non détecté pendant plusieurs années, il est parvenu à récupérer des informations commerciales et des comptes rendus de réunions ainsi que des données de valeur sur la propriété intellectuelle et les spécifications de produits.

La Corée du Sud. Le groupe des hackers chinois « Stuckfly » a notamment ciblé les entreprises sud-coréennes de jeux vidéo, habilitées à délivrer des certificats numériques garantissant la provenance de logiciels et donc leur sécurité informatique. En possession de l’outil d’édition, « Stuckfly » pourrait signer les certificats de logiciels malveillants, qui ne seraient pas bloqués par les anti-virus. S’il est détecté, la société de jeux vidéo risque de voir tous ses certificats considérés comme malveillants et sa réputation ternie.

L’Asie centrale. Malgré un accord entre Moscou et Pékin, similaire à celui entre Washington et Pékin et signé également en 2015, des APT (logiciel malveillant, voir encadré) chinois ont ciblé des institutions bancaires et des entreprises de télécommunications de la Russie et de la Mongolie, pourtant alliées de la Chine. L’APT « Emissary Panda » s’est aussi attaqué à des infrastructures, institutions bancaires et universités turques. Peu avant des réunions importantes, il a visé l’Organisation de coopération de Shanghai (sécurité mutuelle et coopérations politique et militaire), qui regroupe le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, la Russie et…la Chine !

L’Asie du Sud-Est. L’APT « Lotus Blossom » a attaqué des institutions gouvernementales, des partis politiques, des universités et des entreprises de télécommunications en Indonésie, à Taïwan, au Viêt Nam, aux Philippines, à Hong Kong, en Malaisie et en Thaïlande. Il a également procédé à des intrusions lors des réunions des ministres de la Défense de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Brunei, Viêt Nam, Laos, Birmanie et Cambodge). L’APT « Platinum » a notamment visé les services diplomatiques et les agences de renseignement et de défense de Malaisie et d’Indonésie. L’APT « Mofang » a participé à une guerre économique en Birmanie. Dans le cadre d’un appel à investissements pour le développement d’infrastructures, il a récupéré des informations sur le concurrent singapourien d’une entreprise publique chinoise…qui n’avait pas été retenue.

Les « cinq poisons » chinois. Des cyberattaques chinoises visent des communautés considérées comme déstabilisatrices : Ouighours ; Tibétains ; secte du Falun Gong ; Mouvement démocratique chinois ; Mouvement pour l’indépendance de Taïwan. Pourtant, elles n’ont pu empêcher, en 2016, l’élection de la première femme présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, confortablement réélue en 2020.

Loïc Salmon

Les « menaces persistantes avancées » (APT) exploitent le maximum de données de leurs cibles par des cyber-attaques discrètes et prolongées, grâce à des groupes aux connaissances techniques pointues et des moyens importants. L’Union africaine a constaté, au bout de six ans, que son immeuble, construit et équipé gratuitement par la Chine, comportait des « backdoors » (portes numériques dérobées) donnant un accès discret aux échanges et à la production interne de l’organisation. Le cycle APT a été le suivant : organisation en fonction de la cible (don de l’immeuble) ; stratégie (hameçonnage par des courriels et backdoors) ; moyens techniques pour accéder à son réseau (systèmes informatiques installés et compromis) ; couverture pour maintenir l’accès pour de futures initiatives (logiciels malveillants sophistiqués).

Chine : montée en puissance régionale et internationale

Intelligence économique et renseignement

Cyber : instrument de la puissance russe en Baltique




Japon : stratégie de défense et de sécurité et programmation militaire renforcées

Conséquence de la guerre en Ukraine, le Japon a décidé de se doter des capacités de dissuasion d’une invasion de son territoire et de sa défense en première ligne. Toutefois, il doit trouver un équilibre entre les États-Unis, son protecteur militaire, et la Chine, son premier partenaire économique, dont la rivalité devrait s’exacerber dans les dix prochaines années.

Dans une note publiée le 24 mars 2023 en région parisienne par la Fondation pour la recherche stratégique, Valérie Niquet, maître de recherche, analyse la nouvelle stratégie de sécurité et de défense du Japon et son programme militaire 2023-2027.

Augmentation des capacités militaires. Dès 2027, le Japon veut pouvoir répondre efficacement à une invasion ennemie avec le soutien des États-Unis, conformément au traité bilatéral de sécurité de 1951 qui autorise la présence de forces armées américaines sur son territoire. A l’horizon 2030, il compte pouvoir repousser une attaque plus tôt et plus au large. Cela nécessite d’abord de développer des capacités dans sept domaines prioritaires : tirs à distance de sécurité ; renforcement de la défense anti-aérienne et antimissiles ; développement d’une force de drones ; renforcement de la synergie entre les opérations dans les milieux terrestre, aérien, maritime et spatial ; le cyber ; le commandement et la conduite des opérations (renseignement, déploiement et mobilité) ; l’action militaire dans la durée et la résilience. Par ailleurs, le Japon compte porter le budget de sa défense à 2 % de son produit intérieur brut en 2027 (voir encadré) et acquérir plusieurs centaines de missiles de croisière américains Tomahawk de 1.500 km de portée, afin de contre-attaquer jusque dans le territoire ennemi. Vers 2030, le Japon devrait étendre la portée de ses propres missiles antinavires T12 à 1.000 km, soit la distance le séparant de la Corée du Nord. Combinée à la défense anti-missiles, cette allonge vise à dissuader une attaque de l’ennemi par missiles balistiques, de croisière ou hypersoniques ou à l’empêcher de lancer une seconde frappe. Il s’agit de ralentir sa décision et de compliquer son calcul du bénéfice escompté par rapport au coût induit. Tout cela implique un partage du renseignement avec les États-Unis. Dès septembre 2022, les deux pays ont décidé d’analyser conjointement les informations fournies par les drones américains MQ9 Reaper. En novembre, les forces navales d’autodéfense japonaises ont procédé, au large de l’archipel d’Hawaï, à des tirs d’essais de missiles Aegis SM3 block IB et SM3 block IIA, développés en commun par les États-Unis et le Japon. Ce dernier va renforcer ses moyens satellitaires de renseignements optiques et coordonner leur exploitation. Aujourd’hui, seuls les États-Unis peuvent lui fournir les renseignements nécessaires au ciblage d’objectifs ennemis et aux frappes à longues distances.

Menaces en Extrême-Orient. Le Japon est d’abord préoccupé par l’activité de Chine dans la région, qui n’hésite pas à recourir à la force ou à la coercition pour modifier une situation. En effet, elle manifeste une présence navale constante devant les îles japonaises de Senkaku et multiplie les intimidations militaires autour de Taïwan, tout en prônant une réunification pacifique. En outre, elle accroît ses capacités militaires par l’intégration des technologies civiles et le développement de missiles hypersoniques, qui réduisent l’efficacité des systèmes japonais de défense antimissiles. Selon Tokyo, sa stratégie de déni d’accès vise à dissuader ou à ralentir l’intervention de puissances étrangères dans sa zone d’action potentielle, notamment face à Taïwan et au Japon. Toutefois, les intérêts économiques du Japon restent considérables en Chine, où sont installées plus de 40.000 de ses entreprises et où ses investissements représentent 16,9 % du total des investissements directs étrangers. La volonté de réduction de cette dépendance économique se heurte à l’impossibilité d’un découplage. Outre l’importance du marché chinois, les entreprises japonaises rentabilisent leurs investissements par la capacité de la Chine à produire de façon réactive à des prix encore compétitifs. Quoique 63 % des entreprises japonaises estiment que le rivalité Chine-États-Unis constitue un risque pour le monde, elles sont 30 % à l’imputer à la Chine et 70 % aux États-Unis, dont les règles de contrôle des investissements et des exportations sont perçues comme de entraves. Cette vision rejoint celle de l’Union européenne. Toutefois, comme les Pays-Bas, le Japon a décidé de ne pas fournir à la Chine les technologies de production de semi-conducteurs de dernière génération. Par ailleurs, la Corée du Nord reste la deuxième menace pour le Japon, en raison de la multiplication de tirs de missiles dans la mer du Japon de la perspective d’un nouvel essai nucléaire. La Russie arrive en troisième position, par suite de son rapprochement avec la Chine et de l’organisation d’exercices militaires communs au large du Japon, notamment dans le détroit de Tsushima séparant les îles de Honshu et de Hokkaïdo. Pour Tokyo, le conflit russo-ukrainien apparaît comme un signal d’alarme du risque de guerre imminente, avec la similitude des situations de l’Union européenne et du Japon face aux menaces russes et chinoises.

Coopérations interalliées accrues. Vu le contexte régional tendu, le Japon entend renforcer son alliance avec les États-Unis et profiter de sa dissuasion nucléaire. Lui-même s’interdit de posséder, d’importer ou d’introduire des armes nucléaires sur son territoire…depuis1967 ! De leur côté, les États-Unis attendent de lui un plan d’action en cas de conflit dans le détroit de Taïwan. Actuellement, les forces américaines stationnées au Japon ne peuvent intervenir à partir de leurs bases qu’avec l’autorisation de Tokyo. Le conflit russo-ukrainien a donné au Japon l’occasion de se ranger du côté de l’Occident, de fournir une aide économique et du matériel paramilitaire défensif à l’Ukraine et d’accueillir certains de ses ressortissants, qualifiés de « personnes déplacées » et non pas de « réfugiés » pour éviter de créer un précédent. Cette guerre souligne l’importance des stocks de munitions, des drones et de l’interaction entre le cyber, la guerre informationnelle et l’espace, domaines au centre de la réflexion stratégique de l’alliance nippo-américaine. Au début des années 2010, des accords de coopération en matière de transferts d’équipements et de logistique ont été conclus avec les États-Unis, l’Australie, la Grande-Bretagne, l’Inde et la France. En outre, le Japon a signé des « accords d’accès réciproques » avec la Grande-Bretagne en janvier 2022 et avec l’Australie en janvier 2023, autorisant des exercices militaires communs de grande ampleur.

Loïc Salmon

Selon l’organisme « Global Firepower », qui classe 145 pays selon leurs capacités militaires conventionnelles (hors armements nucléaires), le Japon occupe le 8ème rang mondial en 2023 après les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, la Grande-Bretagne, la Corée du Sud et le Pakistan. Il dispose de 1.400 aéronefs, 36 frégates dont 8 équipées du système d’armes naval américain Aegis (radars et missiles antinavires et anti-aériens), 21 sous-marins et 2 porte-aéronefs. En cas de crise, le ministère de la Défense exerce un contrôle direct sur les garde-côtes, qui dépendent du ministère des Territoires, des Infrastructures et du Tourisme. Partage d’informations et rapprochement opérationnel ont déjà eu lieu. Le ministère de la Défense devrait prendre à sa charge une partie du budget des garde-côtes. Par ailleurs, il pourra participer au financement de la recherche et du développement du pays en général et à celui des infrastructures publiques. En décembre 2022, le gouvernement japonais a décidé de porter le budget de la défense à 2 % du produit intérieur brut d’ici à 2027, pour donner suite aux demandes répétées des États-Unis et correspondant à l’objectif de l’OTAN. Le budget de la loi de programmation militaire 2023-2027 atteindra alors 315 Mds$. Celui de l’année fiscale 2023-2024 (avril-mars) se monte à 51 Mds$ avec une hausse annuelle de 26,3 %, la plus élevée depuis 1952.

Japon : protection et évacuation des ressortissants en cas de crise en Corée et à Taïwan

Missiles : amélioration de la technologie de la Corée du Nord

Japon : multilatéralisme dans un contexte stratégique tendu

 




Défense : intelligence artificielle, vers une norme internationale de fiabilité

La maîtrise des risques liés à l’intelligence artificielle (IA) dans l’industrie de défense implique la détermination de normes ISO pour assurer la fiabilité des systèmes futurs.

Arnault Ioualalen, directeur général de la société Numalis, en a expliqué les enjeux au cours d’une conférence de presse organisée, le 24 septembre 2018 à Paris, par le Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT). Numalis fournit des outils logiciels de validation et d’aide à la conception de « systèmes critiques » appliqués à l’aéronautique, l’espace et la défense.

Evolution des systèmes. L’IA trouve des applications directes dans la maintenance, la sécurité, la détection de cible, les drones, les missiles, la robotique et les systèmes optroniques. En matière de frappe, il s’agit d’apporter une aide à la décision qui reste du ressort de l’homme. Ainsi dans le guidage terminal d’un drone autonome, il faut éviter l’automatisme du « fire and forget » (tu tires et oublies). Le « client » (utilisateur) fixe les exigences de la mission et en définit les paramètres pour atteindre l’objectif. Le pilote d’un avion ou l’opérateur d’un drone armé qui doit procéder au tir d’un missile, véritable robot qui suit la cible par sa signature thermique, peut décider de l’annuler au dernier moment pour une raison politique ou éthique (victimes collatérales). Quant aux tirs automatiques de systèmes d’armes américains, israéliens ou coréens (installés à la frontière entre les Corées du Nord et du Sud), la décision, prise en amont, ne peut empêcher les erreurs (ratés ou « bavures »). L’IA va permettre d’augmenter la capacité à comprendre et mieux évaluer la cible. Elle va améliorer les systèmes existants pour les rendre plus performants et moins coûteux pour l’utilisateur et l’industriel. Dans le flux des données, elle trie les informations nécessaires qui remontent la chaîne de décision pour la manœuvre ou le bombardement. Elle aide ainsi à la décision en amont, alors qu’une décision automatique manque de fiabilité.

Réseaux de Neurones. L’IA dite « connexioniste » consiste à mimer les mécanismes biologiques du raisonnement humain par les techniques du « Deep Learning » (réseaux de neurones). Ne pouvant retrouver que ce qu’elle connaît, l’IA se spécialise dans un seul usage comme la reconnaissance d’images, l’identification ou la prédiction de comportement en temps réel. Cela nécessite des normes pour établir une relation de confiance entre le concepteur de l’IA et son utilisateur. Il s’agit d’abord de montrer la robustesse et la sécurité de l’IA par une approche technique transverse. Ensuite, il convient de rassurer les citoyens sur son équité, sa transparence et sa confidentialité. Enfin, il faut constituer une barrière juridique contre la « colonisation numérique » (reconnaissance des données et leur traitement) par la responsabilisation des fabricants et vendeurs de systèmes.

Course internationale. L’IA suscite une compétition globale entre les Etats-Unis (entreprises privées) et la Chine (moyens étatiques). France, Allemagne, Grande-Bretagne, Irlande et Canada s’y intéressent de façon active. Russie, Italie, Israël, Japon, Inde et Corée du Sud se spécialisent sur certains sujets. Australie, Finlande, Suède et Luxembourg en observent les évolutions. En France, la Direction générale de l’armement suit l’ingénierie d’IA pour les armées. Au sein du comité ISO, le GICAT et Numalis présentent le projet français « Generate », norme de fiabilité du « Deep Learning ».

Loïc Salmon

Sécurité : l’intelligence artificielle, enjeu de souveraineté nationale

Drones : préparer le combat aérien de demain




Covid-19 : conséquences stratégiques en Asie

La Chine compense sa gestion discutable du Covid-19 par une réaffirmation de sa puissance régionale, face aux régimes démocratiques du Japon, de la Corée du Sud, de Taïwan et de Hong Kong et pour y contrer l’influence des Etats-Unis.

C’est ce qui ressort d’une visioconférence-débat organisée, le 28 mai 2020 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et animée par Bruno Tertrais, directeur adjoint. Y sont intervenus : Valérie Niquet, maître de recherche à la FRS ; Jean-Pierre Cabestan, professeur à l’Université baptiste de Hong Kong ; Antoine Bondaz, chargé de recherche à la FRS.

Chine. Le retard de la Chine dans le traitement de l’épidémie du Covid-19 et l’opacité des chiffres, jugés peu crédibles à l’étranger, sur le nombre des victimes, a suscité localement une inquiétude, accrue par la situation économique, souligne Jean-Pierre Cabestan. Les exportations reprennent lentement, la consommation ne répond pas et le chômage touche les migrants, contraignant le gouvernement à des réformes économiques et sociales. Son discours nationaliste rencontre du succès sur le plan intérieur, surtout après la reprise, en mai, des manifestations pro-démocratie à Hong Kong. Là, la prévention du Covid-19 a été efficace grâce à la fermeture de la frontière avec la Chine, sous la pression du corps médical menaçant de faire grève. Une reprise en main trop brutale par Pékin risque de provoquer un exil de plusieurs banques et entreprises étrangères vers Singapour ou le Japon. Déjà, sa diplomatie agressive contre la démocratie alimente la tension avec les Etats-Unis et nuit à l’image de la Chine parmi les pays en développement. Les pays récipiendaires du projet des « Routes de la Soie » demandent à renégocier leurs dettes. Malgré leur présence navale dans la région, les Etats-Unis n‘ont pu empêcher la Chine de construire des installations militaires sur des îles artificielles et des atolls.

Japon. Dès l’apparition du Covid-19, le Japon a fermé ses frontières, indique Valérie Niquet. Le gouvernement central a su mobiliser les divers ministères et les gouverneurs (élus) des préfectures qui ont montré leur efficacité. Fin mai, seulement 850 décès ont été imputés au Covid-19, sur une population de 126 millions d’habitants. Toutefois, l’état d’urgence ne peut être imposé, pas plus que le confinement de la population, qui se voit seulement « conseillée » en matière de prévention. Les hôpitaux disposent de beaucoup de lits, mais de peu de lits de réanimation. Sur le plan économique, le gouvernement a distribué 1.000 $ par habitant et préparé un plan de relance équivalant à 20 % du produit intérieur brut. Premier partenaire commercial, la Chine constitue les deux tiers des 30 millions de touristes étrangers annuels au Japon et y alimente des chaînes de productions industrielles. En conséquence, certaines entreprises de haute technologie seront relocalisées au Japon et dans d’autres pays asiatiques. Par ailleurs, le Japon a demandé une enquête sur l’influence chinoise au sein de l’Organisation mondiale de la santé et souligne les incidents graves aux îles Senkaku (territoire japonais revendiqué par la Chine) et les intrusions de la Chine dans ses relations avec Taïwan.

Corées du Sud et du Nord. Forte de son expérience de l’épidémie de Sras (2005), la Corée du Sud a appliqué les trois « T » à celle du Covid-19 : tester, tracer et traiter, explique Antoine Bondaz. Elle n’a pas fermé ses frontières, se contentant d’un contrôle sanitaire aux aéroports. La Corée du Nord a fermé les siennes et poursuivi ses programmes militaires (nucléaire et balistique).

Loïc Salmon

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