Défense : renforcement industriel en armement et munitions

Les commandes d’armement aux industriels ont atteint 20 Mds€ en 2023. Les livraisons de missiles et d’obus, prévues pour 2024-2030 s’échelonneront entre l’été 2024 et le 2ème semestre 2025.

Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, les a annoncées au cours d’une conférence de presse, organisée le 26 mars 2024 à Paris, en présence des hautes autorités militaires et civiles, dont le chef d’État-major des armées, le général d’armée Thierry Burkhard, et le délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva (photo).

Accélération des commandes. Le montant de 20 Mds€ des commandes effectives de 2023 dépassent d’un tiers celui de la moyenne de 15 Mds€ sur la période 2017-2022 et de plus du double celui de la moyenne de 9,5 Mds€ sur la période 2012-2016. Cela donne beaucoup de visibilité aux industriels de l’armement, explique le ministre, qui reconnaît des segments en tension dont les missiles Aster 30. Ces derniers équipent le dispositif sol-air Mamba, installé en Roumanie dans le cadre des missions OTAN de réassurance à l’Ukraine. Ce besoin de missiles concerne aussi la France. Ainsi, les frégates déployées en mer Rouge pour sécuriser le trafic maritime, ont tiré 22 missiles Aster 15 et 30 contre les drones et missiles balistiques lancés par les rebelles Houthis en réponse à l’offensive d’Israël à Gaza. Les commandes de divers types de missiles sol-air s’accélèrent. La livraison prévue en 2026 de 200 missiles longue portée Aster, commande d’un montant de 900 M€, aura lieu au 2ème semestre 2024. Celle de 1.500 missiles antichars MMP (400 M€) prévue fin 2024, sera avancée à l’été 2024, comme celle de 300 missiles courte portée Mistral (150 M€). Celle de 500 missiles air-air Mica-NG (700 M€), prévue fin 2026, aura lieu au 2ème semestre 2025. La livraison de 55.000 obus de 155 mm (600 M€) pour le canon Caesar, prévue de 2024 à 2030, sera avancée à l’été 2024. En outre, le ministre annoncé une commande anticipée de 200 missiles Aster, portant le montant total à 2 Mds€ et une autre similaire pour le Mica-NG. Au 31 décembre 2023, les principales commandes se répartissent ainsi : MBDA (missiles), 3 Md€ ; Naval Group (construction navale), 4 Mds€ ; Thalès (électronique), 6 Mds€ ; Arquus (véhicules terrestres), 1 Md€ ; Nexter (systémier terrestre), 1,5 Md€ ; Safran (aéronautique et espace), 2 Mds€. A l’export, le succès des canons Caesar offerts à l’Ukraine suscite de l’intérêt au Moyen Orient et en Europe, de même que les radars GM200 ou GM400. Toutefois, certains contrats n’ont pu aboutir en raison de délais de livraison trop longs.

Économie de guerre. Il s’agit de produire plus vite et en plus grande quantité, souligne le ministre, en s’appuyant sur une base industrielle et technologique de défense complètement autonome et performante à l’exportation. Les difficultés résultent de la diminution des crédits budgétaires et de contrats opérationnels, notamment au Sahel, ne nécessitant pas la même masse d’équipements ou de munitions qu’un conflit de haute intensité. Les industriels ont alors investi dans l’innovation et le développement d’armes nouvelles pour ne pas perdre des avancées technologiques. Toutefois, la production faisant la différence sur le terrain opérationnel, des travaux sont en cours sur les simplifications administratives et le financement, notamment au niveau de l’Union européenne. Enfin, le ministère des Armées va investir 10 M€ dans une usine de fabrication de poudre, filière perdue depuis 2007, pour produire l’équivalent à terme de 150.000 obus de 155 mm par an.

Aide à l’Ukraine. En deux ans de guerre, la France a livré environ 30.000 obus de 155 mm à l’Ukraine et lui en fournira 80.000 en 2024 ainsi que 78 canons Caesar (financement international bouclé). La France et l’Allemagne lui ont livré 400 équipements, qui auront besoin de maintenance. Un dialogue se poursuit avec les partenaires anglo-saxons pour adapter des bombes françaises A2SM sur les avions américains F16 destinés à l’Ukraine.

Loïc Salmon

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Europe : industrie de défense et forum stratégique à Paris

Simultanément à la publication par la Commission européenne d’une stratégie pour l’industrie de défense et d’une proposition de programme pour l’investissement de défense, l’Académie de défense de l’École militaire (ACADEM) organise, à Paris les 13 et 14 mars 2024, un forum international sur l’Europe.

Le 7 mars 2024, le ministère des Armées a publié un communiqué sur l’industrie de défense européenne et le général de corps d’armée Benoît Durieux, président de l’ACADEM, a présenté le forum à la presse.

Industrie de défense européenne. Le document de la Commission européenne sur la « Stratégie européenne pour l’industrie de défense » présente une vision à l’horizon 2035 selon cinq axes : investir mieux, ensemble et entre Européens ; assurer une meilleure disponibilité des équipements de défense ; un volet financement ; consolider une culture de préparation à la défense ; un volet partenariats, principalement avec l’Ukraine et l’OTAN. Le ministère français des Armées prend en compte ce qui sera défini comme « produit européen », à savoir conçu et fabriqué sur le sol européen. Il rappelle que l’industrie de défense doit répondre aux besoins des armées de chaque pays et que la vente d’équipements dépend de mesures définies au niveau national. Par ailleurs, la Commission européenne propose la création d’un Programme européen pour l’investissement de défense avec une enveloppe budgétaire de 1,5 Md€.

Contexte international tendu. Le général Durieux souligne que la Russie apparaît objectivement comme un péril pour l’Europe dans un monde où le repères se brouillent. Ainsi, l’ex-président des États-Unis Donald Trump (2017-2021), à nouveau candidat en 2024, a laissé entendre, le 10 février, que l’intervention des États-Unis ne serait pas automatique en cas d’attaque de la Russie contre un pays membre de l’OTAN. Il a répondu à un président d’un État membre : « Non je ne vous protégerai pas. En fait, je les encouragerai à faire ce qu’ils veulent ». Vous devez payer vos dettes ». Il faisait allusion aux pays membres qui ne consacrent pas encore 2 % de leur produit intérieur brut à la défense, pourcentage qui devrait être atteint par 18 pays membres (dont la France) sur 31 en 2024. Par ailleurs, le général Durieux a rappelé que de nombreux pays trouvent normal de ne pas condamner l’agression russe en Ukraine, que la violence politique se banalise et que l’organisation islamiste palestinienne a lancé une attaque terroriste contre Israël (7 octobre 2023), sans oublier les tensions en mer de Chine et les nombreuses attaques cyber récurrentes.

Forum international stratégique. Selon l’ACADEM, 2.600 personnes se sont inscrites au forum, qui réunit 215 conférenciers autour de 38 tables rondes et 3 ateliers continus. Parmi les invités, 68 nationalités sont représentées, dont : 80 personnes de la délégation franco-lituanienne (président lituanien et plusieurs ministres) ; 82 diplomates (22 ambassadeurs en poste) ; 41 parlementaires français et étrangers ; 39 attachés de Défense (42 attachés de. Défense adjoints) ; 26 officiers généraux étrangers (hors attachés de Défense) ; 128 officiers généraux français (59 en activité) ; 22 présidents-directeurs généraux de la base industrielle et technologique de défense. Le premier thème porte sur les architectures de défense et de sécurité de l’Europe, en raison de la proximité géographique de la guerre. Celle-ci appelle à accompagner l’innovation de rupture technologique, en tenant compte du changement climatique et de l’efficacité énergétique. Le deuxième thème aborde la géopolitique à l’Est, en mer Baltique, en Méditerranée, en Afrique et dans la zone indopacifique, où les ambitions territoriales de la Chine impliquent une « négociation coercitive entre États ». Le troisième thème concerne les milieux terrestre, maritime, aérien, spatial, cyber et informationnel, l’influence et le nucléaire.

Loïc Salmon

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Corée du Sud : BITD performante, quasi-autosuffisance en armement et succès à l’exportation

Recherche et développement, autonomie industrielle, partenariats internationaux et soutien à l’exportation permettent à la Corée du Sud de produire des matériels militaires de technologies moyennes mais de hautes qualités et à des prix compétitifs.

Patrick Michon, ingénieur général de l’armement retraité devenu consultant, a présenté la base industrielle et technologique de défense (BITD) de la Corée du Sud au cours d’une visioconférence organisée, le16 mai 2023 à Paris, par l’association 3AED-IHEDN et l’Association de l’armement terrestre.

Les forces armées. L’armée de Terre sud-coréenne a entamé sa numérisation et met en place un système de recueil du renseignement électromagnétique. Elle dispose de 400 chars K1A1 de 54 t, version améliorée du K1 (51 t), et de 68 canons automoteurs K9 Thunder de 155 mm. Elle a mis en service le char K2 Black Panther (56 t), de nouveaux systèmes antiaériens et des missiles à courte et moyenne portée. L’armée de l’Air a commandé une quarantaine de chasseurs F-35 et 4 AWACS (systèmes de détection et de commandement aéroportés) aux États-Unis. Avec l’assistance technique de l’avionneur américain Lockheed, la Corée du Sud a développé et produit les avions de chasse légers et d’entraînement TA-50 et FA-50 Golden Eagle. Elle a fait de même avec le constructeur européen Airbus Helicopters pour l’hélicoptère de transport tactique Surion et l’hélicoptère d’attaque léger LAH. En partenariat avec l’Indonésie, elle développe l’avion de combat multi-rôles de 5ème génération KF-21 Boramae, dont le prototype a effectué son premier vol en 2022. L’entrée en service du Boramae, prévue en 2026, permettra de remplacer ses F-4 Phantom II et F-5E/F Tiger II américains. La Marine dispose de 3 sous-marins à propulsion diesel-électrique avec une capacité de lancement de missiles mer-sol, 5 destroyers KDX-2 de 4.000 t, 3 destroyers KDX-3 de 7.000 t et de 3 porte-hélicoptères de 13.000 t. Elle a sélectionné le chantier sud-coréen Daewoo Shipbuilding pour la conception et la construction de trois « navires arsenaux » Joint Firepower Ships transportant chacun plus de 80 missiles balistiques nouveaux.

L’industrie d’armement. Outre le soutien de la BITD par tous les gouvernements depuis 1976 (encadré), la Corée du Sud augmente régulièrement son budget pour la recherche et le développement, passé de 4 % de son produit intérieur brut en 2018 à 5 % en 2020. En 2006, Le ministère de la Défense, qui disposait de huit agences d’acquisition d’équipements militaires, les a remplacées par la DARPA (Defense Acquisition Program Administration), inspirée de la Délégation générale de l’armement française avec un budget annuel de 10 Mds$. En outre, dans le domaine spatial, le KARI (Institut coréen de recherche aérospatiale), fondé en 1989, correspond à la NASA américaine ou, en France, à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales et au Centre national d’études spatiales réunis. Ses premières activités ont porté sur les fusées KSR-1 et KSR-2 à un ou deux étages puis sur le développement d’un moteur à oxygène liquide et kérosène. Pour accélérer le processus, il s’est associé à des partenaires russes pour réaliser la fusée KSLV, inspirée du lanceur russe Angara, mais dont les deux tirs ont échoué. Toutefois, le KARI a développé divers satellites : KOMPSAT Arirang (observation de la terre) ; COMS (météorologie) ; STSAT (expérimentations scientifiques).

La politique d’exportation. La Corée du Sud, qui a déjà gagné des contrats d’armements importants à l’exportation, vise 5 % du marché mondial d’ici à 2030. Ainsi, elle a réussi à vendre à la Malaisie des véhicules de combat d’infanterie KIFV (dérivés du M113 américain), mais pas de chars K1. Elle a vendu la licence du canon automoteur K9 Thunder à la Turquie et lui a transféré les technologies du char K2 Black Panther pour le développement du nouveau char turc Altay. Elle a conclu des options d’achats avec la Pologne se montant à 14 Mds€ et incluant une coopération industrielle et des transferts de technologies dont : 2,5 Mds€ pour la commande de 48 avions FA-50 Golden Eagle ; 2,25 Mds€ pour 180 chars K2 Black Panther avec une option sur 400 unités supplémentaires d’ici à 2030 ; 3 Mds€ pour 670 châssis de canons K9 Thunder. Ce dernier (ou sa licence de fabrication) a été aussi vendu à l’Australie, l’Inde, l’Égypte, l’Estonie, la Finlande et la Norvège. Dans le domaine naval, outre la construction d’une frégate de 2.300 t pour le Bengladesh, la Corée du Sud a vendu : plusieurs patrouilleurs côtiers à la Malaisie ; un bâtiment amphibie et un pétrolier-ravitailleur au Venezuela ; des chasseurs de mines à l’Inde avec une compétition en cours pour des sous-marins ; plusieurs bâtiments amphibies et 3 sous-marins avec une option sur 3 de plus à l’Indonésie. Dans le domaine aéronautique, la Corée du Sud a vendu : des avions d’entraînement KT1 et TA-50 à l’Indonésie ; des TA-50 version attaque au sol aux Philippines ; 40 KT1 à la Turquie ; 10 KT1 au Pérou. S’y ajoutent des commandes de FA-50 pour la Colombie, l’Irak et les Émirats arabes unis et de TA-50 pour le Sénégal, qui lui a acheté des KT1. Elle ne vend pas à des pays en guerre.

L’acquisition de connaissances. En 2023, la Corée du Sud dispose de bases industrielles civile, spatiale et de défense. En une cinquantaine d’années, elle est presque parvenue à la souveraineté dans ces domaines, dont elle maîtrise les technologies. Selon Patrick Michon, ces succès reposent sur l’éducation de masse et le confucianisme, qui régit les relations sociales et où la copie d’un « bon » maître est encouragée. Ainsi, le projet de réalisation « nationale » d’un sous-marin d’attaque à propulsion diesel-électrique en constitue une application. L’Inde puis la Corée du Sud ont décidé de le réaliser, à partir de la technologie du submersible allemand de la classe 209. La Corée du Sud y est parvenue en 2020, mais l’Inde pas encore. Tout commence en 1981, quand la Marine indienne achète quatre sous-marins 209/1500, dont deux sont construits au chantier allemand HDW et deux au chantier indien MDL dans le cadre d’un transfert de technologie, et les met en service entre 1986 et 1994 sous le nom de la classe Shishumar. A la suite de l’accord de 2005 avec la France, la Marine indienne a commandé six sous-marins conventionnels Scorpène (2.000 t en plongée), livrables entre 2017 et 2023, au chantier Naval Group. En 2022, ce dernier se retire de l’appel d’offres de la Marine indienne portant sur la construction, par MDL, de six unités anaérobies (autonomie de plongée accrue par rapport au unités conventionnelles grâce à la pile à combustibles), plus grandes que le Scorpène mais avec un nouveau transfert de technologie destiné au projet indien 75-i. De son côté mais en 1987, la Corée du Sud a acheté à l’Allemagne trois sous-marins 209/1300 (reclassés Chang Bogo). Ensuite, en 1993, la Marine sud-coréenne a commandé neuf sous-marins Chang Bogo construits sous licence au chantier sud-coréen Daewoo, tous livrés en 2001. Le programme national sud-coréen, lancé en 2007, porte sur la construction de neuf sous-marins de 3.000 t entre 2021 et 2029.

Loïc Salmon

La base industrielle et technologique de défense de la Corée du Sud repose sur des entreprises spécialisées, filiales des grands groupes industriels dénommés « Chaebols »  : domaine naval, Hyundai Heavy Industries, Hanjin Heavy Heavy Industries, Daewoo Shipbuilding et Wia ; aéronautique, Korean Aerospace Industries (KAI), Korean Air Lines (KAL), Hanwha Defence et Wia ; équipements terrestres, Hanwha Defence, Doosan, Rotem et Wia ; missiles, KAI, Hanwha Defence, Next One Future, Hanwha (pour les explosifs) et Poogham (munitions) ; électronique pour les trois armées, Hanhwa Defence et Next One Future ; drones, KAL, Uconsystem (RemoEye, drone léger à usages civil et militaire) et KAI (drone Night Intruder 300 pour l’observation, la reconnaissance et la surveillance du territoire). Enfin, STX Engine développe des moteurs pour les navires et les véhicules terrestres.

Industrie de défense : émergence de la Corée du Sud et de la Turquie à l’exportation

Missiles : amélioration de la technologie de la Corée du Nord

Corée du Nord : « royaume ermite » et facteur de crise en Asie du Nord-Est

Japon : protection et évacuation des ressortissants en cas de crise en Corée et à Taïwan




Industrie de défense : les armes hypersoniques à l’heure asiatique

Alternative quasi-invincible au missile balistique, les armes hypersoniques sont au cœur d’une course technologique en Asie, où l’équilibre sécuritaire maintenu par les États-Unis est remis en cause.

Pour éclairer ces implications qu’Emmanuelle Maitre, chargée de recherche à la Fondation sur la recherche stratégique, est intervenue au cours d’une conférence-débat organisée le 29 septembre 2022 par les associations Sights et Les Jeunes IHEDN Normandie.

Matériel polyvalent mais coûteux. Le terme d’arme hypersonique désigne un engin emportant une charge à une vitesse égale ou supérieur à Mach 5 (6.174 km/h) suivant une trajectoire atmosphérique modifiable en vol. Il se décline sous deux formes, à savoir planeur et missile, se différenciant par leur propulsion et leur altitude. Le planeur est mis à poste à 300 km d’altitude par des fusées spatiales, qui lui confèrent sa vitesse inertielle et potentielle. Le missile est, quant à lui, équipé d’un statoréacteur et se déplace à 30 km d’altitude. Leur portée est tenue secrète mais certains prototypes pourraient atteindre une cible jusqu’à 5.000 km avec une précision d’une dizaine de mètres. L’alliance du vol à basse altitude, de la vitesse et de la manœuvrabilité rend ces armes difficiles à détecter, à anticiper et à intercepter. Cette imprévisibilité les distingue du missile balistique, qui atteint également une vitesse hypersonique mais suit une trajectoire extra-atmosphérique en ellipse avec un point de chute facilement calculable. Si la charge embarquée peut être autant nucléaire que conventionnelle, les armes hypersoniques ont d’abord été pensées à des fins de dissuasion stratégique. Pionniers dans le domaine, les États-Unis ont étudié un programme de planeur comme vecteur nucléaire dès les années 1960. Cependant ce programme a été abandonné en raison des progrès des missiles intercontinentaux toujours difficilement contrés. Lancé à l’issue de la guerre froide, le programme américain « Prompt Global Strike » a tenté de développer des missiles de croisière hypersoniques à portée globale. Après quelques difficultés, les efforts se sont concentrés sur des missiles de plus petite taille à emploi tactique, afin d’éliminer une cible précise, mobile et à haute valeur ajoutée, sur un champ de bataille. Par ailleurs, des projets sont à l’étude afin d’étendre les usages de la vitesse hypersonique au transport civil. Cette technologie présente néanmoins plusieurs inconvénients. L’exemple américain a permis de chiffrer les coûts très élevés de développement pour mener un programme à maturité. D’autres armes, plus abouties et moins onéreuses, offrent le même résultat. Enfin, des systèmes de contre-mesure sont déjà financés pour neutraliser ces missiles. Pourtant plusieurs pays d’Asie n’ont pas hésité à investir dans cette technologie pour ne pas rater l’accès à une arme d’apparence prometteuse.

Prolifération de programmes en Asie. Plusieurs États de la zone indopacifique investissent dans la recherche et le développement des missiles hypersoniques et avec succès. Au-delà de l’effet d’annonce, Emmanuelle Maitre rappelle que ces programmes ne répondent pas toujours à des objectifs limpides ni même aux caractéristiques d’une arme hypersonique. Les États-Unis mènent actuellement sept programmes de missiles dont trois au stade d’essais : « Operational fires » , « AGM-183A » et « HAWC ». Toutefois, ils sont rattrapés, voire dépassés, par la Russie et la Chine qui disposent d’armes déjà opérationnelles. Ainsi, la Russie a mis au point le planeur Avangard (voir encadré), le missile antinavire Zirkon et le système Kinjal, à savoir un missile balistique mis à feu depuis un avion. La Chine déploie le DF-ZF (ou DF 17), constitué d’un planeur couplé au missile balistique de courte portée DF-16. Un missile de croisière à statoréacteur serait aussi en développement. La Corée du Nord a récemment annoncé avoir lancé un missile hypersonique, en réalité un missile balistique à tête manœuvrante. Elle n’a pas indiqué la distance entre la séparation et le point d’impact qui permettrait d’y déceler un bond technologique. Le gain de temps offert en cas de frappe sur Séoul (capitale de la Corée du Sud) ne constitue pas une rupture par rapport à ses missiles balistiques. Face à elle, la Corée du Sud a lancé son premier missile hypersonique il y a trois ans. Le Japon a publié son objectif de concevoir un planeur d’ici à 2030 pour ne pas se laisser distancer par ses adversaires potentiels russes et chinois. La France développe aussi un armement hypersonique dans le cadre du renouvellement de ses forces aériennes nucléaires stratégiques, notamment le planeur VMAX. Quant à l’Inde, elle aurait lancé un missile HSTDV couplé à un missile balistique Agni de portée moyenne ou intermédiaire développé en interne. Elle a également commencé l’étude du Bramos 2 en coopération avec la Russie, bien que le programme semble à l’arrêt depuis 2020. Comme Pyongyang, New-Dehli semble davantage rechercher un gain politique en démontrant sa capacité technologique, au détriment d’une réflexion stratégique sur le l’emploi de ces armes.

Menace du « game changer ». Par ses caractéristiques techniques, l’arme hypersonique peut remettre en question l’équilibre militaire de la zone indopacifique marquée par de fortes tensions. S’il est peu probable, pour Emmanuelle Maitre, qu’un État puisse totalement se protéger d’une attaque nucléaire, un bouclier anti-missile apparaît néanmoins pertinent contre des tirs conventionnels. Le cas de Taïwan illustre bien le bouleversement induit par l’emploi des missiles hypersoniques. Dans le scénario d’une invasion, une frappe de précision rapide pourrait paralyser la capitale Taipei et ralentir la mobilisation de ses forces armées. Dans un deuxième temps, les bases américaines situées à proximité seraient neutralisées, leurs défenses étant encore inopérantes face aux missiles hypersoniques. Enfin, une zone de déni d’accès autour de l’île serait imposée aux flottes américaine et japonaise. Malgré les inconnues qui persistent sur les performances et le nombre réel des missiles chinois, il est clair que les porte-avions américains seront les premiers visés. Pièce maîtresse de la protection du détroit, ils ne disposent pas non plus de défense face à des missiles aussi véloces. Le discours politique pointant cette vulnérabilité a permis au Pentagone d’obtenir le financement des programmes hypersoniques dans le budget voté par le Congrès en 2021. Parmi les technologies défensives étudiées, les armes à énergie dirigée seraient en mesure de désorienter les composants, aussi sensibles que perfectionnés, d’un système hypersonique. La Corée du Sud et le Japon coopèrent avec les États-Unis pour obtenir un succès dans ce domaine. Une réflexion est aussi engagée pour repenser la défense anti-missile. Pour limiter la vulnérabilité du dispositif américain à l’égard des frappes, la mobilité et la dissimulation des forces doivent être améliorées. L’aspect révolutionnaire des armes hypersoniques doit être pour le moment relativisé, conclut Emmanuelle Maitre. Elle pointe avant tout leur bénéfice politique. Si les avancées scientifiques se poursuivent, elles n’accoucheront pas d’une arme miracle capable d’emporter la décision. Sans doctrine d’emploi, le risque est grand de gâcher des munitions au coût très élevé, à l’image du missile russe Kinjal en Ukraine.

Louis Lamiot

Le planeur russe Avangard, lancé par un missile balistique, atteindrait 33.000km/h avec des rebonds atmosphériques successifs pour contourner les systèmes américains THAAD (anti-missiles balistiques) et Aegis (antinavire et anti-aérien). Le système hypersonique chinois DF-ZF est un drone capable de voler à Mach 10 (12.348 km/h) selon des trajectoires paraboliques. Le missile balistique DF-17, qui l’emporte, pourrait parcourir de 1.800 à 2.500 km. La cellule du DF 17 serait protégée par une couche d’aérogel (solide à très faible densité) pour résister à une chaleur de 1.000 °C et bloquer de rayonnement infrarouge sans gêner les émissions de ses capteurs.

Drones et armes hypersoniques : futurs enjeux de puissance

Défense : l’innovation, pour la supériorité opérationnelle et l’autonomie stratégique

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Marines : se préparer au combat naval de haute intensité

Agir dans la complexité qui s’impose à nous, trouver chez les autres ce qu’on n’a pas et se battre avec ce qu’on a après une longue réflexion en amont.

Ces conditions de la victoire sur mer ont été exposées par l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine, au cours d’un colloque organisé, le 17 octobre 2022 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique et la Sogena (Société d’organisation et de gestion d’événements navals dont le salon Euronaval à Paris). Sont également intervenus : le vice-amiral d’escadre Didier Piaton, N°2 du Commandement maritime allié de l’OTAN ; Bryan Clark, directeur de recherche au centre de recherche américain Hudson Institute ; Frédéric Le Lidec, directeur de la recherche, du développement et de l’innovation chez Naval Group.

Retour du combat à la mer. Le concept de l’attaque de la mer vers la terre a vécu, souligne l’amiral Vandier. Il faut à nouveau se préparer à la violence du combat entre unités navales, laquelle est passée de 400 morts à la bataille de Trafalgar (1805) à 1.400 morts pendant un affrontement de la seconde guerre mondiale. En outre, il faut vingt ans pour reconstruire ou construire une Marine de haute mer. Ainsi, celle de la Chine, en développement constant depuis 2015, devrait atteindre, en tonnage, le double de celui de la Marine américaine en 2035. Aujourd’hui, le groupe aéronaval français se trouve au contact d’une flotte russe en Méditerranée avec parfois des pointages radar (comportement hostile). Une frégate russe, chinoise ou turque parvient à naviguer dans les eaux internationales en face de Brest. Dès la sortie du port, il faut se préparer au combat et à tirer pour détruire l’adversaire. A Brest et par tout temps, l’escorte navale et aérienne protège le départ en patrouille de chaque sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Après la guerre en Ukraine, le comportement de la Russie sera très différent. Il s’agit de se préparer à combattre en mode dégradé, sans GPS ni communication satellitaire. L’avion de chasse embarqué Rafale, quoique beaucoup plus performant que le Super-Etandard, passe très difficilement en mode dégradé, comme les sous-marins nucléaires d’attaque de nouvelle génération ou les frégates multi-missions (FREMM). Dans ce contexte, l’exercice interarmées, interalliés et inter théâtres « Polaris » de préparation opérationnelle à un engagement de haute intensité a mobilisé 6.000 militaires français et étrangers, dont 4.000 de la Marine nationale, du 18 novembre au 3 décembre 2021. Outre la volonté de se battre jusqu’au bout, il faut de la chance, expression ultime du talent acquis par une longue réflexion préalable, conclut le chef d’état-major de la Marine.

Leçons de la guerre en Ukraine. Le Commandement naval de l’OTAN exerce un effet de dissuasion et une capacité de réaction au profit des États membres, explique l’amiral Piaton. Il assure la fusion des informations recueillies par les Marines de vingt pays et évalue en permanence les rapports de forces en Atlantique. Dès le début de la crise ukrainienne, il a suivi les déplacements de la Marine russe, de la Baltique au Pacifique et en mer Noire, et a établi une corrélation entre les mouvements des forces et les exercices terrestres, dès fin 2021. La frontière entre les forces russes et celles de l’OTAN n’existe pas. En raison de son soutien officiel à l’Ukraine, l’OTAN, qui n’est pas en guerre contre la Russie, a mené une action coordonnée pour renforcer son flanc Est. La gestion opérationnelle de la crise vise à éviter toute escalade et de donner à la Russie un prétexte pour en rendre l’OTAN responsable. Sur le plan naval, il s’agit de se coordonner face aux manifestations brutales, comme la présence de mines dérivantes en mer Noire ou l’attaque de gazoducs au large de la Scandinavie. Le maintien de la supériorité opérationnelle, à raison de trois contre un, repose sur l’expertise de tous les Alliés du flanc Est, de la Norvège à la Turquie, et sur la coordination de 200 bâtiments de combat. Plusieurs enseignements sont tirés de la guerre en Ukraine : création de zones de déni d’accès par l‘allonge des armes et la furtivité des plateformes navales ; détermination de cibles terrestres à partir d’armes navales ; ciblage d’objectifs navals à partir d’armes côtières. L’entrée en combat de haute intensité se ferait de façon soudaine, sans choisir le moment ni le lieu, ou par réaction à une provocation délibérée, comme le tir de la première torpille ou du premier missile. La Marine russe a déjà subi des revers, à savoir les pertes du croiseur Moskva et de l’île aux Serpents en mer Noire. Sa supériorité de fait se trouve limitée par des frappes parties de la terre, interdisant toute intervention amphibie. L’article V de l’Alliance Atlantique sur la défense collective implique le maintien de la supériorité navale par une volonté commune et la rapidité de décision de 30 nations en quelques heures. Il s’agit de durer et bénéficier de la mer pour la logistique de l’Union européenne, alors que les forces russes souffrent des retards de livraisons de munitions et rencontrent des difficultés de coordination. Les forces ukrainiennes reçoivent des technologies de pointe, à savoir armes à longue portée, dispositifs de brouillage et drones. La Marine russe renouvelle sa composante sous-marine, mais celles de l’OTAN modernisent la lutte anti-sous-marine, notamment avec les FREMM françaises et italiennes. La supériorité opérationnelle de l’OTAN s’entretient par des exercices interalliés comme « Polaris » (voir plus haut) et « Orion », qui mobilisera 10.000 soldats en 2023.

Stratégie navale américaine. La guerre russo-ukrainienne a modifié la stratégie américaine, estime Bryan Clark. La coopération militaire apportée à l’Ukraine par les pays européens, dont la France, facilite une action contre la Russie, sans engagement militaire des États-Unis qui interviennent par leur intermédiaire. La neutralisation du croiseur russe Moskva démontre l’efficacité des armes de précision peu onéreuses et des réseaux de surveillance commerciaux. Elle s’est déroulée en plusieurs phases. D’abord, deux missiles ukrainiens, tirés depuis la terre, provoquent une explosion. Ensuite des drones ukrainiens leurrent la défense anti-aérienne du croiseur. Puis, des missiles de croisière antinavires Neptune, lancés depuis la côte, le frappent. Enfin, le Moskva coule au cours d’une tempête lors de son remorquage vers le port de Sébastopol (Crimée). En conséquence, la Marine américaine va recourir davantage aux unités navales et aériennes sans équipage. Il ne s’agit plus d’empêcher une agression mais d’être efficace, notamment face à la Chine dont la Marine a atteint un niveau équivalent à celles des États-Unis et des pays de l’Union européenne. La Chine, indique Bryan Clark, évolue dans une « zone grise », à savoir montrer sa force mais ne pas l’utiliser dans les scénarios d’invasion de Taïwan. A une dissuasion par déni d’accès, les États-Unis préfèrent la création d’un sentiment d’incertitude quant à une victoire chinoise, afin de saper la détermination de la Chine comme au temps de la guerre froide de l’OTAN contre l’URSS (1947-1991).

Loïc Salmon

Selon Frédéric Le Lidec, les études portent sur des drones océaniques, catamarans ou non, (30-40 m de long) et sous-marins (10-15 m). Il s’agit d’accroître l’endurance du navire en réduisant son exposition en zone hostile et aussi de projeter des drones en toute sécurité, quel que soit l’état de la mer. En 2020, Naval Group a procédé à des expérimentations sous l’eau et dans les airs pour protéger la plongée d’un sous-marin. Grâce à l’intelligence artificielle, le drone doit pouvoir traiter et transmettre des données au commandement, en vue de la décision la plus appropriée à la situation tactique. Malgré l’autonomie du drone, le marin doit pouvoir reprendre la main sous faible préavis, grâce à des règles simples et compréhensibles. Le déploiement de petits drones en essaims représente une menace, dont il faut se prémunir, mais aussi des opportunités tactiques, s’ils sont concentrés ou dispersés. Leur mise en œuvre doit toujours relever du commandement.

Marines : outils politiques et de projection de puissance

Ukraine : hégémonie navale russe en mer Noire

OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine




Défense : budget 2023, une hausse annuelle de 7,4 %

Le projet de loi de finances (PLF) des Armées, qui sera présenté bientôt au Parlement, se monte à 43,9 Mds€ pour 2023, soit 3 Md€ de plus en un an.

Selon un document du ministère des Armées rendu public le 27 septembre 2022 à Paris, la hausse cumulée sur six ans depuis 2017 se monte à 36 % jusqu’à 37,6 Mds$. Elle a permis d’atteindre les 2 % du Produit intérieur brut, conformément aux engagements pris envers l’OTAN. Le LPF 2023 de 43,9 Mds€ se répartit en : 25,6 Mds€ pour l’équipement ; 12,9 Mds€ pour les salaires de 271.000 personnels, dont 208.000 militaires (34.500 femmes) et 63.000 civils (24.600 femmes) ; 4,2 Mds€ pour l’activité et le soutien des forces ; 1,2 Md€ pour les opérations extérieures et les missions sur le territoire national. La ressource supplémentaire de 3 Md€ se répartit notamment en : 659 M€ de masse salariale ; 550 M€ pour l’entretien programmé du matériel ; 455 M€ pour les programmes à effet majeur ; 318 M€ pour la dissuasion. Le PLF prévoit 29.700 recrutements et 1.500 créations de postes prioritaires (cyberdéfense, renseignement, unités opérationnelles et soutien aux exportations). Il inclut 119 M€ pour le Plan Famille et 2,7 Mds€ pour les infrastructures.

Vers l’économie de guerre. L’innovation recevra 1 Md€ pour assurer la supériorité opérationnelle et l’autonomie stratégique. En vue d’une plus grande réactivité de l’industrie de défense pour répondre aux besoins des armées, le PLF 2023 consacre 5 Mds€ au maintien en condition opérationnelle et 38 Mds€ aux commandes militaires. Le renouvellement des stocks de munitions sera assuré par 2 Mds€ d’autorisations d’engagement et 1,1 Md€ de crédits de paiement. Il s’agit d’accélérer les flux de production, pour compléter et reconstituer les stocks et les parcs. En cas d’engagement de haute ou de moyenne intensité, il faudra soutenir l’approvisionnement de munitions dans le temps long et prévenir l’attrition des matériels. Les premiers lots de bombes de forte puissance seront livrés en 2023. En outre, le premier tir du missile air-air Mica de nouvelle génération est prévu.

Principales livraisons en 2023. Voici les livraisons prévues pour l’armée de l’Air et de l’Espace dans le domaine spatial : 37 stations tactiques satellitaires Syracuse IV ; 1 satellite de télécommunications Syracuse IV ; 90 récepteurs P3TS ; 59 postes d’exploitation imagerie Réno SAIM. Celles dans le domaine aéronautique comptent : 2 avions de transport A 400 M Atlas ; 3 avions ravitailleurs multi-rôles Phénix ; 9 avions d’entraînement PC21 ; 13 avions de chasse Mirage 2000D rénovés ; 13 Rafale Air ; 1 lot de missiles Scalp EG rénovés ; 1 lot de missiles d’interception à domaine élargi ; 1 lot de missiles d’interception air-air Mica remotorisés ; 2 radars fixes ; 2 centres de contrôle local d’aérodrome. Voici les livraisons prévues pour l’armée de Terre : 9 drones tactiques ; 8.660 fusils d’assaut HK 416 F ; 200 missiles moyenne portée ; 18 chars Leclerc rénovés ; 5 hélicoptères de combat NH90 ; 5 hélicoptères de combat Tigre ; 6 systèmes complets de lutte anti-drone Parade ; 180 véhicules légers tactiques polyvalents non protégés ; 264 véhicules blindés légers ; 1.305 équipements radio contact. Voici les livraisons prévues pour la Marine nationale : 1 sous-marin nucléaire d’attaque ; 1 frégate légère furtive rénovée ; 3 avions de patrouille maritime Atlantique 2 rénovés ; 1 patrouilleur outre-mer ; 1 module SLAMF de lutte contre les mines ; 1 bâtiment ravitailleur de forces ; 5 hélicoptères interarmées léger H160 ; 1 lot de missiles mer-mer Exocet.

Loïc Salmon

Défense : budget 2022, une hausse annuelle de 4,3 %

Défense : le Plan Famille, soutien du moral des troupes

Défense : les infrastructures, de la construction à l’expertise




Euronaval 2022 : innovations et technologies du futur

La 28ème édition du salon international Euronaval accueille plus de 440 exposants, dont 232 étrangers (30 pays) ainsi que des décideurs politiques et militaires et des acheteurs et prescripteurs de haut niveau.

Organisé par le Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN, 250 entreprises et organisations) se déroule du 18 au 21 octobre 2022 à Paris-Le Bourget. A cette occasion, le ministère des Armées a invité 375 représentants de 113 pays et organisations internationales : Afrique, 32 ; Europe, 27 ; Amériques, 17 ; Asie-Pacifique, 21 ; Proche et Moyen-Orient, 10 ; organisations multilatérales, 5. En 2018, précédente édition en présentiel, Euronaval avait accueilli 101 délégations officielles étrangères de 27 pays et organisations internationales, dont 6 ministres et vice-ministres de la Défense, 6 directeurs des achats et 29 commandants des Marines. Sur les 80 pays disposant d’une flotte militaire, 72 ont été représentés par une délégation officielle.

Un large éventail d’activités. Les exposants proposent des équipements dans divers domaines : opérations navales ; sécurité et sûreté maritimes ; opérations spéciales ; hydrographie, océanographie et environnement marin ; formation, entraînement et simulation ; services ; navires et sous-marins ; aéronefs et équipements aéronautiques ; systèmes d’armes et munitions ; drones et robotique ; propulsion et énergie ; communication, information et navigation ; guerre électronique et cyberdéfense ; architecture navale et ingénierie militaire ; réparation, maintenance et démantèlement ; infrastructures et bases navales ; composants et équipement divers. En outre, des conférences-débats sont organisées sur certaines thématiques : cybersécurité et numérisation ; drones marins et robotique ; combat de surface ; guerre sous-marine ; mines ; lutte anti-missiles ; actions aériennes ; opérations aéronavale, amphibie et spéciales ; action de l’État en mer et fonction garde-côte ; chantier du futur et jumeaux numériques ; changement climatique et solutions durables ; outils spatiaux pour la défense navale et la sécurité maritime.

Le marché naval mondial. En partenariat avec le groupe d’information britannique Jane’s le GICAN a réalisé une cartographie exhaustive du secteur naval de défense et des grandes tendances du marché. Intitulée « The world defence shipbuilding » (Construction navale militaire mondiale), cette étude établit que ce marché se monte à 3, 472 Mt d’une valeur de 274,31 Mds$ pour la période 2015-2021. Rien que pour les années 2020-2021, il atteint 1,127 Mt d’une valeur de 82,34 Mds$. En 2020-2021, les livraisons en Russie ont augmenté fortement et la production de l’Asie de l’Est a dépassé celle des États-Unis, en tête pour la période 2015-2019. Les productions des pays d’Europe et des États-Unis ont baissé en 2020-2021 par suite de la pandémie du Covid19 mais ont repris en 2022. L’édition 2022 de « The world defence shipbuilding » présente le nombre de navires livrés aux Marines de 18 pays ainsi que celui des unités vendues à l’exportation pour la période 2020-2021 : Allemagne, 6 localement et 37 à l’exportation ; Chine, 182 localement et 20 à l’exportation ; Australie, 10 localement et 17 à l’exportation ; France, 20 localement et 15 à l’exportation ; Corée du sud, 34 localement et 14 à l’exportation ; Roumanie, 11 à l’exportation ; Japon, 43 localement et 10 à l’exportation ; Pays-Bas, 9 à l’exportation ; Russie, 53 localement et 8 à l’exportation ; Italie, 8 localement et 7 à l’exportation ; Inde, 60 localement et 5 à l’exportation ; Espagne, 2 localement et 4 à l’exportation ; Émirats arabes unis, 9 localement et 3 à l’exportation ; États-Unis, 92 localement et 2 à l’exportation ; Colombie, 8 localement et 2 l’exportation ; Israël, 2 à l’exportation ; Turquie, 10 localement et 1 à l’exportation ; Bangladesh, 13 localement et 1 à l’exportation. La valeur des livraisons de défense devrait passer de 2,8 Mds€ en 2022 à 3,25 Mds€ en 2025.

Loïc Salmon

Marines : le salon Euronaval 2020, uniquement en ligne

Marines : l’industrie navale, concurrence et innovations

Marines : innovations et ruptures capacitaires




Défense : l’innovation, pour la supériorité opérationnelle et l’autonomie stratégique

Espace, Robotique, hypervélocité et stratégie capacitaire pour la maîtrise des fonds marins sont pris en compte par le ministère des Armées dans l’hypothèse d’un engagement majeur d’ici à 2030.

Selon le « Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense » publié le 21 juillet 2022, le ministère bénéficiera de financements dans le cadre du Plan d’investissements France de 34 Mds€ sur 5 ans, lancé en octobre 2021, et du Fonds européen de défense. Le document de référence intègre les ajustements de la loi de programmation militaire 2019-2025 en matière de cyberdéfense, défense NRBC (nucléaire, biologique, radiologique et chimique) et lutte anti-drones. Par ailleurs, le réseau de 9 « clusters » (regroupements d’entreprises) d’innovation technique de la Direction générale de l’armement démultiplie l’action de l’Agence de l’innovation de défense.

Frappe dans la profondeur. A l’horizon 2030, la principale menace porte sur la contestation d’espaces et d’accès par des moyens de défense aérienne, à savoir des radars et des systèmes surface-air intégrés en réseaux maillés, éventuellement utilisés en coordination avec une aviation de combat. Des barrières de défense navales de plusieurs centaines de kilomètres de large ou de profondeur peuvent gêner certains modes d’action offensifs et défensifs. La capacité de frapper des cibles à haute valeur ajoutée dans la profondeur du dispositif adverse, en mer ou à terre en limitant les risques, nécessite de pouvoir agir depuis le territoire national, à partir de bases aériennes projetées, d’emprises terrestres avancées ou depuis la mer. Cela implique diverses préparations : développement du futur missile antinavire et du futur missile de croisière mis en œuvre à partir de plateformes aériennes ou navales ; rénovation à mi-vie du missile de croisière naval ; mise au point de futurs matériaux énergétiques de défense ; montée à maturité des technologies des planeurs hypersoniques pour faire face à l’évolution des défenses et aux stratégies de déni d’accès de l’espace aérien ; évaluation des technologies de missiles pour répondre à la frappe sol-sol longue portée ; maintien de la capacité d’innovation dans le domaine des missiles ; développement de technologies pour l’artillerie électrique.

Systèmes spatiaux. Face aux menaces de déni d’accès (enjeu de souveraineté) et de leurrage (enjeu industriel), la navigation par satellite doit disposer de récepteurs intégrables dans les systèmes d’armes. La « Navwar », qui correspond à la maîtrise du spectre sur les bandes de fréquences de GNSS (système de positionnement par satellite d’un élément en temps réel partout dans le monde), inclut les activités suivantes : la protection pour se prémunir d’une attaque adverse et maintenir ses propres capacités de navigation ; la surveillance pour détecter, localiser et caractériser les attaques adverses ; l’action offensive pour empêcher l’utilisation des informations de GNSS par l’adversaire sur une zone donnée. Il s’agit aussi de préparer les évolutions du programme « Oméga » (opération de modernisation des équipements de radionavigation par satellite des armées) selon la menace, en améliorant les antennes et les traitements de données. Vers 2030, l’approche défensive d’Oméga sera complétée par des capacités de détection, caractérisation et localisation de la menace. Le développement d’une résilience système et un volet offensif permettront ainsi d’adapter la manœuvre opérationnelle.

Loïc Salmon

Guerre future : menaces balistiques et spatiales accrues

Stratégie : maîtrise des fonds marins, ambition et opérations

Défense : l’AID, interlocutrice des porteurs d’innovation

 




Armée de Terre : les blindés dans les combats futurs

Les blindés de demain devront combiner concept ancien et technologies avancées. Le combat de haute intensité exigera de tenir au sol et de disposer de moyens de maintien en condition opérationnelle.

Marc Chassillan, ingénieur et consultant international défense et sécurité, l’a expliqué lors d’un colloque organisé, le 31 mai 2022 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique et dans la revue Défense & industries (juin 2022).

Masse et protection. Multiplicateurs de forces, les blindés, qui constituent les cibles prioritaires et les plus onéreuses, subissent une attrition massive. Pour le même nombre de fantassins embarqués, le volume des véhicules de combat d’infanterie est passé de 6m3 dans le véhicule blindé de l’avant (VAB) à plus de 12 m3 dans le Griffon, en raison des équipements individuels de protection (gilet pare-balles et casque), armement, moyens de communications, munitions et approvisionnements (eau, vivres et batteries). Dans le cadre du programme Scorpion, le remplacement des véhicules de 8-18 t (ERC, Sagaie, VAB et AMX10RC) par une famille de 18-26 t (Serval, Griffon et Jaguar) va considérablement augmenter la consommation de carburant. Outre que 75 % des pertes sont dues à l’artillerie, les blindés seront ciblés par des drones suicides, capables de percer des parois d’acier de 50 à 150 mm. Leur protection nécessite un équipement individuel anti-drones ou l’intégration d’un système de lutte anti-drones dans la manœuvre d’une unité blindée mécanisée. Le camouflage, la furtivité, le radar et l’infrarouge contribuent à la protection du blindé. En outre, leur vitesse et leurs signatures radar et infrarouge rendent les missiles anti-char vulnérables, malgré leurs divers modes d’attaque (direct, en survol ou en plongeon).

Puissance de feu. Le futur char franco-allemand MGCS pourrait être armé par un canon de 130 mm de l’entreprise allemande Rheinmetall ou par l’Ascalon de 140 mm de Nexter Systems (photo). Ce dernier fabrique les canons automatiques 40 CTA, montés sur les engins de reconnaissance et les véhicules de combat d’infanterie. Leurs projectiles percent jusqu’à 180 mm de blindage. Les canons peuvent tirer des munitions explosives, à fusée programmable (impact, retard ou détonation dans les airs provoquant un effet de souffle), fumigènes, thermo-bariques (combinant chaleur, onde de choc et dépression) ou anti-hélicoptère. Le tir de munitions à portée accrue nécessitera, pour la détection, la reconnaissance et l’identification de la cible, des moyens montés sur le blindé ou déportés (ceux d’un autre), clé de voute du « combat collaboratif ». Des capteurs multi-spectraux, associés à des algorithmes de traitement des images, amélioreront l’identification des cibles. Le laser de puissance permettra la destruction de drones, le brouillage des conduites de tir ou la lutte contre les engins explosifs improvisés.

Mobilité et propulsion. Depuis trente ans, l’armée de Terre française privilégie les blindés à roues, adaptés à des opérations extérieures sans menace aérienne ni artillerie adverse ni perturbation des communications et avec une logistique fluide. Or, ces véhicules manœuvrent parfois mal sur les terrains européens, comme l’ont montré les blindés russes embourbés en Ukraine et les exercices de renforcement dans les pays baltes en hiver. Les performances des chenilles modernes des principales armées de l’OTAN ont été améliorées. Enfin, le moteur thermique reste indispensable car, actuellement, seul son carburant peut être acheminé sur un champ de bataille.

Loïc Salmon

Armements terrestres : enjeux capacitaires et industriels dans le contexte du conflit en Ukraine

Ukraine : les drones, symboles de la résistance pour Kiev

Armée de Terre : programme « Scorpion », le GTIA de demain




Industrie de défense : émergence de la Corée du Sud et de la Turquie à l’exportation

Devenues maîtres d’œuvre de certains programmes nationaux de défense, grâce à des transferts de technologies étrangères, la Corée du Sud et la Turquie proposent des équipements militaires et des armements à l’exportation.

Kévin Martin, chargé de recherche, l’a expliqué lors d’un colloque organisé, le 31 mai 2022 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique et dans la revue Défense & Industries (juin 2022).

Pour la période 2016-2020, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, la Corée du Sud occupe la 9ème place parmi les pays exportateurs d’armements, après Israël, et la Turquie la 11ème après…l’Ukraine.

Corée du Sud, stratégie dédiée. En 2006, le Livre Blanc de la défense et le plan « Global Korea » placent les exportations de défense au cœur de la stratégie nationale, consolidée en 2008 par la volonté de promouvoir cette industrie comme relais de la croissance économique. En 2010, la DAPA (agence du ministère de la Défense chargée des acquisitions et du soutien à l’exportation) fixe l’objectif de 4 Mds$ à l’export à l’issue de la décennie. En fait, la moyenne sur la période 2010-2020 se monte à 2,4 Mds$ avec un pic de 3,54 Mds$ en 2015. Après les ventes records de 7,5 Mds$ en 2021, celles de 2022 devraient atteindre 10 Mds$. Trois grands groupes dominent l’industrie de défense : Korea Aerospace Industries pour le secteur aéronautique ; Hanwha pour les armements terrestres avec ses filiales Hanwha Defence (obusiers automoteurs chenillés K9 Thunder, véhicules blindés d’infanterie et systèmes de défense aérienne) et Hanwha Systems (électronique) ; Hyundai Rotem (chars de combat). Ils ont commencé par prospecter en Indonésie, en Pologne, aux Philippines, en Thaïlande en Turquie et au Pérou. Le K9 Thunder a fait l’objet d’un transfert de technologie à la Turquie en 2001 et d’un accord de licence avec la Pologne en 2014. Il a été sélectionné par la Finlande (2016), la Norvège (2017) et l’Estonie (2018) à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. En janvier 2022, des contrats ont été conclus avec l’Egypte (1,66 Md$, K9 Thunder) et les Emirats rabes unis (3,5 Mds$, systèmes sol-air). En mars 2022, plusieurs contrats avec l’Arabie Saoudite sont estimés à 800 M$. Hanwha va construire un site de production en Australie. En outre, il compte édifier, en Grande-Bretagne, un centre régional de production des K9 destinés à l’export.

Turquie, diversification. Via la sous-traitance pour les équipements aéronautiques, la Turquie a pu pénétrer les marchés étrangers de défense. Selon la SaSad (association des industries aérospatiales et de défense), ses exportations dédiées ont atteint en 2020 : 657 M$ pour l’aviation civile ; 499 M$ pour les armements terrestres ; 407 M$ pour l’aéronautique militaire ; 272 M$ pour les missiles, armes et munitions ; 227 M$ pour les équipements navals militaires ; 23 M$ pour la mise en condition opérationnelle ; 45M$ pour la sécurité. Ses exportations de matériels de défense sont portées par l’armement terrestre, dont 91 % ont été réalisées hors d’Europe et des Etats-Unis. Elles se concentrent sur sa zone d’influence, à savoir les Proche et Moyen-Orient, l’Asie centrale et l’Afrique, avec des offres adaptées comme les blindés à roues. La Turquie prospecte également les pays d’Amérique latine et d’Asie du Sud-Est. Par ailleurs , les drones, qu’elle a fournis à l’Azerbaïdjan lors de la guerre dans le Haut-Karabagh contre l’Arménie (2020), ont suscité l’intérêt de plusieurs pays européens, dont l’Ukraine.

Loïc Salmon

Armements terrestres : enjeux capacitaires et industriels dans le contexte du conflit en Ukraine

Malaisie : développement d’une Base industrielle et technologique de défense

Turquie : partenaire de fait aux Proche et Moyen-Orient