Dissuasion : nécessité de la modernisation des forces nucléaires françaises

A l’horizon 2035, la modernisation des composantes océanique et aérienne de la dissuasion nucléaire de la France s’impose pour lui permettre de maintenir sa crédibilité dans le monde et protéger ses intérêts vitaux.

Telle est la conclusion d’un rapport de la commission sénatoriale des affaires étrangères, de la défense et des forces armées présenté à la presse, le 28 juin 2017 à Paris, par les sénateurs Xavier Pintat et Jeanny Lorgeoux.

Un monde plus « nucléarisé ». Début 2016, selon l’Institut international de recherches sur la paix de Stockholm, neuf Etats possèdent environ 15.395 armes nucléaires, dont 4.120 déployées dans les forces opérationnelles et 1.800 maintenues en état d’alerte avancée : Etats-Unis ; Russie ; Grande-Bretagne ; France (voir encadré) ; Chine ; Inde ; Pakistan ; Corée du Nord ; Israël. Tous développent, pérennisent ou modernisent leurs capacités.

La Russie dispose de 7.290 ogives nucléaires, dont 1.790 déployées et 2.800 en alerte. Elle renouvelle la gamme de missiles de portée inférieure à 500 km ou supérieure à 5.500 km. Déjà, 40 nouveaux missiles intercontinentaux Sarmat et Rubzeh peuvent percer les systèmes de défense antiaérienne les plus sophistiqués. Les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la classe Boreï, équipés du missile Boulava (10 têtes à trajectoires indépendantes), entrent en service. La composante aérienne de bombardiers lourds furtifs Tu-60 sera renforcée par un nouvel avion stratégique, après 2025. Outre la mise en chantier de grands moyens de simulation, l’entraînement des forces nucléaires sera accru : exercices des composantes et des chaînes de commandement ; patrouilles sous-marines ; vols de bombardiers sur longues distances. La nouvelle doctrine militaire (décembre 2014) souligne le recours à l’arme nucléaire en riposte à une attaque nucléaire ou une agression massive à l’arme conventionnelle contre la Russie ou ses alliés ou de menaces contre l’existence même de l’Etat.

Les Etats-Unis possèdent 7.000 ogives nucléaires (1.930 déployées et 2.500 en alerte). Le nouveau SNLE de la classe  Columbia, en service en 2029, sera équipé de 16 tubes missiles et d’une chaufferie à uranium hautement enrichi, qui ne nécessitera pas de changement de combustible pendant les 42 ans de vie du submersible. Les missiles Trident IID5, embarqués sur les SNLE de la classe Ohio (24 tubes), seront prolongés jusqu’en 2042. Les 400 missiles Minuteman III de la composante terrestre resteront en service après 2030. D’ici là, un programme de missiles  balistiques, tirés de silos, devrait être lancé en 2018. Le nouveau bombardier stratégique furtif B21, prévu pour 2025, emportera le nouveau missile de croisière nucléaire à long rayon d’action LRSO dès 2028. La flotte de B52H sera modernisée pour durer jusqu’en 2040 et emporter le LRSO. Les bombardiers B2 seront adaptés à l’emport des nouvelles armes nucléaires B61-12 et LRSO.

La Grande-Bretagne dispose d’un stock de 215 ogives nucléaires (120 déployées), qui sera réduit à 180 à partir de 2025. Conformément aux accords de Nassau (1963), les SNLE britanniques de la classe Vanguard embarquent des missiles américains Trident, opérationnels jusqu’en 2040 et équipés d’ogives britanniques. Les nouveaux SNLE de la classe Dreadnought, qui remplaceront les Vanguard à partir de 2030, auront le même compartiment missiles que les Columbia américains.  Ils maintiendront une permanence à la mer d’un SNLE équipé de 8 missiles opérationnels emportant 40 têtes.

La Chine possède 260 ogives nucléaires. Elle  modernise toute la gamme de ses missiles balistiques et de croisière, capables d’emporter des charges conventionnelles ou nucléaires. Elle renforce leurs capacités de pénétration des défenses adverses et ses propres défenses antiaériennes et antimissiles. Pour diversifier sa frappe en second, elle développe une nouvelle génération de SNLE, plus discrète que l’actuel Jin et capable de lancer un missile d’une portée supérieure à celle du JL2 (8.600 km). Par ailleurs, elle prévoit la mise en service d’un planeur hypersonique emportant une charge nucléaire, d’ici à 2020, et d’un missile de croisière hypersonique aéroporté vers 2025. Compte tenu du vieillissement des têtes nucléaires, un programme de simulation, proche des normes occidentales, devrait être développé.

L’Inde dispose de 100-120 ogives nucléaires et de 250 chasseurs- bombardiers T50 de nouvelle génération, développés avec la Russie. Elle a conclu l’achat de 36 Rafale français en 2016 et négocie pour d’autres. Son premier SNLE, Arihant, entré en service en 2016, sera équipé du futur missile K 4 (3.500 km de portée). La composante terrestre repose sur la famille de missiles balistiques Agni (jusqu’à 6.000 km). Une défense anti-missile est en cours de développement.

Le Pakistan possède 100-130 ogives nucléaires. A partir de 2028, il prendra livraison de 8 sous-marins chinois de la classe Yuan à propulsion diesel-électrique et destinés à recevoir des dérivés du missile Babur (450 km) pour une frappe en second. Il développe la capacité de pénétration de sa composante terrestre pour contrer la supériorité conventionnelle de l’Inde.

La Corée du Nord, qui posséderait 10 ogives nucléaires, a déjà procédé à 5 essais nucléaires souterrains et à une soixantaine de tirs de missiles, plus ou moins réussis. Elle cherche à développer une composante sous-marine. Le placement en orbite d’un satellite lui permettra de concevoir des missiles balistiques intercontinentaux pour menacer la Corée du Sud, le Japon et, à terme, les Etats-Unis.

Israël possède 80 ogives nucléaires. Il teste un missile balistique de longue portée et dispose d’une flotte de chasseurs-bombardiers d’assaut F15I, capables de raids à longue distance.

L’Iran a atteint le seuil de réalisation de matières fissiles pour réaliser des armes nucléaires. En 2030, il sera délié de l’accord international sur la suspension de son programme militaire et disposera de missiles capables d’atteindre l’Europe occidentale.

Et la France ? Le rapport sénatorial recommande 15 mesures pour maintenir la dissuasion nucléaire dans sa stricte suffisance. Vu l’augmentation prévue du budget de la défense en 2025, les crédits de la dissuasion devraient rester stables à 12 % environ.

Loïc Salmon

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Corée du Nord : « royaume ermite » et facteur de crise en Asie du Nord-Est

 En 2017, la dissuasion française repose sur 300 têtes nucléaires (280 déployées et 10 en alerte opérationnelle avancée) ainsi réparties  : 48 missiles balistiques M51 (portée de 9.000 km) embarqués sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de la Force océanique stratégique (FOST) ; 54 missiles ASMP-A (air sol moyenne portée amélioré allant jusqu’à 500 km) transportés par des Rafale de l’armée de l’Air (Forces aériennes stratégiques) et de la Marine nationale (Force aéronavale nucléaire). La FOST déploie 4 SNLE à 16 tubes dont au moins un en permanence à la mer. Les futurs SNLE, équipés du missile M51.3, seront en service de 2048 à 2080. La composante aérienne repose sur le trio Rafale, ASMP-A et avion ravitailleur. L’ASMP-A, retiré du service en 2035, devrait être remplacé par le futur ASN4G, qui devrait durer jusqu’en 2070.




Forces nucléaires : autonomie de décision et liberté d’action

La possession d’armes nucléaires et de vecteurs fiables rend crédible une opération extérieure conventionnelle, acte politique. En effet, les forces nucléaires résultent aussi d’un savoir-faire en matière de communications et de précision des systèmes de navigation.

Philippe Wodka-Gallien, membre de l’Institut français d’analyse stratégique et auteur du « Dictionnaire de la dissuasion », l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 25 juin 2013 à Paris, par l’Association de l’armement terrestre.

L’arme nucléaire. La puissante bombe thermonucléaire (H), dérivée des bombes atomiques à uranium 235 et au plutonium 239, dégage une chaleur intense. Son petit volume permet de l’installer sur un missile de croisière de type air-sol moyenne portée (ASMP/A). L’URSS a construit la plus grosse bombe connue, la « Tsar Bomba » de 50 mégatonnes, capable de vitrifier un territoire grand comme la Belgique. Les Etats-Unis ont réalisé la plus petite, dite « Davy Crockett » (0,01 kilotonne), transportable à dos d’homme et destinée à arrêter une éventuelle invasion soviétique de la Corée du Sud. Ils ont aussi mis au point des mines nucléaires terrestres, que les forces spéciales devaient enterrer sur les passages prévus des armées du Pacte de Varsovie. Ils ont déployé des canons atomiques M-65 de 280 mm en Europe et en Corée du Sud (opération « Upshot Knothole »). Aujourd’hui, les Etats-Unis et la Russie disposent d’environ 90 % des armes nucléaires dans le monde (voir encadré). La Chine déploie une grande variété de vecteurs : sous-marins, bombardiers, missiles de croisière et missiles lançables à partir d’un tunnel. L’Inde et le Pakistan ne disposent pas encore d’arme thermonucléaire. L’Iran s’achemine vers la bombe à uranium 235. La Corée du Nord a acquis son savoir-faire auprès de la Chine et de l’URSS. Selon Philippe Wodka-Gallien, le tabou de la dissuasion varie selon les pays. Les Etats-Unis, l’Inde et la France en parlent beaucoup, contrairement à la Grande-Bretagne. En Russie, cela commence. Par contre, en Israël, ne pas en parler fait partie de la dissuasion.

Du « technique » au « politique ». Le missile balistique s’impose comme vecteur de l’arme nucléaire au tournant des années 1960. Les Etats-Unis disposent alors de 1.505 bombardiers porteurs d’armes nucléaires et de 174 missiles intercontinentaux (ICBM) et l’Union soviétique de 182 bombardiers et 56 ICBM. Les projets fusent tous azimuts : bombardiers et missiles à propulsion nucléaire ; bombardier supersonique « B-70 Valkyrie » ; armes nucléaires en orbite ou installées sous la mer ; dissémination des charges ; bombes pour le génie civil (programme « Plowshare ») ; patrouilles d’avions armés (accidents de Palomares en 1966 et Thulé en 1968) ; initiative de défense stratégique du président Ronald Reagan (1983). En France, le programme nucléaire, entrepris dès 1945 avec la création du Commissariat à l’énergie atomique, se développe parallèlement à un consensus politique sur la dissuasion. En 1960, la première explosion a lieu et la décision est prise de former une triade : avions, missiles sol/sol et sous-marins. Le premier bombardier Mirage IV est mis en alerte quatre ans plus tard. En 1972, les missiles sol/sol balistiques sont opérationnels au plateau d’Albion et le premier sous-marin lanceur d’engins (SNLE) part en patrouille. Dès 1965, un système de navigation inertielle équipe la fusée « Diamant », ancêtre des engins balistiques (1971) et du lanceur de satellites européen « Ariane » (1979). Sur le plan politique, le pouvoir égalisateur de l’atome s’affirme. Lors de la crise de Cuba en 1962, le président Kennedy s’oppose à ses conseillers et refuse de bombarder l’URSS, à cause des représailles possibles évaluées à 40 millions de victimes américaines. En 1965, le président De Gaulle, fort de la technologie française, fait de l’arme nucléaire une affirmation de souveraineté. Il prend prétexte du survol d’un avion de chasse américain au dessus de l’usine d’enrichissement d’uranium à des fins militaires de Pierrelatte pour quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN en 1966. Le président Sarkozy prend la décision inverse en 2009, mais la France n’intègre pas le comité des plans nucléaires afin de préserver sa dissuasion. En 2013, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale rappelle que la dissuasion a pour objet de protéger la France contre toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. « La dissuasion française contribue, par son existence, à la sécurité de l’Alliance Atlantique et à celle de l’Europe. L’exercice de la dissuasion nucléaire est de la responsabilité du président de la République », écrit le Livre blanc. Il ajoute que la complémentarité des forces nucléaires françaises permet « le maintien d’un outil qui, dans un contexte stratégique évolutif, demeure crédible à long terme, tout en restant au niveau de la stricte suffisance. Les capacités de simulation, dont la France s’est dotée après l’arrêt de ses essais nucléaires, assurent la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires ».

Les perspectives. La simulation, souligne Philippe Wodka-Gallien, constitue un terrain de compétition pour les grandes nations nucléaires, en matière de haute performance scientifique grâce aux supercalculateurs et lasers de forte puissance. Avec son Laser Mégajoule, la France se trouve au même rang que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine. La dissuasion peut s’exercer aussi à l’encontre d’Etats belliqueux susceptibles d’utiliser des armes chimiques ou biologiques. Les ogives à têtes nucléaires multiples, mises au point dans les années 1960 pour contrer les défenses antimissiles, élargissent la zone possible de destruction. La Chine n’a pas encore cette capacité, contrairement aux Etats-Unis, à la Russie et à la France. Enfin, l’avenir de la dissuasion française dépendra des décisions à prendre d’ici à 2020 : lancement des travaux sur les SNLE de la 3ème génération et le remplacement des missiles balistiques M 51 ; mise en service d’un missile hypersonique ASMP/A vers 2035 ; renouvellement de la flotte d’avions ravitailleurs ; nouveau supercalculateur.

Loïc Salmon

La sûreté nucléaire des installations de défense

Au 12 février 2013, le nombre de charges nucléaires se répartit ainsi : Etats-Unis, 5.513 ; Russie, 4.850 ; France, 300 ; Grande-Bretagne, 160 ; Chine, 250 ; Israël, 70 à 200 ; Inde, 100 ; Pakistan, 70 à 90 ; Corée du Nord, 10 à 12. A la même date, 2.074 essais nucléaires auraient été réalisés : Etats-Unis, 1.030 ou 1.031 dont 215 aériens et 2 opérationnels (Hiroshima et Nagasaki en 1945) ; Russie, 715 ; France, 210 ; Grande-Bretagne, 57 ; Chine, 45 ; Inde, 7 ; Pakistan, 6 ; Corée du Nord, 2 ou 3 ; Afrique du Sud, 1 avec la collaboration probable d’Israël. Les forces nucléaires françaises incluent quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (missiles balistiques M 51) et une composante aéroportée (missiles air/sol moyenne portée). Celle-ci compte : deux escadrons de Mirage 2000N et Rafale ; un groupe aéronaval de deux flottilles opérationnelles sur Rafale, dont une embarquée sur le porte-avions Charles-De-Gaulle ; un escadron de ravitaillement en vol.

 




Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Le missile balistique impose le respect s’il est capable de décoller et d’arriver à sa phase terminale avec une charge nucléaire. Sans elle, il devient une arme d’affrontement « psychologique » sur un théâtre par la persistance dans l’action à tout prix.

Ces sujets ont été traités au cours d’une conférence-débat organisée, le 24 octobre 2013 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont intervenus Philippe Wodka-Gallien, membre de l’Institut français d’analyse stratégique, et Valéry Rousset, consultant sur les relations entre stratégie et technologie.

Un cadre juridique international. Le traité de non prolifération des armes nucléaires (TNP, 1968) précise que 5 États peuvent en disposer (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France), mais que tous les autres ont accès à la technologie nucléaire civile. L’Iran l’a signé et n’a donc pas le droit de fabriquer des armes nucléaires. En revanche, la Corée du Nord l’a théoriquement, car elle a dénoncé le TNP qu’elle avait auparavant signé. La Suisse y a renoncé par referendum. L’Irak se l’est vu refuser par la force. La Libye y a renoncé pour rejoindre la communauté internationale. Lors de sa réunification, l’Allemagne, pourtant signataire du TNP, a dû signer un engagement supplémentaire à ne pas acquérir d’armement nucléaire. Le 8 juillet 1986, la Cour internationale de justice considère que l’emploi de la bombe atomique est conforme à l’article 51 de la Charte des Nations unies et peut être utilisée en situation de légitime défense. L’espace, le fond des océans et certaines zones géographiques sont dénucléarisés. La résolution 1540 de l’ONU du 28 avril 2004 porte sur la prévention de la diffusion des armes de destruction massive en direction des organisations terroristes. Vu la difficulté à employer une arme nucléaire, rappelle Philippe Wodka-Gallien, un État serait certainement derrière cette organisation et le réseau d’alerte existant permettrait d’identifier l’agresseur. En effet, 24 États  ont tissé une toile de suivi et de détection de la prolifération, conformément aux directives du Régime de l’ONU de contrôle de la technologie des missiles. Ces directives concernent les vecteurs capables d’emporter des armes de destruction massive comme les missiles balistiques, lanceurs spatiaux, fusées-sondes, véhicules aériens non pilotés, missiles de croisière, drones et véhicules téléguidés.

Des missiles à double usage. En 1945, les États-Unis, l’URSS, la Grande-Bretagne et la France se sont partagés les savants allemands et la technologie des V2. Ceux-ci connaissent deux destins différents : vecteurs de l’arme nucléaire pour les pays qui la possèdent et vecteurs d’attaque pour les autres. La précision du missile balistique est passée du km en 1943 à quelques centaines de mètres aujourd’hui. Les missiles balistiques stratégiques sont des vecteurs à changement de milieux (mer si tirés de sous-marins, atmosphère et espace), quasi-orbitaux (plus de 1.000 km d’altitude) et hypersoniques (plusieurs centaines de km par seconde) avec une portée allant jusqu’à 10.000 km. Les missiles balistiques de théâtre (États-Unis, Russie, Inde, Chine, Corée du Nord, Iran et Israël) ont une portée de 300 km à 3.000 km. Depuis 70 ans, ils se trouvent au cœur de toutes les crises. Sur le plan tactique, ils créent une zone d’interdiction ou de saturation (Afghanistan et Caucase) et, sur le plan stratégique, inspirent la terreur ou la crainte de représailles (guerre du Golfe en 1991 et Asie). Le missile balistique mobile de type « Scud » est un système complexe, repérable et vulnérable car composé de véhicules de soutien, du lanceur (camion de lancement et de tir), du vecteur contenant le carburant (propergol solide ou liquide) et de la tête militaire. Celle-ci peut contenir des armes conventionnelles (TNT, sous-munitions ou explosif par aérosol), des produits chimiques (gaz sarin) ou une ogive nucléaire miniaturisée. L’ogive biologique se révèle très difficile à maîtriser et mal adaptée au profil de vol. Le missile anti-missile « Patriot » crée des débris autour du « Scud » sans pouvoir en atteindre la tête militaire, car ce dernier effectue une trajectoire torsadée pour lui échapper. Mais les « gesticulations géopolitiques » alimentent les « cercles de la peur » en Iran et en Syrie. Le missile russe SS 26 « Iskander » se pilote sur toute sa trajectoire. Le missile chinois DF-21, équipé d’ogives à têtes multiples, est dédié à la destruction d’un porte-avions pour interdire l’accès d’une force aéronavale en mer de Chine.

Une prolifération à réduire. De 1960 à 1990, Moscou a exporté ses missiles « Scud » et SS-21 vers ses alliés et Washington ses « Lance » vers les siens. Ensuite et jusqu’en 2010, la Russie a été remplacée par la Chine avec ses M-11 et la Corée du Nord avec ses « Hwasong ». Depuis, l’indépendance en matière de missiles balistiques entraîne des coûts, délais et risques croissants pour les pays désireux d’en disposer, souligne Valéry Rousset. D’abord, l’acquisition de missiles « sur étagères », pratiquée par l’Algérie, l’Afghanistan, l’Égypte, la Syrie, le Yémen, l’Irak et l’Iran, n’inclut pas leur maintien en condition opérationnelle. Ensuite, l’évolution locale, à savoir l’achat de missiles qui seront modifiés, exige d’aplanir les difficultés de conversion ou d’adaptation (Corée du Nord, Chine, Irak, Iran et Libye). Enfin, le développement local ou en coopération, en vigueur au Pakistan et en Afrique du Sud, Argentine, Égypte, Inde et Israël, nécessite de résoudre les problèmes de production ou d’intégration et de pouvoir réaliser les essais et l’entraînement. Pour endiguer cette prolifération, l’ONU dispose de mesures politiques, juridiques et économiques coordonnées pour prévenir ou dissuader la diffusion des systèmes et des technologies permettant de développer des missiles balistiques. Elle élabore des directives distinguant les technologies spécifiques et à usage dual et procède à des inspections sur site (Irak de 1991 à 2003). Enfin, certains États peuvent décider de neutraliser la production et l’emploi de missiles balistiques par des actions militaires, comme les systèmes de défense anti-missiles ou la destruction à distance (laser) ou sur site (bombardement).

Loïc Salmon

Forces nucléaires : autonomie de décision et liberté d’action

La sûreté nucléaire des installations de défense

Dès 1942, l’Allemagne met au point les missiles V2 qui seront tirés sur Londres, Anvers et le Nord de la France. En 1957, la Russie développe son premier missile intercontinental à charge nucléaire « R7/SS6 ». En 1973, l’Égypte tire des missiles « Scud » contre Israël à la fin de la guerre du Kippour. En 1986, la Libye tire 2 « Scud » vers la station de l’agence de renseignement américaine NSA, située sur l’île de Lampedusa (Italie). En 1988, pendant la guerre Iran-Irak, 190 missiles tirés sur des villes tuent 2.000 personnes. Pendant la guerre du Golfe en 1991, 88 « Scud » sont tirés sur Israël et l’Arabie Saoudite, malgré 2.700 sorties aériennes dédiées. En 1996, la Chine tire 4 « CSS-6 » au-dessus de Taïwan à la veille des élections présidentielles. En 1998, la Corée du Nord lance son premier missile balistique intercontinental « Tae-Po-Dong ». En 2013, des tirs d’essais de missiles israéliens ont lieu en Méditerranée et l’Inde lance son premier missile balistique « Agni V ».

 




Stratégie : la dissuasion, nucléaire pour longtemps

Les espaces aérien et extra-atmosphérique, la haute mer, le cyber, l’émergence d’acteurs non-étatiques et les violences terroristes constituent de nouvelles dissuasions. Celle par l’arme nucléaire, quoique contestée, perdure.

Ces questions ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 6 décembre 2018 à Paris, par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques. Y sont notamment intervenus : le général d’armée François Lecointre, chef d’Etat-major des armées ; l’ambassadeur Eric Danon, ministère des Affaires étrangères.

La dissuasion nucléaire française. Clé de voûte de la stratégie de la France pour la protection de ses intérêts vitaux, la dissuasion nucléaire fonctionne en permanence depuis 1964, rappelle le général Lecointre. Elle induit chez l’adversaire la certitude que son action, au-delà d’une certaine limite, sera source de dégâts inacceptables pour lui et que le courage de les lui infliger existe. Les armes nucléaires peuvent être mises en œuvre à tout moment avec une palette d’options entre missiles M51 des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (500 patrouilles à ce jour) et le missile air-sol moyenne portée amélioré des Forces aériennes stratégiques (plus de 20.000 jours de vol). La dissuasion française exclut l’arme nucléaire tactique, la riposte graduée et l’abaissement du seuil, pour ne pas laisser à l’adversaire le temps de calculer les risques inhérents à une agression. Le président de la République, chef des armées, décide en dernier ressort et le chef d’état-major des armées prépare les plans de frappe nucléaire. La crédibilité de la dissuasion dépend de l’architecture entre forces nucléaires et forces conventionnelles. La situation géopolitique actuelle produit des ruptures non encore explorées et prend en compte les visions des compétiteurs et des adversaires. La menace évolue avec le perfectionnement des armes nucléaires et leurs capacités. Sa fluidité varie de l’affrontement de nature physique sur terre, sur mer et dans les airs, à la confrontation dans l’espace et le cyber. La conflictualité se durcit avec le retour des Etats puissances, la remise en cause des traités et les tensions à l’Est de l’Europe, aux Proche et Moyen-Orient et dans la zone Asie-Pacifique. La frontière se brouille entre intimidation, chantage nucléaire et agressions de type hybride. La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit 5 Md€/an pour la modernisation des armes nucléaires, notamment la navigation inertielle, la discrétion acoustique et le ravitaillement en vol. Elle ne se fera pas au détriment des forces conventionnelles, pour éviter tout contournement de la dissuasion ou le dilemme ente escalade et renoncement.

Contestations récurrentes. La remise en cause de l’arme nucléaire, pour des raisons diverses, remonte aux bombardements de 1945 et à la constitution des arsenaux américain et soviétique, indique l’ambassadeur Danon. Le premier argument, d’ordre humanitaire et environnemental, rappelle les accidents techniques et les appréciations politiques contradictoires. Le deuxième en souligne l’inutilité, puisqu’elle a quand même conduit à la guerre par procuration en Afrique et en Asie du Sud-Est. Il repose sur la représentation de la détermination de l’adversaire à l’utiliser, à savoir que personne n’osera « appuyer sur le bouton » et assumer la responsabilité d’un suicide collectif. Selon le troisième, l’arme nucléaire ne profite qu’aux neuf pays détenteurs : Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France, Chine, Inde, Pakistan, Israël et Corée du Nord. Certains abusent de la situation pour agir sur des théâtres extérieurs en toute impunité, comme la Russie en Crimée, la Chine en mer de Chine et l’OTAN en Libye. Cette situation risquant de perdurer, les contestataires veulent forcer, par traité, les pays nucléaires à désarmer. Or seul le contexte stratégique impose un traité, souligne l’ambassadeur, d’autant plus que les accords de protection mutuelle bénéficient à une trentaine de pays, soit 64 % de la population mondiale. La dissuasion nucléaire, consistant à empêcher la guerre pour préserver la paix, prend aussi une dimension morale. Celle-ci a d’abord reposé sur l’éthique de « conviction » de Churchill, justifiant l’emploi de la bombe atomique en 1945 pour éviter un nombre supérieur de morts dans une guerre conventionnelle. Aujourd’hui, l’éthique de « responsabilité » préfère conserver le système de sécurité collective existant pour éviter une guerre mondiale. Après trente ans de mondialisation, le retour des rapports de puissance démontre que l’architecture de défense et de sécurité établi après la seconde guerre mondiale ne fonctionne plus. En outre, la pérennité des alliances est remise en question par l’administration américaine depuis l’introduction du doute sur l’automaticité de l’article V de l’OTAN. Cet article stipule : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la charte des Nations unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. » Il s’ensuit un clivage entre les pays européens, certains (à l’Est) souhaitant un rapprochement avec les Etats-Unis et les autres (à l’Ouest) voulant une autonomie européenne. La prolifération représente un risque considérable de déstabilisation mondiale car, si l’Iran décide de se doter effectivement de l’arme nucléaire, d’autres pays seront tentés de l’imiter. Nouveau champ d’affrontement, le cyber fait l’objet de réflexions comme autre moyen de dissuasion. Sur le plan technologique, l’utilisation de l’intelligence artificielle devrait permettre de contrer les cyberattaques. Elle existe déjà dans l’armement nucléaire. Le contexte nucléaire évolue en permanence, sans qu’apparaisse encore un autre système de sécurité collective, conclut l’ambassadeur Danon.

Loïc Salmon

Lors du colloque du 6 décembre 2018, la Fondation suisse « the House of the Rising Stars » a présenté un classement par pays en matière de sécurité globale. Elle a analysé l’action des gouvernements dans le domaine de la protection de l’intégrité du territoire et de la population, incluant la défense extérieure, la sécurité intérieure, la liberté d’opinion et d’expression, la santé publique et le développement durable. Voici les critères retenus : dépenses militaires (% du produit intérieur brut) ; dépenses courantes de santé (idem) ; homicides intentionnels pour 100.000 habitants ; espérance de vie à la naissance ; taux de mortalité infantile pour 1.000 enfants de moins de cinq ans ; indice de liberté d’opinion et d’expression ; indice de performance environnementale. Parmi les 127 pays étudiés, Israël arrive en tête des 10 premiers lauréats, devant les Etats-Unis, la France, la Norvège, l’Australie, la Grande-Bretagne, la Suisse, la Suède, l’Allemagne et le Japon.

Stratégie : contexte évolutif de la dissuasion nucléaire

Dissuasion nucléaire : modernisation de la composante aéroportée

Espace : dissuasion nucléaire et souveraineté européenne

Cyber : dilution des frontières territoriales et souveraineté




Marines : outils de combat et affirmation de puissance

La supériorité navale a retrouvé son application dans les opérations à terre : Balkans, 1986 ; Irak, 1991 et 2003 ; Libye, 2001. Parallèlement, se manifeste une appropriation des océans, où le nombre de sous-marins est passé de 350 en 2000 à 500 en 2018.

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 22 octobre 2018 à Paris, par le Groupement des industries de construction et activités navales et la Fondation pour la recherche stratégique. Y sont intervenus : le vice-amiral d’escadre Denis Béraud, major général de la Marine ; l’amiral Steve Allen, sous-chef d’état-major et commandant l’aviation navale britannique ; le vice-amiral Rainer Brinkmann, major général de la Marine allemande ; Alexandre Sheldon-Duplaix, chercheur à l’Ecole de guerre.

Evolution du contexte naval. Depuis 2010, indique l’amiral Béraud, se manifestent le développement de missiles anti-missiles, la construction accrue de sous-marins en Asie et…le retour des puissances ! Un sous-marin français lanceur d’engins (SNLE) effectue la 500ème patrouille de la dissuasion depuis 1972. L’emploi de la force est à nouveau envisagé à partir de la mer. La logique de captation pour l’accès aux ressources va de pair avec le contrôle de l’espace maritime et l’ambiguïté des intentions. Quelque 3.000 navires surveillent les côtes et archipels. Le détroit de Bab el-Mandeb, passage obligé vers l’océan Indien, est menacé par les mines, drones de combat et missiles, en raison de la guerre au Yémen. Le missile antinavire redevient d’actualité, notamment contre Israël et l’Egypte. Au large de la Syrie, une frégate française renseigne sur les présences aériennes russe, turque et iranienne. Les sous-marins algériens peuvent utiliser des missiles de croisière russes. Le nivellement technologique profite aux acteurs étatiques ou non. Le recueil d’informations par des drones navals permet d’identifier ce qui aura été détecté au radar et de limiter le risque de surprise. Chaque navire de guerre en sera doté dès 2030. La fusion des données obtenues par les navires, hélicoptères et drones facilite l’intervention tactique en temps réel. L’informatique permet le maintien en condition opérationnelle d’un bâtiment à la mer et en optimise l’emploi. Parmi les informations « officielles » fournies obligatoirement par un navire marchand, l’intelligence artificielle détecte les anomalies, qui permettront de déterminer sa destination effective et donc ses intentions véritables.

Capacités navales. En 2018, la Chine arrive à la 2ème place mondiale en nombre de navires et en tonnage, derrière les Etats-Unis, indique Alexandre Sheldon-Duplaix. Elle dispose de 60 sous-marins à propulsion diesel-électrique (SMD), 7 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et 7 SNLE, dont les deux plus récents lui donnent la capacité de frappe en second et d’atteindre les Etats-Unis, la Russie et l’Inde. Ses 6 transports de chalands de débarquement (TCD) et 2 porte-avions (PA) à tremplin (4 autres à catapultes électromagnétiques programmés) lui donnent une capacité de projection de puissance transrégionale. La Russie la suit avec 22 SMD, 24 SNA, 12 SNLE, 1 PA à tremplin et des missiles de croisière supersoniques. Le Japon (22 SMD et 3 TCD) met en service 4 porte-hélicoptères (PH) et 50 frégates. La Grande-Bretagne (voir encadré) arrive à la 5ème place et la France à la 6ème. L’Inde (14 SMD, 1 SNA, 1 SNLE, 1 PA à tremplin et 1 TCD) peut aussi déployer des missiles balistiques nucléaires à courte portée, à partir de patrouilleurs de haute mer. La Corée du Nord peut lancer un missile nucléaire balistique à courte portée (2.000 km), à partir d’un SMD. La Corée du Sud (12 SMD) déploie 1 PH, de même que le Brésil (5 SMD et 2 TCD) et la Turquie (13 SMD). Le Pakistan et Israël seront bientôt capables de tirer un missile de croisière à tête nucléaire, à partir d’un SMD. Chine, Russie, Corée du Nord et Iran disposent de Marines aux capacités défensives et de déni d’accès. Chine, Japon, Corée du Sud, Italie et Espagne utilisent leurs Marines pour protéger leurs approches maritimes commerciales. En outre, Chine, Russie, Inde, Brésil et Turquie veulent établir une prééminence régionale ou au moins faire face aux Marines plus puissantes, seules ou combinées, à leurs frontières.

Stratégies et technologies. Selon Alexandre Sheldon-Duplaix, la montée en puissance navale de la Chine vise notamment à dissuader ou combattre toute intervention militaire américaine pour soutenir Taïwan, au cas où Pékin déciderait une réunification par la force. Ses capacités de lutte anti-aérienne, antinavire et anti-sous-marine lui permettent d’agir jusqu’à 1.000 milles marins (1.852 km) de sa première chaîne d’îles. Elle déploie aussi un réseau de surveillance par drones sous-marins et poursuit des recherches sur la catapulte électromagnétique pour PA et le « navire tout électrique ». La Russie se sent menacée à ses frontières par l’OTAN et redoute une déstabilisation mondiale ou régionale, consécutive au déploiement des systèmes américains antimissiles en Europe, en Asie-pacifique et au Moyen-Orient, couplé à des systèmes d’armes de précision et au déploiement d’armes dans l’espace. Elle remplace ses SNLE et construit des frégates et corvettes lance-missiles. Son missile hypersonique Zircon, opérationnel vers 2022, pourrait neutraliser les nouveaux PA britanniques (encadré). Pour contourner le bouclier antimissile américain déployé en Roumanie et en Pologne, elle développe une torpille capable de rendre radioactive toute la côte d’un pays, lui causant des dommages économiques inacceptables. Enfin, elle va déployer des drones sous-marins en Baltique et dans l’océan Arctique. L’Inde étend sa zone d’intérêt maritime à la mer Rouge, le Sud-Ouest de l’océan Indien, la Méditerranée, la côte ouest-africaine et le Pacifique-Ouest incluant la mer de Chine du Sud. Pour contrer la Chine, elle noue des partenariats stratégiques avec les Etats-Unis, le Japon, l’Australie, le Viêt Nam, la France et la Grande-Bretagne. La Turquie entend manifester sa présence maritime dans le golfe Arabo-Persique, en océan Indien, Afrique, Asie-Pacifique et Amérique latine. Elle construit un PA et dispose de bases militaires en Somalie et au Qatar. Enfin, l’Iran déploie des drones au-dessus des PA américains dans le golfe d’Oman et en mer d’Arabie.

Loïc Salmon

L’amiral Allen a présenté le retour de la Grande-Bretagne dans la projection de puissance aéronavale pour exercer une diplomatie coercitive vis-à-vis d’Etats côtiers et décourager l’escalade d’un conflit, dans le cadre de l’OTAN. Le porte-avions Queen-Elizabeth, mis en service en 2018, sera suivi du Prince-of-Wales en 2019, pour maintenir une présence permanente à la mer à partir de 2021. D’un déplacement de 65.000 t à pleine charge, chacun est équipé d’un tremplin pour avions américains multi-missions F-35B à décollage court et atterrissage vertical (photo). Selon l’amiral Brinkmann, la Marine allemande participe à toute opération maritime de l’OTAN, notamment sur le front Nord de l’Europe et coopère avec toutes les Marines des pays riverains de la Baltique, sauf la Russie. Elle participe aux opérations européennes « Atalante » de lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden et l’océan Indien et « Sophia » (trafics de migrants) en Méditerranée.

Marine nationale : le fait nucléaire, dissuasion politique et actions militaires

331 | Dossier : « La France, puissance maritime »

Marines : l’approche globale, indispensable à la sécurisation future du milieu maritime




Armement : baisse de 50 % des exportations françaises en 2017

Les prises de commandes d’armements français à l’export ont atteint 6,9 Mds€ en 2017, selon le rapport du ministère des Armées remis au Parlement le 4 juillet 2017. Elles se montaient à 14 Mds€ en 2016 et 16 Mds€ en 2015.

En préambule, la ministre des Armées, Florence Parly, souligne la vigilance de l’Etat dans la protection des savoir-faire de la France en matière d’exportations d’armement et du soutien à son autonomie stratégique. Cette vigilance s’exerce du contrôle de la fabrication des matériels de guerre à celui, a posteriori, des exportations, moyen de lutter contre la prolifération des armes de destruction massive et de prévenir la dissémination des armements conventionnels.

Bilan des exportations. L’année 2017 a été nettement moins favorable que la précédente pour les ventes d’armement. L’incertitude des élections présidentielle et législatives en France a incité les partenaires traditionnels de la France à attendre la tendance générale qui en résulterait, avant de s’engager sur des prises de commandes. En outre, suite à la baisse des prix du pétrole, la plupart des pays producteurs ont subi un ralentissement économique et ont reporté des acquisitions de systèmes d’armement. Par ailleurs, certains grands contrats signés en 2017, comme l’achat de 12 Rafale supplémentaires par le Qatar, n’entrent en vigueur qu’en 2018. Les missiles destinés aux Marines étrangères et les hélicoptères ont représenté plus de la moitié des ventes à l’export. En 2017, le Proche-Orient et le Moyen-Orient ont cumulé un peu plus de 60 % des exportations françaises d’armement. La zone Asie-Pacifique arrive à la deuxième place avec 17 % des commandes, alors qu’elle occupait la première en 2016 grâce la vente de 36 Rafale à l’Inde. Viennent ensuite l’Europe et le continent américain.

Capacités militaires accrues. Première puissance militaire, les Etats-Unis effectuent 40 % des dépenses mondiales. Après plusieurs années de baisse pendant la période 2008-2016, le budget du ministère de la Défense s’élève à 598,5 Mds$ pour l’année fiscale 2017, soit 20 Mds$ de plus que la requête initiale de l’administration Obama. En outre, l’administration Trump prévoit 639,1 Mds$ pour 2018 et 686 Mds$ pour 2019. Très engagée dans la modernisation des capacités de ses forces armées (armement, formation et entraînement) et désireuse de rattraper son retard technologique, la Chine devrait doubler son budget militaire d’ici à 2020. Ce dernier pourrait alors dépasser celui, cumulé, des 28 Etats membres de l’Union européenne (UE). En 2030, les dépenses militaires de la Chine devraient être supérieures à celle de tous les autres pays d’Asie (Inde et Japon compris). Asie et Moyen-Orient ont concentré près des trois quarts des importations mondiales d’armement entre 2012 et 2017. La zone Asie-Pacifique, qui consacre déjà plus de moyens à la défense que l’UE, ont augmenté leurs dépenses militaires de 5 % par an entre 2013 et 2016 afin, notamment, de développer des capacités navales et aériennes de projection. Cette militarisation de la zone résulte des contentieux territoriaux en mer de Chine, attisés par l’affirmation de puissance de Pékin, et des provocations nord-coréennes (tirs de missiles et essais nucléaires), actuellement suspendues. Les 27 pays membres de l’Agence européenne de défense (les 28 de l’UE moins le Danemark) ont augmenté leurs dépenses militaires de 9 % entre 2013 et 2016, dont une hausse de 23 % pour les investissements (achats d’équipements et recherche et développement) entre 2014 et 2016.

Loïc Salmon

Armement : légère baisse des exportations françaises en 2016

Défense : vers 2 % du Produit intérieur brut à l’horizon 2025

Défense : 2017, budgets mondiaux et modernisation




Inde : du non-alignement à la volonté de grande puissance

L’Inde souhaite être reconnue comme une grande puissance, en raison de ses moyens militaires et de son dynamisme démographique et économique. En conséquence, elle revendique un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 20 avril 2017 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont notamment intervenus : Olivier Dalage, journaliste à Radio France Internationale et auteur de l’ouvrage « L’Inde : désir de puissance » ; le professeur Gérard-François Dumont, revue Population & Avenir.

« Mandala » et politique étrangère. Un penseur du IVème siècle avant J.-C. a théorisé la philosophie de l’Inde par le « mandala » (cercle, sphère et communauté), explique Olivier Dalage : tout voisin est un ennemi potentiel, dont il vaut mieux se faire un ami. En fait, depuis l’indépendance en 1947, la politique extérieure de l’Inde présente une certaine continuité, maintenue par les deux principales tendances : sociale-démocrate du Congrès national indien  (Premiers ministres Jawaharlal Nehru, Indira et Rajiv Gandhi) ; droite nationaliste du Baratiya Jamata Party  (Atal Bihari Vajpayee et Narendra Modi). Le non-alignement pendant la guerre froide (1947-1991) est perçu comme la « diplomatie du pauvre » dans l’Inde d’aujourd’hui, qui ne compte qu’un millier de diplomates, soit autant que les Pays-Bas ou la Belgique… alors qu’elle compte 1,5 milliard d’habitants ! Il s’agit désormais de mener une action diplomatique envers tous les pays, y compris le Pakistan, et un dialogue avec Israël. Puissance asiatique, l’Inde s’intéresse à ce qu’elle nomme « l’Asie de l’Ouest », à savoir le Moyen-Orient. La population indienne compte en effet autant de musulmans que celle du Pakistan et du Bangladesh. Au pouvoir depuis 2014, Narendra Modi s’est déjà rendu aux Emirats arabes unis, en Arabie saoudite, au Qatar et en Iran. Mais comme elle privilégie les relations bilatérales, l’Inde s’abstient délibérément de toute médiation et n’exerce guère d’influence dans cette région. Quoiqu’à la tête du Mouvement des pays non alignés pendant la guerre froide, Jawaharlal Nehru n’a jamais caché son admiration pour l’URSS, qui l’a soutenu politiquement pendant la guerre sino-indienne de 1962 pour le contrôle de territoires himalayens. Sa fille, Indira Gandhi, a conclu un traité de coopération avec l’URSS en 1971, peu avant la troisième guerre entre l’Inde et le Pakistan qui aboutit à l’indépendance de sa partie orientale sous le nom de Bangladesh. La Russie d’aujourd’hui considère toujours l’Inde comme une alliée, qui continue à lui acheter des équipements militaires. En 2015, elle a parrainé son entrée, mais aussi celle du Pakistan, dans l’Organisation de coopération de Shanghai (Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan et Chine). Malgré un différend frontalier non encore résolu, la Chine est devenue le principal partenaire commercial de l’Inde. Mais celle-ci n’a pas encore pris de décision quant à sa participation à la nouvelle « route de la soie », initiée par la Chine, à travers l’Asie centrale en direction de l’Europe. Pendant la guerre américano-vietnamienne (1955-1975), l’Inde avait soutenu le Viêt Nam puis, en 1992, a conclu un partenariat stratégique avec lui. Elle a récemment envoyé des navires de guerre en mer de Chine du Sud, pour soutenir le Viêt Nam dans le conflit larvé qui l’oppose à la Chine au sujet des archipels des Spratleys et des Paracels. Dans le domaine de l’énergie, l’Inde a pris en compte sa vulnérabilité face à la Chine, qui l’encercle par sa stratégie du « collier de perles ». Celle-ci consiste à acheter ou louer des installations portuaires jusqu’au Moyen-Orient : Kyauk Phyu (Birmanie) ; Chittagong (Bangladesh) ; Hambantoa (Sri Lanka) ; Gwadar (Pakistan). Par ailleurs, depuis les années 1960, l’Afrique constitue un espace de rivalité avec la Chine pour l’importation de matières premières et l’exportation de produits de haute technologie en matière d’agriculture et de santé. Toutefois, les deux pays limitent au maximum les tensions, susceptibles de mettre en péril leur développement. L’Inde, qui souffrait de pénurie alimentaire dans les années 1960, est devenue l’un des principaux pays exportateurs de riz. Enfin, elle a réussi à mettre une sonde en orbite autour de Mars en 2014 et développe une dissuasion nucléaire complète.

L’atout de la démographie. L’Inde va devenir le pays le plus peuplé du monde vers 2030, avec des conséquences durables sur la consommation et la géopolitique, souligne le professeur Dumont. Sa population stagne au XIXème et au début du XXème siècle en raison de la forte mortalité. Vers 1920, une transition démographique apparaît, due au recul de la mortalité infantile et maternelle. Lors de l’indépendance, l’espérance de vie des hommes dépassait celle des femmes. En 2017, l’inverse s’est produit par suite de la baisse de la fécondité. Toutefois, la mosaïque « géodémograhique », difficile à gérer, varie selon les Etats de l’Union indienne. La fécondité, régulée dans certains Etats, reste très élevée au Kerala (Sud) et en Uttar Pradesh (Nord) dont la population atteint celle du Brésil. En outre, après avoir longtemps ignoré les diasporas indiennes dans le monde, les autorités politiques ont pris conscience de leur importance à partir de la révolution économique des années 1990. Ainsi, le « ministère des Indiens à l’étranger » les incite, par des avantages fiscaux, à investir en Inde et les mobilise pour faire mieux connaître l’Inde. Le « lobby indien » des Etats-Unis est parvenu à un rapprochement entre Washington et New Delhi. Mais en matière de naissances, l’inégalité des sexes persiste en Inde même, par suite de l’élimination de fœtus féminins détectés par échographie. Certaines familles préfèrent un fils pour prendre soin des parents âgés et pour ne pas devoir épargner considérablement pour la dot d’une fille. Il s’ensuit un déficit de femmes dans quelques Etats, que les Conseils locaux pallient en autorisant l’exogamie entre castes. Par ailleurs, quoique le niveau de vie des musulmans soit inférieur à celui des hindouistes, le pays n’enregistre pas de migrations vers l’étranger. Les diasporas des Etats-Unis et de Grande-Bretagne, qui vivent mieux que celle du Pakistan, restent homogènes et fidèles à l’Inde d’origine.

Loïc Salmon

Inde : industrie spatiale civile, mais de plus en plus militaire

L’océan Indien : espace sous tension

Marines : outils de sécurité, du Moyen-Orient à l’océan Indien

Le budget de la Défense de l’Inde atteint 37,2 Mds$ pour l’exercice 2016/2017. Les effectifs de ses forces armées sont estimés à 1.335.000 personnels ainsi répartis : 1.110.000 pour l’armée de Terre ; 170.000 pour l’armée de l’Air ; 55.000 pour la Marine. Elle déploie 3.000 chars, 1.900 véhicules blindés, 650 avions de combat, 16 sous-marins à propulsion diesel-électrique (6 seront remplacés par des submersibles français Scorpène), 8 frégates et 1 porte-aéronefs pour avions à décollage court. Elle prévoit la construction de 6 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Non signataire du Traité de non prolifération des armes nucléaires, elle dispose de l’arme atomique depuis 1974 et a procédé à 5 essais en 1998. Elle aurait en stock 50 à 90 bombes au plutonium et un nombre inconnu de bombes à uranium. Depuis les années 2000, l’Inde a lancé un programme de défense antimissile balistique. Enfin, de 2012 à 2016, elle a réussi 4 essais du missile balistique Agni V d’une portée supérieure à 5.000 km.




Marine : obligation permanente d’innover pour rester performante

Les bâtiments de combat doivent allier fiabilité, polyvalence, autonomie et durée dans un environnement difficile. Capacité d’inventions et aptitude à les transformer en innovations assurent la puissance d’une nation maritime.

L’innovation permanente a fait l’objet d’un colloque organisé, le 27 juin 2013 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine. Y ont notamment participé : l’ingénieur en chef Christian Dugué, responsable du pôle « Architecture et techniques des systèmes navals » à la Direction générale de l’armement (DGA) ; l’ingénieur en chef de l’armement Frédéric Petit, officier correspondant d’état-major pour les études, état-major de la Marine.

Les technologies clés. Pour construire des « plates-formes » (navires de surface et sous-marins), les chantiers navals doivent d’abord maîtriser la métallurgie, la soudure et la peinture, rappelle l’ingénieur en chef Dugué. La durée des plates-formes s’allonge : la frégate De-Grasse a parcouru un million de milles marins (1,8 Mkm) en 37 ans de service et le porte-avions à propulsion nucléaire américain Enterprise a vécu 55 ans ! Les innovations ne créent pas de nouvelles capacités mais remplacent des solutions existantes, notamment dans la propulsion et le stockage d’énergie. Environ 500 personnes, identifiées une par une, travaillent sur 11 plates-formes à propulsion nucléaire (10 sous-marins et 1 porte-avions). Cette innovation dans la propulsion, essentielle pour la dissuasion, a modifié les performances d’un porte-avions. Le retour d’expérience (retex) du Charles-de-Gaulle sur 12 ans permet d’estimer qu’il aura parcouru dans sa vie une distance trois à quatre fois supérieure à celle d’un porte-avions classique et en envoyant plus d’avions en l’air. Il n’a pas besoin de pétrolier-ravitailleur et ravitaille lui-même son escorte. Sa vitesse sert au catapultage des avions et à son déploiement opérationnel. En général, un bâtiment de surface utilise relativement peu ses armes, mais beaucoup ses senseurs et moyens de communications. Le retex de l’opération « Harmattan » en Libye (2011) a identifié le besoin d’optimiser l’exploitation des données multimédias dans la conduite des opérations. Le démonstrateur Evitac (Exploitation des vidéos tactiques), en cours d’expérimentation par la DGA, reçoit, sur une table tactile, des vidéos de plusieurs drones, des forces spéciales et des caméras de conduite de tir. Il permet de partager en temps réel une vision tactique commune avec le centre de commandement opérationnel, qui reçoit également des informations du Rifan (Réseau intranet des forces aéronavales). La prise de décision par le chef opérationnel au cours de l’action en est facilitée.  Déjà, l’équipage de la nouvelle frégate mutimissions (FREMM) a été limité à 94 personnes au lieu de 153 sur une frégate de type La Fayette. L’équipe de plate-forme a été considérablement réduite, grâce à une intégration poussée des équipements. Mais, elle reste en charge de la sécurité (accidents et incendie) et de la sûreté (actes de malveillance). Les informations sur l’état du navire remontent vers elle, afin qu’elle ne se déplace qu’en cas de problème avéré. En revanche, l’équipe du système de combat reste stable et même s’accroît en raison de l’augmentation du nombre d’armes, de systèmes et de missions.

« L’évolutivité ». Comment se produit l’innovation ? Au départ, « quelqu’un a eu une vision et des gens ont pris des risques », explique Christian Dugué. Il y a eu « un contexte un peu particulier et un peu de chance peut-être ». Certaines conditions favorisent l’innovation de technologies clés. Or, ces équipements deviendront obsolètes avant la fin de vie de la plate-forme. Il faudra donc intégrer les innovations « sans casser et refaire la moitié du bateau ». Cela implique d’éviter toute impasse, de ne pas fermer des possibilités, de traiter les interfaces entre équipements dès l’origine et de prévoir quelques marges, car la charge utile de demain est mal connue aujourd’hui. Selon l’ingénieur en chef Dugué, les systèmes de combat deviennent plus complexes avec davantage de communications, de radars et de guerre électronique. Lors des opérations amphibies, la robotique du système de lutte anti-mines futur (SLAMF) évitera de pénétrer dans les zones dangereuses. La DGA a déjà notifié un contrat à DCNS, Thales et ECA pour développer un démonstrateur du SLMAF, qui succédera aux actuels chasseurs de mines. Il s’agit d’un drone de surface autonome en forme de catamaran (USV), de 17 m de long. Un « navire mère » (1.000-2.000 t de déplacement et 100 m de long) pourra en transporter 2 ou 3. Chaque USV remorquera des sonars et une drague et emportera des véhicules sous-marins téléguidés pour la détection, la classification, l’identification et la neutralisation de la menace mine. Dans l’ensemble, les réflexions en cours portent sur l’amélioration de la fonction « tenue de situation » et la réduction de la charge des opérateurs (pas de double saisie d’informations et automatisation des processus simples), en vue d’une « évolutivité » accrue et de l’uniformisation de la solution pour l’ensemble des bâtiments. « Il y a des possibilités informatiques formidables, mais il faut maîtriser le génie logiciel ».

La Marine de 2030. Par suite des contraintes budgétaires, les matériels en service seront prolongés et les programmes étalés. L’innovation technologique se mettra au service de la robustesse des bâtiments, qui disposeront de moins en moins de points d’appui stratégiques, indique l’ingénieur en chef de l’armement Frédéric Petit. Les axes d’effort porteront sur : les capacités de veille, détection et poursuite en surface ; les moyens de guerre électronique ; la protection des systèmes de combat contre la cybermenace ; la détection sous-marine et la discrétion des bâtiments ; la lutte contre les menaces asymétriques ; les missiles à longue portée ; les armements de précision à létalité contrôlée (laser, micro-ondes à forte puissance et artillerie électrique) ; les drones de combat et missiles supersoniques antinavires pour la haute intensité. Les équipements, performants même en conditions dégradées, résulteront d’un double compromis : complexité et intégration à l’ensemble de la plate-forme ; rusticité et simplicité d’apprentissage et d’utilisation par l’opérateur.

Loïc Salmon

Marine : des capacités à la hauteur des enjeux stratégiques

Euronaval 2012 : défis maritime et industriel

Le sous-marin nucléaire d’attaque : aller loin et durer

La puissance accrue des ordinateurs permet de calculer l’adaptation des coques et de les rendre opérationnelles dans les environnements marins les plus sévères, d’améliorer la survie au combat, de placer au mieux à bord les éléments du système de combat et de perfectionner les modes de propulsion. En outre, le bâtiment de combat concentre de multiples liaisons de communications sur une plate-forme exigüe. Parmi les 15 premières nations maritimes du monde, les Etats-Unis arrivent en tête avec un tonnage de 2,9 Mt, devant la Russie (1,1 Mt), la Chine (788.870 t), la Grande-Bretagne (470.000 t), le Japon  (432.000 t), la France (307.000 t), l’Inde (240.000 t), l’Italie (143.000 t), l’Allemagne (133.450 t), la Turquie (108.730 t), Taïwan (105.200 t), le Brésil (101.300 t), la Corée du Sud (89.000 t), le Canada (80.000 t) et la Grèce (79.800 t).




L’Inde face à son destin

Cliente traditionnelle de l’Union soviétique pour ses avions de combat, l’Inde a finalement choisi de renouveler sa flotte par l’acquisition de 36 Rafale français en 2015. Toutefois, elle a dû renoncer à un transfert de technologie, malgré son essor économique et ses capacités scientifique et industrielle.

L’Inde possède en effet des pôles d’excellence reconnue dans les biotechnologies, l’industrie pharmaceutique, la production de logiciels et l’industrie spatiale. Plus de trois millions de diplômés sortent chaque année des universités et des grandes écoles, dont 300.000 ingénieurs et informaticiens. Beaucoup de jeunes partent se former aux États-Unis et en Grande-Bretagne. La diaspora indienne, estimée à 25 millions de personnes, donne à New Delhi une ouverture sur le monde, surtout au Moyen-Orient, en Europe et aux États-Unis, mais aussi autour de l’océan Indien et dans l’océan Pacifique. Elle est à l’origine de 9 % des investissements directs en Inde et de 3 % du produit national brut par les 26 Md$ envoyés chaque année par les expatriés à leur famille. Un ministère a été spécialement créé pour les Indiens résidant à l’étranger, dont l’importance est désormais reconnue par New Delhi. Une chaîne de télévision, diffusée sur internet, leur est dédiée pour leur permettre de rester connectés avec leur pays d’origine et y attirer leurs investissements. Depuis l’indépendance de la tutelle britannique en 1947, l’Inde a fait passer sa politique étrangère du non alignement entre les deux blocs de la guerre froide (1947-1989) à la puissance nucléaire… et n’a pas encore signé le traité de non-prolifération nucléaire ! En 2014, elle a conclu un accord d’achat d’uranium à l’Australie, qui détient 40 % des réserves mondiales. Les relations avec le Pakistan restent tendues, en raison du partage territorial du Cachemire après l’indépendance et où l’Inde a une frontière commune avec la Chine. Toutefois, depuis 1991, Islamabad et New Delhi se communiquent chaque année la liste de leurs installations nucléaires qu’elles s’engagent à ne pas attaquer et s’informent avant tout essai de missiles balistiques… à l’exception des missiles de croisière ! Un mécanisme de lutte commune contre le terrorisme a été défini. Pour contrer les velléités d’expansion territoriale de la Chine au Cachemire, l’Inde cherche à signer des accords commerciaux, énergétiques et militaires avec d’autres pays d’Asie. Son inquiétude est notamment partagée par le Japon, quoique tous deux entretiennent d’importantes relations commerciales avec elle. Les essais nucléaires de l’Inde avaient eu pour effet l’imposition de sanctions économiques par les États-Unis et le japon, qui furent toutefois allégées par la suite en raison de la puissance militaire croissante de la Chine dans la région. Effritées avec l’effondrement de l’URSS, les relations de l’Inde avec la Russie se sont améliorées depuis 2000. Dans le cadre d’un partenariat stratégique, les deux pays se sont engagés à utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques et à lutter contre le terrorisme international (Cachemire pour l’Inde et Tchétchénie pour la Russie). Sur l’Afghanistan, ils partagent les mêmes inquiétudes quant au terrorisme, au trafic de drogue et à l’instabilité qui menace l’Asie centrale. Quant à la crise avec l’Ukraine, l’Inde a déclaré, en 2014, que la Russie y a des « intérêts légitimes », allant ainsi beaucoup plus loin que la Chine et l’Iran, qui ont exprimé leur « préoccupation ». Mais pour l’Inde, la Russie a perdu son statut de superpuissance et apparaît comme un pays pauvre.

Loïc Salmon

Inde : industrie spatiale civile, mais de plus en plus militaire

L’océan Indien : espace sous tension

Les Compagnies des Indes

« L’Inde face à son destin » par Olivier d’Auzon. Éditions Lavauzelle156 pages.




Trafics d’armes légères : la lutte contre les filières terroristes

Enjeu mondial de sécurité, la lutte contre les transferts clandestins d’armes à feu légères implique la prise en compte de la situation en fin de conflit, la mise en place de réseaux de renseignements, l’échange d’informations et l’élaboration de procédures en matière de traçabilité.

Ce thème a été traité lors d’un colloque organisé, le 31 janvier 2018 à Paris, par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité et l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont intervenus : l’ambassadeur Jean-Claude Brunet, président désigné de la 3ème conférence de révision du Programme d’action des Nations unies sur les d’armes légères et de petits calibres (ALPC) prévue à New York du 18 au 29 juin 2018 ; l’ambassadeur Eric Danon, ministère des Affaires étrangères.

Diminuer l’incertitude. Depuis la fin de la guerre froide (1947-1991), les conflits intra-étatiques se multiplient, entraînant circulation et vols des stocks gouvernementaux d’ALPC, rappelle Jean-Claude Brunet. Les failles dans leur contrôle, pendant et après les conflits, et le crime organisé en facilitent les trafics qui alimentent les organisations terroristes, actives en Europe, dans les Balkans et en Afrique. Actuellement, 850 millions d’ALPC en circulation dans le monde tuent ou blessent 500.000 personnes par an, soit 90 % des victimes des conflits. Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan (1997-2006), les avait qualifiées d’armes de destruction massive et avait lancé un programme d’action adopté, par consensus, par l’assemblée générale en 2001 (voir encadré). Le premier degré de responsabilité, nationale, se situe au niveau des forces armées et de sécurité et autres agences d’application de la loi. Chaque Etat partie doit mettre en œuvre une législation en ce sens. Sur la base du volontariat, il doit publier un rapport annuel d’évaluation des besoins de coopération et d’assistance, assorti de mesures pratiquement contraignantes. Depuis 2001, des progrès significatifs ont été constatés dans de nombreux Etats en matière de contrôle et d’assistance. Toutefois, l’insuffisance de coordination persiste entre police, douane, justice et forces armées. De plus, le contrôle des exportations d’ALPC reste aléatoire. La 3ème conférence de révision du programme d’action de l’ONU, qui doit réunir 193 Etats, s’inscrit dans une stratégie globale impliquant l’Union européenne (mesures de coopération européennes et bilatérales) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Balkans). Elle doit définir des normes en termes d’engagement et d’échange de bonnes pratiques de contrôle et faciliter le dialogue entre forces armées et de sécurité, industriels et experts apportant un éclairage scientifique et technique, en vue de préserver la crédibilité du programme. La France, qui en assure la présidence, en a fixé les priorités, indique l’ambassadeur Brunet : amélioration de la lutte contre le détournement des ALPC ; prévention de leurs production et transformation par les nouvelles technologies (impression en 3 D et commerce par internet) ; coordination et efficacité de l’assistance. Cela implique l’inclusion des munitions et une synergie entre le programme de l’ONU et les autres instances internationales, notamment le protocole sur les armes à feu (2001) et le traité sur le commerce des armes (TCA, 2014), qui n’a pas encore de portée universelle.

Renforcer le dispositif. Autrefois, la violence résultait des guerres entre Etats forts, alors qu’aujourd’hui elle se manifeste par les importations d’armes dans les Etats déliquescents, explique Eric Danon. Le TCA vise à réguler leur mondialisation. La course aux armements converge vers le Moyen-Orient, où se trouvent de nombreux vendeurs. Avec 24 millions d’habitants, l’Arabie saoudite occupe la première place des importateurs avec l’Inde, qui en compte…1,26 milliard. Au bout de quelques mois, la traçabilité de ces armes, pourtant achetées légalement, disparaît et une partie va se disperser parmi les groupes armés terroristes. Le TCA engage l’Etat producteur, qui l’a ratifié, à vérifier qu’une exportation d’armes à feu correspond bien à la vente à un Etat déterminé et sans réexportation ultérieure. Les marquages et traçages permettent de remonter les filières de provenance et de complicités et les registres nationaux et internationaux d’établir l’écosystème terroriste. Il s’agit d’éviter la dissémination des ALPC dans une zone de guerre ou en situation de « post-conflit », où les populations les conservent en vue de trafics dans le monde entier (ex-Yougoslavie et Afghanistan). Les groupes terroristes utilisent aussi armes blanches, bombes, ou voitures-béliers contre une foule et recourent aux attentats suicides, mais font proportionnellement plus de victimes avec les ALPC. Il s’agit donc de lutter contre l’accès à leurs filières, alors qu’il n’existe pas encore de convention relative à la lutte contre le terrorisme par ALPC, indique l’ambassadeur Danon. Leur achat reste en effet légal dans certains pays, dont les Etats-Unis. La saisie d’un stock d’armes, achetées à des pays occidentaux, constitue une prise de guerre pour les groupes terroristes (Daech en Irak). Des armes fournies, par ces mêmes pays occidentaux, à une minorité de « résistants » suffit à les qualifier de « terroristes » par le régime en place (Kurdes en Syrie et en Turquie). Des armes à feu en provenance des Balkans ont été utilisées lors des attentats de 2015 en France, où la législation porte sur les trafics venant de l’extérieur du territoire national et mobilise les services de renseignement. Certaines armes neutralisées peuvent être remises, sur place, en état de fonctionner par l’impression en 3 D de la pièce manquante, ouvrant la voie aux trafics de logiciels. En outre, des ALPC, acquises clandestinement, peuvent être transformées, par exemple par l’achat légal d’un appareil de visée pour en améliorer la portée. Par ailleurs, certains grands pays exportateurs n’ont pas encore ratifié diverses conventions sur les armes. Souvent très spécifiques, ces dernières impliquent une coopération entre Etats et une entraide judiciaire, mais la moitié des pays membres de l’ONU ne peuvent les mettre en œuvre, faute de connaissances et de moyens techniques suffisants.

Trafics d’armes : fin de crise, embargos, désarmement et consolidation de la paix

Terrorisme : évolutions stratégiques et sociologiques

Loïc Salmon

Adopté en 2001, le Programme d’action des Nations unies de prévention, lutte et éradication du trafic illicite des armes légères et de petit calibre (ALPC) et présente les mesures à prendre aux niveaux national, régional et mondial. Elles portent sur : la législation sur les divers aspects de la production, du transfert et du détournement des ALPC ; le marquage, le stockage de données et la traçabilité ; la gestion des stocks et leur sûreté ; l’identification et la destruction des surplus ; les transferts internationaux ; le courtage ; l’information du public ; les programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion ; la coopération et l’assistance internationale pour faciliter la mise en œuvre de ce programme. Souple et non contraignant, ce dernier a été complété par d’autres instruments juridiques. Ainsi, le Traité sur le commerce des armes (2014) inclut, pour les Etats parties, l’obligation d’établir des normes communes pour le transfert international d’armes conventionnelles.