Défense : les forces morales, patriotisme et mémoire

Face à l’évolution de l’environnement stratégique, les forces morales permettent d’affronter l’incertitude. « L’esprit de défense », prise de conscience du citoyen sur les enjeux de défense nationale, implique une culture et une mémoire de l’engagement au service de la nation.

Les forces morales ont fait l’objet d’un colloque organisé, le 15 janvier 2024 à Paris, par le Centre de recherche de Saint-Cyr Coëtquidan (CReC). Y sont notamment intervenus : le général Guillaume Couëtoux, zone de défense et de sécurité Ouest ; Martine Cuttier, Université de Toulouse 3 ; la capitaine ® Aude Nicolas, délégation au patrimoine, État-major de l’armée de Terre.

Le soldat. Aux capacités physiques et intellectuelles du soldat, il convient d’ajouter la conscience, souligne le général Couëtoux. Nourri par ses racines et ses héritages, le soldat se trouve tiré vers le haut grâce aux valeurs et aux vertus qui animent le sens donné à sa mission. La force morale du guerrier dépend aussi de ses appartenances, des influences qui s’exercent sur lui, notamment la guerre informationnelle, et de ce que la technologie peut lui apporter. La sensibilisation aux enjeux de défense par les armées vise les élus et représentants de l’État, les associations, le monde économique et la jeunesse. Les menaces internes et externes ont fait prendre conscience de la nécessité d’éduquer les futurs enseignants en matière de défense, au sein des écoles de formation du ministère de l’Éducation nationale. La force morale du soldat et des forces armées n’existe pas sans celle de toute la nation et vice-versa, précise le général. Pendant une trentaine d’années, l’expression « lien armée-nation » a distillé et entretenu un malentendu laissant croire que l‘armée et la nation peuvent constituer deux entités distinctes devant simplement dialoguer entre elles et que la défense de la nation était uniquement assurée par les armées. La formule « défense de la nation par la nation », où s’immisce la notion de confiance, semble plus efficace. La réappropriation de l’esprit de défense et des forces morales par la société se manifestera quand les militaires n’auront plus besoin de les transmettre et se concentreront sur leurs missions, tout en témoignant de ce qu’ils font et de ce qu’il les anime. Les familles constituent les charnières essentielles entre les militaires et la société civile, en vue du partage de la fierté de s’engager et de servir la nation jusqu’à la mort, s’il le faut. Le ministère des Armées investit massivement dans l’accueil des familles dans les nouvelles garnisons successives, le logement, les transports, l’emploi du conjoint, les stages à trouver dans des environnements nouveaux, les places dans les crèches et la continuité des parcours de soins. Les nombreuses conventions signées entre le ministère des Armées et les entreprises expriment une prise de conscience de la nécessité de renforcer l’attractivité du métier militaire dans une période de bascule stratégique. Le général Couëtoux conclut en citant le philosophe grec Aristote (384-322 avant J.-C.) au sujet de la force morale du soldat : « Le courage ne se découvre pas sur les champs de bataille, mais il est le fruit d’une disposition cultivée peu à peu ».

L’hommage aux morts au combat. La nation exprime sa reconnaissance aux soldats morts en opération extérieure pour le bien commun par un hommage solennel avec les honneurs militaires, explique Martine Cuttier. Une première cérémonie se déroule sur le lieu du décès puis à l’aéroport avant le rapatriement des corps en France. A Paris, tout commence le matin ou en raison du décalage horaire, en présence des familles, de cadres de l’unité où ils ont servi, de l’aumônier et de l’assistante sociale. Le fourgon mortuaire est escorté par des motocyclistes de la Garde républicaine jusqu’à l’Hôtel national des Invalides. L’Association du soutien à l’armée française et d’autres organisations se sont mobilisées pour qu’un cortège accueille les cercueils. De son côté, l’État-major des armées a pris l’initiative d’inviter les Français à leur rendre hommage lors du passage sur le pont Alexandre III, comme cela se pratique depuis longtemps aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada. Par sa présence aux Invalides, la foule manifeste son soutien à l‘armée de métier, au nom du lien entre l’armée et la nation et pour le moral de troupes. Certaines cérémonies aux Invalides sont présidées par le président de la République en présence de membres du gouvernement et des autorités militaires, civiles et religieuses. Le président prononce l’éloge funèbre et décerne la Légion d’honneur à chaque mort pour la France, promu au grade supérieur pour la circonstance. Puis les cercueils, portés par des soldats de l’unité concernée, quittent la cour d’honneur au rythme de la marche funèbre de Chopin. Un ultime hommage est rendu à la garnison de l’unité endeuillée. Depuis l’attentat terroriste de l’immeuble du Drakkar qui a tué 58 parachutistes à Beyrouth en 1983, à chaque éloge de gratitude, les présidents successifs mettent l’accent sur les valeurs de la France, à savoir la paix, la liberté, la démocratie et la souveraineté de son peuple. La tombe du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe à Paris (photo) constitue le meilleur symbole de la longue liste de héros qui ont donné leur vie pour la défense de la France. Pourtant, estime Martine Cuttier, le terme de « héros » semble compliqué pour les militaires qui pensent que les morts pour la France n’ont fait que leur devoir. En revanche, la relative indifférence des médias est mal ressentie par ceux qui attendent la considération, la solidarité et l’attention de la nation qui leur a délégué le droit à l’usage de la force pour l’intérêt général. Après la guerre d’Algérie (1954-1962), l’idée d’un monument aux morts pour la France en opérations extérieures (sans déclaration de guerre par le Parlement) émerge en 2011. Un mémorial interarmées est finalement inauguré à Paris le 11 novembre 2019.

Le patrimoine militaire. L’histoire de l’art et du patrimoine militaires constituent des vecteurs de l’appropriation des forces morales, estime la capitaine Nicolas. Dans leurs œuvres, les artistes ont voulu exprimer la bravoure et l’esprit de sacrifice. Il s’agit de conserver le souvenir des vertus des héros et de les ériger en modèles de célébration pour la postérité. Depuis le XVIIème siècle, la production artistique sur la thématique militaire porte sur la recomposition imaginaire d’un événement ou la recherche d’exactitude, choix des peintres et des sculpteurs. Le peintre va sélectionner l’essentiel de la bataille. Dans le cas d’un bas ou d’un haut-relief, le sculpteur va pousser la synthèse sur un personnage ou un groupe en privilégiant un moment important en fonction de valeurs à transmettre et relevant des forces morales. Ainsi sur l’Arc de Triomphe à Paris, la représentation de la résistance en 1814 dépasse le personnage et l’événement historique pour exprimer le courage, l’abnégation, l’esprit de sacrifice et la volonté de vaincre. Tout monument commémoratif prend en compte la notion d’exemplarité. Ainsi, la bataille du pont d’Arcole (1796), représentée aussi sur l’Arc de Triomphe, montre Napoléon Bonaparte brandissant un drapeau pour galvaniser ses troupes. Le jeune tambour André Estienne, qui avait franchi le torrent à la nage sous le feu de l’ennemi, a permis d’accélérer la victoire. Un monument à sa gloire érigé à Cardenet, sa ville natale, symbolise la jeunesse engagée et l’élan patriotique. La Troisième République réhabilite l’image de l’épopée impériale avec les commandes de grands tableaux des batailles d’Austerlitz (1805) et d’Iéna (1806). La représentation de la charge des cuirassiers, lors des batailles de Reichshoffen, de Fréjus et de La Chapelle (1870), souligne la priorité de la résilience autour des notions de courage et de sacrifice. A l’exemple de la galerie des batailles créée par Louis-Philippe au château de Versailles, des salles d’honneur sont ouvertes dans les régiments et ornées de tableaux rappelant leurs hauts faits. L’œuvre d’art, même ancienne, véhicule des valeurs intemporelles et consolide la cohésion autour d’un héritage commun.

Loïc Salmon

Défense : les forces morales, histoire et culture

Défense : les forces morales, la nation et son armée

Défense : la mort, au cœur de la singularité militaire




Cahiers de guerre d’un avocat normand, les batailles de Champagne 1915

Les assauts français de 1915 contre les tranchées allemandes, précédés de canonnades parfois mal ajustées, ont été particulièrement meurtriers.

Firmin Daligault, avocat mobilisé comme adjudant puis promu lieutenant, y a participé. Sa description des événements, ses impressions et ses analyses, écrites sur des cahiers d’écolier, témoignent de l’enfer de ces batailles. Avant d’être envoyé en première ligne en février, il rapporte les propos concordants des blessés qui en reviennent : « Ce n’est plus une bataille, c’est un carnage, partout des morts, partout des blessés, on marche dessus, sur des cadavres pourris là depuis un mois, sur des cadavres là d’hier, sur des blessés même qu’on ne peut pas éviter. Et notre propre artillerie nous cause énormément de dégâts, le tir est mal réglé, rien n’est prêt pour la lutte, et toujours malgré tout, sans préparatifs, il faut aller à l’assaut où tous les officiers tombent et d’où peu d’hommes reviennent. »  Quand son tour arrive, il reçoit les consignes excluant la capture de prisonniers. L’assaut est accueilli par le feu des mitrailleuses allemandes. Un ordre du haut commandement, quel qu’il soit, ne se discute pas, même si les officiers sur le terrain se rendent compte de l’impossibilité d’une attaque malgré les bombardements préalables. Un échec, dû au manque de renseignements ou aux cartes d’état-major erronées, ne doit pas se solder par l’abandon d’un pouce de terrain. Ce serait considéré comme une trahison par le haut commandement, partisan de l’offensive à outrance. Des conférences sont alors organisées pour remonter le moral des troupes, mais les événements contredisent leurs informations mensongères et sapent la confiance. Ainsi l’allégation, selon laquelle les Allemands meurent de faim, se trouve démentie par la découverte d’un abri ennemi, bien garni en saucissons et cigares, ou le passage de prisonniers apparemment bien nourris. De même, l’ennemi n’aurait plus de munitions ou elles seraient de mauvaise qualité et n’éclateraient pas, alors que ses obus tuent beaucoup d’hommes. Les extraits des journaux de marche du 104ème Régiment d’infanterie, celui de l’auteur, mentionnent avec précision le déroulement d’une opération avec le nombre de morts, de blessés et de disparus. Et puis, il y a l’épuisement, les nuits sans sommeil par une température froide, la boue, les rats, le manque de nourriture et d’eau pendant plusieurs jours et même les vols des affaires de ceux partis au combat et sur les cadavres des tués. Firmin Daligault n’épargne pas la haute hiérarchie de ses critiques : « On ne saurait trop oublier en effet les erreurs des grands pontifes, des membres du Conseil supérieur de la guerre, le néfaste de leurs théories, leurs inconséquences blâmables et aussi leur incurie dans la préparation de la guerre. Et ceux-là même qui avaient pour mission de mettre le pays en état de défense, qui disposaient de toutes les énergies, de toutes les bonnes volontés ne reculant devant aucun sacrifice, ils étaient les premiers à ne pas croire à la guerre et leurs plans de campagne étaient de faire avancer leurs amis (…) au détriment des officiers laborieux et consciencieux qui, dégoûtés, s’en allaient. » Par ailleurs, l’exécution en public d’un soldat, condamné à mort pour abandon de poste devant l’ennemi, a failli provoquer une mutinerie dans le 104ème Régiment d’infanterie. Cet abandon de poste se complique de la mutilation volontaire qui, non prévue par le code militaire à l’époque, ne peut être punie que comme abandon de poste. L’exécution a été organisée comme une cérémonie officielle avec drapeau et musique en tête. Le condamné, un pansement à la main, a été fusillé. « Cette condamnation, de l’avis de tous, fut plus qu’une erreur judiciaire, souligne l’avocat Daligault, on a dit avec juste raison qu’elle fut un crime. »

Loïc Salmon

« Cahiers de guerre d’un avocat normand, les batailles de Champagne 1915 », Firmin Daligault. Éditions Lamarque, 336 pages, 26 €.

Images interdites Grande Guerre

Exposition « Le nouveau visage de la guerre » à Verdun

Renseignement et espionnage pendant la première guerre mondiale




L‘ordre de Saint-Michel

A l’origine outil d’affirmation du pouvoir royal, l’ordre de Saint-Michel a accompagné l’évolution des distinctions récompensant la fidélité à la personne du souverain puis le mérite civil jusqu’à la création de la Légion d’honneur en 1802.

Institué le 1er août 1469 au château d’Amboise par Louis XI, l’ordre s’inscrit dans la tradition médiévale des compagnies chevaleresques des Cours européennes perpétuant la légende des chevaliers de la Table Ronde. Dès 1348, le roi d’Angleterre Édouard III fonde l’ordre de la Jarretière qu’il place sous la protection de Saint-Georges. Depuis le XIIème siècle, les rois Capétiens manifestent leur attachement à l’archange saint Michel, chef des milices célestes. Pendant la guerre de Cent-Ans, ce dernier devient le symbole national en France, face à saint Georges pour l’Angleterre. Tous deux ont vaincu le dragon représentant le Mal. Saint Michel, cité dans la Bible, l’attaque à pied, tandis que saint Georges, valeureux soldat romain martyrisé pour sa foi chrétienne selon une légende du XIème siècle, le combat à cheval pour sauver une jeune femme. Pour Louis XI, l’ordre de saint Michel prend une dimension politique afin de rallier à lui la haute noblesse, face à son adversaire le puissant duc de Bourgogne Charles le Téméraire, dont le père, Philippe le Bon, a institué l’ordre de la Toison d’or en 1430. De fait, tous les ordres royaux ou princiers européens s’inspirent de celui de la Jarretière avec un saint patron prestigieux, un souverain chef de l’ordre, un nombre limité de chevaliers habilement sélectionnés, un signe d’appartenance matérialisé par une ceinture ou un collier, dont la remise et le port donnent lieu à des rituels soigneusement codifiés. L’insigne de l’ordre de Saint Michel se compose d’un médaillon, montrant saint Michel terrassant le dragon, et d’un collier constitué de cordelières des moines franciscains et de coquilles saint jacques. Celles-ci symbolisent le pèlerinage à saint Jacques de Compostelle (Espagne), mais aussi au mont Saint-Michel (Normandie), retenu comme siège de l’ordre et qui a victorieusement résisté aux Anglais. L’intégration dans l’ordre de Saint-Michel exige des chevaliers de renoncer à toute autre appartenance, à l’exception des empereurs, rois et ducs, eux-mêmes souverains d’un ordre. Comme les autres ordres de chevalerie, celui de Saint-Michel prend dès le début une dimension diplomatique. Louis XI le confère au roi du Danemark Jean II puis au à celui d’Écosse Jacques III, mais aussi aux serviteurs les plus fidèles, aux seigneurs récemment ralliés, à certains grands féodaux et à la petite noblesse attachée aux différents offices de la Couronne. Sous François Ier, l’ordre se réunit en 1527, 1528, 1542, 1543 et 1546…le 29 septembre, jour dédié à saint Michel. Sous Henri II, la fête de l’ordre intègre les rituels de la monarchie. Ensuite, les guerres de religion entre catholiques et protestants pèsent lourdement sur la vie de l’ordre. Son succès politique, dû à des nominations pléthoriques, cause sa chute. Henri III le relègue au second plan en établissant l’ordre du Saint-Esprit en 1578. Henri IV nomme des chevaliers dans les deux ordres. Louis XIII innove en attribuant l’ordre de saint Michel à des artistes peintres. Louis XIV le réforme, confirme son statut d’ordre noble et essentiellement militaire et réduit son effectif à 100 récipiendaires. Puis il crée l’ordre de Saint-Louis pour récompenser les services militaires mais sans contingents limités, ce qui renforcera son éclat. Louis XV et Louis XVI ouvrent l’ordre de Saint-Michel à des personnalités méritantes de la magistrature, des sciences, des arts et du commerce, anoblies pour la circonstance. Aboli en 1791, l’ordre réapparaît sous la Restauration en 1814 jusqu’à sa suppression en 1830. Enfin, avant leur largage sur la Bretagne le 6 juin 1944, les commandos français du Special Air Service britannique ont choisi saint Michel comme patron des parachutistes.

Loïc Salmon

« L’ordre de Saint-Michel », ouvrage collectif. Éditions Pierre de Taillac, 182 pages, nombreuses illustrations, 39 €.

La Légion d’honneur

D’or et d’argent

Epopée de la Médaille militaire

 




Renseignement et espionnage pendant la première guerre mondiale

Les moyens techniques du renseignement connaissent des progrès considérables. La cryptologie et les interceptions des communications donnent naissance au renseignement électromagnétique. Les opérations clandestines portent surtout sur le sabotage et la subversion.

La reconnaissance aérienne renseigne le commandement en temps réel, grâce aux avions d’observations équipés de postes de radio. S’y ajoutent les prises de vues réalisées entre 50 m et 300 m d’altitude, pour les photos obliques, et entre 50 m et 4.200 m pour celles verticales. Pour les agents secrets, la microphotographie permet d’envoyer 21 pellicules contenant 38.000 dépêches, glissées dans un tube d’aluminium de 5 cm de long attaché à la patte d’un pigeon voyageur, moyen rustique mais considéré comme sûr. Le largage de pigeons derrière les lignes ennemies par voie aérienne reste d’actualité jusqu’à la fin de la guerre. Les écoutes et la radiogoniométrie permettent de situer les PC ennemis et reconstituer leur ordre de bataille, localiser les groupes d’artillerie et suivre les raids nocturnes des dirigeables allemands Zeppelin, lancés contre l’Angleterre et la France en 1916 et 1917. Dans le domaine naval, outre les informations des services de renseignement agissant en territoire neutre ou ennemi et celle des bureaux de renseignements maritimes dans les ports, la Marine française s’appuie sur le déchiffrement des interceptions radio et sur l’assistance britannique, qui va s’avérer déterminante pour la lutte contre les sous-marins ennemis, la protection du commerce maritime de la France avec ses colonies et le contrôle du blocus économique contre la coalition des Empires allemand, austro-hongrois et ottoman et du Royaume de Bulgarie. L‘Amirauté britannique crée un service de cryptologie dénommé « Room 40 », dont les experts parviennent à décrypter plus de 15.000 messages allemands et à détecter les actions navales planifiées, conduisant à la perte de la moitié de la flotte de surface impériale. Les stations d’écoute, installées le long des côtes britanniques, permettent, dès la fin de 1914, de pister un sous-marin allemand dès son appareillage jusqu’à sa plongée. En outre, depuis le début du XXème siècle, la Grande-Bretagne dispose d’un réseau de câbles sous-marins connectés jusqu’à l’Australie, la Nouvelle-Zélande et ses possessions du Pacifique. En 1917, les câbles sous-marins allemands ayant été coupés, un message secret du ministre allemand des Affaires étrangères destiné au gouvernement mexicain dut transiter par le réseau des États-Unis…que les Britanniques interceptaient à leur insu ! Le fameux télégramme Zimmerman, décrypté par Room 40 et rendu public par le gouvernement britannique, provoque l’entrée en guerre des États-Unis le 5 avril 1917. Pour protéger le canal de Suez face à l’Empire ottoman, les services de renseignements britanniques suscitent la révolte des tribus arabes en 1917. De son côté, l’Empire allemand utilise les mêmes moyens techniques de renseignement et recourt aussi aux opérations secrètes. Dès juillet 1914, l’ambassade d’Allemagne à Washington reçoit pour mission de porter la « guerre clandestine » sur le territoire des États-Unis désignés comme « l’ennemi invisible ». Entre janvier et juillet 1915, 17 navires ont été sabotés dans des ports américains. En 1916 et 1917, des attentats sont perpétrés dans un dépôt de munitions à Jersey-City (7 morts), dans un chantier naval près de San Francisco (8 morts) et dans le port canadien de Halifax (2.000 morts). Mais le plus grand succès des opérations clandestines allemandes reste le soutien logistique et financier au Parti bolchevique pour instaurer une république en Russie, alliée de la France et de la Grande-Bretagne. Cela entraînera la paix séparée de Brest-Litovsk (3 mars 1918).

Loïc Salmon

« Renseignement et espionnage pendant la première guerre mondiale », ouvrage collectif. Éditions Cf2R Ellipses, 576 p., 29,50 €.

Renseignement et espionnage pendant l’Antiquité et le Moyen-Âge

Renseignement et espionnage de la Renaissance à la Révolution (XVe-XVIIIe siècles)

Renseignement et espionnage du Premier Empire à l’affaire Dreyfus (XIXe siècle)

La nouvelle guerre secrète




Exposition « Victoire ! La fabrique des héros » aux Invalides

Au cours de l’Histoire et partout dans le monde, la victoire militaire, à la chasse ou sportive, se vit, se proclame et se perpétue par des souvenirs de natures diverses. Ses conséquences portent sur des enjeux stratégiques, politiques ou commerciaux.

L’entourage de la victoire. Plusieurs notions s’associent à celle de la victoire, considérée comme un succès sur l’adversaire après un affrontement, une bataille ou une compétition. Ainsi, le triomphe peut signifier une victoire éclatante ou l’honneur décerné à un général romain qui défile à Rome après avoi remporté une grande victoire. Armes, emblèmes, casques ou coupes constituent autant de trophées attestant d’une victoire. Celle-ci se célèbre par des manifestations festives ou l’accomplissement d’une cérémonie rituelle, notamment religieuse. En compensation des efforts consentis, les vainqueurs reçoivent une récompense sous forme d’un bien matériel ou financier. Ils connaissent alors la gloire, cette grande notoriété dont ils jouissent dans l’esprit d’un grand nombre de personnes. En revanche, les vaincus connaissent la défaite, déroute subie par une armée ou l’échec dans le cadre de l’opposition de deux ennemis ou concurrents.

Du trophée au symbole. Le mot « trophée » dérive du grec « tropaion » et du latin « tropæum » qui signifient…déroute ! Il s’agissait à l’origine d’un arbre taillé en forme de croix, auquel étaient suspendues les armes des vaincus. Élevé sur le champ de bataille et dédié à la divinité ayant donné la victoire, il rappelait le succès du camp vainqueur. Ensuite, il a été remplacé par un monument de pierre. Dans la mythologie grecque, Persée, fils de Zeus, décapite Méduse, monstre féminin aux cheveux de serpents changeant en pierre quiconque croisait son regard. Aujourd’hui encore, la tête de Méduse figure sur le bouclier de statues représentant Athéna, déesse guerrière. Autre fils de Zeus, Héraclès, portant la dépouille du lion de Némée, est conduit par la déesse de la victoire sur l’Olympe, où les dieux l’admettront comme l’un des leurs au terme de sa vie d’épreuves. Dans l’Illiade, le Grec Achille exhibe le corps du Troyen Hector comme trophée aux yeux de tous en le traînant, attaché à son char, autour de la ville de Troie. Selon la tradition, le coureur Philippidès s’effondra au sol après une course de 40 km pour annoncer aux Athéniens la victoire de l’armée grecque sur celle de l’Empire perse à Marathon (490 avant J.-C.). Le roi macédonien Alexandre le Grand, pharaon d’Égypte, conquiert l’Empire perse et pénètre en Inde jusqu’à la rive de l’Indus (326 avant J.-C.). N’ayant jamais perdu une bataille, il incarne le modèle du vainqueur pour de nombreux empereurs, rois (notamment Louis XIV) et généraux au cours de l’Histoire. Pendant la période hellénistique (IIème siècle avant J.-C.), la victoire est représentée par la déesse Niké, messagère des dieux qui apporte la gloire aux vainqueurs. L’exposition présente une réplique de la « Victoire de Samothrace » (photo), mondialement connue et dont l’original se trouve au musée du Louvre à Paris. Grand admirateur d’Alexandre, le Romain Jules César (100-44 avant J.-C.), honoré par quatre triomphes à Rome, était « imperator », titre décerné par la République romaine aux généraux victorieux, sans la connotation politique que lui donneront ses successeurs et divers souverains étrangers. Auguste, héritier de César et premier « empereur » romain, attribue au dieu Apollon sa victoire navale sur son rival Marc-Antoine et Cléopâtre, dernière reine d’Égypte, à Actium (31 avant J.C.). En remerciement et pour en perpétuer le souvenir, il fonde la ville de Nicopolis (Grèce) près du lieu de la bataille, dédie un temple à Apollon sur le mont Palatin à Rome, lui consacre des jeux sportifs et fait frapper à son effigie des monnaies diffusées dans tout l’Empire. Dans l’Égypte ancienne, le pharaon est souvent représenté piétinant des prisonniers couchés pour traduire la victoire de l’ordre du monde établi par les dieux. L’exposition présente une sculpture en grès (IIIème-IVème siècle avant J.-C.) figurant le dieu Horus en cavalier victorieux terrassant un crocodile, animal du dieu Seth meurtrier de son père Osiris. Cette iconographie se retrouve dans l‘empereur cavalier triomphant du monde barbare. Cette victoire du Bien sur le Mal perdure avec les images de saint-Georges et de saint-Michel terrassant le dragon. Ce thème apparaît aussi dans la mythologie hindouiste. Durga, déesse de la guerre, remporte la victoire contre le démon Mahîshâsura et ramène la paix sur terre. Les Aztèques associent le dieu Huitzilopochtli, leur principale divinité, à leurs victoires mais aussi à leurs défaites. Enfin dans la Chine antique, contrairement à d’autres divinités guerrières, Guandi, dieu taoïste de la guerre, accorde également sa bénédiction…à ceux faisant preuve de fraternité et de droiture !

Des célébrations aux monuments. En 217 avant J.-C., le roi d’Égypte Ptolémée IV fait distribuer à ses troupes 300.000 pièces d’or spécifiques pour célébrer sa victoire à Raphia sur les armées du roi séleucide Antiochos III. Vers 319-320, l’empereur romain Constantin Ier le Grand met en circulation une monnaie le représentant à l’avers et, au revers, deux captifs entravés au pied d’un trophée composé d’armes et d’éléments d’armures pour diffuser son image de vainqueur. Au XVème siècle, le roi Charles VII fait frapper des médailles pour commémorer l’expulsion définitive des Anglais hors de France. Durant l’Ancien Régime, l’Antiquité inspire une médaille célébrant la bataille d’Ivry (1590), où la victoire du roi protestant Henri IV sur les Ligueurs catholiques mettra fin aux guerres de religion. De même, une allégorie de la victoire illustre la médaille rappelant la bataille de Rocroi (1643), victoire du Grand Condé sur l’armée espagnole. Pour commémorer le passage du Rhin pendant la guerre de Hollande (1672-1678), Louis XIV fait frapper une médaille le montrant vêtu comme en général romain, qu’une victoire ailée couronne de lauriers. Dès les années 1540, les armuriers milanais s’inspirent des héros de l’Antiquité pour réaliser des armures d’apparat (photo). Le triomphe à la romaine devient un modèle de la glorification du prince au cours de fêtes dans toutes les cours d’Europe. Plus tard, il se transformera en défilé militaire, phénomène universel. Celui de la victoire de 1918 est conduit sous l’Arc de Triomphe à Paris par les maréchaux Joffre et Foch le 14 juillet 1919. En outre, les souverains puis les gouvernements ont édifié des monuments rappelant une victoire pour l’inscrire durablement dans la mémoire collective. En voici une rétrospective non exhaustive : Trophée d’Auguste (7-6 avant J.-C.), soumission des derniers peuples alpins par les Romains ; Arc d’Orange (10-25), victoires des Romains sur les Germains ; Colonne Trajane (107-113), victoire des Romains sur les Daces ; Basilique Notre-Dame des Victoires (1629), victoires de Louis XIII sur les ennemis du royaume de France ; Yorktown Victory Monument (1881-1884), victoire des Américains et de leurs alliés français sur les Britanniques en 1781 ; Arc de Triomphe du Carrousel (1806-1808), campagne d’Allemagne de l’armée napoléonienne sur la coalition austro-russe ; Colonne Vendôme (1806-1810), victoire de Napoléon à Austerlitz sur la coalition austro-russe ; Arc de Triomphe de l’Étoile (1806-1836), victoires des armées de la Révolution et de l’Empire ; Colonne Siegssaüle (1873), victoires prussiennes contre le Danemark (1864), l’Autriche (1866) et la France (1871) ; Monument commémoratif de la première bataille de la Marne (1938), victoire franco-britannique sur l’Allemagne en 1914. La crypte du tombeau de Napoléon aux Invalides rappelle ses hauts faits militaires et civils.

Loïc Salmon

L’exposition « Victoire ! La fabrique des héros » (11 octobre 2023–28 janvier 2024), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Elle présente des sculptures, tableaux, documents, photographies, armes, armures, objets, trophées, médailles et tenues diverses. Des visites guidées sont prévues. Renseignements : www.musee-armee.fr

Victoire ! La fabrique des héros

Exposition « Dans la peau d’un soldat » aux Invalides

Exposition « Les canons de l’élégance » aux Invalides

 




Victoire ! La fabrique des héros

Outre sa dimension guerrière, la notion de victoire s’applique aussi à la littérature et à la politique, mais surtout au sport de compétition. Elle y acquiert la même aura, après une longue préparation et des efforts intenses pour se dépasser et l’emporter.

Décidée selon des modalités diverses, la victoire sportive s’intègre dans une hiérarchie des valeurs et fait l’objet de réjouissances, allant des stades aux palais présidentiels, et renouvelle les expressions du sentiment national. La célébration de la victoire prend une place particulière dans le cadre des Jeux Olympiques, où les médailles acquises donnent une renommée plus durable que celles des championnats du monde. Dans l’Antiquité, les cités grecques organisaient des jeux sportifs dans à Olympie en l’honneur de Zeus olympien, du VIIIème siècle avant J.-C au IVème siècle après J.-C. Elles récompensaient uniquement les vainqueurs par un rameau d’olivier sauvage, symbole de la sagesse, de la gloire et de la paix. Lors de ses propres jeux, Athènes offrait aussi des amphores spécifiques remplies de l’huile des oliviers sacrés, produit très précieux et donc cher. Le vainqueur revendait alors l’huile et gagnait une importante somme d’argent. En 1894, le baron français Pierre de Coubertin fonde le Comité international olympique qui structure les Jeux dans le cadre de la Charte olympique. Le premiers Jeux olympique modernes commencent en 1896 à Athènes avec un sacre sommaire. Le vainqueur est couronné d’olivier et reçoit une médaille d’argent. Le second obtient une couronne de laurier et une médaille de bronze. Ce n’est qu’en 1904, lors des Jeux de Saint Louis (États-Unis), que l’or, l’argent et le bronze sont remis aux athlètes. Le podium apparaît en1932, durant les Jeux d’hiver à Lake Placid (États-Unis), Désormais, la remise des médailles s’effectue sur une estrade selon un protocole strict. Le premier athlète, au centre, reçoit une médaille d’or et le titre de champion olympique. Le deuxième, placé à sa droite, obtient une médaille d’argent et le troisième, à sa gauche, une médaille de bronze. Les drapeaux des pays des trois vainqueurs sont hissés, mais seul l’hymne national du médaillé d’or retentit. Dans certains cas, les vaincus sont honorés presqu’à l’égal des vainqueurs : glorification des Spartiates défaits aux Thermopyles par l’armée perse (480 avant J.-C.) ; siège de Fort Alamo (Texas, 1836) ; résistance d’une compagnie de la Légion étrangère française à Camerone (Mexique, 1863). Ce goût des perdants magnifiques se retrouve dans le sport. Ainsi, lors de la Coupe de football des clubs de champions européens à Glasgow (Écosse) en 1975-1976, l’équipe française des Verts de Saint-Étienne, battue par l’équipe allemande du Bayern de Munich, est ovationnée le lendemain sur les Champs-Élysées à Paris. Quoique souvent associé aujourd’hui au monde du sport, le trophée témoigne d’abord d’une victoire militaire par l’exposition d’armes ou d’objets symboliques du vaincu, comme l’épée du roi François 1er, fait prisonnier à Pavie en 1525 par le général Juan de Aldana. Échangée par son fils contre une pension du roi d’Espagne Philippe II en 1585, elle sera récupérée par la France…en 1808, pendant la guerre de l’armée napoléonienne contre l’Espagne. Le trophée se perpétue dans le domaine de la chasse par la tête, naturalisée et montée sur un écusson, d’un animal d’une exceptionnelle splendeur, puissance ou rareté. Récompense de portée internationale, le prix Nobel, créé par le Suédois Alfred Nobel inventeur de la dynamite, honore une personnalité ou une organisation pour son action en faveur du bien-être de l’humanité. Il concerne six domaines : physique ; chimie ; littérature (Annie Ernaux, première Française en 2022) ; médecine ; économie ; paix (l e Sud-Africain Nelson Mandela en 1993, entré dans l’Histoire par la défaite).

Loïc Salmon

« Victoire ! La fabrique des héros », ouvrage collectif. Éditions In Fine et Musée de l’Armée, 344 pages, 275 illustrations, 35 €

Exposition « Victoire ! La fabrique des héros » aux Invalides

Dans la peau d’un soldat

Les canons de l’élégance




D’Artagnan et les mousquetaires du roi à Vincennes

Le vrai D’Artagnan, le plus célèbre mousquetaire du roi, reste toujours méconnu 350 ans après sa mort, alors que son mythe perdure dans monde. Une exposition, organisée par le Service historique de la défense à Vincennes, permet d’en savoir plus.

La compagnie des mousquetaires, instituée par Louis XIII en 1622, a pour mission première la protection du roi, après les deux régicides consécutifs contre Henri III (2 août 1589) et Henri IV (14 mai 1610). Dans les années 1620, le roi l’emploie aussi sur les champs de bataille, car ces cent mousquetaires, fantassins montés, constituent une nouveauté au début du XVIIème siècle. Ils combattent à pied ou à cheval en utilisant le mousquet à mèche ou l’épée. Leur renommée commence avec leur participation aux opérations du siège de La Rochelle (1627-1628) et au combat du Pas-de-Suse (1629). Pour soutenir les huguenots français qui se sentent menacés, l’Angleterre, protestante, envoie une troupe conquérir l’Île de Ré. Pour mater La Rochelle perçue comme un « État dans l’État », Louis XIII et le cardinal de Richelieu chassent les Anglais de l’Île de Ré et assiègent La Rochelle. Pendant la guerre de Trente ans (1618-1648) qui oppose des États catholiques et protestants d’Europe centrale, la France tente d’avancer des pions face à l’Espagne, très influente parmi les États italiens. L’armée française affronte les Savoyards, alliés des Espagnols, dans les Alpes dans un défilé en amont de la ville de Suse. Louis XIII charge en première ligne sur le champ de bataille et impose le déploiement des mousquetaires à pied. Très loin de l’image du roi faible et de la légende noire du cardinal que donne Alexandre Dumas dans « Les Trois mousquetaires », Louis XIII, dernier roi guerrier de France, et Richelieu mettent en place la monarchie absolue de droit divin…dont profitera Louis XIV quelques décennies plus tard !

Charles de Batz de Castelmore, comte D’Artagnan (vers 1610/1615-1673) figure parmi ces cadets de Gascogne, qui comptent sur leur bravoure au combat et leurs appuis à la Cour pour progresser dans la carrière des armes. Il n’a en effet guère d’autre choix que de s’engager au service du roi, car issu d’une famille de petite noblesse peu fortunée. Sa famille maternelle, les Montesquiou D’Artagnan, dont il prendra le nom, l’introduisent à la Cour dans les années 1630. Recensé lors d’une revue comme mousquetaire du roi en 1633, il poursuit sa carrière dans le Régiment des gardes françaises, où servent de nombreux Gascons sous les ordres du maréchal de Grammont. En 1646, il entre au service du cardinal Mazarin…en tant que messager ! Pendant la Fronde (1648-1653), D’Artagnan exerce ses fonctions entre le cardinal en exil et la Cour itinérante de la reine régente Anne d’Autriche et du jeune Louis XIV. Officier des Gardes françaises, il participe aux dernières campagnes de la guerre franco-espagnole, où il est blessé au siège de Stenay (1654). Nommé sous-lieutenant de la Compagnie des mousquetaires en 1658, il épouse, l’année suivante, Charlotte-Anne de Chalency, riche veuve issue d’une famille de la noblesse de Bourgogne. Son contrat de mariage, présenté à l’exposition, mentionne les signatures de Louis XIV et de Mazarin. A la mort de ce dernier (1661), Louis XIV ordonne à D’Artagnan d’arrêter le surintendant Nicolas Fouquet (condamné après trois ans de procès) et de l’escorter de prison en prison jusqu’à Pignerol (plaine du Pô) en 1665. Nommé gouverneur de Lille en 1672, il participe au siège de Maastricht, où il est tué l’année suivante…d’une balle de mousquet.

Loïc Salmon

L’exposition « Mousquetaires » (14 septembre 2023-13 janvier 2024) se tient au château de Vincennes, pavillon du Roi. Elle rassemble uniformes, livres, documents, tableaux et gravures. L’entrée est gratuite. Visites guidées possibles. Un catalogue, édité par le Service historique de la défense, est disponible au prix de 25 €. Renseignements : https://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr

Exposition « Mousquetaires » au musée de l’Armée

Mousquetaires !




L’Antiquité en six batailles

Jusqu’à la chute de Rome en 476, les combats entre États se composent du choc et du mouvement, en combinant les capacités physiques de l’homme et du cheval. L’issue d’une bataille résulte surtout de l’organisation supérieure d’une armée et du génie militaire de son chef.

Introduit en Égypte au XVIIIème siècle avant J.-C., le char, qui emporte jusqu’à quatre combattants, constitue un redoutable engin de guerre pour le choc. A partir du VIIème siècle avant J.-C., les cités grecques remplacent la lourde cuirasse de bronze du soldat, héritée des héros de la guerre de Troie, par le linothorax, tunique faite de couches de lin superposées et renforcée d’écailles de bronze. Le gain en ergonomie et en manœuvrabilité leur permet de vaincre les armées perses, pourtant plus nombreuses, au cours des guerres médiques (- 490 puis – 480/479). En outre, leur efficacité repose sur la phalange, organisation tactique des fantassins armés de lances de 5,5 m de long et de petits boucliers ronds, une discipline rigoureuse et une forte cohésion sociale entre citoyens d’une même cité. Puis la légion romaine l’emporte sur la phalange, grâce une organisation plus souple, un armement permettant de se battre dans toutes les configurations et un bouclier offrant une protection individuelle complète. Par la suite, les légions, composées surtout de fantassins, ne parviennent plus à protéger les 10.000 km de frontière de l’Empire des incursions des cavaleries des peuples barbares. Par ailleurs, jusqu’au Vème siècle avant J.-C., la défense d’une ville dépend de la qualité de ses fortifications, de la durée du siège, du nombre et de la patience des assiégeants. Au siècle suivant, les moyens techniques, hérités des Assyriens (IIème millénaire – 609 avant J.-C.), réapparaissent chez les Grecs, qui en inventent de nouveaux : tour, catapulte, arbalète géante à grande cadence de tir, bélier protégé d’une structure et foreuse contre les murailles. Enfin, les Romains montent la catapulte sur des roues pour la rendre plus mobile. A Leuctres (- 371), l’armée thébaine, quoique inférieure en nombre à celle de Sparte considérée comme invincible, transforme une défaite annoncée en une brillante victoire. Son chef, Épaminondas, a créé la surprise par une attaque frontale au centre du long dispositif spartiate, dont elle ébranle la cohérence. A Gaugamèles (- 331), l’armée macédonienne (40.000 fantassins et 7.000 cavaliers) l’emporte sur les troupes perses (250.000 fantassins 20.000 cavaliers et 200 chars), grâce à l’audace tactique d’Alexandre qui compte sur l’effet de choc de ses phalanges et le manque de réactivité des troupes perses. Cette victoire permet la conquête de l’Empire perse. A Cannes (- 216), l’armée carthaginoise (50.000 hommes) fait face aux légions romaines (82.000 hommes). Par une manœuvre enveloppante de sa cavalerie, Hannibal parvient à disloquer les formations d’infanterie romaines. A Carrhes (- 53), l’armée romaine (34.000 fantassins et 4.000 cavaliers), épuisée par des marches forcées dans le désert sous une chaleur accablante, est massacrée par la cavalerie parthe (10.000 cavaliers), qui a choisi le lieu de la bataille. Le triumvir Crassus comptait égaler César et Pompée sur le plan militaire par une expédition facile. Mais il a sous-estimé son adversaire, très mobile, bien renseigné et supérieur par la portée de ses armes. A Teutoburg (9 après J.-C.), des tribus germaniques anéantissent trois légions romaines dans une embuscade en forêt. Leur chef, Hermann, avait auparavant servi dans l’armée romaine et en connaissait les faiblesses. Le Rhin marque ensuite la limite de l’Empire. A Massada (79), l’armée romaine construit des machines de siège et une rampe artificielle pour accéder à une forteresse juive, surplombant la mer Morte de 450 m. Après sept mois d’un siège éprouvant, elle donne l’assaut…pour ne trouver que des cadavres.

Loïc Salmon

« L’Antiquité en six batailles », Gilles Haberey & Hughes Pérot. Éditions Pierre de Taillac, 84 pages, nombreuses illustrations, 29,90 €. 

Le Moyen-Age en sept batailles

Conduite de la bataille, planification et initiative

Défaites militaires, ce qu’il faut éviter

 




Ramsès II de retour à Paris

Avec un règne de 67 ans, le plus long de l’Égypte ancienne, Ramsès II reste aussi le seul pharaon dont la momie a reçu, à Paris en 1976, les honneurs militaires… de la Garde républicaine française !

La Grande Halle de la Villette accueille l’exposition « Ramsès II & L’or des pharaons » (7 avril-6 septembre 2023), la deuxième à Paris dédiée au souverain égyptien le plus connu dans le monde après Toutankhamon. La première, intitulée « Ramsès II le Grand » et visitée par des centaines de milliers de personnes, s’était tenue au Grand Palais en 1976. Elle avait été organisée lors du traitement de la momie de Ramsès II, pendant huit mois au musée de l’Homme, laquelle commençait à se dégrader dans le musée des Antiquités du Caire. La Garde républicaine, casquée et sabre au clair, lui avait rendu hommage le 26 septembre à l’aéroport du Bourget. Le cortège était ensuite passé devant l’obélisque de la Place de la Concorde.

Le guerrier. Dès le début de son règne, Ramsès II (né en 1304 avant J.-C et décédé en 1213 avant J.-C.) doit repousser les invasions nubiennes au Sud, les attaques des forces libyennes à l’Ouest et les assauts des Hittites en Syrie. Il met aussi fin aux pillages du littoral méditerranéen par les pirates shardanes, qui donneront leur nom à l’île de la Sardaigne. Nommé capitaine à un très jeune âge, Ramsès accompagne son père Séthi 1er sur les champs de bataille. Adolescent, il commande en second et combat avec son père en Libye et en Palestine. Pharaon à 25 ans, il conduit des opérations en Nubie (Soudan actuel), accompagné de ses jeunes fils. Au cours de son rège, il dispose d’une armée estimée à 20.000 hommes, armés principalement d’arcs et de flèches. En équilibre debout sur les chars ou en formation à pied, les archers déciment les ennemis sous des pluies de flèches. Très rapides, les chars tirés par de chevaux constituent les plus mortelles machines de guerre. Ils auraient été introduits en Égypte environ 1.600 ans avant J.-C. par les Hyksôs, présentés comme des envahisseurs venus du Nord-Est. La bataille de Qadesh, l’une des plus célèbres de l’Antiquité, se déroule probablement vers 1274 avant J.-C. au Sud-Ouest de la Syrie actuelle. L’armée de Ramsès qui compte 20.000 hommes, dont 16.000 fantassins et 2.000 chars, affronte les forces hittites composées d’environ 50.000 hommes, dont 40.000 fantassins et 3.700 chars. Elle a intégré des guerriers nubiens, libyens et shardanes enrôlés lors des précédentes conquêtes. L’issue étant indécise, le roi hittite Muwatalli II demande une trêve. Pour dénombrer les morts, les Égyptiens coupent une main de chaque Hittite tué au combat. Un traité, le premier à être mentionné dans l’Histoire, instaure la paix dans la région pour près d’un siècle.

Le bâtisseur. Pendant le règne de Ramsès II, l’Égypte jouit d’une supériorité militaire régionale. Ses monuments et ses temples en racontent les batailles et le présentent toujours comme vainqueur, même s’il a perdu ou a battu en retraite. Les prisonniers de guerre participent de force à leur construction. Après l’achèvement des temples de son père Séthi, Ramsès bâtit, usurpe et modifie de nombreux temples, monuments et statues. Il établit la ville royale de Pi-Ramsès sur une branche du Nil à proximité d’Avaris, ancienne capitale des Hyksôs, et érige notamment les temples de Karnak, de Louxor, d’Abydos et d’Abou Simbel. Pour les sauver de l’inondation consécutive à la construction du futur barrage d’Assouan, les temples d’Abou Simbel ont été déplacés de 180 m et surélevés de 64 m, grâce à une campagne internationale lancée par l’UNESCO en 1960. Les travaux ont duré quatre ans et demi, sous la direction de l’égyptologue française Christiane Desroches Noblecourt.

Loïc Salmon

L’exposition « Ramsès II & L’or des pharaons » présente statues, sarcophages, masques royaux, bijoux, armes et momies d’animaux. Une « réalité virtuelle immersive » permet de visiter les temples d’Abou Simbel, dédiés à Ramsès II, et la tombe de la reine Néfertari, son épouse préférée. Visites guidées possibles. Renseignements : www.expo-ramses.com

Exposition « Le voyage de l’obélisque » au musée de la Marine

Exposition « L’épopée du canal de Suez » à l’Institut du monde arabe à Paris




Exposition « La haine des clans, guerres de religion 1559-1610 » aux Invalides

Huit guerres entre catholiques et protestants ensanglantent la France, conflits où interviennent les rivalités aristocratiques exacerbées par les images et les rhétoriques. La tolérance religieuse finale débouchera sur la laïcité…en 1905 !

Le contexte. Au milieu du XVIème siècle, la France, pays le plus peuplé d’Europe qui dispose de riches terres agricoles et d’une importante production manufacturière, prend conscience du sentiment national. L’autorité royale se renforce et l’administration se centralise. Par le Traité de Cateau-Cambrésis de 1559 conclu à l’issue des guerres d’Italie, la France récupère Calais sur l’Angleterre et les évêchés de Metz, Toul et Verdun sur le Saint-Empire romain germanique, mais l’Espagne devient la première puissance européenne. Toutefois, comme la France a renoncé à la majorité de ses possessions italiennes, sa noblesse, qui se voit privée de son champ d’honneur et de richesses, ressent un déclassement social. Cette année-là, Henri II, roi depuis 1547, meurt accidentellement dans un tournoi sans héritier en âge de régner. En outre, l’État se trouve en banqueroute et la société confrontée à la hausse des prix, aux disettes et au retour des épidémies de peste. Elle se tourne alors vers Dieu mais perd confiance dans l’Église romaine et le clergé, de quoi susciter une grande angoisse et des conversions à la « Réforme ». Celle-ci remonte aux 95 thèses du moine allemand Martin Luther (1521) et à l’ouvrage « Institution de la religion chrétienne » par le théologien français Jean Calvin (1536). L’imprimerie les diffusent dans toute l’Europe. Les premières communautés protestantes, mises en place en France en 1555, regroupent près de 2 millions de fidèles en1562, soit 10 % de la population, dans diverses couches de la société. Les querelles théologiques prennent une dimension politique par la conversion de princes protestants, auxquels s’allie le roi catholique François 1er (1515-1547), lors de ses guerres contre l’empereur d’Allemagne et roi d’Espagne Charles-Quint (1519-1558), pourtant catholique lui aussi.

Les guerres civiles. En 1560, le jeune roi François II fait entrer ses oncles François de Lorraine, duc de Guise, et Charles, cardinal de Lorraine, au Conseil royal. Des nobles protestants tentent alors de l’enlever à Amboise pour le soustraire à leur influence. Cette conjuration donne lieu à une sanglante répression contre les protestants. A François II, mort la même année, succède son frère Charles IX, encore mineur. La reine-mère Catherine de Médicis exerce alors la régence et tente, sans succès, des réconciliations en 1560, 1561 et 1562. Le massacre de protestants à Wassy en 1562, par les troupes du duc de Guise, déclenche la première guerre de religion, qui se termine l’année suivante par l’édit d’Amboise accordant la liberté de conscience aux protestants avec une liberté de culte limitée. La tentative d’enlèvement à Meaux de la famille royale par les protestants, en septembre 1567, provoque la deuxième guerre de religion qui dure jusqu’en mars 1568. Au cours de la troisième guerre de religion, commencée en août de la même année, Louis 1er de Bourbon, prince de Condé, principal chef protestant et impliqué dans la conjuration d’Amboise, est assassiné sur le champ de bataille de Jarnac (1569) et remplacé par l’amiral Gaspard de Coligny. Cette guerre se termine en 1570 par la paix de Saint-Germain. Pour réconcilier les deux partis, Catherine de Médicis organise, deux ans plus tard, de grandes fêtes à l’occasion du mariage de sa fille Marguerite de Valois, qui entrera dans l’Histoire sous le nom de « Reine Margot », avec le roi de Navarre Henri de Bourbon, neveu de Louis 1er et qui a abjuré le protestantisme. Le 24 août, jour de la Saint-Barthélemy et lendemain de la cérémonie, l’amiral de Coligny et les chefs protestants présents à Paris sont assassinés, prélude à trois jours de massacre de protestants dans la capitale et plusieurs villes du royaume. La quatrième guerre de religion, qui s’ensuit, s’achève en 1573. L’année suivante, Henri III succède à son frère Charles IX, décédé, et les hostilités reprennent. La cinquième guerre de religion se termine en 1576 avec la « Paix de Monsieur », frère du roi et duc d’Alençon. Les victimes de la Saint-Barthélemy sont réhabilitées et les protestants se voient accorder la liberté générale de culte, sauf à Paris et dans les villes royales. La sixième guerre de religion, la plus courte, dure du 15 mars au 14 septembre 1577. La paix de Bergerac y met fin, puis l’édit de pacification de Poitiers accorde le droit au culte réformé dans les faubourgs. La septième guerre de religion (1579-1580) se clôt par la paix du Fleix, qui confirme les édits de Poitiers puis de Nérac (1579) accordant 14 places de sûreté supplémentaires aux protestants pendant six mois. En septembre 1584, le clan des Guise crée la Ligue (catholique) parisienne. La huitième et dernière guerre de religion dure du 31 mars au 30 avril 1598 avec plusieurs faits marquants. A Paris, la « Journée des Barricades » des 12-13 mai 1588 consiste en un soulèvement organisé par le duc de Guise, au motif qu’Henri III envisage de désigner Henri de Bourbon (redevenu protestant en 1576) comme son successeur. Les 23 et 24 décembre 1588 à Blois, la seconde génération des chefs du clan des Guise est assassinée : Henri dit le Balafré, duc de Guise et fils de François de Lorraine ; le cardinal Louis de Lorraine, son frère et neveu du cardinal Charles. Le 1er août 1589 à Saint-Cloud, Henri III est assassiné par le moine Jacques Clément. Le 25 juillet 1593 à Saint-Denis, Henri de Bourbon, qui lui a succédé, abjure le protestantisme. Le 27 février 1594 à Chartres, Henri IV est sacré roi de France. Le 30 avril 1598, l’édit de Nantes garantit les libertés religieuses et met fin à quarante ans de guerres civiles. Le 2 mai 1598, la paix de Vervins termine celle avec l’Espagne, déclenchée en 1595.

L’activité diplomatique. Entre 1559 et 1589 et au-delà des différences religieuses, la royauté française constitue le réseau d‘ambassadeurs permanents auprès des cours étrangères le plus étendu d’Europe. Catherine de Médicis propose une politique matrimoniale impliquant ses enfants. Son fils Henri, duc d’Anjou, est élu roi de la Confédération de Pologne en 1573 et gouverne 7 millions de sujets catholiques, protestants et orthodoxes. Devenu roi de France l’année suivante, il met sur pied le premier « ministère » des Affaires étrangères. Dès 1555, l’amiral de Coligny lance des expéditions au Brésil et en Floride, où d’éphémères colonies donnent vie au rêve d’un Empire français aux Amériques où cohabiteraient catholiques et protestants. Mais, l’Espagne et le Portugal y voient une menace pour leur propre Empire colonial et…la foi catholique ! L’Angleterre, protestante, soutient financièrement ses coreligionnaires allemands, français et ceux des Provinces-Unies (qui deviendront l’État des Pays-Bas) en révolte contre l’Espagne, dont Londres veut contenir la puissance. Le traité de Blois de 1572 entre la France et l’Angleterre établit une alliance contre l’Espagne et assure la neutralité de l’Angleterre dans les guerres civiles en France. Par ailleurs, les Pays-Bas et le Palatinat allemand, États protestants, procurent argent et troupes aux « huguenots » français, moins par solidarité religieuse que par appât du gain ou des considérations politiques. L’alliance de la France avec les cantons suisses, conclue en 1516 et renouvelée en 1521, 1582 et 1602 sauf avec celui de Zurich (protestant), fournit des mercenaires à l’armée royale.

Loïc Salmon

L’exposition « La haine des clans, guerres de religion » (5 avril–30 juillet 2023), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Cette époque fait l’objet de deux autres expositions : « Visages des guerres de religion au château de Chantilly (4 mars- 21 mai) ; Antoine Caron (1521-1599), le théâtre de l’Histoire » au Musée national de la Renaissance, château d’Écouen (5 avril-3 juillet). L’exposition aux Invalides présente des tableaux, armes, armures, objets, livres et archives. Visites guidées, conférences et concerts sont prévus. Renseignements : www.musee-armee.fr

Les guerres de religion, 1559-1610, la haine des clans

Défense : la laïcité, facteur de cohésion dans les armées

Quand le lys affrontait les aigles