Industrie de défense : Arquus, rebond mais incertitude

Le constructeur français de véhicules militaires terrestres Arquus a amélioré son chiffre d’affaires en 2021, malgré la pandémie du Covid-19. Toutefois, celle-ci rend encore difficile la prospection de clients à l’international en 2022.

Son président, Emmanuel Levacher, a présenté la situation à la presse le 16 février 2022 à Paris.

Résultats. Propriété du groupe suédois Volvo, Arquus est issu de la fusion de Renault Trucks Defense, ACMAT (Ateliers de constructions mécanique de l’Atlantique) et Panhard en 2018. Il ne publie pas de données financières, mais plutôt des pourcentages. La fusion avait entraîné une hausse du chiffre d’affaires de 38 % en 2019. Mais l’année suivante, le ralentissement de l’activité, consécutif à la pandémie, avait provoqué une baisse de 10 %, puis la reprise s’est traduite par une hausse de 6 % en 2021. Le chiffre d’affaires a été réalisé à 75 % sur le marché français et à 25 % à l’international. Le carnet des commandes cumulées totalise 5 Mds€ de prises de commandes, dont 1,20 Md€ de commandes fermes. Pour l’année 2021, les prises de commandes se montent à 275 M€ pour la France et 60 M€ à l’export en Afrique et au Moyen-Orient. La réalisation des engagements de la loi de programmation militaire 2019-2025 a permis la production de : 1.200 VT4 (véhicules tactiques polyvalents non protégés) en 2021 avec une prévision de 1.134 en 2022 ; 119 véhicules blindés multi-rôles Griffon (116 en 2022), dont certains sont déjà déployés en opération ; 20 engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar (18 en 2022), destinés au 1er Régiment étranger de cavalerie ; 186 tourelleaux télé-opérés Hornet pour armer les Griffon (243 en 2022) ; 22 véhicules blindés légers (120 en 2022). Pour la première fois, Arquus a assuré le soutien des Griffon du programme de combat collaboratif Scorpion. Un conflit de haute intensité nécessiterait de la masse, à savoir des chars et de l’artillerie lourde sur une longue période, indique le président. Cela signifierait plus de blindage pour faire face à des engagements dans la durée. Arquus dispose de la capacité pour augmenter sa production si nécessaire.

Projets. Le groupe dispose de cinq sites répartis dans toute la France, dont quatre dédiés à la production : Marolles pour la militarisation des moteurs ; Limoges, chargé des véhicules neufs, reçoit 8 M€ sur la période 2020-2023 pour la construction d’un nouveau centre logistique et de nouveaux bureaux ; Garchizy, chargé des cabines blindées et de la distribution des pièces de rechange, reçoit 2,5 M€ d’investissement ; Saint-Nazaire, chargé de la maintenance opérationnelle terrestre, reçoit également 2,5 M€. Le site de Versailles-Satory abrite les bureaux d’études et la fonction support. L’armée de Terre devant renouveler ses capacités tactiques et logistiques, Arquus va développer : des « briques technologiques » innovantes ; la protection des véhicules ; l’hybridation du Griffon par stockage de l’énergie électrique ; des robots terrestres de 3 t ; la lutte anti-drones. Il anticipe le programme VBAE (véhicule blindé d’aide à l’engagement), conçu en coopération européenne. D’ici à 2030, Arquus compte faire passer son taux de féminisation à 35 % (20 % en 2021) et réaliser un chiffre d’affaires de 1 Md€. Outre la vente de VLRA (véhicules légers de reconnaissance et d’appui) et de camions tactiques Sherpa, il compte s’implanter en Europe (Grèce, Roumanie, Estonie, République tchèque, Suède et Belgique), mais aussi en Afrique et au Moyen-Orient. Il vend déjà ses matériels dans 60 pays.

Loïc Salmon

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Armée de Terre : la remontée en puissance par l’innovation

La supériorité opérationnelle, terrestre et aéroterrestre, repose sur l’innovation technologique, qui démultiplie vitesse, puissance et protection du soldat et nécessite une synergie entre combattants, ingénieurs et industriels.

Ce thème a été abordé au cours d’une table ronde organisée, le 13 juin 2018 en banlieue parisienne, dans le cadre du salon Eurosatory 2018. Y sont intervenus : le général d’armée Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de Terre, Joël Barre, délégué général pour l’armement, et Stéphane Meyer, président du Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT).

Esprit guerrier et technologie. La Revue stratégique 2017 a, notamment, pour ambition de faire de l’armée de Terre la première d’Europe, rappelle le général Bosser. Or en opérations, elle affronte de nouveaux défis, à savoir un réarmement généralisé, des adversaires hybrides, isolés et aux tactiques inédites, des engins explosifs improvisés, des drones et la guerre électronique. Après vingt ans d’opérations extérieures, la préparation de l’avenir s’impose face à une évolution rapide de la menace, constituée de nouveaux systèmes d’armes avec de l’infanterie et des moyens plus mobiles. La préparation du soldat au combat inclut armement, entraînement, tenues diverses, conditions de travail, soutien et aide à sa famille. S’y ajoutent la rénovation des matériels, notamment de l’artillerie après les batailles de Mossoul (Irak) et Raqqa (Syrie) ainsi que la modernisation du parc de véhicules, dont certains dépassent 40 ans. Pour répondre aux besoins, l’armée de Terre coordonne son action avec la Direction générale de l’armement (DGA) et les industriels. Si donner un cap ne pose pas de problèmes avec les grands groupes, il s’avère difficile auprès des petites et moyennes entreprises et surtout des startups, indique le général Bosser. Dans le temps long, cela porte sur les choix capacitaires, les concepts et les préprogrammes. L’innovation en « boucle courte » nécessite davantage de réactivité pour ne pas aller plus lentement que l’adversaire : rapidité des processus d’acquisition, modification des usages, simplification des procédures et invention de nouvelles tactiques. L’efficacité opérationnelle dépend du juste besoin des matériels et de leur livraison à temps aux forces spéciales et conventionnelles. L’innovation récupère toutes les bonnes idées, comme l’impression en 3 D ou les véhicules sans pilote. Elle induit de nouveaux métiers à tous les niveaux, du caporal-chef au commandant sur le terrain. L’armée de Terre vit en permanence dans l’expérimentation, qui implique la responsabilité du commandement. A titre d’exemple, Daech a utilisé un mini-drone en vente dans le commerce (300 €) pour cibler (caméra) et tuer (engin explosif) deux cadres des forces spéciales en train d’instruire des soldats irakiens.

Faire plus ou mieux. Les programmes demandent une analyse fonctionnelle entre les armées, qui expriment des besoins, la DGA, qui les transforme en contrats, et les industriels, qui en chiffrent le coût, explique Joël Barre. Une concertation entre les trois acteurs permet de maîtriser les coûts par rapport à la performance attendue. Tout rajout au programme initial implique une évaluation supplémentaire. En matière d’innovation, l’ouverture au monde civil permet de capter l’évolution technique, notamment numérique, pour améliorer la performance des systèmes d’armes. Le dispositif « Rapid » (Régime d’appui pour l’innovation duale) finance la recherche dans des domaines susceptibles d’intéresser la DGA qui, en outre, accorde des subventions au développement de petites et moyennes entreprises. L’Innovation Defense Lab et l’Agence de l’innovation (voir encadré) apportent de nouvelles possibilités à la « boucle courte » entre le Secrétariat général pour l’administration, la DGA et les forces armées. Les innovations proposées par des personnels des armées doivent déboucher sur les programmes planifiés. Ainsi, les processus d’acquisition et le développement du programme national « Scorpion » de l’armée de Terre feront l’objet de rendez-vous périodiques pour y incorporer les innovations, sans attendre le stade ultime qui répondra à l’intégralité des besoins. La phase 2 de Scorpion inclut la robotique, les véhicules complémentaires, leur protection et celle contre la menace cyber, technologies à développer à partir de 2019. Toutefois, indique Joël Barre, il faut savoir accepter l’échec dans l’expérimentation, comme pour les micro-drones « indoors » des forces spéciales destinés à entrer dans les bâtiments fermés. En outre, il faut éviter de créer une dépendance industrielle étrangère pour certains matériaux (terres rares). Enfin, en sus des ressources financières nationales, l’Union européenne prévoit 1 Md€ pour la recherche et le développement de l’innovation, afin de créer des filières de souveraineté sur certains composants, en vue d’en limiter la dépendance vis-à-vis de pays extérieurs.

Etat d’esprit. Priorité à l’attente des clients et compétitivité pour vaincre la concurrence constituent le fil rouge des industriels de l’armement terrestre, souligne Stéphane Meyer. Injecter de l’innovation dans les programmes implique le droit à l’erreur pour lever les risques. La veille technologique permet de constater ce que font les adversaires et le monde civil, notamment en matière d’intelligence artificielle et de robotique. Il s’agit de continuer à travailler en réseau entre utilisateurs, concepteurs et industriels et de se trouver au bon endroit à trois ou à deux. Le retour d’expérience optimise l’intelligence collective au niveau des états-majors et au contact des utilisateurs en opérations, proches du terrain. Le GICAT aide les startups à transformer des idées en produits. En outre, l’Union européenne intervient en soutien à l’innovation. Il convient donc de comprendre les processus, définir des projets, s’appuyer sur les réseaux d’experts et créer des consortiums pour réaliser de bonnes idées à plusieurs entreprises de pays différents. Ainsi, le GICAT poursuit ses activités en Grèce, en Belgique et en Espagne.

Loïc Salmon

La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit 1 Md€ par an à partir de 2022 (730 M€ en 2018) pour les études et l’innovation dans la défense, notamment pour les applications opérationnelles de l’intelligence artificielle (IA). A cet effet, une cinquantaine d’experts supplémentaires en matière de science des données numériques et d’IA dont l’investissement progressera jusqu’à 100 M€/an. L’IA sera notamment applicable à la reconnaissance automatique d’images, la guerre électronique, le combat collaboratif, la navigation autonome des robots, la cybersécurité, la « maintenance prédictive » (reconnaissance des signes précurseurs de la défaillance) et l’aide à la décision et au commandement. Une veille technologique sera assurée par l’« Innovation Defense Lab », lieu d’échanges et de réflexions ouvert sur l’écosystème des startups. Lancée le 16 mars 2018, l’étude « Man Machine Teaming » vise à développer l’IA pour l’aviation de combat. Enfin, l’Agence de l’innovation de la défense a été créée à l’été 2018. Rattachée à la Direction générale de l’armement, elle s’ouvre au monde civil, aux startups et à l’Europe.

Eurosatory 2018 : l’accent sur l’innovation technologique

« DGA Innovation » : rendre les projets possibles et rentables sur le long terme




Eurosatory 2018 : l’accent sur l’innovation technologique

Le salon Eurosatory présente des équipements et services destinés aux opérations militaires et actions, publiques ou privées, contre la malveillance, le terrorisme et les catastrophes naturelles ou industrielles.

L’édition 2018 (11-15 juin à Paris Villepinte) a été présentée à la presse le 17 mai par Stéphane Mayer, président du Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres, et le général (2S) Patrick Colas des Francs, commissaire général.

Premier salon du monde. Eurosatory accueille 1.750 exposants de 63 pays en 2018, contre 1.571 en 2016 (57) et 37 pays étrangers disposent de leur propre pavillon (36). La France (590 exposants), les Etats-Unis (150), l’Allemagne (116), la Grande-Bretagne (88) et Israël (71) restent les plus représentés. En deux ans, le nombre d’exposants de l’Australie est passé de 3 à 46, celui de la Turquie de 29 à 60 et celui de la République tchèque de 34 à 44. Le Cap Vert, la Géorgie, le Kazakhstan, le Nigeria et Oman y exposent pour la première fois. Eurosatory 2018 regroupe huit pôles technologiques : renseignement ; sécurité civile, gestion des crises et sécurité des populations ; sécurisation des infrastructures et des sites sensibles ; ingénierie, tests et mesures ; risques nucléaire, radiologique, biologique et chimique ou explosif ; entraînement et simulation ; drones et robotique ; électronique embarquée. Sa fréquentation est estimée à 58.000 visiteurs et 230 délégations officielles des armées, des forces spéciales, des forces de sécurité et du secteur civil. Les start-ups de 13 pays se répartissent par thèmes : surveillance et renseignement ; cybersécurité et technologie de l’information ; soutien de l’homme ; intervention et engagement de la force ; communications ; production, matériaux, maintenance et logistique ; briques technologiques. Les exposants présentent aussi des démonstrations dynamiques de l’armée de Terre, des forces spéciales, de la préfecture de police et des forces d’intervention RAID et GIGN. Des mesures particulières, assurées par les services étatiques assurent la protection du salon contre : terrorisme ; intrusion et vol ; ingérence et piratage industriel ; manifestations et contestataires. Elles mettent en œuvre 50 caméras et 200 agents de sécurité.

Un marché mondial. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, Les Etats-Unis arrivent en tête des cinq premiers exportateurs de produits de défense en 2017 avec 26,9 Mds$, suivis de la Russie avec 7,2 Mds$, de la France avec 5,2 Mds$, de l’Allemagne avec 4,3 Mds$ et de la Grande-Bretagne avec 4 Mds$. Parmi les importateurs majeurs, l’Inde occupe la première place avec 13 %, du marché, devant l’Arabie Saoudite avec 8,2 %, les Emirats arabes unis avec 4,6 %, la Chine avec 4,5 %, et l’Algérie avec 3,7 %. En France, l’industrie de défense réalise un chiffre d’affaires de 18 Mds$, emploie 165.000 personnes dont 20.000 à des niveaux de haute qualification et recrute, chaque année, 5.000 diplômés et conclut 4.500 contrats d’apprentissage. Par ailleurs, le marché de la sécurité devrait croître de 9 % en 2018-2019. Ses dépenses ont atteint 549 Mds€ en 2016, contre 507 Mds€ en 2014. L’Asie représente 26 % des dépenses mondiales de sécurité, l’Europe 25 % et l’Amérique du Nord 39 %. En France, la filière de la sécurité atteint 1,3 % du produit intérieur brut. La moitié de la production est exportée. Ce secteur compte 300.000 emplois marchands (hors administrations publiques) et devrait en créer 52.000 nouveaux d’ici à 2020.

Loïc Salmon

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La simulation pour recueillir les besoins des opérationnels

La simulation opérationnelle permet de préparer les missions des armées, de protéger les forces en intégrant les facteurs humains et même de les entraîner aux actions en zone urbaine. Cela coûte beaucoup moins cher que d’aller sur le terrain. La simulation a fait l’objet d’un séminaire organisé, les 12 et 13 juin 2012 en région parisienne, par le Commissariat général du salon d’armements terrestres Eurosatory 2012.

La préparation des missions est régulièrement mise à jour par le laboratoire technico-opérationnel (LTO), créé fin 2006 par l’Etat-major des armées et la Direction générale de l’armement. Selon l’ingénieur en chef de l’armement Eric Pédo, le LTO aide à la prise de décisions stratégiques, contribue au développement des capacités et intervient dans la préparation de l’avenir. Il immerge des personnels opérationnels dans des scénarios crédibles (environnement naturel, personnes et matériels), en vue d’expérimenter des organisations de commandement, processus opérationnels et systèmes d’armes. La simulation permet de tout modéliser. Les expérimentateurs jouent leur propre rôle dans l’organisation testée au niveau de réalisme juste nécessaire et en adéquation avec les scénarios et les éléments à observer. Par exemple, il est possible, dans un poste de commandement type, de restituer l’emploi des drones MALE (moyenne altitude longue endurance), le guidage avancé d’une unité au sol depuis l’hélicoptère de combat Tigre, le commandement de la défense antimissiles balistiques de théâtre et le combat interarmées. Les « joueurs » traitent, par ordinateur, les fonctions de pilotage de la plate-forme de combat (groupe de véhicules blindés), d’observation de l’environnement (simulateurs pilotés de Mirage 2000D et de Tigre), de mise en œuvre des armes (poste de tir) et enfin de commandement (liaison tactique 16) en disposant aussi d’informations par messagerie et phonie. Ainsi, l’environnement de la vallée de la Kapisa, où étaient déployées les troupes françaises en Afghanistan, a été reconstitué à partir des observations d’un drone, d’un hélicoptère Tigre en patrouille, de la boule optronique équipée de caméras et de capteurs laser d’un ballon captif et enfin du véhicule blindé de combat d’infanterie du chef de section. Enfin, le Centre de simulation pour la formation, l’entraînement et l’expérimentation de l’Ecole militaire à Paris pratique la simulation au niveau état-major interarmées de l’OTAN (voir rubrique « Archives » Coalition 2012 25-4-2012).

La protection des forces relève des programmes fédérés par l’Agence européenne de défense (AED). Celle-ci, dont le portefeuille de projets se monte à 170 M€, identifie les intérêts communs de pays membres en matière d’armements. Selon Jean Marchal, directeur de programme de recherche et de développement à l’AED, le programme d’investissements communs (2009-2013) dédié à la protection des forces porte sur les environnements asymétriques, les opérations militaires en milieu urbain, la préparation des  missions et l’entraînement. Les cinq projets « SIMS », « Cardinal », « Eusas », « Athena » et « Capricorn » seront, à terme, intégrés aux senseurs C3I (commandement, contrôle, communications et renseignement) des pays contributeurs. Par exemple, le projet « SIMS » (Smart Information for Mission Success) a pour but de démontrer la faisabilité, sur le plan du facteur humain, d’un support à l’utilisation d’informations du champ de bataille. Ce dernier doit être capable d’améliorer l’efficacité de la préparation de la mission, son exécution, son retour d’expérience et enfin l’entraînement associé. L’architecture de SIMS comprend des bases de données avec : des cellules de renseignement et de planification ; une visualisation de l’itinéraire (carte en trois dimensions) avec les points particuliers et les statistiques de niveau de risque ; l’exécution de la mission en temps réel par la collecte, l’envoi et la réception d’informations par les soldats présents sur le terrain ; son suivi par les systèmes d’information tactiques et de commandement. Il a été établi que les participants préfèrent recevoir des photos et des informations audio pour en extraire ce qui est nécessaire à une décision urgente, plutôt que des vidéos, plus contraignantes dans un contexte de stress opérationnel. Le retour d’expérience enrichit une base de données pour les missions suivantes. Autre exemple, le projet « Athena » prend en compte l’environnement humain local, très important dans un conflit asymétrique. Ainsi, le contexte de l’Afghanistan a été modélisé en priorité dans le cadre de l’opération psychologique « conquête des esprits et des cœurs ». Il fallait : rechercher les solutions les moins pénalisantes au niveau de l’impact sur les populations locale ; modéliser des comportements, car chaque ethnie a ses caractéristiques ; évaluer l’impact des dommages collatéraux sur les missions futures.

La simulation de combat en zone urbaine, désormais au cœur de la préparation opérationnelle des forces terrestres françaises, a aussi une finalité pédagogique d’entraînement. Le lieutenant-colonel Christian Le Meliner (Section technique de l’armée de Terre) a présenté le « SYstème pilote pour la siMUlation instrumentée du centre d’entraînement aux actions en Zone UrBaine » (Symulzub). Ce dernier, situé dans le camp de Sissonne (Aisne) dispose de zones urbaines aménagées ou spécifiques, d’une équipe d’experts du combat interarmes, d’une force adverse et d’outils de simulation, afin d’entraîner les capitaines commandant un sous-groupement tactique interarmes (SGTIA). Les hommes, matériels, armements et environnement sont réels, sauf les munitions et leurs effets. Les simulateurs de tir de combat (STC), liés au système d’armes, reproduisent les tirs directs dans des conditions identiques au tir de munitions réelles. Les impacts sont établis par des effets visuels et/ou sonores en cas de destruction de bâtiments, sans oublier les effets des mines, explosifs et pièges. Grâce à l’interopérabilité des STC et du Symulzub, tous les événements de terrain sont récupérés pour analyse, exploitation, pilotage d’exercice et suivi d’actions tactiques à des fins pédagogiques. L’instruction initiale est suivie d’un entraînement au tir numérisé dans les unités. En raison de la complexité du combat en zone urbaine, un centre d’entraînement, capable de mettre en œuvre toutes les situations tactiques dans une ville de 5.000 habitants, est en construction à Joffrecourt avec cinq sites : un centre administratif de zone moderne (prêt janvier 2012) ; une barre d’immeubles (septembre 2012) ; une rue commerçante dans un centre historique (mai 2013) ; un centre commercial de centre ville (janvier 2014) ; un pont sur un canal (octobre 2014). Ce centre permettra d’entraîner un SGTIA complet, à savoir une compagnie d’infanterie mécanisée renforcée par un peloton de chars, une section du génie, des maîtres-chiens et des patrouilles d’hélicoptères et d’avions de chasse. Cela nécessitera … 200 acteurs !

Loïc Salmon




Eurosatory 2012: armements terrestres, enjeux et perspectives

L’usage de la force par la France dans des opérations extérieures, destiné à s’opposer à la violence au nom d’une cause, passe désormais par l’emploi d’armements sophistiqués et chers.

Cette question a fait l’objet d’une table ronde organisée, le 6 juin 2012 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale et la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

L’évolution des armements terrestres prend en compte le retour d’expérience, l’environnement industriel et le choix des pays partenaires, explique Camille Grand, directeur de la FRS. L’intensité des engagements opérationnels en 2011 (Afghanistan, Côte d’Ivoire et Libye) s’est ajoutée au maintien des précédents (Kosovo, Liban et Tchad), consommateurs de moyens et d’effectifs. Aucun de ces engagements, dont les risques sont plus importants qu’anticipé, n’a été une guerre déclarée publiquement. Ils se sont imposés dans un climat d’insécurité et dans le cadre d’une coalition. L’élément budgétaire reste important : aucune économie n’est à espérer car un désengagement a un coût. Les opérations extérieures (Opex) représentent le trentième du budget de l’Etat. L’armée de Terre y consacre 20 % de ses crédits. Or, les Opex constituent un dispositif sous tension durable et ciblé sur des urgences opérationnelles. Sans remettre en cause sa valeur individuelle, l’engagement d’un combattant nécessite des technologies en matière de protection et de renseignement. Le débat entre l’homme et la technique débouche sur une critique du « « tout technologique », qui entraîne une contrainte budgétaire et une préférence pour une plus grande rusticité. S’y ajoute un environnement industriel perturbé. Devant la diminution programmée des commandes militaires aux Etats-Unis, les entreprises américaines d’armement se montrent plus agressives à l’exportation. La consolidation de l’industrie européenne semble donc inévitable, mais se heurte à la faiblesse des marchés nationaux et à la difficulté de lancer de nouveaux programmes. Il s’agit d’innover dans tous les domaines de compétence industrielle mais en se spécialisant, comme dans le cadre de la coopération franco-britannique. Par ailleurs, une réduction du format des armées se répercutera sur les contrats opérationnels. Or, les crises (Sahel Proche-Orient etc.) ne vont guère disparaître, pas plus que le rythme des interventions ne va diminuer après le retrait d’Afghanistan, estime Camille Grand. Aucun engagement ne ressemble au précédent. En outre, l’accès aux ressources logistiques d’autres pays alliés n’est guère automatique. En revanche, le partenariat stratégique franco-britannique repose sur une vision commune de la situation internationale et de la nature des engagements.

L’adéquation entre un projet de politique étrangère et des moyens militaires implique des choix d’armements pour conserver une liberté d’action, estime Christian Mons, président du Conseil des industries de défense et du Groupement des industries françaises de défense terrestre. La France doit pouvoir projeter des troupes où et quand elle le veut sans restriction. Pour cela, elle doit diminuer ses achats d’armements américains pour réduire sa dépendance de la réglementation américaine ITAR (International Traffic in Arms Régulations). Celle-ci, qui encadre l’emploi d’armes d’origine américaine, est utilisée par les Etats-Unis pour favoriser leur politique étrangère. Contrairement à la doctrine américaine de la prééminence du feu, avec des matériels lourds, sur la manœuvre, celle de la France repose sur la proximité avec la population locale et  la modération du feu et de la destruction. Par ailleurs, le maintien en condition opérationnelle des matériels pèse lourd dans le budget des armées. La France doit donc préserver son industrie de défense pour satisfaire et adapter, en priorité, les besoins opérationnels de ses forces engagées et ainsi garder son autonomie de décision. Cela ne saurait être le cas avec des matériels américains ou britanniques, dont les fournisseurs accorderont la priorité à leurs clients… américains ! En conséquence, souligne Christian Mons, il ne faut pas céder à la logique budgétaire à court terme par « l’achat sur étagère » qui, en outre, entraîne des pertes de souveraineté et de capacités de recherche et de développement en France. Il s’ensuivrait un retard technologique croissant sur les pays concurrents, un affaiblissement de l’industrie française de pointe et un manque à gagner pour l’Etat. En effet, chaque euro investi dans ce secteur lui rapporte 1,3 € en recettes induites. Pour conserver un temps d’avance, il convient d’investir suffisamment dans les études amont pour stimuler l’innovation qui repose sur une idée et son financement. Or, la recherche amont ne procure un retour qu’à très long terme (vingt ans), qui nécessite davantage le recours à l’Etat qu’aux entreprises. Celles-ci sont de plus en plus sollicitées par leurs clients étrangers, prêts à financer seulement les études d’application, c’est-à-dire à court terme (cinq ans maximum). Par ailleurs, l’aide de l’Etat à l’exportation d’armements, pratiquée notamment dans les pays anglo-saxons,  devrait permettre de financer la recherche et le développement. Elle passe aussi par l’allègement des lourdes mesures de contrôle, qui font perdre de la réactivité en temps et en argent. L’effort entrepris en ce sens est jugé encore insuffisant. Ainsi, indique Christian Mons, il faut 19 jours pour obtenir une licence d’exportation par le ministère américain de la Défense, contre 45 par la Direction générale de l’armement, de l’équipement complet aux simples pièces de rechange. Ce délai est particulièrement pénalisant pour les petites et moyennes entreprises qui concluent, chaque année, 2.000 à 5.000 contrats de moins de 500€ et totalisent un chiffre d’affaires de 1,5 à 2 Md€.

Loïc Salmon

Le salon de l’armement terrestre Eurosatory 2012, qui s’est tenu en région parisienne du 11 au 15 juin, a accueilli 34 pavillons nationaux et environ 55.000 visiteurs de 138 pays. En France, l’industrie de défense assure 165.000 emplois directs et au moins autant indirects, dont 20.000 très qualifiés dans la recherche et le développement. L’Etat consacre 700 M€ par an aux études amont. L’armement terrestre emploie, directement et indirectement, 40.000 personnes. Eurosatory a été inauguré le 11 juin par Kader Arif, ministre délégué aux Anciens Combattants, à la place du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian en déplacement en Afghanistan pour rendre hommage aux quatre militaires français tués deux jours plus tôt dans un attentat suicide. Kader Arif a notamment déclaré : «  L’Europe de la défense doit prendre une dimension nouvelle et le dynamisme industriel de l’Union européenne est un élément majeur de cette ambition. (…) Les contraintes qui pèsent sur les budgets européens, en raison de la crise des dettes souveraines, nous poussent à mettre en commun et partager. (…) L’évolution du positionnement américain, qui regarde désormais vers l’Asie (…) encourage également les Européens à se saisir davantage encore de leur propre sécurité ».