Renseignement militaire : cinq satellites français de plus

Une fusée russe Soyouz a lancé quatre nouveaux satellites de renseignement d’origine électro-magnétique (ROEM) du programme « Elisa » et un satellite de renseignement optique « Pléiades », à partir de la base de Kourou (Guyane) le 17 décembre 2011 à 03h03 (heure de Paris). Ils complètent, pour l’engagement opérationnel des forces, les deux satellites d’observation optique Helios (4,2 t) 2 A et 2 B lancés respectivement en 2004 et 2009.

Le ROEM, complémentaire de l’imagerie satellitaire (optique et radar) et des capteurs terrestres, maritimes et aéroportés, consiste à intercepter, localiser et caractériser les capacités d’un adversaire en radar, systèmes d’armes et moyens de communication. Il établit notamment une cartographie des émetteurs au sol dont les paramètres seront intégrés à la bibliothèque d’un Rafale, dont le pilote pourra déceler les menaces sol/air qu’il risque de rencontrer au cours de sa mission, les éviter ou s’en protéger par le brouillage. La détection, discrète car sans interférence dans l’espace aérien national ou de l’adversaire potentiel, puis la reconstitution d’un réseau radio déterminent l’organisation d’un état-major ou d’une force de théâtre, dont l’évolution du niveau d’activité permet d’anticiper son action. Elisa comporte : quatre microsatellites (130 kg) en orbite à 700 km d’altitude et capables de couvrir simultanément une zone d’une manière très fine ; un segment sol (expérimentation technique) pour la Direction générale de l’armement (DGA) ; un segment sol pour la Direction du renseignement militaire. Pendant au moins trois ans, Elisa va devoir : démontrer la capacité de cartographier depuis l’espace les émissions radar ; compléter  la démonstration du système Essaim (4 microsatellites de 120 kg lancés en 2004)  dédié à l’interception des signaux de télécommunications ; préparer le futur système opérationnel Ceres (Capacité ROEM Spatiale), qui doit entrer en service en 2019-2020. La DGA a confié à Astrium et Thales Systèmes Aéroportés la réalisation des quatre satellites et du segment sol.

Par ailleurs, le satellite Pléiades 1 (1 t), en orbite à 694 km d’altitude, réalise des images en couleurs, fréquentes et précises de zones urbaines ou de terrain (60 km x 60 km) pour la planification, le ciblage et la caractérisation des objectifs: résolution de 70 cm et images en trois dimensions pour les missiles de croisière. Péiades 1 étant dual (militaire et civil), le commandement interarmées de l’espace de l’Etat-major des armées reçoit en priorité 50 images par jour. Il dispose également des images radar des systèmes allemand SAR Lupe et italien Cosmo Skymed.  Enfin, le Centre national d’études spatiales assure le lancement des satellites, leur mise en orbite définitive et leur maintien en position (correction des dérives et évitement des débris dans l’espace).

Loïc Salmon




Espace : dangerosité du milieu et défense en coopération

Enjeu de rivalités de puissances, l’espace constitue un théâtre de conflictualité où se défendre est légitime. Au-delà de la surveillance, la coopération entre Etats s’inscrit dans une logique de poursuite.

Le général de brigade aérienne Thierry Blanc, adjoint au commandant de l’Espace, l’a expliqué lors d’une conférence organisée, le 5 avril 2022 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Prolifération. Défini comme au-delà de 100 km de la surface de la terre, l‘espace est un milieu hostile où la température varie de + 250° C le jour à – 350° C la nuit. Quelque 35.000 débris de plus de 10 cm s’y déplacent à 7 km/seconde, effectuant le tour de la terre en 90 minutes. S’y ajoutent 600 t d’objets en orbite, dont 500 satellites présentant des risques de fragmentation. Tout objet dans l’espace peut devenir une arme, estime le général Blanc. Chaque jour, le Commandement de l’espace reçoit 70.000 informations sur les risques de collision. Il n’existe pas encore de texte juridiquement contraignant dans ce domaine. Le traité de 1967 sur l’espace interdit la mise en orbite d’armes de destruction massive capables de faire le tour de la terre et ne s’applique donc pas aux missiles balistiques nucléaires. Au cours des 15 dernières années, les dépenses consacrées à l’espace ont doublé. En 2020, 1.300 satellites opérationnels de 80 pays se trouvent en orbite, soit dix fois plus qu’en 2010. De nouveaux acteurs, privés, en disposent. Ainsi, le 5 avril 2022, le groupe américain Amazon a conclu un contrat avec trois sociétés spatiales portant sur 83 lancements, en 5 ans, de la majeure partie de son futur réseau « Kuiper » de 3.236 satellites en orbite basse (600 km) pour la diffusion d’internet. Il s’agit de : Arianespace avec la fusée Ariane 6, à partir du Centre spatial de Kourou (Guyane) ; Blue Origin avec le lanceur New Glenn et United Launch Alliance avec la fusée Vulcan Centaur, à partir de Cap Canaveral (Floride). Afin de dépasser les Etats-Unis en 2049, la Chine développe ses capacités spatiales, dont le budget devrait passer de 400 Mds$ en 2019 à 4.000 Mds$ en 2040. Par ailleurs, la guerre en Ukraine démontre l’importance militaire de l’espace. La Russie dispose de « satellites mères » capables de larguer des petits satellites avec une trajectoire particulière et une appartenance difficile à déterminer. Ces satellites pourraient disperser des débris ou percuter un autre satellite. Enfin, les cyberattaques présentent un risque majeur pour les futurs systèmes spatiaux.

Opérations. Une constellation de satellites contribue à la surveillance de l’espace par l’envoi de données traitées au sol pour déterminer les trajectoires en orbite, indique le général Blanc. Les Etats-Unis vont déployer 20.000-30.000 constellations de microsatellites, en complément de leur réseau de radars. Outre les missiles antisatellites et le brouillage de satellites de communications, la Russie développe des satellites saboteurs pour empêcher d’autres satellites d’accomplir leurs missions. Depuis 2012, la Chine a regroupé ses forces spatiales et cyber avec celles de la guerre électronique. En 2021, la Grande-Bretagne a créé un Commandement interarmées de l’espace rattaché à l’armée de l’Air, comme la France. La même année, celle-ci a rejoint le Centre d’opérations spatiales combinées, partenariat stratégique entre les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Afin de protéger ses satellites militaires, la France va lancer le patrouilleur spatial « Yoda » en 2023, en vue de la mise en orbite d’engins opérationnels d’ici à 2030.

Loïc Salmon

Armée de l’Air et de l’Espace : imaginer et mettre en œuvre une défense spatiale

Espace : système GEOTracker®, surveillance optique renforcée

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel




Guerre future : menaces balistiques et spatiales accrues

La manœuvrabilité et la vitesse accrues des missiles balistiques rendront leur interception de plus en plus complexe par les dispositifs de défense, qui utiliseront l’intelligence artificielle pour modéliser leurs trajectoires.

Ronan Moulinet, expert radar au groupe Thales (électronique de défense), l’a expliqué au cours d’une visioconférence organisée, le 9 avril 2021 à Paris, par l’association Les jeunes IHEDN.

Missiles balistiques. Porteurs de plusieurs têtes (armes nucléaires ou charges conventionnelles), les missiles intercontinentaux (ICBM) peuvent parcourir jusqu’à 10.000 km à raison de 7 km/seconde, soit la vitesse d’un satellite en orbite à 400 km d’altitude. D’une grande manœuvrabilité, ils positionnent une ou plusieurs têtes sur une ou plusieurs trajectoires et sont lancés en nombre pour saturer les défenses adverses. La phase « propulsée » dure de 3 à 6 minutes, la phase balistique proprement dite 25 minutes et la phase de rentrée atmosphérique environ 5 minutes à partir de 3 km d’altitude. Une trajectoire tendue à faible altitude réduit les délais de détection et de déclenchement d’alerte. La propulsion « liquide » facilite le contrôle de la poussée initiale, mais présente des contraintes de manipulation des ergols (comburant et carburant) toxiques et inflammables, de leur stockage sur une longue durée et de leur chargement dans le missile (plusieurs heures). Une propulsion « solide » rend son entreposage plus aisé, facilite la manipulation du missile et permet un lancement rapide (moins de 15 minutes), mais nécessite un contrôle plus contraignant de la poussée. Les missiles à courte portée (moins de 1.000 km), les plus nombreux, volent 5-6 minutes, les missiles intercontinentaux (plus de 5.500 km) environ 30 minutes et ceux lancés de sous-marins (de moins de 1.000 km à 11.000 km) 5-6 minutes pendant la phase propulsée. Les types de porteurs ou de lanceurs varient : silos terrestres ou sur lanceurs mobiles à roues pour les ICBM ; trains avec wagons aménagés ; avions de chasse ou bombardiers ; navires porte-conteneurs ou plates-formes navales reconverties ; sous-marins nucléaires lanceurs d’engins dits SLBM. Les Etats-Unis (450 ICBM et 200 SLBM) et la Russie (375 ICBM et 200 SLBM) disposent de 90 % du potentiel stratégique nucléaire mondial, mais la Chine monte en puissance. Les nations émergentes renforcent leurs arsenaux de missiles à portées moyennes (1.000-3.000 km) et intermédiaires (3.000-5.500 km). Quoique de nombreux missiles soient à propulsion liquide, la propulsion solide se développe et les lanceurs mobiles s’améliorent. Environ 150 missiles ont été lancés en 2018, dont 90 à courtes portées et 60 à moyennes et longues portées.

Défense antimissile. Depuis les années 1980, Etats-Unis, Russie et Chine développent des boucliers antimissiles. Israël a mis au point le sien après la guerre du Golfe (1991), où il avait subi les attaques de missiles Scud irakiens. Le principe repose sur une interception à une altitude variant de quelques milliers de mètres à des centaines de kilomètres. Dans l’espace, elle se fait par impact direct du vecteur « tueur ». Dans l’atmosphère, ce vecteur atteint directement le missile ou déclenche une explosion à quelques mètres de lui. En rentrant dans l’atmosphère, les missiles manœuvrent à 30 km d’altitude pour changer de zone, afin de contourner la « bulle » d’un diamètre de 10-20 km de la défense terrestre. Les systèmes d’interception intègrent des senseurs électro-optiques et des radars pour les détecter le plus rapidement possible. Dimensionnés pour une menace simple, ils doivent perpétuellement s’améliorer pour contrer l’évolution des missiles balistiques intercontinentaux.

Missiles « hypervéloces ». Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, Grande-Bretagne et France développent des missiles balistiques dit « hypervéloces », dont la vitesse dépasse Mach 5 (1.715 m par seconde), indique Ronan Moulinet. Certains seront opérationnels en 2025. Ces sortes de navettes spatiales rebondissent comme des planeurs sur la couche dense de l’atmosphère pour atteindre leurs cibles initiales. Afin d’éviter de consommer trop d’énergie, des rétrofusées équilibrent la trajectoire de ces planeurs. Leur grande manœuvrabilité, programmée à l’avance, rend moins prédictible la détermination des zones attaquées. Elle réduit ainsi le préavis de détection par l’adversaire et évite certaines « couches » de défense antimissile dans différents endroits du globe. Le lancement, réussi, du missile russe air-sol hypervéloce KH47M2 Kinjal à haute précision, d’un poids de 4 t et porté par un avion de chasse MiG31K, a été annoncé par Moscou en 2018. Les missiles hypervéloces russes et chinois atteindront leur maturité vers 2028, Taïwan dispose déjà de moyens américains de défense antimissile.

Menaces extra-atmosphériques. L’altitude de 100 km marque la frontière entre l’espace dit « endo-atmosphérique », en dessous, et celui dit « extra-atmosphérique », au-dessus, rappelle Ronan Moulinet. Ce dernier espace est encombré de 20.000 objets (satellites et débris divers) avec les risques de collisions, intentionnelles ou non. S’y ajoutent les menaces cyber, de brouillage intentionnel ou non et les armes antisatellites à vocation de nuisance permanente ou temporaire. En orbite basse, les satellites militaires peuvent capter les communications ou paralyser les liaisons de systèmes GPS et mener des actions hostiles avec une grande réactivité. La Chine développe des satellites, dont les bras attrapent un satellite adverse pour modifier son orbite ou le rapporter sur terre. La Russie met au point  des « satellites mères », qui en placent d’autres en orbite. Des radars d’alerte avancée, évolutifs, surveillent l’espace pour détecter des manœuvres hostiles.

Loïc Salmon

Selon Ronan Moulinet, 16 Etats et entités disposent d’au moins une dizaine de satellites opérationnels : Etats-Unis, 549 ; Chine, 142 ; Russie, 131 ; entreprises multinationales, 108 ; Japon, 55 ; Grande-Bretagne, 39 ; Inde, 31 ; Canada, 27 ; Agence spatiale européenne, 24 ; Allemagne, 23 ; Luxembourg, 19 ; Espagne, 15 ; Israël, 12 ; Arabie saoudite, 11 ; France, 10 ; Pays-Bas, 10. Par ailleurs, 45 pays disposent de missiles balistiques, mais en majorité des Scud C à charge conventionnelle et de portée maximale de 600 km. Voici la répartition de la prolifération par zones géographiques : Amériques, Etats-Unis, Cuba, Equateur, Pérou et Argentine ; Extrême-Orient, Corée du Nord, Corée du Sud, Chine, Taïwan et Viêt Nam ; Afrique, Algérie, République démocratique du Congo, Angola, Libye, Egypte, Soudan et Ethiopie ; Proche-Orient, Syrie et Israël ; Moyen-Orient, Iran, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Yémen et Bahreïn ; Asie du Sud, Afghanistan, Pakistan et Inde ; Asie centrale, Kazakhstan, Arménie, Azerbaïdjan, Turkménistan et Géorgie ; Europe, Grande-Bretagne, France, Italie, Serbie, Turquie, Pologne, Ukraine, Bosnie-Herzégovine, Grèce, Roumanie, Bulgarie, Belarus et Russie. Selon l’Arms Control Association, 9 pays possèdent environ 13.500 têtes nucléaires, dont 9.500 en service opérationnel en 2020 et 4.000 en instance de démantèlement : Russie, 6.375 ; Etats-Unis, 5.000 ; France, 290 ; Grande-Bretagne, 215 ; Pakistan, 160 ; Inde, 150 ; Chine, 120 ; Israël, 50 ; Corée du Nord, entre 30 et 40.

La guerre future : hybride, majeure ou mondiale ?

Espace : nouveau théâtre des opérations militaires

Missiles balistiques : limitation, mais prolifération quand même




Défense : démonstrateur SCAF, missile ANL et futur site du Commandement de l’espace

Deux coopérations internationales se sont concrétisées le 20 février 2020 : contrat du démonstrateur de l’avion du système de combat aérien futur (SCAF) et tir de qualification du missile anti-navire léger (ANL/Sea Venom). Le lendemain, la ministre des Armées a évoqué le Commandement de l’espace.

Le SCAF tripartite. Florence Parly, ministre des Armées, Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre allemande de la Défense, et Angel Olivares Ramirez secrétaire d’Etat auprès de la ministre espagnole de la Défense, ont signé à Paris le contrat du démonstrateur de l’avion de combat du SCAF. Réalisé en coopération entre les trois pays pour un besoin militaire commun, le SCAF (photo) comprend : un avion de combat ; des drones d’accompagnement ; un « cloud » de combat, « système de systèmes » qui leur permet d’être connectés et d’interagir. Les vols d’essai du démonstrateur commenceront en 2026, pour une mise en service opérationnelle du SCAF après 2050.

L’ANL/Sea Venom bipartite. Suite aux tirs de développement effectués en 2017 et 2018, le tir de qualification du missile anti-navire léger franco-britannique a été réalisé avec succès sur le site d’essais de la Direction générale de l’armement, au large de l’île du Levant (Var), à partir d’un hélicoptère. Il s’agit d’un tir à longue portée avec vol du missile à très basse puis moyenne altitude et accrochage automatique de la cible en milieu de course. Pour la première fois, il a permis la mise en œuvre de la capacité du mode « homme dans la boucle ». Ainsi, grâce à la retransmission, à bord de l’hélicoptère, de l’image de la cible observée par le missile, un opérateur, qui s’y trouvait, a pu modifier le point d’impact du missile sur la cible. L’ANL/Sea Venom doit équiper, à terme, les hélicoptères AW-159 Wildcat britanniques et les futurs Guépard français. Le programme de ce missile a été lancé en 2014, dans le cadre de la coopération franco-britannique du traité bilatéral de Lancaster House (2010).

Le Commandement de l’espace. La ministre des Armées, Florence Parly, s’est rendue au Centre national d’études spatiales (CNES) à Paris pour évoquer la future implantation du Commandement de l’espace (CdE) de l’armée de l’Air, qui deviendra « l’armée de l’Air et de l’Espace ». Le CdE sera intégré dans les locaux du CNES jusqu’en 2021 avant de s’installer dans un site temporaire de 200 postes de travail au sein du CNES. Vers 2025, il déménagera à Toulouse dans un bâtiment de 5.000 m2. Ce centre répondra à trois objectifs : renforcement des usages militaires en matière d’observation, de communications et de recueil de renseignement ; extension des capacités de connaissance de la situation spatiale ; développement d’une capacité d’action. Le centre comprendra : 400 postes de travail ; une salle d’opérations organisée autour de toutes les compétences spatiales de surveillance, d’écoute et de repérage ; un laboratoire d’innovation ; un centre de formation ; une salle technique. Ce projet mettra en synergie tous les domaines relatifs au CdE et au CNES : opérations ; formation ; innovation ; infrastructure ; ressources humaines ; domaine juridique. Le CdE doit assurer la préservation et l’intégrité des satellites français et européens. Chaque jour, les citoyens français utilisent entre 10 et 40 satellites, via leurs applications personnelles ou professionnelles. Les opérations militaires françaises nécessitent de grandes capacités d’images et de géolocalisation. Le nombre de satellites en orbite, actuellement de 1.500, devrait passer à 7.000 d’ici à 2030.

Loïc Salmon

Aéronautique militaire : perspectives capacitaires

MBDA : coopération industrielle européenne pour les missiles

Espace : nouveau théâtre des opérations militaires




Défense : la météorologie, élément-clé des opérations

La connaissance de l’environnement géophysique permet d’éviter qu’il soit moins défavorable, pour soi que pour l’ennemi, et de s’en faire un allié lors d’une opération extérieure.

Le capitaine de frégate Gwendal Le Moigne, commandant le Centre interarmées de soutien météo-océanographique aux forces (CISMF), en a expliqué le pourquoi et le comment à la presse, le15 février 2018 à Paris.

Au service des forces. Grâce à la finesse des prévisions météorologiques, les premières vagues de parachutistes du débarquement en Normandie, le 6 juin 1944, ont été larguées au bon moment entre deux dépressions atmosphériques, rappelle le capitaine de frégate. Installé à Toulouse à proximité du centre de prévisions de Météo France et rattaché au Commandement pour les opérations interarmées, le CISMF assure une permanence totale. Ses missions portent sur l’aide à la planification opérationnelle, l’aide à la décision pour la protection des biens et des personnes ainsi que le maintien des performances des armes et des capteurs (précision). Il s’appuie sur les bases de données de Météo France, qu’il aide à développer ses outils, le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) et les senseurs de l’armée de l’Air. S’y ajoutent des partages d’informations avec la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Danemark (zones couvertes par les glaces en mer du Nord), le Japon (zone Pacifique), le Etats-Unis et l’OTAN (données brutes quotidiennes). Le CISMF emploie 75 militaires et civils, dont 12 ingénieurs de Météo France détachés auprès des armées. Depuis 2012, le personnel sous-officier de l’armée de l’Air et de la Marine se forme à l’Ecole nationale de météorologie, pour les cours théoriques, et au CISMF pour la partie opérationnelle. En outre, le CISMF établit un manuel destiné aux météorologues africains pour développer leurs compétences.

Applications sur le « terrain ». Le CISMF envoie une synthèse, constituée de cartes satellitaires et de modèles informatiques, à toutes les unités françaises déployées dans le monde, afin qu’elles affinent leurs propres prévisions. Ces informations, rapides et concises, sont présentées surlignées en vert, orange et rouge, selon le niveau de vigilance recommandé, par exemple pour les opérations « Harmattan » (Libye, 2011) et « Barkhane » (Sahel, depuis 2014) ou l’exercice OTAN « Brilliant Mariner 2017 ». Elles indiquent les zones propices au largage de parachutistes ou à éviter par les pilotes de chasse. Celles du SHOM établissent des cartes très précises des zones acoustiques pour les sous-marins et les navires de surface remorquant un sonar immergé, car la température des masses d’eau influe sur la propagation du son. Elles permettent aussi à une torpille MU90, très sensible à l’environnement marin, de ne pas confondre un rocher avec un sous-marin immobile, grâce à une imagerie de haute résolution pour que son senseur voit plus loin et avec davantage de finesse. Dans une mer avec 12 m de creux, une frégate lutte pour sa survie et exclut toute mise en œuvre d’hélicoptère, d’embarcation ou de sonar. En Afrique, un orage violent, très difficile à prévoir, peut provoquer la chute du toit d’un hangar, la torsion d’une aile d’avion, des soulèvements de sable ou un flash électrique sur un drone, perturbant ses capteurs et sa mission. La température extérieure au sol détermine le choix des vêtements de l’équipage d’un hélicoptère, au cas où il se crasherait. Enfin, un vent de face gêne un missile à longue portée, qui vole moins loin et consomme plus de carburant.

Loïc Salmon

Marine : la « marétique », transformation numérique du monde maritime

Défense : le climat, facteur de dérèglement géopolitique




De la terreur à la lune

Buts idéologiques, coût exorbitant, réussite scientifique, après de nombreux déboires, caractérisent les armes secrètes allemandes, à l’origine des missiles et des fusées spatiales.

Sur le plan militaire, dès 1232, des Chinois assiégés tirent des fusées improvisées contre les Mongols. L’idée, reprise par les Anglais entre 1802 et 1812, est abandonnée devant les progrès de l’artillerie. Il faut attendre les années 1920 pour que soient théorisé le principe de la fusée par l’Allemand Peter Wegener, à savoir une faible résistance à l’air, la stabilité par des ailerons à volets orientables et une trajectoire contrôlable. De son côté, le physicien américain Robert Goddard met au point une fusée à propergol liquide. Dès 1929, l’armée allemande s’intéresse au potentiel militaire de cet engin, qui lui permettrait de pallier l’absence de canons à longue portée proscrits par le Traité de Versailles (1919). Un centre d’essais de propulsion à réaction et de développement des fusées à combustible liquide est installé à Kummersdorf, dans le plus grand secret. Le savant Wernher von Braun (1912-1977), qui rêve d’exploration spatiale, et l’ingénieur et général Walter Dornberger (1895-1980) travaillent sur les projets d’armes secrètes allemandes, jusqu’à leur reddition aux forces armées américaines en mai 1945. Les recherches sur les fusées deviennent un secret d’Etat en 1933 et les chercheurs indépendants sont contraints d’y participer. L’année suivante, deux fusées atteignent 2.200 m d’altitude. Sont alors construits un site de tir et des infrastructures pour une soufflerie supersonique et un centre de mesures dans le petit port de Peenemünde, dans l’île d’Usedom (Baltique). Opérationnel en 1939, l’ensemble emploie 18.000 ingénieurs, scientifiques et techniciens qui développent, au cours des années suivantes, la « bombe volante V1 », avion sans pilote de la Luftwaffe, et la fusée « V2 » pour la Whermacht. Ces armes, dites de représailles par la propagande nazie, doivent briser le moral de la population britannique après l’échec de la Luftwaffe lors de la bataille d’Angleterre (1940). Les services de renseignement britanniques apprennent l’existence de Peenemünde, confirmée par des vols de reconnaissance qui découvrent, dans le Nord de la France, des structures bétonnées avec des rampes de lancement orientées vers Londres. Les bombardements aériens « Hydra » (britannique) et « Crossbow » (anglo-américaine) sont effectués de 1943 à 1945 contre les installations de V1, dont un grand nombre tombe sur Londres, Anvers et Liège. Dès août 1943, les SS s’approprient les V2, dont la production est assurée, dans une usine souterraine, par les détenus du camp de concentration de Dora dans des conditions inhumaines. A la date du 3 octobre 1944, 156 V2 ont touché 14 villes en Angleterre, France et Belgique pour saper le moral des populations civiles. Après l’arrivée de l’armée américaine à Peenemünde en 1945, des centaines de V2 sont envoyées par trains vers le port d’Anvers puis embarquées sur 16 navires avec 14 tonnes de plans à destination des Etats-Unis…juste avant l’arrivée des troupes soviétiques, car Peenemünde se trouve dans leur zone d’occupation décidée à la conférence de Yalta. Malgré leur impact limité sur l’issue de la guerre, les V1 et V2 vont bouleverser les rapports de forces dans les décennies suivantes, tant sur le plan tactique (missiles de croisière tirés d’avions, de navires ou de sous-marins) qu’au niveau stratégique (missiles balistiques intercontinentaux).

Loïc Salmon

« De la terreur à la lune », Hughes Wenkin. Editions Pierre de Taillac, 232 p, nombreuses illustrations, 29,90 €.

Armes secrètes de l’Allemagne nazie

Défense antimissiles : surtout protection des forces, moins celle des populations

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques




Union européenne : la sécurité et la défense après le « Brexit »

L’Union européenne (UE), réduite à 27 Etats membres, élabore une stratégie portant sur la réponse aux conflits et crises externes, le renforcement de ses capacités militaires et la protection de son territoire et de sa population.

L’équipe « B2 » (cinq auteurs) l’explique dans l’ouvrage intitulé « La boîte à outils de la défense européenne Nouveautés 2020-2021 », publié à Bruxelles aux éditions du Villard en mai 2021.

Les risques et menaces. La Russie multiplie les actes d’intimidation contre l’UE. Ont été attribués à ses services de renseignement : la cyberattaque contre le Bundestag (Parlement fédéral) allemand en 2015 ; l’agression chimique en mars 2018 contre l’ancien agent russe Sergueï Skripal, réfugié en Grande-Bretagne ; des explosions dans des entrepôts en République tchèque en 2014 ; l’accueil hostile, le 3 février 2021 à Moscou, réservé au Haut représentant de l’UE venu plaider la libération de l’opposant Alexeï Navalny. Depuis 2019, la Turquie se confronte aux pays européens. En Méditerranée orientale, elle effectue des forages d’hydrocarbures dans les zones maritimes considérées comme chypriotes ou grecques. Elle a conclu un accord avec la Libye sur une zone économique exclusive empiétant sur celles de l’Italie, de Chypre et de la Grèce. Elle en conclu un second de nature militaire avec l’envoi de soldats et de matériels. Lors de la guerre dans le Haut-Karabagh (27 septembre-10 novembre 2020), elle a soutenu l’Azerbaïdjan par l’envoi d’hommes et de matériels. Elle maintient une présence en Somalie et dans les Balkans. La Chine est perçue par l’UE comme rivale, partenaire et concurrente, qui affiche sa souveraineté très au-delà de son environnement proche. Elle intervient jusqu’en Europe par le développement des « Nouvelles routes de la Soie », l’acquisition de biens économiques souverains ou sa « diplomatie des vaccins ». Outre le terrorisme interne ou externe, les Etats membres de l’UE font l’objet de tentatives de déstabilisation par des groupuscules militarisés ou des mouvements séparatistes, notamment en Espagne (Catalogne et Pays basque). D’anciennes menaces réapparaissent : armes chimiques ou bactériologiques ; espionnage politique ou industriel ; pressions sur les approvisionnements en énergie. Conséquences des technologies émergentes, de nouvelles menaces surgissent, à savoir la désinformation, l’ingérence électorale et les cyberattaques.

L’analyse géopolitique et spatiale. Depuis novembre 2020, la menace est évaluée par le Centre unique d’analyse du renseignement (SIAC, sigle anglais), qui regroupe le centre de renseignement militaire de l’Etat-major de l’UE et le centre de situation et de renseignement du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), placé sous l’autorité du Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Le SIAC reçoit des informations des services de renseignement civils ou militaires des Etats membres. L’UE dispose du Centre satellitaire de Torrejon (Espagne) pour le renseignement géo-spatial destiné aussi aux Etats membres et à des organisations internationales. Ainsi, lors du conflit dans l’ex-Yougoslavie (1991-2002), ce centre a adressé des cartes au Comité international de la Croix-Rouge. Il a fourni certaines analyses sur le Darfour à la Cour pénale internationale et d’autres à la mission de l’ONU en Libye. Il a confirmé l’existence de dépôts de munitions en Syrie, les déplacements de matériels le long de la frontière ukrainienne et les camps de prisonniers ouïgours dans le Xinjiang chinois. Par ailleurs, le centre de Torrejon évalue les risques de collision entre engins spatiaux et lance des alertes d’évitement. Il calcule les trajectoires d’objets artificiels lors de leur rentrée incontrôlée dans l’atmosphère. Il détecte et caractérise les fragmentations d’orbite. Enfin, l’UE dispose, à Bruxelles, du Collège européen de sécurité et de défense, dont le budget est passé de 500.000 € en 2013 à 2,06 M€ en 2021. Ce collège forme les personnels permanents du SEAE et ceux envoyés dans les missions de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ou du SEAE, avec renforcement des formations pour les missions civiles et le domaine du cyber.

Une BITD européenne. L’UE dispose de moyens militaires nombreux, mais disparates et à différents niveaux de modernisation et d’interopérabilité. Ainsi, elle compte : 1.700 avions de combat de 16 types différents ; 380 hélicoptères d’attaque de 5 types ; 4.200 chars de 12 types, contre un seul aux Etats-Unis ; 120 navires de surface de 33 types (4 aux Etats-Unis). Le développement d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) commune a nécessité l’instauration d’un fonds européen de défense (FED) pour la mise au point de nouvelles capacités de défense, mais pas leur acquisition…qui reste à la charge des budgets des Etats membres ! Adopté par le Parlement européen le 29 avril 2021, le FED se monte à 8 Mds pour la période 2021-2027, contre 0 € pour l’industrie de défense en 2014. L’enveloppe se répartit entre 2,7 Mds€ pour la recherche et la technologie et 5,3 Mds€ pour la recherche et le développement. La coopération en matière d’armement porte sur six domaines prioritaires : char de combat ; patrouilleurs de haute mer ; équipement individuel des fantassins ; lutte contre les drones et dénis d’accès ; défense spatiale ; mobilités aérienne et maritime ; installations logistiques ; résilience des systèmes informatiques.

Les conséquences du « Brexit ». Depuis l’entrée en vigueur du « Brexit » le 1er février 2020, l’UE a perdu 66 millions d’habitants et un important partenaire économique et financier, doté d’un vaste réseau diplomatique et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Toutefois, pendant des années, la Grande-Bretagne a limité sa contribution aux missions et opérations de la PSDC au strict minimum. Son départ élimine une possibilité de blocage de la PSDC. La politique étrangère, la sécurité extérieure et la coopération en matière de défense ne sont pas couvertes par l’accord avec l’UE. Depuis le 1er janvier 2021, il n’y a plus de cadre formel pour coordonner les « listes noires » individuelles (gel des avoirs0) ou les mesures d’embargo économique contre des pays tiers. La Grande-Bretagne ne peut plus participer aux missions et opérations de la PSDC ni aux structures de commandement de l’UE. Elle ne bénéficie plus des accords internationaux négociés par l’UE, dont ceux sur le transfert de pirates. Elle peut participer aux programmes européens de surveillance de la terre (Copernicus) et de surveillance par satellite (EU satellite surveillance & tracking). Mais elle n’a plus accès au signal crypté réservé à la sphère gouvernementale du système Galileo de positionnement par satellites. Considérée comme un pays tiers, elle ne peut plus participer aux efforts d’intégration de la défense et de développement des capacités. Elle ne participe plus aux réunions des ministres de la Défense ni à l’élaboration de la politique de défense européenne. Elle peut être associée à certains projets, sur décision au cas par cas. Enfin, elle reste étroitement associée à l’Agence européenne de cybersécurité.

Loïc Salmon

Stratégie : éviter le déclassement de l’Europe

Europe : défense future, la dimension militaire

Europe : l’autonomie stratégique, réflexion et construction d’une capacité




La face cachée d’internet

Le piratage informatique à des fins d’espionnage fait partie de la capacité offensive des services de renseignement (SR), même si leur gouvernement est considéré comme démocratique.

Un faisceau d’indices oriente la décision politique de haut niveau d’attribuer l’origine d’une cyberattaque à un pays ou un mouvement politico-militaire donné. La Chine, l’Iran et l’Etat islamique (Daech) hier, puis la Russie aujourd’hui sont soupçonnés, car considérés comme très actifs dans ce domaine. Or, en juin 2016, le satellite américain « Mentor », aussi dénommé « Advanced Orion », a été mis en orbite géostationnaire pour intercepter les communications électroniques au profit de l’agence de renseignement National Reconnaissance Office, avec la contribution de la CIA. Les sept satellites Advanced Orion déjà en service transmettent les données de téléphones personnels, courriels et autres comptes de réseaux sociaux à un centre de stockage situé dans le désert de l’Utah. Depuis longtemps, le réseau « Echelon » d’interception des satellites de télécommunications commerciaux alimente les SR des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, surnommés les « Five Eyes » (cinq yeux). En outre, la NSA américaine et le CGHQ britannique surveillent les câbles sous-marins par où transitent les communications internet entre les Etats-Unis, l’Europe et le Moyen-Orient. Ces interceptions sont estimées vitales dans la lutte contre le terrorisme. Mais toutes sortes d’informations sont aussi collectées et exploitées en Irak et sur le territoire américain, malgré les réserves de certains hauts magistrats. Le déploiement de ce gigantesque système de surveillance a été révélé en 2013 par Edward Snowden, ex-consultant pour la NSA. De son côté, « l’hacktiviste » (pirate informatique qui défend une cause) australien Julian Assange, qui a ouvert le site internet « Wikileaks » en Islande en 2006, attire l’attention internationale en avril 2010 par la diffusion d’une vidéo réalisée en 2007 pendant la guerre en Irak et intitulée « Assassinat collatéral ». L’opérateur d’un hélicoptère américain Apache tire sur deux journalistes de l’agence Reuters, dont il a pris les caméras pour des armes. Il tue ensuite la famille, civile elle aussi, venue ramasser les corps. Or un tel acte délibéré est considéré comme un crime de guerre ! Toujours en 2010, Wikileaks et plusieurs journaux occidentaux publient 250.000 télégrammes et documents confidentiels de diplomates américains émis entre décembre 1966 et février 2010. Ces « câbles » détaillent la corruption au sommet de plusieurs Etats (Tunisie, Egypte, Soudan, Gabon et Libye notamment), relatent « affaires » et scandales et exposent les politiques extérieures et intérieures de nombreux pays. Outre les condamnations de gouvernements du monde entier, Wikileaks subit les représailles de la CIA, du FBI et des « géants » d’internet : Amazon, PayPal, Apple, Visa et Mastercard. Entrent alors en scène les lanceurs d’alerte « Anonymous », qui perturbent les sites et services en ligne de Visa, Mastercard et PayPal. Mi-juillet 2016, Wikileaks annonce la publication de documents « compromettants » sur le parti gouvernemental turc AKP. Or certains contiennent les données personnelles de 20 millions de citoyennes turques. Cela ouvre la voie aux harcèlements et usurpations d’identité ! Encore en 2016, les « fake news » (informations déformées ou fabriquées) sur les réseaux sociaux enveniment la campagne présidentielle américaine.

Loïc Salmon

Cyber : de l’omniprésence à l’hyperpuissance

Cyber : prise de conscience du risque et perspectives (2030)

Sécurité : l’usurpation d’identité, un risque mal maîtrisé

« La face cachée d’internet » par Rayna Stambolyiska. Editions Larousse, 352 pages, 18,50 €.




Espace : nouveau théâtre des opérations militaires

L’autonomie d’accès à l’espace permet d’apprécier une situation et d’entrer en premier sur un théâtre, grâce aux renseignements image et électromagnétique, à des communications sécurisées et à une navigation précise pour la mise en œuvre des systèmes d’armes et d’armements guidés.

Savoir-faire et expertise. Le 19 décembre 2018, la mise en orbite du premier satellite de la Composante spatiale optique (CSO) a été suivie en direct à l’Ecole militaire à Paris (photo). Elle a nécessité le renforcement de l’opération « Titan » de sécurisation du centre spatial guyanais. Pendant 15 jours, ce dernier a été protégé par une « bulle » pour détecter, dérouter ou neutraliser tout intrus. « Titan » a engagé 575 militaires : patrouilles à terre et en hélicoptère ; un patrouilleur de haute mer ; deux Rafale ; un avion ravitailleur C135 ; un avion d’alerte avancée AWACS. Le même jour, Florence Parly, ministre des Armées, a annoncé le lancement, en 2020, de trois satellites du programme CERES (capacité d’écoute et de renseignement électromagnétique et spatial) pour détecter les centres de commandement et les flottes ennemies. Il sera suivi, d’ici à 2022, de celui des deux premiers satellites de télécommunication sécurisée Syracuse 4, en remplacement des deux satellites Syracuse 3, pour compléter les stations sol et répondre aux besoins accrus en termes de débit, d’utilisation tactique des stations, de capacité à communiquer en mouvement et d’interopérabilité avec l’OTAN. Un troisième satellite sera commandé en 2023, pour répondre aux besoins croissants et spécifiques des plates-formes aéronautiques d’ici à 2030. La ministre des Armées a mis en garde : « Le ciel est devenu un espace de rivalité, de confrontation. Les actes inamicaux s’y multiplient, l’espionnage peut s’y faire, de nouveaux acteurs y ont accès, tandis que, sur le sol, les puissances développent des capacités antisatellites. Il nous faut surveiller plus et mieux nos satellites. Il nous faut connaître parfaitement les objets qui les entourent, qui croisent leurs trajectoires. Il nous faut une cartographie parfaite du ciel. Il nous faut décourager quiconque voudrait s’attaquer à nos satellites. » Le premier satellite CSO a été mis en orbite par une fusée russe Soyouz. Toutefois, pour éviter toute dépendance étrangère dans la conduite des opérations militaires, a précisé la ministre, ArianeGroup et le Centre national d’études spatiales vont développer, d’ici à 2020, le lanceur Ariane 6 qui devrait mettre en orbite le troisième satellite CSO l’année suivante. La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit le développement de la coopération avec des partenaires stratégiques, notamment européens, dans le domaine spatial. Les programmes successeurs des satellites CSO et CERES seront lancés en 2023. Pour la surveillance de l’espace, les moyens radar de veille GRAVES (opérationnel depuis 2004) et de poursuite SATAM (2003) des orbites basses des satellites espions seront modernisés. La capacité des orbites hautes sera consolidée. La version améliorée du Système d’information spatiale sera déployée en 2019, pour renforcer la capacité d’élaboration de la situation dans l’espace. Le programme Omega va moderniser les équipements de navigation par satellite des armées à partir de 2024. Résistant aux interférences et au brouillage, il apportera une capacité autonome de géolocalisation par l’utilisation simultanée des signaux des systèmes américain GPS et européen Galileo.

Imagerie opérationnelle. Les armées françaises en opération recourent aux systèmes Syracuse, Pléiades (2 satellites optiques d’observation de la terre à destination civile et militaire), Hélios II (2 satellites optiques), SAR-Lupe (5 satellites radar allemands), COSMO-SkyMed (4 satellites radar italiens) et CSO (3 satellites optiques prévus). Le cycle commence par une demande d’images des troupes au sol sur une zone d’intérêt au poste de commandement du théâtre d’opérations (PC théâtre). Ce dernier dirige un drone sur la zone via un satellite de télécommunications, mis en œuvre par la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information. Le drone transmet images et vidéos en temps réel. En outre, le PC théâtre sélectionne le capteur spatial le plus approprié et effectue la demande via Syracuse ou les systèmes de télécommunications franco-italiens Sicral (1 satellite) et Athena-Fidus (1 satellite). La Direction du renseignement militaire valide la demande dans le plan de programmation. Puis le Centre militaire d’observation par satellites (CMOS) la relaie vers SAR-Lupe et COSMO-SkyMed ou vers le Centre national d’études spatiales (CNES), opérateur des systèmes français d’observation optique. Ce dernier télécharge alors les plans de programmation de Pléiades, d’Hélios II et de CSO. Le CMOS collecte toutes les prises de vues satellitaires et les transmet immédiatement au PC théâtre pour appréciation. En cas d’intervention, les données sont transmises à l’avion chargé de traiter l’objectif.

« New Space ». Entre le lancement de CSO1 et sa mise en orbite, une table ronde sur le « New Space » a réuni, à l’Ecole militaire, un colonel du Commandement interarmées de l’espace et des ingénieurs de la Direction générale de l’armement, du CNES, d’Airbus Defence and Space et de Thales Alenia Space. Le « New Space », industrie spatiale américaine privée, rend l’espace accessible à des technologies issues du numérique, des « Big Data » et de l’aéronautique, mais aussi à des acteurs non étatiques dont les « Gafa » (Google, Apple, Facebook et Amazon). Leurs gros investissements (2-2,5 Md$) facilitent les fabrications de satellites en grande série, plus vite et moins cher. Les constellations de nanosatellites entraînent un changement d’échelle par la possibilité de millions, non plus d’images mais « d’informations d’images ». Ces offres diversifient les achats d’images et de services, raccourcissant ainsi le temps d’acquisition de capacités de renseignement par un acteur non étatique. Mais, la « fraîcheur » des images, primant sur la qualité, nécessite une capacité souveraine par le CSO, complétée par des services civils. Le traitement des images pourra bientôt être effectué à bord de satellites à images diversifiées : optiques et vidéos ; radar ; infrarouge. Ces futurs satellites auront une durée de vie plus courte, pour profiter des technologies émergentes, et nécessiteront des opérateurs de confiance.

Loïc Salmon

Le système Composante spatiale optique (CSO) s’articule en trois éléments. La partie spatiale comprend les satellites CSO-1, CSO-2 et CSO-3. Le segment sol mission (SSM) assure le contrôle des satellites. Le segment sol utilisateur (SSU) prépare les demandes de programmation des satellites et récupère les images correspondantes. CSO, SSM et SSU ont été développés en garantissant, dès leur conception, un très haut niveau de sécurité, notamment contre les cyberattaques. Le programme CSO a ainsi nécessité la mise au point d’équipements spécifiques : boîtiers « chiffre » pour la protection cryptographique des communications avec les satellites ; passerelles multi-niveaux pour le contrôle des échanges informatiques avec le monde extérieur.

Espace : CSO, renouvellement des moyens militaires français

Défense : l’ONERA, acteur majeur de l’innovation

Défense : l’essor du numérique sur le champ de bataille




Espace : un commandement dédié pour comprendre et agir

Le Commandement de l’espace (CdE) développe en permanence ses capacités de surveillance et de réaction aux menaces croissantes dans ce domaine.

Le général de brigade aérienne Philippe Dedobbeleer, adjoint au commandant de l’Espace, l’a expliqué au cours d’une visioconférence organisée, le 8 juin 2021 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Montée en puissance. Organisme interarmées, le CdE dépend directement du chef d’Etat-major des armées pour la stratégie, les capacités, la coopération internationale et les opérations. Il est rattaché à l’armée de l’Air et de l’Espace pour l’expertise, la préparation des forces, la mise en œuvre de contrats opérationnels, l’élaboration de la doctrine et le retour d’expérience dans le domaine spatial et enfin la maîtrise des risques. La pleine capacité des opérations spatiales militaires devrait être atteinte vers 2030. La tutelle du CdE sur le Centre national d’études spatiales (CNES) de Toulouse sera redéfinie pour y concentrer l’expertise de l’écosystème spatial. Celui-ci comprend des entreprises, des pôles de compétitivité et des centres universitaires à Paris, Lille, Saint-Quentin, Mulhouse, Besançon, Lyon, Grenoble, Nice, Marseille, Toulon, Bordeaux, Brest, Rouen et Cayenne (Centre spatial de Kourou). Le centre spatial de Toulouse verra ses effectifs passer de 200 personnes en 2019 à 500 en 2025. Il devra voir et écouter l’espace, mieux et plus loin, par l’acquisition de données par des satellites (optique, radar et infrarouge) à orbites basses, moyennes et hautes. Vu le nombre croissant d’objets divers dans l’espace à suivre pendant toute leur durée de vie, les données s’accumulent, de quelques mois à plusieurs décennies. La capacité de calcul à haute performance de l’intelligence artificielle permettra de traiter leur comportement quasiment en temps réel et, le cas échéant, d’agir vite puis rendre compte aux niveaux stratégique et tactique.

Innovation continuelle. Le CdE va construire un incubateur d’innovation dédié à l’espace militaire et ses applications. Dans un environnement sécurisé, un réseau aura pour missions de capter des idées, concrétiser des projets et conduire des expérimentations dans les laboratoires existants. A cet effet, l’Agence de l’innovation de défense développe des liens avec le CNES, la Direction générale de l’armement (DGA), la Direction du renseignement militaire, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales et les partenaires alliés.

Souveraineté et interopérabilité. Le développement d’un système spatial militaire constitue un enjeu de souveraineté numérique et d’autonomie stratégique, souligne le général Dedobbeleer. Celui d’une compréhension commune avec des pays alliés permet une interopérabilité des moyens avec des standards techniques identiques (doctrine, capacités et opérations). En février 2020, la France a adhéré à « l’Initiative opérations spatiales interalliées » (sigle anglais CSpO) et y a rejoint les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce forum de réflexion et d’échanges vise à coordonner les capacités alliées, en augmenter la résilience pour assurer le soutien aux opérations multi-domaines (terre, air, mer, cyber et spatial), garantir la liberté d’accès à l’espace et y protéger, en coalition, les moyens qui s’y trouvent. Il donne lieu à des travaux réguliers, auxquels participent le CdE, la DGA et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie.

Loïc Salmon

Armée de l’Air : création du « Commandement de l’espace »

Espace : nouveau théâtre des opérations militaires

Espace exo-atmosphérique : compétition stratégique