Économie : renseignement et intelligence économique

Instrument nécessaire pour gagner dans la compétition mondiale, l’intelligence économique recherche de l’information stratégique utile à des fins d’action, où prime le rapport de force. Outre ses méthodes proches de celles des services de renseignement, elle s’écarte parfois de la légalité, notion variable selon les pays.

C’est ce qui ressort d’une visioconférence organisée, le 10 octobre 2023 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Île-de-France. L’intervenant, le consultant Christophe Stalla-Bourdillon, a effectué une carrière dans de grandes entreprises pendant 25 ans, puis a enseigné 15 ans dans des Grandes Écoles françaises et des universités étrangères et a pratiqué les métiers du renseignement.

Gagner à tout prix. Avant la chute du mur de Berlin en 1989, la concurrence existait mais en évitant certaines pratiques. Puis la Chine a été admise dans l’Organisation mondiale du commerce. En outre, les outils numériques ont fait leur apparition. La concurrence, devenue de plus en plus dure, s’est internationalisée. L’intelligence économique, processus légal, continu et dynamique, permet aux entreprises de rester compétitives et de s’adapter à un environnement en constante évolution. Elle consiste à collecter des informations stratégiques sur le plan économique, les analyser, les traiter, les diffuser sélectivement et les protéger. La direction générale de l’entreprise définit les besoins selon des critères juridiques, financiers, technologiques et commerciaux. Tous les professionnels français de l’intelligence économique réfutent son assimilation à l’espionnage. Or, le système juridique français ne correspond guère à celui de la Corée du Sud, du Japon, de la Chine, de l’Iran, du Brésil, du Mexique et même, parfois, des États-Unis. L’intelligence économique à la française se traduit par « renseignement économique de compétition » dans les pays anglo-saxons. L’espionnage étant relégué dans le « noir », elle se trouve dans le « blanc » et un peu dans le « gris clair », alors que le champ de la compétitivité anglo-saxonne se trouve dans le « gris foncé », c’est-à-dire entre le « légal » et…le « non illégal » ! Dans une compétition mondiale, souligne Christophe Stalla-Bourdillon, les règles de la concurrence sont faussées au niveau de l’acquisition de l’information. Il l’a constaté parmi les grands groupes et entreprises, dont le sud-coréen Samsung et les américaines Intel, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Pour gagner au niveau mondial, la veille numérique, accessible à tout le monde, ne suffit pas. L’information gagnante, qui donne le vrai différentiel, vient souvent de l’humain et se récolte sur le terrain. Il s’agit d’obtenir les informations pertinentes que détiennent certaines personnes…sans qu’elles s’en rendent compte ! Les Anglo-Saxons et les Asiatiques y parviennent par le « renseignement conversationnel », sans poser de questions. En revanche, les Français en posent, pour avoir des réponses explicites, et dévoilent leurs intentions avec le risque de réponses biaisées ou même mensongères.

Rester les meilleurs. Pour les entreprises, gagner permet d’engranger des commandes et de donner du travail à leur personnel. Leurs impôts contribuent à la souveraineté du pays et à l’innovation, comme la machine à laver qui a transformé la vie quotidienne des ménages dans les années 1960. En créant de la richesse, elles financent des emplois non subventionnés par l’État, qui règlemente et peut aussi aider les entreprises et les organisations professionnelles, mais de façons différentes selon les pays. Christophe Stalla-Bourdillon cite le cas du chancelier allemand qui avait organisé deux réunions bilatérales avec la France, l’une sur l’économie et l’autre sur le sport. Les deux fois, la partie française était représentée par le ministre concerné et ses conseillers, tandis que la partie allemande était composée de présidents de grandes entreprises pour la première réunion, puis de sportifs et de dirigeants de clubs sportifs pour la seconde. L’intelligence économique concerne la macro-économie mais aussi la micro-économie. Ainsi de petites entreprises la pratiquent en passant par leurs organisations professionnelles pour exercer de l’influence sur la Commission européenne à Bruxelles, comme les artisans taxi, les patrons-pêcheurs ou les fleuristes. Ainsi ceux d’Angers ont subi l’espionnage de leurs concurrents chinois, venus couper quelques fleurs chez eux afin de copier leurs innovations. Tirant les enseignements de son expérience professionnelle, Christophe Stalla-Bourdillon estime que la réussite des entreprises repose sur quatre leviers. Le premier consiste en un système éducatif performant avec des professeurs de haut niveau, afin de rendre les meilleurs étudiants capables de s’épanouir dans leurs talents naturels. En fait, il s’agit de créer une sorte d’élitisme à l’allemande. Le deuxième concerne les chercheurs performants, dont certains Français ont été récompensés par un Prix Nobel. Mais certains chercheurs performants ont quitté la France. Le troisième levier, c’est l’argent et le quatrième les entrepreneurs. Le professeur Stalla-Bourdillon a constaté, auprès de ses confrères chinois, que la Chine admire les États-Unis pour leur puissance technologique et leur capacité à développer et financer, par les pouvoirs publics ou des entrepreneurs privés, des projets qui « révolutionnent » la planète, comme internet ou la conquête spatiale. Outre l’innovation, l’intelligence économique permet de développer des opportunités géographiques et de la valeur boursière mais aussi de réduire les risques. Il convient de se renseigner au préalable auprès des organismes existants, comme les chambres de commerce et d’industrie et les conseillers du commerce extérieur. En outre, l’établissement public Business France aide les moyennes et petites entreprises et celles de taille intermédiaire à mieux se projeter à l’international et à attirer davantage d’investisseurs étrangers en France. La Coface (Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur), présente dans une centaine de pays, assure les risques d’insolvabilité des clients et propose les crédits nécessaires pour renforcer les capacités des entreprises à vendre sur leurs marchés nationaux et d’exportation. Les entreprises multinationales peuvent se renseigner auprès de diverses ambassades étrangères sur les risques pays et commerciaux.

Repousser les limites. La France et certains pays se fixent des limites dans l’intelligence économique que d’autres vont repousser, estimant que ce n’est pas illégal. La limite est devenue une autoroute à huit voies, très fréquentée, où ceux qui ne l’empruntent pas perdent. Malgré de sérieux risques encourus, le professeur Stalla-Bourdillon a pu obtenir, temporairement, un rapport secret sur un produit à usage civil et militaire réalisé dans une usine bien gardée en Chine, grâce à un stratagème incluant une consœur, un ministre, le directeur de l’usine…et une rémunération ! En Afrique, informé par un ambassadeur, il a pu déverrouiller un blocage administratif par un don à une fondation, car à un certain niveau, « tout fonctionne les yeux fermés ». Au cours de ses voyages, il a constaté qu’en Chine il ne faut surtout pas utiliser les modes de raisonnement occidental. Ainsi, Google y est interdit, mais les étudiants peuvent y aller, grâce à leurs « VPN » qui camouflent leur identité en ligne. Dans les affaires, certaines limites peuvent être franchies à condition de bénéficier des bons réseaux d’influence. Certains pays tentent de manipuler l’Union européenne pour faire voter des lois en faveur de leurs entreprises en s’appuyant sur des rapports pseudo-scientifiques d’observatoires inconnus. Par ailleurs, l’État, gardien de l’intérêt général en France, arbitre entre plusieurs forces en Grande-Bretagne et aux États-Unis, où les « lobbies », légaux et même encouragés, sont considérés comme porteurs de messages de groupes. Chez eux, un marché de l’information sensible, coté en bourse, se développe comme le cuivre, le pétrole ou le gaz. Enfin, les services de renseignement étrangers et français suivent les affaires économiques.

Loïc Salmon

Intelligence économique et renseignement

Renseignement et intelligence économique : complémentarité et divergences culturelles




Armement : produire plus et plus vite en temps de guerre

Le soutien d’un effort de guerre dans la durée au profit des armées nécessite une visibilité pour les industriels et la sécurisation de leurs chaînes d’approvisionnement. L’économie « militaire » intervient avant, pendant et après un conflit comme celui de l’Ukraine.

L’économie de guerre a été présentée, le 9 février 2023 à Paris, par l’ingénieur général de 2ème classe Alexandre Lahousse, chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique à la Direction générale de l’armement (DGA, photo). L’économie militaire a fait l’objet d’une conférence organisée, le 22 novembre 2022 à Paris, par l’association 3AED-IHEDN avec la participation de Grégory Chigolet, conseiller économique du chef d’État-major des armées.

L’économie de guerre. Les conséquences du conflit en Ukraine confirment ce que prescrit la Revue nationale stratégique 2022 sur l’économie de guerre, indique l’ingénieur général Lahousse. Les capacités de production de systèmes d’armes, de munitions et de maintien en condition opérationnelle doivent évoluer pour répondre aux besoins d’un éventuel engagement dans un conflit majeur. En conséquence, la DGA, les armées et les industriels de défense ont défini cinq chantiers prioritaires. Le premier concerne les contrats de longue durée relatifs aux équipements de première nécessité. La future loi de programmation militaire (2024-2030) va offrir aux industriels une visibilité sur sept ans à partager avec les petites et moyennes entreprises sous-traitantes, en vue d’une montée en puissance conjointe. Le deuxième chantier porte sur l’analyse des besoins des armées, leur chiffrage et l’évaluation de l’impact en termes de délais et de coûts. Le niveau d’exigence sera réduit de 20 %, dès la conception du besoin, pour simplifier le travail des industriels avec un partage du risque avec l’État. Le troisième chantier porte sur la chaîne d’approvisionnement. Les délais de la sous-traitance représentent 50 % de ceux de la production. Or 4 % des 4.000 entreprises de défense, ne pouvant accélérer leur cadence, bloquent la chaîne. Des études de réponses adaptées sont en cours. Les dépendances étrangères seront limitées par la constitution de stocks de matières premières, la multiplication des sources étrangères et la relocalisation d’activités en France. Le quatrième chantier concerne la formation en compétences critiques, comme les métiers de soudeur ou d’ajusteur en mécanique. Un dialogue sera engagé entre les entreprises, les écoles de formation et le ministère de l’Éducation nationale. Enfin, le cinquième chantier porte sur l’accès des entreprises de défense aux financements privés. Outre la mise en place d’un réseau de référents bancaires français, des initiatives sont à l’étude au niveau européen.

L’économie militaire. Le Fonds monétaire international a évalué l’impact du conflit en Ukraine sur les produits intérieurs bruts : Ukraine, une baisse de – 35 % en 2022 contre une croissance de + 3,4 % en 2021 ; Russie, une baisse de – 3,4 % en 2022 contre une croissance de + 4,7 % en 2021. Selon Grégory Chigolet, le conflit coûte à l’Ukraine : une baisse de la production des céréales, minerais et produits transformés ; la destruction d’infrastructures industrielles et minières ; le transfert de la main-d’œuvre vers les armées au détriment de la production ; un délitement des relations commerciales avec la Russie et la Biélorussie : la désorganisation des exportations via la mer Noire. Face aux sanctions économiques, la Russie a accéléré la montée en puissance de la production locale, confisqué les outils de production des firmes étrangères partantes et réorienté ses partenariats commerciaux. Face aux attaques contre sa monnaie par l’épuisement de ses réserves de change et l’embargo sur ses exportations, elle a imposé le paiement en roubles de certains biens fondamentaux. Face aux obstacles de financement sur les marchés internationaux, elle a menacé de dérégler le système financier mondial.

Loïc Salmon

Défense : « Revue nationale stratégique 2022 »

Armement : gestion des stocks dans un conflit de haute intensité

Stratégie : les métaux « critiques », enjeux de sécurité pour les États-Unis et de puissance pour la Chine




Europe : vers une nouvelle stratégie énergétique

Le soutien apporté à l’Ukraine par les États de l’Union Européenne (UE) s’est manifesté par leur renoncement progressif au pétrole et au gaz russes. Or la Russie pèse lourd sur les secteurs du marché mondial de l’énergie.

C’est la perspective présentée par Nicolas Mazzucchi, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des questions énergétiques, au cours d’une conférence organisée, le 30 mars 2022 à Paris, par l’Ecole de guerre économique et les associations Jeunes IHEDN et Evolen Jeunes.

Position de force de la Russie. L’UE importe 26 % de son pétrole brut et 38 % de son gaz naturel de Russie. Cette moyenne masque de fortes variations selon les pays en fonction de la proximité géographique et de l’historique des relations bilatérales. Cela rend difficile une réponse unanime de l’UE. Alors que les Etats membres du Sud sont tournés vers la Libye et l’Algérie, ceux du Centre et de l’Est dépendent beaucoup de la Russie et parfois totalement, comme la République tchèque pour le gaz. Cette part, difficilement remplaçable dans l’immédiat, était justifiée par les logiques économiques d’un prix attractif et l’assurance d’un approvisionnement durable au vu des réserves. A partir des années 1990, les puits de la mer Caspienne et de la Sibérie ont pris le relais des plateformes de la mer du Nord, qui avaient dépassé leur pic de production. Le poids des ventes de matières premières dans le commerce de la Russie semblait garantir aux États clients une relation équilibrée d’interdépendance. Mais ces échanges restaient, comme le rappelle Nicolas Mazzuchi, à l’avantage du fournisseur car les besoins de ces derniers n’ont cessé de croître pour accompagner leur sortie du charbon. L’Allemagne, moteur de la croissance économique de l’UE, est, en 2019, le 3ème pays importateur mondial de gaz provenant à 60 % de Russie. Toute perturbation de ces flux pose un risque vital pour ces économies. Or, jusqu’à récemment, c’est à travers l’Ukraine qu’était acheminé la majorité du volume des hydrocarbures vendu à l’Ouest. De plus en plus opposée à l’ingérence du Kremlin, sa population a élu un gouvernement pro-européen après de la révolution « orange » de 2005. Celui-ci disposait donc d’un outil de pression sur son voisin par la menace d’une rupture du transit des hydrocarbures. Les guerres du gaz, qui ont suivies, ont justifié la construction d’un nouveau réseau de pipelines, via la mer Noire (Turkstream) ou la mer Baltique (Nordstram). Par ce contournement de l’Ukraine, Moscou a ainsi minimisé les conséquences d’une fermeture du robinet par Kiev, en cas de nouvelle crise politique.

Changer de fournisseur. Pour l’UE, la question se pose de remplacer 155 milliards de m3 de gaz russe avant le prochain hiver, dans un marché mondial déjà contraint. Elle préoccupe les clients européens de Gazprom depuis le 24 février 2022, date du déclenchement de « l’opération militaire spéciale » de la Russie en Ukraine. L’UE a annoncé sa volonté de réduire aux deux tiers ses achats d’ici un an. Pour réaliser cet objectif, la première solution consiste à se tourner vers un autre producteur, principalement en Asie centrale où se trouvent les 4ème, 13ème et 19ème réserves mondiales de gaz. Mais il s’agit aussi d’une zone enclavée et très liée à la Russie. Respectivement, le Turkménistan peut poser un gazoduc à travers la mer Caspienne, avec le risque certain d’un veto de la Russie, qui a un droit de regard en tant que riverain de cette mer intérieure. Les gazoducs du Kazakhstan en direction de l’Ouest transitent exclusivement par la Russie. L’Azerbaïdjan a la capacité d’augmenter la taille de ses tuyaux mais pas sa production, qui est en baisse depuis 2010. L’Iran pourrait, selon Nicolas Mazzuchi, tirer profit de la pénurie en Europe en obtenant contre son gaz une levée partielle de l’embargo, qui nécessite un accord préalable des Etats-Unis. Il reste l’option du gaz naturel liquéfié, fourni par les États-Unis ou le Qatar dont les prix sont 2,5 à 3,5 fois plus élevés. Leurs envois seraient cependant insuffisants en raison de la concurrence asiatique, qui représente 70 % de la demande mondiale. S’ajoute à cela le manque de terminaux de départ pour satisfaire cette brusque augmentation des commandes. Ces deux facteurs exigent des investissements, qui vont se répercuter sur un prix déjà élevé, alors même qu’il s’agit d’un sujet sensible pour les opinions publiques occidentales. Solution jusque-là évitée, le gaz de schiste présente l’avantage d’être exploitable en Europe mais au prix de dégâts environnementaux inacceptables, sauf à se retirer de l’accord sur le climat. La recherche en urgence de nouvelles sources d’approvisionnement aura donc un coût économique, politique ou environnemental.

Métaux et terres rares. Outre les énergies fossiles, la Russie est aussi un pays producteur de différents minerais et métaux rares. En réalité, c’est bien là que se situe la dépendance, toujours selon Nicolas Mazzuchi, car aucune sanction n’a été appliquée sur eux. Les États-Unis ont pu rompre rapidement leurs contrats de gaz avec la Russie, qui ne représentaient que 8 % de leurs besoins. Ils n’ont pas agi de même pour le titane utilisé dans l’industrie aéronautique, sauf à risquer la mise à l’arrêt de pans entiers de l’industrie civile et militaire. Sur le long terme, cette demande devrait se renforcer en raison des plans de transition énergétique consentis à la signature des accords de Paris en 2015. Les technologies de pointe qui permettront l’électrification de 50 % des besoins européens nécessitent des matériaux et des compétences, que la Russie est un des rares pays à posséder. La relance d’une filière nucléaire impliquera la construction d’un nouveau parc, alors que les seuls réacteurs de nouvelle génération au point sont les VVER 1200 de la société Rusatom. Les réacteurs EPR de Framatom et Siemens n’ont pas encore atteint le même stade de développement. Quant aux énergies renouvelables, les éoliennes et les panneaux solaires les exploitant demandent de nombreuses terres rares pour fabriquer leurs composants ou stocker l’électricité. Dans le détail, les 2.700 tonnes produites chaque année par la Russie paraissent minimes comparées aux 168.000 tonnes de la Chine. Mais la demande internationale est suffisamment forte pour permettre à la Russie de jouer un rôle de régulateur et donc de répondre aux sanctions qui lui ont été imposées par l’Occident.

Louis Lamiot

Les quatre premières puissances économiques de l’UE importent la quasi-totalité de leurs besoins en gaz et en pétrole. En 2019, selon l’Agence Internationale de l’Énergie, la France, l’Italie et l’Espagne n’effectuaient que 30 % de leurs achats de gaz en Russie et moins de 13 % pour le pétrole. L’Allemagne souffrirait beaucoup plus d’une rupture des contrats. La Russie couvre dans le même ordre 50 % et 36 % de ses besoins, sans compter un possible blocage des envois depuis le Kazakhstan. Fin avril 2022, elle a annoncé la suspension de ses livraisons de gaz à la Pologne, la Finlande et la Bulgarie. Depuis, elle a fortement réduit le débit vers l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. La France n’en reçoit plus depuis le 15 juin. A cette date, les réserves européennes de gaz se montent à 52 % des besoins.

Ukraine : soutiens OTAN et UE, sanctions contre la Russie

Ukraine : conflit reconfiguré et vu d’Asie et du Moyen-Orient

Russie : perception et premier bilan de la guerre en Ukraine




Ukraine : soutiens OTAN et UE, sanctions contre la Russie

Suite à l’attaque de la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022, la France, l’OTAN et l’Union européenne (UE) ont apporté leur soutien à cette dernière, sauf l’envoi de troupes au sol, et pris des sanctions économiques contre la Russie. L’Allemagne a décidé de se réarmer.

La France. Le 28 février, le président de la République, Emmanuel Macron, a demandé aux armées de faire preuve d’une « grande vigilance » et de la « retenue nécessaire lors des possibles interférences ». Il s’agit d’éviter un incident mal maîtrisé et mal interprété. En effet, depuis une décennie, les avions à long rayon d’action, les bâtiments de surface et les sous-marins russes fréquentent les zones d’intérêt français, près du territoire national, en Atlantique, en Méditerranée et en Manche. Depuis l’engagement direct de la Russie dans la guerre civile en Syrie en 2015, les bâtiments et aéronefs français engagés dans l’opération « Chammal » contre Daech en Irak se coordonnent avec les autres unités militaires sur zone pour éviter des situations à risque élevé. En Afrique, des sociétés militaires privées, dont Wagner (russe) que Moscou ne reconnaît pas officiellement, sont présentes en Centrafrique et au Mali, où sont engagées les forces armées françaises. Par ailleurs, selon le ministère des Armées, dès le début du conflit russo-ukrainien, la France a livré à l’Ukraine des casques, gilets pare-balles et appareils de déminage. D’autres équipements à vocation défensive, létaux et non létaux, seront prochainement livrés. Entre 2011 et 2020, la France a conclu avec l’Ukraine des contrats d’armements d’un montant de 124 M€ et incluant 20 patrouilleurs garde-côtes, en service en mer Noire, et des missiles défensifs à très courte portée pour les corvettes ukrainiennes. La France, qui préside le Conseil de l’UE pour le premier semestre 2022, se félicite de la décision de l’UE de financer des équipements militaires pour l’Ukraine jusqu’à 500 M€ (voir plus loin).

L’OTAN. Le 25 février, le président de la République a annoncé le renforcement de la présence militaire de la France sur le flan Est de l’OTAN. Le déploiement, déjà prévu, d’avions de chasse dans les Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) sera accéléré et renforcé à des fins de protection et de défense. Depuis le 24 février, des patrouilles parties de France, assurent la défense aérienne du territoire polonais. Dès la mi-mars, 4 Mirage 2000-5 et une centaine de personnels de l’armée de l’Air et de l’Espace seront déployés en Estonie ainsi que 200 militaires d’un sous-groupement terrestre aux côtés des détachements danois et britannique. En Roumanie, la France va projeter un premier groupement tactique interarmes d’environ 500 militaires, issu du bataillon « Spearhead » de la Force à très haut niveau de réactivité de l’OTAN, actuellement commandée par la France. En effet, le Commandement suprême des forces alliées en Europe a demandé d’y déployer le bataillon «Spearhead ». La France s’est engagée à y tenir le rôle de nation-cadre. Déjà, depuis 2014, à la suite de l’annexion russe de la Crimée, non reconnue par la communauté internationale, les forces armées françaises participent à des missions de réassurance. Dans le cadre de la « présence avancée renforcée », un détachement de 300 militaires, de chars Leclerc et de véhicules blindés de combat d’infanterie, présent en Estonie depuis plus d’un an, est, alternativement, intégré à un bataillon britannique en Estonie et à un bataillon allemand en Lituanie. Dans les Etats baltes, la France contribue régulièrement à la police du ciel avec des avions de chasse, de guet aérien AWACS et de surveillance maritime pour des missions de surveillance et de renseignement. Elle envoie régulièrement des moyens navals en mer Noire, dont la frégate multi-missions Auvergne en janvier 2022. Par ailleurs, elle contribue à la sécurité aux abords de l’Europe par le déploiement du groupe aéronaval en Méditerranée et la participation à l’exercice « Naval 22 » en Norvège. Suite à un dialogue amorcé après l’effondrement de l’URSS en 1991, l’OTAN a accru son soutien au développement de l’Ukraine à partir de 2014 et a renforcé sa présence en mer Noire. Elle a ainsi intensifié sa coopération maritime avec l’Ukraine et la Géorgie, dont les provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud ont proclamé leur indépendance que la Russie a reconnue en 2008. En 2017, le Parlement ukrainien a adopté une loi portant sur l’adhésion à l’OTAN, objectif de politique étrangère et de sécurité inscrit dans la constitution en 2019.

Les sanctions économiques. Selon le Groupe d’études géopolitiques, au 26 février 2022, Biélorussie, Syrie, Birmanie et Venezuela ont soutenu l’intervention russe en Ukraine. Tous les pays occidentaux l’ont condamnée. Le 2 mars, l’assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution déplorant « l’agression » de la Russie et exigeant le retrait immédiat de ses forces armées : 141 votes pour ; 5 votes contre (Russie, Biélorussie, Erythrée, Corée du Nord et Syrie) ; 35 abstentions. Le 26 février, selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, les pays occidentaux ont décidé d’exclure de nombreuses banques russes, y compris la Banque centrale, de la plateforme interbancaire Swift, pour réduire le financement de la guerre en Ukraine. Swift permet le transit des ordres de paiement entre banques, de transfert de fonds, d’achat et de vente de valeurs mobilières. Selon l’association nationale russe Rosswift, la Russie en est le 2ème utilisateur après les Etats-Unis avec environ 300 banques et institutions, soit plus de la moitié de ses organismes de crédit. Toutefois, Moscou met en œuvre ses propres infrastructures pour les paiements (carte bancaire Mir), la notation (agence Akra) et les transferts (système SPFS). Le Conseil européen a décidé de geler les avoirs du président Vladimir Poutine, du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, des membres du Conseil national de sécurité et des députés russes ayant soutenu la reconnaissance des républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk en Ukraine. D’autres sanctions portent sur les finances, l’énergie, les transports, la technologie et les visas. La Suisse, qui a endossé toutes les sanctions prises par l’UE, a gelé les avoirs, estimés à 21,4 Mds$, de riches hommes d’affaires russes. Environ 80 % du négoce de pétrole et de gaz russes se fait en Suisse. Le 2 mars, l’Allemagne a abandonné le projet de gazoduc Nord Stream 2, long de 1.230 km en mer Baltique, la reliant à la Russie et propriété du groupe russe Gazprom.

Les conséquences militaires induites. Le 27 février, Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a annoncé une aide de 450 M€ à l’Ukraine pour l’achat d’équipements militaires létaux, dont des avions de chasse, et une autre de 50 M€ pour des matériels non létaux. L’Allemagne va livrer 1.000 lance-roquettes et 500 missiles sol-air à l’Ukraine. Elle a augmenté immédiatement son propre budget militaire de 100 Mds€ et l’accroîtra chaque année, afin qu’il dépasse 2 % de son produit intérieur brut. La construction des futurs chars et avions de combat avec les pays de l’UE, dont la France, devient une « priorité absolue », selon le chancelier Olaf Scholtz.

Loïc Salmon

Union Européenne : présidence française, les enjeux de défense

OTAN : la France a repris toute sa place sur le plan opérationnel

Union européenne : la sécurité et la défense après le « Brexit »




KGB-DGSE

Russes ou français, les agents de renseignement acquièrent la même façon de penser et s’intéressent, en priorité, au pillage économique et technologique des pays en pointe. Le reste de leurs tâches s’apparente au travail des diplomates.

Deux anciens officiers traitants (OT), en service des années 1970 à la chute de l’URSS en 1991, l’expliquent sous forme de dialogue. A sa grande époque, le KGB soviétique compte 420.000 personnels, dont la moitié garde les frontières, une bonne partie assure la police politique et seulement 10.000 gèrent le renseignement extérieur sur l’ensemble du monde. Avec un budget dix fois inférieur, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) concentre les efforts de ses 2.500 personnels sur les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne, mais aussi les anciennes colonies françaises pour le renseignement politique. D’une façon générale, le recueil de renseignement porte d’abord sur les sources « ouvertes » : presse spécialisée ; documentations professionnelles ; publications universitaires ou de recherche ; études à diffusion restreinte accessibles dans les bibliothèques d’universités ; interventions dans les colloques et congrès. Viennent ensuite les sources secrètes, à savoir documents internes d’entreprises, de laboratoires, d’institutions ou de ministères. Ce renseignement d’origine humaine concerne rarement des directeurs, ingénieurs ou cadres haut placés, car rapidement identifiables par les services de contre-espionnage adverses en cas de fuite. Or, de bons analystes de sources ouvertes peuvent arriver aux mêmes conclusions que ceux travaillant sur les renseignements confidentiels recueillis…par les OT, qui récoltent aussi du renseignement d’ambiance, très apprécié. Les procédures de transmission ou d’espionnage varient selon la « culture » des services. Ainsi, l’OT du KGB dispose d’un émetteur radio compressant des données transmises en une seconde, quand il passe devant l’ambassade soviétique. La DGSE utilise des « canons spéciaux » qui captent les vibrations de la voix à travers les murs. En URSS, des micros directionnels peuvent écouter des conversations à l’extérieur jusqu’à 500 m. Fort de l’appui des partis communistes locaux, le KGB utilise, dans les années 1950 et 1960, des « agents d’influence » dans les milieux politiques, intellectuels et artistiques des pays capitalistes. Il s’agit souvent de personnalités haut placées, plus ou moins conscientes ou même qui ne se rendent pas compte de la manipulation. De son côté, la DGSE recourt aussi à des « agents inconscients » de la mouvance soviétique, qui servent à faire passer des messages dans certains milieux ou à obtenir du renseignement mais jamais pour la propagande. Tout agent du KGB en mission extérieure doit surveiller les Soviétiques en poste à l’étranger ou des ressortissants ayant émigré partout dans le monde. Toutefois, il ne peut réaliser une opération criminelle qu’avec l’autorisation du Bureau politique ou du secrétaire général du Parti communiste soviétique. Le service action de la DGSE est soumis aux mêmes contraintes politiques. Dans les années 1970, les dirigeants soviétiques cessent de croire à la révolution communiste mondiale. L’agitation dans les pays occidentaux, par l’intermédiaire de groupuscules « gauchistes » soutenus par les pays satellites, devient gênante lors de l’entrée dans une période de coopération économique. Aujourd’hui, le FSB russe a pris la relève du défunt KGB.

Loïc Salmon

 KGB-DGSE », Sergeï Jirnov et François Waroux. Mareuil Éditions, 204 pages. 19 €

Renseignement : la DGSE souhaite être connue

James Bond n’existe pas

Dictionnaire renseigné de l’espionnage




Marines : le salon Euronaval 2020, uniquement en ligne

Malgré la pandémie du Covid-19, l’édition 2020 d’Euronaval, salon international de l’industrie navale, a été maintenue, via internet, du 19 au 25 octobre 2020 à Paris-Le-Bourget.

Euronaval a été inauguré le 19 octobre par : Florence Parly, ministre des Armées ; Joël Barre, délégué général pour l’Armement ; l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine ; Hervé Guillou, président d’Euronaval et du Gican (Groupement des industries de construction et activités navales). Ce dernier a présenté le contexte, au cours d’une visioconférence de presse le 14 octobre 2020, avec Hughes d’Argentré, directeur général d’Euronaval online.

Incertitude sur l’industrie navale. Le Gican regroupe 197 industriels français, dont 65 % de petites et moyennes entreprises (PME), 25 % d’entreprises de taille intermédiaire, 10 % de grands groupes et 12 startups, rappelle son président. Il a réalisé un chiffre d’affaires de 12,3 Mds€ en 2019 (+ 9 % en un an), dont 6,5 Mds€ pour la défense (près de 50 % à l’export), soit la moitié des exportations d’armement. Les activités civiles ont totalisé 5,8 Mds€, dont 95 % à l’export. L’industrie navale a assuré 48.100 emplois directs (47.000 en 2018). Ce progrès s’explique par la loi de programmation militaire 2019-2025 (LPM), garantissant un plan de charge satisfaisant dans les chantiers français, et le succès à l’exportation avec les grands contrats en Australie, Belgique, Pays-Bas, Egypte, Emirats arabes unis, Brésil, Inde et Malaisie. La crise du Covid-19 a marqué un arrêt brutal dans la production industrielle et les contacts commerciaux. Pourtant, la capacité de résilience des industriels a permis à la Marine nationale et ses partenaires étrangers de poursuivre leurs missions. Toutefois, la difficulté de se déplacer se répercute sur l’exportation, alors que les concurrents restent actifs. S’y ajoute le décalage ou l’annulation des programmes, où les industriels français étaient en bonne position. Le manque de liquidités affecte les PME, malgré le soutien massif du gouvernement français qu’il faudra rembourser. Cette fragilité financière de PME stratégiques engendre un risque d’offres publiques d’achat agressives émanant de groupes étrangers. Environ 5-10 % des commandes perdues ou suspendues aujourd’hui auront un impact sur le plan de charge de demain ou d’après-demain et donc sur l’emploi. A court terme, les commandes de la LPM permettront de sécuriser la situation et, à moyen terme, celles à l’export. A long terme, l’investissement portera sur les grands projets comme le sous-marin nucléaire de 3ème génération. Dès le 14 mai, le Gican avait lancé un plan de relance avec 50 propositions autour de 4 axes : commandes par l’accélération de la LPM ; transformation de l’offre par l’innovation ; politique industrielle ; soutien de l’Etat à l’export par le biais de la Direction générale de l’armement et l’organisme Business France. S’y ajoutent le maintien des crédits de maintien en condition opérationnelle et les prestations de maintenance avec le Service de soutien de la flotte. Les « études amont » nécessitent un effort constant pour conserver l’avance technologique et créer le navire du futur, plus efficace sur le plan énergétique et plus « intelligent » grâce à l’innovation par un dialogue constant entre les secteurs militaire et civil.

Euronaval on line. Selon Hughes d’Argentré, l’Euronaval numérique rassemble 300 exposants et 70 délégations officielles. Il inclut visites de stands, vidéos de personnalités, conférences, ateliers et tables rondes ainsi que des entretiens « BtoB » (industriels) et « BtoG » (délégations).

Loïc Salmon

Marine nationale : SNA Suffren, campagne d’essais à la mer

Défense : budget 2021, commandes et livraisons

Economie : préserver les savoir-faire des entreprises de défense




Covid-19 : conséquences stratégiques pour l’UE et le Sud de la Méditerranée

La pandémie du Covid-19 a entraîné une crise sanitaire et économique pour l’Union européenne (UE) et fait cesser, temporairement, les mouvements sociaux au Proche-Orient et au Maghreb.

Olivier de France et Didier Billion, chercheurs à l’Institut de relations internationales (IRIS), l’ont expliqué au cours d’une visioconférence organisée, le 15 septembre 2020 à Paris, par l’IRIS.

L’Union européenne. Outre son rôle commercial, l’UE va devoir construire son propre modèle et devenir un acteur géopolitique, estime Olivier de France. Ses membres sont déjà parvenus à se mettre d’accord sur un budget commun. Leurs approches diverses lui permettent de comprendre les événements différemment, en vue de créer une valeur ajoutée. Il s’agit d’enclencher une dynamique pour réduire sa dépendance militaire et technologique à l’égard des Etats-Unis et sa dépendance sanitaire vis-à-vis de la Chine. Auparavant, elle va devoir traiter les conséquences stratégiques du « Brexit ». Ce dernier va toucher directement la population britannique par le chômage et les faillites d’entreprises, au-delà des lourdes pertes de points de produit intérieur brut au niveau national. Les conservateurs britanniques espèrent que ces perspectives seront occultées par les conséquences de la pandémie du Covid-19. S’appuyant sur le droit international, l’UE doit négocier avec un Etat qui « détricote » l’accord de sortie, qu’il a signé un an auparavant. Cette recherche de l’intérêt à court terme discrédite la parole de la Couronne britannique, souligne Olivier de France. Désormais, l’UE se trouve face à deux capitalismes : l’un, « populiste » incarné par Londres et l’administration Trump à Washington, l’autre, « autoritariste » par Pékin. L’UE va devoir définir et défendre ses propres intérêts et non plus réagir en fonction de ce que dit Londres, Washington ou Pékin. Elle ne présente pas encore d’approche commune dans la gestion des relations internationales. Ainsi, le différend chronique, qui oppose la Grèce et la Turquie en mer Egée, ne devrait pas déboucher sur un affrontement militaire, mais des incidents sont à craindre. Face à Ankara, Paris choisit le rapport de force par l’envoi d’avions et de navires militaires, tandis que Berlin préconise la négociation. La présence d’une importante communauté turque en Allemagne n’y est sans doute pas étrangère. Par ailleurs, la guerre des prix du pétrole entre l’Arabie saoudite et la Russie ne le remet pas en question, car 93 % de la consommation mondiale en énergie est constituée de produits fossiles, précise Olivier de France.

Le Sud de la Méditerranée.  Suite tardive du printemps arabe de 2011, mouvements sociaux et revendications des processus démocratiques se sont déclenchés au Soudan, en Algérie et au Liban en 2020, rappelle Didier Billion. Le Covid-19 les a interrompus, mais ils peuvent resurgir. Selon les chiffres officiels et en raison de la jeunesse de leur population, le nombre de contaminations par million d’habitants reste inférieur à ceux d’Amérique latine et d’Europe occidentale. Le Covid-19 a plus touché l’Iran, déjà affaibli par les sanctions économiques américaines. La forte abstention aux élections législatives de 2020 a provoqué une poussée conservatrice. Par ailleurs, l’accord entre Israël, Bahreïn et les Emirats arabes unis, signé le 15 septembre à Washington, reconfigure le Moyen-Orient. Selon Didier Billion, il favorise la politique d’annexion d’Israël et complète le plan Trump, conçu pour être refusé par les Palestiniens, qui se trouvent encore plus isolés.

Loïc Salmon

Covid-19 : conséquences stratégiques en Asie

Grande-Bretagne : sécurité et défense après le « Brexit »

Iran : Covid-19, sanctions américaines et ambiguïtés sur le nucléaire militaire




Economie : préserver les savoir-faire des entreprises de défense

Dans le cadre du plan de relance gouvernemental consécutif à la pandémie du Covid-19, la Direction générale de l’armement (DGA) soutient la Base industrielle et technologique de défense (BITD), constituée d’entreprises actives dans les secteurs militaire et civil et très dépendantes de l’exportation.

Cette assistance de l’Etat a été présentée à la presse le 3 septembre 2020 à Paris par : l’ingénieur général de l’armement Vincent Imbert (photo) pour le cadre global des actions du ministère des Armées ; l’ingénieur de l’armement, chef du bureau du développement des petites et moyennes entreprises, de l’action régionale et du soutien à l’export au sein du Service des affaires industrielles et de l’intelligence économique, pour le dispositif et les mesures de soutien ; Franck Poirrier, président-directeur général de l’entreprise SODERN qui en a bénéficié ; Hervé Grandjean, conseiller de la ministre des Armées pour les affaires industrielles, pour le plan de relance gouvernemental.

Le dispositif de sauvegarde. La crise sanitaire du Covid-19 n’a pas remis en cause les besoins des armées, contrairement aux transports et au secteur civil, souligne l’ingénieur général Imbert. La BITD, qui concourt à la conception, au développement, à la production et au maintien en condition opérationnelle des systèmes d’armes, emploie environ 200.000 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 17 Mds€/an. Elle regroupe des grands maîtres d’œuvres industriels et donneurs d’ordres comme Thales (électronique), Dassault (aéronautique), Airbus (aéronautique), Nexter (matériels militaires), Safran (aéronautique et espace) et MBDA (missiles) ainsi que 4.000 entreprises de tailles moyenne, intermédiaire et petite, dont plusieurs centaines exercent des activités stratégiques ou critiques. La crise sanitaire a eu pour conséquences : le ralentissement des commandes ; la mise en place de mesures de sauvegarde spécifiques à chaque entreprise avec un impact sur les sous-traitants les plus fragiles ; des capacités de production limitée pendant plusieurs mois ; l’indisponibilité des pièces ; la fermeture d’entreprises ; le ralentissement des exportations. En outre, alors que la France a décrété le confinement, l’Autriche, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ont laissé leurs entreprises d’armement poursuivre leurs activités. En conséquence, début mai, le ministère des Armées a mis en place une « Task Force » de sauvegarde de la BITD, après avoir recueilli des informations auprès des fédérations professionnelles GICAN (construction et activités navales), GIFAS (aéronautique et espace) et GICAT (équipements terrestres et aéroterrestres). Ce dispositif réunit des correspondants de la DGA, de la Direction générale des entreprises, de l’Agence des participations de l’Etat, du Service de l’information stratégique et de la sécurité économique, du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies et enfin de la Banque publique d’investissements. Parmi les mesures d’aides aux petites et moyennes entreprises, figure le dispositif RAPID pour les entreprises de moins de 2.000 salariés. Il permet d’obtenir des commandes directes de prestations ou des attributions de subventions de soutien à l’innovation, afin de produire un effet immédiat sur le maintien de l’activité. Le ministère des Armées soutient le développement des petites et moyennes entreprises au moyen d’une participation durable à leur capital par le biais du fonds d’investissement Def’Invest, doté initialement de 50 M€ sur cinq ans, ressource portée à 100 M€. La situation pouvant évoluer en octobre et novembre, la Task Force restera en service au moins jusqu’à la fin de l’année pour pallier toute nouvelle situation d’urgence. Enfin, l’avenir se prépare en imaginant les emplois de demain et les performances de systèmes d’armes.

L’exemple de SODERN. Franck Poirrier a témoigné que l’aide de l’Etat a permis à la société SODERN, qu’il dirige, de sortir de la crise. Spécialisée dans le domaine spatial, cette entreprise emploie 450 personnes, dont 120 recrutées au cours des trois dernières années, et a réalisé un chiffre d’affaires de 76 M€ en 2019. Filiale d’ArianeGroup, elle figure parmi les leaders mondiaux de la production des « viseurs d’étoiles », qui permettent notamment aux missiles intercontinentaux M51 des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de s’orienter dans l’espace. En outre, le tiers des satellites actuellement en orbite sont équipés de viseurs d’étoiles. SODERN participe également à des programmes scientifiques d’exploration spatiale pour la NASA (planète mars) et l’Agence européenne de l’espace (planète Jupiter). Cette activité perdure tant que ses bureaux d’études inventent dans la technologie de pointe, grâce à un auto-investissement dans la recherche de l’ordre de 6-7 % du chiffre d’affaires. Cela nécessite de l’argent frais sinon SODERN risque de quitter le marché civil, qui représente 60 % à 70 % de son chiffre d’affaires. Or la crise a asséché sa trésorerie, qui a été renflouée par une subvention de 1 M€. L’intervention de la DGA a permis à SODERN d’éviter la faillite à court terme et de préparer les produits technologiques de demain sur un, deux ou trois ans, en vue de rester en tête au niveau mondial.

Le plan de relance pour les armées. Le plan gouvernemental de relance prévoit 110 Mds€ d’investissement pour le ministère des Armées pour les années 2019-2023, conformément à la loi de programmation 2019-2025, indique Hervé Grandjean. Le financement à court terme des trésoreries d’entreprises en difficultés est assuré par des prêts bancaires garantis par l’Etat. Le soutien à l’export se fait en lien avec les ambassades, afin de faire pression sur les clients en arriérés de paiements. Dans le respect de la loi de finances 2020, trois Airbus A330 de transport stratégique ont été commandés par anticipation. Un budget de 60 M€ est dédié à de futurs appels d’offres dans le domaine spatial militaire : télécommunications (système Syracuse 4 C pour 2028) ; observation ; contre-mesures de brouillage pour la navigation de systèmes par satellite. Le ministère des Armées peut concrétiser rapidement des projets, en vue de sauver des emplois au sein de la BITD.

Loïc Salmon

De mai à août 2020, la Direction générale de l’armement a réalisé une cartographie des entreprises critiques de défense, puis a évalué les conséquences de la crise du Covid-19 sur la poursuite de leur activité. Selon l’ingénieur chef du bureau du développement des petites et moyennes entreprises, elle a ensuite mobilisé 90 agents sur tout le territoire pour interroger les dirigeants de 1.236 entreprises sur leur situation et leur demander de remplir un questionnaire, dont les données ont été évaluées par une équipe de 15 agents du ministère des Armées à Paris. Sur les 792 retours obtenus, 92 entreprises ont été aidées, dont 80 % de tailles moyenne intermédiaire et petite. Parmi elles, 47 sont considérées comme des « chantiers de remédiation achevés », c’est-à-dire qu’elles ont gagné quelques mois de répit en réalisant les travaux les plus urgents. Par filières, il s’agit de 35 % des entreprises actives dans l’aéronautique, 19 % dans l’électronique, 16 % dans l’industrie navale ; 14 % dans les équipements terrestres, 11 % dans les missiles ; 11 % dans l’espace.

Défense : les industriels pendant la crise du Covid-19

Economie : les PME de défense, la crise du Covid-19 et après

Armement : baisse des exportations françaises en 2019




Economie : les PME de défense, la crise du Covid-19 et après

Malgré les conséquences de la crise du Covid-19, les petites et moyennes entreprises (PME) de défense disposent d’une trésorerie suffisante jusqu’à l’automne. Ensuite, elles devront obtenir des commandes de l’Etat pour survivre.

C’est ce qui ressort d’une visioconférence-débat organisée, le 20 mai 2020 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et animée par Hélène Masson, maître de recherche. Y sont intervenus : Jean Belin, maître de conférence à l’Université de Bordeaux ; Thierry Gaïffe, président du Groupe Elno, spécialisé dans les systèmes audio et technologies électro-acoustiques pour la défense, la sécurité, le transport, l’aéronautique et l’industrie ; Pascal Lagarde, directeur exécutif de BPI France (Banque publique d’investissement pour les entreprises).

Précarité contenue. Une PME réalise un chiffre d’affaires (CA) annuel inférieur à 30 Md€ avec 200-250 personnes, rappelle Jean Belin. Celles liées à la défense se caractérisent par un personnel hautement qualifié et une intense activité en recherche et développement (R&D), bien essentiellement immatériel, facteur de performance à l’export et créateur de richesse, mais qui coûte très cher. Or, les délais de paiement de l’Etat sont très longs et les financements externes plus difficiles à obtenir, en raison de leur faible rentabilité et des risques. La crise due au Covid-19, la plus importante depuis 1945, s’est répercutée sur leur activité et leurs recettes. A partir du 17 mars, indique Thierry Gaïffe les effectifs des PME de défense se sont répartis en un tiers actif sur place, un tiers en télétravail et un tiers absent (chômage partiel, contamination Covid-19 ou garde d’enfants). Depuis le 11 mai, la proportion est passée à un quart d’absents et trois quarts en activité, dont 50 % en télétravail. L’export (moitié du CA) et les achats de fournitures aux pays asiatiques, du Maghreb et d’Europe de l’Est ont subi la fermeture des frontières. Outre les mesures étatiques (chômage partiel, report des échéances et assurance-crédit), quelque 1.500 PME bénéficient de l’assistance de la Direction générale de l’armement, avec l’ouverture d’une ligne directe par téléphone et courriel. De plus, l’Agence de l’innovation de défense (AID) finance 40 projets sur le Covid-19. Suite à l’arrêt de l’économie pendant deux mois, l’Etat a apporté une garantie de prêts bancaires de 300 Mds€, indique Pascal Lagarde. Connecté aux banques, BPI en valide les frais techniques et a mis en place des plateformes régionales pour l’obtention de prêts de petits montants.

Attractivité à relancer. Environ 95 % des PME de défense travaillent avec 7 grands maîtres d’œuvre, indique Thierry Gaïffe. Le plan de relance de la DGA vise à préserver la base industrielle et de technologique de défense. L’ensemble de la gestion de la chaîne logistique devra être renouvelée. Les méthodes de travail se trouvent modifiées par la crise du Covid-19. Par ailleurs, estime Pascal Lagarde, le plan de relance devra porter sur le financement à long terme et le soutien méthodologique pour s’adapter au changement climatique. Faute de création de très petites entreprises, l’industrie et la R&D devront élever leurs niveaux de numérisation. L’AID s’intéresse à toutes les entreprises présentant un intérêt pour les armées, notamment la cybersécurité. L’investissement en R&D doit être maintenu, souligne Jean Belin, car la réactivation d’un projet suspendu prend des années. Il faut aussi des « fonds duaux », car les PME de défense développent des technologies civiles (espace et intelligence artificielle) avec des retombées pour les armées.

Loïc Salmon

Défense : les industriels pendant la crise du Covid-19

DGA : valoriser l’audace et l’innovation de terrain

Défense : l’AID, interlocutrice des porteurs d’innovation




Armée de Terre : retours d’expériences et interculturalité

Le monde militaire et celui des entreprises multinationales, confrontés tous deux à l’interculturalité, y adaptent leur formation en permanence.

Cette question a été abordée au cours d’un colloque organisé, le 27 novembre 2019 à Paris, par l’Etat-major spécialisé pour l’outre-mer et l’étranger. Y sont notamment intervenus : le général de corps d’armée Patrick Destremau, directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et de l’Enseignement militaire supérieur ; Alain Juillet, président de l’Académie d’intelligence économique ; Pascal Monpetit, consultant international ; Marie Serre, anthropologue.

Les enjeux stratégiques. L’interculturalité se trouve au cœur de nos pratiques et engagements, où la connaissance de l’autre accroît l’efficacité, souligne le général Destremau. Reconnaître la particularité d’un point de vue différent du nôtre constitue un avantage. Ainsi, par le dialogue entre civils et militaires, l’IHEDN intègre les différences, constantes et régularités pour saisir la relativité de son propre point de vue. Il favorise les échanges entre les cultures des secteurs privé et public, entreprises, administrations, associations et mouvements politiques qui s’ignorent. La règle de « Chatham House » (échange d’informations sous réserve d’un anonymat total) permet de découvrir un monde inédit et de travailler ensemble dans un but commun. Les différentes cultures déterminent des manières de vivre et d’agir, qui ne se réduisent pas aux différences des religions. Les spécificités d’un ministère font prendre conscience de la nécessité de l’action interministérielle. Dans le domaine académique, l’interdisciplinarité, indispensable pour la crédibilité, apparaît difficile à mettre en œuvre. Il s’agit de rapprocher des mondes, qui habituellement ne se parlent pas. La prospective de défense globale nécessite de connaître la situation internationale, enjeu majeur de la culture stratégique. La thèse de l’autonomie stratégique européenne recourt à l’interculturalité pour transcender les particularités de chaque pays, en vue d’une défense commune. Un accord sur les moyens nécessite de s’entendre pour garantir l’indépendance. L’erreur de l’Union européenne a été de construire l’Europe des marchés et non celle des citoyens. Dans la perspective d’une défense européenne, la France doit comprendre les perceptions qu’elle suscite. Face à l’internationalisation des confrontations, la diplomatie recherche les coopérations pour ajuster les forces, afin de résoudre les conflits. Les opérations interalliées se trouvent au cœur des engagements diplomatiques et de la réflexion stratégique. L’intérêt commun exige un lien solidaire pour conduire une opération en commun sur la base d’une culture stratégique commune. Cela implique agilité, souplesse et adaptation aux circonstances, car l’art de la guerre ne se réduit jamais à une mécanique.

Les « multinationales ». Les grands groupes, qui absorbent des entreprises dans le monde entier, doivent en fédérer les personnels, pour les faire adhérer à des objectifs qui n’étaient pas les leurs, explique Alain Juillet. Ils y parviennent par : des objectifs partagés et non pas imposés ; l’expertise des salariés ; un regard objectif sur l’entreprise rachetée. L’alliance entre Volvo (Suède) et Renault (France) a échoué en 1993 dans sa tentative de constituer un constructeur automobile de taille mondiale, en raison des comportements trop différents des personnels. Il convient de connaître l’histoire de l’autre pour bâtir une histoire commune, par exemple un dirigeant génial ou une spécialité unique. L’emploi d’une langue de travail commune, en général l’anglais, facilite la qualité des échanges. Or il semble difficile d’imposer l’anglais dans les grandes entreprises françaises. L’altérité (« aimer l’autre ») consiste à respecter chaque salarié, pour qu’il croit avoir une perspective de carrière par une égalité de traitement. Mais souvent, le recrutement de dirigeants par leur origine commune provoque la perte de cadres moyens très compétents…qui partent avec leur expertise ! La solution passe d’abord par l’apprentissage du travail en groupe, souligne Alain Juillet. En France, le classement de sortie d’une grande école crée des rangs qui ont tendance à se maintenir à vie. Aux Etats-Unis et en Chine, les cadres sont jugés sur leur capacité à travailler en groupes interchangeables. Pour une mission donnée, des personnels issus de différents services et métiers sont regroupés pour partager réflexions et résultats. Avant une expatriation, les cadres et leur famille devraient suivre une formation spécifique sur le pays d’accueil pour en connaître les codes. Par exemple, au Japon, la décision au sein d’une entreprise part d’en bas, alors qu’elle vient d’en haut aux Etats-Unis. Dans l’ensemble, lors de négociations, les Extrême-Orientaux disent toujours « oui » pour ne pas perdre la face. Le chef ne parle pratiquement pas, pour ne pas se trouver en porte à faux avec ses subordonnés. L’astuce consiste alors à demander une suspension de séance, au cours de laquelle les interprètes respectifs se concertent sur la signification réelle du « oui » à la question posée. Seule une bonne culture locale permet de bien comprendre ses interlocuteurs. Il s’agit de créer, par la formation, une communauté de valeurs pour fédérer des gens de cultures d’entreprise différentes. Enfin, l’absence de respect des spécialistes peut entraîner des problèmes internes considérables et conduire à la disparition d’entreprises.

Les défis interculturels. Les entreprises multinationales doivent adapter leur manière de communiquer et bien comprendre le processus de décision, estime Pascal Monpetit. En matière de communication, celle-ci apparaît conflictuelle et de façon explicite en Russie et implicite en France. Elle prend une forme d’évitement et de façon explicite aux Etats-Unis, mais implicite en Chine et en Suède. Au sein d’une entreprise, la décision se prend en équipe aux Etats-Unis, au niveau des spécialistes au milieu de l’organisation en Allemagne et au Japon, par une cascade de délégations en France et de façon autocratique en Russie… qui n’a pu créer d’entreprise multinationale en 30 ans !

Loïc Salmon

L’interculturalité nécessite un travail sur soi pour rencontrer l’altérité, explique Marie Serre (photo). Il existe un décalage dans le temps entre l’identité (moi) qui s’oppose à l’altérité (eux) et ne partage pas la même vision du monde ni le jeu des rapports sociaux de classe et de race (fait historique). De la représentation de l’autre et de soi s’ensuit une inégalité dans les relations internationales, où les objectifs peuvent diverger ou converger. L’ethnocentrisme privilégie les codes et croyances du groupe d’appartenance. Sa déconstruction, qui change le mode de pensée, implique de réfléchir à des questions comme « Pourquoi je pense ça ? », « Pourquoi j’agis comme ça ? » ou « Pourquoi je ressens ça ? ». Le dialogue permet de coopérer par le partage de croyances et d’expériences. Trop peu d’informations conduit à remplir les caractéristiques manquantes à partir de stéréotypes, généralités et préjugés personnels. Mais trop d’informations concentre l’attention sur les détails qui confirment les croyances antérieures.

Armée de Terre : opérations et relations internationales

Défense : se réapproprier la question militaire

Sûreté : élément stratégique des entreprises internationales