La guerre : phénomène social et politique

La guerre est un comportement social pour régler un problème politique, estime Caroline Galactéros-Luchtenberg, directeur de séminaire à l’Ecole de guerre et auteur du livre « Manières du monde, manières de guerre ». Elle s’en est expliquée au cours d’un débat avec le général de division (2S) Vincent Desportes, professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris et ancien directeur de l’Ecole de guerre.

Ce débat a été organisé, le 26 juin 2013 à Paris, par des auditeurs de la 59ème session nationale de l’Institut des hautes études de défense nationale. Le livre « Manières du monde, manières de guerre » dresse un parallèle entre l’évolution du monde et la façon dont les nations conduisent les guerres depuis la chute du mur de Berlin (1989) et l’accès généralisé à internet. De son côté, le général Desportes met en garde contre deux fantasmes : celui de la toute puissance militaire et stratégique, fondée sur la technologie, et l’assimilation de la puissance à l’information dominante. « La guerre de destruction à outrance ne peut produire un succès politique ». Par ailleurs, l’invasion de l’information dans les sphères civile et militaire a démontré « la réversibilité des points de vue politiques et la perte de l’aura morale obtenue par l’emploi de la force pour des raisons louables ». Dans son livre, Caroline Galactéros-Luchtenberg dénonce les références anglo-saxonnes devenues les normes en matières économique et comportementale pour deux raisons : l’application du rapport de force militaire ou de la menace de son usage comme moyen de pression ; le « soft power » américain, « dont les pratiques de lobbying culturel, politique, économique et juridique se sont progressivement imposées comme les standards naturels de l’évolution souhaitable à l’échelle planétaire ». Au cours du débat, elle déclare que, dans un monde où tout se voit et tout se sait,  il s’ensuit  « un vide de légitimité, un discrédit moral en croyant qu’on va tout régler avec la technologie », notamment par la guerre essentiellement aérienne que privilégient les Etats-Unis. En revanche, l’intervention française au Mali a provoqué « un regain de légitimité politique par son engagement au sol, en raison de la réciprocité de prises de risques de part et d’autre ». Par ailleurs, selon Caroline Galactéros-Luchtenberg,  le héros d’aujourd’hui n’est plus le défenseur de la patrie, mais le capitaine d’industrie dont les intérêts n’ont plus de frontière. Aux yeux des jeunes Français, écrit-elle, les militaires ne font plus leur « devoir » ni ne remplissent de « mission » d’exception, mais exercent leur « job ». S’ils meurent au combat, ils sont « accidentés du travail », et non plus « tombés au champ d’honneur ». Devant le déclin des notions d’intérêt national et de bien commun, elle estime impératif pour eux de cultiver l’esprit de corps et la fraternité d’armes, spécificités du métier militaire.

Loïc Salmon

La guerre : nécessité d’une cohérence militaire et politique

Etre militaire européen aujourd’hui : quel métier !

 




Union européenne : présidence française, acquis de la défense

L’engagement écrit de nouveaux financements pour l’acquisition de capacités de défense, obtenu lors de la présidence de la France au premier semestre 2022, manifeste le réveil stratégique de l’Union européenne (UE).

Ce dernier et la « boussole stratégique », actualisée en cohérence avec le nouveau concept stratégique de l’OTAN, ont été présentés à la presse, le 7 juillet 2022 à Paris, par Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées.

L’Europe puissance. Véritable Livre blanc de la défense de l’UE à l’horizon 2030, la boussole stratégique a été adoptée par les 27 Etats membres. L’invasion de l’Ukraine, le 22 février, a rendu nécessaires la crédibilité de l’OTAN et sa coordination avec l’UE pour dissuader la Russie d’attaquer l’un des membres de l’Alliance atlantique. La boussole stratégique sera mise en œuvre et déclinée en liaison étroite avec la République tchèque puis la Suède, qui succèdent à la France à la tête du Conseil européen jusqu’au 30 juin 2023. Elle porte d’abord sur une capacité de déploiement rapide, adossée à des processus de décision plus flexibles, plus réactifs et plus adaptés aux besoins des pays partenaires. Les missions PSDC (politique de sécurité et de défense commune) seront rénovées pour permettre des coopérations structurelles, plus en soutien des besoins de souveraineté des partenaires de l’UE et des modalités d’actions. Un investissement de l’ensemble des Etats membres doit garantir un accès sûr à l’espace, au cyber et à la haute mer, domaines contestés, avec les lancements d’une présence maritime coordonnée dans l’océan Indien et d’une stratégie spatiale avec l’exercice Aster X, tenu à Toulouse le 4 mars. Outre la zone indopacifique, l’accent a été mis sur les Balkans et l’Afrique. Le dialogue entre l’UE et les Etats-Unis a repris en matière de sécurité et de défense. Conçue pour la gestion de crise dans les Balkans ou en Afrique, la « Facilité européenne pour la paix », instrument extrabudgétaire créé en 2021, visait d’abord à financer les équipements et armements des troupes des EUTM (missions de formation de l’armée d’un pays tiers). Depuis, elle a été mobilisée pour fournir des armes à l’Ukraine pour un montant de 2 Mds€.

La BITD européenne. Des réponses urgentes ont été apportées pour combler les lacunes capacitaires. Lors de sa réunion des 24 et 25 mars et avant même l’adoption de la boussole stratégique, le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement a demandé à la Commission européenne et à l’Agence européenne de défense de proposer des solutions de court et moyen termes pour soutenir et renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne. En outre, il a décidé de créer un « hub » (plateforme) en charge de l’innovation au sein de l’Agence européenne de défense. Par ailleurs et sur sa demande, la Commission européenne a proposé la création de deux nouveaux instruments d’incitation à l’acquisition conjointe d’équipements militaires. Le premier est un plan d’urgence pour réapprovisionner les stocks de matériels pour un montant de 500 M€ sur 2022-2024, soutenu par le budget de l’UE. Le second consiste en un programme européen d’investissements de défense pour faciliter l’achat conjoint, via des exemptions de taxe à la valeur ajoutée et des flexibilités réglementaires. Il offre la possibilité de mobiliser des financements du budget de l’UE pour renforcer la BITD. Même après la guerre en Ukraine, les dépenses de défense devraient continuer à augmenter de façon significative, estime Alice Guitton.

Loïc Salmon

OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Océan Indien : espace de coopération internationale

Armée de l’Air et de l’Espace : imaginer et mettre en œuvre une défense spatiale




Chine : une stratégie d’influence pour la puissance économique

Outre l’accroissement de son expansion commerciale par les « nouvelles routes de la soie » et de sa présence culturelle par les « instituts Confucius », la Chine perfectionne sa propagande pour améliorer son image dans le monde.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 4 avril 2019 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont intervenus : le général (2S) Jean-Vincent Brisset, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques ; Selma Mihoubi, doctorante en géopolitique à l’Institut de géographie, Sorbonne Université Paris IV.

Enjeux géopolitiques. Selon le général Brisset, le prestige historique et culturel d’un pays produit son rayonnement et son influence culturelle résulte de sa puissance politique et économique. Dans les années 1950, la Chine incluait la Mongolie, la péninsule coréenne, l’Asie du Sud-Est et le Bhoutan dans sa sphère d’influence. Aujourd’hui, elle y ajoute le Japon et les Philippines. Elle développe ses échanges commerciaux sur les cinq continents, mais consacre 61 % de ses investissements en Asie, contre 16 % en Amérique latine, 11 % en Europe, 5 % en Océanie, 4 % en Afrique et 3 % en Amérique du Nord. Sa stratégie commerciale du « collier de perles » des années 1990 s’est transformée en « nouvelles routes de la soie (voir encadré). Ses investissements en infrastructures induisent une dépendance financière, qui inquiète notamment la Malaisie et a suscité le refus du Viêt Nam de s’y associer. Ses instituts Confucius pour la diffusion de la langue chinoise (voir encadré) sont cofinancés à son avantage : pour 1€ investi chez lui, le pays partenaire doit fournir 1,65 €. La Chine envoie 45.000 étudiants en France, mais n’accueille que 10.000 étudiants français. Sur le plan politique, elle implante des consulats dans les pays à forte diaspora chinoise et envoie des délégations de haut niveau dans presque tous les pays d’Afrique. Sur le plan technique, ses participations aux comités et sous-comités de l’Organisation internationale de la normalisation (ISO en anglais) la placent en troisième position derrière la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Elle tente ainsi d’imposer ses normes, notamment celle de la « 5 G », cinquième génération de « technologie réseau mobile » sur internet. Les Jeux olympiques de 2008 et l’Exposition universelle de 2010 constituent pour elle une fierté et un retour éclatant sur la scène mondiale après les « traités inégaux » (1839-1864) et sa mise au ban des nations après la répression sanglante des manifestations de la place Tien An Men à Pékin (1989). Son influence se manifeste par les « effets de mode » (périodes d’intérêt puis de désintérêt), les relais des médias et des personnalités étrangères sinophiles (les « idiots utiles » théorisés par Lénine) et enfin les campagnes de publicité rédactionnelle. Ainsi, lors de la visite du président Xi Jinping en France (mars 2019), les nouvelles opportunités offertes par les transports chinois ont été vantées dans les quotidiens français pour 1 M€ la page : Le Parisien (1 page pleine), Les Echos (1 page), Le Monde (2 pages) et Le Figaro (7 pages).

« Soft power ». La Chine veut se présenter comme un pays du Sud, explique Selma Mihoubi. En 1965, Mao Tsé-Toung se définissait comme le meneur des peuples d’Asie et d’Afrique et prônait l’amitié sino-africaine. Aujourd’hui, la Chine a conclu des accords d’exploitation de leurs ressources avec les pays de la bande sahélo-saharienne, riches en uranium, pétrole, gaz, or, fer et cuivre. Outre des projets d’oléoducs à travers l’Algérie et le Nigeria, ses entreprises s’intéressent aux axes routiers Nord-Sud, entre l’Algérie, le Niger et le Nigeria, et Ouest-Est entre le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Soudan, l’Ethiopie et Djibouti. Elle améliore son image et rejoint les grandes puissances en matière de « soft power » ou pouvoir d’influence. L’idéologue Wang Huning l’a théorisé en 1993 : « Si un pays a une culture et une idéologie admirables, les autres pays auront tendance à le suivre. Il n’a pas besoin de faire usage d’un hard power (coercition) coûteux et moins efficace. » En 2007, le 17ème Congrès du Parti communiste chinois (PCC) inscrit le soft power dans son programme politique. Les radios internationales, outils diplomatique et culturel des puissances mondiales, répondent à des orientations stratégiques. Dès 1921, le Département de la propagande du comité central du PCC régit la censure des médias nationaux et internationaux, laquelle a été adoucie en 2001 avec l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce. Reconnue par le Mali dès 1960, la Chine y a installé deux antennes d’ondes courtes à longue portée géographique, relayées en 2008 par la modulation de fréquence (FM) d’excellente qualité, afin que sa chaîne Radio Chine Internationale (RCI) puisse couvrir tout le continent. En 2018, RCI dispose aussi de relais FM en Mauritanie (1), au Sénégal (4) et au Niger (4) et se trouve en concurrence avec le BBC Word Service britannique et Radio France Internationale. Contrairement à ceux de l’Agence France Presse et de l’agence britannique Reuters, les services de RCI et de l’agence de presse Xinhua sont offerts gratuitement aux médias locaux, qui les reprennent abondamment. Leurs contenus, souvent très anti-occidentaux, diffusent les communiqués du PCC et des pays partenaires pour promouvoir les activités chinoises en Afrique. La Chine a investi 6 Mds$ dans les pays francophones, en vue de donner sa vision du monde et de profiter de l’ambiguïté de leurs relations avec la France pour se présenter comme un acteur de leur développement, sans se mêler de leur politique intérieure. RCI diffuse des programmes en français, chinois et même en wolof avec des journalistes sénégalais. Toutefois, le taux d’audience réelle reste inconnu. Par ailleurs, la Chine a organisé à Pékin deux forums sino-africains en 2018 : l’un sur les médias et l’autre sur la défense et la sécurité. En effet, pour elle, les opérations de maintien de la paix font partie du soft power. Enfin, les diplomates africains en visite en Chine défendent sa politique expansionniste en mer de Chine…au cours d’interviews par RCI et Xinhua !

Loïc Salmon

Créé en 2004 sous l’autorité du Bureau national pour l’enseignement du chinois langue étrangère, le réseau Confucius est passé de 358 instituts dans 105 pays en 2011 à 525 instituts et 1.113 classes dans 146 pays fin 2018. Il emploie 46.000 personnes et dispose d’un budget de 255 M€. Résurgence des anciennes routes de la soie (- 2000 à 1400) entre la Chine et l’Europe, les nouvelles suivent deux routes. La voie terrestre va de Pékin à Xi’an, Urumqi et Horgos pour se séparer en deux à Almaty (Kazakhstan). La route du Nord passe par Astana (Kazakhstan), Moscou (Russie), Duisbourg (Allemagne) pour arriver à Rotterdam (Pays-Bas). Celle du Sud passe par Douchanbé (Tadjikistan), Téhéran (Iran), Istanbul (Turquie) et se termine à Rotterdam. La voie maritime part de Tianjin vers Shanghai, Zhanjiang, Singapour avec une bifurcation vers Djakarta (Indonésie) et une autre vers Kuala Lumpur (Malaisie), Calcutta (Inde), Colombo (Sri Lanka), Nairobi (Kenya), Djibouti, Port-Saïd (Egypte), Le Pirée (Grèce), Venise (Italie) et bientôt Trieste ou Gênes (Italie). Elle redevient terrestre jusqu’à Rotterdam.

Afrique : nouvelle frontière de la Chine avec des enjeux stratégiques

Géopolitique : recomposition de l’ordre mondial et émergence de nouvelles puissances

Chine : les « nouvelles routes de la soie », enjeux idéologiques et réalités stratégiques

 




Inde : actualisation du partenariat stratégique avec la France

La stabilité de la zone Indo-Pacifique et sa sécurité maritime constituent les principaux objectifs du partenariat stratégique franco-indien, en vigueur depuis 1998 et dont le développement va du fond des mers au domaine spatial en passant par le cyberespace.

Olivia Penichou, déléguée à l’information et à la communication de la défense, et le général de division Patrik Steiger, chef du service des affaires de sécurité internationales de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), ont présenté la coopération de défense entre la France et l’Inde, lors d’un point de presse le 6 juillet 2023 à Paris.

Enjeux et souvenirs communs. Puissance nucléaire, l’Inde est devenue un acteur majeur dans la zone Indo-Pacifique et la France le seul pays européen à y disposer d’une présence militaire permanente, rappelle Olivia Penichou. La stratégie française dans la région définit cinq objectifs principaux : la protection des intérêts français ; la promotion d’une coopération au profit de la sécurité de la région ; la préservation de l’accès aux espaces communs ; la promotion du multilatéralisme pour le maintien de la paix et de la stabilité ; la lutte contre le changement climatique. En raison de l’importance du partenariat stratégique entre les deux pays, le Premier ministre indien Narendra Modi a été invité à assister au défilé militaire du 14 juillet à Paris. Les participations de 240 soldats des forces armées indiennes et de 3 avions Rafale indiens ont permis d’honorer la mémoire des 74.000 soldats indiens morts pendant la première guerre mondiale.

Dialogues de hauts niveaux. Le partenariat stratégique entre la France et l’Inde se caractérise par une relation de confiance et une cinquantaine d’actions de coopération, dont la moitié porte sur le domaine maritime, souligne le général Steiger. Le dialogue initial, mené par le président de République, se décline chaque année au niveau du ministre des Armées avec l’aide du haut comité de défense, dont font partie la directrice générale de la DGRIS et le ministère indien de la Défense. En parallèle ou en même temps, un sous-comité militaire du niveau de l’État-major des armées travaille avec un sous-comité armement pour préparer les décisions du dialogue annuel de défense. Tout ceci est accompagné ou précédé par des réunions d’états-majors de chaque armée. Ce dispositif décline les orientations et les décisions prises au niveau politique. Dans l’autre sens, il a vocation à nourrir et à contribuer au dialogue des autorités. Cette relation bilatérale, renforcée par des visites ministérielles réciproques, est portée sur le terrain par les missions de défense de l’ambassade de France en Inde, deuxième en importance du réseau diplomatique français après celle aux États-Unis. Au niveau régional, les autorités militaires commandant de zones, à savoir l’émiral « Alindien » pour l’océan Indien et l’amiral « Alpaci » pour le Pacifique, animent ce dialogue à leur niveau dans un cadre bilatéral ou multilatéral comme l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS, Symposium naval de l’océan Indien). Ce dernier permet de coopérer avec les pays de la zone pour le secours aux populations et la lutte contre les catastrophes naturelles. Soutenue par l’Inde, la France a obtenu la présidence de l’IONS de 2021 à 2023 et a organisé, en 2022, l’exercice « Imex » qui a réuni 16 nations sur des scénarios de réponse à des catastrophes naturelles. L’IONS permet de réunir, autour d’une même table, les Marines de l’Iran, de la Grande-Bretagne, de l’Australie, des Émirats arabes unis, de la France et de l’Inde et, ainsi, de maintenir un contact entre ces pays. Par ailleurs, dans le domaine spatial, la France accompagne le programme indien depuis 1964. En juin 2023, toutes deux ont lancé un dialogue sur la sécurité spatiale. Dans le cyber, la feuille de route franco-indienne de 2019 sur la sécurité numérique a donné lieu à cinq réunions bilatérales et interministérielles avec les ministères de l’Europe et des Affaires étrangères, des Armées et de l’Intérieur et l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information.

Déclinaisons militaires

Selon le général Steiger, le partenariat stratégique franco-indien se traduit par la réalisation d’exercices militaires conjoints, de nombreuses visites d’autorités militaires et des échanges dans le domaine de la formation et de l’enseignement militaire supérieur. Comme lors de la présidence française de l‘Union européenne au premier semestre 2022, celle de l’IONF a mis en avant le partenariat avec l’Inde, notamment par la co-organisation d’un forum sur la sécurité et la coopération dans l’Indo-Pacifique au niveau politique. En océan Indien, la dimension maritime se décline selon trois axes. Le premier concerne les séquences d’entraînement bilatéral lors des escales de la mission « Jeanne d’Arc » (École d’application des élèves officiers de marine) et du groupe aéronaval avec des exercices, échanges d’experts et actions de soutien. Le deuxième axe porte sur les activités bilatérales dans la zone Sud de l’océan Indien, à partir de La Réunion, avec des patrouilles coordonnées entre les unités indiennes et françaises. Le troisième consiste en l’organisation d’échanges quotidiens d’informations maritimes à la suite de l’accord de mars 2018, renforcé par l’affectation d’un officier de liaison français au Centre de fusion des informations maritimes de la Marine indienne à New Delhi depuis 2019. A titre indicatif, sept escales françaises ont eu lieu en Inde depuis septembre 2022 : frégate Aconit en novembre 2022 ; porte-avions Charles-de-Gaulle et deux frégates en janvier 2023 ; porte-hélicoptères amphibie Dixmude(mission « Jeanne d’Arc) en mars ; frégate La-Fayette en mars ; bâtiment hydrographique Beautemps-Beaupré en juin ; frégate Surcouf en juin ; frégate multi-missions Lorraine en juillet. L’accord de soutien logistique mutuel, conclu en mars 2018, facilite l’accès aux ports militaires indiens et français. Par ailleurs, plusieurs exercices navals majeurs se sont déroulés au cours du premier semestre 2023. En janvier, l’exercice bilatéral « Varuna », dont la première édition remonte à 2001, a mis en œuvre le groupe aéronaval, des bâtiments de la Marine indienne et des aéronefs indiens. En mars, outre la mission « Jeanne d’Arc » avec des bâtiments indiens, le grand exercice international « La Pérouse » a inclu les participations de l’Inde, de la France, des États-Unis, du Japon et de l’Australie dans le golfe du Bengale. Dans le domaine terrestre, la coopération devrait se développer. Actuellement, elle s’articule autour de missions d’expertise, comme le combat en montagne et la lutte contre les engins explosifs improvisés, et l’exercice biannuel « Shakti » au niveau section, dont la huitième édition est prévue en octobre 2023. En outre, l’exercice « Frinjex » s’est tenu en marge de l’escale de la mission « Jeanne d’Arc », en raison de la présence d’un groupement tactique embarqué à bord du porte-hélicoptères amphibie Dixmude. La coopération aérienne militaire est organisée autour de l’exercice bilatéral franco-indien « Garuda » et la mission « Pégase » de projection de puissance en Indo-Pacifique par des avions de l’armée de l’Air et de l’Espace partis de France et d‘autres pays de la zone. Elle se renforce à la faveur de la montée en puissance des avions Rafale de l’armée de l’Air indienne. Dans cette perspective, quatre Rafale indiens ont participé à l’exercice bilatéral « Volfa », qui a été intégré à l’exercice interarmées de haute intensité « Orion ». Les missions ont porté sur la défense aérienne et l’attaque au sol. L’intégration des Rafale indiens a permis d’optimiser les procédures de coopération. Les 36 avions Rafale, commandés en France en 2016 pour 8 Mds€, ont tous été livrés, malgré la pandémie de Covid-19 (2020-2021). Enfin, dans le domaine de l’enseignement militaire supérieur, un officier indien suit la scolarité de l’École de guerre à Paris, laquelle devrait en accueillir deux en 2025. Du côté français, le futur attaché de défense suit celle du « National Defence College » (son équivalent) à New Delhi.

Loïc Salmon

Indo-Pacifique : éviter l’escalade nucléaire malgré la compétition stratégique accrue

Océan Indien : espace de coopération internationale

Union européenne : penser les opérations maritimes futures




Ukraine : soutiens OTAN et UE, sanctions contre la Russie

Suite à l’attaque de la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022, la France, l’OTAN et l’Union européenne (UE) ont apporté leur soutien à cette dernière, sauf l’envoi de troupes au sol, et pris des sanctions économiques contre la Russie. L’Allemagne a décidé de se réarmer.

La France. Le 28 février, le président de la République, Emmanuel Macron, a demandé aux armées de faire preuve d’une « grande vigilance » et de la « retenue nécessaire lors des possibles interférences ». Il s’agit d’éviter un incident mal maîtrisé et mal interprété. En effet, depuis une décennie, les avions à long rayon d’action, les bâtiments de surface et les sous-marins russes fréquentent les zones d’intérêt français, près du territoire national, en Atlantique, en Méditerranée et en Manche. Depuis l’engagement direct de la Russie dans la guerre civile en Syrie en 2015, les bâtiments et aéronefs français engagés dans l’opération « Chammal » contre Daech en Irak se coordonnent avec les autres unités militaires sur zone pour éviter des situations à risque élevé. En Afrique, des sociétés militaires privées, dont Wagner (russe) que Moscou ne reconnaît pas officiellement, sont présentes en Centrafrique et au Mali, où sont engagées les forces armées françaises. Par ailleurs, selon le ministère des Armées, dès le début du conflit russo-ukrainien, la France a livré à l’Ukraine des casques, gilets pare-balles et appareils de déminage. D’autres équipements à vocation défensive, létaux et non létaux, seront prochainement livrés. Entre 2011 et 2020, la France a conclu avec l’Ukraine des contrats d’armements d’un montant de 124 M€ et incluant 20 patrouilleurs garde-côtes, en service en mer Noire, et des missiles défensifs à très courte portée pour les corvettes ukrainiennes. La France, qui préside le Conseil de l’UE pour le premier semestre 2022, se félicite de la décision de l’UE de financer des équipements militaires pour l’Ukraine jusqu’à 500 M€ (voir plus loin).

L’OTAN. Le 25 février, le président de la République a annoncé le renforcement de la présence militaire de la France sur le flan Est de l’OTAN. Le déploiement, déjà prévu, d’avions de chasse dans les Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) sera accéléré et renforcé à des fins de protection et de défense. Depuis le 24 février, des patrouilles parties de France, assurent la défense aérienne du territoire polonais. Dès la mi-mars, 4 Mirage 2000-5 et une centaine de personnels de l’armée de l’Air et de l’Espace seront déployés en Estonie ainsi que 200 militaires d’un sous-groupement terrestre aux côtés des détachements danois et britannique. En Roumanie, la France va projeter un premier groupement tactique interarmes d’environ 500 militaires, issu du bataillon « Spearhead » de la Force à très haut niveau de réactivité de l’OTAN, actuellement commandée par la France. En effet, le Commandement suprême des forces alliées en Europe a demandé d’y déployer le bataillon «Spearhead ». La France s’est engagée à y tenir le rôle de nation-cadre. Déjà, depuis 2014, à la suite de l’annexion russe de la Crimée, non reconnue par la communauté internationale, les forces armées françaises participent à des missions de réassurance. Dans le cadre de la « présence avancée renforcée », un détachement de 300 militaires, de chars Leclerc et de véhicules blindés de combat d’infanterie, présent en Estonie depuis plus d’un an, est, alternativement, intégré à un bataillon britannique en Estonie et à un bataillon allemand en Lituanie. Dans les Etats baltes, la France contribue régulièrement à la police du ciel avec des avions de chasse, de guet aérien AWACS et de surveillance maritime pour des missions de surveillance et de renseignement. Elle envoie régulièrement des moyens navals en mer Noire, dont la frégate multi-missions Auvergne en janvier 2022. Par ailleurs, elle contribue à la sécurité aux abords de l’Europe par le déploiement du groupe aéronaval en Méditerranée et la participation à l’exercice « Naval 22 » en Norvège. Suite à un dialogue amorcé après l’effondrement de l’URSS en 1991, l’OTAN a accru son soutien au développement de l’Ukraine à partir de 2014 et a renforcé sa présence en mer Noire. Elle a ainsi intensifié sa coopération maritime avec l’Ukraine et la Géorgie, dont les provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud ont proclamé leur indépendance que la Russie a reconnue en 2008. En 2017, le Parlement ukrainien a adopté une loi portant sur l’adhésion à l’OTAN, objectif de politique étrangère et de sécurité inscrit dans la constitution en 2019.

Les sanctions économiques. Selon le Groupe d’études géopolitiques, au 26 février 2022, Biélorussie, Syrie, Birmanie et Venezuela ont soutenu l’intervention russe en Ukraine. Tous les pays occidentaux l’ont condamnée. Le 2 mars, l’assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution déplorant « l’agression » de la Russie et exigeant le retrait immédiat de ses forces armées : 141 votes pour ; 5 votes contre (Russie, Biélorussie, Erythrée, Corée du Nord et Syrie) ; 35 abstentions. Le 26 février, selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, les pays occidentaux ont décidé d’exclure de nombreuses banques russes, y compris la Banque centrale, de la plateforme interbancaire Swift, pour réduire le financement de la guerre en Ukraine. Swift permet le transit des ordres de paiement entre banques, de transfert de fonds, d’achat et de vente de valeurs mobilières. Selon l’association nationale russe Rosswift, la Russie en est le 2ème utilisateur après les Etats-Unis avec environ 300 banques et institutions, soit plus de la moitié de ses organismes de crédit. Toutefois, Moscou met en œuvre ses propres infrastructures pour les paiements (carte bancaire Mir), la notation (agence Akra) et les transferts (système SPFS). Le Conseil européen a décidé de geler les avoirs du président Vladimir Poutine, du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, des membres du Conseil national de sécurité et des députés russes ayant soutenu la reconnaissance des républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk en Ukraine. D’autres sanctions portent sur les finances, l’énergie, les transports, la technologie et les visas. La Suisse, qui a endossé toutes les sanctions prises par l’UE, a gelé les avoirs, estimés à 21,4 Mds$, de riches hommes d’affaires russes. Environ 80 % du négoce de pétrole et de gaz russes se fait en Suisse. Le 2 mars, l’Allemagne a abandonné le projet de gazoduc Nord Stream 2, long de 1.230 km en mer Baltique, la reliant à la Russie et propriété du groupe russe Gazprom.

Les conséquences militaires induites. Le 27 février, Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a annoncé une aide de 450 M€ à l’Ukraine pour l’achat d’équipements militaires létaux, dont des avions de chasse, et une autre de 50 M€ pour des matériels non létaux. L’Allemagne va livrer 1.000 lance-roquettes et 500 missiles sol-air à l’Ukraine. Elle a augmenté immédiatement son propre budget militaire de 100 Mds€ et l’accroîtra chaque année, afin qu’il dépasse 2 % de son produit intérieur brut. La construction des futurs chars et avions de combat avec les pays de l’UE, dont la France, devient une « priorité absolue », selon le chancelier Olaf Scholtz.

Loïc Salmon

Union Européenne : présidence française, les enjeux de défense

OTAN : la France a repris toute sa place sur le plan opérationnel

Union européenne : la sécurité et la défense après le « Brexit »




Chine : montée en puissance plus diplomatique que militaire

La Chine veut tenir son rang international davantage par la négociation politique que par l’action militaire. Les efforts de modernisation de ses forces armées visent plutôt à s’affirmer comme puissance régionale face, notamment, à l’Inde et au Japon.

C’est ce qui ressort d’une table ronde organisée, le 19 mars 2014 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y ont notamment participé : Pierre Picquart, docteur en géopolitique et géographie humaine (Université Paris 8) ; Patrick Michon, ingénieur civil spécialiste des questions industrielles de défense ; Emmanuel Puig, chercheur à la Délégation aux affaires stratégiques.

Action diplomatique. Selon Pierre Picquart, la vision géopolitique chinoise porte sur le développement économique et commercial du pays, sans alliance militaire ni guerre avec l’Occident. Le pays a connu une croissance extraordinaire jusqu’au ralentissement dû à la crise financière de 2008, suivi d’un plan de relance de plusieurs centaines de millions de dollars portant sur la diversification des activités et la recherche de la qualité des produits. La Chine n’est pas prête de peser comme grande puissance industrielle pour des raisons économiques, diplomatiques et de bien-être de sa population. Elle s’est fixée plusieurs défis à relever : modernisation des forces armées, développement de la technologie et conquête spatiale. Elle doit résoudre des difficultés internes et se familiariser avec les questions internationales. Pour protéger son territoire, s’enrichir, assurer ses approvisionnements de matières premières et de ressources énergétiques, elle mène une diplomatie multilatérale avec l’ensemble des pays de la planète. Le président chinois Xi Jinping se déplace en Asie-Pacifique, Amérique latine, Afrique et Europe et préconise des exercices militaires conjoints avec des petits pays. Par ailleurs, il a appelé l’Armée de libération nationale (APL) à se préparer au combat moderne. Première du monde en effectifs, elle sert surtout à rassurer la population et impressionner les pays voisins. La Chine fait valoir des droits historiques sur des îlots riches en ressources halieutiques et, éventuellement, pétrolières. Elle manifeste son nationalisme face au Japon et ne cache pas sa préoccupation  envers les États-Unis, qui envisagent de redéployer leurs forces armées en Asie… qu’elle considère comme son « pré carré » ! Pour contrer la posture hégémonique américaine, elle se rapproche de la Russie par son soutien au régime syrien. En outre, Pékin a fait savoir à Washington qu’une attaque contre l’Iran déboucherait sur une 3ème guerre mondiale. Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU avec droit de veto, elle est devenue un gros contributeur de « casques bleus » et s’implique au niveau régional.

Base industrielle et technologique de défense. L’armement équipe les armées et appuie la diplomatie, nécessaire pour faire passer des idées ou conclure des contrats, explique Patrick Michon. Après 1990, la Russie redevient le premier fournisseur de la Chine pour plusieurs raisons : embargo des pays  européens établi sous la pression américaine à la suite de la répression de la place Tien An Menn en 1989 ; besoin russe d’argent frais conduisant à des prix très compétitifs ; technologie russe très supérieure à la chinoise. Par ailleurs et à la même époque, Israël rompt ses relations avec Taïwan pour se positionner sur le marché chinois, dont profitent ses sociétés d’armement, y compris nationales. Parallèlement, les autorités chinoises détournent des technologies à usage civil et militaire, facilitent le retour en Chine de savants sino-américains et celui de Chinois d’outre mer travaillant dans des entreprises étrangères. Elles concluent aussi des contrats  avec des spécialistes étrangers, surtout russes, et, moyennant de confortables émoluments, invitent des experts retraités à prononcer des conférences ou même à venir travailler dans des entreprises chinoises pour les faire profiter de leur expérience. Patrick Michon met en garde contre la sous-estimation des réelles capacités technologiques chinoises : missile antinavire DF-21D « tueur de porte-avions » (mis en service en 2011) ; avion furtif J-20 de 5ème génération (2011) ; avion J-15 (2012), embarqué sur le porte-avions à tremplin Lioning, ex-Variag ukrainien destiné à l’origine à la Marine soviétique ; construction d’un second porte-avions entièrement chinois (annoncée en janvier 2014). Toutefois, les capacités navales actuelles de la Chine excluent tout affrontement avec la Marine américaine. En revanche, la stratégie dite du « collier de perles » est mise en œuvre jusqu’en océan Indien : port et aéroport dans l’île chinoise de Haïnan ; aéroport et station d’écoute dans l’île Woody (archipel des Paracels) ; facilités de surveillance électronique dans l’isthme de Kra en Malaisie ; facilités portuaires en Birmanie et au Sri Lanka ; base navale à Gwadar au Pakistan. Face à cette montée en puissance chinoise, l’Inde exige que ses matériels militaires commandés à l’étranger soient livrés avant 2025, date estimée du conflit qu’elle anticipe.

Perspectives stratégiques. Pékin a abandonné le scénario d’une reconquête militaire de Taïwan depuis 2005, au profit d’une solution politique à terme. La « sanctuarisation » du territoire chinois est assurée par la capacité nucléaire de frappe en second, les armes antisatellites et les missiles antimissiles balistiques. L’APL doit dorénavant réagir aux menaces transnationales : terrorisme, séparatisme ou indépendantisme (Tibet, Ouïgours). Elle doit sécuriser les voies maritimes, garantir la protection et l’évacuation de ressortissants, assurer la sécurité énergétique du pays et participer aux opérations de l’ONU. Selon Emmanuel Puig, elle est capable d’agir dans le cyberespace et l’espace, de mener une guerre locale et de conduire une opération en haute mer comme la lutte contre la piraterie en océan Indien, mais manque de véritable expérience opérationnelle. En 2012, elle a déployé des troupes au Sud-Soudan pour protéger des ingénieurs chinois, sans interposition entre les belligérants. En 2014, 500 soldats participent à la mission des Nations unies au Mali : génie, service de santé et unités de protection. Les autorités chinoises, qui souhaitent transformer l’APL en force de projection, s’intéressent beaucoup à l’opération française « Serval » au Mali. Mais elles ne devraient pas l’engager en opération extérieure avant une dizaine d’années, souligne Emmanuel Puig.

Loïc Salmon

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel

Conflits et armements : tendance à la stabilisation

L’océan Indien : espace sous tension

En mars 2014, la Chine a annoncé un budget militaire de 808,23 milliards de yuans (95,9 Md€), soit une hausse de 12,2 % en un an, après celles de 10,7 % en 2013 et de 11,2 % en 2012. En fait selon certains analystes, il serait en réalité deux fois plus élevé. L’Armée populaire de libération compte 2,3 millions de soldats, mais souffre de retards technologiques et son dernier engagement, malheureux, remonte à 1979 contre le Viêt Nam. L’effort financier à son égard inquiète d’autant plus les pays voisins, qu’il porte surtout sur le développement de la Marine et des capacités de projection extérieure. De leur côté, les États-Unis vont accroître leur présence militaire en Asie, afin de renforcer la sécurité des pays d’Asie orientale et du Sud-Est.




Eurosatory 2012: armements terrestres, enjeux et perspectives

L’usage de la force par la France dans des opérations extérieures, destiné à s’opposer à la violence au nom d’une cause, passe désormais par l’emploi d’armements sophistiqués et chers.

Cette question a fait l’objet d’une table ronde organisée, le 6 juin 2012 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale et la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

L’évolution des armements terrestres prend en compte le retour d’expérience, l’environnement industriel et le choix des pays partenaires, explique Camille Grand, directeur de la FRS. L’intensité des engagements opérationnels en 2011 (Afghanistan, Côte d’Ivoire et Libye) s’est ajoutée au maintien des précédents (Kosovo, Liban et Tchad), consommateurs de moyens et d’effectifs. Aucun de ces engagements, dont les risques sont plus importants qu’anticipé, n’a été une guerre déclarée publiquement. Ils se sont imposés dans un climat d’insécurité et dans le cadre d’une coalition. L’élément budgétaire reste important : aucune économie n’est à espérer car un désengagement a un coût. Les opérations extérieures (Opex) représentent le trentième du budget de l’Etat. L’armée de Terre y consacre 20 % de ses crédits. Or, les Opex constituent un dispositif sous tension durable et ciblé sur des urgences opérationnelles. Sans remettre en cause sa valeur individuelle, l’engagement d’un combattant nécessite des technologies en matière de protection et de renseignement. Le débat entre l’homme et la technique débouche sur une critique du « « tout technologique », qui entraîne une contrainte budgétaire et une préférence pour une plus grande rusticité. S’y ajoute un environnement industriel perturbé. Devant la diminution programmée des commandes militaires aux Etats-Unis, les entreprises américaines d’armement se montrent plus agressives à l’exportation. La consolidation de l’industrie européenne semble donc inévitable, mais se heurte à la faiblesse des marchés nationaux et à la difficulté de lancer de nouveaux programmes. Il s’agit d’innover dans tous les domaines de compétence industrielle mais en se spécialisant, comme dans le cadre de la coopération franco-britannique. Par ailleurs, une réduction du format des armées se répercutera sur les contrats opérationnels. Or, les crises (Sahel Proche-Orient etc.) ne vont guère disparaître, pas plus que le rythme des interventions ne va diminuer après le retrait d’Afghanistan, estime Camille Grand. Aucun engagement ne ressemble au précédent. En outre, l’accès aux ressources logistiques d’autres pays alliés n’est guère automatique. En revanche, le partenariat stratégique franco-britannique repose sur une vision commune de la situation internationale et de la nature des engagements.

L’adéquation entre un projet de politique étrangère et des moyens militaires implique des choix d’armements pour conserver une liberté d’action, estime Christian Mons, président du Conseil des industries de défense et du Groupement des industries françaises de défense terrestre. La France doit pouvoir projeter des troupes où et quand elle le veut sans restriction. Pour cela, elle doit diminuer ses achats d’armements américains pour réduire sa dépendance de la réglementation américaine ITAR (International Traffic in Arms Régulations). Celle-ci, qui encadre l’emploi d’armes d’origine américaine, est utilisée par les Etats-Unis pour favoriser leur politique étrangère. Contrairement à la doctrine américaine de la prééminence du feu, avec des matériels lourds, sur la manœuvre, celle de la France repose sur la proximité avec la population locale et  la modération du feu et de la destruction. Par ailleurs, le maintien en condition opérationnelle des matériels pèse lourd dans le budget des armées. La France doit donc préserver son industrie de défense pour satisfaire et adapter, en priorité, les besoins opérationnels de ses forces engagées et ainsi garder son autonomie de décision. Cela ne saurait être le cas avec des matériels américains ou britanniques, dont les fournisseurs accorderont la priorité à leurs clients… américains ! En conséquence, souligne Christian Mons, il ne faut pas céder à la logique budgétaire à court terme par « l’achat sur étagère » qui, en outre, entraîne des pertes de souveraineté et de capacités de recherche et de développement en France. Il s’ensuivrait un retard technologique croissant sur les pays concurrents, un affaiblissement de l’industrie française de pointe et un manque à gagner pour l’Etat. En effet, chaque euro investi dans ce secteur lui rapporte 1,3 € en recettes induites. Pour conserver un temps d’avance, il convient d’investir suffisamment dans les études amont pour stimuler l’innovation qui repose sur une idée et son financement. Or, la recherche amont ne procure un retour qu’à très long terme (vingt ans), qui nécessite davantage le recours à l’Etat qu’aux entreprises. Celles-ci sont de plus en plus sollicitées par leurs clients étrangers, prêts à financer seulement les études d’application, c’est-à-dire à court terme (cinq ans maximum). Par ailleurs, l’aide de l’Etat à l’exportation d’armements, pratiquée notamment dans les pays anglo-saxons,  devrait permettre de financer la recherche et le développement. Elle passe aussi par l’allègement des lourdes mesures de contrôle, qui font perdre de la réactivité en temps et en argent. L’effort entrepris en ce sens est jugé encore insuffisant. Ainsi, indique Christian Mons, il faut 19 jours pour obtenir une licence d’exportation par le ministère américain de la Défense, contre 45 par la Direction générale de l’armement, de l’équipement complet aux simples pièces de rechange. Ce délai est particulièrement pénalisant pour les petites et moyennes entreprises qui concluent, chaque année, 2.000 à 5.000 contrats de moins de 500€ et totalisent un chiffre d’affaires de 1,5 à 2 Md€.

Loïc Salmon

Le salon de l’armement terrestre Eurosatory 2012, qui s’est tenu en région parisienne du 11 au 15 juin, a accueilli 34 pavillons nationaux et environ 55.000 visiteurs de 138 pays. En France, l’industrie de défense assure 165.000 emplois directs et au moins autant indirects, dont 20.000 très qualifiés dans la recherche et le développement. L’Etat consacre 700 M€ par an aux études amont. L’armement terrestre emploie, directement et indirectement, 40.000 personnes. Eurosatory a été inauguré le 11 juin par Kader Arif, ministre délégué aux Anciens Combattants, à la place du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian en déplacement en Afghanistan pour rendre hommage aux quatre militaires français tués deux jours plus tôt dans un attentat suicide. Kader Arif a notamment déclaré : «  L’Europe de la défense doit prendre une dimension nouvelle et le dynamisme industriel de l’Union européenne est un élément majeur de cette ambition. (…) Les contraintes qui pèsent sur les budgets européens, en raison de la crise des dettes souveraines, nous poussent à mettre en commun et partager. (…) L’évolution du positionnement américain, qui regarde désormais vers l’Asie (…) encourage également les Européens à se saisir davantage encore de leur propre sécurité ».




Afrique : les risques de déstabilisation et de terrorisme

Dysfonctionnement de l’Etat et échecs sur les plans économique et démographique constituent le terreau du terrorisme dans la bande centrale de l’Afrique. Son éradication passe par le traitement de la démographie et de l’éducation nationale, la réforme des armées et l’aide aux forces de sécurité.

Nicolas Normand, ancien ambassadeur au Mali (2002-2006), au Congo (2006-2009) et au Sénégal (2010-2013), l’a expliqué lors d’une conférence-débat organisée, le 12 juin 2019 à Paris, par l’Association des auditeurs IHEDN région Paris Ile-de-France.

Croissance hétérogène. La contribution de l’Afrique sub-saharienne au produit intérieur brut (PIB) mondial par habitant est passée de 0 %, entre les indépendances (1960) et la fin du XXème siècle, à 5 % entre 2000 et 2015. Après la stagnation de 2016, la reprise économique moyenne s’établit à 3-3,5 % par an avec une croissance démographique de 2,5 %. Toutefois, 40 % de sa population ne dispose que de 1,9 $ par personne et par jour, seuil de pauvreté selon les normes de l’ONU. L’ambassadeur attribue ce réveil économique à l’annulation de la dette, l’essor du numérique, l’arrivée des investissements chinois, la progression de la scolarisation, un grand pas vers l’égalité des femmes et la diminution de la conflictualité entre 1990 et 2010 mais qui repart en 2013. Cependant, seulement une dizaine de pays allient croissance et développement, tandis que les autres connaissent une situation fragile, voire chaotique. Les importations se montent à 40M$/an pour la nourriture et à 15 Mds$ pour les biens. Négative jusqu’en 2010, la balance commerciale a provoqué un endettement croissant dans les secteurs public (budgets) et privé (taux d’intérêt de 7 %). A titre d’exemple, au Nigeria, la dette représente 60 % du budget de l’Etat et l’assiette fiscale moins de 15 % du PIB, contre 35 % pour la moyenne mondiale, et une hausse de 1 % de la fiscalité correspondrait à l’aide au développement. Environ 30 à 40 % des investissements étrangers vont en Asie, 20 % vers l’Amérique latine et seulement 3 % vers l’Afrique sub-saharienne, en raison de l’insécurité juridique et du manque d’infrastructures, notamment pour le réseau électrique. Ainsi, 55 % de la population n’a pas accès à l’électricité et à peine 15 % en a suffisamment.

Démographie et éducation. D’ici à 2050, la population de l’Afrique sub-saharienne devrait augmenter de 160 % pour atteindre 1 milliard d’habitants. Selon les estimations de l’ONU, le nombre d’enfants par femme, actuellement de 5, devrait tomber à 2 en 2100. Dans tous les pays asiatiques, la baisse de la natalité et l’effort sur l’éducation a permis leur décollage économique, rappelle l’ambassadeur. Or en Afrique, un enfant sur trois arrive en fin du cycle primaire, alors que 22 % des jeunes Européens obtiennent un diplôme d’enseignement secondaire. S’y ajoutent les handicaps de l’éducation insuffisante des filles et des mariages précoces dans de nombreux pays d’Afrique. Seuls le Ghana, l’Ethiopie, le Kenya et l’Afrique du Sud maîtrisent leur éducation nationale. Ailleurs, en zone urbaine, celle-ci se trouve concurrencée par les écoles coraniques aux idéologies anti-modernisme, anti-occidentale et anti-démocratique. L’Afrique sub-saharienne ne produit que 2 % de la valeur des biens manufacturés dans le monde, en raison de l’enclavement de certains pays, d’une compétitivité très faible, d’une électrification et d’infrastructures déficientes, d’une formation professionnelle limitée et d’une baisse de natalité trop lente. Chaque année, le marché du travail doit absorber 30 millions de jeunes dont la plupart ne trouve pas d’emploi, facteur supplémentaire d’insécurité.

Carences étatiques. L’aide au développement s’est concentrée sur la santé et divers projets, sans s’interroger sur les causes du sous-développement, souligne l’ambassadeur. La construction des routes ou du métro par des entreprises et personnels étrangers déresponsabilisent les autorités locales et les discréditent auprès des populations. La police et les armées ont été négligées et sont mal payées, faute d’une fiscalité efficace. Présence étatique limitée en zone rurale et mauvais fonctionnement de la justice créent un terreau propice à des désordres. Dans certains pays, l’Etat a dissous les autorités traditionnelles et délégué le maintien de l’ordre à des milices armées rurales pour régler les conflits entre nomades pasteurs et agriculteurs sédentaires, notamment pendant les périodes de sécheresse.

Djihadisme. En Afrique sub-saharienne, le terrorisme chrétien a déjà tué 100.000 personnes, soit plus que les djihadistes après 2000, indique l’ambassadeur. Selon le Programme des nations unies pour le développement, une répression étatique violente favorise le djihadisme, notamment au Nigeria où le salafisme « quiétiste » (cheminement spirituel) est devenu « djihadiste » avec Boko Haram. Le djihadisme suscite des adhésions car il propose un projet de civilisation, gère les besoins de justice et favorise les pasteurs. Dans le Nord-Mali, s’affrontent des groupes armés répartis en trois catégories aux frontières poreuses, où se mêlent lutte des castes et compétition pour le narcotrafic : Coordination des mouvements de l’Azawad, Touaregs sécessionnistes mais signataires des accords de paix d’Alger avec le gouvernement malien à l’issue de l’opération « Serval » ; groupes armés pro-gouvernementaux, également signataires ; djihadistes, répartis entre le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et l’Etat islamique, non signataires. Alors que la population penche plutôt du côté des djihadistes, l’opération « Barkhane », qui a succédé à « Serval », s’est associée aux milices. Le djihadisme, parti du Mali, s’est étendu notamment en République centrafricaine et en République démocratique du Congo, mais a disparu de l’Ouganda. La Mauritanie a procédé avec succès à la « déradicalisation » en plaçant des imams auprès de prisonniers djihadistes. Sur 60 détenus, un seul a repris le maquis après sa libération ! La solution, à terme, repose sur la réconciliation à partir du renoncement au djihadisme, à condition de négocier en position de force avec les djihadistes, conclut l’ambassadeur.

Loïc Salmon

Le nombre de morts dans les combats est passé de 607 en 2012 à 2.829 en 2018 dans les pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso et Mauritanie). En 2018, le terrorisme sévit dans les pays les moins avancés (PMA), à savoir le Mali, le Niger et la Somalie, mais aussi au Nigeria, pourtant plus développé. En outre, guerre civile et exactions de groupes armés continuent au Soudan, au Soudan du Sud, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et au Mozambique. Quoique classés PMA, Mauritanie, Guinée, Sierra Leone, Liberia, Bénin, Togo, Angola, Zambie et Madagascar échappent à ces fléaux. Sont aussi épargnés des pays plus développés, à savoir le Cameroun, le Gabon, le Congo, le Kenya, la Namibie, le Botswana, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud. Y échappent également le Sénégal (PMA), la Côte d’ivoire, le Ghana, l’Ethiopie (PMA) et la Tanzanie (PMA), tous classés parmi les dix premiers pays du monde à forte croissance économique.

Afrique : zone sahélienne sous tension et résolution de crises

Afrique : fraude et corruption des agents publics, des fléaux difficiles à éradiquer

Afrique : les armées et leur implication dans la politique




Chine : cyber-espionnage et attaques informatiques

La Chine utilise le cyberespace pour maintenir sa croissance économique, par l’intrusion informatique dans des entreprises privées surtout asiatiques, et pour accroître sa puissance régionale par l’espionnage militaire, plutôt à l’encontre des pays occidentaux.

C’est ce qui ressort d’une étude sur le cyber-espionnage chinois (2016-2018), publiée par le Centre de réflexions sur la guerre économique en décembre 2018. Seules les forces armées, des agences de renseignement civil ou des sociétés de sécurité chinoises seraient capables d’élaborer et de mettre en œuvre des intrusions informatiques de grandes dimensions, transversales et complexes.

Retard technologique à combler. La dépendance de la Chine à l’égard des technologies de l’information et de la communication (TIC), notamment américaines, et de sa vulnérabilité militaire ont été mis en exergue dans le livre « La guerre hors limites » des colonels chinois Liang Qiao et Wang Xiangsui, publié en 1998. Les TIC permettent en effet d’obtenir des avantages asymétriques dans une guerre qui recouvre la force, armée ou non, militaire ou non, et des moyens létaux ou non. Extension du champ de bataille, le cyberespace devient vital pour la Chine afin de récolter le plus d’informations possibles, en vue d’établir une asymétrie à son avantage. Les forces armées chinoises ont porté leurs efforts sur les renseignements d’origines humaine, électromagnétique et satellitaire. En 2013, l’entreprise américaine de cyber-sécurité Mandiant a identifié deux unités militaires de cyber-espionnage, installées à Shanghai. Ainsi la « Unit 61398 » a récupéré des térabits (1.000 milliards d’unités numériques) des données de 141 entreprises étrangères. La « Unit 61486 » a surtout ciblé les secteurs de la défense et de la haute technologie. En 2014, le ministère américain de la Justice a accusé cinq officiers chinois de vols de secrets d’entreprises américaines. En outre, l’agence de renseignement NSA a révélé que des hackers chinois avaient réussi des centaines d’intrusions dans des infrastructures aux Etats-Unis. En 2015, Washington et Pékin ont conclu un accord de collaboration pour lutter contre le cyber-espionnage. Ensuite, les agences privées chinoises auraient bénéficié d’une plus grande marge de manœuvre, pour éviter une implication directe de l’Etat. Les plus connues, « Menupass Team » et « UPS Team », ciblent les entreprises spécialisées dans l’ingénierie, l’espace ou les télécommunications aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. Par ailleurs, le 13ème plan quinquennal chinois 2016-2020 fixe un objectif annuel de 6,5 % de croissance économique et transfère des fonds d’aide à l’exportation vers des investissements en Chine même. Il porte aussi sur le développement des secteurs technologique, biomédical et énergétique, orientant l’espionnage vers les entreprises étrangères de référence.

Le Japon. Cible de choix en raison de son avance technologique, le Japon a été attaqué par deux groupes de hackers d’origine chinoise. Le premier, « Stone Panda », a cherché à voler le maximum de données à haute valeur ajoutée. Son arsenal visait les universités, les entreprises de haute technologie, notamment pharmaceutiques, et des agences étatiques. Pour tromper ses cibles, « Stone Panda » s’est fait passer, entre autres, pour le ministère japonais des Affaires étrangères. Il a compromis les services d’entreprises de stockage numérique, afin d’exfiltrer une grande quantité des données sans être détecté. Le second groupe, « Bronze Butler », a pratiqué l’hameçonnage des réseaux critiques dans les milieux des biotechnologies, de l’électronique, de la chimie et de l’ingénierie maritime. Non détecté pendant plusieurs années, il est parvenu à récupérer des informations commerciales et des comptes rendus de réunions ainsi que des données de valeur sur la propriété intellectuelle et les spécifications de produits.

La Corée du Sud. Le groupe des hackers chinois « Stuckfly » a notamment ciblé les entreprises sud-coréennes de jeux vidéo, habilitées à délivrer des certificats numériques garantissant la provenance de logiciels et donc leur sécurité informatique. En possession de l’outil d’édition, « Stuckfly » pourrait signer les certificats de logiciels malveillants, qui ne seraient pas bloqués par les anti-virus. S’il est détecté, la société de jeux vidéo risque de voir tous ses certificats considérés comme malveillants et sa réputation ternie.

L’Asie centrale. Malgré un accord entre Moscou et Pékin, similaire à celui entre Washington et Pékin et signé également en 2015, des APT (logiciel malveillant, voir encadré) chinois ont ciblé des institutions bancaires et des entreprises de télécommunications de la Russie et de la Mongolie, pourtant alliées de la Chine. L’APT « Emissary Panda » s’est aussi attaqué à des infrastructures, institutions bancaires et universités turques. Peu avant des réunions importantes, il a visé l’Organisation de coopération de Shanghai (sécurité mutuelle et coopérations politique et militaire), qui regroupe le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, la Russie et…la Chine !

L’Asie du Sud-Est. L’APT « Lotus Blossom » a attaqué des institutions gouvernementales, des partis politiques, des universités et des entreprises de télécommunications en Indonésie, à Taïwan, au Viêt Nam, aux Philippines, à Hong Kong, en Malaisie et en Thaïlande. Il a également procédé à des intrusions lors des réunions des ministres de la Défense de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Brunei, Viêt Nam, Laos, Birmanie et Cambodge). L’APT « Platinum » a notamment visé les services diplomatiques et les agences de renseignement et de défense de Malaisie et d’Indonésie. L’APT « Mofang » a participé à une guerre économique en Birmanie. Dans le cadre d’un appel à investissements pour le développement d’infrastructures, il a récupéré des informations sur le concurrent singapourien d’une entreprise publique chinoise…qui n’avait pas été retenue.

Les « cinq poisons » chinois. Des cyberattaques chinoises visent des communautés considérées comme déstabilisatrices : Ouighours ; Tibétains ; secte du Falun Gong ; Mouvement démocratique chinois ; Mouvement pour l’indépendance de Taïwan. Pourtant, elles n’ont pu empêcher, en 2016, l’élection de la première femme présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, confortablement réélue en 2020.

Loïc Salmon

Les « menaces persistantes avancées » (APT) exploitent le maximum de données de leurs cibles par des cyber-attaques discrètes et prolongées, grâce à des groupes aux connaissances techniques pointues et des moyens importants. L’Union africaine a constaté, au bout de six ans, que son immeuble, construit et équipé gratuitement par la Chine, comportait des « backdoors » (portes numériques dérobées) donnant un accès discret aux échanges et à la production interne de l’organisation. Le cycle APT a été le suivant : organisation en fonction de la cible (don de l’immeuble) ; stratégie (hameçonnage par des courriels et backdoors) ; moyens techniques pour accéder à son réseau (systèmes informatiques installés et compromis) ; couverture pour maintenir l’accès pour de futures initiatives (logiciels malveillants sophistiqués).

Chine : montée en puissance régionale et internationale

Intelligence économique et renseignement

Cyber : instrument de la puissance russe en Baltique




Chine : l’intelligence artificielle, priorité de sécurité nationale

La Chine compte sur les applications militaires de l’intelligence artificielle (IA) pour réduire ses dépenses de défense et contenir la supériorité des Etats-Unis en Asie-Pacifique.

Cette question est abordée dans une étude intitulée L’intelligence artificielle en Chine, un état des lieux, publiée en novembre 2018 par le « think tank » Fondation pour l’innovation politique.

Progrès spectaculaires. La Chine entend sécuriser son développement et se prémunir contre les aléas possibles dans la région Asie-Pacifique. En effet, les pays riverains ne cachent pas leur inquiétude devant sa montée en puissance. Quoique détentrice de l’arme nucléaire, elle souhaite se doter d’un outil de défense lui donnant un avantage décisif à un coût moins élevé. Ainsi, l’IA a déjà permis des avancées dans le domaine des drones MALE (moyenne altitude longue endurance) avec la dernière version du Wing Loong II, construit par China Aviation Industry Corporation. Ce drone a déjà été commandé à 300 exemplaires par l’Arabie Saoudite. En outre, l’IA est utilisée pour développer des systèmes d’aide à la décision à bord des sous-marins nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins, pour améliorer la capacité d’interprétation du commandement, soumis au stress du confinement. La construction d’un centre d’essais de navire sans pilote a commencé début 2018 à Zhuhai (Sud de la Chine), pour la planification des itinéraires, le repérage, l’accostage et l’appareillage. En matière de sécurité publique, l’IA est aussi utilisée dans la prévention des actes criminels et l’intervention de la police avant, par exemple, qu’un acte terroriste soit commis. A cet effet, la société CloudWalk, spécialisée dans la reconnaissance faciale, travaille en partenariat avec la police. Son algorithme compare les images recueillies avec celles stockées dans la base de données de la police. Après analyse de leurs comportements, il est possible d’identifier les risques que présentent des personnes suspectes. Informée, la police peut alors intervenir.

Rivalité sino-américaine. La concurrence entre la Chine et les Etats-Unis en matière d’IA s’est intensifiée en 2017, à la suite de trois documents officiels rendus publics par l’administration Obama entre octobre et décembre 2016. Le plan chinois de développement de la nouvelle génération d’IA, assez similaire, est considéré comme une réponse à la stratégie américaine, estime l’étude du « think tank ». Moins freinée que les Etats-Unis par les débats éthiques et tentatives de réglementation, la Chine devrait progresser rapidement dans les domaines de la sécurité nationale et des armes autonomes. Elle va investir environ 24 Mds$ dans la recherche et le développement des semi-conducteurs. En outre, elle attire davantage d’investissements pour soutenir son industrie de l’IA. En 2017, sur les 15,2 Mds$ investis à l’échelle mondiale dans les startups spécialisées, près de 50 % sont allés en Chine, contre 38 % aux Etats-Unis. Pourtant, souligne l’étude, le niveau général en matière d’IA est moins élevé en Chine qu’aux Etats-Unis. La Chine présente des retards concernant la théorie fondamentale, les algorithmes clés, les équipements, les puces spécialisées, les matériaux et les logiciels.  Ses instituts de recherche et ses entreprises n’ont constitué ni un écosystème numérique ni une chaîne industrielle exerçant une influence internationale. Elle manque encore d’experts et de spécialistes en IA. Il lui reste à développer une infrastructure et établir des lois, des réglementations et des normes dans ce domaine.

Loïc Salmon

Sécurité : l’intelligence artificielle, enjeu de souveraineté nationale

Défense : augmentation des budgets mondiaux en 2018 et réaffirmations de puissance

Défense : intelligence artificielle, vers une norme internationale de fiabilité