La Légion d’honneur

En 2013, environ 93.000 personnes sont décorées de la Légion d’honneur. Chaque année, celle-ci est attribuée à 2.100 civils à parité hommes/femmes, à 1.100 militaires d’active, de réserve et anciens combattants et à 400 étrangers.

Toutefois, ces derniers ne font pas partie de cet ordre de chevalerie, institué en 1802 par Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, pour récompenser les « services éminents » rendus à la Nation et selon les principes égalitaires de la Révolution. Le fameux « ruban rouge » moiré, pérenne depuis plus de deux siècles mouvementés de l’Histoire de France, remonte à Louis XIV qui avait créé l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis en 1693, supprimé par la Convention en 1792. L’Ordre de la Légion d’honneur est, depuis sa création, dirigé par un Grand Maître, en l’occurrence le chef de l’État intronisé le jour de son investiture. Son nom vient de la Rome antique, modèle des révolutionnaires de 1789 : les soldats romains étaient nommés « honorati » et la « légion » en regroupait l’élite. Son siège est installé depuis 1803 à l’hôtel de Salm (Paris), qui abrite aussi le musée de la Légion d’Honneur où sont exposées des décorations de plus de 120 pays : 4.600 œuvres, dont 4.000 insignes d’ordres et récompenses français et étrangers depuis le Moyen-Âge. En raison de son prestige, de nombreux gouvernements étrangers s’en sont en effet inspirés pour créer leurs ordres nationaux. Les femmes ont accédé progressivement aux trois grades et deux dignités, finalisés en 1816 : chevalier dès 1851 ; officier, 1895 ; commandeur, 1931 ; grand officier, 1953 ; grand-croix, 1998. Soucieux de l’instruction des filles de « légionnaires », Napoléon crée en 1805 les « maisons d’éducation de la Légion d’Honneur » aux Loges (collège) et à Saint-Denis (lycée), qui dispensent encore aujourd’hui une éducation morale et citoyenne ainsi qu’une formation intellectuelle de qualité : 100 % de réussite au brevet et au baccalauréat. Ces maisons sont ouvertes aux filles, petites-filles et arrière-petites-filles des membres de la Légion d’Honneur, des titulaires de la Médaille militaire (créée pour les militaires non officiers par Napoléon III en 1852) et des membres de l’Ordre national du Mérite (fondé par le général de Gaulle en 1963), mais les places sont chères : 300 places par an pour 1.000 candidates !

Les décorés de la Légion d’honneur, sans distinction de naissance, d’origine sociale, de profession et de diplôme, se retrouvent sur l’essentiel : le dépassement de soi, l’excellence au bénéfice du bien commun et le rayonnement de la France. Ils sont ensuite incités à faire partie de la Société des membres de la Légion d’honneur (SMLH), fondée en 1921, reconnue d’utilité publique et qui compte aujourd’hui 60.000 membres. Sous la devise « Honneur Patrie Solidarité », la SMLH poursuit trois objectifs : concourir partout au prestige de l’Ordre de la Légion d’honneur ; promouvoir ses valeurs et développer l’esprit civique et patriotique auprès de la jeunesse ; participer à des activités de solidarité nationale.

Pour éviter les abus, certaines personnes ne peuvent être proposées pendant l’exercice de leurs fonctions : ministres, parlementaires, membres des cabinets ministériels et fonctionnaires internationaux. Toutefois, les anciens Premiers ministres de la Cinquième République ayant exercé leurs fonctions pendant deux ans au moins sont élevés à la dignité de grand officier. Par ailleurs, tout acte déshonorant commis par un « légionnaire » peut entraîner une sanction : blâme, suspension et même exclusion de l’Ordre. Enfin, le port sans droit de la Légion d’Honneur est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende !

Loïc Salmon

La Légion d’honneur, ouvrage collectif, 3ème édition en 2013. Éditions Nane 48 pages 10 €

 




L’École militaire, une histoire illustrée

Ce monument parisien du « Siècle des lumières », où se développent l’action et la réflexion militaires,  a connu une histoire mouvementée, indissociable de celle du Champ-de-Mars qui la jouxte.

Tout commence en 1750, quand le « contrôleur de l’extraordinaire des guerres » Pâris-Duverney soumet à Louis XV un mémoire sur l’utilité d’un collège académique pour la formation des jeunes officiers. Il bénéficie de l’appui de la favorite du Roi, la marquise de Pompadour, qui souhaite un projet architectural supérieur à l’Hôtel des Invalides dont Louis XIV décida la construction en 1671. L’édit royal de 1751 concerne la création de l’École militaire, qui sera achevée en 1785 sous la direction des architectes Gabriel (celui des Hôtels de la Place de la Concorde) et Brongniart (celui du Palais de la Bourse et du Cimetière du Père-Lachaise à Paris). La marquise, qui y contribuera avec ses deniers personnels, y est immortalisée sous la forme d’une jeune femme symbolisant la « Vigilance », en support de la grande horloge de la cour d’honneur. L’édit précise que l’École est destinée  à « cinq cents jeunes gentilshommes nés sans biens, dans le choix desquels nous préférerons ceux qui, en perdant leur père à la guerre, sont devenus les enfants de l’État ». L’enseignement porte sur la géographie, le génie, l’équitation, l’artillerie, le maniement des armes (fusil et baïonnette) et l’escrime. Les élèves travaillent beaucoup et sous une discipline sévère, mais sont « servis magnifiquement », comme le note Bonaparte qui y séjourne d’avril 1779 à septembre 1784. Le Champ-de-Mars, vaste terrain d’exercice entre l’École et la Seine, sera le théâtre d’événements marquants dont notamment : la fête de la Fédération le 14 juillet 1790, dont la commémoration est devenue nationale en 1880 et non pas en référence à la prise de la Bastille en 1789 ; la remise des emblèmes (drapeaux, étendards et guidons) à toutes les unités militaires par Napoléon le 5 décembre 1804 ; la fête du mariage de Napoléon et de Marie-Louise le 24 juin 1810 ; la prise d’armes du 24 août 1855, où les officiers de Saint-Cyr arborent le « casoar » (plumet rouge et  blanc) en l’honneur de Victoria, Reine d’Angleterre. L’École militaire aura été  fermée à plusieurs reprises et transformée en caserne par intermittence jusqu’en 1945. Le capitaine Dreyfus y a été dégradé en janvier 1895, puis fait chevalier de la Légion d’Honneur en juillet 1906 après sa réhabilitation. Le bâtiment retrouve sa vocation première et deviendra « l’école des généraux », avec l’arrivée de l’École supérieure de guerre (ESG) en 1882, puis du Centre des hautes études militaires en 1911. Le lieutenant-colonel Foch, professeur à l’ESG de 1895 à 1901, y théorise ses principes de la guerre : économie des forces, liberté d’action et concentration des efforts. Il précise : « La réalité du champ de bataille est qu’on n’y étudie pas ; simplement on fait ce que l’on peut pour appliquer ce que l’on sait. Dès lors, pour pouvoir un peu, il faut savoir beaucoup et bien ». Sorti de l’ESG en 1924, le capitaine De Gaulle est convié par le maréchal Pétain à prononcer trois conférences devant les stagiaires et une grande partie de l’état-major général en avril 1927. Intitulées « L’action de guerre et le chef », « Du caractère » et « Du prestige », elles seront réécrites et complétées dans l’ouvrage « Le fil de l’épée » publié en 1932. Aujourd’hui,  l’École militaire accueille des officiers chercheurs… de plus de 80 pays !

Loïc Salmon

Enseignement militaire supérieur : former les chefs d’aujourd’hui et de demain

Les généraux français de la Grande Guerre

Les généraux français de 1940

« L’École militaire, une histoire illustrée » par Christian benoît. Éditions Pierre de Taillac, 128 pages, 150 illustrations, 14,90 €




Char Sherman

Élément principal de la force blindée alliée pendant la seconde guerre mondiale, le char américain « Sherman » a connu plusieurs versions jusqu’en 1945. Utilisé par la suite dans divers pays, il intéresse encore les collectionneurs fortunés.

Il porte le nom du général nordiste William Sherman qui vainquit les armées sudistes en 1864 et 1865, mettant ainsi fin à la guerre de Sécession. En 1944, la 3ème Armée américaine met au point une tactique de lutte « char contre char », reposant sur l’effet de surprise cher à son chef, le général George Patton. En face, la Wehrmacht aligne en effet ses « Panther » et surtout  ses « Tigre » au blindage plus épais. Pendant la première partie de la guerre, au cours de ses offensives éclair sur la Pologne, les Pays-Bas, la Belgique et la France, elle a démontré sa maîtrise de la guerre des blindés par des mouvements de pénétration rapide du dispositif ennemi avec des chars suivis de près par une infanterie très mobile et entraînée, parfois précédée de troupes aéroportées. Toutefois, bien que dépourvu du raffinement des chars allemands, le Sherman compense son manque de protection et de puissance de feu par sa disponibilité en nombre. En effet, il se montre fiable, manœuvrant, facile à piloter et surtout à produire en masse. Entre 1942 et 1945, 10 entreprises américaines et 1 canadienne en construisent 49.422, alors que les usines allemandes ne livrent que 24.360 chars entre 1940 et 1945. Le Sherman connaît son baptême du feu à El-Alamein au sein de la 8ème Armée britannique en octobre 1942. Il surclasse les blindés britanniques, notamment par son canon capable de tirer des obus brisants ou perforants (charge creuse). Son nombre élevé permet de l’adapter pour diverses spécialités, très utiles lors du débarquement du 6 juin 1944 en Normandie : dépannage, lance-flammes, lance-roquettes, déminage, char amphibie, engin de pontage, transport de troupes, canons autopropulsés et canons anti-aériens. L’équipage, réduit à 4 hommes (chef de char, pilote, tireur et chargeur) fait preuve d’une grande solidarité, où tout se partage dans ce qui constitue sa « demeure » pendant des semaines ou des mois. Un projectile pénétrant à l’intérieur du char, sans en ressortir, déclenche une tempête de particules en fusion, pouvant blesser ou tuer un ou plusieurs hommes, détruire les circuits électriques et causer un incendie. Pendant les derniers mois de la guerre, les soldats allemands lancent, des toits ou des étages supérieurs des maisons, des « panzersfäuste » (grenades antichar) capables d’incendier un Sherman. Enuite, les surplus sont repris par divers pays, dont l’Argentine, le Chili, l’Égypte, la France, l’Inde, l’Indonésie, Israël, le Japon, le Mexique, le Nicaragua, le Pakistan, les Philippines, l’Ouganda et la Syrie. Les Sherman sont utilisés lors de la guerre indo-pakistanaise de 1965 et les conflits israélo-arabes de 1948, 1956 et 1973. Pendant 25 ans, l’armée israélienne augmente son parc jusqu’à 700 chars, dont une partie récupérée chez les armées arabes vaincues. A partir de 1953, elle les modernise avec un canon français de 75 mm puis développe son propre modèle dénommé « Isherman », en service jusque dans les années  1980. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud, au Canada et en URSS, les Sherman ont été transformés pour des usages civils. Enfin, aujourd’hui encore, des collectionneurs restaurent et maintiennent en état de marche de vieux Sherman… « démilitarisés » !

Loïc Salmon

Patton, le chasseur de gloire

Jeep militaires

« Char Sherman » par Pat Ware. Éditions E-T-A-I, 164 pages. 40 €




Derrière les lignes ennemies

Les « opérations spéciales » remontent à l’Antiquité avec … le cheval de Troie ! Mais les « forces spéciales » ont forgé leur légende en Grande-Bretagne pendant la seconde guerre mondiale. Elles font la guerre autrement que les troupes conventionnelles, en s’infiltrant dans le dispositif adverse pour une opération ponctuelle et de courte durée. Le mot « commando », qui caractérise aussi bien les unités que leurs actions, date de la guerre des Boers en Afrique du Sud (1899-1902) pour désigner les actions de guérilla et les raids des Afrikaners… contre les troupes britanniques ! Un certain Winston Churchill a participé à cette campagne, tantôt comme civil en tant que correspondant de presse, tantôt comme officier de cavalerie. Il saura en tirer les leçons lorsqu’il sera Premier ministre pendant la seconde guerre mondiale. Après la bataille de Dunkerque (21 mai-4 juin 1940), ce qui reste de l’armée britannique a rembarqué en abandonnant son matériel. Dix compagnies indépendantes de l’armée de Terre sont alors créées pour mener des raids de faible envergure dans l’Europe occupée. Appelées plus tard « Special Service Battalions » et connues sous le nom de « Commandos », elles seront regroupées en une « Special Service Brigade », dont les raids éclairs sur les côtes maintiennent en haleine les troupes allemandes qui y sont stationnées. En 1943, les « Royal Marines » (troupes de débarquement) forment leurs propres commandos. L’année suivante, la Special Service Brigade change son nom en « Commando Brigade », car le sigle « SS » figurant sur son insigne avec deux poignards horizontaux avec la garde en forme de « S » se rapprochait trop de celui de l’organisation nazie « SS ». Dès l’été 1941 en Afrique du Nord, est mis sur pied le « Special Air Service » (SAS), dont les combattants, bien équipés et très entraînés, sont parachutés en territoire hostile pour s’y cacher et frapper l’ennemi avant de disparaître. Pendant 15 mois, ils sèment une telle confusion dans les rangs germano-italiens, que le maréchal Rommel reconnaîtra qu’ils lui avaient causé plus de dommages que toute autre unité d’une force équivalente. Les SAS ont adopté la devise « Qui ose gagne ». L’ouvrage « Derrière les lignes ennemies », au titre révélateur, regroupe trois exploits romancés des forces spéciales britanniques, écrits dans les années 1960 par des anciens combattants pour la bande dessinée « Commando ». Le 1er, intitulé « Au pays des bandits », se passe en Italie occupée par la Wehrmacht, où s’affrontent résistants au fascisme et bandits de grands chemins. Un lieutenant et un sous-officier anglais tentent d’exfiltrer, en employant les grands moyens, un grand seigneur italien arrêté par la Gestapo. Le  2ème, intitulé « Un homme en guerre », commence en Espagne (neutre) et se termine à Gibraltar (territoire britannique), après un détour par l’Écosse. C’est la rocambolesque aventure d’un policier anglais qui, ayant failli à sa mission de protection d’une importante personnalité, effectue sa propre opération spéciale. Le 3ème, intitulé « Piège à espions » a pour théâtre l’Allemagne. De loin le plus « psychologique » des trois récits, il met en lumière les états d’âme de ces combattants perpétuellement sous tension et… à l’ego particulièrement développé ! Mais il montre aussi les limites des forces spéciales, qui peuvent aussi avoir besoin des unités conventionnelles pour réussir leurs missions.

Loïc Salmon

Forces spéciales : outil complémentaire des forces conventionnelles

Jour-J

« Derrière les lignes ennemies », bande dessinée britannique Commando. Éditions Pierre de Taillac, 200 pages. 9,90 €




Armes secrètes de l’Allemagne nazie

Le tournant de la seconde guerre mondiale se produit après le débarquement des forces alliées en Afrique du Nord en 1942 et la défaite de la Wehrmacht à Stalingrad en 1943. Pour le contrer, le IIIème Reich accélère le développement d’armes, dites de « représailles », contre la Grande-Bretagne et dont la technologie est très en avance sur celles des États-Unis, à savoir les V1, V2 et V3. Le V1, véritable bombe volante (7,90 m de long et 2,25 t) est le premier missile de croisière. Le V2 (14 m, 12,5 t), à propergol liquide, est le premier missile balistique opérationnel et le prototype des lanceurs spatiaux. Le V3 est un canon (longueur 130 m et calibre 150 mm), profondément enfoui sous terre et protégé par une épaisse couche de béton. Il aurait dû lancer des obus de 3 m de long et 140 kg à 165 km, grâce à un apport d’air comprimé par chacune de ses 32 sections. Repéré lors d’une reconnaissance de l’aviation britannique, le site de lancement, en cours de construction, a été bombardé à plusieurs reprises. Le canon a été saisi par les troupes canadiennes en 1944, sans avoir tiré un seul obus. En revanche les V1 et V2 ont été utilisés contre la Grande-Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas en 1944 et 1945. Le V2, mis au point à la base secrète de Peenemünde sur la côte baltique, a été fabriqué par des déportés des camps de Dora-Mittelbau et Buchenwald. Il a été conçu par une équipe de savants allemands, dont le fameux Wernher von Braun, âgé de 32 ans en 1944. Ce dernier et le V2 constituent les thèmes de l’ouvrage « Armes secrètes de l’Allemagne nazie », recueil de trois histoires de la bande dessinée britannique « Commando », publiée à partir de 1961. Pour une fois, les guerriers britanniques ne jouent que les seconds rôles. De surcroît, ils s’aperçoivent que les Allemands ne sont pas tous nazis et devront même une fière chandelle à certains d’entre eux. La 1ère histoire, intitulée « Opération Valhalla », relate comment des soldats britanniques rencontrent, par hasard, un vieux savant allemand en fuite, révolté par l’usage que son gouvernement entend faire de ses travaux sur la balistique. La 2ème histoire, intitulée « Attaque de fusée » met en scène un « As » de l’aviation britannique et son alter ego dans la Luftwaffe. Ils font connaissance lors de la bataille de Dunkerque en 1940, puis les circonstances vont les amener à agir dans l’ombre, ensemble et dans le même but : anéantir un site de lancement de V2. La 3ème histoire, intitulée « Projet Jugement dernier » a été publiée en 1975. Cette année-là, Von Braun, citoyen américain depuis 20 ans, reçoit la « National Medal of Science » pour ses travaux, notamment comme directeur de recherches de l’Agence pour les missiles balistiques de l’armée de terre américaine (missiles Pershing et Jupiter), puis directeur du Centre de vol spatial de la NASA pendant 12 ans (1958-1970). Son projet de mise en orbite de satellite artificiel date de 1954, mais l’URSS devancera les États-Unis avec le « spoutnik » en 1957 ! Avant de se rendre aux Américains (2 mai 1945), Von Braun avait été incarcéré deux semaines (mars-avril 1944) pour « désagrégation du potentiel militaire et défaitisme » sur ordre de Himmler, chef de la SS et de la Gestapo. Dans « Projet Jugement dernier », un savant britannique va mener de main de maître une opération commando contre une basse secrète de V2… à la stupeur admirative des baroudeurs qui l’accompagnent !

Loïc Salmon

Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Jour-J

Derrière les lignes ennemies

« Armes secrètes de l’Allemagne nazie », bande dessinée britannique Commando. Éditions Pierre de Taillac, 200 pages. 9,90 €




Les Compagnies des Indes

La Compagnie des Indes orientales fonctionne, sous plusieurs statuts, de Louis XIV à la Révolution française.

Sa création marque l’irruption des ports de la façade atlantique dans les circuits traditionnellement réservés à ceux de la Méditerranée vers le Levant et la mer Noire. Les échanges commerciaux avec l’Asie s’accélèrent aux XIIIème et XIVème siècles avec l’unification des « routes de la soie » par l’Empire mongol. Le Portugais Vasco de Gama franchit le Cap de Bonne-Espérance en 1498 et arrive en Inde. La politique de l’Empire portugais qui, en 1515 s’étend jusqu’aux Moluques, consiste «  à faire du commerce là où c’était possible et à faire la guerre là où c’était nécessaire ». En 1580 quand il reçoit la couronne du Portugal, le roi d’Espagne Philippe II interdit l’accès de ses ports aux navires des Provinces-Unies. La Compagnie hollandaise des Indes orientales, plus connue sous le sigle « VOC », voit alors le jour et établit des agences commerciales en Asie. Elle devient le modèle des autres nations marchandes de l’Occident, qui copient sa puissance financière avec le recours à de nombreux actionnaires privés et l’organisation d’un monopole commercial protégé par l’État. Après 1608, des armateurs de Londres s’associent à la haute noblesse anglaise pour développer l’East India Company (EIC). En France en 1664, Louis XIV et Colbert instituent la Compagnie des Indes orientales, qui obtient le monopole des relations maritimes et commerciales de la Perse à la Chine et au Japon. Elle fait construire ses navires dans ce qui deviendra le port de Lorient, à proximité de Port-Louis, auparavant dévolu à la Marine royale qui installera ses arsenaux à Brest, Rochefort et Toulon. Au fil des années, la Compagnie des Indes orientales forme ses propres officiers responsables de l’itinéraire d’une campagne, du respect de la discipline à bord, de l’encadrement des marins, de la surveillance des opérations commerciales et du transport des passagers. Le recrutement des équipages est une préoccupation permanente dans un contexte de fréquente pénurie. Les navires sont armés de canons pour leur protection. Outre des marchandises et des esclaves africains, ils transportent aussi des passagers, dont plus de 50 % sont des soldats du roi et des troupes de la compagnie. Les gouverneurs des comptoirs français de l’Inde engagent aussi ponctuellement des mercenaires indiens armés à l’européenne, les « cipayes », dont la valeur sera démontrée pendant les guerres franco-anglaises. Malgré la chute du comptoir français de Pondichéry en 1761, l’EIC ne triomphe pas complètement. En effet, des officiers et ingénieurs français se mettent au service d’États indiens pour contribuer à la modernisation de leurs armées. Cette influence sera entretenue jusqu’en 1840 par de discrets envois français et plusieurs générations d’arrivants. Au cours du premier tiers du XIXème siècle, l’EIC exerce une véritable souveraineté sur toute la péninsule. Toutefois, après la révolte des cipayes en 1857, elle est reléguée au commerce et perd ses attributions politiques. En 1874, la reine Victoria devient impératrice des Indes et l’EIC disparaît. De 1815 à 1962, la France conservera 5 comptoirs en Inde : Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor.

Loïc Salmon

« Les Compagnies des Indes », ouvrage collectif sous la direction de René Estienne. Éditions Gallimard/Ministère de la Défense-DMPA, 288 pages, plus de 350 illustrations. 49 €




Motos et Sides-cars de la seconde guerre mondiale

L’épopée de la moto militaire et de son « side-car », des exercices à leur emploi sur le front, revit dans un album de 40 photos de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD).

Ce dernier a puisé parmi les 110.000 clichés des opérateurs de son ancêtre de l’époque, le Service cinématographique de l’armée, et la part française de la production allemande saisie en 1945. La « motocyclette », vélocipède équipé d’un moteur à vapeur, a été inventée par l’ingénieur français Louis-Guillaume Perreaux, qui a déposé son brevet en 1868. L’inventeur allemand Gottlieb Daimler teste la mise en place d’un moteur à pétrole en 1885. Les fabricants français Eugène et Michel Werner commercialisent, en1895, un de leurs modèles de motocyclette sous l’abréviation de « moto », appellation qui restera. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le « side-car » a été inventé en 1892 par… le Français Jean Bertoux, chef armurier du 46ème Régiment d’infanterie ! A la veille de la seconde guerre mondiale, les futurs belligérants développent la moto, dont l’utilité est reconnue pour la liaison, le combat, la police de la route, l’escorte et la reconnaissance. En France, les études se concentrent sur un engin tout terrain, robuste et de conception simple. En Allemagne, les constructeurs de motos reçoivent des subventions et un allègement de taxes. De plus, les efforts portent sur la formation des motocyclistes à la mécanique et à la conduite de nouveaux modèles. L’URSS dote ses troupes d’une moto avec side-car, copiée sur la BMW de la Wehrmacht. Aux États-Unis, le modèle 1929 de la célèbre Harley-Davidson sert de base aux WLA et WLC de la guerre, dont 100.000 exemplaires équiperont les armées américaine, canadienne et britannique. Pendant la guerre, la Grande-Bretagne construit 425.000 motos utilisées par toutes les armées alliées. L’album de l’ECPAD se déroule comme un film. Au début, les photos des Français insistent sur les exercices des motocyclistes et la pédagogie, alors que celles des Allemands montrent la décontraction des soldats en pays conquis ou leur professionnalisme sur le terrain. En 1941, la Luftwaffe dispose en Ukraine de ses propres motos équipées de side-cars. Les opérateurs du service de propagande allemand se déplacent ainsi au plus près du front. En 1942, la Gendarmerie française utilise des estafettes motocyclistes et … à cheval ! La cavalerie a déjà adopté la moto et le side-car, comme le montre un cliché du stand du 12ème Régiment de cuirassiers à la foire de Marseille de 1942. Puis, commence la campagne de Tunisie (17 novembre 1942-13 mai 1943), où 80.000 Allemands de l’Afrika Korps et 110.000 Italiens affrontent 130.000 Britanniques, 95.000 Américains et 75.000 Français et coloniaux de l’Armée d’Afrique et des Forces françaises libres. Ces derniers récupèrent ensuite des motos italiennes Guzzi puis sont rééquipés avec des modèles américains Indian. En 1943, des motocyclistes en guêtres assurent la circulation routière à bord de Harley Davidson, dont sont ensuite dotés la 2ème Division blindée (Leclerc) et la 1ère Armée française (De Lattre de Tassigny). Enfin, les motos et side-cars d’une unité de reconnaissance ouvrent le cortège du retour des cendres du général Kléber (1753-1800) à Strasbourg en septembre 1945.

Loïc Salmon

Jeep militaires

Char Sherman

« Motos et Sides-cars de la seconde guerre mondiale » ECPAD, agence d’images de la défense, 10 €.

Boutique : www.ecpad.fr/boutique.ecpad.fr/prestations.ecpad.fr




Entendre la guerre

La première guerre mondiale fut le triomphe du bruit jamais entendu auparavant, en raison de la canonnade à outrance le long du front, mais aucun enregistrement original ne subsiste. Par ailleurs, les musiques ont joué un rôle important pendant ce conflit.

C’est ce qu’explique le catalogue de l’exposition « « Entendre la guerre », organisée par l’Historial de la Grande Guerre de Péronne (Somme) du 27 mars au 16 novembre 2014. Dans les années 1920, le cinéma reconstitue l’atmosphère sonore de la guerre par des « trucages ». Ainsi, le succès du film américain The Big Parade de King Vidor (1925) doit beaucoup aux « bruisseurs », cachés derrière l’écran, qui imitent les sons des canons et mitrailleuses, les sifflements des obus et les éclatements de « shrapnels ». La notoriété du roman Les croix de bois de Roland Dorgelès (1919) est accrue par ses adaptations à l’écran en 1931 et 1936. Le cinéma parlant fait alors revivre la guerre des tranchées avec le brouhaha général, le bruit des armes, l’argot et les chansons des « poilus ». Les scènes de bataille et de bombardement des films des années 1930 deviendront les « vraies fausses archives » de la guerre 1914-1918. Les bandes-son intégrées aux images d’actualités muettes sont encore « repiquées » aujourd’hui dans des documentaires pour perpétuer la mémoire du conflit. Jusqu’au XIXème siècle, la musique militaire devait transmettre les ordres, régler les mouvements de troupes et, éventuellement, semer la terreur parmi l’ennemi sur le champ de bataille, à l’instar du « meher » des janissaires ottomans ou des cornemuses des troupes britanniques pendant la guerre de Crimée (1853-1856). Par la suite, la musique militaire adopte des chansons d’origine civile pour rythmer les marches. Ainsi, La Madelon, créée en 1914 pour le café-concert « L’Eldorado », demeure la chanson emblématique de la première guerre mondiale. Cette « Marseillaise des tranchées » améliore le moral des troupes, à la grande satisfaction du commandement. De même, la chanson It’s a long way to Tipperary , écrite  pour le music-hall en 1912, connaît un rapide succès avec l’arrivée des troupes britanniques en France en 1914. La musique du film Le pont de la rivière Kwaï (1957) est inspirée d’une marche de 1914, qui avait connu un immense succès commercial à l’époque. En 1917, le jazz débarque en France avec les troupes américaines. Un régiment de soldats noirs, considéré comme inapte au combat, est confiné dans la logistique. Mais l’année suivante, il intervient au feu sous commandement français et devient, pour la postérité, celui des « Harlem Hellfighters » (Combattants de l’enfer de Harlem). Son orchestre de parade, car chaque régiment américain en dispose, suscite l’enthousiasme du public à chacun de ses concerts avec la marche militaire Stars and Stripes Forever, mais aussi le morceau de jazz syncopé Memphis Blue. Le régiment s’illustre tellement au combat qu’il reçoit la croix de Guerre à Munchausen, sur le front du Rhin le 13 décembre 1918. Par ailleurs, cette guerre provoque des traumatismes d’oreille d’une ampleur sans précédent, par suite du souffle d’explosions et de bruits trop intenses. Chaque fois que le canon se tait, s’installe « le silence de mort », synonyme de la mort elle-même et rappel de la souffrance endurée par les combattants. Le rite de la « minute de silence », en hommage aux morts, date de la Grande Guerre.

Loïc Salmon

Les généraux français de la Grande Guerre

« Entendre la guerre », ouvrage collectif sous la direction de Florence Gétreau. Éditions Gallimard/Historial de la Grande Guerre, 160 pages. 24 €




Saint-Exupéry, pilote de guerre

Soixante-dix ans après la publication aux éditons Gallimard du dernier roman d’Antoine de Saint-Exupéry intitulé « Pilote de guerre », un colloque a fait le point sur la dernière partie de sa vie (1939-1944).

Capitaine de réserve en 1939, Saint-Exupéry, ancien pilote de l’Aéropostale, est jugé inapte pour l’aviation de chasse mais, grâce à ses relations, parvient à se faire affecter au groupe de reconnaissance (GR) II/33 basé à Orconte (Marne). La déclaration de guerre surprend l’armée de l’Air française en pleine rénovation. Malgré les énormes efforts de l’industrie aéronautique considérée comme prioritaire, 30 % des avions livrés sont incomplets en raison de l’insuffisance d’hélices, d’armements, de radio et d’accessoires. Après la « drôle de guerre » où les belligérants restent sur leurs positions, l’Allemagne reprend l’offensive le 10 mai 1940. L’armée de l’Air française et l’aviation britannique basée en France alignent 1.470 avions modernes… contre 6.265 pour la Luftwaffe ! Le 20 mai, la Wehrmacht arrive à Abbeville et Amiens. Trois jours plus tard, le capitaine de Saint-Exupéry et son équipage sont envoyés en reconnaissance au-dessus d’Arras. Cette mission servira de trame principale à « Pilote de guerre ». Il part sans illusions : «  On ne tiendra aucun compte de nos renseignements. Nous ne pourrons pas les transmettre. Les routes seront embouteillées. Les téléphones seront en panne. L’état-major aura déménagé d’urgence. Les renseignements importants sur la position de l’ennemi, c’est l’ennemi lui-même qui les fournira ».  Pourtant, il repère une division blindée, qui attaque en force, et parvient à ramener son avion, touché par la DCA allemande, à Orly. Cette réussite lui vaut la croix de Guerre avec palme. Le 20 juin, Saint-Exupéry décolle de Bordeaux pour Perpignan puis Oran et arrive à Alger le 23. La veille, l’armistice avait interdit de vol tous les avions français rescapés !

A l’époque, « Saint-Ex », comme on l’appelle, est un écrivain célèbre. Il a reçu le prix Femina pour « Vol de nuit » et, pour « Terre des Hommes », le Grand Prix de l’Académie française et le « National Book Award » américain. Fort de cette notoriété, il débarque à New York le 31 décembre dans l’intention de convaincre les Etats-Unis de s’engager aux côtés des Alliés. Pressé par ses éditeurs américains, il rédige « Pilote de guerre » en huit mois. La version anglaise « Flight to Arras », publiée en février 1942, un mois après l’entrée en guerre des Etats-Unis, enthousiasme la jeunesse américaine. En France, son livre est édité à Paris le 27 novembre 1942 par Gallimard, qui en tire 24.539 exemplaires, vendus très rapidement. Le 8 février 1943, la censure allemande interdit sa publication, qui reprendra officiellement en octobre 1944 après des éditions clandestines à Lyon et Lille. A la fameuse déclaration du général De Gaulle sur la bataille perdue par la France mais pas la guerre, Saint-Exupéry répond dans ses « Ecrits de guerre » : « Dites la vérité, général. Nous avons perdu la guerre. Nos alliés la gagneront ». Il lui en sera longtemps tenu rigueur. Aucun exemplaire de « Pilote de guerre » n’arrivera en Afrique du Nord, contrôlée par les gaullistes. En outre, la disparition de Saint-Exupéry en mission de guerre le 31 juillet 1944 ne sera honorée par la citation « Mort pour la France » qu’en mars 1950, soit bien après le départ du général De Gaulle du gouvernement en janvier 1946.

Loïc Salmon

Saint-Exupéry, pilote de guerre. Actes du colloque tenu les 28 et 29 juin 2012 à Saint-Maurice-de-Rémens. Editions Gallimard/258 pages/21 €




La Nostalgie de l’honneur

« C’est l’instinct de l’honneur qui fait les héros », écrit l’auteur. Cette assertion, qui correspond au général Philippe Leclerc de Hautecloque, chef de la 2ème Division blindée (DB) pendant la seconde guerre mondiale, pourrait aussi s’appliquer au général Jean Crépin (1908-1996). Le destin de ces deux hommes va croiser celui du général Charles de Gaulle. Jean Crépin, par soif d’aventure et pour éviter la banalité de la vie de garnison en métropole, choisit l’artillerie coloniale à la sortie de l’Ecole Polytechnique. Il est d’abord affecté à la concession française de Tientsin, en Chine. Le 28 août 1940, jeune capitaine, il commande une batterie de côte au Cameroun quand un commandant (Leclerc), qui s’était fait coudre sur les manches les galons de colonel pour en imposer, lui fait demander de se rallier à la France libre. Crépin est le 2ème à le faire. Plus tard en Indochine, ses talents de négociateur et de diplomate faciliteront les succès de Leclerc, commandant en chef du Corps expéditionnaire, dans ses relations difficiles avec les armées chinoises. Lieutenant-colonel, il combat l’Afrika Korps en 1943, reçoit la croix de Guerre avec plusieurs palmes et la Légion d’honneur et est fait compagnon de la Libération. Le 3ème Régiment d’artillerie coloniale, qu’il a commandé, reçoit la fourragère de la croix de Guerre 1939-1945. A la mort de Leclerc en 1947, il est « mis au placard » jusqu’en 1950 avant de recevoir ses étoiles de général de brigade…grâce à René Pleven, également compagnon de la Libération et ministre de la Défense. En désaccord sur la politique belliqueuse menée en Indochine par les gouvernements de la IVème République et jugeant cette guerre perdue d’avance, il refuse d’y repartir, malgré les interventions du général Jean de Lattre de Tassigny, nouveau commandant en chef. En conséquence, il attendra sept ans sa troisième étoile au lieu de trois et demi. Entretemps, il est nommé, de 1955 à 1958, président du « Comité exécutif des explosifs nucléaires », instance secrète créée par Pierre Mendès-France, président du Conseil. Le général Crépin contribuera, avec Pierre Guillaumat, son camarade de promotion à Polytechnique, administrateur du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et futur premier ministre des Armées du général de Gaulle, à doter la France de l’arme nucléaire, garantie de son indépendance en pleine guerre froide. Avec Bertrand Goldschmidt, chef du département Chimie du CEA, ils sont considérés comme les pères de la force de frappe française. A l’issue de sa mission, Crépin se porte volontaire pour servir en Algérie. Promu général de corps d’armée, il y remplace le général Jacques Massu, son vieux compagnon de la 2ème DB, limogé par le président de la République. Crépin subira le même sort après le referendum sur l’indépendance de l’Algérie en 1961 et sera nommé à la tête des Forces françaises en Allemagne. Comme le lui expliquera le général de Gaulle, le nouveau contexte politique et militaire exige un changement de titulaire à ce poste. Le général d’armée Crépin, grand-croix de la Légion d’honneur, finit sa carrière militaire comme commandant en chef des Forces alliées du secteur Centre Europe. Ensuite, il sera cinq ans vice-président du futur groupe aéronautique EADS. Tirant le bilan de sa vie, l’auteur (son petit-fils) conclut que les démocraties avancées tentent de prévenir et résoudre les conflits par la diplomatie. « Mais l’honneur commande de dire non quand l’essentiel est en cause. Or il n’y a pas de grandeur sans honneur. »

Loïc Salmon

« La Nostalgie de l’honneur » par Jean-René van der Plaetsen. Éditions Grasset, 240 pages, 19 €.