Patton, le chasseur de gloire

A force d’ambition et de talent militaire, George Patton (1885-1945) est devenu, parce qu’il croit en sa destinée, l’un des plus célèbres généraux américains de la seconde guerre mondiale… mais aussi le plus controversé pour ses outrances !

William Huon raconte l’homme dans son intimité et le soldat d’exception, après avoir puisé directement dans le fonds (documents, lettres et journaux personnels, photos et objets) du musée « General George Patton Museum of Leadership », situé à Fort Knox dans l’État du Kentucky. Le grand-père et le grand-oncle de Patton, tous deux colonels sudistes, furent tués au combat pendant la guerre de Sécession. A l’école, George privilégie l’histoire et fait de deux grands personnages ses héros, choix qu’il justifiera plus tard : César pour « l’excellence de son système de renseignements qui l’informe sur les mouvements de l’ennemi » ; Alexandre le Grand, « l’un des hommes les plus ambitieux qui ait jamais vécu ». Toute sa vie, il fera référence à Napoléon en distinguant, parmi ses maréchaux, Berthier, son chef d’état-major, et Murat, décrit comme « flamboyant, fou, impétueux et irréfléchi », qualificatifs attribués ultérieurement à Patton lui-même. George entre à 17 ans à l’Institut militaire de Virginie, puis à l’Académie militaire de West Point l’année suivante. Malgré sa dyslexie, il se montre excellent dans les disciplines militaires, moyen dans les matières académiques (il a redoublé une année) et sort 46ème sur 103 en 1909. Un an plus tard, il épouse une riche héritière, Beatrice Ayer, à qui il devra beaucoup au cours de sa carrière. Officier de cavalerie, Patton sait aussi cultiver ses relations, grâce à son entregent, sa haute taille et son charme. Il se trouve aussi à l’aise dans un salon du grand monde, pour cultiver ses relations, que pour parler de façon virile à ses troupes ou manier le sabre et le pistolet. En 1916, il participe à une expédition punitive au Mexique contre Pancho Villa, en tant qu’aide de camp du général Pershing. Celui-ci devient commandant en chef des troupes américaines en Europe l’année suivante. Intégré à son état-major, Patton se voit confier la création du « Tank Corps » pour l’emploi du char d’assaut, mis au point par les Britanniques et les Français. Le 26 septembre 1918, il reçoit le baptême du feu avec ses chars, lors de l’offensive de Saint-Mihiel (département de la Meuse). Blessé au combat, maniaque de la discipline et du détail, il termine la guerre avec la Distinguished Service Cross américaine et la croix de Guerre française. Sorti 25ème sur 248 du Command and General Staff College (l’équivalent de l’École de guerre française) en 1924 et de l’US Army War College (l’équivalent du Centre des hautes études militaires) en 1932, puis promu lieutenant-colonel en 1934, tous les espoirs de hautes responsabilités militaires lui sont permis. Elles se feront attendre…jusqu’en 1940, où il est enfin promu général de brigade ! En 1942, il prend le commandement du 1er Corps blindé, qui deviendra la 7ème Armée. La suite est connue : débarquement au Maroc la même année puis en Sicile en 1943. A partir d’août 1944, à la tête de la 3ème Armée, il participe à la libération de la Bretagne, de la Normandie et de la Lorraine. En avril 1945, promu général 4 étoiles (le maximum), il fait la jonction avec les troupes soviétiques en Autriche. Le 5 juin, il reçoit un accueil triomphal à Los Angeles. Fait citoyen d’honneur de 9 villes de France, il est élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d’Honneur. Il meurt le 21 décembre, en Allemagne, des suites d’un accident de voiture.

Loïc Salmon

Maréchaux du Reich

Les généraux français de la Grande Guerre

« Patton, le chasseur de gloire » par William Huon. Éditions E-T-A-I, 224 pages. 46 €




Jour-J

Cette bande dessinée, composée d’histoires complémentaires, fait revivre le grand débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, avant, pendant et après, vu surtout par des soldats ou sous-officiers britanniques.

Il s’agit de la traduction de 12 numéros petit format de 64 pages d’une même série, publiée chaque semaine depuis juillet 1961 et intitulée « Commando ». Ce terme mythique, qui remonte à la guerre des Boers en Afrique du Sud (1899-1902), désigne les actions de guérilla et de raids des Afrikaners contre l’armée britannique. Les titres de ces récits, captivants et émouvants, parlent d’eux-mêmes : « Embuscade à l’aube », une opération spéciale avec la Résistance française ; « La batterie », autre opération spéciale mettant en lumière la psychologie de conscrits de divers horizons ; « Saut sur la Normandie » de parachutistes américains, qui seront aidés par des soldats russes enrôlés de force dans la Wehrmacht ; « Au mauvais moment, au mauvais endroit », quand un accident dû à de mauvaises conditions météorologiques met en péril l’opération « Overlord » (nom de code du débarquement) 2 jours avant le Jour J ; « Big Joe », le champion de boxe qui n’oublie pas sa spécialité, même au combat ; « Le sang des héros » ou la témérité de fils trop jeunes pour se battre comme leurs pères ; « Les diables rouges », ces parachutistes britanniques au béret rouge qui sèment la terreur chez l’ennemi ; « Opération bulldog », une histoire de chiens comme son nom l’indique ; « La meute des loups », commandos qui traversent la Manche à bord d’une péniche de débarquement le 6 juin ; « L’homme de fer » ou le combattant solitaire ; « le caporal du roi », qui se croit tout permis ; « Les pousse-cailloux », fantassins de la longue bataille de Normandie. Les récits sont émaillés d’utiles fiches techniques : pistolet-mitrailleur britannique Sten et son équivalent allemand Schmeisser ; « Pluto », oléoduc flexible pour acheminer le carburant à travers la Manche ; planeur de transport de troupes ; camion militaire à tout faire ; chasseurs-bombardiers britannique « Mosquito » et américain « Mustang » ; parachutiste britannique avec scooter ou vélo pliant largable avec lui ; homme-grenouille britannique ; torpille chevauchée par 2 hommes et sous-marin de poche britanniques ; char à fascines de branchages pour franchir les fossés et mortier de 290 mm pour percer le béton ; avion britannique d’attaque au sol « Typhoon », pendant du « Stuka » allemand ; le soldat britannique, capable de combattre de façon collective ou seul, face à l’Allemand, très entraîné et discipliné. Ces 12 récits de guerre, rédigés pour la plupart par des anciens combattants qui n’hésitent pas, parfois, à forcer le trait, donnent un aperçu du contexte guerrier de 1944. Ainsi, ils mettent en valeur l’héroïque soldat « anglais », par rapport à l’Écossais toléré, l’Irlandais incapable d’assurer correctement l’intendance et l’Américain condescendant. En face, les soldats allemands sont des brutes épaisses, sauf celui qui sait parler aux chiens, et leurs officiers fanatiques et fourbes, sauf un… qui admire l’esprit chevaleresque d‘un homologue anglais ! Ces récits témoignent aussi de la société militaire britannique des années 1940. Les officiers subalternes sont arrogants ou à peine compétents, sauf ceux sortis du rang bien entendu ! Seuls les officiers supérieurs, plus éloignés de la troupe, apparaissent responsables et expérimentés.

Loïc Salmon

Provence 1944

JU 87 « Stuka »

« Jour-J » bande dessinée britannique Commando. Éditions Pierre du Taillac, 780 pages.19,90 €




Provence 1944

Le 15 août 1944, les troupes alliées débarquent en Provence et parcourent 750 km vers le Nord pour réaliser la jonction, le 12 septembre, avec celles venues de Normandie (6 juin). L’armée française d’Afrique participe à cette opération dénommée « Dragoon ».

Décidé lors de la Conférence de Québec en août 1943 par Roosevelt et Churchill, ce projet est vite approuvé par Staline, qui y voit le moyen de soulager le front soviétique, et De Gaulle celui de démontrer la puissance retrouvée de la France, qui pourra ainsi siéger aux côtés des vainqueurs. Le plan définitif prévoit 600 bateaux de transport et 1.270 péniches de débarquement protégés par 250 bâtiments de guerre et 2.000 avions. La partie aéroportée implique 535 avions et 465 planeurs de transport de troupes. En face, malgré les ponctions au profit du front de Normandie, la Wehrmacht aligne 250.000 hommes, qui considèrent le Midi de la France comme un lieu de détente après les épreuves du front de l’Est. Jérôme Croyet, docteur en Histoire, relate avec force photos, documents et témoignages, cette épopée moins connue que celle du « Jour- J », mais autant mouvementée. Contrairement à celles de Normandie qui comptent beaucoup de jeunes recrues, les troupes du débarquement de Provence ont l’expérience du combat en Afrique du Nord (1942) et en Italie (1943). De l’hiver 1943 au 15 août 1944, les raids alliés déversent 12.500 t de bombes sur les lignes de communications, ports, usines et terrains d’aviation de Provence. A partir du printemps 1944 et avec l’aide de la Milice collaborationniste, les troupes allemandes pourchassent, le long de la vallée du Rhône, les maquis de la Résistance réfugiés dans les massifs des Glières et du Vercors. Ces maquisards, surtout des jeunes gens réfractaires au Service du travail obligatoire en Allemagne, ont rallié les Forces françaises de l’intérieur (FFI), regroupant notamment l’Armée secrète (gaulliste) et les francs-tireurs et partisans (communistes). Le 15 août, après un parachutage de 300 poupées utilisées comme leurres comme lors du « Jour-J », 5.607 parachutistes américains, anglais et français (1er Régiment de chasseurs parachutistes) sautent dans de mauvaises conditions météo, essuient les tirs antiaériens allemands et s’éparpillent au sol. Les maquisards les aideront à se regrouper. Le soir, 100.000 hommes ont pu débarquer entre Cavalaire et Saint-Raphaël. Malgré l’effet de surprise initial, ils livrent de durs combats contre la 19ème Armée allemande, qui se replie vers l’Est. Au cours de leur progression vers l’intérieur, les GI’s sont accueillis en libérateurs en raison de leur image de vainqueurs, contrairement aux soldats français qui incarnent la défaite de 1940, notamment les prisonniers de guerre. Cet enthousiasme suscite l’amertume des Français Libres : « On n’intéressait personne, les Amerlos, eux, vendaient cigarettes et chocolat ». De leur côté, les soldats allemands préfèrent se rendre aux unités régulières américaines, respectueuses du droit de la guerre, plutôt qu’aux FFI, dont ils redoutent la vengeance. Toutefois, grâce à l’aide des FFI (renseignement et harcèlement des troupes allemandes), les divisions américaines atteignent Grenoble en 7 jours au lieu de 90 comme initialement prévu. « Le débarquement en Provence est une réussite militaire, mais aussi publicitaire », conclut Jérôme Croyet. En effet, les cinéastes professionnels, intégrés dans les unités américaines, et les personnels de l’ECPA français captent l’instant pour alimenter les actualités ou les films de propagande.

Loïc Salmon

Femmes en guerre 1940-1946

« Provence 1944 » par Jérôme Croyet. Éditions Gaussen, 144 pages. 24,50 €




Le soldat et la putain

Pour conserver leurs troupes en état de combattre, les autorités politiques et militaires ont tenté de les protéger des maladies vénériennes. La prostitution autour des camps et casernes a été interdite, réglementée et même institutionnalisée avec un succès mitigé.

Le lieutenant-colonel Christian Benoit du Service historique de l’armée de terre a effectué des recherches approfondies dans les archives de l’armée, des hôpitaux et de la police ainsi que dans les romans, écrits par des témoins de leur temps. Au Moyen-Age, la prostitution est tolérée, tant qu’elle ne trouble pas l’ordre public. En 1254, Louis IX (Saint Louis) la rend clandestine en l’interdisant. Il se résout alors à l’autoriser dans certains quartiers et en « bordure » des villes. Jeanne d’Arc, en voulant l’éradiquer de son armée, introduit une condamnation morale qui va perdurer. Avec la propagation de la syphilis au XVème siècle, les chefs militaires tentent d’éloigner les prostituées des armées par des mesures répressives. Des hôpitaux sont établis : celui de l’Hôtel des Invalides à Paris reçoit, dès 1702, les soldats atteints de maladies vénériennes. Une politique de santé publique se met progressivement en place. L’armée n’a pas vocation à traiter la prostitution, mais elle y est contrainte de façon occasionnelle en temps de paix et en permanence en temps de guerre. L’étude du livre porte surtout sur les XIXème et XXème siècles et se limite aux soldats français agissant sur ou hors du territoire national et aux prostituées françaises en contact avec les armées nationales et étrangères en France. Le lieutenant-colonel Benoit rappelle que le jeune homme qui entre dans l’armée quitte sa famille, son métier et ses amis. Il se trouve plongé dans un monde nouveau, parmi des inconnus et soumis à des chefs exigeants. Il devient « déraciné » avec une restriction de sa liberté de circuler, afin de réduire ses contacts avec la population locale. La modicité de sa solde l’empêche de s’échapper du milieu militaire aux loisirs réduits et surveillés. Il rencontre surtout des prostituées, aussi « déracinées » que lui. A l’ère industrielle, la faiblesse des gains et la précarité des métiers provoquent un chômage chronique et fait basculer dans la prostitution des femmes ayant une profession déclarée. S’y ajoutent les filles de province séduites par des soldats, qui les abandonnent quand leur régiment change de garnison. Elles se rendent alors dans les grandes villes pour survivre, surtout à Paris. Après les guerres napoléoniennes, l’armée et la police coopèrent pour réglementer la prostitution et en limiter les conséquences. Il faut attendre 1888 pour que le fait d’avoir attrapé une maladie vénérienne ne soit plus considéré, par les médecins, comme une « faute » mais comme un « malheur » ! Les maisons closes, où l’état sanitaire des pensionnaires est suivi, donneront naissance aux « bordels militaires de campagne » (BMC) pendant les guerres de colonisation. Leur prospérité pendant le second conflit mondial, grâce à la clientèle allemande, entraînera leur interdiction en 1946 en… métropole ! Le dernier BMC de la Légion étrangère ne sera fermé qu’en 1995. Même les troupes américaines ont dû « faire avec » la prostitution réglementée, car les rencontres avec les Anglaises, Françaises et Allemandes, prostituées ou non, ne les ont pas mises à l’abri des maladies vénériennes. Pendant la guerre de Corée (1950-1953), les GI’s avaient accès à des bordels… subventionnés par le gouvernement coréen !

Loïc Salmon

« Le soldat et la putain » par Christian Benoit. Editions Pierre de Taillac, 672 pages. 22,90 €




Le nerf de la guerre

La paix, but de la guerre selon Aristote, coûte de plus en plus cher. Pillage et « guerre économique » ont toujours fait partie de la guerre tout court, de même que l’espionnage, clé de voûte des empires terrestres et maritimes.

Cet ouvrage relate trois millénaires de l’histoire militaire du monde sous cet angle, de l’Occident à l’Orient. Ainsi, l’expansion de l’Égypte des pharaons au Sud, à l’Est et à l’Ouest est financée, pendant presque cinq siècles, par les mines d’or de Nubie (Soudan), centre mondial de la production d’or de l’époque. Le « métal jaune », préféré à l’argent métal pour sa rareté, est principalement négocié en Méditerranée dans la cité grecque de Mycènes et… à Troie ! L’empire perse alimente en espèces sonnantes la rivalité entre les cités grecques pendant la guerre du Péloponèse. La capture de son trésor, entreposé notamment à Suse et Persépolis, permet à Alexandre le Grand de poursuivre ses conquêtes jusqu’en Inde et de stimuler ultérieurement le développement du monde hellénistique. Carthage, rivale de Rome dans le bassin méditerranéen, a confié la défense de son empire maritime à des mercenaires (sauf les officiers supérieurs), qu’elle ne parvient plus à payer. Le pillage des trésors et la vente d’esclaves de Carthage, des Gaules, d’Égypte et de Dacie financent les légions romaines, qui représentent près de 80 % du budget de l’État. En outre, leurs conquêtes intègrent à l’empire des territoires riches en minerais et en produits de l’agriculture et de l’élevage et dont certains sont traversés par les routes de la soie, de l’étain, de l’ambre et de l’alun. L’empire musulman des Omeyyades s’enrichit des butins des palais perses, des églises et monastères byzantins et de la recherche des tombes pharaoniques. L’interdiction du prêt à intérêt par le Coran fait la fortune des banquiers juifs, arméniens et, plus tard, italiens. Comme les conquérants arabes, les Vikings pratiquent la razzia des objets de culte en métaux précieux des couvents et vendent, comme esclaves, les hommes les plus robustes et les femmes les plus belles. La « Pax Mongolica », qui sécurise la route de la soie grâce aux unités de cavalerie mobile, est réalisée par la terreur qu’inspirent les hordes mongoles. Leur service d’action psychologique fait croire qu’elles sont plus nombreuses et plus efficaces que les armées des régions envahies. En outre, les Mongols proposent aux villes hostiles d’éviter le saccage par le paiement d’un tribut… qui limitera leurs propres pertes et financera leurs conquêtes futures ! La conquête du nouveau monde nécessite des galions pour transporter ses richesses en Europe et des vaisseaux pour les protéger des pirates. Les Marines militaires, l’artillerie et les fortifications coûtent très cher aux États européens, qui se lancent dans une course aux armements. Dès le XVème siècle, les pays belligérants créent des banques centrales pour financer l’effort militaire, puis la « guerre totale » jusqu’aux deux conflits mondiaux. A la même époque, débute la fabrication de fausses monnaies étrangères pour déstabiliser les pays ennemis. Au XVIIIème siècle, pour étendre son influence, la Grande-Bretagne appuie son armée et sa Marine  par sa « cavalerie d’or de Saint Georges », qui soudoie les personnalités politiques de pays tiers. Aujourd’hui, les trafics de drogues, d’or et de pierres précieuses financent les conflits asymétriques et les manipulations de devises déclenchent des guerres économiques et commerciales.

Loïc Salmon

Chine, Iran, Russie : un nouvel empire mongol ?

Le basculement océanique mondial

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

« Le nerf de la guerre » par Alessandro Giraudo. Éditions Pierre de Taillac, 448 pages. 25€




L’histoire de l’Aviation légère de l’armée de terre 1794-2014

Par son adaptabilité, l’hélicoptère de combat de l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) peut s’utiliser du conflit de haute intensité à l’action humanitaire. Sa rapidité d’emploi lui confère une dimension politico-militaire dans la gestion des crises.

Il aura quand même fallu 60 ans pour y arriver, comme le présente en détail ce livre, tiré de la thèse de doctorat d’histoire contemporaine du général (2S) André Martini, soutenue en 2004 puis enrichie pendant la décennie suivante. L’ALAT justifie sa double appartenance au monde rustique de l’armée de Terre et à celui de la technique aéronautique. Son esprit pionnier, caractéristique de la saga de l’aviation tout court, se heurtera souvent aux dures réalités administratives et financières, sans oublier les rivalités entre armées de Terre et de l’Air. Aux États-Unis, les expériences de ballons d’observation aériennes et de réglage de tirs d’artillerie débutent à la guerre de Sécession (1860-1865). La Grande-Bretagne met sur pied une unité de ballons au Beschuanaland (Afrique australe) en 1884. Mais la France les a précédées lors de la bataille de Fleurus…en 1794 ! Cette innovation est ensuite décriée comme une « tricherie » dans la conduite de la guerre. Elle ne réapparaît qu’au siège de Paris en 1870. Après les essais de « l’avion » de Clément Ader (1897) et surtout la traversée de la Manche par Louis Blériot en 1909, les militaires s’y intéressent. L’aéronautique désigne alors la science de la navigation aérienne, l’aérostation « les plus légers que l’air » et l’aviation « les plus lourds que l’air ». L’hélicoptère apparaît dans les années 1920, mais il faut attendre les guerres de Corée puis d’Indochine et surtout d’Algérie pour qu’il démontre son utilité. Le 8 mars 1956, le colonel Marcel Bigeard réussit la première opération héliportée en utilisant des hélicoptères comme engins d’assaut. Par ailleurs, fin 1960, plus de 1.500 blessés ont été évacués de nuit en plus de 750 missions extrêmement risquées. Vulnérable, l’hélicoptère sera rapidement doté de mitrailleuses, lance-roquettes et enfin missiles. Le besoin de deux niveaux d’action aérienne se manifeste : appui mené par des moyens concentrés sur quelques bases opérationnelles, du ressort de l’armée de l’Air ; action aérienne immédiate et intégrée à la manœuvre terrestre qui relève de l’ALAT. La formation des pilotes d’hélicoptères se fait dans les deux armées. Dans l’armée de l’Air, elle attire les pilotes devenus inaptes au métier de chasseur ou de transporteur. En revanche, dans l’armée de Terre, les jeunes officiers se tournent vers l’hélicoptère, comme leurs anciens vers la cavalerie légère. Les progrès techniques transforment le combat dans la 3ème dimension. Le radar « Spartiate » permet de guider vers l’arrière les hélicoptères possédant l’aptitude au vol ans visibilité, garantissant du secours aux équipages par tous les temps. Viennent ensuite les jumelles intensifiant la lumière résiduelle, pour le vol de nuit, et la caméra thermique pour l’identification des cibles. Les combats de demain, intenses et de courte durée seront soumis à la surveillance constante des moyens de renseignement et à la menace permanente d’armes précises à temps de réaction très bref. Le rythme des interventions de l’ALAT sera accru en conséquence. Devant la complexité des équipements destinés à maîtriser ces risques, le facteur humain restera toujours primordial.

Loïc Salmon

ALAT : retour d’expérience opérationnelle

Armée de Terre : l’ALAT, indispensable à l’engagement terrestre

« L’histoire de l’Aviation légère de l’armée de terre » 1794-2014, par le général André Martini. Éditions Lavauzelle, 448 pages.




Entendre la guerre

La première guerre mondiale fut le triomphe du bruit jamais entendu auparavant, en raison de la canonnade à outrance le long du front, mais aucun enregistrement original ne subsiste. Par ailleurs, les musiques ont joué un rôle important pendant ce conflit.

C’est ce qu’explique le catalogue de l’exposition « « Entendre la guerre », organisée par l’Historial de la Grande Guerre de Péronne (Somme) du 27 mars au 16 novembre 2014. Dans les années 1920, le cinéma reconstitue l’atmosphère sonore de la guerre par des « trucages ». Ainsi, le succès du film américain The Big Parade de King Vidor (1925) doit beaucoup aux « bruisseurs », cachés derrière l’écran, qui imitent les sons des canons et mitrailleuses, les sifflements des obus et les éclatements de « shrapnels ». La notoriété du roman Les croix de bois de Roland Dorgelès (1919) est accrue par ses adaptations à l’écran en 1931 et 1936. Le cinéma parlant fait alors revivre la guerre des tranchées avec le brouhaha général, le bruit des armes, l’argot et les chansons des « poilus ». Les scènes de bataille et de bombardement des films des années 1930 deviendront les « vraies fausses archives » de la guerre 1914-1918. Les bandes-son intégrées aux images d’actualités muettes sont encore « repiquées » aujourd’hui dans des documentaires pour perpétuer la mémoire du conflit. Jusqu’au XIXème siècle, la musique militaire devait transmettre les ordres, régler les mouvements de troupes et, éventuellement, semer la terreur parmi l’ennemi sur le champ de bataille, à l’instar du « meher » des janissaires ottomans ou des cornemuses des troupes britanniques pendant la guerre de Crimée (1853-1856). Par la suite, la musique militaire adopte des chansons d’origine civile pour rythmer les marches. Ainsi, La Madelon, créée en 1914 pour le café-concert « L’Eldorado », demeure la chanson emblématique de la première guerre mondiale. Cette « Marseillaise des tranchées » améliore le moral des troupes, à la grande satisfaction du commandement. De même, la chanson It’s a long way to Tipperary , écrite  pour le music-hall en 1912, connaît un rapide succès avec l’arrivée des troupes britanniques en France en 1914. La musique du film Le pont de la rivière Kwaï (1957) est inspirée d’une marche de 1914, qui avait connu un immense succès commercial à l’époque. En 1917, le jazz débarque en France avec les troupes américaines. Un régiment de soldats noirs, considéré comme inapte au combat, est confiné dans la logistique. Mais l’année suivante, il intervient au feu sous commandement français et devient, pour la postérité, celui des « Harlem Hellfighters » (Combattants de l’enfer de Harlem). Son orchestre de parade, car chaque régiment américain en dispose, suscite l’enthousiasme du public à chacun de ses concerts avec la marche militaire Stars and Stripes Forever, mais aussi le morceau de jazz syncopé Memphis Blue. Le régiment s’illustre tellement au combat qu’il reçoit la croix de Guerre à Munchausen, sur le front du Rhin le 13 décembre 1918. Par ailleurs, cette guerre provoque des traumatismes d’oreille d’une ampleur sans précédent, par suite du souffle d’explosions et de bruits trop intenses. Chaque fois que le canon se tait, s’installe « le silence de mort », synonyme de la mort elle-même et rappel de la souffrance endurée par les combattants. Le rite de la « minute de silence », en hommage aux morts, date de la Grande Guerre.

Loïc Salmon

Les généraux français de la Grande Guerre

« Entendre la guerre », ouvrage collectif sous la direction de Florence Gétreau. Éditions Gallimard/Historial de la Grande Guerre, 160 pages. 24 €




D’or et d’argent

Les décorations des derniers princes descendant du Grand Condé (1621-1686) sont exposées pour la première fois à Chantilly, à l’initiative du musée Condé et de la Société des amis du musée de la Légion d’Honneur et des ordres de chevalerie.

Le duc d’Aumale (1822-1897), fils de Louis-Philippe, en a hérité en 1829 en tant que filleul du duc de Bourbon, dernier prince de Condé et première fortune de France. Les trois précédents propriétaires de Chantilly ont servi dans « l’armée de Condé », constituée d’émigrés et de royalistes en lutte contre les troupes révolutionnaires. A la bataille de Valmy le 20 septembre 1792, les Alliés (Autriche, Prusse et Hesse) s’en méfient et la cantonnent à l’arrière. Cette armée, qui compte 20.000 hommes en 1797, perd son intérêt pour les Alliés après le coup d’État du 18 brumaire (1799), qui porte le général Bonaparte au pouvoir. Faute de crédits, elle sera dissoute en 1801 après la signature du traité de paix de Lunéville. Louis-Joseph de Bourbon (1736-1818), seul membre de la famille royale à avoir perçu l’importance de la prise de la Bastille le 14 juillet 1789, décide de quitter la France avec toute sa famille. Il prend la tête de l’armée de Condé en 1792 et rentre en France en 1814. Il loue   à l’État sa résidence du Palais-Bourbon… occupée par la Chambre des députés ! Il parvient à récupérer une partie des trésors de Chantilly, qui avaient été confisqués et réunis aux collections nationales. Son fils, Louis-Henri-Joseph (1756-1830) est le parfait représentant de ces émigrés qui n’ont « rien appris, rien oublié » en 25 ans d’exil. Pendant les Cent-Jours  (1er mars-7 juillet 1815) du retour de Napoléon à la tête de l’État, il rencontre en Angleterre Sophie Dawes qui, devenue grâce à lui baronne de Feuchères, négociera le legs de sa fortune au futur duc d’Aumale, tout en gardant une partie pour elle. Le duc de Bourbon avait en effet perdu son fils, Louis-Antoine-Henri, le célèbre duc d’Enghien (1772-1804) enlevé et exécuté dans un fossé du château de Vincennes. Le catalogue « D’or et d’argent » présente tous les ordres de chevalerie et décorations, français et étrangers, portés par les trois derniers princes de Condé et le duc d’Aumale. L’Ordre de Malte est le dernier héritier des ordres militaires, religieux et hospitaliers européens apparus à la suite des croisades. Au XIVème siècle, ces derniers prennent un caractère étatique et dynastique. L’un d’eux, l’Ordre anglais de la Jarretière fondé par Édouard III en 1348, perdure aujourd’hui. Entre le XVème et le XVIIème siècle, le port d’insignes d’ordre de chevalerie certifie publiquement la qualité de membre d’une famille royale, ce qui facilitera ultérieurement l’identification ou même la datation des personnages de certains tableaux. En France, l’Ordre de Saint Michel est institué par Louis XI en 1469. Celui du Saint-Esprit, crée par Henri III en 1578, sera le plus prestigieux jusqu’à la Révolution et pendant la Restauration (1815-1830). Louis XIV innove en 1693 par l’institution de l’Ordre de Saint-Louis, décerné uniquement au mérite aux officiers catholiques de l’armée royale. Les trois derniers Condé ont donc fait preuve de leur talent militaire et de leur vaillance pour recevoir la croix de chevalier de Saint-Louis. Son ruban rouge sera repris par le Premier Consul Napoléon Bonaparte en 1802 pour l’instauration de la Légion d’Honneur. La Restauration ne l’abolira pas, mais remplacera l’aigle impériale ou l’effigie de l’Empereur par le profil du « Bon Roi » Henri IV.

Loïc Salmon

Expositions « D’or et d’argent » et…d’autres raretés au château de Chantilly

La Légion d’honneur

« D’or et d’argent » par Nicole Garnier-Pelle, Patrick Spilliaert et Astrid Grange. Éditions Monelle-Hayot. 120 pages/25 €.




Maréchaux du Reich

De 1936 à 1945, 27 officiers généraux allemands ont été élevés à la dignité de maréchal pour leur action militaire et 1 à titre honorifique. Seuls quelques uns, dont Rommel (armée de Terre), Göring (armée de l’Air) et Dönitz (Marine), sont restés dans l’Histoire.

L’historien François de Lannoy retrace en détail la carrière de ces grands chefs militaires, nés entre 1875 et 1895. Aucun d’eux n’est issu d’une classe populaire, mais la bourgeoisie cultivée a investi les hautes sphères militaires au détriment des vieilles familles prussiennes depuis le milieu du XIXème siècle. La noblesse est surtout présente dans l’armée de Terre (11 maréchaux sur 19), peu dans celle de l’Air (1 sur 6) et absente dans la Marine. Avant 1914, tous les futurs maréchaux ont alterné les postes de commandement dans la troupe et en état-major. Au moins 12 ont suivi les cours de la « Kriegsakademie » (École supérieure de guerre) de Berlin. Tous ont terminé la première guerre mondiale avec la croix de Fer et 7 ont obtenu la croix « Pour le Mérite », plus haute distinction militaire prussienne. La majorité d’entre eux ont vu leur carrière s’accélérer avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 et ont atteint le sommet de la hiérarchie et du commandement avant 1939. Si quelques uns sont nazis, la plupart ne se mêlent pas de politique. Pourtant, tous approuvent la remilitarisation décidée par Hitler, pour des motifs de carrière et de revanche territoriale (Pologne). Sur les 24 maréchaux promus pendant la deuxième guerre mondiale, 12 l’ont été sur le front de l’Ouest (1940) et 11 sur celui de l’Est (1941-1945). Seul Rommel l’a été pour son action en Afrique du Nord. Ensuite, leur longévité varie. Rares sont ceux qui ont osé tenir tête au Führer sur les questions militaires ou stratégiques. Beaucoup ont fermé les yeux sur la réalité de la « guerre totale ». Erwin Rommel (1891-1944) se distingue pendant la première guerre mondiale, où il est blessé deux fois. Son succès triomphal à la tête de « l’Afrikakorps » en Libye en 1942, contre les Britanniques, en fait un héros national. Convaincu d’avoir été informé de la préparation de l’attentat contre Hitler en 1944, il est contraint au suicide par absorption de poison. Hermann Göring (1893-1946), pilote, termine la guerre de 1914-1918 comme commandant de la 1ère escadre de chasse, celle du « baron rouge » Manfred von Richthofen décédé. Adhérent au parti nazi dès 1922 et député en 1931, il préside le Reichstag quand Hitler est nommé chancelier. En 1935, il crée et commande la « Luftwaffe », dont la capacité est testée pendant la guerre d’Espagne (1936-1939). Mais celle-ci accumule les échecs pendant l’offensive contre l’URSS. Göring est démis de toutes ses fonctions en 1945, car partisan de négociations avec les Américains à qui il finira par se rendre. Condamné à mort par le tribunal de Nuremberg, il s’empoisonne au cyanure la veille de son exécution. Karl Dönitz (1891-1980), commandant de sous-marin en 1918, organise la flotte sous-marine du Reich en 1935 et lance les attaques « en meute » contre les convois alliés en Atlantique dès 1941. Chef de la « Kriegsmarine » en 1943 puis désigné dauphin par Hitler avant son suicide le 30 avril 1945, il tente de négocier séparément avec les Alliés. Condamné par le tribunal de Nuremberg, il est libéré en 1956. Après la guerre, les 15 maréchaux du Reich survivants tombent dans l’obscurité à l’issue de leurs peines de prison. Pourtant, l’un d’eux, Manstein, deviendra « conseiller »… lors de la mise sur pied de l’armée ouest-allemande !

Loïc Salmon

Les généraux français de 1940

JU 87 « Stuka »

« Maréchaux du Reich » par  François de Lannoy. Éditions E-T-A-I, plus de 300 images et photos d’archives, 192 pages.




Les généraux français de 1940

Cet ouvrage présente les biographies de 24 généraux ayant exercé les plus hautes responsabilités en 1939-1940. Les auteurs tentent de comprendre pourquoi l’élite de l’armée française a été dépassée par les événements, qui ont conduit à la défaite.

Le corps des généraux de l’époque est assez homogène : sur les 24 officiers étudiés, 17 sont issus de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr et 6 de l’École polytechnique pour 1 de l’École militaire d’infanterie. Grâce à leur valeur intrinsèque et la guerre de 1914-1918, 19 ont commandé un régiment et 5 ont exercé des responsabilités analogues. Très bien notés, 22 ont réussi le concours d’entrée à l’École supérieure de guerre (ESG), créée après la défaite de 1870 contre la Prusse. Les 13 meilleurs colonels ont été envoyés au Centre des hautes études militaires (CHEM). Par la suite, la double qualification « ESG plus CHEM » sera la règle au début des années 1930. Pourtant, ces généraux, très intelligents et cultivés, ont échoué dans leur mission. Les auteurs avancent plusieurs raisons : mauvaise forme physique et/ou séquelles de maladies contractées dans les colonies ; certitudes héritées de la victoire de 1918, acquise  chèrement (départements du Nord dévastés et centaines de milliers de mutilés) ; perte de repères due à la rapidité des événements. Encouragés à se montrer dociles, les membres du haut commandement sont devenus excessivement conformistes et prudents. Ils manquent d’imagination et de capacité à comprendre la réalité du terrain. Enfermés dans des schémas stratégiques d’école, ils oublient que les lois de la guerre sont aussi soumises au progrès technique. Par ailleurs, l’organisation et la doctrine militaires diluent les responsabilités, mal définies et non déléguées. Les exécutants disposent de peu de marge d’initiative dans une bataille conduite depuis les états-majors trop centralisés. Faute d’équipements en nombre suffisant, les généraux  ne croient plus vraiment à la valeur de l’armée française. Enfin, il n’y a guère de confiance réciproque entre le haut commandement et les responsables politiques, incapables d’avoir une politique, sérieuse et constante, et de donner des directives cohérentes. En 1940, le haut commandement français perd rapidement l’initiative et sa liberté d’action. Parmi les grands chefs militaires, figurent les généraux Gamelin, Giraud, Huntziger et Weygand. Membre du cabinet de Joffre à la bataille de la Marne, Gamelin devient commandant en chef des forces terrestres et des armées alliées en France en 1939. Déchu en septembre 1940 et  emprisonné dans le Tyrol, il sera libéré en 1945. Giraud s’évade d’une prison allemande en 1942, rejoint l’Afrique du Nord et y remplace l’amiral Darlan, assassiné, comme commandant en chef civil et militaire. Il réussit la libération de la Corse en 1943, mais sera évincé de la présidence du Comité français de libération nationale par De Gaulle. Huntziger, dont la famille a quitté l’Alsace après son annexion par la Prusse en 1871, se retrouve face à Hitler le 21 juin 1940, dans le wagon de Rethondes où a été signé l’armistice du 11 novembre 1918. Chef d’état-major de Foch en 1914 et présent à Rethondes en 1918, Weygand est nommé délégué général du gouvernement en Afrique du Nord en 1940. Il y reconstitue l’armée d’Afrique, qui contribuera à la victoire de la France, et négocie en secret avec les Etats-Unis. Relevé de son poste et interné en Allemagne puis en Autriche, il sera libéré en 1945.

Loïc Salmon

Enseignement militaire supérieur : former les chefs d’aujourd’hui et de demain

Les généraux français de la Grande Guerre

Maréchaux du Reich

« Les généraux de 1940 » par François de Lannoy et Max Schiavon. Éditions E-T-A-I, près de 300 photos, 192 pages. 38 €