Marine nationale : la police en mer, agir au bon moment et au bon endroit

La Marine intervient loin, longtemps et par tous les temps contre les trafiquants en tout genre et la piraterie, pour que les mers restent un espace de liberté.

Cette mission de police de la mer a été abordée au cours d’un colloque organisé, le 21 janvier 2016 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine (CESM) et l’École de guerre. Y sont notamment intervenus : le contre-amiral Thierry Rousseau, directeur du CESM ; le commissaire en chef Thierry de la Burgade, adjoint « action de l’État en mer » de l’état-major de la Marine ; Cyrille Poirier-Coutansais, directeur de recherche au CESM ; Geoffroy de Dinechin, directeur des opérations chez Orange Marine.

Résultats opérationnels. Dans la lutte contre les trafiquants, la Marine effectue des actions de la haute à la basse intensité en mer des Caraïbes, dans le golfe de Guinée, en Méditerranée et dans l’océan Indien, explique le commissaire de la Burgade. Elle coopère avec la Marine américaine au large des Antilles pour détecter les flux d’héroïne, dont les vecteurs, du semi-submersible au porte-conteneurs, nécessitent des modes de réaction différents. Ainsi, l’hélicoptère d’une frégate pourra obliger un navire suspect à s’arrêter en haute mer, afin qu’une visite soit effectuée à son bord par des commandos. La compagnie maritime CMA CGM fait inspecter la coque de ses navires dans les ports d’Amérique du Sud, depuis qu’une torpille chargée de cocaïne y a été découverte… soudée ! En Méditerranée, les narcotrafiquants remontent vers le Nord de l’Afrique et s’infiltrent dans les flux de migrants, secourus par la Marine italienne, pour tenter le passage. Selon l’agence européenne de contrôle des frontières extérieures Frontex, entre octobre 2014 et octobre 2015, l’immigration clandestine par la mer a augmenté de 1.009 % en Méditerranée orientale. La Marine française participe à plusieurs opérations européennes de lutte contre le trafic de migrants et les passeurs : « Indalo » (au large de l’Espagne) et « Héra » (Mauritanie et Cap Vert) en Atlantique ; « Triton » (Italie) et « Sophia » (Libye) en Méditerranée centrale. Suite au refus des autorités libyennes d’autoriser l’entrée dans les eaux territoriales (22 km), Frontex a redéployé ses moyens vers la côte turque, mais sans implication de la Marine française. En revanche, à Mayotte et en coordination avec les cinq radars terrestres, celle-ci intervient pour secourir les migrants qui sont reconduits dans leur pays d’origine, sauf les femmes enceintes et les enfants mineurs. En outre, elle participe aux opérations internationales de lutte contre la piraterie, dont : « Corymbe » (depuis 1990) pour la surveillance dans le golfe de Guinée et la formation des personnels des pays riverains ; « Atalante » (2008) avec déploiements du patrouilleur de haute mer L’Adroit et d’un avion de surveillance maritime F50M en océan Indien, où aucune attaque n’est survenue en 2015. Elle assure un contrôle naval volontaire avec les navires marchands par le partage du renseignement et la formation de convois ainsi que l’embarquement d’équipes armées sur les thoniers senneurs. Pour lutter contre la pêche illégale en Guyane où les comportements sont parfois violents, la Marine coopère avec les forces armées brésiliennes. Dans les terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le pillage des ressources halieutiques, dont la légine à la chair très appréciée des Asiatiques, se fait à grande échelle. Le dispositif de coercition et de répression inclut la surveillance satellitaire et la saisie des filets, qui coûtent jusqu’à 50.000 € pièce. Depuis quelques années, des prospections pétrolières illégales ont été constatées dans les Iles Éparses (TAAF), où sont exercées la surveillance des études sismiques et l’observation par satellite et avion. Les biens culturels maritimes constituent un nouvel enjeu pour les trafiquants, notamment les épaves d’anciens vaisseaux à voiles disparus en mer. Pour toutes ces missions de police en mer, les commandants de navires et d’aéronefs de l’État sont habilités à constater l’infraction et en informer un procureur.

Dimensions géopolitiques. Pendant la guerre froide (1947-1991), la présence des Marines américaine, soviétique et européennes sur toutes les mers a réduit la piraterie et les trafics de drogue, rappelle Cyrille Poirier-Coutansais. Ils ont repris ensuite et profitent aujourd’hui de la globalisation du commerce légal. Par ailleurs, la Convention de l’ONU sur le droit de la mer (1982) a offert aux États côtiers une zone économique exclusive, que beaucoup d’entre eux sont incapables de protéger. Ainsi, les 38 délimitations de la zone des Caraïbes facilitent le trafic de cocaïne d’Amérique latine vers les États-Unis et l’Europe. Actuellement, les principales zones de piraterie sont situées le long des principales routes maritimes de transport d’hydrocarbures et de marchandises : Est de l’océan Indien et golfe de Guinée vers l’Europe ; Asie du Sud-Est vers l’Extrême-Orient. En outre, 15 % des pêches dans le monde sont illégales. L’Union européenne (UE) a nommément désigné 18 pays contrevenants : 8 ont reçu un avertissement ; 3 font l’objet de sanctions commerciales avec interdiction d’exportation vers l’UE ; 7 ont corrigé leurs pratiques par la suite.  Télécommunications sous-marines. Le monde entier est desservi par des câbles de fibres optiques reposant sur le fond des océans et qui acheminent plus de communications que les satellites depuis les années 1980. Les pays directement reliés à plus de 20 d’entre eux sont exposés au risque de « coupure internet » : États-Unis, Grande-Bretagne, Suède, Espagne, France, Italie, États riverains de la mer Rouge, Inde, Chine, Corée du Sud et Japon. Actuellement, Orange Marine installe des câbles sous-marins entre la Somalie et le Kenya (Afrique de l’Est) et entre le Cameroun, le Nigeria et le Bénin (golfe de Guinée). Les navires spécialisés, qui posent (80 km/jour) et réparent ces câbles, sont très lents (11km/h), souvent à l’arrêt et donc vulnérables, explique Geoffroy de Dinechin. La protection des équipages, tous volontaires mais non armés, est assurée par : la Marine nationale qui fournit conseils, analyses des situations locales et équipes de militaires embarquées ; les procédures de sûreté et les mesures de protection passive à bord (barbelés et « citadelle refuge »). Le coût de la sécurité se répercute sur les salaires des équipages, qui incluent une « prime de mer », et les primes d’assurances, majorées de 20 % pour risques de guerre.

Loïc Salmon

Piraterie maritime : l’action d’Europol

Lutte contre le trafic de drogue : réponse internationale

Les quantités de drogue saisies en mer en 2014 et 2015 et à destination de l’Europesont passées de 1% à 5 % pour le cannabis et de 17 % à 67 % pour la cocaïne. En 2015, la Marine nationale a saisi 1,9 t de cocaïne (+ 290 kg rejetés en mer) et 2,5 t de cannabis (+ 1,5 t rejetée en mer). Elle a aussi intercepté 1.289 migrants en Méditerranée et 1.736 à Mayotte. En matière de pêche illicite, elle a procédé à 1.537 contrôles, dressé 1.828 procès-verbaux, dérouté 55 navires et saisi 8,5 t de poisson et 155 km de filets. En 2015, selon l’International Maritime Bureau, il y a eu 7 actes de piraterie dans le golfe de Guinée et 18 en Asie du Sud-Est ainsi que 17 actes de brigandage maritime (attaques de navires à quai ou au mouillage dans les ports) dans le golfe de Guinée et 153 en Asie du Sud-Est.




Sécurité : la contrefaçon et ses conséquences économiques, sanitaires et criminelles

Les produits contrefaits, accessibles sur internet, privent l’État de recettes fiscales, pillent les fruits des recherches des entreprises, menacent les emplois et mettent en péril la santé et la sécurité des consommateurs. En outre, leurs ventes financent le terrorisme et les organisations criminelles.

La lutte contre la contrefaçon a fait l’objet d’un colloque organisé, le 23 septembre 2015 à Paris, par le cabinet Rivington. Parmi les intervenants figurent : Bernard Brochand, député et ancien président du Comité national anti-contrefaçon ; Véronique Louwagie, députée et membre de la commission des finances ; Cécile Untermaier, députée et membre de la commission des lois ; Didier Hillion, directeur Propriété intellectuelle du groupe Renault ; Pascal Asselot, directeur de Licensing France Brevets ; Joël Rosenberg, études industrielles du ministère de la Défense ; Delphine Sarfati-Sobreira, directrice générale de l’Union des fabricants (UNIFAB) ; Céline Gouyer, Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ; Didier Douilly, Gendarmerie nationale.

Fléau multisectoriel. Le marché de la contrefaçon, qui touche 15 % du commerce mondial pour un montant de 450 Md€, a fait perdre 40.000 emplois en France et 100.000 en Europe, estime Bernard Brochand. Quelque 6 millions d’objets contrefaits ont déjà été saisis en 2015. Investir 1.000 € rapporte 20.000 € dans la drogue, mais 500.000 € dans la contrefaçon ! Celle-ci touche même les produits culturels. Ainsi, la Ville de Cannes a dû déposer la marque  « Cannes » pour protéger son patrimoine, car la Corée du Sud et la Turquie l’apposaient sur leurs produits. Environ 1 médicament sur 10 est dangereux car contrefait. Ceux « made in China » peuvent contenir des excipients toxiques. De son côté, Véronique Louwagie rappelle que, selon l’Organisation mondiale de la santé, 50 % des médicaments accessibles sur internet sont frelatés, ce qui pose un problème de santé publique. La vente en ligne porte aussi sur le tabac, les cosmétiques, les produits de luxe et ceux à haute valeur ajoutée. Leur contrefaçon représente une source de revenus criminels de l’ordre de 250-500 Mds$ par an. Par ailleurs, « l’impression en 3 D » (dimensions) ouvre un champ nouveau à la contrefaçon, explique Joël Rosenberg. Elle permet en effet la reproduction d’objets en plastique, métal ou céramique, même de grandes dimensions. Il suffit de scanner les fichiers techniques de millions d’objets disponibles dans les bibliothèques pour en recomposer l’identité numérique extérieure et intérieure, rendant difficile la protection de la propriété industrielle. Cette révolution technologique accélère le temps de fabrication, car les fichiers numériques sont envoyés directement à des machines automatisées. A terme, en cas de rupture de stock de pièces de rechange d’un véhicule, il sera plus rapide, par l’impression 3 D, d’en réaliser de plus en plus sophistiquées, de bonne tenue dans le temps et selon des caractéristiques proches de celles des pièces d’origine.

Protection et prévention. Tout marché de pièces de valeur suscite celui de la contrefaçon, poursuit Joël Rosenberg. La principale protection réside dans l’innovation, afin d’avoir une longueur d’avance. Ensuite, la qualification des pièces d’origine et la certification des modes de production deviennent indispensables. Par ailleurs, il faut identifier les faux brevets et porter l’affaire devant les tribunaux du pays du contrefacteur, souligne Pascal Asselot. Comme se défendre coûte de plus en plus cher, les grands groupes industriels veulent épuiser les petites sociétés demanderesses. Actuellement, les entreprises américaines, très actives sur les réseaux sociaux, font le siège des institutions européennes pour affaiblir les réglementations des pays membres sur les brevets. Toutefois, un brevet « européen » devrait voir le jour en 2017. La Chine, qui a commencé par copier, dépose aujourd’hui des brevets et veut les protéger. Selon Delphine Sarfati-Sobreira, elle a compris que le droit de propriété intellectuelle permet aux inventeurs de vivre et à la technologie d’avancer. En conséquence, elle entreprend de sensibiliser les enfants dès les petites classes. En France, l’UNIFAB intervient dans les grandes écoles, pour que l’enseignement aille au-delà de la simple sensibilisation. En 2014, elle a lancé avec Interpol une campagne d’information sur internet et les réseaux sociaux.

Traque et répression. Le renseignement vise à matérialiser des informations en vue d’une action judiciaire, explique Céline Gouyer. A cet effet, la Douane dispose d’attachés en poste en Chine et dans divers États dans le cadre d’unions douanières (accords commerciaux entre États membres ayant adopté une politique commune vis-à-vis de pays tiers). En outre, un plan d’action européen (2009-2017) auprès des groupes industriels est piloté en France par le ministère de l’Économie. Depuis 2014, la loi autorise l’infiltration physique et électronique des livraisons de produits contrefaits. Un achat sur internet permet de remonter la filière. Ainsi, la saisie de 8,8 millions d’objets en 2014 a débouché sur le démantèlement de réseaux et l’identification des contrefacteurs. Chaque année, quelque 1.200 expertises, réalisées en partenariat avec les entreprises et les titulaires de droits industriels, facilitent l’identification de contrefaçons. Toutefois, les douaniers ne peuvent intervenir sur les marchandises en transbordement… qui n’entrent pas dans l’Union européenne !

Grand banditisme. Les enquêtes sur la contrefaçon et la drogue vont de pair. En effet, le même véhicule peut acheminer les deux pour rentabiliser le transport, indique Didier Douilly. Contrefaçon impliquant travail illégal et blanchiment d’argent, les recherches portent sur les achats immobiliers ou d’importants biens meubles, afin de démanteler les réseaux criminels organisés. Quand la Gendarmerie ne peut agir en France, elle envoie des informations à ses homologues étrangers. En outre, elle dispose de 250 spécialistes des nouvelles technologies, car 70% des ventes de contrefaçons s’effectuent sur internet. Enfin, l’argent saisi sert à indemniser les victimes physiques (inventeurs) ou morales (entreprises).

Loïc Salmon

Lutte contre le trafic de drogue : réponse internationale

La Douane : actions tournées vers la défense et l’international

Sûreté : élément stratégique des entreprises internationales

La convention internationale « Médicrime » contre les produits médicaux contrefaits et les infractions similaires menaçant la santé publique érige en infraction pénale : la fabrication de produits médicaux de contrefaçon ; la fourniture, l’offre de fourniture et le trafic de produits médicaux contrefaits ; la falsification des documents ; la fabrication ou fourniture non autorisée de médicaments et la commercialisation de dispositifs médicaux ne satisfaisant pas aux exigences de conformité. La convention établit un cadre favorisant l’instauration d’une coopération nationale et internationale entre les autorités sanitaires, policières et douanières compétentes tant au niveau national qu’international, l’adoption de mesures destinées à prévenir la criminalité en y associant le secteur privé ainsi que la poursuite effective des délinquants en justice et la protection des victimes et des témoins.




Guyane : zone stratégique sur le continent sud-américain

Les Forces armées en Guyane (FAG) assurent la protection de ce département, qui abrite le Centre spatial européen de Kourou. Elles contribuent aussi à la préservation des intérêts français en Amérique du Sud.

Leur commandant supérieur, le général de division aérienne Didier Looten, l’a expliqué le 29 novembre 2018 à la presse, lors d’une visioconférence.

Enjeux et moyens. Seul département d’outre-mer continental, la Guyane française s’étend sur 84.000 km2, dont 95 % de forêt tropicale. Elle possède 380 km de frontière maritime et des frontières terrestres de 530 km avec le Suriname et de 740 km avec le Brésil. Son chef-lieu, Cayenne, se trouve à 7.000 km de Paris et 1.400 km de Fort-de-France (Martinique). Forces de souveraineté, les FAG assurent la connaissance et la veille sur une zone de responsabilité permanente (ZRP) couvrant une vingtaine de pays, du Brésil au Mexique, pour anticiper les crises et collectent du renseignement d’intérêt militaire. En cas de crise, elles ont pour mission de planifier et de conduire une intervention et acheminer des secours d’urgence, dans leur ZRP ou sur le territoire national, notamment par un appui aérien aux Antilles. Par leur présence, elles contribuent à la stabilité de la ZRP et entretiennent une coopération militaire avec le Suriname et le Brésil. Les FAG comptent 2.100 militaires, dont la majorité en mission de longue durée (2 ans) et 200 civils. Environ 400 sont sur le terrain pour garantir les postures permanentes de sûreté aérienne (deux à trois sorties par jour) et de sauvegarde maritime. La Base aérienne 367 accueille 3 avions cargos tactiques Casa, 4 hélicoptères légers polyvalents Fennec et 5 hélicoptères de manœuvre Puma. La base navale de Dégrad-des-Cannes abrite : les patrouilleurs légers La-Confiance (en service en 2016) et La-Résolue (2017), adaptés aux besoins spécifiques de la Guyane ; l’embarcation remonte-filet La-Caouanne (2015). La Gendarmerie maritime dispose de deux vedettes, l’une à Dégrad-des-Cannes, et l’autre à Kourou. L’armée de Terre déploie le 9ème Régiment d’infanterie de marine, le 3ème Régiment étranger d’infanterie et un régiment de service militaire adapté. Le groupement de soutien de la base de défense inclut : dépôt de munitions ; Services de santé, du commissariat et des essences ; réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information.

Protection du territoire national. En soutien de l’action de l’Etat, les FAG participent à l’opération « Harpie » de lutte contre l’orpaillage illégal. Outre Cayenne, elles disposent de quatre bases opérationnelles avancées, situées dans des zones de gisement aurifères (voir photo). Depuis 2017, cette opération est coordonnée avec le Suriname et le Brésil, en vue de faire évoluer la réglementation internationale pour éradiquer les flux d’orpaillage et logistiques illégaux. La capacité des FAG à tenir le terrain, par des patrouilles de longue durée, est assurée par des relèves par hélicoptères (30 à 45 minutes de vol depuis Cayenne). Cette lutte se complète par le développement d’activités économiques. L’opération « Polpêche » implique l’emploi de patrouilleurs légers à propulsion diesel électrique pour des missions d’observation et de contrôle, y compris de nuit, des bateaux de pêche illégaux, conjointement avec les forces navales brésiliennes. Enfin, l’opération « Titan » de protection du Centre spatial guyanais peut mobiliser de 150 à 400 militaires selon les lancements, pendant environ 60 jours par an. Le Centre de Kourou a procédé à 11 tirs en 2017.

Loïc Salmon

Territoire national : protection permanente contre intrusions aériennes et maritimes

Espace exo-atmosphérique : compétition stratégique




Sécurité : exposition « Les sciences du crime » au musée de la Gendarmerie

Avec ses moyens techniques importants et ses méthodes en amélioration constante, les experts de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) apportent les éléments, vérifiables, qui amènent à la décision pénale relative à un crime.

Récolter et exploiter. L’exposition présente le cheminement qu’empruntent ses 250 experts pour traiter 600 dossiers/jour. « Tout est démontrable, tout est réfutable, il n’y a pas de magie », a expliqué à la presse, le 6 octobre 2016 à Melun, le colonel Patrick Touron, directeur de l’IRCGN. La première phase consiste à récolter les indices sur la scène d’infraction, en vue d’une recherche et d’une exploitation en laboratoire (photo). L’enquêteur sélectionne les indices pour éviter les risques de manipulation. Ensuite, il s’agit de déterminer leur traçabilité pour qu’ils ne soient pas remis en question. Mieux qu’une photo argentique, une image numérisée permet de prendre une distanciation par rapport à la scène. L’examen du système informatique d’un véhicule détermine l’origine, fortuite ou criminelle, d’un « accident » de la route. A cet effet, l’IRCGN entretient des relations avec les constructeurs de véhicules et d’équipements. La deuxième phase porte sur l’identification de la victime. Une trace de sang donne une information technique et le degré d’intensité qui accompagne un geste et caractérise sa violence éventuelle. Chaque jour, cinq experts partent sur le terrain pour examiner des projections de sang ou des traces de transfert. En cas de catastrophe aérienne, l’identification des cadavres ne pose pas trop de difficultés, car le pilote aura toujours essayé de se poser avant. Mais lors d’un crash délibéré, les corps sont dispersés et disloqués en plusieurs morceaux. Depuis les années 1990, l’IRCGN projette quotidiennement une équipe auprès des forces armées en opération extérieure. Enquête sur place et exploitation en laboratoire forment un tout cohérent. Il faut savoir prélever un indice, le transporter et le conserver longtemps. Tous les laboratoires de la Gendarmerie sont accrédités auprès du Comité français d’accréditation. N’importe quel expert accrédité obtient le même résultat et il doit avoir l’humilité de se faire contrôler par d’autres experts internationaux, souligne le colonel Touron. Aujourd’hui, capteurs numériques et minidrones facilitent le recueil d’indices. Demain, les nanotechnologies permettront de découvrir les vestiges d’empreintes digitales. Chaque année, la Gendarmerie découvre plus de 700 cadavres. En 2015, l’IRCGN a traité 175.162 dossiers. Ses experts apportent leur concours aux diverses administrations, notamment en matière de cybercriminalité, vidéosurveillance, fraude documentaire, engins explosifs improvisés, interventions en milieu contaminé et produits de marquage dans la protection des biens. Par ailleurs, l’IRCGN assure une trentaine de formations par an à des stagiaires étrangers.

Travail pluridisciplinaire. L’IRCGN couvre l’ensemble du champ de la criminalité. L’identification de la victime permet de comprendre le mobile, d’orienter l’enquête et, à  ses proches, de faire leur deuil. Celle du coupable débouche sur une sanction judiciaire, en vue d’interdire toute récidive. Les identifiants primaires sont constitués par les dents, les empreintes digitales et surtout les traces ADN, dont 100.000 échantillons sont analysés chaque année. La « morpho-analyse » des traces de sang recourt à la chimie, la biologie et la dynamique des fluides pour déterminer les circonstances du déroulement des faits. Des logiciels étudient les trajectoires des projections de sang et des modélisations sont réalisées en 3 dimensions. Un département de l’IRCGN étudie la faune et la flore qui se développent sur un cadavre en décomposition, entre 3 jours et plus de 8 ans après le décès. La moitié des saisines en entomologie effectuées en Europe passe par l’IRCGN. L’analyse des pollens retrouvés conduit à des hypothèses sur la zone géographique de la mort et le déplacement du corps et prouve même la présence du criminel. Les scellés biologiques sont conservés pendant 40 ans pour couvrir la durée des procédures judiciaires successives et profiter de l’évolution des technologies qui révéleront de nouveaux indices. Les analyses physiques et chimiques des traces d’un individu constituent un ensemble corroboratif, qui signe sa présence et ses actions. La Cellule nationale nucléaire, radiologique, biologique et chimique intervient dans un milieu radioactif ou lors d’une contamination de l’environnement par l’usage d’armes chimiques ou la fuite de matières dangereuses dans une usine ou une fosse sceptique. Elle a mis au point des techniques d’autopsie en environnement pollué. La lutte contre la pédophilie a permis de développer une expertise en matière d’ingénierie numérique et de cybercriminalité. Ainsi, indices et preuves sont extraits des téléphones portables, clés USB, DVD, disques durs d’ordinateurs, GPS, terminaux de paiements électroniques et enregistrements sonores.

Capacités de projection. Dans une affaire complexe, sensible ou de grande ampleur, les magistrats font appel à l’Unité nationale d’investigation criminelle, disponible en permanence et projetable sur tout le territoire national et à l’étranger. Unité de circonstance, elle est modulable en fonction du type de scène de crime à traiter et des besoins du directeur d’enquête. Dotée de chiens de recherche de cadavre et de techniciens en identification subaquatique, elle dispose d’un laboratoire d’analyse projetable au plus près de la zone de travail. Autre entité de circonstance, l’Unité gendarmerie d’identification des victimes de catastrophe intervient pour la collecte de renseignements avant et après la mort d’un nombre important de victimes d’un désastre, naturel ou accidentel. Créée en 1992, elle a été mobilisée notamment pour l’affaire du Temple Solaire en 1995 (Vercors, 16 victimes), le crash du Concorde en 2000 (Gonesse, 117), le tsunami de 2004 (Asie du Sud-Est, 184.000), le crash de l’Airbus A320 d’Air France en 2009 (océan Atlantique, 228), celui de l’Airbus A320 de Germanwings en 2015 (Alpes françaises, 150) et la fusillade suivie de la prise d’otages à l’hôtel Radisson Blu de Bamako en 2015 (Mali, 22).

Loïc Salmon

Gendarmerie : un musée national directement accessible

Sécurité : l’usurpation d’identité, un risque mal maîtrisé

Sécurité : la contrefaçon et ses conséquences économiques, sanitaires et criminelles

L’exposition « Les sciences du crime » (7 octobre 2016-17 avril 2017) est organisée par le musée de la Gendarmerie de Melun. Ce dernier a accueilli 1.400 visiteurs aux journées du patrimoine (17-18 septembre 2016). Quelque 30 pièces de collection, présentées en vitrine, côtoient un microscope électronique à balayage pour voir les résidus de tir sur une personne, un scanner-laser pour la modélisation en 3 dimensions de scènes de crime, des kits de prélèvement d’indices, des armes à feu et des ossements. Textes et  photos présentent le fonctionnement de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale. Le visiteur peut même mener des investigations sous forme ludique. Après le colloque international sur la  criminalistique en octobre, des rencontres avec des experts sont prévues de novembre 2016 à avril 2017.(www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/musee)




Asie-Pacifique : zone d’intérêt stratégique pour la France

Pays riverain de la zone Asie-Pacifique et membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France entretient une coopération de défense avec de nombreux pays pour garantir la sécurité.

Son action, articulée autour de trois cercles, a été présentée à la presse, le 8 juin 2017 à Paris, par le contre-amiral Denis Bertrand, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française et commandant de la zone maritime du Pacifique. Les forces permanentes sont renforcées régulièrement par des bâtiments militaires de passage.

Souveraineté et protection. Le 1er cercle correspond à la surveillance des 118 îles et atolls où la France exerce sa souveraineté, précise l’amiral. Les forces armées de Nouvelle-Calédonie, qui assurent l’action de l’Etat en mer et peuvent, le cas échéant, être projetées, se composent de 1.800 personnels, 4 navires et 4 aéronefs (avions et hélicoptères). Les forces armées de Polynésie française (1.000 personnels, 4 navires et 5 aéronefs) assurent la protection de la zone économique exclusive (ZEE) et interviennent lors des menaces climatiques (cyclones) et criminelles (trafics et pêche illicite). L’imagerie satellitaire permet de discriminer les zones d’action efficace des moyens maritimes et aériens engagés. En matière de narcotrafic, celui de la cocaïne part d’Amérique latine, suit la côte ouest-américaine, traverse le Nord du Pacifique, longe les côtes du Japon, des deux Corées, de la Chine et des Philippines, puis bifurque vers l’Europe, par le détroit de Malacca et l’océan Indien, ou vers l’Australie qu’il peut aussi atteindre directement. Une cargaison record de 1.429 kg de cocaïne a été saisie en janvier 2017 grâce à la coopération avec les polices régionales. A titre indicatif, la dose fabriquée en Colombie revient à 10 $, est revendue 50 $ aux Etats-Unis et jusqu’à 250 $ en Australie. La surveillance des zones de pêche, notamment du thon, dans la ZEE consiste à cibler les bateaux étrangers pour les dissuader. Repérés par les signaux électroniques qu’ils émettent, ils sont localisés par un satellite ou un avion Falcon 200 Gardian. Une frégate de surveillance se dirige vers eux et envoie une équipe de visite vérifier, à bord, la légalité des prises. Enfin, la souveraineté implique de bien connaître la zone et de maintenir le lien avec les populations de territoires isolés : Iles de la Société, Tuamotu, Marquises, Gambier et Australes. Les bâtiments français s’y rendent selon des fréquences variant de moins d’un an à plus de trois ans.

Le voisinage proche. Le 2ème cercle concerne les partenariats avec les pays voisins, indique l’amiral Bertrand. Dans le cadre de l’accord FRANZ entre la France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les forces de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française apportent leur concours en cas de catastrophe naturelle. L’accord QUAD entre la France, les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, permet de gérer de façon durable les ressources du Pacifique Sud, en appui d’opérations locales de contrôle des pêches. Il a donné lieu à plusieurs opérations de police : « Tui Moana » (mai 2015) au large des îles Samoa, Cook, Tonga, Fidji, Tuvalu et Tokelau ; Kuru Kuru (octobre 2015) au large de la Polynésie française et des îles Cook et Kiribati pour contrôler des palangriers chinois et taïwanais ; « Tautai » (mars 2017) au large des Marquises, des Iles de la Société et de la Polynésie française. Ces deux accords permettent aussi d’apporter un appui direct aux pays insulaires du Pacifique (Cook, Kiribati et Pitcairn), sous forme de survol de leur ZEE et d’entraînement de leurs patrouilleurs à l’arraisonnement.

Le Pacifique. Le 3ème cercle s’étend sur l’ensemble du Pacifique jusqu’à la mer de Chine et inclut le soutien aux initiatives locales de sécurité maritime, explique l’amiral Bertrand. « L’International Maritime Bureau » de Londres a répertorié 191 actes de piraterie dans le monde en 2016 (246 en 2015). La moitié s’est produite dans le Sud-Est asiatique, où transitent près de 800 navires de commerce français. Un capitaine de vaisseau français est affecté à « l’Information Fusion Center » de Singapour, où se construit une image commune de la situation régionale au profit des compagnies maritimes. Le contrôle naval volontaire, protocole entre la Marine nationale et les armateurs français, permet de suivre les navires marchands, de les orienter et de leur porter rapidement assistance, lorsqu’ils transitent dans des zones à risques (piraterie ou terrorisme). En contrepartie, les navires marchands sont invités à reporter toute activité suspecte ou événement à caractère criminel ou illicite, observé en mer ou en escale. Ce dispositif, évolutif, permet d’affiner la connaissance des zones à risques et de ce qui s’y passe. Il s’applique notamment aux points de passage stratégiques : canal de Suez et détroits de Bab-el-Mandeb, d’Ormuz, de Malacca, de la Sonde et de Lombok. En application de conventions de l’ONU sur le droit de la mer (liberté de navigation), la France déploie régulièrement des bâtiments militaires dans l’Ouest du Pacifique : la frégate de surveillance Vendémiaire en 2014 et 2015 ; le Groupe Ecole d’application des officiers de marine (GEAOM) en « Mission Jeanne d’Arc » (2015 et 2017) ; la frégate multi-missions Provence (2016) ; la frégate furtive Guépratte (2016) ; le bâtiment de projection et de commandement Tonnerre (2016) ; la frégate de surveillance Prairial (2017). Certains ont participé à l’exercice « RIMPAC » organisé tous les deux ans par la Marine américaine dans le Pacifique.

Mission Jeanne d’Arc. Le GEAOM, en « mission Jeanne d’Arc » pour cinq mois (mars-juillet 2017), est composé du bâtiment de projection et de commandement Mistral, la frégate furtive Courbet et d’un groupe tactique embarqué de l’armée de Terre. Il effectue, notamment, des missions de connaissance-anticipation, de coopération régionale ou bilatérale et de soutien à la diplomatie. Il a effectué des exercices de préparation opérationnelle interarmées (protection des approches maritimes) en Grèce. Il a apporté un soutien aux opérations de lutte contre le terrorisme et la piraterie en mer Rouge et en océan Indien (Egypte et Djibouti). Enfin, il a participé à des manœuvres communes en Malaisie, au Viêt Nam, au Japon, à Guam et en Australie.

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer

Marines : outils de sécurité, du Moyen-Orient à l’océan Indien

 

L’Institut international des études stratégiques de Londres a publié les budgets de défense 2015 des principaux pays d’Asie-Océanie : Etats-Unis, 597 Mds$ ; Chine, 145 Mds$ ; Inde, 48 Mds$ ; France, 47 Mds$ ; Japon, 41 Mds$ ; Corée du Sud, 33 Mds$ ; Australie, 23 Mds$ ; Singapour, 9,7 Mds$ ; Indonésie, 7,6 Mds$. Les enjeux sécuritaires en Asie portent d’abord sur les pays détenteurs de l’armement nucléaire : Russie ; Chine ; Inde et Pakistan, non parties au traité de non-prolifération (TNP) ; Corée du Nord, qui s’est retirée du TNP. Les Etats-Unis stationnent des forces militaires à Diego Garcia, aux Philippines, en Corée du Sud, au Japon et à Guam. En outre, leur VIIème Flotte est déployée dans l’Ouest du Pacifique et en océan Indien. Membre d’une vingtaine de forums régionaux, la France est très présente en Asie-Pacifique, où se trouvent 63 % de sa zone économique exclusive, 500.000 de ses ressortissants et 130.000 expatriés. Elle dispose de 14 attachés de défense dans 33 pays, de l’Inde à l’Australie.




Trafics d’armes légères : la lutte contre les filières terroristes

Enjeu mondial de sécurité, la lutte contre les transferts clandestins d’armes à feu légères implique la prise en compte de la situation en fin de conflit, la mise en place de réseaux de renseignements, l’échange d’informations et l’élaboration de procédures en matière de traçabilité.

Ce thème a été traité lors d’un colloque organisé, le 31 janvier 2018 à Paris, par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité et l’Institut de relations internationales et stratégiques. Y sont intervenus : l’ambassadeur Jean-Claude Brunet, président désigné de la 3ème conférence de révision du Programme d’action des Nations unies sur les d’armes légères et de petits calibres (ALPC) prévue à New York du 18 au 29 juin 2018 ; l’ambassadeur Eric Danon, ministère des Affaires étrangères.

Diminuer l’incertitude. Depuis la fin de la guerre froide (1947-1991), les conflits intra-étatiques se multiplient, entraînant circulation et vols des stocks gouvernementaux d’ALPC, rappelle Jean-Claude Brunet. Les failles dans leur contrôle, pendant et après les conflits, et le crime organisé en facilitent les trafics qui alimentent les organisations terroristes, actives en Europe, dans les Balkans et en Afrique. Actuellement, 850 millions d’ALPC en circulation dans le monde tuent ou blessent 500.000 personnes par an, soit 90 % des victimes des conflits. Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan (1997-2006), les avait qualifiées d’armes de destruction massive et avait lancé un programme d’action adopté, par consensus, par l’assemblée générale en 2001 (voir encadré). Le premier degré de responsabilité, nationale, se situe au niveau des forces armées et de sécurité et autres agences d’application de la loi. Chaque Etat partie doit mettre en œuvre une législation en ce sens. Sur la base du volontariat, il doit publier un rapport annuel d’évaluation des besoins de coopération et d’assistance, assorti de mesures pratiquement contraignantes. Depuis 2001, des progrès significatifs ont été constatés dans de nombreux Etats en matière de contrôle et d’assistance. Toutefois, l’insuffisance de coordination persiste entre police, douane, justice et forces armées. De plus, le contrôle des exportations d’ALPC reste aléatoire. La 3ème conférence de révision du programme d’action de l’ONU, qui doit réunir 193 Etats, s’inscrit dans une stratégie globale impliquant l’Union européenne (mesures de coopération européennes et bilatérales) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (Balkans). Elle doit définir des normes en termes d’engagement et d’échange de bonnes pratiques de contrôle et faciliter le dialogue entre forces armées et de sécurité, industriels et experts apportant un éclairage scientifique et technique, en vue de préserver la crédibilité du programme. La France, qui en assure la présidence, en a fixé les priorités, indique l’ambassadeur Brunet : amélioration de la lutte contre le détournement des ALPC ; prévention de leurs production et transformation par les nouvelles technologies (impression en 3 D et commerce par internet) ; coordination et efficacité de l’assistance. Cela implique l’inclusion des munitions et une synergie entre le programme de l’ONU et les autres instances internationales, notamment le protocole sur les armes à feu (2001) et le traité sur le commerce des armes (TCA, 2014), qui n’a pas encore de portée universelle.

Renforcer le dispositif. Autrefois, la violence résultait des guerres entre Etats forts, alors qu’aujourd’hui elle se manifeste par les importations d’armes dans les Etats déliquescents, explique Eric Danon. Le TCA vise à réguler leur mondialisation. La course aux armements converge vers le Moyen-Orient, où se trouvent de nombreux vendeurs. Avec 24 millions d’habitants, l’Arabie saoudite occupe la première place des importateurs avec l’Inde, qui en compte…1,26 milliard. Au bout de quelques mois, la traçabilité de ces armes, pourtant achetées légalement, disparaît et une partie va se disperser parmi les groupes armés terroristes. Le TCA engage l’Etat producteur, qui l’a ratifié, à vérifier qu’une exportation d’armes à feu correspond bien à la vente à un Etat déterminé et sans réexportation ultérieure. Les marquages et traçages permettent de remonter les filières de provenance et de complicités et les registres nationaux et internationaux d’établir l’écosystème terroriste. Il s’agit d’éviter la dissémination des ALPC dans une zone de guerre ou en situation de « post-conflit », où les populations les conservent en vue de trafics dans le monde entier (ex-Yougoslavie et Afghanistan). Les groupes terroristes utilisent aussi armes blanches, bombes, ou voitures-béliers contre une foule et recourent aux attentats suicides, mais font proportionnellement plus de victimes avec les ALPC. Il s’agit donc de lutter contre l’accès à leurs filières, alors qu’il n’existe pas encore de convention relative à la lutte contre le terrorisme par ALPC, indique l’ambassadeur Danon. Leur achat reste en effet légal dans certains pays, dont les Etats-Unis. La saisie d’un stock d’armes, achetées à des pays occidentaux, constitue une prise de guerre pour les groupes terroristes (Daech en Irak). Des armes fournies, par ces mêmes pays occidentaux, à une minorité de « résistants » suffit à les qualifier de « terroristes » par le régime en place (Kurdes en Syrie et en Turquie). Des armes à feu en provenance des Balkans ont été utilisées lors des attentats de 2015 en France, où la législation porte sur les trafics venant de l’extérieur du territoire national et mobilise les services de renseignement. Certaines armes neutralisées peuvent être remises, sur place, en état de fonctionner par l’impression en 3 D de la pièce manquante, ouvrant la voie aux trafics de logiciels. En outre, des ALPC, acquises clandestinement, peuvent être transformées, par exemple par l’achat légal d’un appareil de visée pour en améliorer la portée. Par ailleurs, certains grands pays exportateurs n’ont pas encore ratifié diverses conventions sur les armes. Souvent très spécifiques, ces dernières impliquent une coopération entre Etats et une entraide judiciaire, mais la moitié des pays membres de l’ONU ne peuvent les mettre en œuvre, faute de connaissances et de moyens techniques suffisants.

Trafics d’armes : fin de crise, embargos, désarmement et consolidation de la paix

Terrorisme : évolutions stratégiques et sociologiques

Loïc Salmon

Adopté en 2001, le Programme d’action des Nations unies de prévention, lutte et éradication du trafic illicite des armes légères et de petit calibre (ALPC) et présente les mesures à prendre aux niveaux national, régional et mondial. Elles portent sur : la législation sur les divers aspects de la production, du transfert et du détournement des ALPC ; le marquage, le stockage de données et la traçabilité ; la gestion des stocks et leur sûreté ; l’identification et la destruction des surplus ; les transferts internationaux ; le courtage ; l’information du public ; les programmes de désarmement, démobilisation et réinsertion ; la coopération et l’assistance internationale pour faciliter la mise en œuvre de ce programme. Souple et non contraignant, ce dernier a été complété par d’autres instruments juridiques. Ainsi, le Traité sur le commerce des armes (2014) inclut, pour les Etats parties, l’obligation d’établir des normes communes pour le transfert international d’armes conventionnelles.




Sécurité : corruption et évasion fiscale, conséquences lourdes

Elément à part entière des relations économiques locales et internationales, l’argent « sale », issu de la corruption ou de l’évitement de l’impôt, sert à financer le terrorisme et les activités criminelles.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 20 mars 2018 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont intervenus : le magistrat Eric Alt, vice-président de l’association Anticor ; Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS et co-auteure du livre « Argent sale. A qui profite le crime ? » ; Eric Vernier, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste du blanchiment de capitaux.

Complexification croissante. La définition de l’argent « sale » varie, car, même gagné de façon légale, il peut être considéré comme « noir » ou « gris » selon les pays et les époques, explique Carole Gomez. Cela permet de dissimuler l’origine des fonds à réinjecter dans les circuits économiques licites (blanchiment). Depuis l’Antiquité, les pouvoirs publics veulent gommer l’origine peu recommandable de certains fonds, afin de les faire rentrer dans les caisses de l’Etat. Ainsi, l’empereur romain Vespasien (9-79 après JC) avait taxé la collecte d’urine, qui servait à fixer la peinture. A son fils, le futur empereur Titus, qui s’en étonnait, il avait répondu : « L’argent n’a pas d’odeur ». Au Moyen-Age et à la Renaissance, les dirigeants politiques ont tenté de lutter contre la corruption, sans grand succès. Au XXème siècle et jusque dans les années 1990, les pots-de-vin versés pour emporter un marché étaient déductibles du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée. L’argent sale provient des partis politiques, des groupes criminels, de la contrefaçon ou de trafics divers (drogue, prostitution et racket) pour alimenter des activités illégales. Transparency International, organisation non gouvernementale allemande anti-corruption étatique, établit des classements par pays mais selon des critères peu pertinents, précise Carole Gomez. Ainsi, certains pays comme le Soudan et la Syrie sont toujours mal traités et d’autres très bien, comme les pays scandinaves…dont certaines personnalités politiques ont pourtant placé des fonds dans les paradis fiscaux ! Ces derniers, qui permettent d’échapper à l’impôt, déresponsabilisent les particuliers qui en ignorent les dangers sous-jacents. Les flux d’argent sale se sont accrus avec la mondialisation et le développement de la technologie : la « crypto-monnaie » (argent électronique) a vu le jour en 1997. Les Etats et organisations internationales se sont rendus compte du danger, mais avec retard. Par ailleurs, les média renforcent l’idée de l’augmentation des flux en jeu. Toutefois, la crise économique persistante a rendu la société civile moins tolérante. La connaissance approfondie de ses mécanismes constitue un outil efficace contre l’argent sale. Mais les mesures de prévention et les actions des « lanceurs d’alerte » auront toujours un temps de retard.

Du « sale » au « propre ». Le blanchiment d’argent n’est jamais abordé dans les réunions du G-20 (19 pays et l’Union européenne), souligne Eric Vernier. L’argent du crime est estimé à 2.000 Mds$, soit autant que le produit intérieur brut du continent africain, et dont la moitié passe par les circuits bancaires. Le GAFI (Groupe d’action financière contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme) établit une liste de pays non coopératifs, mais qui se vide au cours des années et n’inquiète guère la Russie, la Chine, Israël, le Liban, Singapour, Hong Kong ou l’Etat américain du Delaware. Selon des organisations non gouvernementales (ONG), seulement 1 % des avoirs des anciens dictateurs est retrouvé. Ainsi, des avocats recherchant ceux du colonel Kadhafi après sa chute (2011) en ont trouvé 800 M$ dans une banque sud-africaine. Les paradis fiscaux ne profitent qu’aux non-résidents, la France en étant un pour les riches Qataris, estime Eric Vernier. Les ONG spécialisées en dénombrent une soixantaine dans le monde. L’Union européenne (UE) a établi une liste de 17 pays, réduite à 7 après la publication des « Panama Papers » en avril 2016. Cette liste exclut une vingtaine d’Etats européens, dont les Pays-Bas, Malte, Chypre, Gibraltar, la Belgique et la Suisse. Les pays en développement qui acceptent des entreprises multinationales chez eux n’y figurent pas. Depuis, des sociétés extraterritoriales et tout à fait légales sont parvenues à des « arrangements ». Ainsi la société suisse de services financiers UBS a payé 2 Mds$ pour éviter une enquête sur le blanchiment d’argent. La Suisse doit donner les noms de 40.000 clients à la France…qui ne les réclame pas. Barons de la drogue d de la Colombie et du Mexique, hommes politiques et chefs d’entreprises de divers pays ont bénéficié des mêmes montages et avantages financiers. La publication des « Paradise Papers » (novembre 2017) a mis au jour un véritable « système de fraude fiscale », souligne Eric Vernier. Par exemple, un sportif français de haut niveau peut acheter légalement un bateau à Malte sans avoir à payer la taxe à la valeur ajoutée en France. Grâce à des montages sophistiqués, une société française, ayant pignon sur rue, aide des petites entreprises de commerçants ou d’artisans à s’installer en Grande-Bretagne pour éviter l’impôt. Dans le même but, l’agence de location de logements AirBnB propose à des particuliers d’ouvrir un « compte parabancaire » (non soumis aux obligations des banques) à Gibraltar, lequel ne sera pas déclaré aux autorités françaises. Les locations à Paris atteignent plusieurs centaines de millions d’euros par an. Selon Eric Vernier, les nouvelles technologies permettent aux marchés financiers supranationaux d’augmenter les fraudes, mais aussi de lutter contre.

Riposte possible. Au sein même de l’UE, certains Etats proposent des « optimisations fiscales » aux ressortissants des autres pays membres, rappelle Eric Alt. Toutefois, la coopération entre société civile et législateur a conduit à une loi sur la vigilance des sociétés mères et de leurs filiales. Des ONG comme Transparency International, Sherpa et Anticor ont obtenu l’agrément de se porter partie civile. Enfin, le parquet financier compte des personnalités qui prennent des décisions courageuses, conclut Eric Alt.

Loïc Salmon

Le service de renseignement « Tracfin » dépend du ministère des Finances. La cellule d’analyse stratégique exploite les informations disponibles, en vue d’identifier les tendances en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme. Le département d’analyse, du renseignement et de l’information suit les déclarations relatives au soupçon et assure les relations internationales. Le département des enquêtes effectue les investigations approfondies sur tous les types de blanchiment. Le pôle juridique et judiciaire remplit des missions d’expertise et de conseil pour caractériser des faits susceptibles de constituer une infraction. Il travaille en liaison avec la Police nationale, la Gendarmerie nationale et l’Office de répression de la grande délinquance financière. La mission des systèmes d’information s’occupe du fonctionnement et de l’évolution des moyens informatiques de Tracfin.

Sécurité : la contrefaçon et ses conséquences économiques, sanitaires et criminelles

Afrique : fraude et corruption des agents publics, des fléaux difficiles à éradiquer




Marine nationale : les enjeux de la Nouvelle-Calédonie

L’action de l’Etat au large de la Nouvelle-Calédonie, qui mobilise des moyens aériens et navals, exprime la souveraineté de la France. Elle nécessite une coopération avec les pays voisins, notamment contre les bateaux de pêche étrangers en situation irrégulière.

Le capitaine de vaisseau Jean-Louis Fournier, commandant de la zone maritime de Nouvelle-Calédonie (ZMNC), l’a expliqué à la presse le 21 juin 2018 à Paris. Conseiller du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, il est aussi « adjoint mer » du commandant des Forces armées de Nouvelle-Calédonie dans leur zone de responsabilité permanente.

L’action de l’Etat en mer. La ZMNC couvre le quart de la surface du globe. En raison de son insularité généralisée, un trajet de 3 heures de vol correspond à 3 jours de mer. La zone économique exclusive de la Nouvelle-Calédonie s’étend sur 1,6 Mkm2 et celle de Wallis et Futuna sur 265.000 km2. Les forces armées contribuent à l’action de l’Etat en mer pour faire respecter les lois dans les eaux sous souveraineté française, à savoir la protection de l’environnement, la sauvegarde des personnes et des biens et la lutte contre les trafics illicites. Cela implique de savoir ce qui s’y passe, de travailler en interministériel et d’agir à la hauteur de la menace. En conséquence, il faut adapter le dispositif d’intervention, concentrer des moyens aéromaritimes et coordonner l’intervention en mer avec des capacités de traitement à terre. La sécurité maritime régionale est assurée par une organisation quadrilatérale regroupant les Etats-Unis, la France, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Cette dernière va fournir des patrouilleurs et des avions de surveillance maritime aux petits pays du Pacifique-Sud, à savoir les îles Salomon, Vanuatu et Fidji. En outre, les forces armées françaises ont noué des partenariats internationaux avec leurs homologues australiennes et néo-zélandaises (Accord FRANZ) ou travaillent dans le cadre d’organisations internationales comme la Pacific Islands Forum Fishheries Agency.

 « Uatio ». L’opération « Uatio » en ZMNC vise à préserver la filière pêche locale, faire respecter la réglementation pour la protection de la richesse halieutique et mettre un terme aux pêches illicites. Sa 10ème édition s’est déroulée, du 27 novembre au 5 décembre 2017. Des bateaux de pêche vietnamiens de 25 m de long, peints en bleu, effectuent 30 à 40 jours de navigation pour récupérer, au fond de la mer, des « holothuries » (concombres de mer) mettant ainsi en péril l’écosystème. Animal marin, au corps mou et doté de tentacules autour de la bouche, l’holothurie se vend 1.000 $ le kg sur le marché chinois. En coopération interministérielle, Uatio 10, véritable opération militaire, a mobilisé un avion de surveillance maritime Gardian, pour détecter deux bateaux bleus, la frégate Vendémiaire et la vedette côtière Dumbéa pour les intercepter et les accompagner à Nouméa. Il s’agit de supprimer toute rentabilité aux incursions : confiscation de la pêche estimée à 140.000 $ ; condamnation immédiate des capitaines à des peines de prison ferme ; renvoi des équipages au Viêt Nam ; déconstruction des bateaux dans un chantier de Nouméa, qui emploie des jeunes Néo-Calédoniens. Les 70 données d’Uatio 10 ont été envoyées au Secrétariat général de la mer, rattaché au Premier ministre, afin que le ministère des Affaires étrangères adresse une protestation officielle au Viêt Nam et un « carton jaune » (blâme) à l’Union européenne, qui revend les holothuries pêchées par les bateaux bleus.

Loïc Salmon

Marine nationale : la police en mer, agir au bon moment et au bon endroit

Asie-Pacifique : zone d’intérêt stratégique pour la France