La puissance au XXIème siècle : les « pôles » du Pacifique

L’État joue un rôle majeur dans l’expression de la puissance militaire, économique, scientifique ou culturelle. Aujourd’hui, les États-Unis voient leur prédominance affaiblie, tandis que la Chine n’obtient pas encore le statut de puissance globale, malgré son essor économique.

La puissance a fait l’objet d’un colloque organisé, le 13 avril 2015 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), EuroDéfense-France, l’Institut Jean Lecanuet et la revue France Forum. Y ont notamment participé : Frédéric Charillon, directeur de l’IRSEM ; Alexandra de Hoop Scheffer, politologue ; Valérie Niquet de la Fondation pour la recherche stratégique ; Delphine Alles de l’Université Paris-Est Créteil.

Stratégies comparées. Pour Frédéric Charillon, la puissance pourrait se caractériser par la force militaire, dont l’adaptation varie selon les cas. Elle apparaît relative par rapport à une situation ou un cadre donné, comme l’expérience malheureuse des États-Unis au Moyen-Orient. Elle doit aussi être « intériorisée » par les autres pays, c’est-à-dire dissuasive, sinon elle disparaît. En outre, la puissance nécessite des vecteurs : force, influence, séduction des interlocuteurs et diffusion du savoir-faire. Divers critères émergent de l’analyse comparée de l’expression et de la pratique de la puissance, avec l’ambiguïté du mot anglais « power ». Ce dernier signifie la « puissance » en général et le « pouvoir » de fixer des règles à une population sur un territoire donné. Ainsi, le « hard power » de la force matérielle et du fait accompli s’appliquent notamment à la Russie et à Israël. Le « smart power », caractéristique des États-Unis aujourd’hui, mélange la force militaire, la séduction et l’influence. Le « soft power » repose sur le discours et la capacité de convaincre l’autre, particularités des pays européens. Quoique dépourvu d’une profondeur territoriale, d’une population nombreuse et d’une réelle capacité militaire, le Qatar exprime sa puissance par ses ressources financières, son réseau religieux et sa chaîne de télévision Al Jazeera. Des pays émergents, comme la Turquie et le Brésil, interviennent également dans les affaires internationales par le biais de médiations. Dans leur environnement proche, la Chine et la Russie reviennent à l’ancienne forme « impériale » de centre régulateur régional. De leur côté, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, anciennes puissances impériales, ne peuvent plus agir seules, mais, grâce à leurs réseaux, disposent encore d’une forme de puissance inexistante ailleurs. Enfin, les « puissances non étatiques » se manifestent surtout par leur capacité de nuisance (encadré).

Évolution américaine. Les États-Unis ont tiré les leçons de leurs interventions en Afghanistan et en Irak, où l’emploi de la force militaire se transforme difficilement en succès politique. Ils estiment pouvoir diriger le monde par la combinaison de la puissance militaire et de l’influence indirecte et la mobilisation d’autres nations pour une action collective, estime Alexandra de Hoop Scheffer. Ils ne veulent plus apparaître comme les seuls garants de la sécurité là où ils n’ont plus d’intérêts vitaux et comptent en partager le fardeau avec leurs alliés. Ils leur délèguent les responsabilités militaires dans certaines zones de conflit : la France dans la bande sahélo-saharienne et l’Arabie saoudite au Yémen. La participation américaine se limite à la mise en œuvre de drones, cyberattaques, frappes aériennes ou forces spéciales. Les décisions prises dans l’urgence, parfois les seules possibles, peuvent présenter des risques à terme. Ainsi, des combattants chiites, financés par l’Iran, luttent contre Daech en Irak et profitent des frappes aériennes de la coalition, menée par les États-Unis. En Libye, ces derniers apportent une aide aux milices locales, mal connues, difficilement contrôlables et qui ne partagent pas les mêmes objectifs. Alexandra de Hoop Scheffer en déduit trois stratégies américaines possibles. La première parie sur le pourrissement de la situation en Syrie et en Libye, pour éviter d’envoyer des troupes au sol. La deuxième consiste à accompagner les pays européens, bien accueillis en Afrique, par une assistance militaire et la fourniture de renseignements. La troisième porte sur une interdépendance dans les régions où les Etats-Unis ne peuvent totalement se désengager. Ainsi, vu de Washington, le Moyen-Orient fait partie du « pivot » tourné vers l’Asie, car le pétrole produit y est exporté à 70 %, surtout vers la Chine, et passera à 85 % en 2025. La stabilité en mer de Chine dépend donc de celle du golfe Arabo-Persique.

Surestimation chinoise. Selon Valérie Niquet, la Chine s’estime suffisamment puissante pour imposer sa vision des affaires du monde. Face à l’Inde et au Japon, elle dispose d’abord d’une démographie considérable avec des perspectives de marché. Son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU lui permet de s’opposer à toute réforme qui l’en priverait. Sa capacité militaire, quoique inférieure à celle de la Russie, existe quand même. Mais, les difficultés de gouvernance, les inégalités sociales et les coûteux déséquilibres régionaux sur le plan intérieur ainsi que le ralentissement de la croissance économique exercent une influence en termes de perception sur la scène internationale. La stratégie de la Chine consiste à assurer la survie de son régime politique, en cours de transformation afin d’éviter le sort de l’URSS. Son discours devient de plus en plus nationaliste depuis la crise financière de 2008. Pour affirmer sa puissance économique, elle a mis sur pied la Banque d’investissements en Asie pour marginaliser la Banque de développement asiatique, dominée par le Japon, en vue d’imposer ses normes et un nouveau modèle de prise de décision. Considérant  comme inéluctable le déclin de l’Occident, elle veut faire accepter sa montée en puissance partout. Son régime autoritaire et son développement économique sont bien perçus en Afrique. Toutefois, souligne Valérie Niquet, la Chine ne parvient pas à entraîner ses voisins asiatiques contre l’Occident. Ceux-ci manifestent même leur rejet et une attente vis-à-vis des États-Unis.

Loïc Salmon

Recherche stratégique : outil pour éclairer l’action publique

États-Unis : une politique ambiguë de défense et de sécurité

Chine : une stratégie de plus en plus mondiale

Les puissances non étatiques sont apparues en 1979. Selon Delphine Alles, elles contestent le monopole de la violence et des normes fixées par les États et peuvent, de plus en plus, peser sur les événements internationaux dans un monde constitué en réseaux. Cela va des agences de notation financières aux mouvements identitaires, en passant par les courants religieux, associations mafieuses et organisations non gouvernementales, qui s’engagent pour une cause. Certaines, comme Wikileaks et Anonymous, interviennent selon leur propre conception de la justice. La révolution technologique de l’information leur donne une capacité croissante de mobilisation d’individus en multipliant les référents possibles. En s’infiltrant dans des organisations dont elle perturbent le fonctionnement, elles provoquent des conflits, non pas entre États, mais à l’intérieur des États. Pour elles, la démocratie est devenue un référent, où chacun s’estime en droit de remettre en question les fondements de l’État souverain.




Le sous-marin nucléaire d’attaque : aller loin et durer

Le sous-marin à propulsion nucléaire d’attaque (SNA), capable de rester longtemps sur un théâtre lointain, est un projecteur de puissance contre la terre avec le missile de croisière naval et un projecteur de forces pour les opérations spéciales.

Le SNA peut aussi sécuriser un porte-avions et son escorte, devenus trop rapides pour les sous-marins à propulsion diesel-électrique, qui restent quand même une menace sérieuse. Son évolution future a fait l’objet d’une table ronde organisée, le 18 décembre 2012 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine. Y ont notamment participé : le vice-amiral d’escadre Charles-Edouard de Coriolis, commandant des Forces sous-marines et de la Force océanique stratégique ; les ingénieurs en chef de l’Armement Christian Dugué et Yannick Le Yaouanc de la Délégation générale de l’armement ; le capitaine de vaisseau Marc Ginisty de l’état-major de la Marine ; Christian Dufour du groupe d’armement naval DCNS.

L’opérationnel et le technique. La Russie envoie des SNA dans le Pacifique. L’Inde a loué deux SNA russes de type « Akula » et prépare un projet national. La Chine a construit une nouvelle base navale dans l’île de Haïnan pour que les siens aient accès aux eaux profondes. La Marine française souhaite des « modules » pour ses SNA, en vue de s’adapter à l’évolution des menaces et d’avoir la capacité de s’en prémunir. Ainsi, pour arriver en océan Indien, il faut 17 jours à un SNA de type « Rubis » conçu, pendant et pour la guerre froide (1947-1991), pour la lutte anti-sous-marine et anti-navire de surface ainsi que le renseignement. Sa puissance repose sur sa capacité à durer sur zone,  sa capacité de feu, la qualité de ses capteurs, sa capacité à communiquer et agir dans un cadre interallié. Sa capacité à durer dépend de sa coque, son énergie électrique, son réacteur nucléaire et sa faible vulnérabilité. La capacité de feu du SNA français va augmenter avec l’élargissement du panel de ses armes : aujourd’hui les torpilles et l’embarquement de forces spéciales, demain les drones et le missile de croisière naval pour des frappes en profondeur contre la terre. Or, ces armes, même prévues, vont évoluer selon leur propre cycle de vie. Les capteurs et moyens de communication sont modifiés en permanence et consomment beaucoup d’électricité pour être efficaces et discrets. Ainsi, le sonar, destiné à l’origine à la détection de bâtiments, sous-marins et mines ainsi qu’au guidage des torpilles, intervient aussi dans la navigation en zone littorale peu profonde. Les « mâts » du SNA ne sont plus constitués d’un simple périscope, mais abritent plusieurs capteurs (antennes, radar et caméras numérique et infrarouge) et les systèmes de pointage. D’un poids total de près d’une tonne à hisser de 5 à 10 m discrètement pour ne pas être repérés, ils doivent programmer, capter et analyser en quelques secondes. En fin de compte, les SNA français se sont révélés des outils adaptables et d’emploi flexible sur le long terme. Vu que la durée de vie d’un bâtiment en général peut dépasser celle d’une entreprise ou du moins de sa stratégie, un ingénieur en verra peut-être deux au cours de sa carrière, mais n’en construira qu’un ! En conséquence, il s’agit de prévoir des marges d’évolution des matériels qui, de plus, ne dureront pas de la même façon à bord.

Le programme Barracuda. En vue de déploiements lointains de longue durée, les SNA français devront accroître leur autonomie et la redondance de leurs équipements et aussi  regrouper leurs périodes de maintenance. Leur vie passera de 35 ans pour ceux du type Rubis (74 m de long, 2.600 t) à plus de 40 ans pour ceux du type Barracuda (100 m, 5.000 t). Le premier SNA de nouvelle génération entrera en service actif en 2017 et le  sixième le quittera… vers 2070 ! Chacun sera équipé d’une liaison tactique performante, dérivée de celle des nouvelles frégates multi-missions et adaptée à ses antennes pour le débit (système de données) et les vacations (réception des informations). Afin de pouvoir embarquer des équipements plus grands, l’équipage sera restreint à 60 hommes au lieu de 70 actuellement. Comme les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la Force océanique stratégique, chaque Barracuda pourra partir 90 jours d’affilée et disposera de deux équipages qui se relaieront, non au port d’attache, mais dans un port d’appui. Le futur SNA pourra ainsi être projeté très loin pendant six mois. En outre, il aura la capacité d’embarquer 15 passagers, dont deux équipes de nageurs de combat avec leurs propulseurs sous-marins pour effectuer des opérations spéciales à terre. Il sera équipé de mines, du missile anti-navire SM 39, de la prochaine torpille lourde F21 et du futur missile de croisière naval d’environ 1.000 km de portée. Le programme Barracuda, lancé par la Direction générale de l’armement en 1998, est en cours de réalisation par le groupe naval DCNS, qui y mobilise 2.000 personnes dans ses différents sites : Cherbourg pour la coque et la structure d’intégration d’ensemble ; Indret pour la chaufferie et l’appareil moteur ; Toulon pour le système de combat ; Ruelle pour les mécaniques d’armes et de conduite. Les quatre sites participent à l’ingénierie. Le groupe industriel Areva  traite la partie nucléaire. Les travaux ont déjà commencé sur la première série de trois submersibles dénommés Suffren, Duguay-Trouin et Tourville. Enfin, le SNA, qui doit aller là où il se passe quelque chose, souligne l’amiral de Coriolis, occupe une fonction stratégique pour la connaissance et l’anticipation. Il recueille en effet des renseignements d’origines acoustique, électromagnétique et optique, fusionne les données dans la durée et les synthétisent. Il se positionne au plus près des sources, sans que sa présence les alerte et modifie leurs comportements. Ainsi, lors de l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011, un SNA français est resté 95 % du temps en immersion périscopique, en zone littorale et par petit fond.

Loïc Salmon

Même si elle ne dispose que de SNA, la France a construit pour l’exportation des sous-marins à propulsion diesel-électrique (SMD) du type « Scorpène » : 4 au Brésil, 2 au Chili, 6 en Inde et 2 en Malaisie. Leur propulsion indépendante de l’air (AIP) leur permet des plongées plus longues et améliore leurs performances : vitesse maximale, 20 à 21 nœuds (37/38 km/h) ; autonomie à 19 ou 20 nœuds, 2 à 3 heures ; autonomie à 3 ou 4 nœuds, 15 à 20 jours au lieu de 5/6 j pour les SMD dépourvus d’AIP ; distances franchissables à 8 ou 9 nœuds, 12.000 milles nautiques (plus de 22.000 km). Un SMD AIP, parti de France, peut rallier la Libye en 6 jours, la Syrie en 13 j et la Somalie (environ 3.000 milles) en 24 j et rester 15 j environ sur zone. Par contre, un SNA de type « Rubis », actuellement en service, atteint la Libye en 5 j, la Somalie en 11 j et le détroit de Malacca (6.000 milles) en 17/18 j et reste environ 30 j sur zone. Le futur SNA de type « Barracuda » arrivera dans le golfe Arabo-Persique (5.000 milles) en 10 j et en mer de Chine (7.000 milles) en 19/20 j et pourra rester plus de 40 j sur zone. Enfin, il bénéficiera des dernières études réalisées pour le Scorpène en matière d’invulnérabilité acoustique.




Cyberspace : de la tension à la confrontation ou à la coopération

Le cyberespace véhicule des visions de domination, pouvoir et souveraineté, autant d’enjeux pour les nations, entreprises et citoyens. Des conceptions différentes de la liberté peuvent conduire à la conflictualité verbale ou à la coopération entre pays.

Les enjeux du cyberespace ont été abordés à Paris : le 21 mai 2014, au cours d’un séminaire organisé par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire ; le 22 mai 2014, lors d’une conférence-débat organisée par la Chaire Castex de cyberstratégie (partenaire de l’Institut des hautes études de défense nationale) et la revue Hérodote (voir encadré). Sont notamment intervenus : Frédérick Douzet, titulaire de la Chaire Castex ; Béatrice Giblin, directrice de la revue Hérodote ; Bertrand de La Chapelle, membre du conseil d’administration de l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), une autorité de régulation de l’internet à but non lucratif et qui a son siège aux États-Unis ; le lieutenant-colonel Patrice Tromparent, cellule cyberdéfense de l’État-major des armées (EMA).

Situation sur le « terrain ». L’EMA finance des thèses de doctorat et favorise des coopérations avec des entreprises et des chaires universitaires (sciences exactes et humaines), en vue d’évaluer les enjeux de puissance et les adversaires potentiels. L’internet se trouve entre une « balkanisation » et la continuité de la domination américaine, explique Frédérick Douzet. Des initiatives favorisent des fragmentations : physique au niveau des infrastructures de l’internet par des projets de câbles de pays émergeants pour s’émanciper de l’Occident ; culturelle par la fin du monopole de l’alphabet latin, concurrencé notamment par les écritures cyrillique, arabe et chinoise. Toutefois, en matière de cyberespace, les États-Unis maintiennent leurs prééminences : politique, après l’échec de l’initiative de la Russie au sommet de Dubaï (2012) pour attribuer à l’ONU le contrôle de l’internet ; économique, car les demandes de création de nouvelles extensions de noms de domaines sont en réalité surtout américaines, même au sein de l’Union européenne. Par ailleurs une tension ne débouche pas automatiquement sur une confrontation. Ainsi en 2014, la Russie s’est contentée de brouiller le réseau internet de l’Ukraine, sans en interdire l’accès comme pour l’Estonie (2007) ou la Géorgie (2008). La Chine, dont 40 millions de ses ressortissants sont connectés, met au point des infrastructures et des protocoles de régulation d’internet, sans s’en couper totalement en raison des enjeux économiques. La Syrie dépend des câbles qui partent du port de Tartous, où se trouve une base navale russe. L’affaire Snowden a révélé le système de surveillance complexe et globale de l’agence américaine de renseignement NSA : lieux d’accès aux câbles optiques d’internet ; stations d’interception de communications satellitaires ; services de collecte électronique dans des ambassades et consulats ; pays « amis » de la NSA : Grande-Bretagne, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande ; coopération occasionnelle de grandes entreprises privées américaines (Microsoft, AT&T, Stratfor et Booz Alien Hamilton) et britanniques (British Telecom et Vodafone). La NSA surveille notamment sur le siège de l’ONU à New York, les ambassades étrangères, les membres du mouvement  « Anonymous » et les terroristes présumés.

Enjeux de juridiction. Bertrand de La Chapelle distingue l’aspect physique des réseaux et les activités sur ces réseaux. La gouvernance de l’internet est assurée par des protocoles d’adresses IP, des câbles et des points de passage et d’échange. La gouvernance des usages (commerce et messagerie) repose sur le droit à communiquer de plusieurs milliards d’utilisateurs, inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme. Les systèmes juridiques se basent sur la souveraineté nationale. Or la géopolitique du cyberespace ne correspond pas à la territorialité physique. Par exemple, le contenu d’un message diffusé sur internet à partir d’un pays donné peut être considéré comme illégal en France. En outre, plus le nombre d’utilisateurs augmente, plus les difficultés vont croître. Des situations particulières peuvent provoquer des tensions dans certains pays, qui se répercutent sur internet avec des risques de blocages de plates-formes d’échange. Faute de cadre international, les conflits vont se multiplier dans le cyberespace. Or, les accords intergouvernementaux nécessitent de longues négociations, en raison du peu de convergence des différents pays sur la liberté d’expression, élément fort d’identité dans les pays démocratiques.

Désamorcer les tensions. Le cyberespace, où tout le monde se connecte, correspond à la puissance maritime des siècles passés, estime Bertrand de La Chapelle. Rome, puissance continentale, s’est confrontée à Carthage, puissance maritime. Ensuite, la France, au tropisme continental avéré, a affronté la Grande-Bretagne, qui a longtemps régné sur les mers. Mais, malgré sa victoire définitive, la nation vainqueur a périclité à son tour. Aujourd’hui, la Chine, par sa poursuite de l’autosuffisance sur internet, représente la puissance continentale face aux États-Unis, prédominants dans le cyber. Par ailleurs, de nombreux pays multiplient les câblages pour échapper, autant que possible, à la surveillance de la NSA. En outre, les points d’échange internet (IXP) permettent notamment une connexion autonome très haut débit aux entreprises désireuses de se passer d’un fournisseur d’accès. D’après une carte de la revue Hérodote, leur distribution spatiale dans l’Union européenne révèle les stratégies nationales d’aménagement du territoire. Enfin, avertit Bertrand de La Chapelle, la diffusion tous azimuts de l’adresse personnelle IP permet sa traçabilité totale avec le risque de fichage.

Loïc Salmon

Moyen-Orient : le « cyber », arme des États et d’autres entités

Le cyberespace : enjeux géopolitiques

Cyberdéfense : une complexité exponentielle

Le cyberespace fait l’objet d’une étude collective dans l’édition du 1er semestre 2014 de la revue de géographie et de géopolitique Hérodote, publiée par l’Institut français de géopolitique. Sont abordés : L’affaire Snowden comme étude de cas en cybersécurité et sa cartographie ; Les données sociales, objets de toutes les convoitises ; Les représentations du cyberespace, un outil géopolitique ; Le cyberterrorisme, un discours plus qu’une réalité ; Cybergéopolitique, rivalités géopolitiques masquées derrière les scénarios de cybermenaces aux États-Unis ; Peut-on penser une  cyberstsratégie ? ; La Russie dans le cyberespace, représentations et enjeux ; L’art de la guerre revisité, cyberstratégie et cybermenace chinoises ; Souveraineté et juridiction dans le cyberespace ; Ranger la Terre, le nommage de domaines est-il l’expression d’une stratégie des États-Unis de domination  des réseaux ? ; Existe-t-il un droit international du cybersespace ? ; De Tallinn à Las Vegas,  une cyberattaque d’importance justifie-t-elle une réponse cinétique ? ; La guerre économique  à l’ère du cyberespace ; L’intergouvernementalité dans le cyberespace, étude comparée des initiatives de l’OTAN et de l’UE ; Revendications sur le cyberespace et puissances émergentes.

 




Chine : une stratégie de plus en plus mondiale

Après avoir succédé à l’URSS comme principale nation rivale des États-Unis, la Chine durcit et élargit la dimension régionale de sa sécurité, avec le risque de heurter les pays voisins et au-delà.

Son rôle mondial a été abordé au cours d’un colloque organisé, le 8 décembre 2014 à Paris, par le Club Participation et Progrès et la revue Défense Nationale. Y sont intervenus : Michel Jan, sinologue ; le général (2S) Alain Lamballe de l’Académie des sciences d’outre-mer ; le général (2S) Henri Paris, président de « Démocraties ».

« L’Empire du Milieu ». En matière de sécurité nationale et de diplomatie, le président Xi-Jinping affirme les ambitions de la Chine sur son environnement régional, souligne Michel Jan. Sa nouvelle équipe dirigeante, opposée à la démocratie à l’occidentale, veut changer les règles internationales, une fois réalisées la stabilité intérieure du pays et la modernisation de ses armées. Résultante d’une classification confucéenne et du maoïsme, la loi chinoise codifie les directives du Parti communiste qui présentent une continuité avec la politique impériale. L’Histoire tumultueuse de la Chine montre que les périodes d’harmonie et de stabilité correspondaient à un pouvoir central fort. Selon Michel Jan, la Chine rêve de donner la priorité à l’Asie, mettre fin à la suprématie des États-Unis et mettre le droit international au service de sa politique commerciale. La puissance économique et militaire du pays devrait lui permettre de rouvrir l’antique « Route de la soie » vers l’océan Indien et l’Europe. Pour se préparer à assurer la sécurité régionale en mer de Chine méridionale, elle envoie ses bâtiments militaires s’entraîner en océan Indien avec ceux des Marines étrangères. Sa diplomatie périphérique porte sur la coopération régionale pour supplanter la suprématie militaire américaine en Asie, qui fait obstacle à sa politique économique et commerciale. La Chine promeut les organisations internationales où la présence occidentale reste limitée. Ainsi, lors du sommet  de la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie, tenue à Shanghai en mai 2014 (27 pays membres et 6 observateurs), Xi-Jinping a proposé une « vision commune, globale, coopérative et durable ». Le 24 octobre 2014, la Chine et vingt autres pays ont signé un protocole d’accord sur l’établissement, en Asie, de la « Banque asiatique d’investissements dans les infrastructures » (BAII), conçue comme un contrepoids à la Banque mondiale ou à la Banque asiatique de développement. Selon les médias chinois, la BAII disposera d’un capital initial de 50 Md$, principalement d’origine chinoise, pour améliorer transports, barrages et ports dans la région. A l’ONU, la Chine n’hésite pas à utiliser son droit de veto, mais ignore le droit international de la mer. Quoique membre permanent du Conseil de sécurité, elle ne s’implique guère dans la résolution des crises internationales, sauf quand elle peut en tirer un avantage. Elle exige des pays partisans d’un dialogue qu’ils acceptent ses demandes, avec des conséquences insupportables pour eux et un risque élevé de guerre, conclut Michel Jan.

Différends frontaliers et fluviaux. La Chine n’oublie pas les traités qu’elle juge « inégaux » et, depuis 1949, tente de reprendre certains territoires perdus, indique le général Lamballe. Sa frontière avec le Bhoutan n’est pas délimitée et elle a déjà récupéré 1.000  km2 dans le Tadjikistan, riche en minerais. Avec la Russie, le traité de Nertchinsk de 1689 lui avait accordé un droit sur les populations chinoise et mandchoue vivant en Sibérie. Mais celui de Aihun (1858) lui a enlevé la rive gauche du fleuve Amour, qu’elle ne revendique plus. Celui de Pékin (1860), que la Chine conteste encore, lui a retiré la province de l’Oussouri, où sera fondé le port russe de Vladivostok. Aujourd’hui, les travailleurs chinois, dont la Russie a besoin pour développer la Sibérie, affluent à la périphérie des villes. Par ailleurs, la Chine n’a signé aucune convention internationale relative au partage des eaux des fleuves avec les autres pays riverains. Elle a déjà entrepris des travaux sur le Mékong sans en informer les pays en aval (Laos, Thaïlande, Cambodge et Viêt Nam). Ses contentieux avec l’Inde portent sur le Brahmapoutre, qui prend sa source au Tibet, et 90.000 km2 de territoire frontalier. Chine et Inde massent des troupes de part et d’autre, mais préfèrent la négociation à l’affrontement armé. Enfin, le centre de gravité du monde se déplace vers elles, car elles totalisent 40 % de sa population, souligne le général Lamballe.

Duel sino-américain. Grâce à l’extraction du gaz de schiste sur leur sol les États-Unis n’ont plus besoin d’importer du pétrole, contrairement à la Chine dont la consommation en dépend à 50 %, rappelle le général Paris. Il s’ensuit une rivalité entre eux pour le contrôle des zones maritimes riches en ressources pétrolières. Sur le plan militaire, la Chine ne dispose que de 3 sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), tout juste capables de prendre la mer. De leur côté, les États-Unis déploient 12 SNLE, dont 4 ou 5 en patrouille opérationnelle, et 11 porte-avions pour contrôler le Pacifique et l’océan Indien. Présents en Extrême-Orient depuis 2012, ils n’ont laissé en Europe, depuis le 1er janvier 2014, que 70.000 hommes peu aptes au combat. En 2002, les États-Unis ont dénoncé le traité sur la limitation des armes nucléaires stratégiques signé en 1972 avec l’URSS, que respectent implicitement la France, la Grande-Bretagne et la Chine. Pour constituer leur bouclier antimissile, ils ont établi 35 sites de lancement en Alaska et dans le Dakota du Nord. Ce bouclier agirait par : destruction du missile assaillant par collision avec un missile lancé d’un de ces sites ; impulsion électromagnétique pour dérégler son système de navigation ; cyberattaque du segment sol par un virus. Il fonctionne grâce à la surveillance spatiale, qui détermine le tir du missile et sa provenance. Or la Chine est déjà parvenue à détruire un satellite par collision. En outre, sur le plan stratégique, elle entretient des alliances avec la Corée du Nord, devenue puissance nucléaire et perturbatrice dans la région Asie-Pacifique, et la Russie, qui s’écarte de l’Occident. Aujourd’hui, les États-Unis l’emportent sur la Chine, mais ce ne sera plus vrai dans 30 ans car celle-ci accroît sa puissance, avertit le général Paris. La perspective d’une guerre existe, non pas « nucléaire » mais « froide » avec l’Afrique comme enjeu, conclut-il.

Loïc Salmon

Chine : montée en puissance plus diplomatique que militaire

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel

Afrique : nouvelle frontière de la Chine avec des enjeux stratégiques

La France a été le premier grand pays occidental à reconnaître la Chine populaire en 1964 et à y nommer un ambassadeur de plein exercice. Selon le ministère des Affaires étrangères, la relation bilatérale se caractérise, depuis 1997, par un partenariat global stratégique de haut niveau et par un dialogue sur tous les sujets, y compris celui des droits de l’Homme. La Chine, l’un des moteurs de la croissance économique mondiale, est devenue le premier partenaire commercial de la France en Asie. Toutefois, le déficit de la balance commerciale de la France avec elle a atteint 26 Md€ en 2013, soit près de 40% du déficit extérieur total de la France. Le rééquilibrage par le haut s’appuie sur l’application nécessaire du principe de réciprocité, souligne le ministère.




Le sous-marin, composante fondamentale de l’action navale

Le sous-marin est une pièce maîtresse d’un dispositif interarmées. Toutefois, un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) dispose d’une énergie et d’une puissance très supérieure à un sous-marin à propulsion diesel-électrique.

L’emploi des submersibles a fait l’objet d’une table ronde organisée, le 18 décembre 2012 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine. Y ont notamment participé : l’ingénieur général de l’armement Jacques Cousquer ; le vice-amiral d’escadre (2S) Thierry d’Arbonneau, ancien commandant des forces sous-marines et de la Force océanique stratégiques (FOST) ; le capitaine de vaisseau ® Hughes Eudeline ; le capitaine de vaisseau Xavier Mesnet, sous-directeur de Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations.

Un emploi évolutif. Pendant la première guerre mondiale, les sous-marins diesel, mobiles et robustes, ont disposé d’une puissance de feu constituée de torpilles à courte portée, du mouillage offensif de mines et du canon. Mais l’attaque des voies maritimes d’approvisionnement a échoué en raison des hésitations du gouvernement impérial allemand, de l’efficacité du système allié de convois protégés par une escorte et enfin de la faiblesse des moyens de transmissions. Pendant la seconde guerre mondiale, les sous-marins ont encore eu pour mission de couper les flux d’approvisionnements de l’adversaire. En Atlantique, ce fut un nouvel échec de la Marine allemande. Elle a coulé 2.779 navires alliés, mais a perdu 88 % de ses 820 sous-marins opérationnels attaqués par les forces navales alliées : 800 escorteurs de haute mer, 2.250 escorteurs côtiers et 1.500 avions. En revanche, la guerre sous-marine fut un succès pour la Marine américaine dans le Pacifique. Elle n’a perdu que 18 % de ses 288 sous-marins, qui ont coulé 1.178 navires de commerce et 214 bâtiments de combat japonais. Pendant la guerre froide, la lutte anti-sous-marine est devenue prioritaire. Les SNA américains « pistaient » les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins nucléaires (SNLE) de l’URSS, tandis que les sous-marins soviétiques, équipés de missiles anti-navires, suivaient les porte-avions américains. Les sous-marins diesel-électriques de l’OTAN et ceux du Pacte de Varsovie se chassaient mutuellement. D’une manière générale, les sous-marins ont travaillé en coopération avec les avions de patrouille maritime et les forces navales de surface. Ils ont aussi participé à des opérations spéciales : renseignement sur zone, débarquement discret de commandos, sauvetage de pilotes d’avions abattus en mer, alerte antiaérienne avancée et espionnage ciblé sur les câbles de télécommunications. Pendant la guerre des Malouines (1982), en torpillant le croiseur argentin Belgrano, un SNA britannique a provoqué le retour à quai du porte-avions adverse 25-de-Mayo. Pendant la guerre du Kosovo (1999), la présence sur zone d’un SNA français a empêché la sortie de la flotte du Monténégro, qui n’a pu se rallier à la Serbie. Pendant l’intervention de l’OTAN en Libye (2011), des sous-marins américains et britanniques ont tiré plus de 120 missiles de croisière Tomahawk pour ouvrir la voie à une offensive aérienne. Des SNA français ont assuré une permanence sur zone pendant sept mois, détecté des petites vedettes par acoustique et guidé des hélicoptères de l’Aviation légère de l’armée de terre vers leurs cibles. En outre, des sous-marins britanniques, espagnols et turcs ont patrouillé au large de la Libye.

 Une menace grandissante. Aujourd’hui, la menace devient globale : maritime, aérienne et spatiale. L’interruption des trafics maritimes marchands aurait des conséquences graves sur l’économie mondiale. Malgré les forces qu’ils déploient, les Etats-Unis admettent qu’ils n’ont pas de capacité d’accès permanente à tous les théâtres d’opérations possibles. Sept pays renoncent actuellement à leurs forces sous-marines : le Danemark a désarmé 6 unités, la Serbie-Monténégro 8, la Croatie 1, la Roumanie toutes, la Bulgarie 4, la Libye 4 (+ 2 hors d’usage) et la Syrie 3. En revanche, le Japon, la Chine, les deux Corées, Taïwan, l’Australie, le Brésil, le Pakistan, l’Inde et l’Iran accroissent leurs flottes militaires et veulent se doter d’une composante sous-marine puissante. De son côté, Israël utilise ses sous-marins comme arme de dissuasion, en laissant entendre que leurs missiles de croisière pourraient atteindre des cibles vitales en Iran. La portée de ces missiles devra atteindre 800 km s’ils sont tirés du golfe Persique, mais devra être doublée s’ils doivent être tirés de la Méditerranée. La France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis déploient leurs SNLE en Atlantique. « Les SNA font plus que du soutien aux SNLE, indique l’amiral d’Arbonneau, pas de crédibilité de la FOST sans SNA de qualité ! » Un SNA présent dans la zone d’un SNLE (capable désormais de signaler sa présence au central opérations de la FOST) collecte des renseignements acoustiques et les partagent. L’apprentissage du « pistage » de SNLE soviétiques, puis russes, par les SNA français a permis d’alimenter les SNLE français en renseignements. En Méditerranée, un SNA français acquiert des renseignements pour le long terme sur les Marines du Sud qui, quoiqu’encore peu performantes, naviguent de plus en plus. En mer Noire et en Méditerranée, il étudie les tactiques et les capacités des Marines américaine et russe En outre, il peut assurer un soutien au profit d’un théâtre terrestre et maintenir une présence sous la mer face aux sous-marins diesel (SMD) et patrouilleurs hostiles. Enfin un SNA français est déployé en océan Indien, où sévit la piraterie maritime. Capable d’intervenir sur un théâtre lointain, le SNA a une « employabilité » de trois à quatre fois supérieure à celle d’un SMD, car il peut rester trois à quatre semaines sur zone. La proportion de présence aux Proche et Moyen-Orient atteint un SNA pour 20 SMD de diverses nationalités. Aujourd’hui, seuls les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, France et Chine) maîtrisent la conception et la construction de sous-marins nucléaires. Enfin, l’outil technique que constitue le sous-marin en général ne suffit pas, il faut aussi une doctrine d’emploi !

Loïc Salmon

Selon la Direction générale de l’armement, 489 sous-marins armés étaient en service dans le monde en 2011 et répartis dans 42 flottes sous-marines, alors qu’il existe 189 Marines militaires. Par zones géographiques, la répartition était la suivante : Asie, Océanie et Extrême-Orient, 42 % ; Europe, 17 % ; Amérique du Nord, 15 % ;Russie et Communauté des Etats indépendants, 14 % ; Afrique subsaharienne, 6 % ; Amérique Centrale et du Sud, 5 % ; Afrique du Nord et Moyen-Orient, 1 %. La propulsion diesel a été mise au point en 1906, la propulsion nucléaire en 1955 et la propulsion indépendante de l’air (AIP) non nucléaire, permettant de rester en plongée pendant de plus longues périodes que celle par diesel, en 1989. Le premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) a été mis en service en 1960 par la Marine américaine. En 2012, la France et la Grande-Bretagne disposent chacune de 4 SNLE et de 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA).




L’océan Indien : espace sous tension

L’Union européenne, l’Amérique du Sud, la Chine et le Japon, très dépendants du commerce maritime Est-Ouest, sont donc naturellement attachés à la liberté de navigation sur l’océan Indien, pourtant fragile et mal contrôlé.

C’est ce qu’a expliqué le vice-amiral d’escadre (2S) Laurent Mérer, ancien commandant de la zone maritime de l’océan Indien (Alindien), au cours d’une table ronde organisée, le 14 février 2013 à Paris, par le Centre d’études supérieures de la marine et l’Ecole de guerre. Ont participé au débat : Hubert Loiseleur des Longchamps, directeur des affaires publiques du groupe pétrolier Total ; Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime ; Serge Beslier, ancien président du conseil d’administration de l’Agence européenne de contrôle des pêches ; Christian Buchet, directeur scientifique du programme international de recherches « Océanides ».

Tensions et menaces. Les passages resserrés sont autant de lieux  de tensions : Suez, Bab-el-Mandeb, Ormuz et Malacca. En outre, se côtoient environ quarante pays, allant de l’extrême pauvreté à la plus grande richesse sans oublier l’instabilité politique de certains Etats. Cette zone regroupe 800 millions de musulmans, répartis en Inde, Pakistan et Bangladesh. Les rivalités avec les hindous et aussi entre musulmans chiites et sunnites s’y exercent en permanence. L’hinterland est le foyer de conflits larvés et récurrents : Inde et Pakistan ; Iran et Afghanistan ; Israël et Proche et Moyen-Orient. Enfin, les Etats-Unis et la Chine, quoiqu’à la périphérie, apparaissent comme des protagonistes majeurs, en raison des flux commerciaux en général et de leurs approvisionnements, notamment pétroliers, en particulier. L’océan Indien est en effet un lieu de passage obligé du gaz et du pétrole dans les deux sens. Les opérateurs européens produisent et négocient le pétrole du Mozambique et de certains pays du golfe Arabo-Persique destiné à l’Extrême-Orient et transportent des produits dérivés, de quoi tenter une piraterie endémique. A tire d’exemple, un navire de type PSO, construit en Corée du Sud au prix de 1-1,5 Md$, peut traiter 800.000 barils par jour et en stocker 2 millions. Par ailleurs, les importantes ressources halieutiques attirent les pêches illicites. L’océan Indien est aussi devenu le premier centre de production de thon à destination de la France, qui assure une surveillance à partir de l’île de La Réunion. De son côté, l’Union européenne consacre 1 M€/an à la lutte contre la pêche illicite. Par ailleurs, par suite de l’essor de son commerce, la Chine renforce sa présence dans la région depuis les années 1990. D’autres puissances militaires jouent un grand rôle comme consommateurs et partenaires commerciaux : Australie, Inde, Afrique du Sud et Iran. L’amiral Mérer rappelle que le terrorisme est apparu en Asie du Sud-Est en 2006. La piraterie est contenue à Malacca, grâce à l’action commune des pays riverains lancée sous la pression des Etats-Unis et du Japon. Le chantage à la fermeture des détroits, menace agitée par l’Iran en 1986-1987, peut recommencer demain. Aucun pays riverain de l’océan Indien n’étant membre du conseil permanent de sécurité de l’ONU, personne n’assume la responsabilité de sa sécurisation. Enfin, il n’existe pas d’organisation militaire comme l’OTAN ni économique comme celle de l’Association des pays de l’Asie du sud-Est.

Principaux protagonistes. L’Inde, la Chine, les Etats-Unis dans une moindre mesure et la France constituent les principales puissances attentives à la situation dans l’océan Indien. Disposant d’une grande capacité de raffinage, l’Inde exporte les produits pétroliers dérivés d’Arabie Saoudite. Toutefois, elle peine à démarrer ses programmes navals, notamment celui d’un groupe aéronaval, estime l’amiral Mérer. Elle coopère avec le Japon et l’Australie pour équilibrer la présence croissante de la Chine, mais ne semble guère capable d’assurer, avant longtemps, la régulation de l’océan qui porte son nom. De son côté, la Chine participe à la lutte contre la piraterie pour montrer sa capacité à agir dans cette zone et à défendre ses intérêts, à savoir ses réseaux d’approvisionnement en matières premières et d’exportation de biens et de services. Indifférente aux populations riveraines, elle n’a pas besoin d’expansion territoriale pour sécuriser ces routes. Ses entreprises sont bien accueillies par les Etats africains, car elles réalisent ce qu’elles promettent, respectent les délais et ne posent pas de questions sur les droits de l’Homme. La Chine développe sa flotte militaire, multiplie les accords de défense et les  grands travaux portuaires au Pakistan, au Sri Lanka et en Birmanie et envisage, à terme, d’utiliser des routes commerciales terrestres pour s’affranchir des détroits. Les Etats-Unis disposent d’une base navale sur l’île britannique de Diego Garcia et renforcent leur coopération avec l’Australie et l’Afrique du Sud, afin de surveiller la montée en puissance des autres pays de la zone. Malgré leur désengagement en Irak et en Afghanistan, ils maintiennent une présence à cause du pétrole (pays du Golfe) et du gaz (Qatar), en vue d’empêcher que l’océan Indien ne devienne « chinois » et pour garantir la protection d’Israël. La France a déployé les deux tiers de sa Marine à proximité du détroit d’Ormuz en 1986-1987. Mais a-t-elle encore la capacité d’y rester en permanence, s’interroge l’amiral Mérer. Quand il exerçait les fonctions d’Alindien en 2001 avec son quartier général sur un pétrolier-ravitailleur itinérant, la vision globale de la France avait été reconnue par le commandement naval américain. Dix ans plus tard, Alindien est installé dans la base française d’Abou Dhabi et doit maintenir ses liens avec tous les pays de la zone. Ainsi, un  solide réseau diplomatique,  la base de Djibouti (Afrique de l’Est), un bâtiment de projection et de commandement et un avion radar Atlantique 2 permettent d’assurer une présence suffisante et, éventuellement, d’agir. Madagascar, où résident 28.000 ressortissants français, est devenue une zone de non-droit en dix ans. La paupérisation accrue risque de transformer la grande île en une nouvelle Somalie avec, pour conséquences, des trafics mafieux et la  piraterie, avertit l’amiral Mérer.

Enfin, comme les transits commerciaux (pétrole et conteneurs) entre l’Est et l’Ouest de l’océan Indien se partagent entre l’Europe et les Etats-Unis, le golfe du Bengale devrait devenir une zone de prospérité après 2030, selon Paul Touret. A cette époque, anticipe Christian Buchet, la population indienne aura dépassé celle de la Chine et sera… la première du monde !

Loïc Salmon

 D’une superficie de 75 Mkm2, l’océan Indien est le seul à porter le nom d’un pays. Il est bordé : au nord par l’Inde, le Pakistan et l’Iran ; à l’est par la Birmanie, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et l’Australie ; au sud par l’océan glacial Antarctique ; à l’ouest par l’Afrique et la péninsule arabique. Pa convention, ses frontières se situent au cap des Aiguilles pour l’Atlantique, à l’île de Tasmanie pour le Pacifique et au 60ème parallèle Sud pour l’Antarctique. Ses rives accueillent 40-50 % de la population mondiale.




Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel

Pour la Chine, le domaine spatial exprime ses compétences nationales. Le régime communiste a toujours soutenu ce programme technologique, considéré comme essentiel à la modernisation et la reconnaissance internationale du pays.

Isabelle Sourbès-Verger, géographe et chercheur au CNRS et au centre Alexandre Koyré, a présenté le programme spatial chinois au cours d’un séminaire organisé, le 8 avril 2013 à Paris, par la Délégation aux affaires stratégiques et l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire.

Histoire d’une ambition. Dès 1956, le Comité central du parti communiste chinois perçoit l’intérêt potentiel de l’espace et crée, au sein du ministère de la Défense, la « 5ème Académie » qui regroupe les compétences scientifiques et technologiques du pays. Quatre ans plus tard, celle-ci lance un premier missile dénommé Dong Fang-1et copié du missile soviétique R-2. De son côté, l’Académie (civile) des sciences lance la première fusée-sonde T-7M. Le programme de lanceurs est maintenu malgré la fin de l’assistance soviétique, consécutive au refroidissement des relations entre la Chine et l’URSS après 1960. Les activités spatiales, implantées à Shanghai et à Pékin, sont regroupées autour de  « l’Académie chinoise de la technologie des lanceurs » (militaire) et de « l’Académie chinoise de la technologie de l’espace » (civile). Pendant la Révolution culturelle (1966-1976), les activités spatiales repassent sous contrôle militaire. Puis, leurs applications (télécommunications et télédétection) constituent un élément important de la modernisation du pays. En vue de combler ses lacunes, la Chine conclut des accords de coopération avec les pays européens et, en 1980, devient membre de la Fédération internationale de l’espace. Elle tente d’acheter des technologies en vue d’acquérir les compétences qui lui manquent et ainsi limiter ses dépenses en recherche et développement. Mais les pays occidentaux, peu enclins à lui transférer des technologies de pointe qu’elle n’a pas toujours les moyens d’intégrer, préfèrent mettre à sa disposition leurs systèmes nationaux, comme le satellite franco-allemand Symphonie pour des essais de téléphonie et de télévision. Un ministère civil de l’Industrie aérospatiale voit le jour en 1982. Trois ans plus tard, apparaît la Compagnie de la Grande Muraille pour la commercialisation internationale des lanceurs Longue Marche, moins chers que leurs homologues américains et européens. Quoique la priorité soit donnée aux programmes d’applications, la recherche fondamentale de haut niveau se poursuit. Les technologies de l’espace arrivent derrière celles de la biologie, mais devant celles de l’information, du laser, de l’automation, des nouvelles sources d’énergie et des nouveaux matériaux. Entre 1978 et 1983, la Chine parvient à maîtriser les systèmes de télécommunications sur orbite géostationnaire et les systèmes météorologiques. Elle améliore ses satellites récupérables FSW, d’une durée de vie de 18 jours. En 1992, elle annonce un programme de vol habité, en vue d’acquérir la totalité des compétences spatiales et une reconnaissance internationale. Elle profite en effet de la disparition de l’URSS et de l’ouverture du secteur spatial en général, contraint de proposer ses produits sur le marché international pour survivre. En 1993, par souci d’efficacité économique, le ministère de l’Industrie aérospatiale est remplacé par deux organismes : « l’Agence spatiale chinoise », à vocation administrative, pour le  suivi et la coordination des entreprises ; la « China Aerospace Corporation », à vocation industrielle, pour l’organisation de l’industrie spatiale civile et militaire. Selon le Livre Blanc sur l’espace, publié en 2000, ce domaine d’activités participe aux besoins de la construction économique, au développement de la sécurité nationale, des sciences et de la technologie, au progrès social et à la protection des intérêts nationaux.

Performance des moyens. En 2012, la Chine a déjà assuré plus de 130 lancements de satellites sur orbites basse et géostationnaire pour des missions scientifiques, d’exploration, d’observation, de télécommunications et de navigation. Elle dispose à cet effet de trois bases de lancement : Jiuquan, Taiyuan et Xichang (voir carte). La nouvelle base de Wenchang, sur l’île de Hainan, doit accueillir le nouveau lanceur Longue Marche 5 dont les « boosters » de 5 m de diamètre seront acheminés par mer. En conséquence, la base de Xichang (Sud), choisie au départ dans la profondeur du territoire pour des raisons stratégiques, devrait être fermée en raison de sa difficulté d’accès et de sa proximité de zones habitées. Le lanceur Longue Marche 5, dont le premier tir est attendu en 2014, pourra placer un satellite de 25 t sur orbite basse ou un autre de 14 t sur orbite géostationnaire, performances comparables aux fusées européenne Ariane 5 et américaine Atlas HLV. Selon ses configurations, ce lanceur pourra mettre des satellites commerciaux sur orbite, lancer des modules de station spatiale et envoyer des sondes lunaires. De nouveaux lanceurs, en cours de développement, permettront d’accroître les capacités de lancement en orbite géostationnaire et d’assurer les besoins de futures missions d’exploration habitées ou même plus lointaines que la lune. Dès 2003, la Chine a démontré sa capacité à envoyer un homme dans l’espace de façon autonome. Dans les années 1990, les activités spatiales ont fait l’objet d’une synergie civilo-militaire avec deux filières distinctes. Les compétences industrielles sont du ressort de la tutelle civile, mais la responsabilité des bases de lancement et celle des vols habités incombent  à l’Armée de libération nationale. Depuis 2007, les entreprises privées ont accès au marché de la défense via le Département général de l’armement (DGA), fondé en 1998 sur le modèle de la Direction générale de l’armement française. Le DGA, qui centralise les programmes militaires depuis la recherche et le développement jusqu’aux essais de mise en œuvre opérationnelle, suit désormais les activités spatiales. Depuis ses sites de commande et de contrôle, il procède à tous les lancements et dirige les manœuvres spatiales, de la mise sur orbite d’un satellite à sa destruction éventuelle en orbite (interception réussie en 2007). Il finance en grande partie une centaine de laboratoires civils pour évaluer les meilleurs choix technologiques et proposer des orientations. Toutefois, pour combler son retard sur l’Occident en matière de systèmes de télécommunications et de télédétection, la Chine recherche des coopérations diversifiées. Elle a conclu des accords en ce sens avec la Russie et le Brésil et en négocie avec le Chili, la Mongolie, la Corée du Sud, la Thaïlande, le Bangladesh, le Pakistan et l’Iran.

Loïc Salmon

Inde : industrie spatiale civile, mais de plus en plus militaire

Avec un budget de 3,1 Md$ en 2012, l’industrie spatiale chinoise emploie environ 250.000 personnes, dont 10.000 à 15.000 chercheurs et ingénieurs. D’une superficie de 9,6 Mkm2, la Chine compte 14.500 km de frontières maritimes et 22.177 km de frontières terrestres. Celles-ci touchent 14 pays : Afghanistan, Bhoutan, Birmanie, Inde, Kazakhstan, Corée du Nord, Kirghizstan, Laos, Mongolie, Népal, Pakistan, Russie, Tadjikistan et Viêt Nam.




Afrique : nouvelle frontière de la Chine avec des enjeux stratégiques

En raison de l’importance de sa présence économique en Afrique, la Chine doit protéger ses ressortissants et ses approvisionnements en matières premières. La lutte contre la piraterie lui permet d’entraîner sa Marine en haute mer et de développer des liens avec les pays riverains dans la durée.

La sécurité en Afrique de l’Est a été abordée au cours d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Y ont notamment participé Jean-Pierre Cabestan, directeur du département de sciences politiques de l’Université baptiste de Hong Kong, et Raphaël Rossignol, spécialiste des relations Chine-Afrique à l’École des hautes études en sciences sociales.

Diplomatie économique. La présence, déjà ancienne, de la Chine en Afrique s’est amplifiée depuis la fin des années 1990, explique Jean-Pierre Cabestan. Après y avoir évincé Taïwan en nouant des relations diplomatiques avec 50 pays sur 54, elle souhaite accroître son influence en Afrique et, par contrecoup, dans les instances internationales en proposant une politique de non-ingérence dans les affaires intérieures des États, une coopération entre pays de l’hémisphère Sud et un modèle de développement autoritaire. Soucieuse d’affaiblir la présence économique et l’influence politique de l’Occident sur le continent, elle se positionne juste derrière l’Union européenne, mais devant les États-Unis, la Turquie, le Japon et l’Inde. Les échanges bilatéraux sont passés de 12 Mds$ en 2000 à 198,6 Mds$ en 2012 et représentent 5,1 % du commerce extérieur de la Chine et 16,1 % de celui de l’Afrique. Les importations chinoises (113,3 Mds$ en 2012) sont constituées à 80 % de matières premières, dont 65 % de produits pétroliers et 15 % de minerais. Les exportations chinoises (85,3 Mds$ en 2012) portent surtout sur les biens de consommation (20 %), d’équipements  (36 %) et intermédiaires (35 %). Les principaux pays partenaires de la Chine sont l’Afrique du Sud (30,2 % du total en Afrique) et l’Angola (18,9 %), envers lesquels sa balance commerciale reste déficitaire. La Chine trouve aussi en Afrique de nouveaux marchés pour ses entreprises de construction d’infrastructures et de télécommunications, qui y concluent le tiers de leurs contrats internationaux. La Chine réalise 40 % des projets financés par la Banque mondiale et 10 % de l’ensemble de l’investissement africain en infrastructures.  Plutôt que de fournir une aide  au développement, la Chine a longtemps préféré construire sur place écoles et hôpitaux. Elle pratique aussi la coopération « verrouillée » qui alimente l’endettement africain à son égard, indique Jean-Pierre Cabestan. Ainsi, en Angola, des projets, financés sans appel d’offres par la Banque chinoise pour le développement ou la Banque export import chinoise, sont réalisés par une entreprise chinoise avec de la main d’œuvre chinoise et payés en pétrole. Toutefois, le Gabon et le Tchad tentent de limiter la présence chinoise en restreignant les contrats avec les entreprises chinoises. Aujourd’hui, la Chine compte plus de 2 millions de ressortissants en Afrique et quelque 2.000 entreprises dans des zones devenues dangereuses, comme l’Ogaden, le Soudan du Sud et le Nord du Cameroun. Mais la méconnaissance du terrain et la faiblesse de ses moyens pour assurer leur protection rendent nécessaire une coopération avec les États-Unis et même l’Éthiopie, principale puissance régionale de l’Afrique de l’Est.

Conflictualité régionale. Raphaël Rossignol a déterminé cinq zones de conflictualité en Afrique de l’Est : Soudan, Éthiopie, Érythrée, Somalie et Djibouti. Au Soudan, un long conflit a débouché sur la partition du pays en 2011. Les deux Soudan sont parvenus à un accord sur le partage des ressources pétrolières. Un oléoduc relie Juba (Soudan du Sud), zone d’extraction, à Port Soudan (Nord), centre d’exploitation. Puis une guerre économique, déclenchée par Khartoum et portant sur le changement de monnaie en un délai trop court, a fait perdre 700 M$ à Juba, qui n’a pas encore réglé sa redevance d’exploitation et cherche désormais à écouler son pétrole vers l’Ouganda et le Kenya. L’Érythrée, indépendante de l’Éthiopie depuis 1993, est entrée en nouveau en conflit avec elle en 1998, lequel perdure de façon larvée. L’Éthiopie, qui occupe une place importante dans la région, est crainte par les pays voisins, qui redoutent une résurgence de l’ancien empire d’Abyssinie. La Somalie, qui n’a jamais été gouvernée par une autorité unique depuis le Moyen-Age, n’a pu, après la chute du pouvoir central en 1991, réaliser l’unité territoriale qui lui aurait permis de rivaliser avec l’Éthiopie. La République de Djibouti, indépendante de la France depuis 1977, est considérée comme stratégique par les États-Unis. C’est en effet le débouché méridional de la Corne de l’Afrique, où transite le commerce maritime international qui subit le préjudice de la piraterie.

Diplomatie navale. Sa participation à la lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden a fourni à la Chine une opportunité de s’affirmer sur les plans militaire et diplomatique, comme l’explique Raphaël Rossignol dans un document publié par l’IRSEM en 2013. Depuis décembre 2008, elle y envoie deux bâtiments de combat et un pétrolier ravitailleur pour escorter des navires marchands chinois, obligés de demander leur protection directement au ministère des Télécommunications à Pékin, qui transmet à l’État-major  de la Marine. Cette opération nécessite des moyens logistiques importants, faute de disposer des facilités de la base navale de Djibouti comme les unités françaises et américaines présentes sur zone. Du fait de la nécessaire coordination de la surveillance du golfe d’Aden, cela permet aussi de nouer des liens avec les Marines du Japon et de la Corée du Sud, traditionnellement hostiles au développement de l’outil militaire chinois. En outre, mise en situation de crise réelle, la Marine chinoise acquiert ainsi une solide expérience en relativement peu de temps, en vue de futures missions à longue distance. Elle démontre aussi à la Marine de l’Inde, pays rival, sa capacité à opérer jusqu’en océan Indien. Par ailleurs, la Chine estime que son accès à la mer Rouge et au canal de Suez pourrait être, éventuellement, menacé par la présence de forces américaines en Égypte, à Djibouti, en Arabie saoudite,  à Bahreïn, au Koweït, à Oman et dans les Émirats arabes unis, sans oublier les moyens militaires français stationnés à Djibouti et à Abou Dhabi. Enfin, la présence de sa Marine au large des côtes de Somalie permet à la Chine de reconnaître le terrain et de tenter de nouer des relations avec les États riverains, en vue du stationnement éventuel de troupes.

Loïc Salmon

Chine : montée en puissance plus diplomatique que militaire

Evolution et continuité de la gestion des crises en Afrique

Selon l’OCDE, les échanges commerciaux de l’Afrique ont augmenté de 708 % avec la Chine, de 506 % avec l’Inde, de 126 % avec l’Union européenne et de 122 % avec les États-Unis entre 2000 et 2009 (carte). En outre, d’après l’Association (américaine) de politique étrangère, les exportations de matières premières de l’Afrique ont crû de 2.126 % vers la Chine, de 402 % vers les États-Unis et de 119 % vers l’Union européenne entre 1998 et 2006.




Forces nucléaires : l’enjeu stratégique de la prolifération des missiles balistiques

Le missile balistique impose le respect s’il est capable de décoller et d’arriver à sa phase terminale avec une charge nucléaire. Sans elle, il devient une arme d’affrontement « psychologique » sur un théâtre par la persistance dans l’action à tout prix.

Ces sujets ont été traités au cours d’une conférence-débat organisée, le 24 octobre 2013 à Paris, par l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont intervenus Philippe Wodka-Gallien, membre de l’Institut français d’analyse stratégique, et Valéry Rousset, consultant sur les relations entre stratégie et technologie.

Un cadre juridique international. Le traité de non prolifération des armes nucléaires (TNP, 1968) précise que 5 États peuvent en disposer (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France), mais que tous les autres ont accès à la technologie nucléaire civile. L’Iran l’a signé et n’a donc pas le droit de fabriquer des armes nucléaires. En revanche, la Corée du Nord l’a théoriquement, car elle a dénoncé le TNP qu’elle avait auparavant signé. La Suisse y a renoncé par referendum. L’Irak se l’est vu refuser par la force. La Libye y a renoncé pour rejoindre la communauté internationale. Lors de sa réunification, l’Allemagne, pourtant signataire du TNP, a dû signer un engagement supplémentaire à ne pas acquérir d’armement nucléaire. Le 8 juillet 1986, la Cour internationale de justice considère que l’emploi de la bombe atomique est conforme à l’article 51 de la Charte des Nations unies et peut être utilisée en situation de légitime défense. L’espace, le fond des océans et certaines zones géographiques sont dénucléarisés. La résolution 1540 de l’ONU du 28 avril 2004 porte sur la prévention de la diffusion des armes de destruction massive en direction des organisations terroristes. Vu la difficulté à employer une arme nucléaire, rappelle Philippe Wodka-Gallien, un État serait certainement derrière cette organisation et le réseau d’alerte existant permettrait d’identifier l’agresseur. En effet, 24 États  ont tissé une toile de suivi et de détection de la prolifération, conformément aux directives du Régime de l’ONU de contrôle de la technologie des missiles. Ces directives concernent les vecteurs capables d’emporter des armes de destruction massive comme les missiles balistiques, lanceurs spatiaux, fusées-sondes, véhicules aériens non pilotés, missiles de croisière, drones et véhicules téléguidés.

Des missiles à double usage. En 1945, les États-Unis, l’URSS, la Grande-Bretagne et la France se sont partagés les savants allemands et la technologie des V2. Ceux-ci connaissent deux destins différents : vecteurs de l’arme nucléaire pour les pays qui la possèdent et vecteurs d’attaque pour les autres. La précision du missile balistique est passée du km en 1943 à quelques centaines de mètres aujourd’hui. Les missiles balistiques stratégiques sont des vecteurs à changement de milieux (mer si tirés de sous-marins, atmosphère et espace), quasi-orbitaux (plus de 1.000 km d’altitude) et hypersoniques (plusieurs centaines de km par seconde) avec une portée allant jusqu’à 10.000 km. Les missiles balistiques de théâtre (États-Unis, Russie, Inde, Chine, Corée du Nord, Iran et Israël) ont une portée de 300 km à 3.000 km. Depuis 70 ans, ils se trouvent au cœur de toutes les crises. Sur le plan tactique, ils créent une zone d’interdiction ou de saturation (Afghanistan et Caucase) et, sur le plan stratégique, inspirent la terreur ou la crainte de représailles (guerre du Golfe en 1991 et Asie). Le missile balistique mobile de type « Scud » est un système complexe, repérable et vulnérable car composé de véhicules de soutien, du lanceur (camion de lancement et de tir), du vecteur contenant le carburant (propergol solide ou liquide) et de la tête militaire. Celle-ci peut contenir des armes conventionnelles (TNT, sous-munitions ou explosif par aérosol), des produits chimiques (gaz sarin) ou une ogive nucléaire miniaturisée. L’ogive biologique se révèle très difficile à maîtriser et mal adaptée au profil de vol. Le missile anti-missile « Patriot » crée des débris autour du « Scud » sans pouvoir en atteindre la tête militaire, car ce dernier effectue une trajectoire torsadée pour lui échapper. Mais les « gesticulations géopolitiques » alimentent les « cercles de la peur » en Iran et en Syrie. Le missile russe SS 26 « Iskander » se pilote sur toute sa trajectoire. Le missile chinois DF-21, équipé d’ogives à têtes multiples, est dédié à la destruction d’un porte-avions pour interdire l’accès d’une force aéronavale en mer de Chine.

Une prolifération à réduire. De 1960 à 1990, Moscou a exporté ses missiles « Scud » et SS-21 vers ses alliés et Washington ses « Lance » vers les siens. Ensuite et jusqu’en 2010, la Russie a été remplacée par la Chine avec ses M-11 et la Corée du Nord avec ses « Hwasong ». Depuis, l’indépendance en matière de missiles balistiques entraîne des coûts, délais et risques croissants pour les pays désireux d’en disposer, souligne Valéry Rousset. D’abord, l’acquisition de missiles « sur étagères », pratiquée par l’Algérie, l’Afghanistan, l’Égypte, la Syrie, le Yémen, l’Irak et l’Iran, n’inclut pas leur maintien en condition opérationnelle. Ensuite, l’évolution locale, à savoir l’achat de missiles qui seront modifiés, exige d’aplanir les difficultés de conversion ou d’adaptation (Corée du Nord, Chine, Irak, Iran et Libye). Enfin, le développement local ou en coopération, en vigueur au Pakistan et en Afrique du Sud, Argentine, Égypte, Inde et Israël, nécessite de résoudre les problèmes de production ou d’intégration et de pouvoir réaliser les essais et l’entraînement. Pour endiguer cette prolifération, l’ONU dispose de mesures politiques, juridiques et économiques coordonnées pour prévenir ou dissuader la diffusion des systèmes et des technologies permettant de développer des missiles balistiques. Elle élabore des directives distinguant les technologies spécifiques et à usage dual et procède à des inspections sur site (Irak de 1991 à 2003). Enfin, certains États peuvent décider de neutraliser la production et l’emploi de missiles balistiques par des actions militaires, comme les systèmes de défense anti-missiles ou la destruction à distance (laser) ou sur site (bombardement).

Loïc Salmon

Forces nucléaires : autonomie de décision et liberté d’action

La sûreté nucléaire des installations de défense

Dès 1942, l’Allemagne met au point les missiles V2 qui seront tirés sur Londres, Anvers et le Nord de la France. En 1957, la Russie développe son premier missile intercontinental à charge nucléaire « R7/SS6 ». En 1973, l’Égypte tire des missiles « Scud » contre Israël à la fin de la guerre du Kippour. En 1986, la Libye tire 2 « Scud » vers la station de l’agence de renseignement américaine NSA, située sur l’île de Lampedusa (Italie). En 1988, pendant la guerre Iran-Irak, 190 missiles tirés sur des villes tuent 2.000 personnes. Pendant la guerre du Golfe en 1991, 88 « Scud » sont tirés sur Israël et l’Arabie Saoudite, malgré 2.700 sorties aériennes dédiées. En 1996, la Chine tire 4 « CSS-6 » au-dessus de Taïwan à la veille des élections présidentielles. En 1998, la Corée du Nord lance son premier missile balistique intercontinental « Tae-Po-Dong ». En 2013, des tirs d’essais de missiles israéliens ont lieu en Méditerranée et l’Inde lance son premier missile balistique « Agni V ».

 




Chine, Iran, Russie : un nouvel empire mongol ?

Le concept de « nouvel empire mongol », élaboré par les trois auteurs de ce livre, se veut une allusion à la grande aventure eurasiatique du Moyen-Age et non pas une vision hypothétique de son renouveau.

Or, la Chine, l’Iran, la Russie se trouvent au cœur de l’équation géopolitique mondiale d’aujourd’hui … avec la Turquie ! Partant d’une approche historique, puis contemporaine, trois auteurs tentent d’en dégager les convergences et les perspectives futures. Nomades, les Mongols du XIIème siècle forment un ensemble de tribus, dont le mode de vie semble incompatible avec la notion de frontière. Pourtant, à la mort de Gengis Khan en 1227, l’empire qu’il a créé s’étend sur toute l’Asie centrale. Ses petits-fils conquièrent l’Iran, l’Irak et la Chine. La « Horde d’Or » déferle ensuite sur la Russie, la Pologne et la Hongrie. Au XIVème siècle, un chef mongol se convertit à l’islam pour se rallier les élites turques. Après une période de déprédations, la Horde d’Or restaure les villes ruinées et construit Kazan et Astrakan. Ouverte sur le monde extérieur, elle accueille missionnaires et marchands de toute la Méditerranée, facilite l’ouverture de comptoirs génois et vénitiens en Crimée et fait de la mer Noire une plaque tournante du commerce international. Aujourd’hui, pour de multiples raisons, la Chine, l’Iran et la Russie ne risquent guère de reconstituer l’empire mongol qui les avait fédérés. Ils encerclent en effet la civilisation turque, qui les rassemblait autrefois. De plus, la Russie et la Chine peinent à contrôler leurs minorités turcophones (Caucase et Xinjiang) et l’Iran voit en la Turquie une puissance régionale rivale. Cependant, une alliance pragmatique entre ces trois puissances inquiète les États-Unis, dont le jeu consiste à les maintenir divisées. En effet, malgré leurs relations tumultueuses antérieures, la Chine et la Russie fondent en 2001, avec le Tadjikistan, l’organisation de coopération de Shanghai, dont l’un des principaux objectifs est de contrer l’influence américaine en Asie centrale. L’Iran y adhère en 2005 et l’Afghanistan en 2012. Cette organisation rassemble 1,5 milliard d’habitants sur 26 Mkm2, où se trouvent 50 % de l’uranium et 40 % du charbon du monde. Dans son cadre, sont menées des manœuvres militaires communes et des échanges dans les domaines de la médecine et des nanotechnologies. La collusion entre la Russie, l’Iran et la Chine, discrète pour des raisons propres à leurs cultures, transparaît au détour de conflits périphériques ouvert (Syrie) et larvé (Corée du Nord). Formant une véritable communauté d’intérêts, ils diffusent sur internet une vision du monde différente des stéréotypes occidentaux. Toutefois, ils connaissent une faiblesse structurelle due à la démographie : baisse de la natalité et hausse de la mortalité en Russie ; limitation des naissances en Chine entraînant un vieillissement de la population, qui menace la croissance économique à terme ; chute du taux de fécondité des femmes en Iran. En outre, ces trois puissances continentales souffrent d’un déficit naval. La Marine russe est concentrée sur le Sud (mer Caspienne et mer Noire), où se trouvent de considérables ressources alimentaires et énergétiques. L’Iran hésite entre les puissances maritime et nucléaire. Enfin, la Chine a longtemps tourné le dos à l’océan.

Loïc Salmon

Chine : l’espace au cœur du complexe militaro-industriel

« Chine, Iran, Russie : un nouvel empire mongol ? » par Thomas Flichy, Jean-Marie Holtzinger, Jérôme Pâris et Antoine-Louis de Prémonville. Éditions Lavauzelle, 90 pages.