Les services secrets chinois, de Mao au Covid-19

Pilier du pouvoir du Parti communiste (PCC) depuis cent ans, la communauté chinoise du renseignement est devenue la plus importante du monde.

A la tête de chaque service de renseignement (SR) se trouvent un directeur technique pour la qualité des opérations quotidiennes et un commissaire politique pour garantir une orientation idéologique en conformité avec la stratégie définie par le PCC. Sécurité interne, gestion du « laogai » (travail forcé) et répression des dissidents font partie de cette communauté. Dans les années 1980, les SR accompagnent la modernisation du pays et prennent une dimension mondiale dans la décennie suivante à la faveur de la transformation du KGB soviétique, consécutive à l’implosion de l’URSS. Tout commence dans les années 1920 quand la représentation du GRU (SR militaire soviétique puis russe) à Pékin contrôle le SR du Kuomintang nationaliste…et celui, encore embryonnaire, du PCC ! Par ailleurs, le « mandarin révolutionnaire » Zhou Enlai (1898-1976), futur Premier ministre de la République populaire de Chine de 1949 à sa mort, devient directeur politique de l’Académie militaire de Huangpu à Canton, créée à l’instigation de l’URSS et dirigée par le général Chiang Kai-shek (1887-1975), futur président de la Chine nationaliste. Dans les années 1940, Zhou dirige le « Département du travail du front uni » (encore actif), chargé d’influencer des partis ou des gouvernements étrangers pour construire la Chine future. Ainsi, 84 savants chinois formés aux États-Unis vont rallier Pékin, dont certains développeront l’arme nucléaire, les fusées, les missiles et la guerre bactériologique. En 1945, Zhou contrôle les renseignements extérieurs, politiques et diplomatiques du PCC. En 1949, il envoie un couple à Hong Kong (colonie britannique jusqu’en 1997) monter l’agence de presse Chine nouvelle (Xinhua), et intégrée à la collecte du renseignement et organe de propagande. Dans les années 1950 et 1960, des défections permettent d’identifier des correspondants de Xinhua comme agents de liaison des mouvements de guérilla en Afrique, en Asie et en Amérique latine. La Révolution culturelle en Chine (1966-1976) provoque la désintégration des SR, mais Zhou parvient à maintenir des réseaux utiles à sa diplomatie. En 1978, deux ans après la disparition de Mao Tsé-toung, Deng Xiaoping (1904-1997) contrôle le PCC et les forces armées, lance un vaste programme de réformes économiques et crée, en 1983, la grande agence de renseignement Guoanbu, qui participe à la collecte scientifique et technologique à l’étranger. Le Programme 863, annoncé en 1986, a mobilisé 3.000 savants qui, en dix ans, ont atteint 1.500 objectifs concernant la défense, l’aéronautique, l’espace, le numérique, l’intelligence artificielle, les lasers, les automates, l’énergie et les nouveaux matériaux. L’espionnage des biotechnologies et des connaissances médicales et pharmaceutiques commence dès les années 1980. Deux décennies plus tard, le secrétaire général du PCC et président de la Commission militaire centrale, Xi Jinping (né en 1953) dévient président de la République en 2013 et est réélu pour la troisième fois en 2023. De sa réforme des forces armées, en 2015, résulte la Force de soutien stratégique, qui intègre la plupart des composantes du renseignement militaire, dont les départements de la guerre de l’information (collecte du renseignement, analyse, diffusion et soutien technique). Elle regroupe : les moyens de la reconnaissance aérospatiale avec le système satellitaire de communications Beidou, l’imagerie et les drones ; une armée « cyber » pour le renseignement et les opérations offensives ; des troupes de la guerre électronique. En 2020, les SR de la Chine ont atteint le niveau technologique de ceux de la Russie et même de ceux des États-Unis.

Loïc Salmon

« Les services secrets chinois, de Mao au Covid-19 », Roger Faligot. nouveau monde éditions, 714 pages, 12,90 €.

Chine : ambition hégémonique du Parti communiste

Chine : cyber-espionnage et attaques informatiques

Chine : ingérence et « guerre politique » croissantes




Afrique : zone d’intérêt stratégique accru pour la Chine

Le continent africain constitue une cible privilégiée dans la stratégie mondiale de la Chine dans les domaines économique, de sécurité élargie et d’influence.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence organisée, le 7 juin 2023 à Paris, par l’association 3 AED- IHEDN. Le colonel Frédéric Gauthier, sous-directeur « Afrique » de la Direction de la coopération de sécurité et de défense au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, est intervenu. Le même jour, 3 AED-IHEDN a rendu public un rapport intitulé « Renouveau des puissances, quelle défense ? », dont un chapitre présente les ambitions de la Chine en Afrique.

Le nouveau contexte stratégique. L’annonce, en 2022, de l’évolution de la politique et du dispositif militaire de la France en Afrique francophone, à l’issue de l’opération « Barkhane » au Sahel, a changé la donne stratégique, estime le colonel Gauthier. La Chine a alors proposé aux pays africains francophones de coopérer davantage à leur développement à la place de la France. Cela a décidé les États-Unis à s’y impliquer aussi. Jusqu’alors, ils aidaient la France dans ses opérations dans la région par du renseignement et de la logistique. Ils se contentaient de dialoguer avec les pays anglophones, notamment le Ghana, le Nigeria, l’Ouganda, le Kenya et l’Afrique du Sud, et avaient une compréhension de l’Afrique différente de celle de la France et des pays d’Asie. Par ailleurs, le positionnement des pays africains sur la guerre en Ukraine et son évolution donne des indications sur ce qui pourrait arriver en cas de durcissement du conflit. A l’ONU, ils ont manifesté, en majorité, une neutralité quant à l’agression de la Russie contre l’Ukraine, mais en subissent directement deux conséquences, à savoir la forte hausse des coûts des denrées agricoles au sens large et la diminution massive de l’aide européenne. Auparavant, l’Afrique qui bénéficiait de 80 % de celle-ci, n’en reçoit plus que 20 %. En revanche, l’Ukraine reçoit une aide considérable de la communauté internationale, tandis que certains pays en Afrique, dont la Namibie, le Burkina Faso et ceux des Grands Lacs confrontés à des difficultés, certes différentes, en reçoivent beaucoup moins. Ce discours de double standard continue d’empoisonner les relations entre certains pays d’Afrique et les États occidentaux. De son côté, à part l’intervention de la société militaire privée Wagner en Afrique francophone, la Russie, agit dans le champ informationnel sur les réseaux sociaux, essentiellement pour dénigrer la France. Or les populations africaines, hyperconnectées au monde, voient ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux. En outre, la Russie dispose de moyens considérables de formation dans le cadre de coopérations dans les domaines militaire, sanitaire et agricole. Par exemple, quand la France forme un spécialiste africain, la Russie en forme 300. De son côté, la Chinepropose une coopération industrielle en finançant des grands projets d’infrastructures, mais également en vue d’obtenir les ressources et les denrées qui lui manquent. Selon le colonel Gauthier, la Russie et la Chine mettent en œuvre la même politique de prédation des ressources naturelles en Afrique et, de préférence, des matières premières brutes exportées hors douane Ainsi, les pays africains disposant de réserves de bauxite, dont la Guinée, n’encaissent que le prix de la bauxite brute à la tonne au lieu d’exporter de l’aluminium produit localement. Aujourd’hui, la France veut établir un nouveau partenariat avec ses partenaires africains, tout en conservant ses valeurs au cœur des relations, ce qu’excluent la Russie et la Chine. Or, même les pays anglo-saxons placent leurs intérêts devant leurs valeurs, souligne le colonel.

L’emprise économique chinoise. La Chine exploite des gisements de pétrole et de gaz, des mines, des forêts et des terres agricoles en Afrique pour ses besoins en matières premières, indique le rapport de 3AED-IHEDN. Elle importe de la bauxite de Guinée, du Ghana et de Sierra Leone, de l’uranium et du thorium de Namibie, du cuivre, du nickel, du cobalt et du manganèse d’autres pays. L’Angola lui fournit 70 % de sa production pétrolière. En 2000, la Chine a créé le Forum de la coopération sino-africaine (FCSA), où 53 pays africains et l’Union africaine sont représentés. Elle leur propose des prêts importants pour la construction de leurs infrastructures. Avec ces fonds, des entreprises chinoises ont modernisé et construit plus de 10.000 km de voies ferrées, environ 1.000 ponts, 100 ports et 66.000 km de lignes de transmission et de distribution d’électricité. Elles ont participé à la construction de moyens de production d’électricité de 120 millions de kW, d’un réseau de communication de base de 150.000 km et d’un service de réseaux couvrant près de 700 millions de terminaux d’utilisateurs. Un plan de 2020 prévoit la construction de 30.000 km de routes d’ici à 2030. Elle a établi 25 zones de coopération économique et commerciale dans 16 pays d’Afrique. En une vingtaine d’années, elle est devenue le premier pays pourvoyeur de prêts à l’Afrique subsaharienne, dont la dette envers la Chine est passée de 3,1 % de leur dette totale en 2000 à 62,1 % en 2020. Sur la période 2000-2019, les prêts les plus importants ont été attribués à l’Angola, à l’Éthiopie, à la Zambie, au Kenya, au Nigeria, au Cameroun et au Soudan. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la Chine détenait 15 % de la dette extérieure de l’Afrique en 2021 et lui a accordé environs les deux tiers des nouveaux prêts au cours des années 2020-2022. Cela lui permet d’orienter des décisions politiques favorables aux intérêts chinois et d’exercer une influence, voire des pressions, sur le pays emprunteur. Par ailleurs, une partie significative de ces prêts n’est pas signalée au FMI ni à la Banque mondiale. Les entreprises chinoises chargées de réaliser les projets ainsi financés reçoivent les fonds directement, sans qu’ils transitent par le pays africain concerné.

La sécurité chinoise élargie. Depuis 2009, la Chine s’intéresse à la défense de ses intérêts hors du territoire national et à la sécurité en mer, indique le rapport de 3 AED-IHEDN. Sa stratégie maritime, dite du « collier de perles », consiste à installer des points d’appui commerciaux et miliaires pour ses marines marchande et militaire. En 2018, le FCSA a reconnu les objectifs de la Chine en matière de sécurité sur le continent africain. Il s’agit d’abord d’assurer la protection des milliers de travailleurs chinois employés dans les constructions d’infrastructures, financées par Pékin, et de 10.000 entreprises chinoises réparties le long des nouvelles « Routes de la soie » entre la Chine et l’Europe. Ensuite, il convient de lutter contre le terrorisme et la piraterie. Cette stratégie de défense élargie se réalise surtout dans un cadre bilatéral avec une coopération militaire approfondie dans plusieurs domaines. Toutefois, il ne semble pas y avoir d’accords formels de sécurité avec des pays africains. Enfin, une loi de 2017 oblige les entreprises chinoises à collecter du renseignement à l‘étranger dans le cadre du « pilier civilo-militaire ». Ce dernier permet au monde civil et aux armées d’utiliser en commun des technologies, procédés de fabrication, équipements, personnels et installations.

Les opérations d’influence chinoises. Le FCSA cadre l’action diplomatique de la Chine en Afrique : non-ingérence dans les affaires intérieures ; solidarité Sud-Sud ; coopération sans conditions sociétales préalables. Les 61 Instituts Confucius, promeuvent la culture et la langue chinoise et, indique le rapport 3 AED-IHEDN, pratiqueraient l’espionnage et l’influence auprès des décideurs politiques et économiques, opérations facilitées par la faiblesse des structures administratives et la corruption élevée en Afrique. Enfin, la Chine a accordé, aux médias d’Afrique subsaharienne, des financements pour les technologies de l’information et de la communication supérieurs à l’ensemble de ceux des agences multilatérales et des principales démocraties réunies. Elle leur fournit aussi gratuitement des articles sur les thématiques sino-africaines.

Loïc Salmon

Chine : l’instrumentalisation de l’Afrique et ses conséquences

Afrique : nouvelle frontière de la Chine avec des enjeux stratégiques

Russie : partenariats en Afrique, son principal marché d’exportation d’armement




Armement : gestion des stocks dans un conflit de haute intensité

La compétition entre les États-Unis et la Chine et la déstabilisation probable des pays proches de la Russie pourraient entraîner des conflits locaux et la continuité de la logique d’affrontement par procuration. La guerre en Ukraine rappelle l’attrition des armements et équipements.

En décembre 2022, l’Institut français des relations internationales a publié une étude intitulée « Stocks militaires : une assurance-vie en haute intensité », réalisée par le chercheur Léo Péria-Peigné.

Conséquences de l’attrition. La simple « opération militaire spéciale » de la Russie en Ukraine s’est transformée en une guerre d’une durée indéterminée et grande consommatrice de munitions avec des pertes humaines et matérielles considérables. L’Ukraine a dû rouvrir ses arsenaux et faire appel d’abord à ses voisins d’Europe de l’Est, anciens membres du Pacte de Varsovie, puis aux États-Unis et aux pays européens. Il s’ensuit une cohabitation de systèmes d’armes soviétiques et de l’OTAN sur le terrain. De son côté, la Russie a commencé par puiser dans ses stocks hérités de l’URSS puis a sollicité la Biélorussie, la Corée du Nord et l’Iran. Pour intensifier les flux dans cette « guerre de matériel », les deux belligérants ne peuvent en effet augmenter les cadences de production, qui nécessitent une profonde transformation industrielle avec des délais longs et des financements pérennes. En revanche, pour les pays indirectement impliqués, une politique préalable d’exploitation de leurs stocks représente un atout dans le triptyque « compétition, contestation, affrontement ». Ainsi, le camp occidental a pu, jusqu’à présent, soutenir massivement l’Ukraine sans s’exposer à des représailles militaires directes de la part de la Russie. En outre, grâce à leurs stocks, les États-Unis amoindrissent considérablement le potentiel militaire de la Russie pour longtemps au prix de quelques dizaines de milliards de dollars, alors que le conflit en Afghanistan (2001-2021) leur a coûté plus de 1.000 Mds$. D’une façon générale, les stocks se constituent « en amont », lors de l’acquisition du matériel, ou « en aval » lors de son retrait du service actif. Les systèmes d’armes stockés peuvent ensuite remplacer ceux détruits ou indisponibles pour entretien. Ils peuvent aussi servir de réserves de pièces détachées pour des systèmes qui ne sont plus fabriqués. Les systèmes considérés comme prioritaires seront mis « sous cocon » avec des mesures particulières pour allonger au maximum leur durée de conservation dans un état satisfaisant. Certains systèmes stockés sont « rénovés » pour retrouver leur état d’origine. D’autres peuvent subir un « retrofit », à savoir une mise à niveau de leurs composants obsolètes, afin d’augmenter leurs performances.

Les Etats-Unis. Les forces armées américaines, qui ont conservé une partie importante de l’arsenal hérité de la guerre froide (1947-1991), peuvent proposer des matériels à prix réduits dans des délais courts. L’armée de l’Air a regroupé toutes ses aires de stockage sur la base de Davis Mothan en Arizona, caractérisé par la sècheresse de l’air et une faible pluviosité (photo). D’une superficie de 1.000 ha, la base accueille plus de 3.000 aéronefs de l’État fédéral, du chasseur-bombardier F-4 Phantom II mis en service en 1960 aux drone MQ-1 Prédator datant de 1995. Les bombardiers stratégiques B-52 y sont conservés pour un éventuel usage ultérieur ou pour récupérer des pièces. Les missiles balistiques y sont retraités et partiellement reconvertis pour un usage civil, notamment les propulseurs pour les fusées de la NASA. En outre, des cellules d’avions sont réparties en quatre catégories : 4.000 destinées à la vente en entier ou en pièces détachées ; 3.000 conservées avec précaution et mobilisables sous très court préavis ; 2.000 destinées à la « cannibalisation » interne (récupération de pièces en bon état qui ne sont plus fabriquées). Plus de 300 F-16 Fighting Falcon de différentes versions, mis en service à partir de 1978, peuvent être remis à niveau si nécessaire. Ainsi, certains ont effectué des missions de reconnaissance et d’appui feu pendant les guerres d’Irak (2003-2011) et d’Afghanistan (2001-2021). Déjà, des cellules ont été transformées en drones pour servir de cibles d’entraînement au tir. L’armée de Terre dispose d’entrepôts en Californie et en Alabama pour le stockage, la maintenance et la remise en état des matériels, du véhicule de transport de troupes M113 (1960) au char M1 Abrams (1980) en attente de rénovation. Des Abrams retirés du service du Corps des Marines ont ainsi été revendus à la Pologne au prix de leur remise à niveau. La moitié des 350 M113 fournis à l ‘Ukraine par les pays occidentaux provient des stocks américains. Enfin, le triptyque « stockage-maintenance, remise en état et modernisation » repousse le besoin de nouveaux chars lourds et de véhicules de combat d’infanterie. La Marine regroupe ses navires hors service (moins de 50 unités en 2010) sur les sites de Bremerton, Philadelphie et Pearl Harbor, en vue de leur cannibalisation au profit de navires en service ou transférés via le programme « Foreign Military Sales » (FMS). Ce dernier permet de céder ou vendre à un prix avantageux du matériel militaire et des services d’entraînement à des pays partenaires. En outre, le ministère fédéral des Transports préserve des coques à rendre opérationnelles entre 20 et 120 jours. Cette flotte de réserve, forte de 2.200 navires en 1950, a fourni les transports nécessaires durant les guerres de Corée (1950-1953) et du Viêt Nam (1955-1975), puis a été réduite à moins de 100 en 2021. A la fin des années 2010, la Marine a conclu que seulement certaines unités logistiques et quelques bâtiments d’assaut amphibies (conservés à Pearl Harbor) pourraient fournir une force d’appoint rapide en cas d’urgence. L’entretien et certaines réparations seront effectués plus près de la zone de conflit et les futurs navires de combat devront durer 40 ans (30 en 2022).

La Russie. De l’URSS, l’armée de Terre a hérité d’un énorme parc de véhicules blindés, voués à une vie courte en combat de haute intensité selon la conception soviétique. La cannibalisation et le remplacement complet l’ont emporté sur le maintien en condition opérationnelle par une réparation poussée, qui nécessite de rapprocher des ateliers et des services de soutien logistiques près du front. Cela permet à la Russie de maintenir son effort de guerre contre l’Ukraine malgré les pertes subies. Outre l’amélioration des conditions de stockage des munitions, une grande quantité d’obus a été rénovée au rythme d’un pour deux neufs produits. Plutôt que de mettre au rebut les navires anciens, la Marine préfère les maintenir en service malgré leur valeur opérationnelle réduite. En outre, la modernisation des coques de près de 30 ans permet de compenser la lenteur de la production navale neuve. Toutefois, la corruption concernant les contrats militaires met en doute la diligence de ces modernisations. L’armée de l’Air n’a pas constitué de stocks d’avions de combat, en raison des flux d’appareils neufs et de l’absence de pertes. Mais elle a rénové 95 avions de transport et modernisé les hélicoptères d’attaque Mi-24 (canon de 30 mm). Les stocks de missiles balistiques et de croisière, sous-estimés en Occident, démontrent leur puissance de feu en Ukraine. En revanche, l’armée de l’Air russe manque de pilotes jeunes pour les avions les plus modernes, qui nécessitent une sélection rigoureuse.

La Chine. Pékin critique régulièrement le programme FMS américain. Mais en fait, les matériels chinois anciens souffrent d’une réputation de fiabilité limitée. La Chine a retiré du service six sous-marins conventionnels 035, dont deux ont été modernisés et vendus au Bangladesh et un autre au Myanmar. Toutefois, les composants destinés à leur maintien en condition opérationnelle ne se trouvent qu’en Chine. Le char type 69, version modernisée du T-62 soviétique, est progressivement remplacé par le ZTZ-99 développé au début des années 2000. Mais les informations sur le stockage de matériels anciens restent difficiles d’accès.

Loïc Salmon

Ukraine : livraisons accrues d’armements étrangers

Défense : durer et vaincre dans un conflit de haute intensité

Armements terrestres : enjeux capacitaires et industriels dans le contexte du conflit en Ukraine




Marines : défense et déni d’accès

Recours à l’espace, technologie de pointe, interopérabilité et combat collaboratif constituent les objectifs des Marines. Pour éviter toute surprise stratégique, Chine, Russie, Iran et Syrie misent sur l’interdiction maritime de zones.

Ces thèmes ont été abordés au cours d’un colloque organisé, le 17 octobre 2022 à Paris, par la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et la Sogena (Société d’organisation et de gestion d’événements navals dont le salon Euronaval à Paris). Sont notamment intervenus : Philippe Gros, maître de recherche à la FRS ; Xavier Mesnet, directeur du segment naval chez Thales ; Didier Alary, consultant et chercheur à la Chaire Sirius (droit et management du secteur spatial).

L’espace. Les constellations de satellites, reliées entre elles et aux centres de contrôle terrestres, permettent de mener une guerre avec une très forte élongation en temps réel, souligne Didier Alary. Elles intègrent la géolocalisation par ondes radio fréquences et la liaison tactique 16 de l’OTAN et peuvent envoyer des données ISR en une minute. A partir de cinq satellites connectés, il est possible de repérer un navire qui n’a pas allumé son système d’identification automatique AIS, pourtant obligatoire depuis 2007. Cryptables, les communications spatiales par laser restent difficiles à intercepter.

L’interdiction maritime. Les opérations navales prennent en compte les dimensions multi-milieux et multi-champs, explique Philippe Gros. L’interopérabilité des différentes unités navales est rendue difficile par l’hétérogénéité de la planification et de la mise en œuvre des moyens. La connectivité pourrait être améliorée sur le plan technique, mais l’écart culturel et cognitif persiste entre les personnels des différents domaines. Sur le plan stratégique au niveau international, il s’agit de faire converger les futurs « clouds de combat » (mise en réseau, facteur de la supériorité informationnelle et décisionnelle), tout en préservant sa propre base industrielle et technologique de défense. Le partage d’informations reste hautement sensible dans les opérations cyber. L’échelle du temps varie selon les opérations, de la conception à la planification et la conduite. Ainsi dans le cyber, une action défensive vise un effet immédiat, mais une action offensive recherche un effet différé pour exercer une influence. Une manœuvre navale ou terrestre dure des heures, des jours ou des semaines, mais une manœuvre aérienne des heures ou des jours. Si les contre-mesures électroniques durent de quelques minutes à plusieurs semaines, les tirs de missiles surface-surface, air-surface ou surface-air se limitent à la minute. Toutefois, un consensus se dégage sur les procédures et méthodes pour rechercher des effets conjoints et réorganiser le C2 (commandement et conduite). Cela implique d’améliorer la préparation opérationnelle commune et la planification des opérations interarmées.

La Chine. Selon Philippe Gros, la stratégie navale chinoise a évolué vers la défense au large, puis les opérations en haute mer, le contrôle de la mer de Chine et de la mer Jaune et le déni d’accès à la mer des Philippines et au-delà. Depuis 2015, elle y ajoute la protection des mers lointaines par des missions de projection à moyen terme. En cas de conflit, tous les domaines seront mis en œuvre pour des opérations de déni d’accès naval à longue distance. D’énormes moyens ISTAR (renseignement, surveillance, ciblage et reconnaissance) cibleront les unités américaines et alliées sur terre (radars transhorizon), dans les airs (avions de patrouille maritime et drones) et dans l’espace (imagerie et constellations de satellites militaires Yaogan). Les missiles balistiques antinavires MRBM DF-21D seront tirés de la terre. Le déni d’accès aérien sera assuré par les bombardiers H-6K/G, chasseurs bombardiers Flanker/JH-7 équipés de missiles supersoniques antinavires YJ-12 (portée jusqu’à 400 km), subsoniques LP YJ-100 (800 km) et peut-être hypersoniques CH-AS X-13 (4.500 km). L’action sous la mer serait réalisée par les sous-marins à propulsion diesel-électrique et quelques sous-marins nucléaires d’attaque équipés de missiles supersoniques YJ-18 ASCM. Les bâtiments de surface seraient réservés au contrôle de la mer de Chine et aux opérations autour de Taïwan. Les porte-avions, les destroyers de la classe 052D et les croiseurs « tueurs de porte-avions » 055 permettraient une projection de puissance. La coordination de l’ensemble nécessite une importante préparation opérationnelle commune.

La Russie. La fortification du littoral jusqu’à 1.000 km au large et le déni d’accès des approches maritimes se trouvent au cœur de la stratégie navale russe, explique Philippe Gros. Il s’agit de protéger les bases de la Force océanique stratégique dans le Nord et le Pacifique et de soutenir les engagements en mer Noire et en Méditerranée. L’aviation navale ou les forces aérospatiales (créées en 2015) assurent en priorité le déni d’accès. La défense côtière repose sur des flottilles de corvettes et frégates et des missiles antinavires basés à terre. Toutefois, la Russie n’a pas développé de capacités de ciblage au-delà de 500 km. La guerre en Ukraine a entraîné un usage intensif de missiles, dont les stocks se reconstituent mal en raison des sanctions occidentales qui affectent l’industrie de défense russe. Par ailleurs, la mer Noire joue un rôle crucial dans le conflit : contrôle naval par la Russie ; défense aérienne du flanc Sud-Ouest du théâtre ; missiles Kalibr, tirés de navires de surface ou de sous-marins sur le territoire ukrainien ; menace d’une opération amphibie russe contre le port ukrainien d’Odessa. La flotte côtière ukrainienne a été anéantie. Mais la force navale russe a subi des revers : croiseur Moskva coulé ; 3 à 7 navires amphibies détruits ou endommagés ; 5 patrouilleurs coulés. Ces pertes sont dues aux drones ukrainiens armés TB2 et aux tirs d’artillerie depuis le territoire ukrainien.

L’Iran. Selon Philippe Gros, les moyens navals iraniens se répartissent entre la Marine conventionnelle et la Garde côtière du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Il s’ensuit un grave déséquilibre face à la supériorité des flottes conventionnelles américaine et alliées présentes. La stratégie du CGRI porte sur la dissuasion par l’interdiction maritime via la guerre hybride jusqu’à l’engagement de haute intensité, avec des sous-marins de poche, des dizaines de bateaux rapides équipés de missiles et des centaines d’embarcations rapides légèrement armées. En outre, le CGRI dispose de forces aérospatiales équipées de missiles antinavires, de moyens ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), de drones armés, de munitions rôdeuses (drones suicides) jusqu’à quelques centaines de km et de lance-roquettes multiples à courte portée Exercices et infrastructures durcies et enterrées complètent le dispositif.

La Syrie. La Méditerranée, zone instable, se trouve sous la menace probable de « l’arc de résistance chiite », dirigé par l’Iran et la Syrie, et éventuellement d’autres puissances régionales, indique Philippe Gros. Moyens ISR, drones armés et missiles antinavires constituent une ligne de défense de plusieurs centaines de km, suffisante pour gêner une opération amphibie. Plus tard, la menace sera accrue par diverses proliférations : moyens de saturation des systèmes de missiles terrestres ; liaisons satellitaires commerciales de plus longue portée ; missiles hypervéloces ; nouveaux missiles antinavires. Enfin, d’autres pays de la région pourraient étendre un déni d’accès à plus de 1.000 km avec des moyens aériens.

Loïc Salmon

Le combat naval collaboratif implique le développement des drones armés et des armes à énergie dirigée, indique Xavier Mesnet. Il nécessite aussi la sécurisation du drone (cyberattaques) et de la transmission des bonnes informations qui doivent arriver au commandement au bon moment (capacité de calcul). Dans la lutte anti-sous-marine, la miniaturisation des sonars immergés à grande profondeur, réalisée grâce à la technologie quantique, réduit leur consommation d’énergie.

Marines : se préparer au combat naval de haute intensité

Marines : outils de sécurité, du Moyen-Orient à l’océan Indien

Chine : risque de conflit armé dans le détroit de Taïwan




Stratégie : les métaux « critiques », enjeux de sécurité pour les États-Unis et de puissance pour la Chine

L’importation de minerais dits « critiques », indispensables aux industries civiles et de défense, crée une dépendance considérée par les États-Unis comme une menace pesant sur la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie. Pour la Chine, qui en possède, en raffine et investit dans leur production à l’étranger, ils sont devenus des éléments de richesse et de puissance.

Ce thème a fait l’objet d’une visioconférence organisée, le 21 septembre 2022 à Paris, par l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont notamment  intervenus : David Amselem, cartographe chez Cassini Conseil ; Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS. Guillaume Pitron, auteur du livre « La guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique », fournit des informations complémentaires dans l’interview qu’il a accordé à l’IRIS le 26 juillet 2018.

Le contrôle des industries du futur. Les éoliennes, panneaux photovoltaïques, moteurs électriques et outils électroniques utilisent une trentaine de métaux rares, comme le tungstène et le cobalt, mais aussi d’autres moins connus comme le samarium, le gadolinium ou le dysprosium, indique Guillaume Pitron. Leur extraction coûte très cher et dégrade l’environnement. C’est pourquoi les États-Unis et l’Australie, qui disposent d’importantes réserves, n’ont pas toujours souhaité en poursuivre la production. En revanche, la Chine à investi à perte pour soutenir la pérennité de leur exploitation. Comme l’Indonésie et l’Afrique du Sud, elle n’a pas exporté les minerais vers les pays clients et a développé localement une filière intégrée. En raison de la disponibilité des ressources en Chine, les industriels occidentaux ont accéléré pendant plusieurs décennies les délocalisations de leurs outils de production, accompagnées de transferts de technologies et de brevets. La Chine est ainsi parvenue à dominer l’ensemble de certaines filières utilisatrices de métaux rares dans les nouvelles technologies de l’énergie et du numérique. Jusque dans les années 1980, la France avait développé l’extraction du tungstène, du manganèse et du zinc et était devenue alors l’un des principaux pays producteurs d’antimoine et de germanium. Outre la richesse de son sous-sol en Bretagne et dans le Massif central et les Pyrénées, elle dispose de réserves exploitables dans certaines zones économiques maritimes exclusives (Polynésie française et Wallis-et-Futuna).

L’inquiétude américaine. La chute de l’URSS et la fin de la guerre froide ont incité les administrations américaines à privilégier les approvisionnements de métaux sur les marchés mondiaux moins onéreux, explique Emmanuel Hache. En conséquence, le nombre de mines métallifères actives est passé de 640 en 1991 à 278 en 2020. Entre 1991 et 2021, les productions nationales ont diminué dans diverses proportions : – 40 % pour le cuivre raffiné à partir de minerais ; – 39 % pour les minerais d’or ; – 18 % pour les minerais de fer ; – 13 % pour le zinc raffiné ; – 79 % pour l’aluminium primaire. En 2021, la production de métaux et de minerais métallifères aux États-Unis se répartit ainsi : minerais de cuivre, 35 % ; minerais d’or, 31 % ; minerais de fer, 13 % ; minerais de zinc, 7 % ; autres minerais, 14 %. Huit entreprises américaines figurent dans la liste des 50 premières compagnies minières du monde, classées par capitalisation boursière : Freeport-McMoran pour le cuivre (5ème rang mondial) ; Newmont pour l’or (7ème) ; Southern Copper pour le cuivre, le molybdène, l’argent et le zinc (9ème) ; Albemarle pour le lithium ; Cleveland-Cliffs pour le fer ; Alcoa pour la bauxite et l’alumine et plus grand producteur d’alumine après la Chine ; MP Materials pour les terres rares ; Hecla Mining pour l’or et l’argent et plus grand producteur d’argent des États-Unis. En 2021, le taux de dépendance extérieure des États-Unis dans la chaîne de production de l’aluminium s’établit à 75 % pour la bauxite importée surtout de la Jamaïque, 55 % pour l’alumine importé surtout du Brésil et 45 % pour l’aluminium importé surtout du Canada. La même année, le taux de dépendance des États-Unis aux importations de minerai et métaux varie de 25 % pour le lithium à 48 % pour le nickel, 75 % pour le cobalt et 100 % pour le graphite naturel, le manganèse, le rubidium, le strontium et le vanadium. La Chine satisfait plus de 50 % de la demande américaine pour plusieurs minerais et métaux (voir encadré). En septembre 2020, le président Donald Trump avait souligné la menace constituée par cette dépendance d’adversaires potentiels pour les besoins en métaux critiques. En février 2022, son successeur Joe Biden a durci la stratégie des États-Unis et défini des priorités : accroissement de la production nationale de minerais et de métaux primaires ; développement du potentiel de recyclage et de la récupération des métaux ; diversification des sources d’approvisionnement extérieurs auprès des pays alliés et partenaires des États-Unis. Pour compenser la dépendance de la Chine, la « diplomatie minière » se concentre sur le Canada, l’Union européenne, l’Australie et le Japon.

Le poids de la Chine. Selon Emmanuel Hache, les ressources dites « incontournables » de la Chine portent sur l’aluminium, le chrome, le cuivre, le fer et le nickel. Les ressources « avantageuses » incluent l’antimoine, l’étain, le tungstène et les terres rares. Sont considérés comme « stratégiques » pour les industries émergentes l’aluminium, l’antimoine, le cobalt, le lithium, le molybdène, les terres rares, le tungstène et le zirconium. Très dépendante des approvisionnements extérieurs, la Chine investit aussi directement à l’étranger dans les secteurs des minerais et métaux (voir encadré). Entre 2005 et 2013, elle a réparti le financement de projets surtout dans 9 pays : Australie, 33 % ; République démocratique du Congo (RDC), 6 % ; Russie, 5 % ; Pérou, 4 % ; Brésil 4 %, ; Iran, 4 % et Indonésie 3 %. Puis elle a modifié sa stratégie sur 9 pays entre 2014 et 2021 : Indonésie, 15 % ; Pérou, 12 % ; RDC, 8 % ; Canada, 6 % ; Guinée, 5 % ; Chili ; 5 % ; Australie, 4 %. La part du reste du monde a augmenté, passant de 41% à 45 %.

Loïc Salmon

Deux cartes de David Amsellem présentent la géopolitique des métaux. La première montre les principaux pays exportateurs de minerais vers les États-Unis pour plus de 50 % de la demande américaine : Chine pour l’antimoine, l’arsenic, le bismuth, le gallium, le germanium, le magnésium et les terres rares ; Canada, potasse et tellure (métalloïde argenté) ; Brésil, alumine et niobium ; Chili, rhénium ; Argentine, lithium ; Jamaïque, bauxite ; Mexique, strontium. La seconde carte indique les pays où la Chine investit dans des projets relatifs aux minerais et métaux : Indonésie pour l’acier, l’aluminium et autres minerais ; Malaisie, acier, aluminium et autres ; Singapour, acier ; Thaïlande, acier ; Viêt Nam, acier ; Laos, autres minerais ; Birmanie, acier ; Philippines, acier ; Australie, acier, cuivre, aluminium et autres ; Papouasie-Nouvelle-Guinée, acier et autres ; Bangladesh, acier ; Inde, acier et autres ; Iran, acier et autres ; Azerbaïdjan, acier ; Tadjikistan, aluminium ; Kazakhstan, cuivre, acier et autres ; Kirghizstan, autres ; Mongolie, acier ; Russie, acier, aluminium et autres ; Ukraine, acier ; Serbie, cuivre, acier et autres ; Bosnie, cuivre ; Grèce, aluminium ; France, aluminium ; Suisse, acier ; Allemagne, acier et aluminium ; Pays-Bas, autres ; Grande-Bretagne, acier et autres ; Algérie, acier ; Libéria, acier ; Sierra Leone, acier ; Guinée, aluminium et acier ; Mali, autres ; Ghana, autres ; Cameroun, acier ; Congo, cuivre et autres ; République démocratique du Congo, cuivre et autres ; Ouganda, cuivre et acier ; Tanzanie, autres ; Mozambique, autres ; Zimbabwe, acier et autres ; Namibie, autres ; Afrique du Sud, cuivre et autres ; Argentine, autres ; Bolivie, acier ; Guyana, aluminium et autres ; Venezuela, aluminium ; Pérou, cuivre et acier ; Équateur, cuivre ; Jamaïque, autres ; Mexique, autres ; Canada, cuivre, acier et autres ; États-Unis, cuivre.

Stratégie : maîtrise des fonds marins, ambition et opérations

Etats-Unis : stratégie d’influence et politique étrangère

Chine : une stratégie d’influence pour la puissance économique




Japon : protection et évacuation des ressortissants en cas de crise en Corée et à Taïwan

Tirant les enseignements de catastrophes naturelles, d’épidémies, d’attentats et guerres, les ministères japonais des Affaires étrangères et de la Défense se préparent au sauvetage de leurs ressortissants en cas de crise, notamment en Corée et à Taïwan.

Jean-François Heimburger, chercheur associé à l’Université de Haute-Alsace, l’explique dans une note publiée à Paris en juillet 2022 par la Fondation pour la recherche stratégique.

Anticipation pour la Corée et Taïwan. En 2021, selon le ministère japonais des Affaires étrangères, 41.238 ressortissants résident en Coré du Sud, surtout dans la région métropolitaine de Séoul située à quelques dizaines de kilomètres de la zone démilitarisée, frontière avec la Corée du Nord. En outre 24.162 vivent à Taïwan, dont la moitié dans la capitale Taipei. Avant la pandémie de Covid-19, plus de 200.000 Japonais effectuaient des séjours de courte durée en Corée du Sud et plus de 150.000 à Taïwan chaque mois. Des plans d’évacuation avaient été envisagés pour la Corée du Sud, lors de la crise nucléaire nord-coréenne de 1993-1994, et pour Taïwan lors de la tension de 1995-1996 avec la Chine. Récemment une équipe d’experts japonais des milieux universitaire, diplomatique et militaire a étudié divers scénarios possibles. En Corée du Sud, les autorités gouvernementales ne souhaitent pas discuter d’opérations d’évacuation de personnes civiles de n’importe quel pays, sauf des Etats-Unis, avec qui un exercice simulant une guerre a déjà eu lieu en 2018. Quant au Japon, elles refuseraient probablement l’arrivée d’avions et de navires militaires pour des raisons historiques, la péninsule coréenne ayant été intégrée à l’Empire japonais entre 1910 et 1945. En revanche, malgré l’absence de relations diplomatiques avec le Japon, Taïwan devrait autoriser l’atterrissage de ses avions militaires, en raison de l’importance des échanges commerciaux, touristiques et culturels entre les deux pays. En outre, l’effondrement du gouvernement taïwanais semble peu probable dans une situation d’urgence, même en cas d’attaque de la Chine. Pour éviter une condamnation d’une grande partie de la communauté internationale et ses conséquences économiques comme lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la Chine devrait accorder un délai entre l’annonce de son intention et son intervention effective. Dans le pire des cas et après des négociations avec les Etats-Unis, une guerre avec la Chine se limiterait au rétablissement de l’ordre public à Taïwan et à l’établissement d’un gouvernement pro-Pékin. Quant aux situations d’urgence les plus graves, le Japon et les Etats-Unis ont déjà évoqué avec précision les opérations d’évacuation, en 1997 et 2015, dans le cadre des « Lignes directrices pour la coopération nippo-américaine en matière de défense ». Les deux pays disposent de capacités de transports aérien et maritime très importantes et de territoires et/ou de bases situées à proximité. Pour Taïwan, un dialogue à huis clos permettrait d’éviter de provoquer un fort mécontentement de la Chine. En cas de guerre dans la péninsule coréenne, l’assurance de l’assistance militaire apportée aux Etats-Unis par le Japon constituerait un message de soutien de celui-ci à la Corée du Sud. Le gouvernement du Japon devra se concerter avec les collectivités locales du Sud pour y faire transiter ou accueillir plusieurs milliers de ressortissants japonais et des étrangers.

Risques accrus à l’étranger. Entre janvier et mars 2022, environ 200 japonais ont été rapatriés d’Ukraine. Lors des manifestations du « Printemps arabe » en Egypte en 2011, quelque 800 ressortissants ont été évacués en un seul jour. Au début de la pandémie de Covid-19, 7.524 japonais ont été rapatriés avant le 21 avril 2020. Par ailleurs 24 Japonais sont morts ou portés disparus pendant les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. En outre 9 ont été tués lors de la prise d’otages dans la raffinerie d’In Amenas en Algérie en 2013 et 7 pendant l’attentat terroriste dans un restaurant de Dacca (Bangladesh) en 2016. Enfin, 35 sont morts lors du tsunami en océan Indien au large de l’Indonésie en 2004. Par ailleurs, selon le ministère des Affaires étrangères, le nombre de Japonais séjournant à l’étranger depuis au moins trois mois ou désirant s’y installer est passé de 586.972 en 1989 à 1.344.900 en 2019. La plupart d’entre eux se répartissent aux Etats-Unis, Canada et Brésil, en Chine, Thaïlande, Australie et Grande-Bretagne. Le nombre de Japonais effectuant un voyage de courte durée est passé de 9, 66 millions en 1989 à 20,08 millions en 2019 puis à 3,17 millions en 2020 par suite de la pandémie du Covid-19.

Moyens d’évacuation. L’emploi d’avions de l’Etat constitue l’ultime solution pour transporter des ressortissants japonais en zone sûre en dehors d’un pays en crise. Il résulte des difficultés rencontrées lors des évacuations par avions civils à partir de 1985 pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988). La plupart des vols commerciaux avaient été annulés, en raison de la zone d’exclusion aérienne décrétée par l’Irak au-dessus de l’Iran. En conséquence, plus de 200 Japonais, qui n’avaient pu en profiter, ont finalement été rapatriés à bord de deux avions des Turkish Airlines. En 1992, deux avions destinés au transport du Premier ministre ont été mis à la disposition de l’Agence de Défense (appellation du ministère de la Défense à l’époque) pour les évacuations d’urgence de ressortissants à l’étranger. La loi sur les Forces d’auto-défense (Fad) a été modifiée pour inclure l’emploi d’hélicoptères, de navires et de véhicules terrestres. Les Fad ont déjà procédé à cinq évacuations d’urgence : avril 2004, 10 journalistes japonais, de l’Irak vers le Koweït par avion de transport militaire C-130H ; janvier 2013, 7 Japonais et les corps de 9 autres (pris en otages par un commando islamiste), de l’Algérie vers le Japon par un B-747 de l’Etat ; juillet 2016, les dépouilles de 7 Japonais accompagnées de 17 de leurs proches, du Bangladesh vers le Japon par un B-747 de l’Etat ; juillet 2016, 4 diplomates japonais, du Soudan du Sud vers Djibouti par un C-130H ; août 2021, 1 Japonais et 14 Afghans sur la demande des Etats-Unis, de l’Afghanistan vers le Pakistan. En fait, trois C-130H et 1 C2 militaires avaient été envoyés au Pakistan pour évacuer d’Afghanistan quelque 500 personnes (Japonais, collaborateurs locaux de l’ambassade et de l’Agence japonaise de coopération internationale et leur famille), qui n’ont pu rejoindre l’aéroport de Kaboul, freinées aux points de contrôle installés par les talibans.

Prévention et gestion de crises. Depuis 2000, outre le service de « conseils aux voyageurs », les ambassades informent leurs ressortissants immatriculés sur l’état des maladies infectieuses et la sécurité dans le pays de séjour. Elles privilégient l’évacuation par le services commerciaux (voitures, buses, bateaux et avions). Lors des manouvres militaires russes à proximité de l’Ukraine, l’évacuation a été recommandée deux semaines avant la guerre et la fermeture de l’espace aérien ukrainien à l’aviation civile. Près de 40 % des ressortissants japonais ont pu quitter l’Ukraine avant l’invasion russe.

Loïc Salmon

Chine : risque de conflit armé dans le détroit de Taïwan

Corée du Nord : « royaume ermite » et facteur de crise en Asie du Nord-Est

Japon : multilatéralisme dans un contexte stratégique tendu




Asie centrale : enjeu sécuritaire pour la Chine et la Russie

Depuis la prise du pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021, Chine et Russie renforcent leur présence en Asie centrale pour en limiter l’instabilité et y repousser l’influence de l’Occident.

C’est ce qui ressort de la note publiée le 3 mai 2022 à Paris par Anastasia Protassov, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique.

Instabilités internes. Outre la fragilité des régimes, surtout autocratiques et même dictatoriaux pour certains, les pays d’Asie centrale se caractérisent par une grande faiblesse économique, une corruption endémique, une composition ethnique complexe et une incapacité à affronter seuls des groupes armés terroristes. Ainsi du 2 au 11 janvier 2022, la hausse soudaine des prix du carburant au Kazakhstan a provoqué une grave crise sociale. Les manifestations dans la ville pétrolière de Janaozen se sont étendues à d’autres villes et ont dégénéré en émeutes. Après la démission de son gouvernement, le président Kassym-Jomart Tokaïev n’a pu reprendre le contrôle du pays qu’avec l’aide de l’Organisation du traité de sécurité collective. Celle-ci, créée en 2002 avec son siège à Moscou et à vocation politico-militaire, regroupe l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et la Russie. Par ailleurs, dans la perspective d’un « ordre international multipolaire » préconisé par Moscou et Pékin, l’Inde et le Pakistan ont rejoint, en 2017, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Celle-ci vise à stabiliser la région en luttant contre les mouvements fondamentalistes et séparatistes et en développant une coopération économique et commerciale, qui inclut développement et lutte contre la contrebande. Fondée en 2001 avec son siège à Pékin, elle regroupe la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et la Russie et, à titre d’observateurs, la Biélorussie l’Afghanistan, l’Iran et la Mongolie.

Intérêts communs russo-chinois. Depuis des années, Pékin et Moscou sont préoccupés par le risque de terrorisme en Asie centrale, le besoin de contenir l’instabilité émanant d’Afghanistan et la volonté de garder les Etats-Unis hors de la région. Cependant, tous deux voyaient la présence américaine en Afghanistan comme une moyen efficace de la lutte contre le terrorisme. Or avec le retrait progressif de l’Occident en 2014 et surtout en 2021, la perception de cette menace a changé et poussé Pékin et Moscou à renforcer leur action sécuritaire avec la participation des puissances régionales. La logique anti-occidentale et en particulier anti-américaine fait partie de leur coopération bilatérale. D’une façon générale, les élites russes ont toujours perçu l’ordre mondial à travers le prisme anti-occidental. Pour la Chine, la coopération interétatique apparaît comme essentielle au maintien de la stabilité dans le monde. Pour la Russie, la présence chinoise dans son voisinage proche ne se présente pas comme une ambition hégémonique en matière de sécurité, mais plutôt comme un renforcement. En effet, elle a pris conscience qu’elle ne peut assurer seule la sécurité dans une région aussi vaste que l’Asie centrale et propice à l’instabilité. Globalement depuis 2016, les relations bilatérales entre la Chine et les différents pays de la région se développent plus intensément qu’avec la Russie. Selon une division du travail tacite, Moscou apparaît comme le garant de la sécurité dans la région et Pékin comme le principal acteur économique.

Zone tampon pour la Chine. Conformément à la doctrine chinoise qui lie étroitement développement économique et stabilité sociale, celle de l’Asie centrale est indispensable à la réalisation du projet chinois des « Nouvelles Routes de la Soie » vers l’Europe. En outre, Pékin redoute que des militants séparatistes ouïghours installent des camps d’entraînement dans la région, après le retrait d’Afghanistan de l’OTAN en 2014. Par ailleurs, une attaque terroriste contre son ambassade à Bichkek (capitale du Tadjikistan) en 2016 l’a conduit à y renforcer la présence de sa Police armée du peuple, organisation paramilitaire, qui partage des informations et mène des exercices conjoints de lutte anti-terroristes avec les forces de sécurité locales. Selon un accord conclu la même année, la Chine finance la construction, l’entretien et le fonctionnement de 30 à 40 postes du côté tadjik de la frontière avec l’Afghanistan. En outre, elle a édifié un avant-poste, géré par les forces spéciales tadjikes, à proximité de la ville de Shaymak et à l’intersection de l’Est du Gorno-Badakhchan (Tadjikistan), du Nord-Est du Xinjiang (Chine) et du Badakhchan (Afghanistan). Puis, elle a apporté une contribution de 8,5 M$ à la construction d’un second à Vakhon en octobre 2021. Ces deux avant-postes, situés dans les montagnes du Pamir, surplombent le corridor du Wakhan, vallée de 350 km de long et de 13 km à 65 km de large. Ils permettent d’observer les différents passages et activités émanant d’Afghanistan vers la Chine. Des patrouilles conjointes des forces armées chinoises et tadjikes visent à éviter que ce corridor devienne une voie de sortie de trafics (armes, drogue et êtres humains) et d’activités déstabilisatrices à partir de l’Afghanistan. Des exercices conjoints de lutte anti-terroriste ont eu lieu en 2016, 2019 et 2021. Au cours des cinq dernières années, la Chine a assuré 18 % des livraisons d’armes dans la région, contre 1,5 % entre 2010 et 2014. En plus des achats et des dons directs, l’Ouzbékistan et le Turkménistan pratiquent le troc du pétrole et de ses dérivés contre des équipements militaires chinois. Ainsi l’Ouzbékistan a reçu des drones Wing Loong-I dès 2014, puis des systèmes de défense sol/air portatifs QW-18 en 2019. En 2020, le Tadjikistan a investi 80 M$ dans sa défense, contre 130 M$ pour le Kirghizistan et 10 Mds pour le Pakistan. La Chine est devenue le 2ème fournisseur d’armes au Turkménistan, après la Turquie et devant la Russie.

Prédominance de la Russie. Depuis la disparition de l’URSS (1991), la Russie reste le principal fournisseur d’armes du Kazakhstan pour environ 85 M$ entre 2014 et 2018 (5 M$ pour la Chine), du Kirghizistan pour 95 M$ (5 M$) et du Tadjikistan pour 88 M$ (10 M$). En 2019, l’ensemble de l’Asie centrale a importé pour 750 M$ d’armements russes, contre 400 M$ d’armements chinois. Outre ses propres bases au Kirghizistan et au Tadjikistan, la Russie conserve l’accès à des installations militaires de ces deux pays et au Kazakhstan, à savoir base de lancements spatiaux, stations radar et sites d’essais. Elle demeure la puissance qui organise le plus d’exercices conjoints dans la région, dans un cadre bilatéral ou via l’Organisation du traité de sécurité collective. Lors des émeutes au Kazakhstan en janvier 2022 (voir plus haut), elle avait rapidement envoyé 3.000 soldats, contre une dizaine pour chacun des autres pays membres. Par ailleurs, la Russie forme, en partie, plus de la moitié de l’armée kazakhe et 1.500 spécialistes tadjiks. Elle a repris récemment le programme de formation des officiers ouzbeks, suspendu en 2012. Toutefois, les Etats d’Asie centrale restent prudents vis-à-vis de Moscou, à cause de ses interventions en Géorgie et en Ukraine, et de Pékin, en raison de la répression contre les Ouïghours.

Loïc Salmon

Afghanistan : un sanctuaire néo-djihadiste très incertain

Chine : diplomatie « sanitaire » via les « Routes de la Soie »

Chine et Russie : affirmations de puissance et difficultés internes




Indo-Pacifique : les partenariats de sécurité des Etats insulaires

La diplomatie maritime de la France et de l’Union européenne (UE) vise à rassurer les micro-Etats de la zone indo-pacifique, vulnérables aux enjeux stratégiques, économiques, environnementaux et humains.

Ce thème a été abordé au cours d’une visioconférence organisée, le 19 avril 2022 à Paris, par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Y sont intervenus : Christian Lechervy, ambassadeur de France en Birmanie et ancien ambassadeur auprès de la Communauté du Pacifique ; le contre-amiral Jean-Mathieu Rey, commandant supérieur des forces armées en Polynésie française (Alpaci) ; Julia Tasse, chercheuse à l’IRIS et responsable du programme « climat, énergie, sécurité ».

Face aux puissances régionales. En raison de leurs alliances, il ne faut pas sous-estimer les micro-Etats du Pacifique qui représentent 10 % des pays membres de l’ONU, souligne l’ambassadeur Lechervy. Ils intéressent notamment Cuba, la Turquie, le Maroc et les Emirats arabes unis. A ces 15 Etats, en comptant le Timor oriental, s’ajoutent 10 territoires et d’autres entités diverses (voir encadré). Certains Etats non-souverains ont conclu des accords de coopération avec des organisations régionales, non-régionales ou même internationales dont l’ONU, l’OMS, l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est et la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique. Les parlements entretiennent des relations politiques entre eux. Certains accords portent sur la société civile et les entreprises. Les Etats-Unis redéfinissent leur stratégie dans la zone avec Hawaï, l’Australie, le Japon et la Corée du Sud. Comme la France en Polynésie, les Etats-Unis et Grande-Bretagne ont procédé à des essais nucléaires dans les Iles Marshall, débat récurrent. Depuis l’attaque imprévue de Pearl Harbor par le Japon en 1941, Washington veut éviter toute surprise de la part de Pékin. La bataille de Guadalcanal (1942-1943) dans les îles Salomon avait opposé les troupes du Japon à celles de l’Australie et des Etats-Unis. Or en 2019, l’Etat des Îles Salomon a établi des relations diplomatiques avec la Chine, suivies d’un accord de sécurité en avril 2022. Outre la coopération policière, cet accord, d’une durée de cinq ans et renouvelable, autorise le déploiement de moyens navals chinois de soutien. Dès 2006, la Chine avait procédé à des évacuations de ses ressortissants dans la région, démontrant sa capacité de projection civile mais aussi militaire. Les Îles Salomon constituent un point d’appui pour le grand projet chinois de « Nouvelles routes de la soie », qui inclut un volet de coopération militaire. Les Etats-Unis et la Chine veulent impliquer les Etats insulaires dans leur architecture de sécurité. Toutefois, ces deniers préfèrent se tenir à distance des grandes puissances et développer leurs capacités militaires (aérienne, navale et sous-marine). L’Espagne, le Portugal, l’Allemagne et les Pays-Bas se sont implantés dans le Pacifique pendant plusieurs décennies, mais la France y maintient une présence depuis un siècle. Au cours du premier semestre 2022, dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) et pour se positionner comme une puissance d‘équilibre, elle a organisé : le Forum sur la sécurité maritime : le One Ocean Summit sur la protection et la gestion durable des océans ; le Forum ministériel pour la coopération dans l’Indo-Pacifique, incluant l’UE, le Japon, l’Indonésie et la Nouvelle-Zélande.

Présence militaire française. La moitié des sous-marins en service dans le monde se trouve dans le Pacifique, indique l’amiral Rey. Environ 2 millions de ressortissants français vivent dans la zone Indo-Pacifique, aussi vaste que l’Europe. Alpaci dispose de 7.000 militaires, 15 navires et 40 aéronefs, renforcés par des éléments métropolitains de passage, pour remplir ses missions de garde-côtes, d’action de l’Etat en mer dans la zone maritime exclusive et d’assistance humanitaire. Ainsi, outre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, la France a envoyé des secours, à partir de la Polynésie française, lorsque l’archipel de Tonga a été isolé du monde après une éruption volcanique et un tsunami en décembre 2021. En cas de conflit régional, Alpaci, représentant du chef d’Etat-major des armées, doit rechercher un règlement pacifique. Il s’entretient régulièrement avec son homologue chinois sur zone. La stratégie française des partenariats concerne les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, Singapour, la Malaisie, l’Indonésie et le Chili.

Dérèglement climatique. Le changement climatique exerce un impact direct sur la sécurité, rappelle Julia Tasse. La submersion des infrastructures aériennes et maritimes sur le littoral d’une partie des îles entraîne des conséquences économiques. L’intensification des cyclones accroît le besoin de dispositifs de secours. La sècheresse accrue dans les zones cultivables, trop exploitées, aggrave les conditions de vie dans l’agriculture et les transports. Le blanchissement des côtes par le dépérissement du corail mène à une perte des bancs de poissons associés aux récifs. L’arrivée massive des flottilles de pêche des pays asiatiques entraîne une surpêche dans les eaux profondes et celles proches des côtes. Il s’ensuit une migration croissante d’une partie de la jeunesse des Etats insulaires vers la Nouvelle-Zélande, l’Australie et la Nouvelle-Calédonie, pour des raisons financières et économiques. Par ailleurs, précise Julia Tasse, la politique chinoise d’appropriation territoriale de la mer par l’occupation de récifs et la poldérisation d’atolls inhabités comme en mer de Chine ne peut s’appliquer dans le Pacifique. En effet, sa vaste étendue entraîne « une tyranie des distances », estime l’amiral Rey.

Loïc Salmon

Dans l’océan Indien, la présence de la France inclut : les départements de La Réunion et de Mayotte ; la collectivité des Terres australes et antarctiques françaises (Îles Kerguelen, Îles Crozet, Îles Saint-Paul-et-Amsterdam et Îles Eparses). Dans l’océan Pacifique, elle comprend trois collectivités d’outre-mer : Polynésie française (Îles de la Société, Archipel des Tuamotu, Îles Gambier, Îles Australes et îles Marquises) ; Wallis-et-Futuna ; Île de Clipperton. La Grande-Bretagne possède l’Île Pitcairn dans l’océan Pacifique et dispose du territoire de l’Archipel de Chagos dans l’océan Indien. Dans l’océan Pacifique, la présence des Etats-Unis inclut : l’Etat d’Hawaï ; des territoires (Guam, Samoa américaines, Île Baker, Île Howland et Récif Kingman) ; des réserves naturelles (Île Jarvis et Atoll Palmyra) ; les Îles Mariannes du Nord ; l’Atoll Johnson ; les Îles Midway ; l’atoll de Wake. Dans l’océan Indien, l’Australie inclut des territoires extérieurs : Îles Ashmore-et-Cartier ; Île Christmas ; Îles Heard-et-McDonald ; Îles Cocos. Dans l’océan Pacifique, elle est associée au territoire autonome de l’Île de Norfolk. Dans l’océan Pacifique, la présence de la Nouvelle-Zélande inclut : les Îles Chatham ; le territoire de Tokelau ; les Etats en libre association des Îles Cook et de Niue. La Papouasie-Nouvelle-Guinée inclut le territoire de Bougainville. Les Philippines incluent la région autonome de Bangsamoro. Le Chili est présent dans l’Île de Pâques et l’Antarctique. L’Indonésie inclut la Nouvelle-Guinée occidentale. Dans l’océan Indien, l’Etat de l’île Maurice inclut la région autonome de Rodrigues et la Tanzanie l’entité administrative autonome de Zanzibar.

Stratégie : l’action de la France dans la zone indopacifique

Asie-Pacifique : présence militaire française accrue

Armée de l’Air et de l’Espace : missions « Heifara » et « Wakea » dans le Pacifique




OTAN : actualisation du concept stratégique et complémentarité navale franco-américaine

Le resserrement du partenariat stratégique entre la Russie et la Chine est perçu par l’OTAN comme déstabilisateur de l’ordre international. Pour les Etats-Unis, l’importance de la présence navale française dans la zone indopacifique contribue de façon significative à la sécurité régionale.

Un document de l’OTAN, rendu public lors du sommet des 29-30 juin 2022 à Madrid, réactualise le concept stratégique de 2010. Le 11 juillet, une source de l’Etat-major de la Marine française a indiqué les perspectives navales avec les Etats-Unis. Le même jour, l’Etat-major des armées (EMA) a exposé la situation du conflit en Ukraine.

Situation en Ukraine. Les gains territoriaux au Nord de la Crimée et à l’Ouest du Donbass augmentent (stries rouges sur la carte). Selon l’EMA, les frappes russes (astérisques jaunes) demeurent intenses sur toute la ligne de front et dans la profondeur, surtout sur le Donbass, et ciblent à nouveau les régions de Sumy et Chernihiv. L’artillerie ukrainienne vise les dépôts logistiques russes. Sur le front Nord, les frappes ont repris au Nord-Ouest et les combats se poursuivent autour de Kharkiv (1). Sur le front Est, les forces russes poursuivent leur offensive, lente et méthodique, vers les localités de Sloviansk et Kramatorsk. Les forces ukrainiennes tiennent leurs lignes de défense (2). Sur le front Sud, la situation s’est stabilisée. Les forces ukrainiennes font face aux dernières lignes de défenses russes dans les régions de Kherson et Zaporizhia, ciblant leurs approvisionnements sur leurs arrières (3). Selon la source navale française, cette guerre permet d’exploiter les erreurs de la Russie et d’évaluer ses capacités tactiques terrestre et navale (Île aux Serpents). Elle souligne le risque de chantage alimentaire en Afrique, en raison du contrôle russe de la mer Noire. Au 11 juillet, la Russie avait tiré plus de 1.000 missiles de croisière, dont une centaine depuis la mer. En conséquence, la Marine française portera ses efforts sur la lutte contre les drones et le brouillage des communications.

Russie et Chine. Pour l’OTAN, la Russie constitue la principale menace pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique. Avec des moyens conventionnels, cyber ou hybrides, elle tente d’exercer un contrôle direct et d’établir des sphères d’influence par la coercition, la subversion, l’agression et l’annexion. Brandissant la menace nucléaire, elle modernise ses forces nucléaires et développe de nouveaux vecteurs à capacités conventionnelle et nucléaire aux effets perturbateurs. Outre la déstabilisation des pays situés à l’Est ou au Sud du territoire de l’Alliance atlantique, elle entrave la liberté de navigation dans l’Atlantique Nord, zone d’acheminement de renforts militaires vers l’Europe. Son intégration militaire avec la Biélorussie et le renforcement de son dispositif militaire en mer Baltique, mer Noire et Méditerranée sont considérés comme portant atteinte à la sécurité et aux intérêts des pays de l’Alliance atlantique. Toutefois, estimant ne pas présenter une menace pour la Russie, l’OTAN ne cherche pas la confrontation et souhaite maintenir des canaux de communications pour gérer et réduire les risques, éviter toute escalade et accroître la transparence. Par ailleurs, selon l’OTAN, la Chine renforce sa présence dans le monde et projette sa puissance par des moyens politiques, économiques et militaires. Elle cible notamment les pays de l’Alliance atlantique par des opérations hybrides ou cyber malveillantes, une rhétorique hostile et des activités de désinformation. Elle tente d’exercer une mainmise sur des secteurs économiques et industriels clés, des infrastructures d’importance critique, des matériaux (terres rares) et des chaînes d’approvisionnements stratégiques. En outre, elle sape l’ordre international fondé sur des règles, notamment dans les domaines spatial, cyber et maritime (entraves à la liberté de navigation).

NRBC, cyber, technologies, climat. Selon l’OTAN, des Etats et des acteurs non-étatiques hostiles recourent à des substances ou des armes chimiques, biologiques radiologiques ou nucléaires, qui menacent la sécurité des pays de l’Alliance atlantique. Ainsi, l’Iran et la Corée du Nord poursuivent leurs programmes d’armement nucléaire et de missiles. La Syrie, la Corée du Nord, la Russie et des acteurs non-étatiques ont déjà employé des armes chimiques. La Chine développe son arsenal nucléaire à un rythme soutenu et met au point des vecteurs de plus en plus sophistiqués. Dans le cyberespace, théâtre d’une contestation permanente, des acteurs malveillants essaient d’affaiblir la défense de l’OTAN en cherchant à endommager des infrastructures d’importance critique, perturber le fonctionnement des services publics, dérober des renseignements, voler des contenus soumis à la propriété intellectuelle ou entraver des activités militaires. En outre, des pays compétiteurs stratégiques et des adversaires potentiels de l’OTAN investissent dans des technologies émergentes ou de rupture, capables d’endommager ses capacités spatiales, et de cibler ses infrastructures civiles ou militaires. Enfin, multiplicateur de crises et de menaces, le changement climatique provoque une montée du niveau des mers et des feux de végétations, désorganisant des sociétés. Souvent appelées à intervenir en cas de catastrophe naturelle, les forces armées doivent désormais agir dans des conditions climatiques extrêmes.

Zone indopacifique. Face à la Chine, les Etats-Unis ont besoin d’Alliés, indique la source navale française. Ils ont pris en compte l’implantation de la France dans la zone indopacifique, car ils partagent avec elle la même prudence vis-à-vis de la Chine, la nécessité de la prévention des combats dans la région et le souhait d’y limiter le développement des activités militaires. Depuis la seconde guerre mondiale, la Marine américaine domine les océans. Mais la Marine chinoise développe ses capacités de mener des opérations de coercition et de se déployer dans le monde, comme l’a démontré l’escale d’une frégate chinoise à Bata (Guinée). Elle a mis au point un porte-avions à catapulte et son avion spécifique et a loué des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) russes de la classe Akula. Autre alliée des Etats-Unis dans la région, l’Australie a annulé le contrat de sous-marins avec la France pour se tourner vers eux. Or le taux de remplacement dans la Marine américaine est passé de 2 unités par an à 1 par an, repoussant à 2040 la perspective pour l’Australie de prendre livraison de SNA opérationnels, à prélever sur la flotte américaine. Pour se renforcer dans le Pacifique, les Etats-Unis ont réduit de 70 % leur présence dans l’océan Indien, compensée par celle de la France, dont la posture stratégique dans la zone indopacifique complique l’analyse géopolitique de la Chine.

Interopérabilité navale. Selon la source navale française, des arrangements techniques entre les Marines américaine et française portent sur la validation, à différents niveaux, des systèmes d’informations concernant le commandement, les sous-marins et l’avion de chasse F-35 C. La 4ème génération de ce dernier en augmentera la furtivité, mais la 5ème entraînera un comportement différent, enjeu de la coordination avec le Rafale Marine

Loïc Salmon

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Chine : la logistique militaire dans la lutte contre le Covid-19

La logistique des forces armées chinoises a démontré son niveau élevé de préparation et d’adaptation à un « conflit sanitaire » court et de haute intensité, qui pourrait se transposer dans un affrontement conventionnel.

Telle est la conclusion d’un rapport réalisé en octobre 2020 par Louis Lamiot, titulaire d’une licence de chinois de l’INALCO Paris et étudiant en Master II Histoire à l’Université Montpellier 3.

Montage dans l’urgence. La diffusion rapide du coronavirus, dont le premier cas est recensé début décembre 2019 à Wuhan, est surtout due à la négligence des autorités locales et centrales. Pékin a tenté de se disculper de toute accusation par une réponse énergique avec le concours des forces armées. La réaction des Forces de soutien logistique interarmes (FSLI) à Wuhan s’est établie en trois phases. A partir du 23 janvier 2020, dès lors que le gouvernement central impose des mesures de confinement au Hubei, 66 médecins et 450 infirmiers sont réquisitionnés dans divers établissements hospitaliers, envoyés à Wuhan et pris en charge par le Centre de logistique militaire. Des matériels médicaux, dont 200.000 masques et 10.00 blouses chirurgicales, sont commandés et livrés en dix jours à partir de trois centres logistiques. Au cours des 1er et 2 février, près de 950 infirmiers et 70 tonnes de matériel médical arrivent dans le centre de l’épidémie. Ces personnels ont surtout servi dans l’hôpital militaire de Huoshenshan, construit en une semaine avec des matériaux préfabriqués et pouvant accueillir 1.000 patients. Un troisième envoi de 2.600 médecins militaires, venus de 10 villes pendant les mois de février et mars, permet d’assurer un roulement et de maîtriser progressivement l’épidémie. Au total, près de 4.500 médecins militaires sont intervenus à Wuhan et des milliers de tonnes de matériels sensibles y sont parvenus en 6 semaines depuis 19 villes, principalement par voie aérienne. Il faut également y ajouter les 200.000 miliciens envoyés par train pour assurer la désinfection et livrer l’aide alimentaire à la population confinée. La mise en place d’un pont aérien a permis le transport rapide de personnels et de matériels médicaux. Elle a constitué le premier usage civil de l’avion de transport militaire Y-20, entièrement développé en Chine, et le premier envoi d’avions de grande capacité d’emport pour réaliser des transports à grande échelle. Plusieurs chiffres sont avancés pour démontrer le professionnalisme et l’efficacité des services de santé. Ainsi, l’hôpital militaire de Huoshenshan, déclare comptabiliser 99 % de rémission pour ses patients sans qu’aucun de ses personnels de santé ne soit infecté. Ce chiffre est à mettre en parallèle avec le taux de 20 % d’infection du personnel médical dans les hôpitaux civils. Par ailleurs, l’annonce de l’absence de cas dans les rangs des forces armées chinoises, alors que l’Armée américaine annonce 4.000 cas positifs dans ses rangs, démontre que la pandémie n’a pas mis un terme à leur compétition. Enfin, le Département de soutien logistique a annoncé que les vaccins seraient testés sur les soldats chinois avant une production de masse.

Logistique modernisée. La logistique militaire chinoise a été améliorée à la suite de la réorganisation du Comité militaire central (CMC) visant à renforcer le contrôle du Parti communiste chinois et à rationaliser l’emploi d’un budget sans cesse croissant. Organe suprême des forces armées et dirigé par le président Xi Jinping, le CMC a réparti les diverses responsabilités, auparavant cloisonnées au sein de chaque armée, en une quinzaine de départements, bureaux et commissions interarmes placés sous son contrôle direct. Le Département de logistique générale est devenu le Département de soutien logistique (DSL), chargé du lien civilo-militaire, de l’économie et de l’industrie de défense, des recherches scientifiques et technologiques, des infrastructures de transport, du soutien médical, énergétique et matériel des troupes ainsi que de l’informatisation de leur équipement. Outre la rationalisation des moyens, une meilleure coordination entre les unités est recherchée, objectif dont les Forces de soutien logistique interarmes (FLSI) constituent le fer de lance. Depuis 2016, le territoire chinois est divisé en cinq théâtres d’opérations disposant chacun d’un centre logistique relié à une base centrale à Wuhan. Chaque centre logistique est géré par des représentants des quatre armées (Terre, Air, Mer et Missiles,) qui contrôlent les dépôts répartis sur l’ensemble du territoire et coordonnent les opérations de soutien au niveau stratégique. A la suite de la réforme militaire de 2016, la logistique militaire a été séparée en deux entités, à savoir le Département de soutien logistique (DSL) au niveau stratégique et les FSLI au niveau opérationnel. Ces dernières ayant installé leur base principale à Wuhan, ville d’origine de l’épidémie du Covid-19, leur réaction se devait d’être exemplaire. Même s’il était déjà trop tard pour empêcher la pandémie, les FSLI ont eu la possibilité de démontrer leur efficacité sur le terrain et les avancées de la modernisation militaire chinoise selon des critères de capacités de projection, de coordination interarmes, de commandement centralisé, d’informatisation et de relations avec le secteur privé. La lutte contre la pandémie du Covid19 est devenue une « guerre de l’image » visant à démontrer la capacité de la Chine à retourner les crises à son avantage. La logistique des forces armées se sert de l’assistance sanitaire pour accroître la présence militaire de la Chine à l’étranger.

Capacité de projection extérieure. L’approfondissement des relations militaires chinoises dans la zone Indo-Pacifique et au Moyen-Orient s’est ainsi accompagné d’un volet sanitaire. En mai 2020, les armées d’une douzaine de pays, dont celles de la Birmanie, du Viêt Nam, du Laos, de l’Irak, de l’Iran, du Liban et du Pakistan, ont bénéficié de l’assistance de la Chine, en remerciement de leurs envois de matériels quand la situation sanitaire à Wuhan était critique. Des commissions médicales ont aussi été envoyées en Éthiopie et au Cambodge. Environ une cinquantaine d’armées en ont également bénéficié. Cette assistance vise d’abord à maintenir un contact amical en vue de futures négociations sur, par exemple, l’installation de bases militaires dans ces régions. La poursuite des exercices et démonstrations de force en mer de Chine pendant la crise sanitaire mondiale a développé la constitution de blocs antagonistes. Cela justifie, selon Pékin, la nécessité de disposer d’une capacité de projection militaire au-delà des frontières nationales. Par suite de l’apaisement des tensions avec l’Union soviétique, puis la Russie, et de la fin de la guerre froide (1991), l’opposition aux États-Unis redevient d’actualité. Tirant les enseignements de la guerre du Golfe (1990-1991), notamment la capacité de projection lointaine des forces armées américaines, la nouvelle doctrine militaire chinoise vise d’abord à maintenir les États-Unis à distance, puis, éventuellement, les affronter lors d’un conflit court mais de haute intensité. La modernisation d’unités d’élite équipées des matériels les plus modernes va permettre de développer des forces armées chinoises capables, à terme, de rivaliser avec celles des États-Unis.

Loïc Salmon (avec Louis Lamiot)

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