Exposition « 7 millions ! Les soldats prisonniers dans la Grande Guerre » à Verdun

La mobilisation massive de soldats pendant la première guerre mondiale a entraîné un nombre considérable de prisonniers. Utilisés par l’adversaire comme main d’œuvre de remplacement, ils deviennent un enjeu de propagande pour démontrer la « barbarie de l’ennemi », que l’action humanitaire de la Croix-Rouge tente de réduire.

La capture. Entre 1914 et 1918, les estimations s’établissent à environ un prisonnier pour dix hommes mobilisés, soit : 2,3 millions de Russes ; 2 millions d’Austro-Hongrois ; 1,2 million d’Allemands ; 530.000 Français et « coloniaux » ; 500.000 Italiens ; 230.000 Turcs ; 225.000 Roumains ; 192.000 Britanniques ; 160.000 Serbes ; 45.000 Belges ; 7.500 Portugais ; 4.000 Australiens ; 2.500 Américains. Les phases de mouvements de la guerre en 1914 puis en 1918, avec encerclement d’unités et prises de forteresse, facilitent les captures massives de soldats ennemis. Ainsi en août 1914, l’armée impériale allemande fait prisonniers 90.000 Russes à la bataille de Tannenberg et 50.000 Français à celle de Maubeuge. L’année suivante, l’armée russe capture 117.000 Austro-Hongrois à la bataille de Przemysl. A partir du 15 juillet 1918, les Allemands, épuisés, se rendent en grand nombre aux forces alliées. Les redditions en masse font l’objet de communiqués de victoire, avec une large diffusion de photos de prisonniers. La longue guerre de tranchées d’octobre 1914 à mars 1918 donne lieu à des coups de mains, souvent nocturnes, pour ramener des prisonniers, acte valorisant récompensé par une citation ou une médaille selon l’importance des informations obtenues sur l’ennemi. Dans l’armée française, la recherche du renseignement opérationnel par interrogatoire relève de la compagnie d’infanterie (photo). Chaque capitaine dispose d’un questionnaire type : infanterie (organisation, armement et tactiques de petites unités) ; artillerie ; mines ; pionniers ; cavalerie ; aviation ; service de santé ; transports ; spécialités ; emploi et effets des gaz ; recrutement. Pour le prisonnier, à la peur du premier contact direct avec l’ennemi, qui le tient à sa merci lors de sa capture, succède le soulagement de pouvoir quitter le champ de bataille, en vie, et donner des nouvelles à sa famille.

L’internement. Le transit d’un lieu de rassemblement provisoire vers le camp définitif s’effectue à pied et devant la population ennemie. Ces camps regroupent des civils (hommes, femmes et enfants) mêlés aux soldats de diverses nationalités, à savoir Allemands, Hongrois, Slaves et Ottomans en Russie et Anglais, soldats de l’armée des Indes, Serbes, Belges, Russes, Tatares, Français et soldats des colonies d’Afrique noire et du Maghreb, qui parfois sympathisent. Les traitements des captifs sont modulés selon ceux administrés par leur propre pays aux prisonniers de leur Etat détenteur. La pénurie de travailleurs partis au front incite les pays belligérants à employer les prisonniers, d’autant plus que la Convention de La Haye (1907) considère la mise au travail comme un droit du soldat ou sous-officier captif, qui peut rompre son désœuvrement. Quoique soient exclus les travaux trop pénibles ou en rapport avec les opérations de guerre, un tiers des prisonniers russes en Autriche-Hongrie sont affectés à des travaux militaires. Une captivité, parfois longue de plusieurs années, éloigne l’espoir d’une libération prochaine et instaure l’incertitude sur l’avenir et l’ennui, ajoutés aux restrictions et à la faim. Camaraderie, foi religieuse et travail convenablement adapté permettent d’échapper à la dépression. Non-assujettis au travail, les officiers souffrent davantage de l’ennui. Pour rythmer le temps, des cycles de conférences, des troupes de théâtre, des chorales ou des orchestres sont organisés. La propagande raille le prisonnier « ennemi », considère le prisonnier « ami » comme un martyr et exalte « l’évadé », figure de la résistance. L’évasion s’avère périlleuse car, outre les obstacles constitués par la clôture et la surveillance du camp, il faut passer inaperçu dans un environnement ennemi et survivre en quasi-autonomie avant d’atteindre un pays neutre ou ami. La mort frappe aussi dans les camps de prisonniers, mais de façon différenciée selon les conditions et la durée de la détention. Le taux de mortalité atteint 17,6 % en Russie, 7 % en Autriche-Hongrie, 5,3 % en France et seulement 4 % en Allemagne, mais essentiellement parmi les Russes, Italiens, Serbes et surtout les Roumains (28,6 % du total). Travaux et transferts épuisants ou près du front, isolement et absence de soutien du pays d’origine fragilisent les captifs. Roumanie et Serbie, occupées, ne peuvent aider leurs prisonniers. La Russie déconsidère et néglige les siens. L’Italie refusant l’organisation de tout secours à partir de 1917, un prisonnier italien sur six meurt en captivité.

Le soutien. Dès août 1914, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) crée l’Agence internationale des prisonniers de guerre (AIPG) pour organiser un service du courrier avec des exigences particulières selon les pays, qui encadrent la correspondance des familles vers leurs prisonniers. Outre le maintien du lien familial, ceux-ci en profitent pour demander des colis de vivres et d’effets personnels. De plus, le CICR, des délégués des Etats neutres et d’organismes internationaux ainsi que certaines personnes bien introduites auprès des gouvernements visitent les camps, souvent très dispersés, contrôlent les conditions de captivité et facilitent les rapatriements sanitaires. En 1918, 2,8 millions de militaires étaient détenus en Allemagne, 2,2 millions en Russie, 1,8 million en Autriche-Hongrie, 350.000 en France, 328.000 en Grande-Bretagne, 60.000 en Bulgarie, 43.000 aux Etats-Unis, 35.000 en Turquie et 4.700 au Japon. L’AIPG centralise les informations sur les prisonniers de guerre, afin de pouvoir rétablir le contact avec leurs proches. Des centaines de volontaires classent plus de six millions de fiches par nationalité, puis par ordre alphabétique des noms propres de façon phonétique, pour tenir compte des variantes orthographiques possibles. Les informations proviennent des bureaux de renseignements des pays de la captivité ou de la disparition ou même directement des familles. Faute d’information, l’AIPG ouvre une enquête.

Le rapatriement. Pour les prisonniers, le calendrier des libérations s’échelonne entre 1918 et…1922 pour ceux des pays de l’Est de l’Europe, en raison des situations et enjeux politiques. Aux séquelles psychologiques de la captivité, s’ajoutent la défiance de leurs compatriotes en Autriche, Italie, Russie et dans les pays d’Europe centrale.

Loïc Salmon

L’exposition « 7 millions ! Les soldats prisonniers dans la Grande Guerre » (26 juint-20 décembre 2019) est organisée par le Mémorial de Verdun-champ de Bataille et le Comité international de la Croix-Rouge. Elle présente les conditions de captivité des soldats des différents pays belligérants par des photos, documents, dessins, objets et projections audiovisuelles. Cette exposition s’accompagne de conférences, concerts, films et d’une journée commémorative (11 novembre) consacrée à l’écrivain Maurice Genevoix, auteur de « Ceux de 14 ». Renseignements : www.memorial-verdun.fr

Grande Guerre : le camp de représailles de Flabas

Exposition « A l’Est, la guerre sans fin 1918-1923 » aux Invalides

Exposition « Images interdites de la Grande Guerre » à Vincennes




Armée de l’Air : création du « Commandement de l’espace »

Depuis le 1er septembre 2019, l’armée de l’Air dispose du « Commandement de l’espace », dont le centre opérationnel est basé à Toulouse avec 220 personnes.

Annoncée le 25 juillet par la ministre des Armées Florence Parly, la création de ce centre vise à fédérer et coordonner tous les moyens du domaine spatial de défense, sous les ordres du chef d’Etat-major des armées et en lien avec le Centre de planification et de conduite des opérations. En outre, un campus spatial sera constitué autour du centre opérationnel avec un « Space Lab », laboratoire innovant du « spatial de défense », en collaboration avec la Direction générale de l’armement et le Centre national d’études spatiales. Enfin, une « Académie de l’espace » sera créée.

Opérations spatiales militaires. Selon le document « Stratégie spatiale de défense », rendu public en juillet 2019 par le ministère des Armées, l’espace exo-atmosphérique devient le cinquième domaine d’action après les milieux terrestre, maritime, aérien et cyber. Les opérations spatiales militaires (OSM) nécessitent des capacités spécifiques : segments sol, moyens de transmission et de contrôle, segments spatiaux, moyens d’exploitation et personnels qualifiés. La « connaissance de la situation spatiale » (sigle anglais SSA) complète et interprète les informations fournies par la surveillance et la trajectographie, obtenues partiellement en France par le système radar Graves, en vue d’élaborer une représentation de la situation dans l’espace. La SSA permet l’évaluation de la menace des systèmes spatiaux adverses sur les satellites français, le territoire national et les forces déployées ainsi que l’identification de l’origine étatique d’un acte illicite. Outre la prévention des risques de collision dans l’espace, elle assure la coordination en cas de brouillage involontaire. Les plateformes spatiales concourent aux fonctions interarmées : renseignement, surveillance et reconnaissance ; alerte avancée et suivi des lancements ; surveillance de l’environnement géographique, physique et humain ; communications ; positionnement, navigation et datation. En toute circonstance, les OSM visent à : conserver les libertés d’accès et d’action dans l’espace ; décourager et mettre en échec tout acteur tiers. Outre des capacités de résilience des moyens spatiaux et de défense dans l’espace, cela implique des mesures préventives sur les plans juridique, économique, médiatique et diplomatique.

Communauté spatiale militaire alliée. Les Etats-Unis jouent un rôle central en matière de SSA, car tous les opérateurs de satellites bénéficient de leur dispositif « Space Track » (suivi des objets spatiaux). L’Allemagne apporte une complémentarité radar au satellite optique français CSO avec le système SARah, pour la reconnaissance, et au radar Graves avec le système Gestra, pour la veille-poursuite. Outre l’échange de données d’observations optique et radar, l’Italie participe aux programmes bilatéraux de satellites de télécommunications, militaire avec Sicral 2 et dual avec Athena-Fidus. Depuis 2016, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale pilote un dialogue avec le Japon pour la surveillance de l’espace. Partenaire stratégique de la France dans la zone indopacifique, l’Australie va développer son secteur spatial. Devenue elle aussi partenaire stratégique, l’Inde entretient une coopération historique dans le domaine des lanceurs spatiaux. L’Union européenne développe les programmes civils Galileo (positionnement et navigation) et Copernicus (observation de la terre), avec des volets « sécurité ».

Loïc Salmon

Espace : nouveau théâtre des opérations militaires

Espace exo-atmosphérique : compétition stratégique`

Inde : industrie spatiale civile, mais de plus en plus militaire




Marines : le sous-marin, arme tactique puis outil stratégique

Arme du combat naval, le sous-marin a pris une dimension stratégique dans la conduite de la guerre, la dissuasion nucléaire et le déni d’accès à un théâtre.

Alexandre Sheldon Duplaix, chercheur au Service historique de la défense et conférencier à l’Ecole de guerre, l’a expliqué au cours d’une visioconférence organisée, le 3 décembre 2020 à Paris, par l’association Les Jeunes IHEDN.

Evolution technologique. Le premier submersible, mu par la force humaine, apparaît en1776 aux Etats-Unis pour transporter, sans succès, une charge explosive jusqu’à la coque d’un vaisseau adverse. Au cours du XIXème siècle, l’invention des piles et batteries électriques va déboucher sur un mode de propulsion mixte pour le « torpilleur submersible ». Celui-ci se déplace en surface au moyen d’un moteur à vapeur, qui lui permet aussi de recharger des batteries alimentant son moteur électrique pour naviguer en plongée. Pendant la première moitié du XXème siècle, le sous-marin augmente sa vitesse, grâce à sa forme hydrodynamique, pour attaquer en plongée des navires de surface avec des torpilles acoustiques. Toutefois, le « schnorchel », tube d’acier alimentant en air son moteur diesel pour recharger les batteries sans faire surface, constitue une vulnérabilité. En 1954, la propulsion nucléaire, développée aux Etats-Unis, lui permet de s’en affranchir, d’augmenter sa vitesse, de renouveler l’oxygène du bord et d’alimenter toutes les installations électriques. Le Nautilus devient le premier sous-marin nucléaire d’attaque (SNA). Dès 1961, l’armement nucléaire puis la technologie MIRV (missiles à plusieurs têtes suivant une trajectoire indépendante) donnent une dimension stratégique aux sous-marins américains lanceurs d’engins (SNLE). Pour combler son retard, l’URSS installe des missiles balistiques sur ses sous-marins à propulsion diesel-électrique puis construit des SNLE. Parallèlement dans les années 1950 et 1960, les Etats-Unis immergent des systèmes d’hydrophones dans les océans Atlantique et Pacifique pour surveiller les déplacements des submersibles soviétiques. Puis, l’augmentation de la portée des missiles n’oblige plus les SNLE américains à s’approcher des côtes soviétiques. L’URSS déploie alors des avions à long rayon d’action pour protéger les zones de patrouille de ses SNLE. Les Etats-Unis envoient des SNA chasser ses SNLE et menacent ses bases au moyen de leur aviation embarquée et de missiles de croisière. Par ailleurs, France, Grande-Bretagne et Chine construisent à leur tour des SNA pour développer une composante stratégique (SNLE). La Grande-Bretagne adopte la technologie et les missiles balistiques Polaris américains. Au début, la France dépend des Etats-Unis pour l’aide technique et l’uranium nécessaire aux réacteurs de ses sous-marins. Puis, elle met au point le concept de dissuasion pour interdire une attaque de l’URSS en visant ses principales métropoles. Dans les années 1980, l’URSS obtient, par espionnage, les codes et les zones de patrouille des sous-marins américains et les plans des hélices des SNA. A la fin de la guerre froide (1991), la Russie commence à déployer des SNA discrets.

Arme égalisatrice. L’arme sous-marine est déployée pendant les guerres de Crimée (1853-1856) et de Sécession (1861-1865). En 1917, l’Empire allemand lance la guerre sous-marine à outrance dans l’Atlantique, avant que les Etats-Unis soient prêts à intervenir. Les Marines alliées instaurent alors le blocus des ports allemands et organisent la protection des convois pour le transport rapide des troupes américaines. Entre les deux guerres mondiales, les Etats-Unis mettent au point le « plan Orange » pour couper les voies de communications du Pacifique au Japon, qui prévoit d’y affaiblir la flotte de croiseurs américains par des attaques de sous-marins avant une bataille navale décisive. L’Allemagne lance la production de sous-marins en 1942, alors que la Grande-Bretagne a déjà cassé le code de la machine Enigma utilisée par la Kriegsmarine. La guerre sous-marine américaine dans le Pacifique coupe les approvisionnements en combustibles du Japon, dont les pilotes ne peuvent obtenir une formation suffisante dès 1943. Dans les années 1980, le sous-marin intervient dans la guerre psychologique. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne l’utilisent dans des opérations spéciales pour inquiéter l’URSS. Ainsi, suite à l’échouement accidentel d’un submersible soviétique sur une côte suédoise en 1981, des incursions sous-marines dans les eaux suédoises sont attribuées à l’URSS et admises par les Etats-Unis en…2000. Pendant la guerre des Malouines (1982), un SNA britannique coule le croiseur argentin Belgrado, contraignant la flotte de surface argentine à rester dans ses ports. Le sous-marin assure des missions de renseignement et d’infiltration-exfiltration de commandos. Il participe aux guerres contre l’Irak en 1991 et 2003, avec le lancement de missiles de croisières américains Tomahawk. Des SNA restent déployés en Adriatique pendant toute la guerre du Kosovo (1998-1999) et au large de la Libye en 2011. Par ailleurs, le sous-marin classique devient une arme du combat littoral. Les Marines américaine, britannique et française, qui n’en possèdent plus, développent des drones sous-marins pour la reconnaissance et la lutte contre les torpilles, afin de conserver leurs SNA au large. Enfin, les petits sous-marins sont déjà utilisés par les narcotrafiquants pour le transport de la drogue et pourraient l’être, bientôt, par les organisations terroristes.

Dissuasion géopolitique. Les Etats-Unis préparent des missiles de croisière, contre les missiles de croisière développés par la Chine, non contrainte par les traités de limitation conclus entre Washington et Moscou. Outre la mise en chantier d’un 2ème porte-avions, celle-ci a construit des pistes d’aviation sur 7 îlots et atolls poldérisés en mer de Chine du Sud, pour protéger ses côtes contre le Japon, la Malaisie et l’Australie. Elle compte sur le projet, en cours, des « Routes de la soie » pour apaiser les tensions politiques avec ses voisins, mais veut empêcher toute indépendance formelle de Taïwan, l’intégrer sans combat et empêcher la VIIème Flotte américaine, stationnée dans le Pacifique Ouest et l’océan Indien, d’intervenir. Elle modernise en conséquence ses sous-marins classiques anaérobies, pouvant rester en plongée quelques jours sans sortir leur schnorchel, et développe des SNA qui patrouillent en mer de Chine du Sud. Ses SNLE sont équipés de missiles balistiques J-L 2 d’une portée de 8.000 km. Les essais réussis du J-L 3 d’une portée de 14.000 km lui permettront de frapper des objectifs sur la côte Ouest des Etats-Unis et, si tirés dans le Pacifique, d’atteindre Washington. Par ailleurs, Israël dispose d’une capacité de frappe nucléaire à partir de sous-marins anaérobies. L’Inde va lancer un SNA et construit un SNLE. L’Iran développe des sous-marins classiques pour sa Marine et des petits submersibles pour l’organisation paramilitaire des Gardiens de la Révolution. La Russie, qui ne dispose que du sixième des la flotte sous-marine de l’ex-URSS, développe des drones sous-marins pour patrouiller en Baltique. L’Australie va construire 12 sous-marins anaérobies bénéficiant de la recherche sur les SNA français.

Loïc Salmon

Sous-marins militaires

Le sous-marin nucléaire d’attaque : aller loin et durer

Marine nationale : SNA Suffren, campagne d’essais à la mer




Asie-Pacifique : présence militaire française accrue

Ses moyens d’action et son influence dans la zone Asie-Pacifique permettent à la France, seule nation européenne riveraine, d’y préserver ses intérêts et de contribuer à la sécurité régionale.

Le contre-amiral Jean-Mathieu Rey, commandant sur zone, l’a expliqué lors d’une visioconférence organisée avec Paris, le 30 mars 2021, par le Centre d’études stratégiques de la Marine.

Zone « crisogène ». Nouveau centre de gravité du monde, l’océan Pacifique est devenu le théâtre d’enjeux économiques et stratégiques entre les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Inde, indique l’amiral Rey. Les pays riverains du Pacifique regroupent 50 % de la population mondiale. Les ports asiatiques déchargent 61 % des marchandises transportées par mer, alors que le trafic transatlantique stagne. Le réchauffement climatique va bientôt permettre de relier l’Europe à l’Asie par le passage maritime du Nord-Est, où l’exploitation des ressources sous-marines se développe. Dans un contexte de tension commerciale avec les Etats-Unis, la Chine valorise ses « nouvelles routes de la soie » vers l’Europe. Toutefois, la crise sanitaire consécutive à la pandémie du Covid-19 rend plus complexe la situation pendant les escales. En outre, les Etats insulaires du Pacifique Sud connaissent de plus en plus de cyclones et de tsunamis. Les contestations territoriales perdurent, notamment au sujet des îles Kouriles entre le Japon et la Russie et des Senkaku entre le Japon, Taïwan et la Chine. A lui seul, l’archipel des Spratleys et sa zone économique exclusive (ZEE), qui recèle du pétrole, du gaz et de vastes ressources halieutiques, sont revendiqués par Brunei, la Malaisie, les Philippines, le Viêt Nam, Taïwan et la Chine. Celle-ci construit, sur cette zone, des aérodromes militaires sur des atolls « poldérisés » et des îlots artificiels reposant sur des récifs d’ordinaire submergés : Johnson South, travaux commencés en 2008 et achevés en 2016 ; Fiery Cross Reef, (2014-2018) ; Subi Reef (2015-2018) ; Mischief Reef (2015-2018) ; Woody Island (2018). Le Viêt Nam a installé une base aérienne à Truong Sa Lon entre 2013 et 2018. Outre la poursuite du programme nucléaire spécifique de la Corée du Nord, la zone Asie-Pacifique connaît une militarisation générale croissante avec l’augmentation du nombre de sous-marins, de l’activité spatiale et des missiles hypervéloces en développement. S’y ajoutent le terrorisme dans les Célèbes et en mer de Chine, le narcotrafic entre l’Amérique du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie et aussi la surpêche par des bateaux-usines restant jusqu’à deux ans sur zone.

Présence française. Selon l’amiral Rey, la zone à surveiller s’étend sur 5 Mkm2, où la liaison maritime sur l’Extrême-Orient dure une semaine à partir de la Nouvelle-Calédonie et deux depuis Tahiti. Environ 500.000 ressortissants vivent en Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie française. S’y ajoutent les expatriés, dont 130.000 en Asie-Pacifique, 234.000 en Amérique du Nord et 147.000 en Amérique du Sud. Pour les protéger ainsi que la ZEE française (pêche), les forces permanentes pré-positionnées en zone Indo-Pacifique totalisent 6.800 militaires, 15 bâtiments de la Marine nationale, 22 avions de transport et 16 hélicoptères. Elle se renforcent périodiquement par : le groupe aéronaval ; la mission « Jeanne d’Arc » de l’Ecole d’application des officiers de marine ; une frégate ; un sous-marin nucléaire d’attaque (3 mois sur zone) ; un avion de transport polyvalent A400M de l’armée de l’Air et de l’Espace avec un avion ravitailleur C135 (2 à 3 semaines tous les 3 mois). Il s’agit d’entretenir une bonne connaissance de la zone pour éviter des réactions hostiles de la part des pays riverains qui, dans le respect du droit international de la mer, « marquent » les navires français. Ceux-ci n’entrent pas dans les espaces contestés (voir plus haut), mais contribuent au maintien de la liberté de navigation ailleurs. Ainsi, en avril 2019, la frégate de surveillance Vendémiaire a été « marquée », au plus bas niveau possible pour réduire les risques, lors du franchissement du détroit international de Taïwan, fréquenté par des centaines de bateaux de pêche de divers pavillons. Une autre suivra. La France, souligne l’amiral Rey, maintient son autonomie stratégique jusqu’au Pacifique par sa présence en océan Indien : au Nord avec 2.100 militaires, 11 avions et 8 navires dans les bases de Djibouti et d’Abou Dhabi ; au Sud avec 1.900 militaires, 5 navires, 2 avions et 2 hélicoptères à La Réunion. Au cas où la Nouvelle-Calédonie quitterait la République française par référendum, celle-ci ne disposerait plus que des bases de La Réunion et de la Polynésie française dans l’hémisphère Sud, compliquant notamment la coopération avec les pays partenaires du Pacifique Sud.

Coopération internationale. Il s’agit d’opérer en bonne intelligence avec tous les protagonistes de la zone Asie-Pacifique, souligne l’amiral Rey. La lutte contre la drogue, coordonnée avec le Chili, le Mexique et l’Equateur, porte sur une partie des trafics de l’Amérique du Sud et de l’Australie vers le continent nord-américain. Exercices conjoints de haut niveau pour renforcer l’interopérabilité, dialogues entre états-majors et commandeurs, soutiens mutuels et opérations coordonnées sont organisés avec les Etats-Unis, l’Australie et le Japon. Pour prévenir un contrôle de l’Asie du Sud-Est par la Chine, qui construit l’équivalent en tonnage de la Marine française tous les quatre ans, les partenariats stratégiques s’intensifient avec Singapour, la Malaisie, le Viêt Nam et les Philippines. Enfin, la lutte contre la prolifération nucléaire de la Corée du Nord concerne les Etats-Unis, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne et…la France !

Loïc Salmon

Le « Commandement Pacifique des Etats-Unis » (USPACOM), installé à Hawaii, inclut des unités des armées de Terre, de l’Air, de la Marine et du Corps des marines. Il dispose notamment de 375.000 militaires et de 5 groupes aéronavals. L’USPACOM a pour mission de veiller au respect des traités de défense conclus entre les Etats-Unis et les Philippines (1952), l’Australie et la Nouvelle-Zélande (1952), la Coré du Sud (1954) et le Japon (1960). La VIIème Flotte, basée au Japon, opère dans le Pacifique Ouest et l’océan Indien. Outre de nombreux destroyers et frégates, la Marine chinoise compte 2 porte-avions et bientôt un 3ème ainsi qu’une capacité amphibie et une infanterie de marine (40.000 hommes en 2017). En outre, elle dispose de facilités navales en Birmanie, au Bangladesh et au Pakistan ainsi qu’une base permanente à Djibouti. La Marine japonaise dispose de plus d’une centaine de navires de combat, dont 2 porte-hélicoptères et 18 sous-marins, ainsi qu’une base navale permanente à Djibouti pour 2 frégates et 2 avions de patrouille maritime. La Marine australienne compte 2 porte-aéronefs, 6 sous-marins et une dizaine de frégates. La Marine néo-zélandaise comprend notamment 1 bâtiment amphibie, 2 frégates et 6 patrouilleurs. Outre des frégates, corvettes et patrouilleurs, la Marine malaisienne compte 2 navires amphibies et 2 sous-marins Scorpène (origine française). Outre des frégates et des patrouilleurs, la Marine chilienne comprend 4 sous-marins (2 Scorpène), 1 transport de chalands de débarquement et 5.200 soldats d’infanterie de marine.

Océan Indien : les forces françaises aux EAU, surveillance et coopération opérationnelle

Chine : risque de conflit armé dans le détroit de Taïwan

Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité




Marine : technologie de pointe pour combattre partout

La préparation au combat de haute intensité, en interarmées et de façon synchronisée dans l’espace et le cyber, nécessite une technologie avancée et du personnel à motiver et fidéliser.

L’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine (CEMM), l’a expliqué au cours d’une rencontre organisée, le 12 juillet 2021 à Paris, par l’Association des journalistes de défense.

L’action en interne Outre une présence mondiale, la Marine assure des missions permanentes : patrouille d’au moins un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) pour la dissuasion ; patrouille d’un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) ; équipes spécialisées pour la connaissance et l’anticipation ; défense côtière et interdiction maritime par des équipes de fusiliers marins ; soutien aux opérations par les commandos Marine. Selon l’amiral Vandier, le plan « Mercator », lancé en 2018, doit d’abord développer la capacité offensive, à savoir retrouver l’initiative et l’audace. Ensuite, il porte sur l’investissement pour les « cas d’usage » à 2-3 ans, comme par exemple : la lutte anti-drones en combinant satellite et laser qui aveugle ; le traitement des méga données pour évaluer l’environnement électromagnétique ; la frégate de défense et d’intervention et son « jumeau numérique » pour développer la modélisation. Grâce à la gestion de carrière et la rémunération, « Mercator » vise à fidéliser le personnel compétent, notamment féminin qui subit une forte attrition après 10-12 ans de service.

La présence extérieure. En juin 2021, la Marine déploie 49 navires, 12 aéronefs et 3.083 marins dans l’océan Atlantique, en Méditerranée, en Manche et mer du Nord, en océan Indien et dans le Pacifique. Le CEMM estime nécessaire de développer également une stratégie défensive. Ainsi, l’appareil militaire contribue aux technologies maritime, spatiale et cyber, qui soutiennent la croissance économique. L’Occident, pénalisé par le coût du travail, doit reprendre la main par la technologie duale (civile et militaire). La Marine française a besoin de patrouilleurs pour assurer la sécurité du SNLE (au départ et à l’arrivée) et de frégates multi-missions pour gérer les perturbations et les tentatives de chantage de la Russie. Les frégates naviguent aussi en Méditerranée centrale, à cause de la situation dans l’Ouest libyen et des migrations, et orientale, en raison du conflit en Syrie, du canal de Suez et de l’activisme turc à proximité des gisements de gaz. La mer Rouge constitue une zone d’action militaire entre la Russie, les Etats-Unis et la Chine, déjà présente dans le détroit de Bab el-Mandeb. Les porte-avions américains ne vont plus dans le golfe Persique, où la mission française « Agénor » recueille du renseignement électromagnétique (cyber et radar tridimensionnel). Dans les océans Indien et Pacifique, la Chine manifeste un comportement agressif avec ses bateaux de pêche, navires garde-côtes et bâtiments militaires. La situation se complique dans le détroit de Taïwan, île que Pékin considère comme une province à conquérir sans guerre.

La troisième voie. Selon l’amiral Vandier, la Chine pratique déjà une forme d’assujettissement économique et financier en Asie du Sud-Est. La France prône un multilatéralisme efficace partout où elle l’estime nécessaire, indépendamment de la tension Washington-Pékin. Ainsi pour acquérir une dimension océanique face à la Chine, l’Australie a décidé de se doter de sous-marins français malgré les pressions politiques des Etats-Unis, car « acheter américain » aurait été considéré comme un acte offensif par Pékin.

Loïc Salmon

Marine nationale : s’entraîner pour anticiper le combat futur

Marine nationale : les enjeux de la Nouvelle-Calédonie

Marine nationale : opération « Agénor » et missions « Foch » et « Jeanne d’Arc »