Exposition « Napoléon stratège » aux Invalides

La stratégie prend en compte les paramètres militaire, économique, diplomatique et médiatique d’une guerre, en vue d’atteindre un objectif politique. Napoléon Bonaparte (1769-1821) l’a incarnée, par son génie et sa grande capacité de travail.

Au début de l’exposition qui lui est consacré, quelques bustes en marbre rappellent ses modèles : le Macédonien Alexandre le Grand (356-323 avant JC), qui a conquis l’Empire perse et atteint l’Indus ; le Carthaginois Hannibal (247-183 avant JC), qui fit trembler Rome après avoir franchi les Pyrénées et les Alpes ; le Romain Jules César (101-44 avant JC) qui, après avoir conquis la Gaule, prépara la transformation de la République en Empire ; le Prussien Frédéric II (1712-1786), qui a su combiner mouvements, manœuvres et résolution contre une armée plus forte que la sienne. Leurs exploits se reflèteront dans le destin de Napoléon.

Trois fois chef. Napoléon cumule les fonctions de chef de l’Etat, commandant en chef des armées et général en chef sur les champs de bataille. Premier consul (1799-1804) puis empereur des Français (1804-1815), il dirige une France qui comptera jusqu’à 130 départements, promulgue les lois et définit la politique extérieure. Il commande ce qui deviendra la « Grande Armée », l’organise, l’équipe et l’entraîne comme il l’entend. Il dispose d’une totale liberté d’action pour conduire la guerre et négocier la paix. Il fixe aux généraux et diplomates des objectifs qui servent au mieux ses buts politiques. Contrairement à Louis XIV, il dirige lui-même l’armée en campagne. Toutes ses victoires confortent ces trois fonctions. Premier consul à la suite d’un coup d’Etat en 1799, Bonaparte veut apporter la paix en mettant un terme aux troubles de la Révolution française. Par les traités de Campo-Formio (1797), de Lunéville (1801) et d’Amiens (1802), il conclut ses campagnes militaires d’Italie (1796-1797) et d’Egypte (1798-1801). Victoires et paix légitiment son rôle de chef de l’Etat, héritier de la Rome antique. Empereur, sacré pour reprendre la tradition monarchique française depuis Louis 1er le Débonnaire (816), il souhaite étendre l’influence de la France et son pouvoir en Europe occidentale par des accords ou des guerres victorieuses. Il n’a pas eu le temps de théoriser sa contribution à l’histoire de la stratégie. D’autres s’en chargeront, surtout le Prussien Clausewitz (1780-1831) et le Suisse Jomini (1779-1869), dont les travaux seront étudiés par des hommes politiques et des généraux, dont certains entreront ensuite en politique. Clausewitz inspirera, directement ou indirectement, les généraux allemands Moltke (guerre franco-prussienne de 1870-1871), Ludendorff (première guerre mondiale, 1914-1918) et Rommel (seconde guerre mondiale,1939-1945), les dirigeants politiques Lénine (fondateur de l’Union soviétique, 1922-1991) et Mao Tsé-Toung (fondateur de la République populaire de Chine en 1949), le général vietnamien Giap (guerre d’Indochine, 1946-1954) et même les généraux français Foch (première guerre mondiale) et De Gaulle (seconde guerre mondiale). De son côté, Jomini va influencer, directement ou indirectement, les généraux américains Lee, Grant et Sherman (guerre de Sécession, 1860-1865), Pershing (première guerre mondiale), Patton, Mac Arthur, Marshall et Eisenhower (seconde guerre mondiale) et enfin Schwarzkopf (guerre du Golfe, 1990-1991). Le chef d’état-major des armées des Etats-Unis (1989-1993), puis secrétaire d’Etat (2001-2005), Powell s’inspirera de Clausewitz et de Jomini.

Formation et apprentissage. Le jeune « Napoléone de Buonaparte », né en Corse un an après sa cession à la France par la République de Gênes, est admis à l’Ecole militaire de Brienne (1779-1784) puis à celle de Paris (1785), où il étudie l’histoire, les mathématiques, la géographie et l’art de la guerre. Il en sort à 16 ans avec le brevet de sous-lieutenant d’artillerie, signé de Louis XVI. Intéressé par les sciences naturelles et la géographie durant sa scolarité, il emmènera des savants lors de l’expédition d’Egypte (1798). Lecteur insatiable, il étudie, après les cours, les campagnes des grands capitaines de l’Histoire et celles des chefs de guerre et théoriciens militaires de son temps. Ainsi, le « Traité général de tactique » de Guibert, vétéran de la guerre de Sept Ans (1756-1763), l’influence durablement sur la manœuvre, l’utilisation du feu, l’organisation et le déplacement des armées. Il lit aussi des ouvrages politiques dont « Le Prince de Machiavel (1469-1527), analyse pragmatique du pouvoir et de ses mécanismes. L’armée française s’est distinguée au cours de la guerre d’indépendance américaine (1778-1781) et dispose du nouveau système d’artillerie « Gribeauval » et du fusil à silex modèle 1777. Considérée comme l’une des meilleures d’Europe, elle bénéficie de la levée en masse puis de la conscription sous la Révolution pour aligner des effectifs inégalés. Après avoir francisé son nom, Bonaparte, promu capitaine, commande l’artillerie lors du siège de Toulon (1793), ville royaliste soutenue par la flotte britannique, et contribue à sa reconquête. A 27 ans, nommé à la tête de l’armée française d’Italie (45.000 hommes), il remporte de brillantes victoires, marche sur Vienne et impose la paix à l’Autriche…sans en référer au gouvernement français. En 1798, il commande l’expédition militaire et scientifique chargée de conquérir l’Egypte, qu’il va gouverner pendant un an. Il a alors acquis suffisamment d’expériences militaire, diplomatique et politique pour s’estimer capable de prendre le pouvoir en France…à 30 ans !

Planification et mobilité. Pour Napoléon, une campagne se prépare par la connaissance de l’ennemi (livres et rapports d’espions) et de son armée en détail (intendance, habillement, munitions, service de santé). Celle-ci, peu chargée, doit être capable de se déplacer rapidement pour créer la surprise. Il s’agit de vaincre l’ennemi militairement par la bataille et la prise de sa capitale, puis politiquement en lui imposant ses conditions de paix. Il remporte des victoires décisives à Arcole (1796), aux Pyramides (1798), à Marengo (1800), à Austerlitz (1805), Iéna (1806), Eylau (1807), Friedland (1807) et Wagram (1809). Mais la victoire de la Moscowa et la retraite de Russie (1812), trop coûteuses en hommes, annoncent les défaites de Leipzig (1813) et Waterloo (1815). En outre, l’Empereur a toujours laissé trop peu d’initiative à ses généraux.

Loïc Salmon

Napoléon stratège

Exposition « Napoléon et l’Europe » aux Invalides

Exposition « Napoléon à Sainte-Hélène » aux Invalides

L’exposition « Napoléon stratège » (6 avril-22 juillet 2018), organisée par le musée de l’Armée, se tient aux Invalides à Paris. Outre des gravures, tableaux, documents, armes et objets, elle présente des témoignages sonores reconstitués à partir de lettres et mémoires de soldats et d’officiers. Des dispositifs multimédias permettent de comprendre les raisonnements stratégique et tactique de l’Empereur lors de ses victoires et ceux de ses adversaires lors de ses défaites. L’un facilite la compréhension de l’efficacité de la chaîne de commandement, en fonction des circonstances de la bataille. Un autre explique la justesse du choix, par Napoléon, des chefs militaires les plus aptes à remplir une mission correspondant à leurs qualités. Renseignements : www.musee-armee.fr




Interarmées : anticipation et numérisation, gages de la supériorité opérationnelle

Les nouvelles technologies de l’information profitent également aux adversaires asymétriques, qui évoluent plus vite que les armées régulières. Celles-ci doivent s’adapter pour éviter le « décrochage opérationnel ».

Ce thème a fait l’objet d’un colloque organisé, le 3 mai 2018 à Paris, par le Commandement pour les opérations interarmées (CPOIA) à l’occasion de son 25ème anniversaire. Y sont notamment intervenus : le général d’armée François Lecointre, chef d’état-major des armées ; le général de corps d’armée Grégoire de Saint-Quentin, sous-chef « opérations » de l’Etat-major des armées ; Olivier Zajec, chef de cours à l’Ecole de guerre et conférencier à l’Institut des hautes études de défense nationale et au Centre des hautes études militaires.

« L’art opératif ». Le niveau opératif d’une opération extérieure se situe entre les niveaux stratégique (autorités politiques) et tactique (manœuvres et combats). Conception française de conduire la guerre, l’art opératif s’exerce sur de nouveaux champs de conflictualité, rappelle le général Lecointre. Aux affrontements traditionnels sur mer, sur terre et dans les airs, s’ajoutent ceux dans l’espace et le cyber et peut-être d’autres qui restent à imaginer. En outre, la portée de systèmes d’armes s’accroît et le nombre de capteurs se multiplie. Par ailleurs, la capacité à manœuvrer sur un champ très large, comme celui de l’opération « Barkhane » en cours au Sahel, implique une approche globale, difficile à mettre en œuvre. De plus, le temps connaît une mutation, où une action continue complète une série d’actions séquentielles. A terme, il faudra résoudre l’équation entre les contraintes des moyens et les objectifs à atteindre dans une crise évolutive. Cela impliquera d’abord une souplesse de l’organisation des forces, qui prendra en compte les évolutions technologiques. Innovation et imagination entreront dans le choix du mode d’action pour obtenir une supériorité opérationnelle, grâce au numérique et à l’intelligence artificielle. En matière d’informations, il faudra empêcher un cloisonnement vertical entre les niveaux stratégique, opératif et tactique, tout en évitant, pour le niveau supérieur, de se substituer au niveau subalterne où chacun doit pouvoir se concentrer sur la tâche de son niveau. Enfin, il ne faudra pas céder au « tout technologique » souligne le chef d’état-major des armées.

Conduite et contrôle. La numérisation permet l’enregistrement des données et la vérification du résultat d’une opération pour conduire la manœuvre à tout instant, indique Olivier Zajec. Dès 1973, en pleine guerre du Viêt Nam, le général américain William Westmoreland anticipe le champ de bataille du futur : forces ennemies localisées, traquées et ciblées presqu’instantanément par l’utilisation de liaisons de transmission ; évaluation de l’espionnage assisté par ordinateur ; contrôle automatisé de tirs. Le retour d’expérience français de la guerre du Golfe (1990-1991) préconise : une entité de planification des opérations ; un cycle d’entraînement interarmées pour préparer les opérations majeures ; l’emploi de moyens de communication mobiles, fiables et compatibles avec les systèmes alliés pour permettre l’exercice du commandement ; fluidification de la manœuvre entre les armées de Terre et de l’Air. En 25 ans, l’organisme devenu aujourd’hui le CPOIA a porté ses efforts selon quatre axes : adaptation des structures de commandement ; recherche de solutions techniques et humaines pour trier les énormes flux de données qui menace de submerger les postes de commandement ; adaptation des boucles décisionnelles au temps numérique pour définir le tempo idéal d’une action de la force ; détermination de la place respective des niveaux stratégique, opératif et tactique dans la conduite des opérations. L’enjeu de demain porte sur l’équilibre entre les technologies de communication en temps réel et la marge d’initiative à laisser au plus bas niveau. Depuis septembre 2017, le groupe de travail sur le commandement interarmées des engagements prend en compte la compression de l’espace et du temps par la révolution numérique et la concentration de l’intelligence pour anticiper, planifier conduire et évaluer une opération. Le filtrage des données et le partage de leur exploitation à tous les niveaux permettent de décider l’action à mener et d’améliorer l’art opératif.

Défis technologiques et humains. La révolution numérique vise à améliorer la compréhension de situations complexes et volatiles et à décider dans des délais de plus en plus courts. Enjeu majeur, le filtrage des données en surabondance consiste à détecter les « pépites », accélérer le traitement des données et en extraire des tendances et des « signaux faibles ». Il s’agit d’obtenir la bonne information pour prendre la bonne décision, explique le général de Saint-Quentin. Il convient de se prémunir contrer la désinformation pour contrer une manœuvre très sophistiquée et, par l’anticipation, de discerner les intentions de l’adversaire. Le numérique donne de l’agilité à une « planification sur mesure », car chaque cas appelle une réponse différente. A l’instar du Commandement des opérations spéciales, le contrôle opérationnel doit être dévolu, pour une courte période, à la composante de la force la mieux placée pour fusionner toutes les compétences au poste de commandement. Sont concernées : l’armée de l’Air pour le transport et la frappe ; la Marine nationale pour la permanence sur zone ; une composante alliée, britannique ou américaine. Outre la gestion des équipes opérationnelles et non opérationnelles, la conduite et le contrôle des opérations impliquent de favoriser les initiatives par délégation de commandement. Sur le plan technique, il s’agit d’imposer des normes mais dans un environnement collaboratif et de prendre ce qui existe déjà dans le secteur civil. Toutes les hypothèses doivent prendre en compte les cyberattaques contre les centres de commandement, garants de la « survivabilité » militaire. La simulation de la conduite des opérations permet de valider une hypothèse et de l’appréhender en temps réel. Faute de mise à jour sur le plan numérique, l’interopérabilité disparaît, avertit le général de Saint-Quentin.

Loïc Salmon

« Serval » : manœuvre aéroterrestre en profondeur et durcissement de l’engagement

Centrafrique : l’opération « Sangaris » au niveau « opératif »

Enjeux de guerre : réfléchir à celle d’aujourd’hui et imaginer celle de demain

Le commandement de niveau opératif, projeté sur un théâtre, recouvre les dimensions militaire, civilo-militaire et politico-militaire d’opérations planifiées et conduites par une ou plusieurs forces dans un cadre national ou multinational. Ce niveau d’intégration permet d’atteindre les objectifs militaires fixés par le commandement stratégique et de contribuer à la réalisation de l’état final recherché. Le « Commandement pour les opérations interarmées » regroupe 150 militaires issus des armées de Terre et de l’Air, de la Marine nationale, du Service du commissariat des armées ainsi que des officiers des nations alliées et du personnel civil. Il a armé des postes de commandement de niveau opératif au sein de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (2002), en République démocratique du Congo (2003 et 2006), au Tchad (2008) sous l’égide de l’Union européenne, en Haïti (2010), en Libye (2011), en Jordanie (2012) et au Sahel (depuis 2013).




Marine nationale : en opérations sur toutes les mers

En posture permanente de sûreté, la Marine agit, dès le temps de paix, sur l’espace marin de liberté stratégique et de manœuvre. Responsable de l’action de l’État en mer, elle participe aussi aux opérations sur les théâtres extérieurs.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 15 avril 2015 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine. Y sont notamment intervenus : la contre-amirale Anne Cullerre, sous-chef d’état-major « Opérations aéronavales » ; le capitaine de vaisseau (R) Lars Wedin, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique ; le capitaine de vaisseau Jacques Rivière, chef du bureau « Opérations aéronavales ».

Enjeux et menaces. Outre ses ressources halieutiques et son importance pour le transport de marchandises dans le monde (90 % des échanges), la mer devient un enjeu énergétique, explique le capitaine de vaisseau Wedin. Le parc d’environ 170.000 plates-formes de production d’hydrocarbures (pétrole et gaz) s’accroît de 400 unités par an. S’y ajoutent les éoliennes et hydroliennes (sous-marines), génératrices d’électricité. Or, ces infrastructures affectent l’emploi des radars et les trajectoires de manœuvre des navires marchands pour les éviter. Ces entraves à la circulation maritime se répercutent sur la liberté de navigation. Certains pays riverains, notamment en mer de Chine, créent des zones d’interdiction pour les protéger, notamment des organisations terroristes susceptibles d’utiliser vedettes rapides ou sous-marins de poche pour les endommager, avec des conséquences écologiques et médiatiques. Le commandant Wedin en déduit une stratégie maritime pour le XXIème siècle avec ses composantes économique, financière, industrielle, de défense (OTAN et accords bilatéraux), diplomatique et morale, à savoir la prise en compte de l’importance de la mer par l’opinion publique. L’amirale Cullère rappelle que tous les pays commerçants disposent de Marines militaires pour défendre leurs intérêts maritimes. Ainsi, la Chine et les pays d’Asie du Sud-Est développent leur Marine pour s’assurer la maîtrise des mers environnantes. La guerre froide (1947-1991) semble de retour. Si un bâtiment étranger se rapproche trop près de la Crimée, des unités russes vont immédiatement à sa rencontre. La Russie reconstruit en effet sa Marine, qui montre son pavillon en océan Indien et en Méditerranée. Parallèlement, des avions russes se manifestent le long des côtes atlantiques, indique le capitaine de vaisseau Rivière.

Missions permanentes. Pour garantir la crédibilité de la dissuasion nucléaire, le programme « Cœlacanthe » poursuit la modernisation de la Force océanique stratégique par la mise au format du missile balistique M51 du 3ème SNLE. Pour participer à la protection de ses 80.000 ressortissants français dans le golfe de Guinée, l’opération « Corymbe » combine surveillance maritime et coopération avec les pays riverains pour la prise en charge de leur propre sécurité dans leurs eaux territoriales, explique l’amirale Cullerre. Sur le territoire national (métropole et outre-mer), l’action de l’État en mer (55 missions) inclut la protection des approches maritimes (sémaphores et renseignement). En 2014, 350 personnes ont été secourues, 500 kg de cocaïne saisis et 2.000 engins explosifs neutralisés. En outre, 3.280 marins et gendarmes maritimes ont assuré la sécurité d’enceintes militaires et des installations de la dissuasion. Début 2015, la Marine n’a donc pu fournir de personnels au-delà d’un mois à l’opération « Sentinelle » en Ile-de-France (10.000 personnels mobilisés). En conséquence, l’État-major des armées réfléchit aux nouveaux formats de la défense maritime, opérationnelle et aérienne du territoire. La France participe déjà à la lutte contre l’immigration clandestine dans le cadre de la mission européenne Frontex (renseignement et récupération de naufragés). La France dispose du plus grand réseau d’attachés de défense du monde. Les Commandements supérieurs en Nouvelle-Calédonie (armée de Terre) et en Polynésie française (Marine) remplissent, au sein des pays de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique, des missions de rayonnement, mais avec de plus en plus de difficultés car les moyens financiers diminuent. Les escales de deux frégates de surveillance y contribuent, notamment aux Mexique, Chili, Pérou et en mer de Chine. Si le ministère des Affaires étrangères décide, par exemple, l’envoi de secours aux victimes d’un cyclone aux Philippines, la Marine peut déjà en réaliser la planification sur place. En raison de la présence d’entreprises françaises (CMA et Total) dans la région, des bâtiments militaires français  s’y rendent, mais sans prendre parti dans les litiges territoriaux entre les pays riverains et la Chine, qui se pose en rivale des États-Unis. Par ailleurs, la Marine américaine doit assurer, en permanence, l’ouverture des détroits de Bab-el-Mandeb et d’Ormuz, où la Grande-Bretagne a envoyé des unités et la France un chasseur de mines en avril 2015.

Opérations ponctuelles. Avec ses bâtiments, aéronefs (avion radar Atlantique 2 ou Falcon 50 notamment) et commandos (forces spéciales), la Marine participe aux opérations extérieures, dans un cadre interarmées et en coalition : « Chammal » contre Daech en Irak, « Atalante » contre la piraterie en océan Indien et « Serval » puis « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne. Elle dispose de : 3 bases navales à Cherbourg, Brest et Toulon ; 4 stations navales au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon ; 2 bases interarmées à Djibouti et aux Émirats arabes unis. L’opération « Corymbe » dans le golfe de Guinée est dirigée par l’amiral préfet maritime de Brest, également commandant en chef pour l’Atlantique, en coordination avec ses homologues au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon. Auparavant uniquement effectuées en liaison directe avec la présidence de la République, les projections de forces sur des théâtres extérieurs intègrent la communication opérationnelle, en raison de l’accélération du temps « politico-médiatique », souligne l’amirale Cullerre. En échange du soutien des États-Unis à la France en matière de renseignement et de ravitaillement en vol pendant les opérations « Harmattan » (Libye, 2011) et « Serval » (Mali, 2013), le groupe aéronaval français a assuré la relève d’un porte-avions américain au cours de l’opération « Chammal » (Irak, avril 2015).

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

L’océan Indien : espace sous tension

Golfe de Guinée : zone de crises pour longtemps

Avec 11 Mkm2 de zones économiques exclusives réparties sur 7.000 km de côtes sur tous les océans, la France dispose du 2ème domaine maritime mondial, après les États-Unis. Sa Marine compte : 10 sous-marins, dont 6 d’attaque (SNA) et 4 lanceurs d’engins (SNLE) ; 42 bâtiments de combat et de soutien ; près de 200 avions de chasse, de patrouille et de surveillance ainsi que des hélicoptères ; 15 unités de fusiliers et commandos Marine ; 34.000 hommes et femmes, dont 3.000 civils. Le taux de féminisation atteint 13,8 %. Dès 2017, l’équipage du premier SNA Barracuda intégrera 3 officiers féminins. Toutes les spécialités sont ouvertes aux femmes, y compris celles de pilote de chasse embarquée et de commando Marine, si elles réussissent les mêmes tests que les hommes.




Exposition « Churchill-De Gaulle » aux Invalides

Cette exposition retrace les destins, hors du commun, de ceux qui ont incarné la résistance pendant le second conflit mondial et dirigé leur pays au début de la guerre froide : Winston Churchill (1874-1965) en Grande-Bretagne et Charles De Gaulle (1890-1970) en France.

A cette occasion, le musée des blindés de Saumur a prêté deux chars de 1940, placés de chaque côté de l’entrée du porche de la façade des Invalides. Le char lourd français BI bis a équipé les bataillons commandés au feu par le colonel De Gaulle. Le nouveau char lourd britannique Matilda II affrontera plus tard l’Afrikakorps du maréchal Rommel. Deux halls retracent le contexte historique. Extraits d’actualités cinématographiques et documents sonores font revivre le général français « à titre temporaire » et le « bouledogue » britannique. L’exposition commence avec l’enfance de ces chefs et se termine par leurs obsèques présentées simultanément, solennelles pour Churchill (30 janvier 1965) et très simples pour De Gaulle (12 novembre 1970). Leur existence aura été partagée entre le métier des armes, la politique et l’écriture.

Les soldats. Le lieutenant Winston Churchill choisit la cavalerie à sa sortie de l’École royale militaire de Sandhurst. Il reçoit le baptême du feu en 1895  à Cuba…au service des forces loyalistes espagnoles pour mater une révolte ! Deux ans plus tard, il sert dans le Nord de l’Inde et obtient son premier commandement au feu contre des tribus afghanes. Pendant la guerre des Madhistes au Soudan, il prend part à la bataille d’Omdurman (2 septembre 1898), l’une des dernières charges de cavalerie de l’histoire militaire britannique. Il participe ensuite à la très meurtrière guerre des Boers (1899-1900) contre l’État libre d’Orange et la République du Transvaal. Capturé, il parvient à s’évader et à rejoindre l’unité de cavalerie « South African Light Horse ». Sa tête est même mise à prix par les Boers pour 25 £, somme importante pour l’époque. Premier lord de l’Amirauté en 1914, Churchill doit démissionner l’année suivante après la bataille désastreuse des Dardanelles. Il revêt alors l’uniforme de lieutenant-colonel pour se battre dans les tranchées des Flandres. Il y rencontre son cousin, le 9ème duc de Malborough. Tous deux échappent à la mort au cours d’un bombardement et gravent leurs initiales sur un éclat d’obus. A l’été 1940, Churchill, Premier ministre, met sur pied un service secret d’action subversive, le « Special Operations Executive » (SOE), composé de deux sections : la « F » avec une organisation et un commandement uniquement britanniques ; la « RF » pour coopérer avec son homologue gaulliste, le « Bureau central de renseignements et d’actions » (BCRA). Entré à Saint-Cyr en 1908, le lieutenant Charles De Gaulle est affecté en 1912 au 33ème Régiment d’infanterie, commandé par le colonel Philippe Pétain. Il reçoit le baptême du feu à la bataille de Dinant, en 1914. Blessé pour la  troisième fois à Verdun en 1916, il est capturé par les Allemands. Malgré cinq tentatives d’évasion, il reste prisonnier jusqu’à la fin de la guerre. Dans les années 1920 et 1930, il sert en Pologne, dans l’armée française du Rhin et au Levant. Devenu colonel, il ne parvient pas à faire adopter son projet de corps blindé mécanisé par sa hiérarchie. Après l’appel du 18 juin 1940, le tribunal de Clermont-Ferrand le condamne par contumace « à la peine de mort, à la dégradation militaire et à la confiscation de ses biens » (2 août).

Les hommes politiques. Élu député du parti Conservateur en 1900, Churchill occupe divers postes ministériels importants, avant et après la Grande Guerre, jusqu’en 1929. A nouveau Premier lord de l’Amirauté en 1939, il devient Premier ministre en 1940. En juin, il rencontre De Gaulle, alors sous-secrétaire d’État à la Guerre et à la Défense nationale dans le gouvernement Raynaud et envoyé à Londres pour négocier l’aide britannique, afin de pouvoir continuer la guerre. A l’annonce radiodiffusée de l’armistice français, Churchill l’autorise à utiliser le micro de la BBC pour lancer un appel à la résistance. Les deux hommes concluent un accord sur la constitution de la « France Libre », mouvement militaire et entité politique représentant la France, avec son siège à Londres. La plupart des volontaires français combattent aux côtés des armées britanniques. A Brazzaville, De Gaulle institue un « Conseil de défense de l’Empire », afin d’établir des relations d’État à État avec le gouvernement britannique. L’image de chacun se dessine. Churchill se caractérisera par le chapeau, le gros cigare, le nœud papillon et le pistolet mitrailleur. Quant à De Gaulle, sa voix entendue régulièrement à la BBC sera vite associée à un général en uniforme. Malgré le bombardement de la flotte française de Mers-El-Kébir par la Marine britannique (3 juillet 1940) et l’échec de la tentative de ralliement de Dakar par une flotte anglo-française libre (23-25 septembre), Churchill et De Gaulle conservent leur confiance réciproque. Par la suite, leurs relations seront tendues et même au bord de la rupture. Finalement, grâce à l’unification de la Résistance et au soutien populaire, De Gaulle s’impose et écarte le risque d’une guerre civile en France. En 1944, celle-ci se voit attribuer une zone d’occupation en Allemagne. Le 26 juillet 1945, Churchill perd les élections. Six mois plus tard, De Gaulle démissionne du gouvernement provisoire de la République française. Le premier revient au pouvoir de 1951 à 1955 et le second de 1958 à 1969.

Les écrivains. Contre tous les usages, Churchill mène une double carrière d’officier et de correspondant de guerre pendant cinq ans (1895-1900). Ses articles assurent sa renommée en Grande-Bretagne et lui inspirent la rédaction de plusieurs livres, dont il tire l’essentiel de ses revenus. Après 1945, il écrit le premier tome de « La seconde guerre mondiale », qui en comptera six. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1953. De Gaulle publie son premier livre en 1938 : « La France et son armée », rédigé dix ans plus tôt à la demande du maréchal Pétain. Il se remet à l’ouvrage après la guerre et publie ses « Mémoires de guerre » entre 1954 et 1959. Churchill travaille avec une équipe de chercheurs et dicte, la nuit, à sa secrétaire qui tape à la machine. De son côté, De Gaulle écrit à la main et rature beaucoup. Deux ou trois personnes effectuent des recherches et vérifient l’exactitude des événements. Sa fille Élisabeth tape l’épreuve finale, qu’il aura réécrite… plus lisiblement !

Loïc Salmon

Churchill De Gaulle

Parachutée au clair de lune

L’exposition « Churchill-De Gaulle » (10 avril-26 juillet 2015), organisée par le musée de l’Armée avec le concours de la Fondation Charles De Gaulle, se tient aux Invalides à Paris. Elle rassemble photos, tableaux, documents, affiches, lettres, uniformes, appareils et objets provenant notamment du Churchill Archives Centre de Cambridge et du musée de l’Ordre de la Libération. Parallèlement, ont été programmés : des conférences en avril et mai ; un cycle cinématographique « Churchill-De Gaulle » du 4 au 8 juin ; des concerts d’avril à juin dans la cathédrale Saint-Louis des Invalides, pour rappeler la fin de  la seconde guerre mondiale et découvrir les grands compositeurs du XXème siècle, de Benjamin Britten au « Beatle » Paul Mc Cartney. Renseignements : www.musee-armee.fr




« Serval » : manœuvre aéroterrestre en profondeur et durcissement de l’engagement

L’opération « Serval » s’est caractérisée par sa fulgurance tactique face à des adversaires idéologiquement motivés et aguerris. Elle a nécessité les forces spéciales, le « trinôme de mêlée » (hélicoptères, arme blindée et infanterie), « l’appui autour de l’avant » (génie, artillerie, aviation) et la continuité de la chaîne logistique.

Tel est l’avis exprimé par le général d’armée Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de Terre, au cours d’un colloque organisé le 4 décembre à Paris. Parmi les nombreux intervenants, figurent : l’amiral Édouard Guillaud, chef d’État-major des armées ; le général de corps d’armée Bertrand Clément-Bollée, commandant des Forces terrestres ; le général de brigade Patrick Brethous, chef du Centre de planification et de conduite des opérations.

Le cadre politico-militaire. Le théâtre du Mali, où le rôle de l’armée de Terre est déterminant, constitue une référence comme ceux d’Afghanistan, de Côte d’Ivoire et de Libye, estime l’amiral Guillaud pour qui ils « augurent, d’ici à 2025, des engagements complexes avec une variété de moyens ». A l’instabilité du Maghreb, du Moyen-Orient et de l’Afrique, s’ajoutent la menace NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), le déni d’accès aéromaritime et la cyberguerre. A court terme, seront mêlés adversaire asymétrique, insurrection, trafics et terrorisme. L’opération « Serval » dégage plusieurs caractéristiques : objectifs clairs et soutenus par une forte détermination politique ; cadre national avec fourniture de l’essentiel des troupes au sol et de la totalité des frappes ; connaissance du milieu africain par le renseignement et le prépositionnement de troupes. La capacité d’intervenir hors de France permet d’exclure les facteurs « chance » et « hasard ». La difficulté des combats et l’élongation du territoire malien ont défini des critères stratégiques : réactivité du processus de décision au plus haut niveau politico-militaire pour une action effective 5 heures plus tard à 5.000 km de Paris ; points d’appui en Côte d’Ivoire et au Tchad ; pertinence des dispositifs d’alertes terrestre « Guépard », aérienne « Rapace » et navale « Tarpon » ; capacité d’engager une force avec son état-major et son soutien ; modèle d’armée complète pour un engagement aéroterrestre et national au Mali, alors qu’il était aéronaval dans le cadre de l’OTAN en Libye ; fulgurance de l’action par la simultanéité des frappes et la prise de risques calculés. Sur le plan opérationnel, « Serval » a montré : l’adaptation du soldat français au terrain, à la population et aux forces armées locales par son engagement quotidien au Sénégal et au Gabon ; la conjugaison de la rusticité et de la technologie pour le renseignement, la protection, la sécurité, le mouvement et la précision du feu ; l’intervention interarmées pour surprendre l’adversaire et le désorganiser en profondeur ; la maîtrise de la force par le renseignement, un processus décisionnel réactif et des règles d’ouverture du feu adaptées. Toutefois, l’amiral Guillaud a mentionné des fragilités dans le transport aérien, la logistique, les communications et le renseignement. Ainsi, 5 avions de surveillance ATL2 sont insuffisants pour assurer une permanence dans la durée. La boucle du renseignement doit être raccourcie pour fournir la bonne information au bon interlocuteur au bon moment, car l’adversaire se déplace vite. Enfin, conclut l’amiral : « C’est au sol que se gagnent les guerres. Réactivité, polyvalence et mobilité sont des atouts ».

Les facteurs de succès en amont. « L ‘épopée Serval restera une référence en matière opérationnelle », déclare le général de corps d’armée Bertrand Clément-Bollée, commandant des Forces terrestres. Ce succès tactique a été  rendu possible par « l’intelligence de situation », explique le général : penser l’action future en utilisant le retour d’expérience, qui actualise l’évolution tactique liée à l’innovation technologique. Les chefs doivent acquérir l’autonomie tactique et les soldats l’aguerrissement, un bon niveau au tir et la capacité de porter les premiers secours. La préparation opérationnelle des troupes, étalée sur 48 mois et adaptée aux besoins, doit mener au plus haut niveau les soldats qui seront amenés à intervenir. Conduite dans des centres spécialisés, elle porte sur l’entraînement interarmes pour les missions de protection du territoire national, des forces de souveraineté (Martinique), des forces de présence (Gabon et Sénégal), de « normalisation » (Bosnie et Côte d’Ivoire), de stabilisation (Liban) et d’intervention (Afghanistan et Mali). L’acquisition et la conservation des savoir-faire de métier s’effectuent en garnison. Toute unité étant éligible aux opérations, elle participe à l’alerte « Guépard ». « Plus que prévoir les engagements futurs, souligne le général Clément-Bollée, il faut les permettre ! Nous serons sans doute parfois surpris, mais jamais démunis ».

La maîtrise du temps opérationnel. Il faut d’abord appréhender le temps politique pour adapter le temps opérationnel, explique le général de brigade Patrick Brethous, chef du Centre de planification et de conduite des opérations de l’État-major des armées. « Il faut agir vite, taper fort et le plus rapidement possible, dit-il, il faut s’adapter en permanence au besoin opérationnel, au terrain et à la réaction de l’adversaire ». L’anticipation stratégique, à savoir planification des opérations, renseignement et relations internationales, a commencé tôt : planification opérationnelle pour le Sahel dès 2009 ; celle pour le massif de l’Adrar en 2010 ; présence sur place des forces spéciales en 2011 et 2012 pour avoir une vision des mouvements djihadistes et identifier les cibles au sol ; positionnement d’un drone Harfang à Niamey en janvier 2013, avant le déclenchement de « Serval ». Après une décision rapide d’engagement, une permanence des échanges politico-militaires s’est instaurée. Enfin, les contraintes logistiques ont dû être maîtrisées : capacités limitées des aéroports de Bamako et Niamey ; transports par air et mer ; recours à des moyens civils ; appui aérien allié.

Loïc Salmon

Armée de Terre : retour d’expérience de l’opération « Serval » au Mali

Armée de Terre : l’arme blindée cavalerie de demain après l’intervention au Mali

L’opération « Serval » (janvier-avril  2013) au Mali a été conçue, planifiée et exécutée en interarmées. Selon le général de corps aérien Thierry Caspar-Fille-Lambie, commandant de la Défense aérienne et des Opérations aériennes, 50 bombes ont été tirées d’avions de chasse lors de la phase de coup d’arrêt des colonnes djihadistes (11-19 janvier), 80 lors de celle de reconquête du Nord-Mali (20 janvier-8 février) et 130 lors de celle de neutralisation des groupes armés djihadistes (9 février-15 avril). A partir des aéroports de Bamako (Mali) et Niamey (Niger) les transports aériens sur le théâtre ont été réalisés à 47 % par les moyens français et à 53 % par ceux des pays partenaires. L’aérolargage de 250 parachutistes et de matériel sur Tombouctou (nuit du 27-28 janvier) a été réalisé en 9 minutes par des avions venus d’Abidjan. L’entrée en premier dans le massif de l’Adrar des Ifoghas (2-3 février) a mobilisé 1 drone Harfang, des avions de surveillance ATL 2 (Marine) ainsi que 2 Rafale et 4 Mirage 2000D qui ont effectué des frappes simultanées en moins d’une minute à 01 h du matin.




La puissance au XXIème siècle : les « pôles » du Pacifique

L’État joue un rôle majeur dans l’expression de la puissance militaire, économique, scientifique ou culturelle. Aujourd’hui, les États-Unis voient leur prédominance affaiblie, tandis que la Chine n’obtient pas encore le statut de puissance globale, malgré son essor économique.

La puissance a fait l’objet d’un colloque organisé, le 13 avril 2015 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), EuroDéfense-France, l’Institut Jean Lecanuet et la revue France Forum. Y ont notamment participé : Frédéric Charillon, directeur de l’IRSEM ; Alexandra de Hoop Scheffer, politologue ; Valérie Niquet de la Fondation pour la recherche stratégique ; Delphine Alles de l’Université Paris-Est Créteil.

Stratégies comparées. Pour Frédéric Charillon, la puissance pourrait se caractériser par la force militaire, dont l’adaptation varie selon les cas. Elle apparaît relative par rapport à une situation ou un cadre donné, comme l’expérience malheureuse des États-Unis au Moyen-Orient. Elle doit aussi être « intériorisée » par les autres pays, c’est-à-dire dissuasive, sinon elle disparaît. En outre, la puissance nécessite des vecteurs : force, influence, séduction des interlocuteurs et diffusion du savoir-faire. Divers critères émergent de l’analyse comparée de l’expression et de la pratique de la puissance, avec l’ambiguïté du mot anglais « power ». Ce dernier signifie la « puissance » en général et le « pouvoir » de fixer des règles à une population sur un territoire donné. Ainsi, le « hard power » de la force matérielle et du fait accompli s’appliquent notamment à la Russie et à Israël. Le « smart power », caractéristique des États-Unis aujourd’hui, mélange la force militaire, la séduction et l’influence. Le « soft power » repose sur le discours et la capacité de convaincre l’autre, particularités des pays européens. Quoique dépourvu d’une profondeur territoriale, d’une population nombreuse et d’une réelle capacité militaire, le Qatar exprime sa puissance par ses ressources financières, son réseau religieux et sa chaîne de télévision Al Jazeera. Des pays émergents, comme la Turquie et le Brésil, interviennent également dans les affaires internationales par le biais de médiations. Dans leur environnement proche, la Chine et la Russie reviennent à l’ancienne forme « impériale » de centre régulateur régional. De leur côté, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, anciennes puissances impériales, ne peuvent plus agir seules, mais, grâce à leurs réseaux, disposent encore d’une forme de puissance inexistante ailleurs. Enfin, les « puissances non étatiques » se manifestent surtout par leur capacité de nuisance (encadré).

Évolution américaine. Les États-Unis ont tiré les leçons de leurs interventions en Afghanistan et en Irak, où l’emploi de la force militaire se transforme difficilement en succès politique. Ils estiment pouvoir diriger le monde par la combinaison de la puissance militaire et de l’influence indirecte et la mobilisation d’autres nations pour une action collective, estime Alexandra de Hoop Scheffer. Ils ne veulent plus apparaître comme les seuls garants de la sécurité là où ils n’ont plus d’intérêts vitaux et comptent en partager le fardeau avec leurs alliés. Ils leur délèguent les responsabilités militaires dans certaines zones de conflit : la France dans la bande sahélo-saharienne et l’Arabie saoudite au Yémen. La participation américaine se limite à la mise en œuvre de drones, cyberattaques, frappes aériennes ou forces spéciales. Les décisions prises dans l’urgence, parfois les seules possibles, peuvent présenter des risques à terme. Ainsi, des combattants chiites, financés par l’Iran, luttent contre Daech en Irak et profitent des frappes aériennes de la coalition, menée par les États-Unis. En Libye, ces derniers apportent une aide aux milices locales, mal connues, difficilement contrôlables et qui ne partagent pas les mêmes objectifs. Alexandra de Hoop Scheffer en déduit trois stratégies américaines possibles. La première parie sur le pourrissement de la situation en Syrie et en Libye, pour éviter d’envoyer des troupes au sol. La deuxième consiste à accompagner les pays européens, bien accueillis en Afrique, par une assistance militaire et la fourniture de renseignements. La troisième porte sur une interdépendance dans les régions où les Etats-Unis ne peuvent totalement se désengager. Ainsi, vu de Washington, le Moyen-Orient fait partie du « pivot » tourné vers l’Asie, car le pétrole produit y est exporté à 70 %, surtout vers la Chine, et passera à 85 % en 2025. La stabilité en mer de Chine dépend donc de celle du golfe Arabo-Persique.

Surestimation chinoise. Selon Valérie Niquet, la Chine s’estime suffisamment puissante pour imposer sa vision des affaires du monde. Face à l’Inde et au Japon, elle dispose d’abord d’une démographie considérable avec des perspectives de marché. Son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU lui permet de s’opposer à toute réforme qui l’en priverait. Sa capacité militaire, quoique inférieure à celle de la Russie, existe quand même. Mais, les difficultés de gouvernance, les inégalités sociales et les coûteux déséquilibres régionaux sur le plan intérieur ainsi que le ralentissement de la croissance économique exercent une influence en termes de perception sur la scène internationale. La stratégie de la Chine consiste à assurer la survie de son régime politique, en cours de transformation afin d’éviter le sort de l’URSS. Son discours devient de plus en plus nationaliste depuis la crise financière de 2008. Pour affirmer sa puissance économique, elle a mis sur pied la Banque d’investissements en Asie pour marginaliser la Banque de développement asiatique, dominée par le Japon, en vue d’imposer ses normes et un nouveau modèle de prise de décision. Considérant  comme inéluctable le déclin de l’Occident, elle veut faire accepter sa montée en puissance partout. Son régime autoritaire et son développement économique sont bien perçus en Afrique. Toutefois, souligne Valérie Niquet, la Chine ne parvient pas à entraîner ses voisins asiatiques contre l’Occident. Ceux-ci manifestent même leur rejet et une attente vis-à-vis des États-Unis.

Loïc Salmon

Recherche stratégique : outil pour éclairer l’action publique

États-Unis : une politique ambiguë de défense et de sécurité

Chine : une stratégie de plus en plus mondiale

Les puissances non étatiques sont apparues en 1979. Selon Delphine Alles, elles contestent le monopole de la violence et des normes fixées par les États et peuvent, de plus en plus, peser sur les événements internationaux dans un monde constitué en réseaux. Cela va des agences de notation financières aux mouvements identitaires, en passant par les courants religieux, associations mafieuses et organisations non gouvernementales, qui s’engagent pour une cause. Certaines, comme Wikileaks et Anonymous, interviennent selon leur propre conception de la justice. La révolution technologique de l’information leur donne une capacité croissante de mobilisation d’individus en multipliant les référents possibles. En s’infiltrant dans des organisations dont elle perturbent le fonctionnement, elles provoquent des conflits, non pas entre États, mais à l’intérieur des États. Pour elles, la démocratie est devenue un référent, où chacun s’estime en droit de remettre en question les fondements de l’État souverain.




Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité

Présente sur les océans Indien et Pacifique où elle dispose de territoires et de ressortissants en nombre croissant, la France entend contribuer à la sécurité de la zone Asie-Pacifique, qui devrait réaliser plus du tiers du produit intérieur brut mondial en 2030.

En avril 2014, la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense a rendu public un document sur ce sujet, élaboré en concertation avec le ministère des Affaires étrangères.

Contexte stratégique. Quelque 70 % des échanges de marchandises conteneurisées de l’Union européenne (UE) transitent par l’océan Indien. En 2020, 45 % du trafic mondial de conteneurs concerneront les échanges UE-Asie. Depuis 1990, les pays de la région augmentent leurs dépenses militaires et modernisent leurs outils militaires, avec des impacts sur l’équilibre des forces et la stabilité de la région. Ainsi, la Chine, l’Inde et le Pakistan disposent de l’arme nucléaire. La Corée du Nord, qui exerce des activités proliférantes d’armes de destruction massive, a déclaré son intention de se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire. Face aux régimes communistes de la Chine, de la Corée du Nord et du Viêt Nam, les États-Unis maintiennent leurs traités d’alliance, datant de la guerre froide (1947-1989), avec la Corée du Sud, le Japon, les Philippines, l’Australie et la Thaïlande. Ils assurent une présence militaire en Corée du Sud, au Japon, à Singapour et dans les îles de Guam (Pacifique) et Diego Garcia (océan Indien). Parallèlement, des tensions s’aggravent entre alliés du même camp au sujet de territoires contestés, parfois inhabités mais riches en ressources naturelles. Ainsi, l’archipel des Kouriles du Sud, occupé par la Russie, est revendiqué par le Japon. L’île de Takeshima/Dokdo est revendiquée par la Corée du Sud et le Japon. Les îles Senkaku/Diaoyutai sont revendiquées par le Japon, la Chine et Taïwan… elle-même revendiquée par la Chine. Les îles Paracels, occupées par la Chine, sont revendiquées par le Viêt Nam. La Chine revendique l’ensemble de la mer de Chine du Sud. Les îles Sprateley sont revendiquées partiellement ou totalement par la Chine, Taïwan, le Viêt Nam, les Philippines, la Malaisie et Brunei. Le territoire indien d’Arunachal Pradesh est revendiqué par la Chine. Le territoire du Cachemire se trouve sous le contrôle de trois pays différents, qui s’en contestent la juridiction : la partie sous contrôle pakistanais est revendiquée par l’Inde ; celle sous contrôle indien est revendiquée par le Pakistan ; celle sous contrôle chinois est revendiquée par l’Inde. Enfin, une longue zone frontalière fait l’objet de négociations entre le Pakistan et l’Afghanistan.

Protection des intérêts français. Toute crise en Asie-Pacifique pourrait porter gravement atteinte aux intérêts commerciaux de la France, 5ème exportateur et 3ème investisseur mondial. D’abord, le nombre de ressortissants français dans les départements et territoires d’outre-mer atteint 500.000 personnes dans le Pacifique et plus de 1 million en océan Indien. En 2012, il a dépassé 120.000 personnes dans les pays d’Asie-Pacifique, soit presqu’autant que dans ceux d’Afrique subsaharienne. Ensuite, la France dispose de 11 Mkm2 de zone économique exclusive, soit la 2ème du monde après celle des États-Unis, dont 62 % dans le Pacifique et 24 % dans l’océan Indien. Les forces de défense et de sécurité prépositionnées assurent des missions de lutte contre les trafics illicites et de protection de l’environnement et des ressources halieutiques, minérales et énergétiques. Elles participent aux secours aux populations régionales lors de catastrophes naturelles (tsunamis et cyclones). La coopération bilatérale dans tous les domaines de la défense repose sur les 18 attachés de défense, accrédités dans la quasi-totalité des pays d’Asie, et les coopérants militaires permanents. Ce dispositif est renforcé par la trentaine d’attachés de sécurité intérieure présents dans 21 pays d’Asie. S’y ajoute le soutien des coopérants gendarmes et d’experts de police et de sécurité civile.

Coopération internationale. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France assume des responsabilités internationales, qui dépassent le cadre de ses intérêts propres. En Asie-Pacifique, elle est signataire de plusieurs engagements politiques et de sécurité : traité de paix avec le Japon (1951) ; convention d’armistice en Corée (1953) ; traité de sécurité collective en Asie du Sud-Est (1954) ; traité d’amitié et de coopération en Asie du Sud-Est (1976). Sur le plan bilatéral, la France a conclu des partenariats stratégiques avec l’Inde, la Malaisie, Singapour et l’Australie. En outre, elle entretient un dialogue politico-militaire et des coopérations militaire et en matière d’armements, très variables selon les pays. Sont concernés : l’Afghanistan, le Cambodge, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, les Philippines, la Thaïlande, le Viêt Nam et bientôt la Mongolie. Cette coopération de défense repose sur le partage de compétences dans les domaines de l’expertise, du conseil et de la formation. Conçue par les ministères des Affaires étrangères et de la Défense, elle s’inscrit dans la durée, porte sur la prévention et n’intervient pas en période de crise, mais se situe dans la sortie de crise. Une centaine de stagiaires des pays d’Asie ont été formés dans des institutions militaires françaises d’officiers en 2013. En outre, des missions d’experts français ont été conduites au profit des forces armées locales et un soutien est apporté à des centres de formation aux opérations de maintien de la paix. Par ailleurs, la France respecte les embargos sur les armes et autres mesures restrictives du Conseil de sécurité de l’ONU et du Conseil européen (niveau des chefs d’État et de gouvernements de l’UE). En Asie-Pacifique, cela s’applique à la Birmanie, la Chine, la Corée du Nord ainsi qu’aux entités et individus liés aux talibans et à l’organisation terroriste Al Qaïda. Enfin, la France a été engagée dans diverses opérations militaires et de maintien de la paix : Cambodge (1991-1993) ; golfe Arabo-Persique (1990-1991) ; Timor oriental (1999-2000) ; moyens navals déployés sur zone lors du tsunami de décembre 2004 ; Indonésie (2005) ; Afghanistan (depuis 2001) ; golfe d’Aden (depuis 2008).

Loïc Salmon

L’océan Indien : espace sous tension

Opération « Atalante » : bilan du commandement français

Chine : montée en puissance plus diplomatique que militaire

Les forces armées dans le Pacifique, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française totalisent 2.500 personnels militaires et civils, 2 frégates de surveillance, 3 patrouilleurs, 4 avions de surveillance maritime, 4 avions de transport tactique et 6 hélicoptères pour des missions de protection et de sécurité et l’action de l’État en mer. Du golfe Arabo-Persique à celui d’Aden, les forces permanentes comptent 700 militaires et mettent en œuvre 6 avions de combat Rafale depuis les Émirats arabes unis. A Djibouti, sont stationnés 1.900 militaires, 7 avions Mirage-2000, 8 hélicoptères, 1 avion de transport et 2 bâtiments de soutien. Enfin, en océan Indien même, 700 marins à bord des bâtiments de combat sont engagés en permanence dans la lutte contre la piraterie et le terrorisme, avec le renfort occasionnel du groupe aéronaval avec le porte-avions Charles-de-Gaulle, d’un groupe amphibie ou d’un groupe de guerre des mines.




Renseignement : indispensable à la souveraineté et garant de l’indépendance nationale

Les services de renseignement (SR) français ont connu une grande transformation en France ces dernières années, après la prise de conscience de l’opinion et des pouvoirs publics de la nécessité de leurs travaux.

Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a fait le point de la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 9 février 2015 à Paris, par l’Institut des hautes études de défense nationale.

Évolution de l’opinion publique. Dans les pays anglo-saxons, les services de renseignement (SR) sont considérés comme utiles et légitimes et leurs agents comme exerçant « un métier de seigneur ». En France, en dehors des conflits armés, le renseignement a longtemps été perçu comme infâmant et comme un mélange de trahison et de surveillance policière. Cette absence de culture de renseignement ne résulte pas du hasard, estime Jean-Jacques Urvoas. La géographie du pays et son autosuffisance économique pendant longtemps n’ont guère incité ses habitants à s’informer sur l’extérieur, la quête de l’unité l’emportant sur la conquête hors frontières naturelles. Peu curieux, le tempérament français a valorisé la connaissance et méprisé le renseignement. Depuis le Moyen-Age, le risque doit permettre la victoire, qui résulte d’un exploit guerrier. La beauté du geste compte, notion totalement étrangère au monde du renseignement. La mémoire collective a retenu les « affaires » louches : Dreyfus (1894-1906), Ben Barka (1965), micros du Canard enchaîné (1973) et Rainbow Warrior (1985). Les dirigeants politiques français ont longtemps mal connu les possibilités et les contraintes des SR, estimant qu’ils peuvent tout, savent tout et ont réponse à tout… immédiatement ! Jusqu’à Nicolas Sarkozy (2007-2012), indique Jean-Jacques Urvoas, les présidents de la Vème République ont gardé une attitude méfiante ou prudente à leur égard. Toutefois, ces sentiments ne sont pas l’apanage de la France. Aux États-Unis, le président John Kennedy, échaudé par le fiasco de « l’affaire de la Baie des cochons » (1961) imputé à la CIA, avait déclaré à son personnel dans le hall de l’agence de renseignement : « Vos succès ne seront pas rendus publics, mais vos échecs seront annoncés à la trompette » ! Pourtant, tout change après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis par l’organisation terroriste Al Qaïda. Celle-ci, qui ne dépend pas d’un État, peut frapper n’importe où, n’importe quand et n’importe comment. Contrairement à la guerre froide (1945-1991) où les objectifs des SR étaient de grande taille (capacités militaires et économiques adverses), la menace est devenue diffuse. Les renseignements d’origines humaine, technique et satellitaire ne suffisent plus. Il s’agit de détecter les « signaux faibles », cachés probablement au fond d’un ordinateur qui n’est pas connecté à internet. En outre, devant le développement exponentiel de la téléphonie mobile (courriels compris), les défis majeurs résident dans le tri de l’information et la capacité d’analyse. Pour l’opinion publique française, les SR, outils indispensables de l’État, sont devenus des « réducteurs d’incertitude » face à une menace non identifiable.

« Mutation » des SR. Le Livre blanc 2008 sur la défense et la sécurité nationale mentionne la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation », au même titre que « dissuasion », « protection », « prévention » et « intervention ». Est également créée la communauté du renseignement, qui regroupe 6 SR : Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Direction du renseignement militaire et Direction de la protection et de la sécurité de la défense rattachées au ministère de la Défense ; Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, police nationale) ; Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (ministère de l’Économie) ; Tracfin (encadré, ministère des Finances). En 2014, le président de la République et le gouvernement ont engagé des mutations juridique et capacitaire des SR, indique Jean-Jacques Urvoas. Un budget supplémentaire de 425 M€ financera les équipements et le fonctionnement. Les effectifs, actuellement de 12.000 personnes, seront renforcés de 1.300 postes. A titre de comparaison, les SR américains emploient 80.000 personnes et les SR britanniques 30.000. En raison de la montée en puissance du terrorisme, le renseignement intérieur a été restructuré. La DCRI a été transformée en « Direction générale de la sécurité intérieure » (DGSI). Le recrutement, auparavant constitué à 66 % de fonctionnaires de police (formation juridique) est ouvert, par des contrats de 3-4 ans, aux informaticiens, mathématiciens (cryptage), traducteurs et analystes financiers. Le maillage territorial est reconfiguré en fonction du risque estimé. La DGSI a accès directement au ministre de l’Intérieur et peut coopérer plus facilement avec la DGSE. Elle peut établir des partenariats avec : la Préfecture de police de Paris pour les recherches sur l’immigration clandestine, les infractions à l’emploi d’étrangers, le terrorisme et l’action violente ; le Service central du renseignement territorial, né en mai 2014, pour le travail de détection en amont de dérives sectaires et de repli identitaire dans les quartiers difficiles ; la sous-direction à l’anticipation opérationnelle de la Gendarmerie nationale, qui dispose de brigades aux échelons départemental, régional et zonal ; le Bureau du renseignement pénitentiaire. En matière d’écoutes téléphoniques, les fichiers de Google et d’Amazon sont plus performants que ceux de la DGSI. En outre, les terroristes, se sachant sur écoutes, ne disent rien au téléphone et ne se parlent que chez eux. Leur domicile doit donc être « sonorisé » et leur véhicule suivi grâce à la pose de balises. Enfin, la loi va bientôt obliger les sociétés étrangères de téléphonie, comme Skype, à coopérer. L’emploi de ces moyens sera validé par une commission de contrôle avec des ingénieurs chargés de la vérification technique, précise Jean-Jacques Urvoas. Enfin, en matière d’espionnage industriel et de pillage de savoir-faire des entreprises, les plus grands prédateurs se trouvent parmi les pays alliés proches, souligne-t-il.

Loïc Salmon

Le renseignement, clé pour la connaissance et l’anticipation

Renseignement : importance croissante en France depuis la première guerre mondiale

Renseignement : cadre législatif à améliorer, selon la DPR

Le service de renseignement financier « Tracfin », qui dépend du ministère des Finances, compte une centaine dagents. Le département de lanalyse du renseignement et de linformation assure lintégration, lenrichissement et la valorisation de linformation. Il entretient des relations avec les professionnels déclarants et les services étrangers homologues. Le département des enquêtes recherche notamment les fraudes financières en matière de jeux et de transferts dargent. La cellule danalyse stratégique exploite les informations disponibles, afin didentifier les tendances en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Une cellule spécifique traite les affaires de financement du terrorisme. Le pôle juridique et judiciaire assure aussi une mission dexpertise. La mission « système dinformation » est chargée du fonctionnement et des évolutions des systèmes informatiques de Tracfin.  




Centrafrique : l’opération « Sangaris » au niveau « opératif »

L’intervention française « Sangaris », courroie d’entraînement de l’action internationale, a conservé l’initiative dans un environnement caractérisé par la surprise et la versatilité.

Le colonel Arnaud Goujon, ancien responsable de la conduite des opérations au niveau de l’état-major de théâtre implanté à Bangui, a présenté la situation au cours d’une conférence-débat organisée, le 19 mai 2015 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de l’armée de Terre.

Constats clés. Plus haut niveau du commandement militaire projeté sur un théâtre, le commandement « opératif » gère et évalue dans la durée les effets de l’intervention. Il recouvre des dimensions militaire, civilo-militaire et politico-militaire. Y sont impliqués le général commandant la force « Sangaris », l’ambassadeur de France en Centrafrique et l’attaché de Défense à Bangui. La situation, volatile, incertaine, complexe et ambiguë, nécessite une solution globale avec des volets militaire, économique, international et diplomatique. La crise, déclenchée localement, s’est étendue aux niveaux national et régional. Les groupes armés se disputent les ressources pétrolières et diamantaires du pays. En outre, la transhumance saisonnière des troupeaux vers le Nord atteint la frontière Sud du Tchad, qui se préoccupe de sa sécurité. Des autorités politiques de transition, au pouvoir limité et à la liberté d’action faible, dirigent l’État centrafricain. Elles parviennent difficilement à lever l’impôt, à identifier les fonctionnaires et à connaître leur disponibilité. Faute d’un gouvernement légitimé par des élections, les divers groupes armés tentent en permanence de tester les failles de l’administration en créant des polices parallèles. Parmi eux, figurent les « anti-balaka », parfois soutenus par d’anciens militaires des forces armées centrafricaines fidèles à l’ancien président François Bozizé, porté au pouvoir par un coup d’État en 2003 et renversé en mars 2013. Ils s’opposent notamment aux milices de la  « séléka » à majorité musulmane et fidèles à Michel Djotodia, qui s’est autoproclamé président en mars 2013 puis a démissionné en janvier 2014. Tout le monde se connaît. Les intérêts politiques diffèrent, mais les intérêts économiques convergent vers le commerce avec le Cameroun. Victime des nombreuses exactions, une grande partie de la population civile, musulmane ou chrétienne, fuit dans la brousse. Il s’ensuit une grave crise humanitaire, aggravée par l’insécurité dans le pays. En conséquence, l’état-major « opératif » de « Sangaris » s’est doté d’une cellule civilo-militaire composée de quelques personnes pour les liaisons avec les organisations non gouvernementales et la coordination avec les moyens humanitaires de l’ONU.

Opérer en Centrafrique. Le 23 juillet 2014, les belligérants ont signé un accord de cessation des hostilités à Brazzaville. Toutefois, l’environnement reste imprévisible. Il est en effet difficile d’identifier les risques en raison des interactions entre « Sangaris », la MINUSCA (Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations Unies en République centrafricaine) et les groupes armés, dont la zone d’action se réduit progressivement. De mars à octobre 2014, l’état-major « opératif » de la force « Sangaris » aura planifié le passage de relais à la MISCA (Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous la conduite de l’Union africaine) puis à la MINUSCA, qui lui succède après la stabilisation de Bangui. « Sangaris » les appuie et les accompagne pendant leur montée en puissance. Elle doit adapter son tempo (mouvement d’exécution) à celui de la MISCA, dont le délai de déploiement du soutien est plus lent. En revanche, la MINUSCA dispose d’une organisation logistique plus opérationnelle. La saison des pluies, de juin à septembre, accroît les difficultés du terrain : il faut alors 48 h pour relier par la route Bangui à la frontière tchadienne, distante de 350 km. L’osmose entre la logistique et les opérations constitue un déterminant tactique, souligne le colonel Goujon, car un élément isolé ne peut rester sans appuis-feux. Opérer dans l’environnement centrafricain nécessite  la maîtrise du rapport de forces face à l’adversaire. Elle repose sur la connaissance de la situation, obtenue par les renseignements d’origines aérienne (avions Rafale), électromagnétique (radar) et humaine (population rencontrée sur la route). Leur mise en réseau permet de dialoguer avec le Centre de planification et de conduite des opérations à Paris et la base aérienne de N’Djamena au Tchad. Il s’agit de porter l’effort à bon escient avec un faible volume de forces. Mais, explique le colonel, la compréhension des événements prend du temps, parfois une journée, et influe sur le rapport de forces. La dangerosité varie avec l’adversaire. Les unités « séléka », composées d’une trentaine de combattants équipés de mitrailleuses de 14,5 mm, manœuvrent comme une armée régulière et à 2 heures de route de leur PC. Par contre, les « anti-balaka », au comportement irrationnel, prennent des risques inconsidérés et subissent les pertes les plus sévères.

Rétablir l’état de droit. La supériorité sur l’adversaire exige une coordination étroite entre « Sangaris », la MISCA et la MINUSCA, indique le colonel Goujon. Cette dernière dispose d’un mandat de dix ans pour reconstruire les forces armées et de sécurité intérieure de l’État centrafricain. Le processus électoral renforçant la légitimité du gouvernement, il s’agit de ramener les acteurs dans le jeu politique. A cet effet, le général Francisco Soriano, commandant de « Sangaris », s’est souvent déplacé à Bangui et en province pour délivrer le même message : expliquer aux anciens adversaires ce qui s’est produit et faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Malgré les tentatives de coup d’État pour renverser le gouvernement de transition, le ralliement progressif au processus politique s’est manifesté par des consultations populaires dans toutes les préfectures et au Forum de Bangui (mai 2015). Finalement, le niveau « opératif » de « Sangaris » a permis de garantir l’action politique de la communauté internationale en toute transparence, conclut le colonel Goujon.

Loïc Salmon

D’une superficie de 600.000 km2, la République centrafricaine (RCA) produit surtout du bois, du café et des diamants. Elle compte 5 millions d’habitants, dont 50 % de chrétiens, 35 % d’animistes et 15 % de musulmans. Le taux d’alphabétisation est de 46 % et l’espérance de vie de 47 ans. Lors du déclenchement de l’opération « Sangaris » (décembre 2013), la RCA cumule difficultés intérieures et extérieures. Le niveau de décision « stratégique », concernant la nation, se trouve à Paris, le niveau « opératif » (théâtre) à Bangui, la capitale, et le niveau « tactique » (champ de bataille) à Bouar, ville de l’Ouest du pays. La force « Sangaris » (du nom de l’opération) déploie 2.000 hommes et 12 hélicoptères, sur un théâtre d’une élongation d’environ 1.000 km par la route ou la piste. Les journalistes intégrés au dispositif accompagnent le général commandant du théâtre « opératif », pour avoir accès à l’information.




Piraterie : encore présente sur mer et en expansion dans le cyberespace

Transport maritime, production pétrolière et flux de données informatiques tirent profit de la mondialisation… avec la menace récurrente d’attaques de pirates, imprévisibles et difficilement identifiables.

Ce parallèle a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 8 avril 2015 à Paris, par le Master 212 de l’Université Paris-Dauphine et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : le vice-amiral Arnaud Coustillière, officier général cyberdéfense à l’État-major des armées ; Thierry Bourgeois, directeur de la sûreté du groupe Total (hydrocarbures) ; Jacques de Chateauvieux, président de Bourbon (services maritimes pour l’offshore pétrolier) ; Philippe Sathoud, directeur opérationnel au groupe DCNS (équipementier naval) ; Patrick Simon, avocat au barreau de Paris et président de l’Association française du droit maritime ; Patrick de la Morinerie, directeur général adjoint chez Axa Corporate Solutions (assurances).

État des lieux. La technologie informatique embarquée d’un navire civil et les infrastructures portuaires restent vulnérables aux cyberattaques. Via internet, un « hacker » (pirate informatique) pourrait en effet modifier les paramètres de conditionnement de sa cargaison ou, pire, ceux de ses automates et le dérouter de sa destination. Les risques encourus diffèrent pour les porte-conteneurs (CMA), les unités de servitude offshore (Bourbon) ou les navires spécialisés (Louis-Dreyfus Armateurs), souligne l’amiral Coustillière. Présent dans 132 pays où il produit (à terre ou au large) ou distribue pétrole ou gaz, Total les classe selon le niveau d’insécurité ordinaire, l’instabilité politique et le terrorisme. Il exclut toute activité en Somalie, Syrie et Afghanistan, classés « rouges ». Au Nigeria, les personnels de ses plates-formes en mer sont acheminés par hélicoptère et les matériels par chalands, escortés par des patrouilleurs militaires. Faute de moyens suffisants des États riverains, la piraterie perdure dans le golfe de Guinée. Un centre de coordination anti-piraterie est en cours d’installation. Comme pour le détroit de Malacca, les navires doivent y être connectés par le système d’identification AIS, qui permet de connaître leur position exacte en permanence. Toutefois, les pirates, très bien renseignés, peuvent ainsi les localiser et, en cas d’attaque réussie, commencent par déconnecter l’AIS. Selon AXA, la piraterie diminue dans le monde, mais devient plus efficace : pour un trafic annuel moyen de  150.000-200.000 passages dans les zones dangereuses (détroit de Malacca et golfes d’Aden et de Guinée), le taux de succès est passé de 66 % sur 445 attaques en 2009 à 95% sur 245 attaques en 2014. Il reste encore 400 marins détenus à terre par des pirates en mars 2015, contre 1.000 en 2005. Bourbon, qui déploie 90 bateaux-navettes au Nigeria et 300 dans le golfe de Guinée, n’y envoie que des volontaires parmi ses 12.000 marins. La Norvège et les Philippines ont interdit à leurs ressortissants de travailler au Nigeria. Les compagnies d’assurances prennent en charge les dommages en mutualisant les risques en fonction des données statistiques. Mais, indique AXA, comme ces dernières n’existent pas en cybercriminalité, elles établissent… des scénarios de risques !

Sûreté et protection. Total se prémunit de la cybercriminalité à bord de ses installations de diverses façons : anti-virus ; mesures des flux en entrée et sortie pour détecter les comportements anormaux ; recours aux agences de protection pour identifier les programmes malveillants et les éliminer. Des « passerelles » protégées relient l’informatique de gestion (connectée à internet) à celle, dite « industrielle », des installations techniques. Le manque de vigilance des personnels se trouve souvent à l’origine des dégâts mineurs constatés. De son côté, DCNS a établi une procédure réglementant l’accès à l’informatique du bord, a mis au point des logiciels de repérage et forme les équipages à la détection ou l’intervention. En ce qui concerne les attaques physiques, Total se protège différemment selon le contexte juridique. Dans les pays où l’État est actionnaire ou propriétaire des installations de production, il met des gendarmes à la disposition de Total, qui assure l’exploitation du site. Pour les forages en mer par grande profondeur, l’État riverain est unique propriétaire des installations, dont le coût d’exploitation est partagé entre les différents partenaires. Face à la menace de la piraterie maritime, Bourbon a équipé ses navires d’une « citadelle » à l’épreuve des balles du fusil d’assaut de type kalachnikov et où l’équipage se réfugie jusqu’au départ des pirates, incapables alors de conduire le navire. En outre, les équipages sont formés et entraînés pour prendre conscience du danger et s’habituer à la discipline. En cas d’attaque, une procédure permet à l’équipage  d’informer les autorités compétentes. Pour ce type d’opération, DCNS dispose du patrouilleur de sauvegarde maritime L’Adroit, équipé de moyens de communication sécurisés et qui embarque un hélicoptère, des drones de surveillance et des commandos. Concrètement, sur la base de renseignements, la Marine du pays riverain intervient, de jour comme de nuit et quelles que soient les conditions météorologiques. L’avocat Patrick Simon estime nécessaire l’embarquement de sociétés militaires privées, comme aux États-Unis et comme la loi l’autorise  en France. De son côté, l’amiral Coustillière, rappelle que les mers, où sévit la piraterie, doivent être occupées par des navires de l’État, seuls autorisés à employer la force en cas de légitime défense. Or, aux États-Unis, celle-ci correspond à l’anticipation, alors qu’en France l’analyse de la situation reste un impératif préalable. Au large de la côte somalienne, la piraterie est contenue, mais pas éradiquée, en raison notamment d’une coordination des patrouilles de Marines de divers pays et de la constitution de convois escortés, particulièrement dissuasifs. Toutefois, les pirates, bien renseignés, attaqueront tout navire qui, par indiscipline, s’aventurerait seul dans une zone réputée dangereuse.

Loïc Salmon

Piraterie maritime : l’action d’Europol

Cyberdéfense : une complexité exponentielle

Cyberdéfense militaire : DEFNET 2015, exercice interarmées à tous les niveaux

En matière de piraterie maritime, le Centre d’étude et de pratique de la survie (CEPS) recommande de : s’informer au préalable 0auprès des ambassades et consulats français et des autorités portuaires ou maritimes compétentes ; s’inscrire au contrôle naval volontaire en océan Indien ; s’assurer du fonctionnement optimal des moyens de communications (valises satellites, radio HF) et des moyens électroniques du bord (GPS, balise d’alerte, radar) ; maintenir une veille permanente anti-piraterie 24h sur 24 ; assurer des tours de garde dans les ports les plus sensibles. Le CEPS préconise aussi des mesures de protection à bord : leurres sur le pont avec des mannequins en tenue d’équipage ; protection du pont par un grillage ; barrière physique (barbelés par exemple) pour éviter l’abordage du navire par l’accrochage d’échelle ; panneaux et pictogrammes dissuasifs autour du navire ; diffuseur d’eau à haute pression autour du navire.