Marine nationale : en opérations sur toutes les mers

En posture permanente de sûreté, la Marine agit, dès le temps de paix, sur l’espace marin de liberté stratégique et de manœuvre. Responsable de l’action de l’État en mer, elle participe aussi aux opérations sur les théâtres extérieurs.

Ce thème a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 15 avril 2015 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine. Y sont notamment intervenus : la contre-amirale Anne Cullerre, sous-chef d’état-major « Opérations aéronavales » ; le capitaine de vaisseau (R) Lars Wedin, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique ; le capitaine de vaisseau Jacques Rivière, chef du bureau « Opérations aéronavales ».

Enjeux et menaces. Outre ses ressources halieutiques et son importance pour le transport de marchandises dans le monde (90 % des échanges), la mer devient un enjeu énergétique, explique le capitaine de vaisseau Wedin. Le parc d’environ 170.000 plates-formes de production d’hydrocarbures (pétrole et gaz) s’accroît de 400 unités par an. S’y ajoutent les éoliennes et hydroliennes (sous-marines), génératrices d’électricité. Or, ces infrastructures affectent l’emploi des radars et les trajectoires de manœuvre des navires marchands pour les éviter. Ces entraves à la circulation maritime se répercutent sur la liberté de navigation. Certains pays riverains, notamment en mer de Chine, créent des zones d’interdiction pour les protéger, notamment des organisations terroristes susceptibles d’utiliser vedettes rapides ou sous-marins de poche pour les endommager, avec des conséquences écologiques et médiatiques. Le commandant Wedin en déduit une stratégie maritime pour le XXIème siècle avec ses composantes économique, financière, industrielle, de défense (OTAN et accords bilatéraux), diplomatique et morale, à savoir la prise en compte de l’importance de la mer par l’opinion publique. L’amirale Cullère rappelle que tous les pays commerçants disposent de Marines militaires pour défendre leurs intérêts maritimes. Ainsi, la Chine et les pays d’Asie du Sud-Est développent leur Marine pour s’assurer la maîtrise des mers environnantes. La guerre froide (1947-1991) semble de retour. Si un bâtiment étranger se rapproche trop près de la Crimée, des unités russes vont immédiatement à sa rencontre. La Russie reconstruit en effet sa Marine, qui montre son pavillon en océan Indien et en Méditerranée. Parallèlement, des avions russes se manifestent le long des côtes atlantiques, indique le capitaine de vaisseau Rivière.

Missions permanentes. Pour garantir la crédibilité de la dissuasion nucléaire, le programme « Cœlacanthe » poursuit la modernisation de la Force océanique stratégique par la mise au format du missile balistique M51 du 3ème SNLE. Pour participer à la protection de ses 80.000 ressortissants français dans le golfe de Guinée, l’opération « Corymbe » combine surveillance maritime et coopération avec les pays riverains pour la prise en charge de leur propre sécurité dans leurs eaux territoriales, explique l’amirale Cullerre. Sur le territoire national (métropole et outre-mer), l’action de l’État en mer (55 missions) inclut la protection des approches maritimes (sémaphores et renseignement). En 2014, 350 personnes ont été secourues, 500 kg de cocaïne saisis et 2.000 engins explosifs neutralisés. En outre, 3.280 marins et gendarmes maritimes ont assuré la sécurité d’enceintes militaires et des installations de la dissuasion. Début 2015, la Marine n’a donc pu fournir de personnels au-delà d’un mois à l’opération « Sentinelle » en Ile-de-France (10.000 personnels mobilisés). En conséquence, l’État-major des armées réfléchit aux nouveaux formats de la défense maritime, opérationnelle et aérienne du territoire. La France participe déjà à la lutte contre l’immigration clandestine dans le cadre de la mission européenne Frontex (renseignement et récupération de naufragés). La France dispose du plus grand réseau d’attachés de défense du monde. Les Commandements supérieurs en Nouvelle-Calédonie (armée de Terre) et en Polynésie française (Marine) remplissent, au sein des pays de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique, des missions de rayonnement, mais avec de plus en plus de difficultés car les moyens financiers diminuent. Les escales de deux frégates de surveillance y contribuent, notamment aux Mexique, Chili, Pérou et en mer de Chine. Si le ministère des Affaires étrangères décide, par exemple, l’envoi de secours aux victimes d’un cyclone aux Philippines, la Marine peut déjà en réaliser la planification sur place. En raison de la présence d’entreprises françaises (CMA et Total) dans la région, des bâtiments militaires français  s’y rendent, mais sans prendre parti dans les litiges territoriaux entre les pays riverains et la Chine, qui se pose en rivale des États-Unis. Par ailleurs, la Marine américaine doit assurer, en permanence, l’ouverture des détroits de Bab-el-Mandeb et d’Ormuz, où la Grande-Bretagne a envoyé des unités et la France un chasseur de mines en avril 2015.

Opérations ponctuelles. Avec ses bâtiments, aéronefs (avion radar Atlantique 2 ou Falcon 50 notamment) et commandos (forces spéciales), la Marine participe aux opérations extérieures, dans un cadre interarmées et en coalition : « Chammal » contre Daech en Irak, « Atalante » contre la piraterie en océan Indien et « Serval » puis « Barkhane » dans la bande sahélo-saharienne. Elle dispose de : 3 bases navales à Cherbourg, Brest et Toulon ; 4 stations navales au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon ; 2 bases interarmées à Djibouti et aux Émirats arabes unis. L’opération « Corymbe » dans le golfe de Guinée est dirigée par l’amiral préfet maritime de Brest, également commandant en chef pour l’Atlantique, en coordination avec ses homologues au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Gabon. Auparavant uniquement effectuées en liaison directe avec la présidence de la République, les projections de forces sur des théâtres extérieurs intègrent la communication opérationnelle, en raison de l’accélération du temps « politico-médiatique », souligne l’amirale Cullerre. En échange du soutien des États-Unis à la France en matière de renseignement et de ravitaillement en vol pendant les opérations « Harmattan » (Libye, 2011) et « Serval » (Mali, 2013), le groupe aéronaval français a assuré la relève d’un porte-avions américain au cours de l’opération « Chammal » (Irak, avril 2015).

Loïc Salmon

Asie-Pacifique : rivalités et négociations sur les enjeux stratégiques

L’océan Indien : espace sous tension

Golfe de Guinée : zone de crises pour longtemps

Avec 11 Mkm2 de zones économiques exclusives réparties sur 7.000 km de côtes sur tous les océans, la France dispose du 2ème domaine maritime mondial, après les États-Unis. Sa Marine compte : 10 sous-marins, dont 6 d’attaque (SNA) et 4 lanceurs d’engins (SNLE) ; 42 bâtiments de combat et de soutien ; près de 200 avions de chasse, de patrouille et de surveillance ainsi que des hélicoptères ; 15 unités de fusiliers et commandos Marine ; 34.000 hommes et femmes, dont 3.000 civils. Le taux de féminisation atteint 13,8 %. Dès 2017, l’équipage du premier SNA Barracuda intégrera 3 officiers féminins. Toutes les spécialités sont ouvertes aux femmes, y compris celles de pilote de chasse embarquée et de commando Marine, si elles réussissent les mêmes tests que les hommes.




Piraterie : encore présente sur mer et en expansion dans le cyberespace

Transport maritime, production pétrolière et flux de données informatiques tirent profit de la mondialisation… avec la menace récurrente d’attaques de pirates, imprévisibles et difficilement identifiables.

Ce parallèle a fait l’objet d’une conférence-débat organisée, le 8 avril 2015 à Paris, par le Master 212 de l’Université Paris-Dauphine et l’Association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Y sont notamment intervenus : le vice-amiral Arnaud Coustillière, officier général cyberdéfense à l’État-major des armées ; Thierry Bourgeois, directeur de la sûreté du groupe Total (hydrocarbures) ; Jacques de Chateauvieux, président de Bourbon (services maritimes pour l’offshore pétrolier) ; Philippe Sathoud, directeur opérationnel au groupe DCNS (équipementier naval) ; Patrick Simon, avocat au barreau de Paris et président de l’Association française du droit maritime ; Patrick de la Morinerie, directeur général adjoint chez Axa Corporate Solutions (assurances).

État des lieux. La technologie informatique embarquée d’un navire civil et les infrastructures portuaires restent vulnérables aux cyberattaques. Via internet, un « hacker » (pirate informatique) pourrait en effet modifier les paramètres de conditionnement de sa cargaison ou, pire, ceux de ses automates et le dérouter de sa destination. Les risques encourus diffèrent pour les porte-conteneurs (CMA), les unités de servitude offshore (Bourbon) ou les navires spécialisés (Louis-Dreyfus Armateurs), souligne l’amiral Coustillière. Présent dans 132 pays où il produit (à terre ou au large) ou distribue pétrole ou gaz, Total les classe selon le niveau d’insécurité ordinaire, l’instabilité politique et le terrorisme. Il exclut toute activité en Somalie, Syrie et Afghanistan, classés « rouges ». Au Nigeria, les personnels de ses plates-formes en mer sont acheminés par hélicoptère et les matériels par chalands, escortés par des patrouilleurs militaires. Faute de moyens suffisants des États riverains, la piraterie perdure dans le golfe de Guinée. Un centre de coordination anti-piraterie est en cours d’installation. Comme pour le détroit de Malacca, les navires doivent y être connectés par le système d’identification AIS, qui permet de connaître leur position exacte en permanence. Toutefois, les pirates, très bien renseignés, peuvent ainsi les localiser et, en cas d’attaque réussie, commencent par déconnecter l’AIS. Selon AXA, la piraterie diminue dans le monde, mais devient plus efficace : pour un trafic annuel moyen de  150.000-200.000 passages dans les zones dangereuses (détroit de Malacca et golfes d’Aden et de Guinée), le taux de succès est passé de 66 % sur 445 attaques en 2009 à 95% sur 245 attaques en 2014. Il reste encore 400 marins détenus à terre par des pirates en mars 2015, contre 1.000 en 2005. Bourbon, qui déploie 90 bateaux-navettes au Nigeria et 300 dans le golfe de Guinée, n’y envoie que des volontaires parmi ses 12.000 marins. La Norvège et les Philippines ont interdit à leurs ressortissants de travailler au Nigeria. Les compagnies d’assurances prennent en charge les dommages en mutualisant les risques en fonction des données statistiques. Mais, indique AXA, comme ces dernières n’existent pas en cybercriminalité, elles établissent… des scénarios de risques !

Sûreté et protection. Total se prémunit de la cybercriminalité à bord de ses installations de diverses façons : anti-virus ; mesures des flux en entrée et sortie pour détecter les comportements anormaux ; recours aux agences de protection pour identifier les programmes malveillants et les éliminer. Des « passerelles » protégées relient l’informatique de gestion (connectée à internet) à celle, dite « industrielle », des installations techniques. Le manque de vigilance des personnels se trouve souvent à l’origine des dégâts mineurs constatés. De son côté, DCNS a établi une procédure réglementant l’accès à l’informatique du bord, a mis au point des logiciels de repérage et forme les équipages à la détection ou l’intervention. En ce qui concerne les attaques physiques, Total se protège différemment selon le contexte juridique. Dans les pays où l’État est actionnaire ou propriétaire des installations de production, il met des gendarmes à la disposition de Total, qui assure l’exploitation du site. Pour les forages en mer par grande profondeur, l’État riverain est unique propriétaire des installations, dont le coût d’exploitation est partagé entre les différents partenaires. Face à la menace de la piraterie maritime, Bourbon a équipé ses navires d’une « citadelle » à l’épreuve des balles du fusil d’assaut de type kalachnikov et où l’équipage se réfugie jusqu’au départ des pirates, incapables alors de conduire le navire. En outre, les équipages sont formés et entraînés pour prendre conscience du danger et s’habituer à la discipline. En cas d’attaque, une procédure permet à l’équipage  d’informer les autorités compétentes. Pour ce type d’opération, DCNS dispose du patrouilleur de sauvegarde maritime L’Adroit, équipé de moyens de communication sécurisés et qui embarque un hélicoptère, des drones de surveillance et des commandos. Concrètement, sur la base de renseignements, la Marine du pays riverain intervient, de jour comme de nuit et quelles que soient les conditions météorologiques. L’avocat Patrick Simon estime nécessaire l’embarquement de sociétés militaires privées, comme aux États-Unis et comme la loi l’autorise  en France. De son côté, l’amiral Coustillière, rappelle que les mers, où sévit la piraterie, doivent être occupées par des navires de l’État, seuls autorisés à employer la force en cas de légitime défense. Or, aux États-Unis, celle-ci correspond à l’anticipation, alors qu’en France l’analyse de la situation reste un impératif préalable. Au large de la côte somalienne, la piraterie est contenue, mais pas éradiquée, en raison notamment d’une coordination des patrouilles de Marines de divers pays et de la constitution de convois escortés, particulièrement dissuasifs. Toutefois, les pirates, bien renseignés, attaqueront tout navire qui, par indiscipline, s’aventurerait seul dans une zone réputée dangereuse.

Loïc Salmon

Piraterie maritime : l’action d’Europol

Cyberdéfense : une complexité exponentielle

Cyberdéfense militaire : DEFNET 2015, exercice interarmées à tous les niveaux

En matière de piraterie maritime, le Centre d’étude et de pratique de la survie (CEPS) recommande de : s’informer au préalable 0auprès des ambassades et consulats français et des autorités portuaires ou maritimes compétentes ; s’inscrire au contrôle naval volontaire en océan Indien ; s’assurer du fonctionnement optimal des moyens de communications (valises satellites, radio HF) et des moyens électroniques du bord (GPS, balise d’alerte, radar) ; maintenir une veille permanente anti-piraterie 24h sur 24 ; assurer des tours de garde dans les ports les plus sensibles. Le CEPS préconise aussi des mesures de protection à bord : leurres sur le pont avec des mannequins en tenue d’équipage ; protection du pont par un grillage ; barrière physique (barbelés par exemple) pour éviter l’abordage du navire par l’accrochage d’échelle ; panneaux et pictogrammes dissuasifs autour du navire ; diffuseur d’eau à haute pression autour du navire.




Mali : succès de la Mission européenne de formation et d’expertise

La Mission européenne d’entraînement au Mali (EUTM Mali), qui répond aux attentes des autorités maliennes, constitue un laboratoire pour la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne.

Telle est l’opinion de son chef, le général de brigade Bruno Guibert, qui a présenté la situation à mi-mandat à la presse le 29 août 2013 à Paris.

Réactivité et adaptabilité. L’Union européenne (UE) a manifesté une réactivité certaine : la formation sur le terrain a commencé moins de trois mois après la prise de décision. L’EUTM Mali, constituée en janvier 2013, a investi 13 M€ dans la rénovation du camp d’entraînement de Koulikoro. Elle compte 560 personnels de 23 pays, dont 120 Français. Ses missions de formation et d’expertise/conseil visent à aider à la reconstruction complète de l’armée malienne. Chacune des 15 nations participant à la formation des unités combattantes assure seule la responsabilité de l’instruction d’une spécialité où son excellence est reconnue. Il y a 200 instructeurs en tout. Cela entraîne une plus-value sur le plan opérationnel et permet une répartition des efforts entre toutes les nations participantes. L’entraînement de quatre bataillons maliens avec des hommes déjà engagés sur le terrain concerne toutes les spécialités, mais aussi l’exercice de l’autorité, condition essentielle pour que l’armée malienne reprenne confiance en elle. Il inclut le droit humanitaire, des règles de comportement, l’adaptation au contexte et la formation globale tactique.

L’approche française, explique le général, différente de l’américaine, consiste à prendre en compte un bataillon complet, du soldat au chef, pour maintenir sa cohérence et améliorer sa capacité opérationnelle. Le chef malien, en situation, donne des ordres à ses hommes, renforçant ainsi sa confiance en lui et celle qu’il leur inspire (leadership). « Nous, nous donnons des conseils », souligne le général. Cette formation dure 11 semaines, fait considéré comme exceptionnel à l’échelle de l’armée malienne. « Ça marche ! Ce sont des soldats qui parlent à d’autres soldats, il n’y a pas de divergences ». Ensuite, l’EUTM Mali apporte son expertise et ses conseils dans la construction d’une chaîne de commandement opérationnelle malienne.

Résultats et perspectives. Six mois après le lancement de l’EUTM Mali, le premier bataillon formé a été déployé dans le Nord du pays et le deuxième achève son entraînement. Le troisième commencera sa formation le 30 septembre. Le quatrième fera de même début janvier 2014. Un détachement d’assistance opérationnelle d’une vingtaine de militaires français accompagne les bataillons maliens déployés sur le terrain. Les résultats sont encourageants, estime le général Guibert, qui a constaté une adhésion enthousiaste des militaires maliens, qui font des efforts significatifs.

Un audit sévère avait été réalisé auparavant sur l’armée malienne, dont la défaite contre les djihadistes en janvier 2013 avait entraîné le déclenchement de l’opération « Serval » par les forces françaises. Pourtant, le président malien par intérim Dioncounda Traoré avait promu général de corps d’armée le capitaine Amadou Sanogo, responsable du coup d’Etat de mars 2012, et lui avait confié la direction d’un Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité. Toutefois, le 28 août, le gouvernement intérimaire a abrogé la nomination du général Sanogo, à la suite de la victoire d’Ibrahim Boubacar Keita à l’élection présidentielle du 11 août. Le général Sanogo avait proposé des recommandations… qui ne seront guère prises en considération. En effet, le général Guibert a souligné qu’il ne traite qu’avec les autorités légales. Le nouveau président Ibrahim Keita entend poursuivre ce qui a été entrepris avec l’ONU, l’UE et la France. Il s’agit de pérenniser les acquis, renforcer l’action de formation et restructurer l’armée. Le détachement de liaison et d’expertise (ALTF en anglais) regroupe une équipe pluridisciplinaire d’une vingtaine de conseillers militaires dans les domaines du cadre général de la défense, du commandement et de la préparation opérationnels, du soutien logistique et des ressources humaines. L’ALTF assiste également les états-majors de l’armée malienne dans la rédaction des textes fondamentaux. Une loi de programmation militaire (2014-2018), élaborée par l’EUTM Mali à la demande des autorités intérimaires maliennes, sera présentée au président Keita, puis validée par la prochaine Assemblée nationale. D’autres pays européens peuvent encore compléter l’EUTM Mali, qui bénéficie déjà du savoir-faire des nations participantes et dont la mission s’inscrit dans l’approche globale de l’UE au Sahel. A cet effet, le général Guibert doit se rendre à Bruxelles et aussi à Vilnius (Lituanie), lors de la réunion informelle des ministres de la défense de l’UE (6 septembre).

Sécurisation. Selon l’Etat-major des armées, les djihadistes se sont repliés vers le Nord. Une opération de sécurisation, dénommée « Anaconda 2 », a été lancée dans le Nord du Mali et consiste à reconnaître les axes et contrôler la zone. La phase 1, menée au Nord de la ville de Gao du 13 au 25 août, a mobilisé 160 personnels du Groupement tactique interarmes « Désert », des hélicoptères, un appui aérien, des moyens de renseignement et des gendarmes, dont 3 Maliens. Grâce aux renseignements d’opportunité fournis par la population elle-même, de l’armement, des munitions, grenades, explosifs et détonateurs ont été saisis dans des caches anciennes. La phase 2, menée au Sud d’Almoustarat du 27 août au 2 septembre, a mobilisé 170 personnels français, surtout de l’infanterie, et 2 gendarmes  maliens. Elle avait pour objectifs de marquer la présence de Serval de façon imprévisible dans des endroits déjà inspectés et de  détruire la présence et la structure des djihadistes. Ces opérations de sécurisation visent à faire pression sur leurs capacités logistiques, afin d’éviter qu’ils reprennent pied dans la boucle du Niger.

Loïc Salmon

Mali : la boucle du Niger contrôlée en 48 h par les forces franco-africaines

Mali : l’opération Serval va baisser en puissance à partir d’avril

Armée de Terre : l’effet « Mali » sur le recrutement

Le dispositif « Serval » et la Mission des Nations unies pour la      stabilisation du Mali (MINUSMA) assurent la sécurité de la Mission européenne d’entraînement au Mali. Selon l’Etat-major français des armées, « Serval » va passer de 3.200 hommes début septembre à 1.000 hommes cet hiver. Ses moyens aériens se composent de : 6 Rafale et 3 Mirage 2000D pour les frappes ; 1 avion de reconnaissance ATL2 et des drones pour le renseignement ; 1 avion ravitailleur C-135 ; 1 C-160 Transall, 1 C-130 Hercules et 1 Casa CN 235 pour le transport tactique. Les forces françaises sont réparties entre les villes de Bamako, Gao et Kidal ainsi que le massif de l’Adrar-Tessalit. Les forces africaines déployées dans le pays comprennent 8 bataillons maliens et des unités de la MINUSMA (Burkina-Faso, Ghana, Bénin, Tchad, Sénégal, Niger et Togo). Elles sont accompagnées de détachements français de liaison et d’appui.




Armements : la France parmi les cinq principaux exportateurs

Avec 4,8 Md€ de prises de commandes d’armement en 2012 contre 6,5 Md€ l’année précédente, la France se maintient dans le peloton de tête des exportateurs mondiaux. Toutefois, le marché de l’armement fonctionne par cycles où le poids des contrats majeurs prédomine, explique le rapport au Parlement sur les exportations françaises d’armement, présenté le 11 septembre 2013 par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Pour la période 2008-2012, les prises de commandes françaises (contrats signés et premiers acomptes versés) se répartissent essentiellement entre l’Asie avec 26,9 %, les Amériques (26,3 %), les Proche et Moyen-Orient (21,4 %), l’Europe (16 %) et l’Afrique (5,2 %). Sur le plan mondial entre 2006-2011, les Etats-Unis arrivent en tête avec 48 % des parts du marché, suivis de la Russie (12 %), de la Grande-Bretagne (10,8 %), de la France (8,6 %) et d’Israël (5 %). Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, les dépenses militaires dans le monde, quoiqu’en baisse de 0,5 % en un an, ont totalisé 1.244 Md€ en 2012 et le volume des exportations d’armement a augmenté de 9 % avec des prises de commandes de 79,5 Md€. La Russie, qui souhaite se donner les moyens militaires d’une politique de puissance a augmenté ses dépenses d’armement de 113 % entre 2003 et 2012 et va y consacrer 600 Md€ d’ici à 2022. Malgré la réduction des budgets de défense, les dépenses militaires des Etats-Unis représentent 40 % du total mondial et celles des pays européens 18 %, dont celles de la France 3,4 %. Selon les données officielles des Etats, les pays européens de l’OTAN ont dépensé 285 Md€ pour leur défense, soit moins que ceux d’Asie-Pacifique avec 300 Md€. Ces derniers, qui ont connu une croissance économique depuis dix ans, renforcent en effet leurs capacités de défense en raison de leur perception des risques et menaces liés à leur environnement régional. Par ailleurs, le 2 avril 2013, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté le Traité sur le commerce des armes à une très large majorité. La France l’a signé le 3 juin ainsi que 66 Etats, dont 24 de l’Union européenne. Ce traité interdit tout transfert d’armement qui aurait pour conséquences, notamment, la violation d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, le non-respect par un Etat de ses obligations internationales ou encore des attaques dirigées contre des populations civiles ou des biens civils protégés par des accords internationaux. Ce traité doit encore être ratifié par les Parlements de 50 Etats pour entrer en vigueur.

Loïc Salmon

DGA : l’expertise technologique, avenir de l’outil de défense

Eurosatory 2012: armements terrestres, enjeux et perspectives

Les GTIA en Opex : besoin urgent d’armements adaptés




Afrique : nouvelle frontière de la Chine avec des enjeux stratégiques

En raison de l’importance de sa présence économique en Afrique, la Chine doit protéger ses ressortissants et ses approvisionnements en matières premières. La lutte contre la piraterie lui permet d’entraîner sa Marine en haute mer et de développer des liens avec les pays riverains dans la durée.

La sécurité en Afrique de l’Est a été abordée au cours d’un séminaire organisé, le 21 mai 2014 à Paris, par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Y ont notamment participé Jean-Pierre Cabestan, directeur du département de sciences politiques de l’Université baptiste de Hong Kong, et Raphaël Rossignol, spécialiste des relations Chine-Afrique à l’École des hautes études en sciences sociales.

Diplomatie économique. La présence, déjà ancienne, de la Chine en Afrique s’est amplifiée depuis la fin des années 1990, explique Jean-Pierre Cabestan. Après y avoir évincé Taïwan en nouant des relations diplomatiques avec 50 pays sur 54, elle souhaite accroître son influence en Afrique et, par contrecoup, dans les instances internationales en proposant une politique de non-ingérence dans les affaires intérieures des États, une coopération entre pays de l’hémisphère Sud et un modèle de développement autoritaire. Soucieuse d’affaiblir la présence économique et l’influence politique de l’Occident sur le continent, elle se positionne juste derrière l’Union européenne, mais devant les États-Unis, la Turquie, le Japon et l’Inde. Les échanges bilatéraux sont passés de 12 Mds$ en 2000 à 198,6 Mds$ en 2012 et représentent 5,1 % du commerce extérieur de la Chine et 16,1 % de celui de l’Afrique. Les importations chinoises (113,3 Mds$ en 2012) sont constituées à 80 % de matières premières, dont 65 % de produits pétroliers et 15 % de minerais. Les exportations chinoises (85,3 Mds$ en 2012) portent surtout sur les biens de consommation (20 %), d’équipements  (36 %) et intermédiaires (35 %). Les principaux pays partenaires de la Chine sont l’Afrique du Sud (30,2 % du total en Afrique) et l’Angola (18,9 %), envers lesquels sa balance commerciale reste déficitaire. La Chine trouve aussi en Afrique de nouveaux marchés pour ses entreprises de construction d’infrastructures et de télécommunications, qui y concluent le tiers de leurs contrats internationaux. La Chine réalise 40 % des projets financés par la Banque mondiale et 10 % de l’ensemble de l’investissement africain en infrastructures.  Plutôt que de fournir une aide  au développement, la Chine a longtemps préféré construire sur place écoles et hôpitaux. Elle pratique aussi la coopération « verrouillée » qui alimente l’endettement africain à son égard, indique Jean-Pierre Cabestan. Ainsi, en Angola, des projets, financés sans appel d’offres par la Banque chinoise pour le développement ou la Banque export import chinoise, sont réalisés par une entreprise chinoise avec de la main d’œuvre chinoise et payés en pétrole. Toutefois, le Gabon et le Tchad tentent de limiter la présence chinoise en restreignant les contrats avec les entreprises chinoises. Aujourd’hui, la Chine compte plus de 2 millions de ressortissants en Afrique et quelque 2.000 entreprises dans des zones devenues dangereuses, comme l’Ogaden, le Soudan du Sud et le Nord du Cameroun. Mais la méconnaissance du terrain et la faiblesse de ses moyens pour assurer leur protection rendent nécessaire une coopération avec les États-Unis et même l’Éthiopie, principale puissance régionale de l’Afrique de l’Est.

Conflictualité régionale. Raphaël Rossignol a déterminé cinq zones de conflictualité en Afrique de l’Est : Soudan, Éthiopie, Érythrée, Somalie et Djibouti. Au Soudan, un long conflit a débouché sur la partition du pays en 2011. Les deux Soudan sont parvenus à un accord sur le partage des ressources pétrolières. Un oléoduc relie Juba (Soudan du Sud), zone d’extraction, à Port Soudan (Nord), centre d’exploitation. Puis une guerre économique, déclenchée par Khartoum et portant sur le changement de monnaie en un délai trop court, a fait perdre 700 M$ à Juba, qui n’a pas encore réglé sa redevance d’exploitation et cherche désormais à écouler son pétrole vers l’Ouganda et le Kenya. L’Érythrée, indépendante de l’Éthiopie depuis 1993, est entrée en nouveau en conflit avec elle en 1998, lequel perdure de façon larvée. L’Éthiopie, qui occupe une place importante dans la région, est crainte par les pays voisins, qui redoutent une résurgence de l’ancien empire d’Abyssinie. La Somalie, qui n’a jamais été gouvernée par une autorité unique depuis le Moyen-Age, n’a pu, après la chute du pouvoir central en 1991, réaliser l’unité territoriale qui lui aurait permis de rivaliser avec l’Éthiopie. La République de Djibouti, indépendante de la France depuis 1977, est considérée comme stratégique par les États-Unis. C’est en effet le débouché méridional de la Corne de l’Afrique, où transite le commerce maritime international qui subit le préjudice de la piraterie.

Diplomatie navale. Sa participation à la lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden a fourni à la Chine une opportunité de s’affirmer sur les plans militaire et diplomatique, comme l’explique Raphaël Rossignol dans un document publié par l’IRSEM en 2013. Depuis décembre 2008, elle y envoie deux bâtiments de combat et un pétrolier ravitailleur pour escorter des navires marchands chinois, obligés de demander leur protection directement au ministère des Télécommunications à Pékin, qui transmet à l’État-major  de la Marine. Cette opération nécessite des moyens logistiques importants, faute de disposer des facilités de la base navale de Djibouti comme les unités françaises et américaines présentes sur zone. Du fait de la nécessaire coordination de la surveillance du golfe d’Aden, cela permet aussi de nouer des liens avec les Marines du Japon et de la Corée du Sud, traditionnellement hostiles au développement de l’outil militaire chinois. En outre, mise en situation de crise réelle, la Marine chinoise acquiert ainsi une solide expérience en relativement peu de temps, en vue de futures missions à longue distance. Elle démontre aussi à la Marine de l’Inde, pays rival, sa capacité à opérer jusqu’en océan Indien. Par ailleurs, la Chine estime que son accès à la mer Rouge et au canal de Suez pourrait être, éventuellement, menacé par la présence de forces américaines en Égypte, à Djibouti, en Arabie saoudite,  à Bahreïn, au Koweït, à Oman et dans les Émirats arabes unis, sans oublier les moyens militaires français stationnés à Djibouti et à Abou Dhabi. Enfin, la présence de sa Marine au large des côtes de Somalie permet à la Chine de reconnaître le terrain et de tenter de nouer des relations avec les États riverains, en vue du stationnement éventuel de troupes.

Loïc Salmon

Chine : montée en puissance plus diplomatique que militaire

Evolution et continuité de la gestion des crises en Afrique

Selon l’OCDE, les échanges commerciaux de l’Afrique ont augmenté de 708 % avec la Chine, de 506 % avec l’Inde, de 126 % avec l’Union européenne et de 122 % avec les États-Unis entre 2000 et 2009 (carte). En outre, d’après l’Association (américaine) de politique étrangère, les exportations de matières premières de l’Afrique ont crû de 2.126 % vers la Chine, de 402 % vers les États-Unis et de 119 % vers l’Union européenne entre 1998 et 2006.




Les devoirs et les intérêts diplomatiques de la France

Le respect du droit et le maintien de la paix priment dans les difficiles résolutions des crises, comme les engagements en Afghanistan et en Libye, le terrorisme, les prises d’otages et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive (Iran). Ces priorités diplomatiques ont été exposées le 7 octobre 2011 à Paris, par Pierre Sellal, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE), lors du séminaire d’ouverture des sessions nationales de l’Institut des hautes études de défense nationale et de l’Institut des hautes études de la sécurité et de la justice.

En vue d’une solidarité internationale plus juste et plus efficace, les objectifs du MAEE consistent à : accompagner les « printemps arabes » en Tunisie, Maroc et Libye« sans arrogance ni ingérence mais avec disponibilité et soutien » et y favoriser la démocratie ; encourager la démocratie en Afrique ; renforcer la capacité d’action de la solidarité européenne ; promouvoir l’Europe de la défense.

Pays arabes : en Libye, la protection de la population civile contre un régime dictatorial a motivé l’intervention militaire de l’OTAN. En Syrie, des sanctions ont été demandées contre le régime qui cherche à étouffer la démocratie. Afin de construire un espace de paix et de prospérité dans cette région, le sommet de Deauville (mai 2011), auquel ont participé le Koweït, le Qatar et la Turquie, a débouché sur une aide de 40 Md$ à la Tunisie et l’Egypte pour l’emploi et la formation avec l’intervention de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. En vue d’agir sur le long terme, l’Union européenne va renforcer le volet méridional de sa politique de voisinage par une nouvelle répartition des crédits : deux tiers pour les pays du Sud et un tiers pour ceux de l’Est. L’initiative française (2008) de l’Union pour la Méditerranée, destinée à renforcer les solidarités entre les pays riverains, progresse, notamment par la mobilisation de crédits pour les transports, l’énergie et l’enseignement supérieur. Le faible intérêt américain pour le Maghreb et la Libye accroît les responsabilités de l’Union européenne, indique Pierre Sellal. Quant au conflit israélo-palestinien et parallèlement à la reprise des négociations entre les deux parties, la France a proposé d’offrir à la Palestine le statut d’Etat observateur à l’ONU (comme le Vatican), question dont l’Assemblée générale doit être saisie et qui lui permettrait de devenir membre des organisations internationales annexes des Nations unies comme l’Unesco (1). Devant l’échec des initiatives des Etats-Unis, précise Pierre Sellal, le Conseil de sécurité devrait s’engager, dans un délai de six mois à un an, sur les efforts à entreprendre en vue de la paix.

Afrique : riche en ressources naturelles, elle connaît une croissance économique de 5,6 % en 2011, qui pourrait atteindre 6 % en 2012. L’Agence française de développement soutient les projets d’accompagnement de cette croissance et organise des échanges de chercheurs. La population africaine représentera le quart de l’humanité en 2050. En conséquence, la paix est la condition de la prospérité et de la démocratie. En concertation avec l’ONU et l’Union africaine, la France participe au rétablissement de la démocratie au Congo Kinshasa, à Madagascar, au Soudan du Sud et en Somalie. Elle appelle aussi de nouveaux acteurs à participer à des financements innovants pour lutter contre la pauvreté en respectant des règles de conduite pour éviter la spirale de l’endettement. Le G20 (19 pays et l’Union européenne) doit consacrer 10 Md$ à l’Afrique, soit la moitié de son aide à la coopération et au développement dans le monde (infrastructures et sécurité alimentaire).

Union européenne (UE) : la France ne pourra peser sur les évolutions en Afrique et de l’autre côté de la Méditerranée que si elle peut compter sur une UE dynamique, souligne Pierre Sellal, en mobilisant, avec l’aide de l’Allemagne, sa capacité d’impulsion. Ces deux pays sont déterminés à préserver les intérêts communs de l’UE (zone euro et soutien à la Grèce) depuis la crise financière de 2008 qui a touché tous les pays industrialisés, y compris les Etats-Unis. L’euro, monnaie unique, suppose la convergence des économies des Etats membres. En 2011, l’UE a décidé la mise en place d’un Fonds européen de stabilisation financière en vue d’un gouvernement économique européen. « Le gouvernement économique n’a de chances de succès que s’il implique les chefs d’Etat et de gouvernement par un sommet », avertit Pierre Sellal. Par ailleurs, l’espace Schengen renforce la discipline et la solidarité communes en matière de liberté, de sécurité et de justice. Enfin, deux ans après le traité de Lisbonne, une politique étrangère commune est sur les rails avec une présidence stable du Conseil européen et une représentation diplomatique.

Défense européenne : la crise économique contraignant les budgets militaires, il convient de mutualiser les moyens comme l’ont fait la France et la Grande-Bretagne lors de l’intervention en Libye. Il s’agit de faire de même avec l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne. « Il faut une Europe sûre d’elle-même, capable de parler avec les puissances émergentes pour définir les règles d’un monde nouveau dans le respect de valeurs partagées », déclare Pierre Sellal. Des partenariats stratégiques sont ouverts depuis un an avec la Chine et l’Inde, selon le principe de réciprocité. Enfin, le MAEE apportera toute sa crédibilité à la révision du Livre Blanc sur la défense et la sécurité avec « l’engagement, dans l’éthique, d’actions pour analyser, comprendre, convaincre, peser et agir », conclut son secrétaire général.

Loïc Salmon

(1) Vote favorable acquis le 31 octobre 2011 avec 107 voix pour, dont celle de la France, 14 voix contre et 52 abstentions.

Pierre Sellal choisit les Affaires étrangères à sa sortie de l’Ecole nationale d’administration (1977). Il est notamment secrétaire à la direction des Nations unies au ministère à Paris (1977-80), conseiller à la Représentation permanente de la France auprès des Communautés européennes à  Bruxelles (1981-84), ministre-conseiller à l’ambassade de France à Rome (1990-92), ambassadeur auprès de la Communauté européenne à Bruxelles (2002-2009) et secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et européennes depuis le 14 avril 2009. Au cours de sa carrière diplomatique, il a également été conseiller technique au cabinet du ministre du Commerce extérieur (1980-81), secrétaire général adjoint du Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne auprès du Premier ministre (1985-1990) et directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine (1997-2002). Nommé par l’Etat au conseil de surveillance du groupe Areva (énergie nucléaire), le ministre plénipotentiaire hors classe Pierre Sellal est chevalier de la Légion d’Honneur.

 




DCI : actions communes de défense et de diplomatie

Outil de la politique d’exportation d’armement et porteur de l’image des armées, Défense Conseil International (DCI) contribue à l’influence de la France par le partage de savoir-faire, la garantie de qualité et la création de relations durables avec les pays clients.

Son président-directeur général Jean-Michel Palagos l’a expliqué au cours d’une conférence-débat organisée, le 11 juin 2014 à Paris, par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale.

La stratégie. Outre son droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, la France occupe une place à part parmi la communauté internationale par son indépendance historique des blocs et des courants de pensée dominants : guerre du Golfe (1991), non-intervention en Irak (2003), engagement au Mali (2013). Son courage, souligne Jean-Michel Palagos, la fait respecter dans le monde, car elle est venue secourir certains pays sans rien demander en retour, notamment en ce qui concerne la situation en Syrie, au Liban et dans la bande sahélo-saharienne. Le Koweït n’a pas oublié que DCI est la seule entreprise occidentale à ne pas avoir quitté le pays en 1990, lors de son invasion par l’armée irakienne. Depuis la construction de frégates Sawari pour l’Arabie Saoudite dans les années 1980 puis la formation à la souveraineté en mer des États voisins (Qatar et Émirats arabes unis), la France a implanté une base de défense navale, aérienne et terrestre à Abou Dhabi en 2009 pour sécuriser ses approvisionnements pétroliers et gaziers. La mer Rouge, autrefois sous influence de la Grande Bretagne, passe sous celle de la France. Par ailleurs, les forces armées françaises, qui ont réussi leur retrait d’Afghanistan, sont devenues les meilleures d’Europe, car capables de remplir la totalité des missions pour installer la paix et combattre le terrorisme. DCI fait payer ses prestations par les États demandeurs. La Direction de la coopération de sécurité et de défense du ministère des Affaires étrangères lui sous-traite les transferts de formation dans les pays en développement. Outre les pays arabes, DCI prospecte en Malaisie, Amérique du Sud et Afrique. Les pays de la corne de l’Afrique bénéficient d’une croissance économique grâce aux cultures vivrières et au pétrole offshore, mais ressentent un besoin de sécurité, notamment contre la piraterie maritime. Toutefois, tout transfert de savoir-faire militaire doit recevoir au préalable le feu vert  de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre. Celle-ci examine les dossiers au cas par cas, selon la technologie à transférer et les risques concernant le pays demandeur. Auparavant, pour éviter toute imprudence, DCI s’informe auprès de la Direction des affaires stratégiques du ministère de la Défense sur la portée stratégique et le contenu technique du projet demandé. Ainsi, DCI-NAVCO va assurer la formation opérationnelle des équipages des bâtiments russes de projection et de commandement Vladivostok et Sébastopol, en construction au chantier naval de Saint-Nazaire.

La méthode. DCI-DESCO apporte conseils et qualifications tout au long du cycle de vie d’un équipement, sauf sa fourniture initiale qui incombe à l’industriel. Ce dernier suit une logique de recherche, développement et performance d’un matériel neuf et n’assure son maintien en condition opérationnelle (MCO) qu’en France. Fidèle à sa logique de service, DCI fait du MCO à la demande du client étranger. En effet, même si l’équipement n’est pas entretenu, son dysfonctionnement sera toujours imputé à l’exportateur ! Partenaire mais indépendant de tous les industriels français, DCI étudie les besoins spécifiques des états-majors étrangers, jamais identiques d’un pays à l’autre. Ils veulent l’équipement, comprendre son fonctionnement, une formation opérationnelle, une opérabilité entre systèmes d’armes et participer à des manœuvres internationales. Ainsi, DCI facilite la coordination avec le chantier naval lors de l’immobilité de longue durée d’un navire pour entretien et réparations. Il forme notamment : équipages d’aviation légère d’une armée de Terre étrangère au vol tactique de nuit avec des jumelles à vision nocturne ; plongeurs démineurs ; Forces spéciales de montagne ; personnels de sécurité aérienne. Relais des Écoles militaires françaises, il forme des spécialistes et des élèves officiers étrangers, dont environ 1.000 sont déjà passés par Saint-Cyr, l’École navale ou l’École de l’Air avant d’entrer dans l’élite militaire de leurs pays d’origine. Par exemple, les futurs officiers de Marine, âgés de 20 ans, séjournent 7 ans en France : 2 ans immergés dans une famille à Cherbourg avec des cours de français, mathématiques et physique ; 2 ans dans un institut universitaire de technologie ; 2 ans en université ; 1 an avec une promotion de l’École Navale. Ils en ressortent bilingues et francophiles.

Le personnel. La moitié du personnel de DCI vit hors de France : militaires en fin de contrat ou retraités, personnels détachés et jeunes diplômés civils. Les spécialistes se présentent pour poursuivre leur métier de base ou pour travailler dans un pays où ils ont été affectés au cours de leur carrière militaire. Mais ils doivent présenter des compétences transférables : plongeur démineur, mécanicien de char Leclerc ou d’hélicoptère ou pilote d’avion par exemple. Le détachement de pilotes de chasse à DCI, dans la limite des contraintes opérationnelles, ne coûte rien à l’armée de l’Air et contribue à son image de marque à l’étranger. Alors que la Marine française ne déploie que des sous-marins à propulsion nucléaire, le groupe DCNS construit aussi des submersibles diesel Scorpène pour l’exportation, dont les équipages étrangers devront apprendre à se servir. DCI forme alors à la propulsion diesel d’anciens sous-mariniers français, qui pourront aussi transférer leur savoir-faire en matière de navigation et de conduite opérationnelle. DCI recrute 250 personnes/an selon des critères stricts : avoir quitté leur armée d’origine en bons termes ; adaptation à un autre cadre de vie ; ouverture sur le monde ; être conscient que son savoir-faire contribue au rayonnement de la France. « Il faut 42 ans (encadré) pour faire des transferts de savoir-faire », estime le président-directeur général de DCI.

Loïc Salmon

Armements : maintien des exportateurs traditionnels et émergence de nouveaux

DGA : l’expertise technologique, avenir de l’outil de défense

Euronaval 2012 : défis maritime et industriel

Défense Conseil international (DCI) a regroupé, en 2000, quatre sociétés privées qui accompagnent les grands programmes d’exportations d’armement : COFRAS, créée en 1972 pour les forces terrestres et de gendarmerie ; NAVFCO (1980) pour les Marines ; AIRCO (1984) pour les forces aériennes ; DESCO (1990) pour la sécurisation des programmes. L’actionnariat de DCI se répartit entre : l’État français, 49,90 % ; la société Sofema (maintenance d’équipements militaires), 30 % ; Sofresa (exportation de systèmes avancés), 10 % ; Eurotradia International (conseil et service), 10 %. En 2013, DCI, qui emploie 800 personnes, a réalisé un résultat net de 20 M€ sur un chiffre d’affaires de 221 M€ avec un carnet de commandes de 339 M€. Actif dans une centaine de pays, il dispose de représentations permanentes en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Koweït, au Qatar et à Singapour.




Défense : panorama des zones à risques

Le ministre de la Défense Gérard Longuet a présenté, sous l’aspect militaire, les situations en Libye, Syrie, Afghanistan, Iran et Afrique, lors d’un déjeuner organisé le 16 novembre 2011 à Paris par l’Association des journalistes de défense.

Libye : « Les guerres se gagnent au sol et pas dans l’air », a déclaré le ministre, estimant que l’intervention aérienne n’aurait pas permis de trouver une solution à la crise, sans l’organisation de combattants par le Conseil national de transition libyen. Il en a tiré trois enseignements. D’abord, « sans les Libyens, Kadhafi serait toujours là et, sans l’opération Harmattan, il n’y aurait pas d’opposants libyens ». Ensuite, il a fallu construire une coalition : au départ, il y avait trois états-majors (France, Grande-Bretagne et Etats-Unis), puis le secrétaire général de l’OTAN a pris en compte la dimension politique. Enfin, le conflit a prouvé « qu’on peut faire quelque chose avec les Etats-Unis, sans qu’ils soient les premiers ni les demandeurs. Ils ont donné les moyens de soutien ». La surveillance aérienne des dépôts de munitions se poursuit sur le théâtre opérationnel près de la mer, mais pas en profondeur. Quant au risque de dissémination des armes, le ministre a souligné que leur emploi demande un certain niveau de logistique et d’entretien, sans compter la date de préemption des munitions.

Syrie : une intervention militaire nécessite une décision du conseil de sécurité de l’ONU. Le terrain n’est pas le même qu’en Libye : chaque camp est imbriqué totalement dans chaque ville, qui constitue un lieu de combat.

Afghanistan : un retrait des troupes dès 2012 est incompatible avec le statut de membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies. « Nous ne pouvons décider seuls de notre participation ou de notre retrait, nous sommes solidaires ». La situation en Afghanistan concerne aussi ses voisins : l’Inde, qui souhaite un Afghanistan pacifique et non dépendant du Pakistan ; l’Iran, qui souffre du trafic de la drogue d’origine afghane ; la Chine, qui recherche des relations normales entre l’Afghanistan et le Pakistan. ; les Etats-Unis pour toutes ces raisons. L’armée et la police afghanes totalisent environ 280.000 hommes qui assurent la présence de l’Etat, lequel doit se construire dans la durée et avec suffisamment d’argent pour fonctionner.  « Le retrait immédiat, sans coopération ni perspectives, c’est la certitude d’une guerre civile déclenchée à partir de l’extérieur ».

Iran : « La France considère que l’Iran se donne les moyens d’accès à la bombe (atomique), en contradiction avec le  TNP (traité de non-prolifération des armes nucléaires) dont il est signataire ». Paris accentue les sanctions, redoutables sur le long terme pour le financement des importations. Une frappe des installations nucléaires iraniennes n’est pas à l’ordre du jour, mais la France défendrait Israël en cas d’agression, a indiqué le ministre. Un blocage des flux financiers aboutit au même résultat que celui des ports pétroliers. « Il est efficace s’il est appliqué avec obstination et dans la durée ».

Afrique : les bases militaires françaises de Djibouti (Est) et Libreville (Ouest) suffisent. En cas de nécessités ponctuelles ou de coopération, il est possible d’intervenir à partir de la métropole. « On n’a pas besoin d’un deuxième porte-avions, a déclaré Gérard Longuet, ce sera au cœur de la discussion sur l’actualisation du Livre Blanc (sur la défense et la sécurité) ».

Par ailleurs, le ministre va tenter de préserver le recrutement des coupes budgétaires en cours, lequel représente 20.000 contrats nouveaux par an.

Loïc Salmon

Gérard Longuet (65 ans), ministre de la Défense et des Anciens Combattants, est diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, titulaire d’un diplôme d’études supérieures de sciences politiques et ancien élève de l’Ecole nationale d’administration. Il a exercé plusieurs mandats électifs, notamment ceux de député de la Meuse (1978-1981, 1986-1993), député européen (1984-1986), président du Conseil régional de Lorraine (1992-2004) et sénateur de la Meuse (2001-2011). Il a aussi été secrétaire d’Etat (mars-août 1986), puis ministre délégué (1986-1988) auprès du ministre de l’Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme et enfin ministre de l’Industrie, des Postes et Télécommunications et du Commerce extérieur (1993-1994). A ce titre, il a été le principal négociateur du traité de Marrakech, à l’origine de l’Organisation mondiale du commerce. Enfin, il préside le Centre de la paix à Verdun depuis sa création en 1988.




Opex : le soldat au cœur du succès

« La qualité de l’engagement du combattant sur le terrain fait la différence entre les missions réussies et celles qui ne le sont pas », a déclaré le ministre de la Défense Gérard Longuet, à l’issue d’une table ronde sur ce thème tenue le 22 novembre 2011 à Paris.

L’engagement militaire, dit-il, implique une totale disponibilité avec les risques qui l’accompagnent. Au cours de la même table ronde, dix combattants de divers grades ont apporté leurs témoignages sur les principales opérations en cours ou engagées depuis l’automne 2010 en Afghanistan (opération « Pamir »), Libye (Harmattan ») et Côte d’Ivoire (« Licorne »). Le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) travaille au profit de l’Etat-major des armées, dont le chef (CEMA) présente des options stratégiques à l’autorité politique. Les armées forment des modules adaptés aux missions en volume et capacité (cohérence d’effectifs et de moyens). « Il s’agit de bâtir une structure de commandement pour le CEMA, explique le général de brigade aérienne Jean Borel, adjoint planification au CPCO, cela n’exclut pas une dominante d’armée mais implique aussi les autres. Les armées entretiennent les compétences ».

Afghanistan : une formation opérationnelle spécifique rassemble les différentes spécialités afin de se roder à une procédure commune, déclare le lieutenant-colonel Stéphane Caffaro, officier adjoint du 21ème Régiment d’infanterie de marine et blessé le 18 septembre 2010 (voir revue téléchargeable N°304 juin 2011 p.18). Il s’agit de donner au GTIA (Groupement tactique interarmées des troupes françaises) de la province de Kapisa une grande cohésion et une force morale avant de projeter ses éléments dans un environnement hostile. Un blessé a la certitude que « l’institution mettra tout en œuvre pour l’évacuer, le soigner correctement et qu’il retrouve sa place dans son unité », dans la mesure du possible. La moyenne d’âge des blessés est de 30 ans ! « Il faut une culture de la réactivité pour aller projeter son savoir-faire n’importe où dans le monde en moins de 48 heures », souligne le sergent-chef Yann Baratte, contrôleur aérien avancé du commando parachutiste de l’air 20. Lors d’une attaque simultanée sur trois points contre une unité de la coalition par une trentaine d’insurgés, il s’est trouvé sous leur feu nourri alors qu’il guidait une patrouille d’hélicoptères français et américains pour les éliminer. « Après huit heures de combat et de feu, le silence est la plus belle récompense ». Pendant les trois semaines qui ont suivi, pas un seul coup de feu n’a été tiré dans la vallée. « Quand on est bien entraîné, on n’a pas peur. La peur de mourir, on l’a après, quand tout se calme ».

Libye : le lieutenant-colonel Loïc Rullière, pilote de Rafale et commandant l’escadron de chasse 1/7 « Provence », a dirigé la première patrouille de la première vague, en protection de la deuxième vague de Rafale et de Mirage 2000 qui devait aller loin dans la profondeur du territoire libyen. Son unité, basée à Solenzara (Corse) est en alerte : les équipages et mécaniciens ont travaillé toute la nuit. Tous les senseurs des appareils ont été employés pour résoudre la principale difficulté : faire la discrimination entre les véhicules armés et la population civile. « Notre fierté est d’avoir rempli la mission ». Un jour, dans le sud, un drone américain Predator a surveillé trois zones pendant trois heures avant l’arrivée des avions français… dont les cibles ont été soudainement changées. « Le commandant (de la force aérienne française) a attendu que l’analyse soit complète avant d’envoyer une patrouille », précise le lieutenant-colonel Rullière. De son côté, le personnel d’aviation embarquée habite quasiment sur le théâtre d’opérations. « On monte dans l’avion et on reçoit une photo (numérisée) prise par un Mirage F1-CR déclare le lieutenant de vaisseau Sébastien Colard, pilote de Rafale de la flottille 12 F, sur zone, on fait une reconnaissance des sites et on les engage. 1 H 45 après, on se pose de nuit sur le porte-avions avec six bombes en moins ». Les pilotes français et américains sont les seuls au monde à pouvoir effectuer de telles missions de nuit. A bord, les mécaniciens sentent qu’ils font partie de la chaîne, souligne le lieutenant de vaisseau Colard. De retour de mission en Afrique de l’Ouest, l’équipage du Bâtiment de projection et de commandement Tonnerre a appris un vendredi soir qu’il devait partir pour la Libye. Trois jours plus tard, il a appareillé avec tous les moyens nécessaires (armement, transmissions et modules) et après avoir organisé l’escorte (les yeux et les oreilles de la force). Ce bâtiment interarmées avec un hôpital, des compagnies de combat et des hélicoptères de l’armée de terre a dû mettre en œuvre une opération complexe. « Il a embarqué 400 militaires de plus de 30 unités différentes et les chefs de modules ne connaissaient pas les gens avec qui ils allaient travailler », souligne le capitaine de vaisseau Philippe Ebanga, commandant du Tonnerre pendant les opérations Licorne et Harmattan. Pendant trois mois, ces deux missions ont mobilisé le même équipage, qui a dû également assurer la maintenance du bâtiment. Une opération de frappes par hélicoptères, préparée à la minute près, commence par de longues minutes d’infiltration de nuit avec le risque d’essuyer des tirs d’armes anti-aériennes et de missiles sol/air. « Pour le raid sur Syrte, les photos de renseignement n’étaient pas suffisantes, nous avons été accueillis par des tirs de canons de 33 mm, explique le capitaine Brice Erblanc, pilote de Tigre du 1er Régiment d’hélicoptères de combat, on a recherché toutes les forces de Khadafi sur des pick-ups qui se cachent pour échapper aux avions de chasse. Il fallait tirer sur l’armement qu’on voyait à 200 m, c’est-à-dire à portée de ces armes ». Les renseignements sont fournis en temps réel par des avions de reconnaissance. « On est concentré dans l’action, on n’a plus de temps de ressentir d’émotion ». En outre, une frégate effectue un tir d’artillerie contre la côte pendant le transit des hélicoptères au dessus de la mer. Ainsi, la frégate de défense aérienne Chevalier-Paul détecte tout ce qui vole à 400 km autour d’elle (avions, hélicoptères et drones), indique le premier maître Jean-Philippe Merle de la cellule de coordination aérienne, elle doit éviter les collisions et que les hélicoptères, dont elle a la charge, ne travaillent pour une autre unité. Un avion de patrouille maritime ATL2 guide onze hélicoptères de combat (dont un de recherche et de sauvetage) vers les objectifs désignés, qu’il surveille par détecteur infrarouge. Il en informe l’avion radar de surveillance de théâtre AWACS, afin que la vague d’assaut ne soit pas gênée par d’autres aéronefs sur zone. Pendant l’engagement des hélicoptères, la frégate informe aussi l’AWACS du volume d’obus qu’elle va tirer avec ses deux canons de 76 mm. « Le commandant ordonne le feu sur deux objectifs pendant que les hélicoptères reviennent au BPC », ajoute le premier maître Merle. Ce bâtiment était en sécurité, mais une frégate a essuyé des tirs, indique le capitaine de vaisseau Ebanga.

Côte d’Ivoire : le capitaine Sébastien Laloup, pilote de transport de l’escadron de transport 1/64 « Béarn », a participé au pont aérien mis en œuvre entre Libreville (Gabon) et Abidjan (voir article « Gestion française des expatriés en temps de crise » dans les rubriques « Actualités » ou « Archives » 7-12-2011). Le soutien était prépositionné depuis deux mois quand, le 2 avril dans l’après-midi, est donné l’ordre de décoller pour se poser à Abidjan le lendemain à 3 h du matin. Le pont aérien, exclusivement français au début, évacue des ressortissants de diverses nationalités (Européens, Africains, Américains et Libanais) sur Dakar (Sénégal), Libreville (Gabon) et Lomé (Togo). Les avions reviennent avec des vivres et de l’eau. Les équipages ne comptent pas leurs heures de vol. « Les gens évacués ne cachaient leur joie sur leurs visages, car ils n’avaient plus d’argent ni de vivres. Pour nous, cela valait toutes les récompenses et toutes les médailles » ! A Abidjan, la force française Licorne a tout sécurisé au sol. L’adjudant Vincent Leroy était chef de peloton ERC 90 Sagaie du 12ème Régiment de cuirassiers, en alerte depuis 24 heures. « Depuis six mois et demi, on savait ce qu’on devait faire. Ma mission militaire était simple : tenir un carrefour ». La bataille d’Abidjan, de haute intensité, a duré une dizaine de jours : évacuation de ressortissants jour et nuit, prise de l’aéroport et prise du port autonome. « Les hommes étaient à fond dans leur mission », conclut l’adjudant Leroy.

Loïc Salmon

De gauche à droite : général de brigade aérienne Jean Borel, lieutenant-colonel Stéphane Caffaro, lieutenant de vaisseau Sébastien Colard, sergent-chef Yann Baratte, animateur Didier François, lieutenant-colonel (Air) Loïc Rullière, adjudant Vincent Leroy, capitaine de vaisseau Philippe Ebanga, capitaine Brice Erblanc et premier maître Jean-Philippe Merle.




L’ennemi : un choix essentiellement politique

En temps de guerre, il faut tuer l’ennemi, désigné pour des motifs plus politiques que stratégiques et qu’il faut déshumaniser pour légitimer la violence. Tel est l’avis de Pierre Conesa, ancien adjoint au directeur de la Délégation aux affaires stratégiques.

Auteur du livre « La fabrication de l’ennemi ou comment tuer avec sa conscience pour soi », il a présenté son argumentation au cours d’une conférence organisée, le 3 mai 2012 à Paris, par l’Association des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de défense nationale. Selon lui, la construction de l’ennemi facilite la cohésion nationale et permet d’expliquer les difficultés économiques. En outre, une « bonne » guerre sert souvent d’exutoire à la vitalité des jeunes. Par ailleurs, une démocratie n’est pas pacifiste par nature ni une dictature belliciste par nature. Toutefois, une guerre menée par une démocratie doit être acceptée par son opinion publique. Les « think tanks » (institutions privées de recherche) et les organismes publics chargés des questions stratégiques doivent identifier les risques, menaces et ennemis en vue de formater les forces militaires nécessaires. Or, ceux qui font l’opinion belliciste ne sont pas les intellectuels et les médias les plus lucides, mais les plus lus et les plus regardés.

Les rebellions et révoltes se classent en diverses catégories. Il y en aurait environ 400 dans le monde, alors que les think tanks américains n’en recensent que 40 et que le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 ne donne que la vision française. Traditionnellement, l’ennemi se situe au-delà de la frontière. Au nom du droit historique, certaines autorités politiques déterminent encore le territoire de l’identité nationale : la Serbie vis-à-vis du Kosovo et la Grèce qui considère la mer Egée, bordée par la Turquie, comme une mer intérieure alors que sa souveraineté ne s’exerce que sur les îles. Au XIXème siècle, la rivalité planétaire a fait son apparition. L’Allemagne, soucieuse d’une influence comparable à celles des empires coloniaux français et britannique, a fabriqué l’idéologie du « péril jaune » contre la Chine, peuplée à l’époque de 400 millions d’habitants susceptibles d’envahir l’Occident. Par la suite, ce « péril », largement instrumentalisé, a désigné le Japon vainqueur de la Russie en 1905, la Chine communiste en 1949 et enfin l’un puis l’autre lors de leurs décollages économiques respectifs en 1960 et 2000. Or, en 2011, le budget chinois de la Défense s’établit à 420 Md$, soit le  cinquième de celui du Pentagone ! Pendant la guerre froide (1947-91), la propagande communiste a vilipendé les « impérialismes » britannique et américain. La guerre civile, qui vise l’assassinat de l’ennemi intime, commence par les mots qui disqualifient le voisin… avec la participation des Eglises et des intellectuels ! Ce processus conduit à l’humiliation de « l’autre » : attentats contre les lieux de culte chiites et sunnites au Moyen-Orient et aussi camps de concentration et viols collectifs en Bosnie. Le conflit en République démocratique du Congo est le plus meurtrier depuis la seconde guerre mondiale. Plus insidieux, l’ennemi caché repose sur la théorie du complot : d’abord « juif », avec la Shoah pour conséquence, et ensuite « américain » responsable de tout. Les idéologies totalitaires, laïques ou religieuses, donnent à penser que le monde peut être totalement organisé et que « l’autre » doit être exterminé : grands procès de Moscou (années 1930), révolution culturelle en Chine (1966-76) et attentats suicides d’aujourd’hui. Dans les territoires occupés, l’habitant est figuré, par l’occupant, comme un sauvage qui ne comprend que la force. L’unilatéralisme, qui consiste pour un pays à ignorer les instances internationales (ONU, OTAN) pour parvenir à ses fins, conduit à déclarer la guerre à des concepts comme « l’axe du mal » ou le terrorisme. Enfin, les médias servent de caisses de résonnance aux diasporas actives, intellectuels engagés et organisations humanitaires.

La vision de l’ennemi des néo-conservateurs américains remonte à l’humiliation de la prise de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran en 1979. Or, pendant toute la guerre froide, les Etats-Unis n’avaient pas hésité à soutenir des régimes dictatoriaux dans le monde pour occuper le terrain face à l’Union soviétique. Après la chute de celle-ci, l’Iran devient donc l’ennemi idéal. Les relations de Washington avec ce pays sont complexes : soutien à la dictature du Shah (1953-79) puis à l’Irak en guerre contre l’Iran (1980-88), qui se trouve aujourd’hui encerclé de bases américaines installées dans les pays voisins et qui souhaite se doter de l’arme nucléaire. En termes de prolifération nucléaire, Washington pratique le double standard, souligne Pierre Conesa : l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord sont de « mauvais » proliférateurs, mais Israël, le Pakistan et l’Inde sont de « bons » proliférateurs, car alliés des Etats-Unis. Pour les néoconservateurs américains, les guerres en Irak et en Afghanistan sont une vengeance contre les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Le terreau idéologique a été préparé dès les années 1990 avec notamment le livre « Le choc des civilisations » (Huntington) traduit en 39 langues, diffusant ainsi une vision « américaine » du monde. Les médias ultra-conservateurs du groupe Murdoch ont amplifié le phénomène. D’une façon générale, les Américains, veulent des héros « positifs » et voient la guerre comme au cinéma, d’où le succès des westerns contre les Indiens et de la série du vengeur Rambo. Ils n’ont en effet jamais connu l’invasion, contrairement aux Européens plus conscients des conséquences d’une guerre sur la population locale. Ainsi, la moitié seulement des pays de l’Union européenne ont suivi le Etats-Unis en Irak (opération dite « préventive » par l’administration Bush). En revanche, l’intervention en Afghanistan, légitimée par un mandat de l’ONU, a suscité la solidarité de la quasi-totalité d’entre eux.

La déconstruction de l’ennemi nécessite un acte politique. Les sorties de guerre civile passent par les lois d’amnistie. La France et l’Allemagne, qui ont connu trois guerres (1870, 1914-18 et 1939-45), ont conclu un traité de réconciliation (Elysée, 1963) et entamé la construction européenne. L’Afrique, sujette à des problèmes récurrents de frontières, sollicite souvent l’arbitrage de l’ONU. Enfin, la Cour internationale de justice vise à casser le mécanisme de la vengeance en faisant juger les dictateurs « bourreaux » par la communauté internationale.

Loïc Salmon

Pierre Conesa, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, est maître de conférences à l’Ecole nationale d’administration. Il a été notamment adjoint au directeur de la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense (1992), puis au directeur des relations internationales de la Délégation générale de l’armement (1997). La DAS propose des analyses des crises internationales, coordonne les réflexions stratégiques menées au sein du ministère de la Défense et soutient celles d’instituts de recherche et d’organismes universitaires français et étrangers. Enfin, elle participe au processus interministériel de contrôle des exportations de matériel de guerre et aux négociations sur la non-prolifération d’armes nucléaires.