Cahiers de guerre d’un avocat normand, les batailles de Champagne 1915
Les assauts français de 1915 contre les tranchées allemandes, précédés de canonnades parfois mal ajustées, ont été particulièrement meurtriers.
Firmin Daligault, avocat mobilisé comme adjudant puis promu lieutenant, y a participé. Sa description des événements, ses impressions et ses analyses, écrites sur des cahiers d’écolier, témoignent de l’enfer de ces batailles. Avant d’être envoyé en première ligne en février, il rapporte les propos concordants des blessés qui en reviennent : « Ce n’est plus une bataille, c’est un carnage, partout des morts, partout des blessés, on marche dessus, sur des cadavres pourris là depuis un mois, sur des cadavres là d’hier, sur des blessés même qu’on ne peut pas éviter. Et notre propre artillerie nous cause énormément de dégâts, le tir est mal réglé, rien n’est prêt pour la lutte, et toujours malgré tout, sans préparatifs, il faut aller à l’assaut où tous les officiers tombent et d’où peu d’hommes reviennent. » Quand son tour arrive, il reçoit les consignes excluant la capture de prisonniers. L’assaut est accueilli par le feu des mitrailleuses allemandes. Un ordre du haut commandement, quel qu’il soit, ne se discute pas, même si les officiers sur le terrain se rendent compte de l’impossibilité d’une attaque malgré les bombardements préalables. Un échec, dû au manque de renseignements ou aux cartes d’état-major erronées, ne doit pas se solder par l’abandon d’un pouce de terrain. Ce serait considéré comme une trahison par le haut commandement, partisan de l’offensive à outrance. Des conférences sont alors organisées pour remonter le moral des troupes, mais les événements contredisent leurs informations mensongères et sapent la confiance. Ainsi l’allégation, selon laquelle les Allemands meurent de faim, se trouve démentie par la découverte d’un abri ennemi, bien garni en saucissons et cigares, ou le passage de prisonniers apparemment bien nourris. De même, l’ennemi n’aurait plus de munitions ou elles seraient de mauvaise qualité et n’éclateraient pas, alors que ses obus tuent beaucoup d’hommes. Les extraits des journaux de marche du 104ème Régiment d’infanterie, celui de l’auteur, mentionnent avec précision le déroulement d’une opération avec le nombre de morts, de blessés et de disparus. Et puis, il y a l’épuisement, les nuits sans sommeil par une température froide, la boue, les rats, le manque de nourriture et d’eau pendant plusieurs jours et même les vols des affaires de ceux partis au combat et sur les cadavres des tués. Firmin Daligault n’épargne pas la haute hiérarchie de ses critiques : « On ne saurait trop oublier en effet les erreurs des grands pontifes, des membres du Conseil supérieur de la guerre, le néfaste de leurs théories, leurs inconséquences blâmables et aussi leur incurie dans la préparation de la guerre. Et ceux-là même qui avaient pour mission de mettre le pays en état de défense, qui disposaient de toutes les énergies, de toutes les bonnes volontés ne reculant devant aucun sacrifice, ils étaient les premiers à ne pas croire à la guerre et leurs plans de campagne étaient de faire avancer leurs amis (…) au détriment des officiers laborieux et consciencieux qui, dégoûtés, s’en allaient. » Par ailleurs, l’exécution en public d’un soldat, condamné à mort pour abandon de poste devant l’ennemi, a failli provoquer une mutinerie dans le 104ème Régiment d’infanterie. Cet abandon de poste se complique de la mutilation volontaire qui, non prévue par le code militaire à l’époque, ne peut être punie que comme abandon de poste. L’exécution a été organisée comme une cérémonie officielle avec drapeau et musique en tête. Le condamné, un pansement à la main, a été fusillé. « Cette condamnation, de l’avis de tous, fut plus qu’une erreur judiciaire, souligne l’avocat Daligault, on a dit avec juste raison qu’elle fut un crime. »
Loïc Salmon
« Cahiers de guerre d’un avocat normand, les batailles de Champagne 1915 », Firmin Daligault. Éditions Lamarque, 336 pages, 26 €.
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