Asie du Sud-Est : zone sous tension et appropriation territoriale de la mer
Ressources halieutiques et énergétiques convoitées, revendications territoriales d’îlots, récurrence de la piraterie et prolifération des sous-marins affectent la sécurité de l’Asie du Sud-Est. Tous les pays de la région renforcent leurs budgets de défense en conséquence.
Tel a été le thème traité au cours d’une conférence-débat organisée, le 19 avril 2017 à Paris, par le Centre d’études stratégiques de la marine. Y sont intervenus : la capitaine de frégate Marianne Péron-Doise, Institut de recherche stratégique de l’école militaire ; le capitaine de frégate Damien Lopez, ancien commandant (2016) de la frégate de surveillance Vendémiaire, basée en Nouvelle-Calédonie.
Géostratégie maritime chinoise. Pour l’Asie du Sud-Est, la mer constitue un marquage identitaire en raison des flux commerciaux internationaux, explique la capitaine de frégate Péron-Doise. Chaque année, 70.000 navires franchissent le détroit de Malacca, lieu de passage entre l’Europe, le Moyen-Orient et les grands pays économiques de l’Asie du Nord-Est (Chine, Japon et Corée du Sud). La mer de Chine méridionale s’étend sur 3 Mkm2 avec de nombreux îlots et atolls ne se découvrant qu’à marée basse. Le plateau continental ne présente aucune continuité avec les archipels, dont plusieurs pays riverains revendiquent la souveraineté (encadré). La Chine pratique une stratégie du fait accompli. Au delà du potentiel halieutique et énergétique de la mer de Chine méridionale, elle cherche à assurer la sécurité de ses approvisionnements en pétrole et gaz via l’océan Indien. Les Paracels sont situées à environ 170 milles marins (315 km) de la côte vietnamienne et de l’île chinoise de Hainan, qui abrite la base des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Leur revendication par la Chine lui permet de protéger ainsi sa dissuasion nucléaire, dont la capacité se trouve déjà amoindrie par l’installation du système de missiles antibalistiques américain THAAD en Corée du Sud. La poursuite de cet objectif a été amorcée dès 2009. La Chine avait alors invoqué des raisons historiques pour justifier sa souveraineté sur 2.000 km2 de mer de Chine méridionale puis, en 2012, sur la totalité en y incluant les archipels des Paracels et des Spratleys. Déjà en 1988, un atoll des Spratleys avait été le théâtre d’un grave incident entre les Marines vietnamienne et chinoise. Par ailleurs, au nom de la Convention de l’ONU sur le droit de la mer, la Marine chinoise harcèle régulièrement les bateaux de pêche vietnamiens et philippins. Saisi en 2009 par les Philippines, La Cour permanente d’arbitrage de La Haye a conclu en 2016 que la légitimité historique de la Chine sur les Spratleys ne repose sur aucun élément et que celle-ci ne peut donc prétendre à une zone économique exclusive du fait de l’occupation de ces îlots. Depuis, la Chine a développé une flotte de garde-côtes, qui inspectent tous les navires pénétrant dans les eaux contestées. La nouvelle milice maritime de Tanmen (Hainan), embarquée sur des unités à coque rigide, coupe les filets des bateaux de pêche ou en saisissent les cargaisons. Ce dispositif coercitif ne concèderait que des droits de pêche épisodiques aux Philippins. En février 2017, la Chine a révisé sa loi sur le trafic maritime afin d’empêcher l’accès de navires au motif d’éventuels troubles à la sécurité. Ainsi, un sous-marin doit naviguer en surface en arborant son pavillon. Tout navire, militaire ou civil, doit demander l’autorisation de transit. La protection des systèmes de missiles surface/air, installés dans les îles artificielles des Spratleys, a été renforcée.
Situation géopolitique. Selon la capitaine de frégate Péron-Doise, la Chine exerce une forte dépendance économique des pays de l’ASEAN, dont elle mésestime les droits. Le Viêt Nam entretient des partenariats avec l’ensemble des autres pays, mais évite d’être trop marqué avec l’un pour ne pas indisposer la Chine. Il autorise les escales de bâtiments militaires français, japonais et australiens au port de Cam Ranh pour manifester l’indépendance de sa diplomatie navale de contrepoids face à la Chine. De leur côté, le Japon et l’Australie s’inquiètent de la stratégie chinoise d’appropriation maritime, qui pourrait limiter l’accès au détroit de Malacca. Leurs Marines participent à des exercices avec la VIIème flotte américaine. Les Etats-Unis ont opté pour une « dialectique du pivot » de l’Europe vers l’Asie, pour se montrer de façon plus visible. En fait, ils assument depuis longtemps une présence militaire au Japon, en Corée du Sud et surtout à Guam (archipel des Mariannes). De son côté, la France a conclu des partenariats avec Singapour et la Malaisie.
La France dans le Pacifique. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France exerce une responsabilité globale sur toutes les mers, rappelle le capitaine de frégate Lopez. La Marine nationale a pour mission d’affirmer le principe de liberté de navigation, menacée notamment en mer de Chine par la poldérisation de certains atolls et îlots. Sa stratégie repose sur la présence, la coopération, l’observation et le rayonnement pour maintenir sa liberté d’action. La diplomatie navale correspond à un comportement clair : ne pas prendre parti dans les différends ; promouvoir un ordre international fondé sur le droit ; résoudre les conflits par le dialogue. La présence se manifeste par la participation à toutes les instances régionales : Réunion annuelle des chefs d’Etat-major des armées des pays du Pacifique ; Symposium naval du Pacifique occidental ; Forum des garde-côtes du Pacifique Nord ; Association de l’océan Indien ; Rencontre des ministres de la Défense de pays du Pacifique Sud ; Groupe de coordination de défense quadrilatéral (Australie, Nouvelle-Zélande, Etats-Unis et France). Il a fallu 11 ans pour se mettre d’accord sur le code (40 signes) sur les rencontres inopinées à la mer, en vue d’éviter les risques de méprise sur le comportement. Chaque année, des bâtiments français, venus de métropole, de Tahiti ou de Nouméa, se rendent en mer de Chine en adoptant une posture ferme mais sans action d’éclat, source de tension. La coopération porte sur des exercices communs avec les Marines étrangères pour mieux se comprendre : tirs ; ravitaillements à la mer ; partages d’expérience pour aider certains pays à développer leur défense maritime.
Loïc Salmon
Asie-Pacifique : la France partenaire de sécurité
L’archipel des Spratleys, qui compte 14 îles naturelles et 150 récifs s’étendant sur 439.820 km2, fait l’objet de revendications de la part de la Chine, de Taïwan, du Viêt Nam, de la Malaisie, des Philippines et de Brunei. Depuis 2013, la Chine construit aéroports, héliports, ports et immeubles sur 7 îles artificielles adossées à 9 récifs totalisant 13,5 km2. L’archipel des Paracels (130 îlots coralliens, 25.000 km2), revendiqué par le Viêt Nam et la Chine, est occupé par celle-ci depuis 1974 et abritait environ 1.000 habitants en 2014. L’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) regroupe 10 pays : Brunei ; Birmanie ; Cambodge ; Indonésie ; Laos ; Malaisie ; Philippines ; Singapour ; Thaïlande ; Viêt Nam. La France dispose d’une zone économique exclusive de 11 Mkm2, dont 62 % dans le Pacifique. Elle en est riveraine par la Nouvelle-Calédonie, les îles Wallis et Futuna, la Polynésie française et l’île de Clipperton.