Armée de Terre : la victoire, conflit court mais opération sur le long terme
La victoire, résultante de la cohérence et de la continuité entre défense et politique étrangère, inclut les dimensions sociale et économique.
Ce thème a été abordé au cours d’un colloque organisé, le 6 février 2018 à Paris, par le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de terre. Un officier général, un universitaire et un expert de la guerre économique y sont intervenus.
Gagner la guerre et la paix. La notion de victoire s’associe à celle de l’ennemi combattu dans le temps court pour le contraindre à renoncer, plier ou capituler, rappelle l’officier général. La victoire militaire suppose un ennemi visible. Les militaires usent de la force pour tuer des adversaires mais pas une idéologie. Vaincre le terrorisme, moyen au service d’une idéologie, apparaît donc vain. Les interventions en Afghanistan, Libye et Irak ont donné une victoire militaire mais pas politique. Au cours du XXIème siècle, les fondamentaux de la guerre, à savoir l’histoire et la géographie, devraient demeurer, estime l’officier général. L’ennemi militaire sera toujours contraint par la géographie et « incarné », malgré la mondialisation et l’hyperconnection. Dans toute opération, le « droit de la guerre » et le « droit dans la guerre » doivent rester présents à l’esprit. L’échec du rétablissement de la paix au Moyen-Orient rappelle celui de la Guerre de Cent Ans (1337-1453) entre le France et l’Angleterre. Le vainqueur d’un jour ne met pas l’accent sur la bonne gouvernance et la protection de la population. Au début du XXème siècle, avion, sous-marin et char d’assaut révolutionnent l’art de la guerre. A l’aube du XXIème siècle, le numérique et l’intelligence artificielle devraient encore le transformer en effaçant les contraintes physiques et juridiques. La disparition d’un monde bipolaire Est-Ouest a conduit à une crise généralisée. Dans un monde nucléarisé depuis le milieu du XXème siècle, toute agression militaire entre Etats restera marquée par la dissuasion nucléaire. En conséquence, cela implique la prise en compte du comportement d’un dictateur sans contre-pouvoir intérieur. Avec la disparition des déclarations de guerre, une intervention en profondeur suit une logique de défense et de prévention. Sur le plan défensif, il suffit de contrer, en partie, l’assaillant. Sur le plan offensif, il faut tout maîtriser pour dénier toute liberté d’action à l’ennemi, dont la connaissance permettra de le vaincre. Toutefois, une guerre justifiée par un gouvernement peut être perçue comme une agression par sa propre population et la communauté internationale. Ainsi, l’opération israélienne « Plomb durci » à Gaza (décembre 2008-janvier 2009) s’est soldée par une victoire militaire, mais une défaite politique. La dissuasion nucléaire évite la guerre, le combat et la victoire, conclut l’officier général.
Socialisation de la guerre. Après la paix de Westphalie (1648), actions militaires et politiques fusionnent puis se disjoignent après le traité de Versailles (1919), où le vaincu (Allemagne) n’est plus convié à la table des négociations, explique l’universitaire. Cette fusion se manifeste au niveau de l’Etat, auteur de la violence, par la puissance dans le cadre de la souveraineté. L’équilibre de la puissance, manifestée par des victoires militaires, conduit à la stabilité internationale. La guerre des princes est devenue celles des peuples après Valmy (1792). Ainsi, les guerres franco-allemandes de 1806 à 1945 constituent un cycle de revanches. Les conflits internationaux ultérieurs remettent ce modèle en cause : victoire du faible sur le fort (Viêt Minh contre l’armée française à Dien Bien Phu, 1954) ; victoire militaire considérée comme une défaite par l’opinion publique du vainqueur (succès de l’armée américaine contre l’offensive nord-vietnamienne du Têt, 1965-1966) ; victoire militaire suivie d’une défaite politique (Accords d’Evian après la bataille d’Alger, 1962). La puissance des Etats-Unis s’affirme sans remporter de victoire depuis 1945, sauf à la Grenade (1983). Des clans se sont appropriés la guerre, qui ne vise plus la conquête territoriale mais la violence pour elle-même. Daech, vaincu militairement en Syrie et en Irak, multiplie les attentats terroristes en Europe, en Turquie et au Pakistan. Des sociétés guerrières, avec leurs fonctions économiques, se nourrissent de la guerre (Afghanistan et République démocratique du Congo). L’occupation territoriale, transformée en rectification de frontière après une guerre interétatique, est ressentie comme une humiliation au XIXème siècle. Aujourd’hui, perçue comme une violence, elle remet en cause les liens sociaux, à l’origine d’un élan national suscité par une faction (talibans en Afghanistan). La guerre américaine de 2003 a défait le contrat social de l’Etat irakien, qui tente de se reconstruire après Daech, conclut l’universitaire.
Grille de lecture économique. Quoique moins perceptible, la guerre économique et industrielle entre Etats dure plus longtemps qu’un conflit militaire, car les réalités économiques aboutissent à un rapport de forces, souligne l’expert. Dans un conflit économique, l’assaillant nie sa responsabilité et l’agressé se tait pour préserver sa réputation. Ainsi, la France crée le groupe Elf Aquitaine en 1966 pour se dégager de la « dépendance pétrolière » anglo-saxonne, constituée après les deux guerres mondiales. Pour éviter d’être colonisé, le Japon établit un code économique pour aboutir à une organisation militaire, lorsqu’il sort de son isolement en 1854. Ruiné en 1945, il devient la deuxième puissance économique mondiale en 1970. Après la guerre de Corée (1953), la Corée du Sud développe son système éducatif, afin de rattraper son retard technologique et prend en compte la guerre économique. Après la révolution culturelle (1966-1976), la Chine a réussi son entrée dans l’économie de marché par la copie du Japon, des salaires bas et un contrôle strict des entreprises étrangères, puis…a devancé le Japon en 2010 ! Aujourd’hui, les Etats-Unis ne peuvent se laisser dépasser par la Chine sans conséquences sur leur politique internationale. Depuis la guerre civile (1917), la Russie a privilégié l’industrie militaire et les guerres de conquêtes pendant la période soviétique, avec une influence durable sur la structure de sa société. Sa logique de puissance diffère de celle de la Chine, passée comme elle dans le moule communiste. Dans la société de l’information (internet) où évoluent les systèmes politiques, l’allié peut devenir un adversaire pour l’accès aux matières premières, selon l’expert.
Loïc Salmon
Placé sous l’autorité directe du major général de l’armée de Terre, le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement de l’armée de terre a pour mission principale d’anticiper un emploi des forces terrestres adapté aux engagements, actuels et futurs. Cela implique : cohérence générale de la doctrine d’emploi des forces en réseau ; interopérabilité doctrinale avec les armées de Terre alliées ; coordination des retours d’expérience ; expertise de la fonction opérationnelle commandement ; pilotage et conduite des études prospectives et travaux de recherche, au profit de la doctrine et de l’anticipation tactique ; veille, anticipation et action transverse à l’ensemble des commandements.
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