Armée de Terre : la remontée en puissance par l’innovation

La supériorité opérationnelle, terrestre et aéroterrestre, repose sur l’innovation technologique, qui démultiplie vitesse, puissance et protection du soldat et nécessite une synergie entre combattants, ingénieurs et industriels.

Ce thème a été abordé au cours d’une table ronde organisée, le 13 juin 2018 en banlieue parisienne, dans le cadre du salon Eurosatory 2018. Y sont intervenus : le général d’armée Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de Terre, Joël Barre, délégué général pour l’armement, et Stéphane Meyer, président du Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT).

Esprit guerrier et technologie. La Revue stratégique 2017 a, notamment, pour ambition de faire de l’armée de Terre la première d’Europe, rappelle le général Bosser. Or en opérations, elle affronte de nouveaux défis, à savoir un réarmement généralisé, des adversaires hybrides, isolés et aux tactiques inédites, des engins explosifs improvisés, des drones et la guerre électronique. Après vingt ans d’opérations extérieures, la préparation de l’avenir s’impose face à une évolution rapide de la menace, constituée de nouveaux systèmes d’armes avec de l’infanterie et des moyens plus mobiles. La préparation du soldat au combat inclut armement, entraînement, tenues diverses, conditions de travail, soutien et aide à sa famille. S’y ajoutent la rénovation des matériels, notamment de l’artillerie après les batailles de Mossoul (Irak) et Raqqa (Syrie) ainsi que la modernisation du parc de véhicules, dont certains dépassent 40 ans. Pour répondre aux besoins, l’armée de Terre coordonne son action avec la Direction générale de l’armement (DGA) et les industriels. Si donner un cap ne pose pas de problèmes avec les grands groupes, il s’avère difficile auprès des petites et moyennes entreprises et surtout des startups, indique le général Bosser. Dans le temps long, cela porte sur les choix capacitaires, les concepts et les préprogrammes. L’innovation en « boucle courte » nécessite davantage de réactivité pour ne pas aller plus lentement que l’adversaire : rapidité des processus d’acquisition, modification des usages, simplification des procédures et invention de nouvelles tactiques. L’efficacité opérationnelle dépend du juste besoin des matériels et de leur livraison à temps aux forces spéciales et conventionnelles. L’innovation récupère toutes les bonnes idées, comme l’impression en 3 D ou les véhicules sans pilote. Elle induit de nouveaux métiers à tous les niveaux, du caporal-chef au commandant sur le terrain. L’armée de Terre vit en permanence dans l’expérimentation, qui implique la responsabilité du commandement. A titre d’exemple, Daech a utilisé un mini-drone en vente dans le commerce (300 €) pour cibler (caméra) et tuer (engin explosif) deux cadres des forces spéciales en train d’instruire des soldats irakiens.

Faire plus ou mieux. Les programmes demandent une analyse fonctionnelle entre les armées, qui expriment des besoins, la DGA, qui les transforme en contrats, et les industriels, qui en chiffrent le coût, explique Joël Barre. Une concertation entre les trois acteurs permet de maîtriser les coûts par rapport à la performance attendue. Tout rajout au programme initial implique une évaluation supplémentaire. En matière d’innovation, l’ouverture au monde civil permet de capter l’évolution technique, notamment numérique, pour améliorer la performance des systèmes d’armes. Le dispositif « Rapid » (Régime d’appui pour l’innovation duale) finance la recherche dans des domaines susceptibles d’intéresser la DGA qui, en outre, accorde des subventions au développement de petites et moyennes entreprises. L’Innovation Defense Lab et l’Agence de l’innovation (voir encadré) apportent de nouvelles possibilités à la « boucle courte » entre le Secrétariat général pour l’administration, la DGA et les forces armées. Les innovations proposées par des personnels des armées doivent déboucher sur les programmes planifiés. Ainsi, les processus d’acquisition et le développement du programme national « Scorpion » de l’armée de Terre feront l’objet de rendez-vous périodiques pour y incorporer les innovations, sans attendre le stade ultime qui répondra à l’intégralité des besoins. La phase 2 de Scorpion inclut la robotique, les véhicules complémentaires, leur protection et celle contre la menace cyber, technologies à développer à partir de 2019. Toutefois, indique Joël Barre, il faut savoir accepter l’échec dans l’expérimentation, comme pour les micro-drones « indoors » des forces spéciales destinés à entrer dans les bâtiments fermés. En outre, il faut éviter de créer une dépendance industrielle étrangère pour certains matériaux (terres rares). Enfin, en sus des ressources financières nationales, l’Union européenne prévoit 1 Md€ pour la recherche et le développement de l’innovation, afin de créer des filières de souveraineté sur certains composants, en vue d’en limiter la dépendance vis-à-vis de pays extérieurs.

Etat d’esprit. Priorité à l’attente des clients et compétitivité pour vaincre la concurrence constituent le fil rouge des industriels de l’armement terrestre, souligne Stéphane Meyer. Injecter de l’innovation dans les programmes implique le droit à l’erreur pour lever les risques. La veille technologique permet de constater ce que font les adversaires et le monde civil, notamment en matière d’intelligence artificielle et de robotique. Il s’agit de continuer à travailler en réseau entre utilisateurs, concepteurs et industriels et de se trouver au bon endroit à trois ou à deux. Le retour d’expérience optimise l’intelligence collective au niveau des états-majors et au contact des utilisateurs en opérations, proches du terrain. Le GICAT aide les startups à transformer des idées en produits. En outre, l’Union européenne intervient en soutien à l’innovation. Il convient donc de comprendre les processus, définir des projets, s’appuyer sur les réseaux d’experts et créer des consortiums pour réaliser de bonnes idées à plusieurs entreprises de pays différents. Ainsi, le GICAT poursuit ses activités en Grèce, en Belgique et en Espagne.

Loïc Salmon

La loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit 1 Md€ par an à partir de 2022 (730 M€ en 2018) pour les études et l’innovation dans la défense, notamment pour les applications opérationnelles de l’intelligence artificielle (IA). A cet effet, une cinquantaine d’experts supplémentaires en matière de science des données numériques et d’IA dont l’investissement progressera jusqu’à 100 M€/an. L’IA sera notamment applicable à la reconnaissance automatique d’images, la guerre électronique, le combat collaboratif, la navigation autonome des robots, la cybersécurité, la « maintenance prédictive » (reconnaissance des signes précurseurs de la défaillance) et l’aide à la décision et au commandement. Une veille technologique sera assurée par l’« Innovation Defense Lab », lieu d’échanges et de réflexions ouvert sur l’écosystème des startups. Lancée le 16 mars 2018, l’étude « Man Machine Teaming » vise à développer l’IA pour l’aviation de combat. Enfin, l’Agence de l’innovation de la défense a été créée à l’été 2018. Rattachée à la Direction générale de l’armement, elle s’ouvre au monde civil, aux startups et à l’Europe.

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